M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour le groupe Les Républicains.
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de loi visant à transposer la directive européenne du 8 juin 2016 relative au secret des affaires, dont le délai de transposition court jusqu’au 9 juin prochain. L’objectif de cette directive est, selon son exposé des motifs, de « mettre en place, au niveau de l’Union, des règles pour rapprocher les droits des États membres de façon à garantir qu’il y ait des possibilités de réparation au civil suffisantes et cohérentes dans le marché intérieur en cas d’obtention, d’utilisation ou de divulgation illicite d’un secret d’affaires ».
Il s’agit là d’un pas dans la bonne direction. Si les brevets et le savoir-faire technique brevetable sont depuis longtemps connus et reconnus comme des enjeux majeurs de la compétitivité de nos entreprises, les savoir-faire et informations commerciales n’en sont pas moins importants, en particulier au moment où les services constituent une part croissante de l’économie française.
Les savoir-faire techniques et commerciaux représentent ensemble un capital intellectuel essentiel à une économie qui se veut une économie du savoir. Ne pas protéger ce capital, c’est laisser la porte ouverte à la concurrence déloyale et à l’effritement des atouts de nos entreprises. Or l’Europe a déjà pris du retard sur ses partenaires, notamment les États-Unis, qui ont adopté, dès 1979, une loi sur la protection des secrets commerciaux.
C’est à ce titre que l’Union européenne s’est donné comme objectif, dans sa stratégie UE 2020, d’assurer une protection unifiée de la propriété intellectuelle, notamment de certains de ses aspects complémentaires, dont le secret des affaires. Cette protection passe par une harmonisation, à l’échelle de l’Europe, de la définition des secrets des affaires et la garantie qu’existe, dans chaque État membre, au moins une procédure au civil permettant de protéger ces informations sensibles.
En France, le retard est tout particulièrement marqué : la notion même de « secret des affaires » ne dispose pas de définition unifiée dans notre droit. La loi dite « de blocage » du 26 juillet 1968 punissait, par exemple, les atteintes à la souveraineté, à la sécurité et aux intérêts économiques essentiels de la France. Or le droit de la régulation et de la concurrence, mais aussi les réalités économiques ont beaucoup évolué depuis lors. Il est donc devenu essentiel de moderniser l’outil juridique français et européen. Des initiatives prises par le passé dans ce sens, en particulier celle de notre collègue député Bernard Carayon en 2011, n’ont jusqu’ici pas abouti.
Durant l’élaboration et la discussion de la directive et de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, une autre question a surgi, celle de la conciliation entre le secret des affaires et les activités d’information du public et de protection de l’intérêt général. Cette question ne concerne pas seulement les journalistes, mais aussi les lanceurs d’alerte. Il n’est pas possible d’ignorer leur contribution à l’intérêt général, comme l’ont illustré les « Panama papers ». Aussi le législateur européen s’est-il efforcé d’atteindre un équilibre satisfaisant entre la protection des secrets des affaires et la sauvegarde des libertés journalistiques et de l’intérêt général.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux, cette proposition de loi transpose la directive au sein d’un nouveau titre du livre premier du code de commerce consacré au secret des affaires.
La proposition de loi commence par reprendre la définition du secret des affaires déterminée en 1994 dans le cadre des accords de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les ADPIC. Il s’agit de l’information qui, sans être généralement connue ou aisément accessible, revêt une valeur économique effective ou potentielle du fait même de son caractère secret et fait l’objet par son détenteur légitime de mesures de protection « raisonnables ».
Puis, ce texte distingue les détenteurs légitimes, les personnes obtenant connaissance du secret des affaires de manière licite et les obtentions et divulgations illicites. Ces dernières feraient l’objet d’un certain nombre d’exceptions destinées à garantir la capacité d’action des autorités de contrôle et de régulation, mais aussi à protéger l’activité des journalistes, des représentants des salariés et des lanceurs d’alerte. Le secret des affaires n’est alors pas opposable. À cet égard, le texte procède à une articulation bienvenue du secret des affaires avec la loi du 9 décembre 2016 relative à la protection des lanceurs d’alerte.
La proposition de loi comprend également un certain nombre de dispositions permettant au juge civil de prévenir, faire cesser et réparer les atteintes au secret des affaires. Le juge et d’autres personnes pourront alors avoir accès au secret, mais demeureront tenus à la confidentialité.
Enfin, le dernier article de la proposition de loi harmonise la terminologie utilisée par les textes français en matière de secret des affaires.
Ce texte aura donc le mérite d’offrir de bonnes bases à la protection des secrets commerciaux et du savoir-faire commercial dans notre pays. La commission des lois et son rapporteur, mon éminent collègue Christophe-André Frassa, ont mené un travail d’amélioration que je tiens à saluer. Ils ont rendu la transposition plus fidèle à la directive et ont renforcé son impact sur notre compétitivité. Ainsi, le détenteur légitime d’un secret et ceux qui seront appelés à en prendre connaissance de manière licite seront désormais mieux distingués.
Par ailleurs, le nouveau délit pénal d’espionnage économique, instauré à l’article 1er quater, permettra de sanctionner spécifiquement les atteintes les plus déloyales à nos intérêts économiques et à ceux de nos entreprises.
Malgré les apports indéniables à notre compétitivité que fournira cette proposition de loi, je tenais à regretter la méthode utilisée pour faire aboutir ce texte. La majorité de l’Assemblée nationale a fait le choix – visiblement en accord avec l’exécutif – de présenter cette transposition sous forme d’une proposition de loi en lieu et place d’un projet de loi. De l’aveu même des députés l’ayant portée, la proposition de loi initiale a été largement rédigée par la Chancellerie. Cette situation a privé le Parlement du bénéfice d’une étude d’impact approfondie, qui aurait pourtant été très utile dans ce domaine crucial pour la compétitivité de la France.
Indépendamment de cette réticence sur la méthode, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, l’examen de cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre de la procédure accélérée. Je salue donc la capacité de travail, dans l’urgence, de notre rapporteur et des sénateurs qui ont été en première ligne sur ce texte, notamment mes collègues Jacques Bigot et Jean-Yves Leconte. Toutefois, au-delà même de la procédure accélérée, c’est le choix d’une proposition de loi qui pose question.
On sait que des velléités de réforme, sur ce thème, avaient été éteintes lors des débats sur la loi Macron. On aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement aujourd’hui aux commandes du pays comprenne la charge lourde pesant sur ce texte.
Transposition d’une législation européenne, cette proposition de loi doit en effet concilier deux principes – secret des affaires et liberté d’informer – que tout, a priori, oppose.
Lundi dernier, une manifestation a rassemblé journalistes et lanceurs d’alerte, place de la République. Mais, de nos jours, les manifestations émeuvent assez peu… Des youtubeurs publient une multitude de vidéos sensibilisant le grand public à cette question, les pétitions fleurissent, les interpellations prospèrent… Et que fait M. Macron ? Il demande à un député de mon département, ancien avocat, qui fait mention sur LinkedIn de sa défense « d’une société pour concurrence déloyale et agissements délictueux dans le secteur du couponing », de rédiger cette proposition de loi. Être député après avoir été avocat d’affaires n’est pas déshonorant, mais cela peut expliquer le déséquilibre manifeste du texte.
Un texte soumis à un débat furtif, porté par un parlementaire trop peu soucieux de rassurer les inquiets, un calendrier couperet qui plane au-dessus de nos têtes, un texte dont on ne sait s’il bénéficiera aussi aux PME et aux start-up ou s’il vise les seuls grands groupes : tout cela fait beaucoup ! Raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain a décidé de défendre, par la voix de Jacques Bigot, une motion de renvoi à la commission de ce texte que nous devrions valider en un mois quand les débats européens ont duré trois ans.
Malgré cette motion, nous avons rédigé des amendements constructifs, sous la direction de nos collègues Jean-Yves Leconte et Jacques Bigot – je tiens également à saluer l’investissement de Mmes de la Gontrie et Lienemann ou de M. Assouline. Parmi ces amendements, je retiens une réponse faite à la lettre ouverte adressée lundi au Président de la République par d’innombrables lanceurs d’alertes, syndicats, associations, journalistes, chercheurs… Dans cette lettre, signée notamment par la société des journalistes des Échos et du Figaro, deux titres dont on peut considérer qu’ils sont attachés au secret des affaires, tous ces citoyens demandent de restreindre le champ d’application de ce même secret aux seuls acteurs économiques concurrentiels. C’est le sens de l’amendement n° 51 rectifié du groupe socialiste.
Monsieur le rapporteur, cela fait maintenant quelques années que nous nous croisons dans cet hémicycle. Je vous reconnais clarté et sincérité.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Merci !
M. Jérôme Durain. Vous vous étiez opposé à la création du devoir de vigilance pour les sociétés mères, et votre action, respectable, de rapporteur va aujourd’hui d’abord vers le secret des affaires plutôt que vers un soutien à la liberté d’informer.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
M. Jérôme Durain. C’est en tout cas ainsi que j’interprète votre modification du texte initial supprimant le régime autonome d’amende civile destiné à protéger les journalistes, organes de presse et lanceurs d’alerte contre les procédures abusives et les dommages et intérêts disproportionnés.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. C’est qu’elle est totalement inutile, monsieur Durain !
M. Jérôme Durain. Là encore, le groupe socialiste défendra un rééquilibrage du texte.
Chers collègues, nous connaissons tous la force du symbole en politique. Ce matin, en commission des lois, François Pillet invitait le Sénat à se faire sentinelle des libertés publiques sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles. Je partage son constat et appelle notre assemblée à faire de même avec les journalistes et les lanceurs d’alerte. M. Falciani, les syndicalistes du Bangladesh, les anonymes qui dénoncent parfois les comportements illégaux de leur entreprise, Mme Lucet – dont le travail n’est pas toujours prisé ici, au Sénat – sont autant de héros des temps modernes qui méritent sans aucun doute notre respect et notre protection.
Il y a les héros de l’entrepreneuriat et de l’innovation et il y a les héros de l’information et de la transparence. Ces derniers ne se retrouvent pas dans ce texte.
Le Gouvernement et le rapporteur auront beau jeu de me répondre que ces héros se trompent et qu’ils ont mal compris cette initiative législative ; je ne partage pas cet avis. Et quand bien même je le partagerais, je jugerais utile de prendre notre temps pour amender et convaincre largement plutôt que de se précipiter pour adopter un texte qui fait l’unanimité contre lui dans la société civile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans un contexte de compétition économique internationale toujours plus accrue pour les entreprises françaises, plusieurs initiatives législatives ont tenté, ces dernières années, de mettre en place, sans succès, un dispositif civil ou pénal de protection.
Si le droit de la propriété industrielle est efficace pour assurer la protection des brevets, des marques et autres dessins et modèles, il n’est en revanche pas suffisant pour assurer celle des nombreuses informations économiques et techniques confidentielles des entreprises qui ne peuvent faire l’objet d’une protection juridique par un droit exclusif de propriété prévu par le code de la propriété intellectuelle. La transposition de la directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites permettra enfin à la France de se doter d’un tel régime de protection du patrimoine économique, technologique, de ses entreprises.
Comme le prévoit l’article 19 de la directive, les États membres doivent mettre en vigueur, au plus tard le 9 juin 2018, l’ensemble des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour s’y conformer.
Avant d’aborder le contenu de ce texte, je voudrais exprimer à cette tribune un regret – que je partage avec un grand nombre de mes collègues – quant au choix du Gouvernement de procéder à la transposition de la directive par une proposition de loi, à quelques semaines seulement de l’expiration du délai. Je ne peux que déplorer, en tant que législateur, l’examen en urgence et sans l’éclairage d’une étude d’impact de la transposition d’une directive de cette importance, à quelques semaines du terme du délai légal.
Concernant le texte lui-même, je souhaite saluer les nombreuses modifications apportées par la commission des lois.
En premier lieu, je me réjouis que la commission ait veillé à transposer plus fidèlement la directive et à clarifier les procédures judiciaires mises en place pour garantir une protection efficace du secret des affaires.
Elle a ainsi renforcé la conformité du texte à la directive, en particulier sur la définition du détenteur légitime du secret, sur la caractérisation de l’obtention illicite du secret ou encore sur la portée juridique des exceptions au secret des affaires concernant les journalistes, les lanceurs d’alerte, ainsi que les représentants des salariés.
Elle a également prévu que l’information protégée devait avoir une valeur économique, et pas seulement commerciale, pour couvrir des informations non protégées en l’état actuel, mais utiles pour une entreprise concurrente.
Elle a renforcé la précision et la cohérence des procédures judiciaires mises en place par le texte, en particulier en matière de protection du secret des affaires devant les juridictions.
Enfin, elle a veillé à la constitutionnalité du texte en supprimant l’amende civile spécifique prévue en cas de procédures abusives au titre du secret des affaires, jugée contraire au principe de proportionnalité des peines.
En deuxième lieu, la commission a voulu garantir la liberté d’expression des journalistes, des lanceurs d’alerte et des représentants des salariés. Elle a ainsi approuvé les exceptions au secret des affaires au bénéfice de ces derniers, au nom de la liberté d’expression et d’information, tout en clarifiant certaines des dispositions du texte.
S’agissant des lanceurs d’alerte, elle a distingué plus clairement l’existence de deux régimes : l’un, issu de la directive, et l’autre, issu de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. En effet, la transposition de la directive ne doit pas conduire à une remise en cause du régime français plus protecteur,
En dernier lieu, dans le contexte de guerre économique auquel sont soumises les entreprises françaises par leurs concurrentes étrangères, je me réjouis que la commission ait créé un délit d’espionnage économique pour sanctionner le détournement d’une information protégée au titre du secret des affaires à des fins exclusivement économiques, excluant ainsi de son champ les journalistes, les lanceurs d’alerte et les représentants des salariés.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est avec la conviction de faire œuvre utile en faveur de nos entreprises, exposées à une concurrence internationale de plus en plus importante, que le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après l’Assemblée nationale voilà moins d’un mois, le Sénat examine à son tour la proposition de loi visant à transposer la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués, plus communément appelée directive sur le « secret des affaires ». Cette expression fait en elle-même l’objet de nombreux débats, interrogations, voire fantasmes…
Le droit français ne définit pas la notion de secret des affaires ; cette transposition représente, à n’en pas douter, une nouveauté juridique. Le code de commerce, même s’il mentionne le secret des affaires dans les articles concernant la communication de certaines pièces, ne précise pas quelles informations doivent être protégées, selon quels critères, comment identifier le détenteur légitime et encore moins les exceptions au secret des affaires ni les procédures judiciaires pouvant être initiées à la suite d’une violation de ce même secret.
Il est intéressant de noter également que la directive, dans sa version française, parle de « secret d’affaires » et non de « secret des affaires », comme le précise dans son très documenté rapport d’information notre collègue Philippe Bonnecarrère, remis au nom de la commission des affaires européennes. On constate souvent ce type de nuance dans la terminologie entre les instances européennes ou internationales et l’usage national. Je pense ainsi à la différence entre les droits humains et les droits de l’homme, dont il n’est pas toujours aisé d’évaluer les conséquences juridiques et pratiques.
En outre, on associe souvent le secret des affaires à la culture et au droit anglo-saxons. Pourtant, on parle en anglais davantage de « trade secrets », ce qui semble se rapprocher de la notion, bien française, de « secret commercial », voire de « secret industriel », à moins qu’il ne s’agisse ici encore d’un faux ami… Ces terminologies mériteraient au moins d’être précisées, expliquées et explicitées.
Il n’en reste pas moins que la présente proposition de loi vient combler un vide juridique, alors que sévit aujourd’hui une véritable guerre économique à l’échelle internationale entre les entreprises européennes, nord-américaines, chinoises, japonaises, sud-coréennes, indiennes ou encore russes ou brésiliennes…
Des cas d’espionnage économique sont restés célèbres. Je pense, par exemple, au Tupolev 144, dans les années soixante, semblable, au moins dans sa conception, au Concorde, ou encore à l’affaire Volkswagen-General Motors, dans les années quatre-vingt-dix.
Il y a une vingtaine d’années déjà, des agents de la CIA – ils ne s’en cachaient pas, au moins a posteriori – pirataient des ordinateurs des institutions européennes afin de conforter les positions américaines lors des négociations du GATT.
Plus récemment, une affaire de téléchargement illégal de données de l’équipementier automobile Valeo par une étudiante chinoise a défrayé la chronique.
Toutefois, les affaires également récentes concernant certaines pratiques abusives, voire illégales, au sein d’entreprises ont vu l’émergence de nouveaux acteurs, comme les lanceurs d’alerte, aux côtés de la presse d’investigation traditionnelle. Depuis 2016 et la loi Sapin II, les lanceurs d’alerte bénéficient d’un statut juridique et d’une protection.
Par ailleurs, la question de la responsabilité, notamment sociale et environnementale, des entreprises a été abordée lors du vote de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères.
Enfin, le Parlement européen a connu de vifs débats, il y a deux ans, lors de l’examen de la directive sur la conciliation des notions de liberté et de protection.
Tout l’enjeu est donc d’assurer un bon équilibre entre la liberté d’information au service de l’intérêt général et la nécessaire protection des connaissances à objet économique ou commercial, dans un monde qui nous interdit toute forme de naïveté. Je salue ainsi les garanties prévues pour la protection des journalistes, des syndicats ou des associations, dans le cadre des exceptions à la protection du secret des affaires.
De même, la protection apportée au secret des affaires par la présente proposition de loi me semble essentielle, en particulier pour les PME, les TPE ou les start-up qui n’ont pas les moyens de lutter contre la captation de leurs secrets d’affaires.
L’information protégée au titre du secret des affaires répondra ainsi à trois critères : son caractère non accessible de par sa nature ou sa conception, sa valeur économique effective ou potentielle et enfin le fait de faire l’objet de mesures de protection raisonnables de la part de son détenteur légitime.
Le texte précise également les éléments d’appréciation à prendre en compte par le juge, notamment s’il y a lieu ou non de limiter la communication de certaines informations, la formation de jugement et les modalités de publication de la décision.
La directive permet de rapprocher le cadre d’exercice de cette protection au niveau européen, mais demeure peut-être insuffisante, pour son application concrète, en ce qui concerne la coopération entre les États membres. Ainsi, des initiatives nationales qu’elle permet, allant jusqu’à la saisie de biens importés – s’ils sont issus d’un détournement de brevet ou d’un plagiat de modèle – à des fins de protection du secret des affaires, ne peuvent conduire à en dénaturer l’esprit.
Je serai davantage réservé sur la sanction pénale introduite à l’article 1er quater. L’amende civile, telle que proposée dans la version initiale, me semble préférable, les procédures civiles étant généralement beaucoup plus rapides que les procédures pénales. C’est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement allant dans le sens de la solution retenue par la majorité présidentielle.
Je tiens enfin à souligner que le recours à une proposition de loi se justifie par le délai de transposition.
Nous suivrons avec intérêt l’examen des articles et des amendements en séance. À cette heure, une large majorité des membres du RDSE est favorable au texte, avec les réserves déjà exprimées, tandis que quelques-uns s’y opposeront, faute de prise en compte de leurs amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au cours des dernières années, 20 % des entreprises indiquent avoir subi au moins une tentative d’appropriation illicite de leurs secrets d’affaires et 25 % ont signalé un vol d’informations confidentielles.
Contrairement à la Chine, au Japon et aux États-Unis, l’Union européenne est l’un des derniers espaces économiques régionaux d’importance qui soit dépourvu d’une protection juridique harmonisée et d’une convergence juridique minimale en matière de protection des informations commerciales. Encore aujourd’hui, certains États membres de l’Union européenne ne disposent d’aucune protection des secrets d’affaires en droit interne, aussi surprenant que cela puisse paraître.
C’est pour remédier à la fragmentation des législations nationales et à ce défaut de protection du développement de l’innovation que le Parlement européen et le Conseil ont adopté conjointement, le 8 juin 2016, la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués, dite « secrets d’affaires », qui doit être transposée avant le 9 juin prochain. C’est la raison pour laquelle nous sommes aujourd’hui rassemblés.
Avant de revenir plus en détail sur les principales avancées que porte cette proposition de transposition de la directive, permettez-moi de saluer le travail de la commission des lois, ainsi que celui de la commission des affaires européennes du Sénat, qui, dans le cadre de la procédure expérimentale, auront permis d’éviter des surtranspositions inutiles.
Sur la forme, nous regrettons toutefois, comme la commission, le choix du Gouvernement de procéder à la transposition de la directive par une proposition de loi, nous privant ainsi de l’éclairage d’une étude d’impact. Par ailleurs, ce sont des délais d’examen excessivement contraints qui nous sont imposés, ce qui peut nuire à la qualité des débats parlementaires. Mais il s’agit là d’aspects formels.
Sur le fond, le texte qui nous est proposé va indéniablement dans le bon sens, en permettant de protéger le patrimoine immatériel de nos start-up et de nos entreprises, en particulier les PME, qui disposent de moyens moindres pour lutter contre la captation de leurs secrets d’affaires.
L’information protégée en tant que secret d’affaires se trouvera désormais clairement définie, de même que les cas d’obtention licite d’un secret d’affaires et, à l’inverse, les cas d’atteinte à ce dernier.
Il en va de même des mesures susceptibles d’être prises par les autorités judiciaires, de l’octroi de dommages et intérêts et des mesures de protection du secret des affaires au cours des procédures judiciaires.
Certaines marges de manœuvre étaient laissées aux États membres, en leur accordant la possibilité, lors de la transposition, de prévoir une protection plus importante. Notre rapporteur, Christophe-André Frassa, a toutefois jugé que cette faculté n’était exploitée qu’a minima dans la proposition initiale et que les mécanismes civils mis en place en application de la directive étaient insuffisants.
À l’aune de ces différents éléments, notre commission a apporté plusieurs modifications, afin d’aboutir à une transposition plus fidèle de la directive et de renforcer sa précision et sa cohérence.
Il a tout d’abord été décidé de retenir une notion plus large de l’information protégée, en prenant en compte non plus uniquement sa valeur commerciale, mais aussi sa valeur économique.
Nous avons également jugé bon de créer un délit de détournement d’une information économique protégée, dénommé délit d’espionnage économique. Ces peines complémentaires devraient être d’une portée plus dissuasive qu’une simple action civile et seront loin d’être inutiles dans un contexte international d’intense compétition économique.
Par ailleurs, ce délit ne concernera que les personnes ayant contourné le secret des affaires afin d’en retirer un avantage de nature exclusivement économique. Dès lors, les journalistes, les lanceurs d’alerte et les représentants des salariés ne seront pas concernés.
Ce sujet me conduit à aborder l’un des points centraux de ce texte, et l’une des principales difficultés : parvenir à la définition d’un juste équilibre entre la protection du secret des affaires et le respect des droits et libertés fondamentales. En effet, si les secrets d’une firme doivent indéniablement être protégés à des fins de compétitivité, ils ne sauraient servir à couvrir des pratiques répréhensibles et illégales, volontairement soustraites à la connaissance du public. Pour le dire autrement, la protection du secret des affaires ne saurait s’effectuer au détriment des consommateurs et de l’intérêt général. Des dérogations à la protection légitime du secret des affaires ont ainsi été prévues, et aucune procédure pour atteinte au secret des affaires ne sera recevable si ce secret est révélé au titre du droit à la liberté d’expression et d’information ou pour porter à la connaissance du public une faute ou une activité illégale.
Par ailleurs, nous avons également veillé à ce que le régime français des lanceurs d’alerte, issu de la loi Sapin II, plus protecteur que celui issu de la directive, ne puisse pas être remis en cause.
Seule ombre au tableau : la suppression, par notre commission, de l’amendement adopté à l’Assemblée nationale introduisant un dispositif dit « anti-bâillons ». Il s’agissait, en créant une amende civile plafonnée, de prévenir les procédures abusives que mènent parfois certaines entreprises en demandant des dommages et intérêts disproportionnés pour décourager les lanceurs d’alerte et entraver leur liberté d’expression.
La commission des lois du Sénat a décidé de revenir sur cette disposition, pour des motifs d’inconstitutionnalité discutables, si l’on en croit notre collègue Philippe Bonnecarrère, au nom de la commission des affaires européennes. Nous suivrons toutefois l’avis de la commission des lois, en espérant que ces modifications ne porteront pas un trop grand préjudice aux lanceurs d’alerte.
Mes chers collègues, parce que la transposition de cette directive permet la mise en place d’un dispositif plus efficace de protection du secret des affaires pour les entreprises françaises et européennes, le groupe Union Centriste votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)