M. Jean-François Rapin. C’est votre document qui le dit, monsieur le ministre !
Enfin, pour compléter d’un mot la proposition de notre collègue Requier, s’il n’est pas possible d’installer le compteur de la dette sur le fronton de Bercy, pourquoi ne pas indiquer sur chaque feuille d’impôt sur le revenu le pourcentage dévolu au remboursement de la dette ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette idée de compteur est intéressante.
Nous pourrions commencer par en installer un au fronton du Sénat, monsieur le rapporteur général. En effet, je le rappelle, lors des débats budgétaires que nous avons connus ces derniers mois, la majorité sénatoriale, tout en réclamant dans de grands discours la baisse des dépenses publiques – ce « cadre » que M. Bargeton a évoqué tout à l’heure –, a réussi à augmenter celles-ci, par ses amendements, de 10 milliards d’euros, mais aussi de 4 milliards d’euros dans le PLFSS, soit de 14 milliards d’euros au total ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre. Si, monsieur le rapporteur général : je parie avec vous un dîner dans le restaurant de votre choix ! Mais vous avez déjà perdu… (Sourires.)
À la liste sympathique de ces nombreux amendements s’ajoute la suppression des 3 milliards d’euros de baisse de la taxe d’habitation, ce qui aurait abouti, pour le coup, à l’augmentation des prélèvements obligatoires. En outre, vous augmentiez la TVA de deux points, puisque c’est ce que vous proposiez pendant la campagne présidentielle.
M. Pierre Cuypers. Vous aussi !
M. Gérald Darmanin, ministre. Non, monsieur Cuypers, j’ai soutenu Nicolas Sarkozy, qui était le seul candidat à ne pas défendre l’augmentation de la TVA : M. Juppé proposait de l’augmenter d’un point et M. Fillon de deux points. Je me souviens très bien de ce que j’avais soutenu, ce en quoi je suis cohérent, contrairement à un certain nombre d’orateurs que nous entendons ici.
M. Rapin avait par ailleurs proposé dans le débat sur le PLFSS, M. le rapporteur général étant lui- même dépassé, si je puis dire, quelque 4 milliards d’euros d’augmentation de dépenses publiques.
Affichons donc ce compteur à Bercy, mais aussi au fronton des deux assemblées, afin qu’il nous rappelle les décisions budgétaires que nous prenons toutes et tous. Cela aurait au moins le mérite d’éviter les discours quelque peu schizophrènes que nous entendons sur le pacte de stabilité ou la loi de programmation des finances publiques, dès lors qu’il s’agit d’entrer dans le détail.
J’ai ainsi noté, à l’attention de M. le rapporteur général, qui m’écoute d’une oreille distraite,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pas du tout : j’entends les chiffres d’une oreille et je vous écoute de l’autre ! (Sourires.)
M. Gérald Darmanin, ministre. … mais je sais qu’il reste très performant, la file des questions d’actualité posées par le Sénat et sa majorité depuis le mois de juillet dernier.
Pour mémoire, il ne fallait pas toucher aux contrats aidés, à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger,…
Mme Gisèle Jourda. Absolument !
M. Gérald Darmanin, ministre. … aux infrastructures de transport et à la politique du logement, à la réforme de laquelle vous étiez défavorables.
Il ne fallait pas non plus, selon vous, toucher à la baisse du nombre d’agents publics dans les territoires, notamment en ce qui concerne mon ministère, qui a porté l’essentiel de la suppression des 1 600 postes.
Il ne fallait pas non plus toucher aux crédits du sport et du CNDS, le Centre national pour le développement du sport – rappelez-vous, cela a fait l’objet d’une question d’actualité voilà une quinzaine de jours. Bercy a même été hué en public, manière de faire somme toute assez classique, si l’on se réfère à la théorie du bouc émissaire bien connue depuis René Girard.
Il ne fallait pas non plus toucher à la santé, ni à la justice, bien évidemment, et je parle sous le contrôle de Mme la garde des sceaux, présente à mes côtés.
Il ne fallait sans doute pas toucher aux armées,…
Mme Gisèle Jourda. Ah non !
M. Gérald Darmanin, ministre. … tant il est vrai que j’ai eu droit à de très nombreuses questions au moment où le Gouvernement a demandé le non-dégel des crédits de l’armée, qu’il a fini par dégeler parce qu’il a su prendre ses responsabilités. Et il ne fallait pas toucher aux dépenses sociales.
M. Patrick Kanner. Il ne fallait pas non plus toucher à l’ISF ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Éric Bocquet. Parlez-nous de l’imposition des plus riches !
M. Gérald Darmanin, ministre. Par conséquent, monsieur Rapin, puisque vous m’interpellez aujourd’hui par une série de « il faut, il faut, il faut », en me disant qu’il faut rapidement, dès à présent, sans plus attendre, consentir des efforts structurels, je vous répondrai ceci : le seul problème, c’est que vous n’avez pas précisé lesquels !
On les attend donc en deuxième semaine, comme on dit, lorsque le compteur auquel je faisais référence sera installé dans ce bel hémicycle…
Monsieur Bocquet, si vous lisez Les Échos pour connaître les bienfaits du capitalisme, sachez qu’il m’arrive, de temps en temps, de lire moi aussi l’Humanité,…
M. Fabien Gay. Très bon journal !
M. Gérald Darmanin, ministre. Absolument, nous sommes les seuls à le lire et je suis très heureux de pouvoir le dire ici ! (Sourires.)
J’ai trouvé votre intervention particulièrement savoureuse lorsque vous vous êtes appliqué à faire la démonstration que, finalement, la dette n’était pas une si grave affaire, reprenant ainsi peu ou prou ce que dit M. Mélenchon à l’Assemblée nationale.
À vous entendre, dès lors que les deux tiers de nos créanciers ne sont pas français et qu’ils continuent à nous prêter, c’est qu’ils y trouvent un intérêt. Voilà une démonstration pour le moins étonnante, car je ne savais pas que vous aimiez autant enrichir les banques et les financiers.
Un rapide calcul permet de comprendre que la dette occupe le deuxième poste du budget de fonctionnement de l’État, bien avant le budget des armées, lequel, comme vous le savez, connaît pourtant une progression très importante depuis de nombreuses années, qui se confirme particulièrement dans le quinquennat en cours, et cela malgré une dissuasion nucléaire qui nous coûte déjà effectivement un peu cher.
Ces 43 milliards d’euros que nous coûtent chaque année les intérêts de la dette, nous les donnons aux banquiers, que vous dénoncez par ailleurs à la fin de votre propos. Voilà un raisonnement quelque peu contre-intuitif !
Désendetter notre pays, surtout au moment où nous allons supporter des taux d’intérêt de plus en plus élevés, c’est plutôt un système qui consiste à ne pas engraisser ceux que vous dénoncez. Lorsque vous critiquez l’augmentation de notre effort pour diminuer la dette, vous vous comportez, de fait, comme « l’idiot utile » des banquiers. Ne voyez pas là une attaque ad hominem, je ne fais que reprendre une expression historique. (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Gisèle Jourda s’exclame.)
Vous les défendez en acceptant l’idée qu’il convient de continuer à verser autant d’intérêts à autant de financeurs qui ne protègent pas tout à fait les mêmes idées politiques que celles que vous prônez. Vous remarquerez sans doute, dans ce contexte, une légère contre-intuition politique et budgétaire… Si elle ne vous apparaît pas clairement, ce n’est pas si grave, nous avons d’autres points de convergence.
Monsieur Claude Raynal, je vous ai écouté avec intérêt et franchement, je regrette que M. Hollande ne vous ait pas choisi comme porte-parole. En effet, après votre propos, comment comprendre qu’il ne se soit pas représenté ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Claude Raynal. Il a hésité !
M. Gérald Darmanin, ministre. Il aurait sans doute été réélu avec un score quasi plébiscitaire…
J’avoue que votre geste était d’autant plus beau qu’il était inutile.
M. François Bonhomme. Désespéré, même ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Gisèle Jourda. C’est vous qui êtes inutile !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous avez pourtant, si je puis me permettre, commis une erreur d’appréciation sur les collectivités locales. Il est vrai que les encourager à ne pas trop dépenser est un réel changement par rapport à la politique que vous souteniez, laquelle consistait à baisser leurs dotations, ce qui est tout de même, là aussi, quelque peu contre-intuitif.
Vous l’aurez constaté, il a été décidé qu’une collectivité qui aurait, sur son budget de fonctionnement, dépensé 100 une année ne pourrait dépasser 101,2 à ce titre l’année suivante, et ce en application du taux maximal d’évolution voté dans le dernier budget. S’il existe d’autres critères susceptibles d’augmenter ou de baisser ce taux, c’est en tout cas celui sur lequel nous nous sommes à peu près mis d’accord dans le débat budgétaire, celui que les assemblées, y compris la majorité sénatoriale, ont voté.
Or il me semble que le choix de diminuer la progression des charges de fonctionnement revient, dès lors que l’on est un élu responsable, à contenir les charges de personnel. En effet, ces dernières représentent entre 55 % et 60 % du budget de fonctionnement pour une collectivité dont les dépenses réelles de fonctionnement dépassent 60 millions d’euros, cas de figure visé dans les nouveaux contrats.
Le fait de contenir ces charges de personnel vous permet d’augmenter, à moins d’avoir une vision assez particulière des finances publiques locales, votre capacité d’autofinancement, donc d’investissement. Dans la mesure où cette capacité d’investissement n’est pas affectée par l’application du taux maximal d’évolution de 1,2 %, cela permet de faire plus d’investissement.
M. Claude Raynal. L’investissement ne créerait-il donc pas des dépenses de fonctionnement supplémentaires ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous pourrions avoir un long débat pour savoir si tous les investissements créent de nouvelles charges de fonctionnement. Ce n’est néanmoins pas le cas de tous les investissements.
Mme Gisèle Jourda. Dites-nous lesquels !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je prendrai l’exemple d’une commune que je connais bien, située dans le nord de la France : sur 17 millions d’euros de dépenses d’investissement, elle en consacre plus de 14 à la rénovation de ses équipements publics. Ce type d’opérations permet même de faire baisser les charges de fonctionnement, notamment grâce à la diminution des dépenses énergétiques et de fluides ou à la mutualisation avec d’autres communes !
Contrairement à ce que vous avez tenté de démontrer, nous n’entendons pas limiter l’investissement, comme l’a fait la majorité précédente, que vous souteniez, en désespérant les élus locaux par cette baisse des dotations de 11 milliards d’euros. Nous encourageons l’investissement en ne le contenant pas dans le champ des nouveaux contrats proposés et nous n’y mettons aucune limite en permettant justement d’accroître l’autofinancement. Il s’agit somme toute d’une politique publique très largement différente de la précédente.
M. François Bonhomme. C’est à peine mieux !
M. Patrick Kanner. Allez le dire à M. Baroin !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est d’autant plus efficace que, vous l’aurez constaté, malgré tout ce que l’on a pu entendre, les premiers contrats ont été signés, de manière extrêmement équilibrée selon les collectivités locales. Nous serons très heureux d’en signer d’autres dans les prochains jours, y compris avec des édiles membres du parti socialiste. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
M. Jérôme Durain. Quel enthousiasme !
Mme Gisèle Jourda. Nous aussi, nous sommes responsables !
M. Gérald Darmanin, ministre. … considérant que l’accompagnement en termes de suivi des dépenses de fonctionnement dans le cadre de ces contrats est bien préférable aux 11 milliards d’euros de baisse de dotations que vous leur avez imposés.
M. Patrick Kanner. Ces contrats sont négociés sous la contrainte avec les préfets !
M. Jacques Bigot. Ce sont des contrats d’adhésion. Qu’en pense Mme la garde des sceaux ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais conclure rapidement, pour permettre à Mme la garde des sceaux et à vous-mêmes de poursuivre à une heure raisonnable la discussion du texte inscrit à l’ordre du jour.
Le projet de programme de stabilité que nous présentons, cela a été assez peu souligné, et il conviendra de l’acter en 2022, va permettre de diviser par deux, puis par trois, puis par quatre, la dépense publique.
Je regrette néanmoins, monsieur le président de la commission des finances, que nous n’en soyons pas encore au zéro volume, mais c’est un travail quotidien. Permettez-moi de vous rappeler que, sous le gouvernement précédent, puisque vous l’avez évoqué, vos amis étaient plutôt pleins d’allant en la matière, défendant une évolution des dépenses publiques comprise entre 1,5 % et 2 % par an. Nous serons entre 0,3 % et 0,7 % au cours du quinquennat. S’il est vrai que ce n’est pas encore 0 %, force est de constater que les ordres de grandeur ne sont pas tout à fait les mêmes.
Mme Gisèle Jourda. Ce n’est pas digne, monsieur le ministre !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas parce que l’on crie des contre-vérités, madame la sénatrice, que l’on a raison. Même à une heure tardive, il est toujours préférable de nous écouter sereinement, comme je l’ai moi-même fait, me semble-t-il.
Il est vrai que le gouvernement que je représente vous propose l’équilibre des comptes publics, ce qui n’est pas arrivé depuis quarante ans. Rien n’est gagné d’avance, nous n’avons jamais dit que nous y parviendrions de façon certaine, rappelant qu’il fallait compter sur la croissance internationale et, en même temps, sur les économies budgétaires ; encore faut-il savoir lesquelles et, une fois qu’elles sont définies, les tenir.
Il est tout aussi vrai que ce gouvernement propose une baisse des taux de prélèvements obligatoires très importante, ce qui n’est pas non plus arrivé depuis les années quatre-vingt-dix, en permettant notamment 10 milliards de baisses d’impôts dès cette année, baisses qu’une partie d’entre vous a d’ailleurs votées.
Voilà en effet une démarche fondamentalement différente : pour baisser les impôts, pour baisser la dette, encore faut-il baisser les dépenses publiques. Nous aurons sans doute un débat pour savoir lesquelles.
M. Jean-François Rapin. Dette de la SNCF et taxe d’habitation !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est sur ce point que le Gouvernement, malheureusement, est resté sur sa faim. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Emmanuel Capus et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
Rappel au règlement
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. Monsieur le rapporteur général, permettez-moi de vous rappeler que vous avez déjà dépassé votre temps de parole dans le débat. Je vous donne la parole pour un rappel au règlement, mais je vous prie de bien vouloir être bref.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, j’annoncerai simplement que nous acceptons l’invitation à dîner de M. le ministre ! (Sourires.)
Je rappelle que le Sénat, à l’issue du vote de la première partie du projet de loi de finances pour 2018 – j’ai vérifié à l’instant le procès-verbal de la séance du 11 décembre dernier – avait amélioré le solde de 785 millions d’euros. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non, nous l’avions bien amélioré, à hauteur, j’y insiste, de 785 millions d’euros.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, monsieur le rapporteur général. (Cependant que M. le ministre continue d’argumenter, de son banc, avec M. le rapporteur général, des murmures se font entendre sur plusieurs travées.)
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, si vous souhaitez poursuivre la discussion, je vous invite à le faire à l’extérieur de l’hémicycle.
Pour l’heure, nous en avons terminé avec le débat portant sur le projet de programme de stabilité pour 2018-2022, consécutif à une déclaration du Gouvernement.
10
Protection des savoir-faire et des informations commerciales
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 1er.
Article 1er (suite)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 16, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 41
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il appartient au plaignant de démontrer que l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’informations protégées au titre du secret des affaires l’a été dans le but de tirer un profit, de manière indue, d’investissements financiers réalisés par un autre, portant ainsi atteinte aux intérêts économiques de l’entreprise victime. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Tel qu’il est conçu aujourd’hui, le texte sur le « secret des affaires » offre une vision extrêmement intéressante du régime de la preuve. En effet, on demande aux lanceurs d’alerte attaqués en justice de prouver que l’information divulguée n’était pas couverte par le secret des affaires, d’une part, et que la divulgation était légitime, d’autre part.
Cela va à l’encontre de la présomption d’innocence et, donc, d’un des principes fondateurs de notre État de droit.
Cela va aussi à l’encontre de ce que rappelait l’Assemblée générale des Nations unies dans un rapport en 2015, à savoir que, quelle que soit la motivation du lanceur d’alerte, une protection devait lui être apportée dans l’intérêt général. Pour résumer, peu importe l’intention, la bonne action doit être couverte.
Cela va enfin à l’encontre même du bon sens. On va donc dédouaner de toute explication des entreprises ayant la puissance financière et l’accès à tous les éléments nécessaires leur permettant de confondre ce qui relève d’une infraction au secret des affaires.
C’est en ce sens que nous proposons, par cet amendement, de revenir sur cette inversion de la charge de la preuve et de nous inscrire dans le droit général, c’est-à-dire la nécessité pour le demandeur de confondre l’accusé.
Une nouvelle fois, on fait comme si le monde de l’entreprise était « hors-sol », au-dessus de toute exigence démocratique. Cela n’est clairement pas acceptable, d’autant plus dans une période où les recours abusifs à la justice sont de plus en plus nombreux. (Brouhaha.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir écouter les intervenants et de cesser ce brouhaha général, qui n’est pas propice à la bonne tenue de nos débats.
M. Joël Labbé. C’est vrai !
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 41 rectifié bis, présenté par MM. J. Bigot, Leconte et Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline et Courteau, Mmes Taillé-Polian, Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 41
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Une action ne peut être engagée que si la partie poursuivante démontre que l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’informations qualifiées de secret des affaires l’a été dans le but de tirer profit, de manière indue, d’investissements financiers réalisés par un autre, portant ainsi atteinte aux intérêts commerciaux de l’entreprise victime. »
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Cette disposition va dans le même sens que celle qui vient d’être présentée par notre collègue Éric Bocquet. Il s’agit, notamment dans le monde de la presse, de protéger, par le secret des affaires, une entreprise contre une autre entreprise.
La solution, effectivement, consiste à prévoir que l’entreprise qui engage une action doit démontrer que « l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’informations qualifiées de secret des affaires l’a été dans le but de tirer profit, de manière indue, d’investissements financiers réalisés par un autre », portant ainsi atteinte à ses intérêts commerciaux. Ainsi, on dissipera les inquiétudes en permettant aux entreprises victimes, par des concurrents, de la violation de leurs secrets d’affaires de se défendre efficacement.
Cet amendement devrait donc, à l’évidence, recevoir l’encouragement de M. le rapporteur, ainsi que celui de Mme la garde des sceaux.
M. le président. L’amendement n° 72 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 41
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 152-1-… – Il appartient à la partie poursuivante de démontrer que l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’informations qualifiées de secret des affaires l’a été dans le but de tirer un profit, de manière indue, portant ainsi atteinte aux intérêts économiques de l’entreprise victime. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Il est proposé d’établir que la charge de la preuve revient à la partie poursuivante. L’inversion de la charge de la preuve, prévue par la directive et reprise dans la proposition de loi, présente en effet de nombreux dangers pour la liberté d’informer.
Des acteurs non économiques qui obtiendraient, utiliseraient et divulgueraient des informations pour des raisons d’intérêt général auraient à apporter eux-mêmes la preuve qu’ils relèvent des dérogations au secret des affaires. Ils s’exposeraient alors à des procédures judiciaires longues et coûteuses face à des acteurs économiques potentiellement très puissants.
Il existe donc un risque très fort d’effet dissuasif sur la liberté d’informer. Les nombreux syndicats et sociétés de journalistes qui se sont mobilisés contre cette proposition de loi nous indiquent l’ampleur de la menace que fait peser cette disposition.
Je citerai ici Édouard Perrin, journaliste à l’origine des révélations de l’affaire LuxLeaks, pour qui cette proposition de loi va servir à dissuader les journalistes d’enquêter. Je rappellerai enfin à mon tour que cet amendement est porté par un collectif d’ONG, de journalistes, de syndicats et de chercheurs, et que la proposition y figurant a fait l’objet d’une pétition, que j’ai précédemment citée, qui réunit plus de 350 000 signatures.
M. Éric Bocquet. Oui !
M. Joël Labbé. La directive nous laisse des marges de manœuvre au niveau national. Utilisons-les pour protéger la liberté d’informer.
M. Éric Bocquet. Bravo !
M. le président. L’amendement n° 29 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 42
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 152-1-… - Il appartient à la partie poursuivante de démontrer que l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’informations qualifiées de secret des affaires l’a été dans le but de tirer un profit, de manière indue, portant ainsi atteinte aux intérêts économiques de l’entreprise victime.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est dans le même état d’esprit que nos collègues que nous avons déposé cet amendement. Pour ne pas en rajouter, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 29 rectifié est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ces trois amendements sont de même nature que les amendements nos 51 rectifié et 8, ainsi que des amendements identiques nos 67 rectifié et 69 rectifié, qui visaient l’alinéa 21 de l’article 1er.
Il s’agit de limiter la prise en compte des atteintes au secret des affaires aux seuls cas d’atteintes commises dans le but d’en tirer profit, au sens économique, dans le cadre des relations entre entreprises. Cette restriction est inopportune et contraire à la directive.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Il ne semble pas exact de prétendre que la directive et la proposition de loi procèdent à une inversion de la charge de la preuve.
Conformément à l’article 1315 du code civil et à l’article 9 du code de procédure civile, il appartiendra nécessairement au demandeur de prouver le bien-fondé de ses prétentions.
Ce demandeur devra donc démontrer que l’information dont il demande la protection répond aux conditions posées pour être qualifiée de secret d’affaires. Il devra prouver la faute, c’est-à-dire les actes ou les comportements illicites qui sont définis aux articles L. 151-3 à L. 151-5 que le texte prévoit d’insérer dans le code de commerce. S’il demande réparation, il devra prouver le préjudice subi.
De son côté, la partie défenderesse pourra apporter toute preuve contraire. Si elle soutient avoir agi dans le cadre de l’exercice d’un droit, elle devra prouver ce droit, conformément aux principes qui gouvernent la charge de la preuve dans toute procédure juridictionnelle ; la bonne foi sera toujours présumée.
J’ajouterai enfin, comme l’a souligné M. le rapporteur, que l’adoption de ces amendements conduirait à un défaut de transposition de la directive, en restreignant le champ d’application du dispositif de protection du secret des affaires.
Le Gouvernement émet donc lui aussi un avis défavorable.