M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Quelles que puissent être les justifications apportées à l’appui de ce texte, nous pensons qu’il est essentiel que la protection contre la concurrence déloyale entre acteurs économiques, par ailleurs déjà réglementée par toute une série de dispositifs en droit positif – nous les avons déjà évoqués –, ne remette pas en cause les libertés fondamentales des citoyens ainsi que les compétences des autorités publiques en matière de droit à l’information. Or cet article est loin de répondre à cet impératif, tant dans la définition extensive qu’il propose du secret des affaires que dans les conséquences qui sont attachées à sa violation présumée.

Cette proposition de loi, qui est marquée par un intense lobbying de nombreuses multinationales, illustre parfaitement le fait que le dialogue et la concertation ne sont pas toujours de mise dans le milieu des affaires. Pas d’étude d’impact – cela a été rappelé –, des auditions parfois confidentielles, menées rapidement, dans un délai contraint : à aucun moment le bien-fondé de ce texte n’a été vraiment démontré.

La méthode ne convainc pas, et c’est assez justement que les journalistes, les lanceurs d’alerte et les ONG que nous avons réussi à rencontrer malgré ce délai contraint s’inquiètent fortement des conséquences de ce texte.

Ils ne sont pas les seuls ! Ainsi, cela a été souligné, les acteurs de l’économie numérique, pourtant si chers à notre président, s’alarment aussi des risques pour l’innovation ouverte. En effet, le secret des affaires tel que défini à l’article 1er risque de verrouiller les marchés, le développement du logiciel libre ou encore celui de savoirs communs mis à la libre disposition d’une communauté.

J’ajoute qu’il est rappelé, dès les premières pages du rapport Notat-Senard, qui vient d’être remis au Gouvernement, que le mot qui caractérise le mieux l’état d’esprit des Français sondés vis-à-vis des entreprises est malheureusement la méfiance. Ce texte ne fera que renforcer ce sentiment, qui se développera à très juste titre, l’opacité et l’irresponsabilité étant présentées comme les valeurs essentielles de l’entreprise.

La protection de nos entreprises face à leurs concurrents internationaux soulève une vraie question,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Certes !

M. Éric Bocquet. … qui mérite d’être traitée en toute transparence. Il importe notamment qu’un tel traitement s’assortisse des garanties nécessaires à l’acceptation de ce principe du secret des affaires par la société civile.

L’équilibre de ce texte est selon nous loin de répondre à cette nécessité. C’est pourquoi nous en proposons la suppression.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Monsieur Bocquet, l’adoption de votre amendement visant à supprimer cet article entraînerait évidemment la fin assez rapide des débats, d’une part – j’imagine que tel n’est pas votre objectif –, et serait surtout, d’autre part, contraire à la position de la commission. Cette dernière, jugeant nécessaire de mieux protéger le secret des affaires des entreprises et de mieux transposer la directive, a adopté cet article dans son ensemble, avec tous les amendements que j’avais proposés.

J’entends bien vos récriminations, mais la commission a émis un avis défavorable sur votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’avis est également défavorable, pour les raisons que vient d’indiquer M. le rapporteur.

L’adoption de cet amendement conduirait la France à méconnaître son obligation de transposition de la directive dans le délai qui a été mentionné. Nous devrions, dès lors, en raison du défaut de transposition, supporter des sanctions financières.

Plus simplement, il me semble que le législateur a voulu, avec cette proposition de loi, aboutir à un texte qui repose sur un équilibre des droits et protège des intérêts qui sont parfois opposés. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi a reçu le soutien du Gouvernement.

Je rappelle que toutes les informations qui sont détenues par les entreprises ne seront pas protégées ; seules le seront celles qui font l’objet de mesures raisonnables de protection destinées à en conserver le caractère secret et qui ont une valeur commerciale effective ou potentielle.

Cette protection accordée au secret des affaires ne signifie d’ailleurs pas qu’à l’avenir serait empêchée toute révélation dont l’objectif serait de protéger l’intérêt général, ledit intérêt général étant, dans le texte qui nous occupe, spécifié. Autrement dit, nous avons explicitement et clairement énoncé que la liberté d’expression, mais également d’autres droits et libertés, serait protégée.

Au fond, l’essentiel dans ce texte, c’est l’équilibre qui a été recherché. Pour cette raison, je le répète, je ne peux émettre qu’un avis défavorable sur votre amendement, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’argumentaire que je vais développer revient à contester un grand nombre des fondements de l’article 1er. Je soutiendrai donc l’amendement de mes collègues communistes.

Cette proposition de loi est dangereuse, parce qu’elle a pour fondement la notion, qu’elle élève au rang de principe général, de secret des affaires. Ses auteurs ne conçoivent dès lors que des exceptions à ce principe, alors même que l’évolution des affaires, en particulier l’évolution récente des multinationales, témoigne, me semble-t-il, de la difficulté de faire prévaloir l’intérêt général, en particulier lorsqu’il s’agit de pratiques fiscales frauduleuses ou d’impact sur la santé et l’environnement, mais aussi l’intérêt des salariés.

C’est donc une logique inverse qui devrait s’imposer, à savoir définir le cadre du secret des affaires là où il est légitime, c’est-à-dire dans le champ des acteurs économiques concurrentiels. C’est dans cet esprit, d’ailleurs, que bon nombre d’amendements qui seront présentés à cet article, s’il n’était pas supprimé, ont été déposés, notamment par mes collègues socialistes.

Je souhaite aussi insister sur un second point, qui est majeur : une loi importante a été promulguée le 27 mars 2017, la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères. Or on voit bien qu’avec cette proposition de loi sur le secret des affaires, sur toute une série de sujets clés, la loi relative au devoir de vigilance, qui constituait une véritable avancée, va être mise à mal. Se pose d’ailleurs un problème dit de subsidiarité, puisque la directive ne doit pas affaiblir les protections nationales, mais doit, au contraire, répondre aux trous béants qui peuvent exister dans les législations des États.

En tout cas, une loi sur le secret des affaires ne saurait servir de justification aux entreprises pour ne pas publier de façon exhaustive et transparente, accessible et sincère, les informations requises au titre de la loi relative au devoir de vigilance.

Ma préoccupation est par ailleurs que les personnes protégées par la loi relative au devoir de vigilance ne soient pas menacées ou fragilisées par le présent texte. Or la rédaction de cet article les menace. Je demande donc sa suppression ; à défaut de l’obtenir, je soutiendrai toute une série d’amendements, notamment ceux du groupe socialiste et républicain.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

des entreprises

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. La mobilisation citoyenne autour du secret des affaires montre, s’il en était encore besoin, que sa protection apparaît comme une question particulièrement sensible, au carrefour de plusieurs droits et libertés fondamentaux. Pour cette raison, il est impératif que le champ d’application de la proposition de loi soit suffisamment délimité, afin que ce texte demeure un outil au service de la vie des affaires, sans possibilité de détournement, voire de contournement.

Par cet amendement, nous souhaitons que les bénéficiaires de la protection du secret des affaires, les entreprises, soient explicitement mentionnés, comme vient de le dire ma collègue Marie-Noëlle Lienemann. Si le texte de la directive ne rattache pas le secret des affaires aux entreprises, son premier considérant les mentionne néanmoins, permettant au législateur national de reprendre cette mention dans le cadre d’une transposition conforme aux objectifs de la directive.

En effet, nous pensons, dans la droite ligne des travaux du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle, qu’il est nécessaire de rattacher le secret des affaires à la notion d’entreprise, afin de préciser l’objet de la proposition de loi ainsi que son champ d’application. C’est d’ailleurs le choix qui a été effectué par de nombreuses législations européennes ; je pense, par exemple, à l’Allemagne. C’est aussi le choix qui avait été retenu dans le cadre de la proposition de loi Carayon, votée en 2012 par l’Assemblée nationale. Celle-ci visait à sanctionner pénalement l’atteinte au secret des affaires des entreprises sans objet précis : les personnes morales de droit public, mais aussi des particuliers pourraient se prévaloir du secret des affaires. Or, sans étude d’impact, il est difficile de mesurer la portée d’une telle possibilité.

À cet égard, les algorithmes pourraient tomber sous le coup de la protection du secret des affaires. Or les personnes publiques utilisent de plus en plus ce type d’outil. La mobilisation contre Parcoursup et de l’algorithme derrière APB nous rappelle, s’il en était besoin, la nécessité d’être particulièrement vigilantes et vigilants.

Pour être acceptée et conserver une réelle efficacité, la protection des secrets d’affaires doit, comme son nom l’indique, conserver un certain ancrage dans la vie des affaires. Tel est le sens de notre amendement de précision.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement est le premier d’une série d’amendements visant à préciser expressément que la protection du secret des affaires ne concerne que les entreprises intervenant dans le champ commercial ou concurrentiel entre elles.

Je vous l’avoue, au début, j’ai moi-même considéré qu’une telle approche pouvait avoir une certaine cohérence. Mais, en réalité, cela dénaturerait la logique de la directive que nous devons transposer. En effet, une atteinte au secret des affaires peut émaner d’une personne qui n’est pas une entreprise sans pour autant être un journaliste, un syndicaliste ou un lanceur d’alerte. Si les atteintes au secret peuvent le plus souvent relever d’une concurrence déloyale entre entreprises confinant à ce qu’on appelle la « guerre économique » – c’est d’ailleurs la raison de la création par la commission du délit d’espionnage économique à l’article 1er quater –, elles peuvent aussi être le fait de personnes malveillantes qui ne sont pas des entreprises. L’avis de la commission sera donc défavorable pour tous les amendements de cette nature.

Par définition, le secret des affaires vise à protéger des informations détenues par des entreprises : il suffit de lire les considérants de la directive pour le comprendre ; il n’y a aucune ambiguïté. Nous sommes d’ailleurs dans le code de commerce.

De plus, dans les trois critères qui définissent le secret des affaires, il est fait mention de la « valeur économique, effective ou potentielle » de l’information protégée. Cela caractérise bien une information détenue par une entreprise. L’amendement est donc en quelque sorte satisfait.

Au demeurant, la notion d’entreprise est matérielle et économique, et pas réellement juridique.

Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement. Je crois qu’un tel ajout dans le texte aurait effectivement pour effet d’en réduire le champ d’application ; nous ne serions plus dans la transposition exacte de la directive.

Je rappelle que la notion d’entreprise n’a pas le même sens en droit français et en droit de l’Union. En droit français, l’entreprise a une définition qui est souvent perçue comme restrictive. En droit de l’Union, une entreprise peut être une personne individuelle : par exemple, Johnny Hallyday est une entreprise.

Par conséquent, il me semblerait incorrect d’ajouter les mots : « des entreprises » dans le texte.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je ne vais pas revenir sur ma demande de renvoi à la commission, mais nous voyons bien, dès le début de l’examen du texte, qu’il y a une difficulté d’interprétation.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Pas du tout ! C’est très clair !

M. Jacques Bigot. Il est vrai que la notion d’entreprise est diverse et variée. Mais la directive elle-même concerne la « protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ».

Je ne suis pas convaincu de la nécessité d’ajouter un titre V intitulé « De la protection du secret des affaires des entreprises » au sein du code de commerce. Mais le fait qu’un groupe l’invoque prouve bien la nécessité d’approfondir le débat.

Je proposerai à mon groupe de s’abstenir. Nous serons saisis d’autres dispositions et d’autres amendements à propos desquels le besoin d’une définition plus précise du secret des affaires et du détenteur du secret des affaires se fera sentir. Ce sont ces précisions qui permettront de rassurer le monde de la presse, les lanceurs d’alerte, les acteurs économiques et tous ceux qui s’inquiètent alors qu’il n’y en a peut-être pas lieu.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Il faut qu’on ait un vrai débat politique. C’est pourquoi, je le dis à Mme la garde des sceaux comme à M. le rapporteur, il faut vite balayer l’idée de nous répondre à chaque fois que c’est la directive, qu’on est obligé de l’appliquer ou de nous opposer des arguties techniques.

Je rappelle – c’est l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – qu’il ne s’agit pas d’un règlement, qu’on est obligé de transcrire à la lettre. C’est une directive ; c’est au Parlement de l’adapter, en étant libre des moyens. On peut donc avoir un débat ; d’ailleurs, ça a déjà eu lieu par le passé. Si vous nous répondez systématiquement « c’est la directive », ça va être un peu court !

Je veux vous interpeller sur un autre point, et je souhaite aussi avoir une réponse rapidement. Nous sommes tous et toutes ici, je crois, désireux d’éviter que les entreprises ne se fassent piller par d’autres acteurs économiques ; j’ai l’impression que tout le monde abonde en ce sens quand je dis ça. Si c’est bien l’objet de la directive et de la présente proposition de loi, nous ne pouvons qu’y être favorables. Mais, dans ce cas, il faut le préciser. Par contre, si vous cherchez à atteindre un autre objectif politique, dites-le clairement !

Nous sommes un certain nombre à avoir été interpellés par des journalistes, des lanceurs d’alerte et d’autres. J’entends déjà vos arguments : vous allez nous renvoyer à la loi Sapin II, en arguant qu’elle protège tous ces acteurs. Mais il y a des ONG, des chercheurs, des salariés, des représentants syndicaux qui peuvent lancer des alertes dans l’intérêt général et qui ne sont pas couverts par la loi Sapin II ; ils risquent désormais de tomber sous le coup du texte sur le secret des affaires ! Comme c’est très flou, on sait que beaucoup d’entre eux seront traînés devant les tribunaux, et cela pourra durer des années, voire des dizaines d’années. L’objectif est de les faire plier, de les mettre à genoux, pour leur faire rendre gorge. Si c’est ça, l’objectif politique, il faut que nous ayons très vite un vrai débat !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéas 8 à 11

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 151-1. – Est protégée au titre du secret des affaires, pour les seules personnes présentes sur un marché concurrentiel au sens du premier alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce, les informations essentielles, à savoir les procédés, objets, documents, données ou fichiers de nature industrielle, scientifique, technique ou stratégique, ayant une valeur commerciale directe pour une personne physique ou morale sur le même marché concurrentiel et dont la violation est de nature à compromettre gravement les intérêts de cette entreprise en portant atteinte à son potentiel scientifique et technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle et qui ont, en conséquence, fait l’objet de mesures de protection spécifiques destinées à informer de leur caractère confidentiel et à garantir celui-ci.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Par cet amendement, nous souhaitons définir plus précisément la notion de « secret des affaires » et ainsi en limiter la portée, pour plus d’efficacité et de sécurité juridique pour tous les acteurs, quels qu’ils soient.

Selon le vocabulaire juridique de M. Cornu, peuvent être considérées comme « affaires » les « opérations de toute nature liées à l’exercice d’une activité industrielle, commerciale ou financière ». C’est le sens de la première partie de notre amendement, qui tend à traduire cette définition dans le droit que nous sommes en train de constituer.

Il s’agit dès lors de réserver la protection au titre du secret des affaires aux entreprises « présentes sur un marché concurrentiel », comme nous l’avons déjà proposé précédemment. Les informations protégées sont précisément définies, et l’atteinte à un tel secret ne peut être réparée que si sa divulgation porte gravement atteinte aux intérêts de l’entreprise victime.

Ce dernier point fait écho aux recommandations de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen, qui a proposé de réserver le bénéfice de la protection aux seules informations dotées d’une « grande valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes et que leur divulgation porterait gravement atteinte à l’intérêt économique légitime de la personne qui en a licitement le contrôle », mais aussi à la proposition de loi Carayon, adoptée en 2012, qui prévoyait quant à elle que la divulgation non autorisée de ces informations doit être de nature à « compromettre gravement les intérêts de l’entreprise concernée en portant atteinte à son potentiel scientifique et technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ».

Cette définition permet donc de circonscrire précisément la notion de « secret des affaires », dans le respect de la directive européenne tout en protégeant véritablement les PME.

M. le président. L’amendement n° 40, présenté par MM. Jacques Bigot, Leconte et Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline et Courteau, Mmes Taillé-Polian, Lienemann et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Remplacer les mots :

pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité

par les mots :

à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité s’occupant habituellement de cette catégorie d’informations

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. La définition du secret des affaires est l’une des questions centrales de ce texte ; cela a déjà été abondamment souligné. En effet, de la définition retenue dépend le périmètre de la protection accordée aux journalistes ou aux lanceurs d’alerte.

M. le rapporteur a utilisé les quelques marges de manœuvre offertes par la directive pour étendre plus encore la définition du secret des affaires. Parmi les critères auxquels doit répondre un secret des affaires, le texte retient le caractère connu ou accessible de l’information.

Concrètement, la directive prévoit qu’une information relève du secret des affaires si elle n’est généralement pas connue des personnes appartenant au milieu qui s’occupe normalement du genre d’informations en question ou ne leur est pas aisément accessible.

De ce point de vue, la transposition de ce critère par l’Assemblée nationale était, d’une part, conforme à la directive et, d’autre part, satisfaisante sur le plan rédactionnel. M. le rapporteur a choisi de modifier ce critère pour retenir les « personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ». Derrière cette modification, présentée comme rédactionnelle, il y a en réalité une extension du critère : entre une personne qui agit dans un secteur ou un domaine d’activité s’occupant habituellement de cette catégorie d’informations et une personne familière de sites d’informations, il y a – vous l’avez noté – bien plus qu’une nuance !

Par ailleurs, et sur le plan de la rigueur juridique, il nous apparaît que la notion de personnes familières ouvre la voie à une abondante jurisprudence en raison de son flou ; « une personne agissant » nous apparaît une rédaction bien plus robuste et de nature à garantir la sécurité juridique à laquelle aspirent l’ensemble des acteurs.

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° Elle revêt une valeur commerciale qui confère un avantage concurrentiel à leur détenteur parce qu’elles sont secrètes ;

La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Force est de constater que l’un des points clés de notre débat réside dans ce petit alinéa de l’article 1er, relatif à la valeur de l’information protégée, c’est-à-dire « valeur commerciale, effective ou potentielle », puis « valeur économique » après le passage en commission. Si les autres éléments de la définition de l’information protégée ont une réalité assez directement accessible, ce n’est pas le cas sur ce point.

Avec la notion de valeur économique, nous sommes par trop dans ce que j’appellerais « l’immatériel de l’immatériel », ce qui laisse la porte ouverte à bien des abus. C’est pourquoi nous proposons une définition plus précise reprenant la notion d’avantage concurrentiel, qui apparaît dès la première ligne du premier considérant de la directive, mais surtout dans une ordonnance de la Cour de justice de l’Union européenne, Pilkington Group Ltd contre Commission européenne de 2016. Dans cette ordonnance, la Cour précise que, vu sous l’angle de l’intérêt économique et commercial, le secret des affaires ne doit pas avoir une valeur en tant que tel ; il faut qu’il procure un avantage concurrentiel à son détenteur, de sorte que ce dernier ait un intérêt à le protéger.

Il s’agit, dès lors, de protéger les informations qui constituent un avantage concurrentiel. Cela permet de mieux concilier protection du secret et liberté fondamentale.

M. le président. L’amendement n° 82 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, MM. Dantec et Gold et Mme Laborde, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Remplacer les mots :

économique, effective ou potentielle,

par les mots :

commerciale car elle procure à son détenteur un avantage concurrentiel

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Cet amendement vise à mieux protéger les lanceurs d’alerte, qu’ils soient journalistes, syndicalistes, chercheurs ou membres d’une ONG. Vous le savez, ces derniers se mobilisent activement contre cette proposition de loi, qui, dans sa rédaction actuelle, les expose à des poursuites judiciaires. Une pétition a réuni pas moins de 352 522 signatures.

M. Fabien Gay. Ce n’est pas rien !

M. Joël Labbé. Elle vise à protester contre la définition extensive du secret des affaires contenue dans cette proposition de loi, qui menace la liberté d’informer et la divulgation d’informations dans un objectif d’intérêt général. En effet, cette définition très extensive de ce qui constitue une information protégée par le secret des affaires est problématique, d’autant plus que la commission a fait le choix de l’élargir encore, en parlant de « valeur économique ».

Pour protéger les entreprises de la concurrence déloyale, tout en garantissant les libertés d’expression et d’information, il faut au contraire une définition plus stricte du secret des affaires, qui doit s’appliquer au champ concurrentiel uniquement et réguler les interactions entre les acteurs économiques.

Tel est l’esprit de cet amendement, qui vise à préciser la définition de l’information protégée comme ayant une valeur commerciale et conférant un avantage concurrentiel à l’entreprise du fait de son caractère secret. Nous refusons que, avec le secret des affaires, le secret ne devienne la règle et les libertés, les exceptions.

M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 39 rectifié est présenté par MM. Jacques Bigot, Leconte et Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline et Courteau, Mmes Taillé-Polian, Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 52 est présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.

L’amendement n° 56 est présenté par le Gouvernement.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 10

Remplacer le mot :

économique

par le mot :

commerciale

La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 39 rectifié.

M. Jérôme Durain. À l’instar de l’amendement n° 40, que nous avons présenté précédemment, cet amendement vise à revenir sur l’extension de la définition du secret des affaires opérée par la commission des lois.

Pour être qualifiée de secret des affaires, une information doit revêtir une valeur commerciale, ainsi que le prévoit l’article 2 de la directive. La commission des lois, sur l’initiative de son rapporteur, a substitué à la notion de « valeur commerciale » celle de « valeur économique ». Dans l’esprit du rapporteur, il existe de nombreuses informations que les entreprises veulent conserver secrètes alors même qu’elles n’ont pas de valeur commerciale, même potentielle, et dont la divulgation constituerait néanmoins une atteinte à l’entreprise.

Certes, cette extension est autorisée par la directive, mais elle semble contraire à son esprit. Il existe sans doute des informations que les entreprises souhaitent conserver secrètes alors qu’elles n’ont pas de valeur commerciale, même potentielle ; simplement, si ces informations n’ont pas de valeur commerciale, elles n’ont pas vocation à être protégées au titre du secret des affaires. Elles pourront l’être au regard du code du travail, du droit pénal ou du droit de la responsabilité civile. Notre législation nous semble déjà suffisamment fournie pour ne pas laisser penser que les informations sans valeur commerciale, mais jugées stratégiques par l’entreprise, ne sont pas protégées.

Cet amendement tend donc à revenir sur l’extension de la définition du secret des affaires telle qu’elle a été opérée sur l’initiative du rapporteur et à rétablir le texte initial de la proposition de loi. La rédaction qui nous est proposée nous semble relever d’une surtransposition.