M. le président. L’amendement n° 63, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 82
Après les mots :
s’applique
insérer les mots :
à ses représentants légaux ou statutaires et
II. – Alinéa 83
Remplacer les mots :
pas liées par cette obligation dans leurs rapports entre elles
par les mots :
liées par cette obligation ni dans leurs rapports entre elles ni à l’égard des représentants légaux ou statutaires de la personne morale partie à la procédure
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à préciser le champ d’application de l’obligation de confidentialité lorsqu’une partie est une personne morale.
Il ne fait aucun doute que l’obligation de confidentialité issue du premier paragraphe de l’article 9 de la directive est applicable à toute personne morale partie à une procédure prise en la personne de son représentant légal ou statutaire.
Toutefois, la commission des lois s’est interrogée sur les modalités de l’application de cette obligation de confidentialité aux personnes morales et elle a proposé une modification de l’article L.153-2 qui ne me semble pas conforme à l’esprit de la directive. Je propose donc de clarifier cette disposition.
D’une part, il sera précisé que, lorsqu’une partie est une personne morale, l’obligation de confidentialité s’applique tant à ses représentants légaux ou statutaires qu’aux personnes qui la représentent au cours de l’instance et qui peuvent être, par exemple, des salariés.
D’autre part, je propose de rétablir le troisième alinéa de l’article L.153-2 dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale, afin d’expliciter le fait que l’obligation de non- confidentialité n’est pas applicable entre la personne physique qui représente la personne morale lors de l’instance et les représentants légaux ou statutaires de cette personne morale.
Dans la mesure où un salarié peut représenter devant la juridiction la société dans laquelle il travaille, il devra rendre compte des débats auprès de son employeur, du représentant légal ou statutaire de cette société. Dans cette situation, il ne peut en effet y avoir application d’une obligation de confidentialité entre le salarié et l’employeur puisque le principe du contradictoire s’apprécie en la personne représentante légale ou statutaire de la société partie à la procédure.
M. le président. L’amendement n° 88, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 82
Remplacer les mots :
à ceux
par les mots :
aux personnes
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les neuf autres amendements faisant l’objet de la discussion commune.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’amendement n° 88 est d’ordre rédactionnel.
Les amendements nos 47 rectifié, 30 rectifié, 74 rectifié, 22, 75 rectifié et 32 rectifié visent à réserver au seul tribunal de grande instance, voire au seul tribunal de grande instance de Paris, la compétence pour connaître des actions relatives aux atteintes au secret des affaires.
En application des règles normales de compétence juridictionnelle, le tribunal de commerce sera compétent en cas de conflit entre deux entreprises concurrentes – commerçants ou sociétés commerciales, y compris sociétés de presse. C’est l’article L. 721-3 du code de commerce. Le tribunal de grande instance sera, quant à lui, compétent dans tous les autres cas –s’il s’agit d’un lanceur d’alerte personne physique, d’une association, d’un syndicat, d’un journaliste personne physique. Ces deux juridictions relèvent de l’ordre judiciaire, de sorte que les cours d’appel et la Cour de cassation assureront l’harmonisation des jurisprudences.
Je relève, dans certains propos qui viennent d’être tenus à l’égard des juges du tribunal de commerce, une sorte de mépris – je pèse mes mots ! – et de défiance particulièrement insupportable. Quoi que chacun puisse penser du tribunal de commerce, celui-ci ne pourra pas connaître d’une affaire mettant en cause un journaliste, un lanceur d’alerte, un syndicat ou une association. Il n’y a pas lieu de remettre en cause les règles habituelles de compétence qui découlent de la qualité des parties.
Concernant plus spécialement l’amendement n° 47 rectifié, la rectification est intervenue ce matin après la réunion de la commission des lois afin de prévoir la compétence de principe du tribunal de grande instance lorsque la personne mise en cause pour une atteinte au secret des affaires est un organe de presse, fût-il constitué sous forme de société commerciale. Même dans cette hypothèse, il n’y a pas lieu de bouleverser les règles de compétence des différentes juridictions. Comme les tribunaux de grande instance, les tribunaux de commerce devront appliquer la loi, éclairés par la jurisprudence des cours d’appel et de la Cour de cassation, dans le respect des principes constitutionnels d’indépendance et d’impartialité des juridictions, sans préjudice des voies de recours pour les personnes condamnées.
De plus, tel qu’il est rédigé, l’amendement aurait pour effet de ne prévoir la responsabilité de l’auteur d’une atteinte au secret des affaires que si celui-ci est un organe de presse. La rédaction ne convient donc pas.
J’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur les amendements nos 47 rectifié, 30 rectifié, 74 rectifié, 22, 75 rectifié et 32 rectifié.
En ce qui concerne l’amendement n° 21, la systématisation des mesures de protection du secret des affaires lors de toutes les procédures judiciaires est un apport important de l’Assemblée nationale. Or les auteurs de cet amendement prétendent que ces dispositions ne sont pas utiles, car elles seraient déjà satisfaites par l’ordonnance du 9 mars 2017 concernant la réparation des dommages résultant d’une pratique anticoncurrentielle. Ce n’est pas exact. En effet, les mesures mises en place par cette ordonnance ne concernent que les actions en matière de dommages de concurrence, et non pas toutes les actions judiciaires pour lesquelles une question de protection du secret des affaires peut être soulevée. L’article 1er bis de la proposition de loi supprime d’ailleurs ces dispositions spécifiques en matière de concurrence au profit de ces nouvelles dispositions générales.
L’amendement n° 62 du Gouvernement vise à revenir au texte de l’Assemblée nationale, alors que celui-ci n’est pas tout à fait conforme à l’article 9 de la directive s’agissant des mesures que le juge peut prendre pour préserver le secret des affaires d’une pièce discutée dans la procédure.
Certes, les dispositions en question de l’article 9 de la directive sont, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, d’harmonisation minimale en vertu de l’article 1er de celle-ci, de sorte que la protection du secret peut être plus importante.
Pour autant, adopter cet amendement porterait une atteinte forte au principe du contradictoire et aux droits de la défense, ce qui a justifié la décision de la commission d’en rester aux préconisations de la directive. Ainsi, l’article 9 de la directive ne permet pas au juge de prendre seul connaissance de la pièce sans aucune forme de communication aux parties.
Dans le texte de la commission, il s’agit bien d’une prise de connaissance préalable par le juge, effectivement systématique lorsqu’une partie invoque le secret pour une pièce afin de voir s’il y a lieu ou non de prévoir des mesures particulières de protection pour cette pièce. En tout cas, ce n’est pas une mesure de protection en soi, car il y a de toute façon, ensuite, une communication aux parties. Sur ce point, le texte de l’Assemblée nationale a été contesté avec constance lors de toutes les auditions, que ce soit par les professionnels, par les magistrats ou par les avocats.
L’article 9 de la directive ne permet pas davantage de limiter l’accès d’une pièce aux seuls avocats des parties, même si cela a été présenté lors des auditions comme une piste intéressante. La directive exige l’accès d’au moins une personne et un avocat pour chaque partie. C’est ce que prévoit le texte de la commission. Sur ce point, peut-être pourrions-nous envisager une limitation aux seuls avocats des parties, mais, de toute façon, le texte prévoit une obligation de confidentialité pour toutes les personnes ayant accès à la pièce.
Pour toutes ces raisons, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 62.
Enfin, concernant l’amendement n° 63 du Gouvernement, le texte de l’Assemblée nationale était incohérent s’agissant de l’obligation de confidentialité portant sur les pièces couvertes par le secret des affaires dans les procédures judiciaires lorsqu’une personne morale – une société, dans la majorité des cas – est partie à la procédure.
Les personnes représentant la société devant le tribunal étaient tenues à l’obligation de confidentialité, mais non envers les dirigeants de la société, lesquels n’étaient soumis à aucune obligation de cette nature, ce qui conduisait immanquablement à la fuite par le haut du secret des affaires.
Pour remédier à cette incohérence, la commission a prévu une obligation de confidentialité à l’égard des dirigeants de la société. L’amendement n° 63 du Gouvernement vise à rétablir la cohérence d’une autre manière, en étendant l’obligation de confidentialité aux dirigeants. Cela conduirait à faire entrer, potentiellement, plus de personnes dans le cercle de confidentialité, mais sans doute en évitant l’hypocrisie d’une situation où un salarié n’aurait pas le droit de révéler la teneur d’un secret aux dirigeants de sa société, tout en respectant la hiérarchie interne à la société.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement sur les amendements nos 47 rectifié, 30 rectifié, 74 rectifié, 22 et 32 rectifié est défavorable. En effet, leur objet commun est d’attribuer au seul tribunal de grande instance la compétence pour connaître des actions ayant pour objet une atteinte au secret des affaires. Je ne crois pas justifié de déroger, pour ces actions, aux règles de droit commun, qui attribuent compétence au tribunal de commerce pour les contestations entre commerçants, entre sociétés ou relatives aux actes de commerce.
S’agissant des actions qui pourraient être engagées contre des journalistes ou des particuliers non commerçants pouvant répondre à la définition du lanceur d’alerte, je rappelle qu’elles ne pourront être introduites que devant le tribunal de grande instance territorialement compétent. C’est une logique juridique ; il ne me semble donc pas utile de le préciser.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur les amendements nos 21 et 75 rectifié, pour des raisons qui rejoignent celles qu’a exposées M. le rapporteur.
L’avis est aussi défavorable sur l’amendement n° 88. En effet, quoique cet amendement soit purement rédactionnel, je défends au nom du Gouvernement l’amendement n° 63, qui vise à modifier plus globalement la rédaction de cet alinéa.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ils sont compatibles !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l’amendement n° 62.
M. Jacques Bigot. L’existence même de cet amendement, madame la ministre, prouve bien qu’il se pose un vrai problème de procédure. On ne peut pas dire qu’un juge prendra seul connaissance d’une pièce pour décider si elle sera versée au dossier, même si elle est ensuite communiquée. En effet, le juge l’aura vue, et il pourra en tenir compte, même implicitement, dans sa décision sans le motiver. C’est pourquoi votre amendement n’est pas meilleur que la rédaction de la commission.
Je m’abstiendrai donc sur cet amendement, sans être pour autant ravi de la rédaction de la commission, puisque le problème juridique reste entier.
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 50 amendements au cours de l’après-midi ; il en reste 33.
7
Candidatures à deux organismes extraparlementaires
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sien de deux organismes extraparlementaires ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 90 sur les amendements identiques nos 4 rectifié ter, 5 et 13 à l’article 1er de la proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes, M. Pierre Médevielle a été considéré comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
9
Projet de programme de stabilité pour les années 2018 à 2022
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, portant sur le projet de programme de stabilité pour 2018-2022, en application de l’article 50–1 de la Constitution.
La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mesdames, messieurs les sénateurs, Gérald Darmanin et moi-même sommes très heureux de vous présenter aujourd’hui le programme national de réformes et le projet de programme de stabilité que nous enverrons prochainement à Bruxelles pour que puissent en débattre les États membres de l’Union européenne dans le courant du mois de juin prochain.
Ces documents, vous le savez, permettent d’exposer à nos partenaires européens notre stratégie de finances publiques et notre stratégie de réformes, stratégies qui doivent permettre à la France, d’une part, de rétablir ses finances publiques, et, d’autre part, de retrouver sa compétitivité.
Pourquoi nous semble-t-il nécessaire de poursuivre le travail de transformation de l’économie et de rétablissement des finances publiques que Gérald Darmanin et moi-même avons engagé ? Ce travail – je le dis au passage – donne déjà des résultats. En effet, en 2017, pour la première fois depuis dix ans, nous avons réussi à ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB.
Il est nécessaire de poursuivre ce travail parce que, si la croissance a certes redémarré en France, elle reste néanmoins en dessous de la moyenne des États membres de la zone euro. Or je suis totalement convaincu que la vocation de la France n’est pas d’être dans la moyenne ; elle est d’être la première !
En matière de croissance, nous pouvons et nous devons faire encore mieux. Notre niveau de chômage structurel reste supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE. Notre déficit commercial se creuse depuis 2001 sous l’effet des pertes de compétitivité. On peut toujours trouver mille arguments pour ne pas décider, pour ne pas transformer, pour ne pas réformer, mais quand on examine quelle est, depuis trente ans, notre situation économique, financière et de compétitivité, on se dit qu’il était temps de prendre les problèmes à bras-le-corps !
Je rappelle par ailleurs que ces mauvais résultats économiques, en particulier sur le front du chômage, se conjuguent depuis des années avec le niveau de dépenses publiques le plus élevé de tous les pays de l’OCDE. La voie consistant à augmenter systématiquement la dépense publique, comme certains le proposent, a donc déjà été explorée : c’est une impasse !
Quant à nous, nous voulons tenter autre chose, pour éviter d’avoir toujours plus de dépenses publiques, toujours plus d’impôts et toujours moins de résultats économiques et d’emplois ! Notre stratégie, qui commence déjà à donner des résultats, puisque la croissance est de retour, que nous avons créé 270 000 emplois en 2017 et que nous comptons persévérer en 2018, consiste, à l’inverse, à restaurer nos finances publiques et à améliorer notre productivité et notre compétitivité pour créer des emplois.
Pourquoi est-ce maintenant qu’il faut le faire ? Pour la bonne et simple raison qu’il est plus facile d’accomplir des transformations économiques et de rétablir les finances publiques quand la croissance est là, comme c’est le cas actuellement.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le taux de croissance a été de 2 % en 2017 ; nous prévoyons qu’il sera de 2 % en 2018, puis de 1,9 % en 2019. Cette croissance est soutenue par nos réformes, par notre choix d’alléger la fiscalité du capital, par l’investissement dynamique des entreprises et par un environnement international porteur.
J’insiste sur la nécessité de décider et d’avancer maintenant. On observe en effet des nuages à l’horizon, des menaces qui peuvent, demain, peser sur la croissance. Je pense au risque de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine – je constate tous les jours à quel point il s’agit d’une menace réelle pour la croissance, qui peut très rapidement prendre des proportions importantes – et à la remontée progressive des taux d’intérêt. C’est une certitude : les taux remonteront progressivement d’ici à la fin de 2018 ou au début de 2019.
Devant cette situation, quelle stratégie proposons-nous au travers de ce projet de programme européen de stabilité ? Nous comptons mener à la fois une démarche de réduction de la dépense publique et une démarche de transformation structurelle de notre économie. C’est en avançant sur ces deux jambes que nous pourrons rétablir la prospérité en France.
Il ne s’agit pas de tailler dans les dépenses publiques pour tailler dans les dépenses publiques, ou de faire des réformes économiques pour faire des réformes économiques. Il s’agit, à la fois, de rétablir nos finances publiques et de permettre à notre appareil de production de se moderniser, d’innover, de créer des emplois, de faire face à une révolution technologique sans précédent et qui exige des efforts considérables du point de vue de l’investissement, de la formation et de la qualification des salariés. Nous tiendrons ces deux bouts de la transformation de notre nation, car c’est à notre sens la seule méthode pour obtenir des résultats.
Gérald Darmanin vous parlera tout à l’heure de la réduction de la dépense publique. Je voudrais juste, pour ma part, exposer à nos compatriotes quelles conséquences auront les choix que nous faisons en la matière. Nous ne réduisons pas la dépense publique pour le seul plaisir de faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du PIB : cela ne fait pas un objectif politique !
Si nous réduisons la dépense publique, c’est d’abord parce que cela nous permettra de réduire la dette. Cette dette, qui atteint environ 97 % du PNB, pèse comme une épée de Damoclès au-dessus de notre croissance et de nos enfants.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il serait totalement irresponsable de notre part, alors que nous savons que les taux d’intérêt pourraient remonter d’ici à quelques mois, de traiter la dette comme un problème accessoire, alors qu’il s’agit d’un problème central. L’argent consacré chaque année à son remboursement est perdu pour d’autres dépenses qui seraient infiniment plus utiles, qu’il s’agisse de financer les services publics, les hôpitaux ou les aides aux plus démunis. Tous ceux qui ne veulent pas s’engager dans la réduction de la dette prennent la responsabilité de nous priver de moyens financiers publics indispensables.
Je fais donc de la réduction de la dette une priorité absolue pour le rétablissement de nos finances publiques. Nous avions fixé, il y a quelques mois, le cap « cinq, trois, un » : sur la durée du quinquennat, nous entendions faire baisser la dette publique de cinq points, la dépense publique de trois points et les prélèvements obligatoires d’un point. Je souhaite à présent passer à un cap « huit, trois, un », l’objectif étant désormais de réduire la dette publique de huit points, pour qu’elle représente moins de 90 % du PIB en 2022. Je considère en effet que nous le devons à nos enfants et aux générations à venir.
Le deuxième résultat que l’on peut attendre de la réduction de la dépense publique est évidemment la baisse des impôts. Je ne sais pas, en effet, comment on pourrait baisser les impôts si l’on ne réduit pas la dépense publique. Un point de prélèvements obligatoires en moins : voilà notre objectif, et nous avons commencé à progresser dans cette direction. J’entends dire que nous aurions augmenté les impôts, que nous en aurions même créé : non ! Nous avons engagé la baisse des impôts, tant pour les entreprises, avec la réduction de l’impôt sur les sociétés, que pour les ménages, avec le dégrèvement progressif de la taxe d’habitation. Nous continuerons dans cette voie, parce que la pression fiscale sur les ménages comme sur les entreprises est en France trop élevée et inefficace.
La troisième conséquence à attendre de cette réduction de la dépense publique, c’est la sortie de notre pays de la procédure pour déficit excessif. La France n’a pas vocation à continuer d’être la lanterne rouge des pays de la zone euro. Cette situation nous marginalise et affaiblit la parole de la France sur la scène européenne. Quand vos comptes sont bien tenus, vous êtes écouté et respecté de vos partenaires européens. C’est l’objectif fixé par le Président de la République et le Premier ministre ; Gérald Darmanin et moi-même sommes déterminés à l’atteindre.
Le deuxième volet de notre stratégie recouvre l’ensemble des transformations structurelles que nous avons présentées aux parlementaires et à nos partenaires européens. Nous entendons ainsi montrer que, outre le rétablissement des comptes publics que nous avons engagé, une transformation plus vaste s’opère progressivement en France.
Il s’agit, tout d’abord, d’une transformation du système fiscal. Pour la première fois depuis trente ans, nous avons eu le courage d’alléger la fiscalité sur le capital. Là encore, nous le faisons non pour le plaisir de le faire, mais tout simplement pour répondre aux besoins de notre économie : l’industrie, l’agriculture, l’innovation ont besoin de capitaux ; il faut en mettre à leur disposition.
Nous avons aussi réformé le marché du travail. Nous allons poursuivre ces transformations au travers du projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises, qui vise à rendre notre tissu productif plus efficace et à mieux soutenir nos PME, pour leur permettre de grandir, d’investir, de se projeter à l’international, d’aller chercher des clients sur les marchés les plus dynamiques du monde.
La deuxième dimension de ces réformes structurelles, c’est l’innovation. La France, l’Europe ont pris du retard en matière d’innovation. Ne nous laissons pas bercer par de douces illusions selon lesquelles la France serait pionnière, championne, exceptionnelle dans ce domaine. Certes, nous avons les talents, les compétences, les savoir-faire, une école de mathématiques, des ingénieurs et des ouvriers de qualité, mais nous n’investissons pas assez dans les technologies révolutionnaires, dites « de rupture », qui feront demain la différence et qui nous permettront tout simplement de rester une nation technologiquement souveraine.
Je souhaite que, demain, nos véhicules autonomes soient pilotés par des systèmes européens, et non chinois ou américains. Je souhaite que, demain, les batteries qui alimenteront nos véhicules électriques puissent être produites en Europe, et non en Chine ou aux États-Unis. Je souhaite que, demain, les technologies dans le domaine de la domotique soient européennes, et non chinoises ou américaines. Je souhaite que, demain, en matière d’intelligence artificielle et d’algorithmes, la France et l’Europe aient leurs propres technologies et soient autonomes, plutôt que d’être dépendantes de technologies importées de Chine ou des États-Unis. C’est pourquoi, à mes yeux, le défi de l’innovation est peut-être le plus important de tous ceux qui nous attendent dans les années à venir.
Faire en sorte que cette croissance retrouvée profite non pas seulement à quelques-uns, mais à tous les Français, représente un autre défi. Nous n’accomplissons pas ces transformations économiques pour que ceux qui réussissent déjà réussissent toujours mieux ; nous les faisons pour que chaque Français, d’où qu’il vienne, quelles que soient son origine, sa formation, puisse se dire : j’ai une chance de réussir et, si je me donne du mal, si je travaille, si mon entreprise a de bons résultats, je serai le premier à en bénéficier.
Quand une entreprise réussit, ses salariés doivent avoir de meilleures rémunérations. Si nous avons décidé, avec le Président de la République et le Premier ministre, de totalement supprimer le forfait social sur l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés, c’est parce que nous voulons que chacun des millions de salariés de ces entreprises touche plus d’argent à la fin du mois quand son entreprise fait des bénéfices. C’est une question de justice, c’est une question d’équité ! L’intéressement et la participation, nous n’en parlons pas, nous les faisons. Nous ne nous contentons pas de rêver de l’intéressement pour tous les salariés, nous prenons la lourde décision politique de supprimer le forfait social, pour que tous les salariés des TPE ou des PME, dans le bâtiment ou dans la boulangerie, dans le commerce de bouche ou dans les services, puissent se dire que le temps et l’énergie qu’ils consacrent à leur entreprise paient.
Le quatrième aspect de ces réformes structurelles, c’est la transformation de l’État. En effet, il va de soi, pour nous, que la transformation économique du pays passe par une redéfinition des rôles respectifs de l’État et de l’entreprise dans la société française. J’aurai l’occasion d’y revenir dans les prochaines semaines.
Au-delà de ces précisions sur le programme de stabilité, je voudrais aussi redire à quel point toutes les transformations économiques que je viens d’évoquer ne peuvent prendre leur sens que dans une dimension européenne.
Innover n’a de sens que si nous rassemblons toutes les capacités d’innovation des grands États européens. Se protéger contre le pillage des technologies par d’autres grandes puissances n’a de sens que si nous le faisons à l’échelon européen. Travailler sur l’intelligence artificielle n’a de sens que si on le fait à l’échelle européenne. Investir dans les supercalculateurs n’a de sens que si l’on y emploie toutes les ressources européennes.
Restaurer notre compétitivité sera mille fois plus utile si nous parvenons en même temps à bâtir un marché unique beaucoup plus intégré qui offrira à chacune de nos entreprises, quand elle lancera un produit, non pas 65 millions de consommateurs, mais 450 millions. La profondeur de marché que donne l’Europe, c’est de la puissance pour nos entreprises, en particulier pour nos PME !
Faire l’union bancaire, c’est garantir à tous nos concitoyens que l’économie sera stable, que leur épargne sera toujours protégée et qu’ils ne courent aucun risque face aux différentes crises économiques ou financières qui peuvent toujours survenir à un moment ou à un autre.
Réaliser la convergence fiscale, achever la zone euro, c’est garantir que l’Europe pourra, demain, être un continent aussi puissant, économiquement, que la Chine ou les États-Unis. Contrairement à ce que je lis ici ou là, nous avançons avec l’Allemagne dans l’intégration de la zone euro. Mon homologue allemand Olaf Scholz et moi-même progressons sur l’union bancaire, sur l’union des marchés de capitaux, sur la convergence fiscale. Nous avançons de la seule manière efficace quand il s’agit du couple franco-allemand : sérieusement, discrètement, à l’écart des grandes discussions publiques et des lumières, parce que ces sujets sont difficiles, parce que les enjeux financiers sont importants et parce que les intérêts de la France et de l’Allemagne ne convergent pas toujours naturellement. C’est pourquoi il faut se donner le temps de rapprocher les positions, de discuter, de rechercher un consensus.
Croyez-moi, le Gouvernement français et le Gouvernement travaillent d’arrache-pied, et le Président de la République aura l’occasion de se concerter demain avec la chancelière Angela Merkel ; vous jugerez aux résultats. Nous avons un rendez-vous important : le Conseil européen de juin. Je suis convaincu que, à cette occasion, après des semaines de discussions et de négociations, la France et l’Allemagne pourront présenter une feuille de route commune pour l’avenir de la zone euro ; ce sera une avancée majeure pour le continent européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)