M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le 20 octobre dernier, la Haute Assemblée avait examiné la proposition de loi de Catherine Troendlé relative à la protection des mineurs contre les agressions sexuelles. Ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Nous sommes saisis aujourd’hui d’un projet de loi portant sur le même sujet, présenté par le Gouvernement. Il comporte cinq articles, qui reprennent l’économie générale des amendements déposés par l’exécutif l’été dernier sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « DDADUE pénal ».
Ces dispositions avaient été proposées à la suite de deux affaires de pédophilie survenues dans le milieu scolaire au printemps 2015. Les articles additionnels insérés alors dans le projet de loi DDADUE avaient été censurés par le Conseil constitutionnel au motif qu’ils ne présentaient pas de lien, même indirect, avec l’objet du texte.
Attachée à la protection de l’enfance sous toutes ses formes, je ne rentrerai pas dans un débat politique stérile pour reconnaître la paternité, ou plutôt la maternité, devrais-je dire, des mesures proposées. Je déplore cependant, tout comme mes collègues, que le travail parlementaire ait été méprisé.
Ce qui m’importe, c’est que le texte soit adopté et, surtout, appliqué au plus vite pour éviter que les affaires de Villefontaine et d’Orgères ne se reproduisent.
La protection de l’enfance, c’est l’école de la rigueur, de la volonté et surtout de l’humilité. Elle demande donc une attention toute particulière.
Le constat a été dressé : l’organisation des relations entre l’autorité judiciaire et l’administration de l’éducation nationale est défaillante. Le cadre légal applicable est également porteur d’incertitudes juridiques pour les parquets, chargés de la transmission des informations, dès lors qu’une procédure pénale est en cours.
Quitte à me répéter par rapport à la discussion générale qui s’est tenue au mois d’octobre dernier et à réitérer les propos de précédents orateurs, je souhaite réaffirmer deux choses.
D’une part, nous devons adopter la plus grande fermeté face à des crimes commis sur des mineurs. D’autre part, s’il faut préserver un environnement sans danger pour les enfants, il faut aussi respecter les libertés individuelles et l’ordre constitutionnel. Nous devons donc nous doter d’un dispositif garantissant la plus grande sécurité juridique, tout en instaurant un partage d’informations efficace et respectueux de la présomption d’innocence.
Je félicite le rapporteur, François Zocchetto, pour son implication sur ce texte, tout comme précédemment sur celui de Catherine Troendlé.
La commission des lois a adopté dix-neuf amendements, dont dix-huit présentés par son rapporteur, qui ont pour objet de renforcer, dans le cadre du régime général d’information, les garanties pour la personne concernée : il s’agit de lui donner la possibilité de faire des observations pour toutes les décisions que le ministère public transmet à l’administration, observations qui seront ensuite transmises à celle-ci.
Cette personne aura également la possibilité de saisir le président du tribunal de grande instance ou le premier président en cas de non-transmission par le ministère public d’une décision de relaxe ou d’acquittement. C’est l’objet de l’article 1er.
Concernant le régime de transmission obligatoire, je me rallie volontiers à la voix de la raison et à la position de notre rapporteur, à savoir supprimer la faculté pour le ministère public de transmettre l’information dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre, et exclure certaines infractions de ce régime tout en les maintenant dans le champ du régime facultatif, les laissant à la libre appréciation des parquets.
Bien que le caractère facultatif puisse être considéré comme un fléchissement à l’encontre de la protection des mineurs, le respect de la présomption d’innocence s’impose évidemment. Je fais toute confiance aux magistrats, qui sauront prendre les décisions appropriées et proportionnées aux situations.
Je félicite la commission des lois qui a adopté plusieurs amendements et ainsi amélioré, d’une part, le dispositif en faveur de la protection des mineurs, et, d’autre part, la sécurité juridique de l’article 1er. Inscrire au fichier des personnes recherchées les individus interdits d’activité au contact des mineurs me semble ainsi une piste intéressante.
Les articles 2, 3 et 4 du projet de loi contiennent des dispositions qui reprennent celles qu’a adoptées la Haute Assemblée lors de l’examen de la proposition de loi précitée de Mme Troendlé. Je n’ai donc pas de remarques particulières à émettre.
L’article 2 modifie des dispositions relatives à l’interdiction d’enseigner, d’animer ou d’encadrer une activité physique ou sportive auprès de mineurs.
L’article 3 étend l’incapacité de diriger des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale et des familles ou d’y exercer en cas de condamnation définitive pour certains délits.
L’article 4 modifie le régime disciplinaire des chefs d’établissement d’enseignement du premier degré privé.
Je salue, enfin, la commission des lois qui a repris l’article 1er de la proposition de loi de Mme Troendlé. Cet article prévoit que la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité impliquant un contact habituel avec les mineurs pour les personnes condamnées pour infraction sexuelle sur mineur ait un caractère automatique. La juridiction de jugement ne pourra y déroger que par une décision spécialement motivée prise au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UDI-UC votera en faveur de ce texte. Il n’y a plus de temps à perdre. La vulnérabilité de nos enfants n’est pas un sujet que l’on peut prendre à la légère. Elle ne peut et ne doit faire l’objet d’aucune récupération politicienne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui est complexe, difficile, car sont en jeu trois principes fondamentaux auxquels nous avons de bonnes et solides raisons de tenir : premièrement, la protection des mineurs ; deuxièmement, la présomption d’innocence ; troisièmement, le secret de l’enquête et de l’instruction.
Je dois vous dire très franchement, madame la ministre, que lorsque nous nous sommes retrouvés en commission mixte paritaire, à l’Assemblée nationale, pour examiner le projet de loi DDADUE, nous n’étions pas en accord avec la rédaction adoptée par les députés. Nous avions en effet considéré que celle-ci ne prenait pas suffisamment en compte la présomption d’innocence.
Le travail mené conjointement par notre collègue député Dominique Raimbourg, que je veux saluer, par vous-même, madame la ministre, et par Mme la garde des sceaux a permis d’améliorer le texte.
Le Conseil constitutionnel a pris une position radicale en éradiquant vingt-cinq ou vingt-six cavaliers, ce qui n’est pas sans conséquence. Cette décision, mes chers collègues, donnera lieu à davantage de projets et propositions de loi. Car si l’on se prive de la facilité d’adjoindre diverses dispositions à divers textes, il faut faire un texte sur chaque sujet.
Toujours est-il que nous sommes parvenus à un point d’équilibre qui n’est sans doute pas parfait, mais qui me paraît être la meilleure solution possible.
Sans revenir sur le cas brillamment évoqué par Jacques Bigot, j’évoquerai deux points.
Sur la peine automatique, tout d’abord, nous sommes en désaccord avec M. le rapporteur.
Vous connaissez le principe, même si l’on peut y déroger. Expliquer la dérogation, c’est s’inscrire dans une logique d’automaticité. Mon groupe y a toujours été hostile. C’est pourquoi nous n’avons jamais souscrit aux peines planchers. Nous avons confiance, en effet, dans l’indépendance du juge, dans sa capacité à juger en fonction des circonstances, de la personnalité de l’auteur de l’infraction et, bien entendu, de la loi.
Nous ne pourrons pas voter le présent projet de loi, pour cette seule raison que nous rejetons le principe de la peine automatique.
Le mot « pouvoir » est d’ailleurs important dans la rédaction actuelle du projet de loi. En cas de condamnation définitive, il n’y a pas de difficulté : il faut transmettre l’information. Mais lorsqu’il y a mise en examen, ce qui suppose l’existence de faits concordants et d’indices sérieux, le procureur pourra – du verbe « pouvoir » – communiquer. Cela veut dire qu’il aura une capacité d’interprétation et de jugement. C’est d’ailleurs sa fonction que de juger.
Sur ce point de l’automaticité de la peine, nous ne sommes donc pas d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, cher François Zocchetto.
Pour ce qui concerne le second point que je voulais évoquer, la garde à vue, nous sommes en revanche d’accord avec le rapporteur, mais pas avec le Gouvernement. Même si la disposition est assortie d’un certain nombre de considérations, notamment sur la gravité des faits, de deux choses l’une : soit il existe des raisons de mettre en examen, et dans ce cas le juge procédera à la mise en examen, soit on en est seulement au stade de la garde à vue. Dans ce dernier cas, nous pensons qu’un problème se posera, si le texte reste en l’état, au regard de la présomption d’innocence.
Telle est notre conviction sur ces deux points. Nous considérons, bien entendu, que de grands progrès ont été faits en termes de prise en compte des trois principes fondamentaux précités de notre République auxquels nous sommes fortement attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs
Article 1er A (nouveau)
Le titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :
1° La section 5 du chapitre II est complétée par un article 222-48-3 ainsi rédigé :
« Art. 222-48-3. – En cas de condamnation pour une infraction prévue à la section 3 du présent chapitre et commise sur un mineur, la juridiction prononce la peine complémentaire prévue au 3° de l’article 222-45. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » ;
2° Après l’article 227-31, il est inséré un article 227-31-1 ainsi rédigé :
« Art. 227-31-1. – En cas de condamnation pour une infraction prévue aux articles 227-22 à 227-27, 227-27-2 et 227-28-3, la juridiction prononce la peine complémentaire prévue au 6° de l’article 227-29. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par M. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 5 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L’amendement n° 9 est présenté par le Gouvernement.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Bigot, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Jacques Bigot. Je n’aurai pas besoin de m’expliquer longuement, car, Jean-Pierre Sueur vient de le rappeler, nous avons déjà débattu de ce sujet.
Nous considérons qu’il y a en France trois pouvoirs : le pouvoir exécutif ; le pouvoir parlementaire, lequel est d’ailleurs indépendant de l’exécutif – raison pour laquelle, madame la ministre, nous ne sommes pas en phase avec vous sur tous les points de votre texte ; le pouvoir judiciaire, qui doit être indépendant et dans lequel nous devons avoir confiance, ce pouvoir que vous qualifiez, monsieur le rapporteur, d’« autorité judicaire ».
À partir du moment où le législateur donne au juge les moyens de décider, il appartient à celui-ci de le faire. Le fait de prévoir une peine accessoire automatique, comme si le magistrat risquait d’oublier de la prononcer alors qu’il dispose de plus en plus souvent de formulaires types où sont posées toutes les questions, c’est exprimer de la défiance à l’égard du juge.
Par ailleurs, prévoir que le juge, pour respecter l’individualisation de la peine, peut déroger à ce principe par décision motivée n’est rien de moins qu’un artifice. En effet, cette décision motivée ne sera jamais contestée par la Cour de cassation, même si elle sera peut-être appréciée de manière différente par la cour d’appel.
Encore une fois, le présent article traduit une défiance à l’égard du magistrat, à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie de communication visant à dire au public : « Voyez, nous sommes plus sévères que d’autres ! ».
Je maintiens, au nom du groupe socialiste et républicain, cet amendement et constate avec plaisir que je ne suis pas le seul à souhaiter la suppression de l’article 1er A.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Esther Benbassa. L’article 1er A, issu d’un amendement du rapporteur, vise à donner à la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité impliquant un contact habituel avec les mineurs un caractère automatique pour les personnes condamnées pour infraction sexuelle sur mineur.
Nous considérons, pour notre part, que le principe d’individualisation de la peine doit primer. Nous ne pouvons donc pas souscrire au principe d’automaticité prévu au présent article.
Nous estimons également que ce genre de mécanisme constitue l’expression d’une certaine défiance à l’endroit des magistrats, ce que nous regrettons. Nous proposons en conséquence, à l’instar de nos collègues du groupe socialiste et républicain, la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Il ne surprendra personne que j’adopte la position exprimée par Mme la garde des sceaux au mois d’octobre dernier : nous ne sommes pas favorables aux dispositions qui portent une atteinte inutile et très contestable au principe d’individualisation des peines.
Nous préférons faire confiance aux magistrats pour qu’ils adoptent la sanction la plus adaptée à l’auteur des faits.
Tout a été dit sur le caractère d’affichage que peut revêtir cette disposition, mais, de surcroît, je relève qu’elle ne répond nullement à l’objet même de ce projet de loi, qui est d’améliorer la transmission des informations entre l’autorité judiciaire et nos administrations.
Concentrons-nous sur le sujet, celui qui a mis au jour des dysfonctionnements structurels auxquels nous apportons des réponses.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Nous avons déjà longuement débattu de cette question des peines que certains appellent « automatiques », et pas seulement au sujet des infractions commises à l’encontre des mineurs – je pense à nos discussions concernant les peines planchers ou d’autres textes de procédure pénale –, question sur laquelle nous avons des divergences de vues.
Je dois reconnaître aux représentants de l’opposition sénatoriale la constance de leur position, une position que je respecte, même si nous n’avons pas la même et que je ne pourrais pas les convaincre d’adopter la nôtre.
En revanche, je comprends moins la position du Gouvernement. Il nous présente un projet de loi qui va loin, et même très loin, jusqu’à bafouer, pensons-nous, le principe fondamental de la présomption d’innocence, et ce sur un sujet très important, au motif que tous les moyens seraient bons pour assurer la protection des mineurs. Et alors que nous proposons un dispositif qui n’est pas innovant puisqu’il existe dans d’autres matières et est parfaitement constitutionnel, comme le reconnaît d’ailleurs le Gouvernement dans l’objet de son amendement, Mme la ministre entend s’y opposer.
Je le répète, je ne comprends pas cette incohérence dans le raisonnement. C'est la raison pour laquelle je tiens à rappeler combien nous sommes attachés au dispositif que nous proposons. L’ambition, madame la ministre, est non pas simplement de faire un texte administratif, voire technocratique qui organiserait la transmission de l’information, mais d’assurer la protection des mineurs par différentes voies. Or s’il est un moyen permettant d’assurer la protection des mineurs, c’est bien de faciliter le prononcé de mesures de contrôle judiciaire, en l’espèce une interdiction d’exercice d’une activité en contact avec les mineurs.
Dois-je le rappeler, dans les affaires déjà citées – Orgères et Villefontaine –, qui ne sont malheureusement que deux parmi bien d’autres, les juges n’avaient pas prononcé de peine d’interdiction d’exercer une activité au contact des mineurs. Si une telle peine avait été prononcée, les faits n’auraient probablement pas eu lieu ou, tout du moins, il y aurait eu une plus forte probabilité qu’ils ne se produisent pas.
Donc, nous souhaitons, c'est vrai, inciter les magistrats à prononcer ces peines.
Sur le respect du principe de l’individualisation des peines, outre le fait que ce dispositif a été totalement validé par le Conseil constitutionnel, il respecte parfaitement la liberté de choix du magistrat puisqu’il suffit que ce dernier motive sa décision « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur » - une motivation très facile à rédiger en pratique -, pour que la peine complémentaire ne soit pas prononcée.
Nous souhaitons donc maintenir cette mesure que nous avons adoptée, car elle sera efficace et, j’oserais même dire, parce qu’elle est nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Cette question des peines complémentaires a toujours posé problème. Et il est toujours bon de s’opposer les uns aux autres, que l’on soit dans l’opposition ou dans la majorité, et cela change désormais assez souvent…
Mais il est grand temps de revenir à la réalité des choses.
Il ne s’agit pas ici du prononcé obligatoire d’une peine. Vous savez bien, monsieur Bigot, vous qui êtes un praticien, que ce que prévoit le projet de loi existe déjà à de nombreux autres endroits du code pénal – je pense au moins à une dizaine de cas. La loi ne demande qu’une chose au magistrat : qu’il s’interroge sur la peine complémentaire et donne sa réponse dans le jugement. Elle n’exige rien d’autre !
Le juge peut prévoir cette peine ou non. Je rappelle, mon cher collègue, que, pour les peines planchers, dans 60 % des cas, le magistrat a écarté cette mesure, en l’indiquant.
Dans le cas présent, il lui est demandé non pas de prononcer obligatoirement la peine complémentaire, mais de dire de façon systématique s’il ne la prévoit pas. C’est ainsi que le texte est rédigé, et c’est ainsi que, chaque fois qu’un tel mécanisme est inscrit dans le code pénal, il est appliqué et interprété. C'est ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel à de nombreuses reprises.
Cela ne traduit donc pas une méfiance à l’égard des magistrats, comme certains ont pu le dire, et l’individualisation de la peine joue pleinement, car, je le redis, le magistrat doit obligatoirement se poser la question et y répondre dans son jugement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Nous ne voterons pas ces amendements de suppression, mais nous ne sommes pas non plus d’accord avec l’article 1er A, car nous estimons – je l’ai déjà dit très clairement – qu’il manque un mot dans sa rédaction, et ce mot, c’est l’adjectif « définitive », à propos de la condamnation. Je sais bien que c'est volontaire, mais nous avons l’habitude de défendre toujours la même ligne.
Quant à l’automaticité, je lis dans l’objet de l’amendement du Gouvernement qu’il faudrait supprimer l’article 1er A parce qu’il porte « une atteinte inutile et contestable au principe d’individualisation de la peine » et qu’il répond « uniquement à des motivations d’affichage dénotant une défiance injustifiée envers l’autorité judiciaire » : je regrette que Mme la garde des sceaux ne soit pas là ! Je lui dirais que depuis qu’elle est ministre de la justice, il y a tous les jours une atteinte « inutile et contestable au principe d’individualisation de la peine », et je n’oserai pas aller jusqu’à dire « pour des motivations d’affichage »…
En effet, comme l’a rappelé notre collègue Michel Mercier, il existe toute une série de mesures, dont les peines planchers, qui peuvent être écartées par le juge sur décision spécialement motivée. Alors, si l’on considère ici qu’il s’agit d’une atteinte inutile et contestable, que dire de nombreuses dispositions analogues qui sont appliquées de cette manière quotidiennement en France ? Là aussi, il faut revenir au respect des principes.
Je le répète, nous ne voterons pas ces amendements, en regrettant – vous le savez, monsieur le rapporteur – que vous n’ayez pas ajouté le mot « définitive » à la rédaction de cet article.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. J’ai écouté avec grand intérêt les propos des différents intervenants, en particulier ceux de notre collègue et ancien garde des sceaux Michel Mercier.
Cela a été dit et répété, il n’y a pas d’automaticité. J’ai bien compris que vous étiez des puristes, chers collègues de l’opposition (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), et vous l’avez démontré, mais je pense que, sur ce sujet – je rappelle que nous parlons d’enfants –,…
M. Pierre-Yves Collombat. Et de l’innocence !
M. Éric Doligé. … il faut cesser de raisonner en puriste ou en linguiste et se pencher véritablement sur la question, laquelle mérite selon moi une attention particulière.
Cela étant, selon que l’on est dans la majorité ou dans l’opposition, il peut nous arriver à tous d’être des puristes. Rappelez-vous, mes chers collègues – le sujet n’a rien à voir, mais cet exemple montre bien que l’on peut toujours changer d’idée –, de nos débats sur la clause générale de compétence : il y avait aussi des puristes, et ils ont changé d’avis quand ils ont changé de camp !
Mme Cécile Cukierman. Pas tous !
M. Éric Doligé. Un certain nombre ! La majorité de la majorité, si j’ose dire.
Mme Cécile Cukierman. Voilà !
M. Éric Doligé. Il faut s’interroger et aller au-delà d’une analyse pointilleuse des mots en n’oubliant pas que, derrière, il y a des enfants et des drames.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 5 et 9.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 133 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 205 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
Article 1er
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après l’article 11-1, il est inséré un article 11-2 ainsi rédigé :
« Art. 11-2. – I. – Le ministère public peut informer par écrit l’administration des décisions suivantes rendues contre une personne qu’elle emploie, y compris à titre bénévole, lorsqu’elles concernent un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement :
« 1° La condamnation, même non définitive ;
« 2° La saisine d’une juridiction de jugement par le procureur de la République ou par le juge d’instruction ;
« 3° La mise en examen.
« Le ministère public ne peut procéder à cette information que s’il estime cette transmission nécessaire, en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, pour mettre fin ou prévenir un trouble à l’ordre public ou pour assurer la sécurité des personnes ou des biens.
« Le ministère public peut informer, dans les mêmes conditions, les personnes publiques, les personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public ou les ordres professionnels des décisions mentionnées aux 1° à 3° du présent I prises à l’égard d’une personne dont l’activité professionnelle ou sociale est placée sous leur contrôle ou leur autorité.
« II. – Dans tous les cas, le ministère public informe sans délai la personne de sa décision de transmettre l’information prévue au I et de son droit à présenter des observations écrites. L’information est transmise à l’administration, ou aux personnes ou ordres mentionnés au dernier alinéa du même I, accompagnée, le cas échéant, des observations écrites de la personne concernée.
« Le ministère public notifie sans délai à l’administration, ou aux personnes ou ordres mentionnés au dernier alinéa du même I, l’issue de la procédure et informe la personne concernée de cette notification. Si celle-ci constate la méconnaissance de cette obligation à l’issue de la procédure, elle peut saisir le président du tribunal de grande instance ou le premier président de la cour d’appel compétente par requête motivée afin qu’il ordonne l’exécution de cette obligation.
« L’administration, ou la personne ou ordre mentionné au dernier alinéa du I, qui est destinataire de l’information prévue au même I ne peut la communiquer qu’aux personnes compétentes pour faire cesser ou suspendre l’exercice de l’activité mentionnée aux premier et dernier alinéas dudit I.
« Cette information est confidentielle. Sauf si l’information porte sur une condamnation prononcée publiquement et sous réserve de l’avant-dernier alinéa du présent II, toute personne destinataire de ladite information est tenue au secret professionnel, sous les peines prévues à l’article 226-13 du code pénal. Toute personne ayant eu connaissance de ladite information est tenue au secret, sous les mêmes peines. Le fait justificatif prévu au 1° de l’article 226-14 du même code n’est pas applicable lorsque la personne mentionnée à ce même 1° a eu connaissance des faits par la transmission prévue au I du présent article.
« II bis. – Les condamnations dont la mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire a été exclue en application de l’article 775-1 du présent code ne peuvent être communiquées à l’initiative du ministère public, sauf en application du 2° du II du présent article à la suite d’une première information transmise en application du I. Dans ce cas, l’information fait expressément état de la décision de ne pas mentionner la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire.
« III. – Hors le cas où une décision prononçant une sanction a été légalement fondée sur l’information transmise par le ministère public, lorsque la procédure pénale s’est terminée par un non-lieu ou une décision de relaxe ou d’acquittement, l’administration ou l’autorité mentionnée au dernier alinéa du I supprime l’information du dossier relatif à l’activité de la personne concernée.
« IV. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État. Ce décret précise les modalités de recueil des observations écrites de la personne concernée par l’information, les formes de la transmission par le ministère public de l’information et des observations éventuelles de la personne concernée, les modalités et les formes de transmission des décisions à l’issue des procédures et les modalités de suppression de l’information en application du III. » ;
2° Après le 12° de l’article 138, il est inséré un 12° bis ainsi rédigé :
« 12° bis Ne pas exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs lorsqu’il est à redouter qu’une nouvelle infraction soit commise ; »
2° bis (nouveau) Au 2° de l’article 230-19, après la référence : « 12°, », est insérée la référence : « 12° bis, » ;
2° ter (nouveau) L’article 706-47 est ainsi rédigé :
« Art. 706-47. – Le présent titre est applicable aux procédures concernant les infractions suivantes :
« 1° Crimes de meurtre ou d’assassinat prévus aux articles 221-1 à 221-4 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un mineur, précédés ou accompagnés d’un viol, ou lorsqu’ils sont commis avec tortures ou actes de barbarie, ou lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale ;
« 2° Crimes de tortures ou d’actes de barbarie prévus aux articles 222-1 à 222-6 du même code ;
« 3° Crimes de viols prévus aux articles 222-23 à 222-26 dudit code ;
« 4° Délits d’agressions sexuelles prévus par les articles 222-27 à 222-31 du même code ;
« 5° Délits et crimes de traite des êtres humains à l’égard d’un mineur prévus aux articles 225-4-1 à 225-4-4 du même code ;
« 6° Délit et crime de proxénétisme à l’égard d’un mineur prévus au 1° de l’article 225-7 et à l’article 225-7-1 du même code ;
« 7° Délits de recours à la prostitution d’un mineur prévus aux articles 225-12-1 et 225-12-2 du même code ;
« 8° Délit de corruption de mineur prévu à l’article 227-22 du même code ;
« 9° Délit de proposition sexuelle faite à un mineur de 15 ans par un majeur, prévu à l’article 227-22-1 du même code ;
« 10° Délits de captation, d’enregistrement, de transmission, d’offre, de mise à disposition, de diffusion, d’importation ou d’exportation, d’acquisition ou de détention d’image pornographique d’un mineur ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d’un paiement d’un service de communication au public en ligne mettant à disposition des images pornographiques de mineurs, prévus à l’article 227-23 du même code ;
« 11° Délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur, prévus à l’article 227-24 du même code ;
« 12° Délit d’incitation d’un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation, prévu à l’article 227-24-1 du même code ;
« 13° Délits d’atteintes sexuelles prévus aux articles 227-25 à 227-27 du même code. » ;
3° Après l’article 706-47-3, sont insérés des articles 706-47-4 et 706-47-5 ainsi rédigés :
« Art. 706-47-4. – I. – Par dérogation au I de l’article 11-2, le ministère public informe par écrit l’administration d’une condamnation, même non définitive, pour une ou plusieurs des infractions mentionnées au II du présent article, prononcée à l’encontre d’une personne dont il a été établi au cours de l’enquête ou de l’instruction qu’elle exerce une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l’exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par l’administration.
« Il informe également par écrit l’administration, dans les mêmes circonstances, lorsqu’une personne est placée sous contrôle judiciaire et qu’elle est soumise à l’obligation prévue au 12° bis de l’article 138.
« Les II à III de l’article 11-2 sont applicables aux modalités de transmission et de conservation des informations mentionnées au présent article.
« II. – Les infractions qui donnent lieu à l’information de l’administration dans les conditions prévues au I du présent article sont :
« 1° Les crimes et les délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code ;
« 2° Les crimes prévus aux articles 221-1 à 221-5, 222-7, 222-8, 222-10 et 222-14 du code pénal et, lorsqu’ils sont commis sur un mineur de quinze ans, les délits prévus aux articles 222-11, 222-12 et 222-14 du même code ;
« 3° Les délits prévus à l’article 222-33 dudit code lorsqu’ils sont commis sur un mineur de quinze ans ;
« 4° Les délits prévus au deuxième alinéa de l’article 222-39, aux articles 227-18 à 227-21 et 227-28-3 dudit code ;
« 5° Les crimes et les délits prévus aux articles 421-1 à 421-6 du même code.
« III. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État. Ce décret précise :
« 1° Les formes de la transmission de l’information par le ministère public ;
« 2° Les professions et activités ou catégories de professions et d’activités concernées ;
« 3° Les autorités administratives destinataires de l’information ;
« 4° Supprimé
« Art. 706-47-5 (nouveau). – Sauf si la personne est placée en détention provisoire, le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ordonne, sauf décision contraire spécialement motivée, le placement sous contrôle judiciaire assorti de l’obligation mentionnée au 12° bis de l’article 138 d’une personne exerçant une activité mentionnée au I de l’article 706-47-4 mise en examen pour une ou plusieurs des infractions mentionnées au II du même article 706-47-4. »