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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. Fin 2015, je suis déjà intervenu pour faire un rappel au règlement au sujet des conditions de plus en plus déplorables dans lesquelles le Gouvernement répond aux questions écrites des parlementaires.
Plusieurs collègues m’ont indiqué que les choses allaient de mal en pis et, depuis mon précédent rappel au règlement, j’ai également constaté une dérive supplémentaire ! Celle-ci m’a d’ailleurs été confirmée grâce aux statistiques réalisées par les services du Sénat sur le taux de réponse du Gouvernement.
Cela étant, un collègue a interrogé le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement par le biais d’une question écrite portant sur le même sujet. Ledit secrétaire d’État a été lui-même incapable de répondre dans les délais ! Il a répondu six mois après…
Si même le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement se moque complètement du Parlement et est totalement indifférent à ce problème, où allons-nous ? La moindre des choses pour un secrétaire d’État chargé de ce portefeuille est qu’il fasse au moins semblant de respecter le Parlement, en tenant compte des délais de réponse aux questions écrites.
En outre, dans cette réponse, le Gouvernement indiquait, comme d’habitude, qu’il y a beaucoup de questions écrites… C’est totalement faux, puisque, à l’Assemblée nationale, chaque député n’a plus la possibilité de poser qu’une seule question écrite par semaine. Et si, au Sénat, un certain nombre d’entre nous – dont je suis – posent parfois des questions écrites répétitives, c’est tout simplement parce que nous n’avons pas de réponse ! Récemment, j’ai été obligé de poser de nouveau une dizaine de questions, qui avaient été déposées il y a plus de deux ans et qui, faute de réponse, étaient devenues caduques… Or j’avais déjà été contraint de poser ces questions deux fois il y a plus de deux ans, faute de réponse…
Si le Gouvernement ne fait pas son travail, nous sommes effectivement obligés de poser quatre fois une question sur un même sujet… Et tout cela, pour ne toujours pas avoir de réponse ! Nous sommes vraiment dans une situation particulière…
Nous avons, certes, la possibilité de poser des questions orales, ce que j’ai fait ce matin. J’ai donc été obligé de poser une question orale pour avoir une réponse…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. J’ai calculé que, si je dois poser une question orale pour obtenir une réponse aux questions écrites auxquelles je n’ai pas eu de réponse et en monopolisant toutes les questions orales de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe, je serai amené à poser de telles questions jusqu’en 2022 !
Quelque chose ne va pas ! Et j’aimerais bien que le Gouvernement soit un peu plus correct avec le Sénat.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Par ailleurs, cette question a été soulevée lors de la conférence des présidents.
M. Jacques Mézard. Oui, et par moi !
M. le président. Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement s’est engagé à faire le nécessaire auprès des membres du Gouvernement pour qu’ils répondent aux questions écrites.
M. Jean Louis Masson. Il faudrait que lui-même commence à répondre…
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Information de l'administration et protection des mineurs
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs (projet n° 242, texte de la commission n° 294, rapport n° 293).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner un projet de loi tout entier dédié à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs.
Ma collègue garde des sceaux étant retenue par un Conseil européen à Bruxelles, je m’exprimerai devant vous en notre nom à toutes les deux.
Vous vous en souvenez évidemment, au cœur de l’été dernier, nous avions déjà abordé avec vous ces questions. Et dès la décision rendue par le Conseil constitutionnel, nous avions pris l’engagement de revenir devant le Parlement avec un nouveau texte et de prendre toutes les garanties juridiques pour trouver le juste équilibre entre, d’une part, l’impératif de protection des mineurs et, d’autre part, l’exigence tout aussi importante de respect de la présomption d’innocence.
C’est précisément cet équilibre qui a été atteint dans le texte examiné par l’Assemblée nationale et adopté – je le rappelle – à l’unanimité des députés le 8 décembre dernier.
Votre assemblée ne s’est pas désintéressée non plus de cette question, en y apportant cependant une réponse très différente, sur le fond, de celle du Gouvernement. Vous avez ainsi adopté, à l’automne dernier, la proposition de loi de Mme Catherine Troendlé visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs pour une personne condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur.
Je ne vous l’apprends pas, l’adoption de cette proposition de loi n’a pas conduit le Gouvernement à renoncer au principe d’un projet de loi. Et j’estime que le présent texte est à la fois mieux centré sur la réponse à apporter aux dysfonctionnements systémiques, qui ont été constatés par les inspections générales de nos ministères en Isère et en Ille-et-Vilaine, et qu’il bénéficie de la sécurité juridique fournie par l’examen du Conseil d’État.
Au fond, ce que la garde des sceaux et moi-même avons voulu, c’est vous proposer un projet de loi de principe permettant d’en finir avec une situation insécurisante pour les magistrats, inconfortable pour les administrations et, à dire vrai, inconcevable pour les familles, qui, toutes, nous ont dit leur attente d’un service public irréprochable et exemplaire.
Ce n’est pas que rien n’ait été fait ces dernières années, mais nous avions collectivement toléré d’en rester à un cadre incertain et de vivre sur une faille juridique béante, visible de tous, et d’abord visible et connue des prédateurs – il ne faut pas en douter un instant !
Ce dont nous discutons – vous le savez bien – n’est ni virtuel ni exceptionnel. Et la tragédie qui s’est déroulée l’an passé à Villefontaine nous a fait prendre conscience de l’urgence qu’il y avait à donner enfin un cadre juridique clair à des transmissions d’informations trop souvent incertaines et traitées de manière aléatoire par la justice.
Avec ce projet de loi, nous adressons donc à la société un signal fort de notre intransigeance à l’égard de ces violences insoutenables, mais aussi un signal de la détermination commune de nos institutions pour combattre celles-ci.
En particulier, nous avons voulu fixer enfin dans la loi la réponse à plusieurs questions difficiles : celle du moment où il convient de transmettre les informations ; celle des agents concernés par cette transmission ; celle, enfin, des infractions qui rendent cette dernière nécessaire.
Nous introduisons donc deux articles nouveaux dans le code de procédure pénale avec la volonté, d’une part, de déterminer un cadre général qui concerne toutes les administrations et tous les agents et, d’autre part, de définir un régime particulier visant les personnes en contact habituel avec des mineurs et pour des infractions qui sont spécifiquement énumérées.
Ces dispositions forment l’essentiel du projet de loi, qui comporte également des nouveautés concernant les contrôles judiciaires et modifie d’autres codes – le code de l’action sociale et des familles, le code du sport et le code de l’éducation.
Je note que ces dernières dispositions sont assez consensuelles, ce qui tranche avec les deux principaux articles que j’évoquais plus tôt et au sujet desquels nous avons, avec le texte soumis au débat, des divergences de fond, dont les amendements, que le Gouvernement a déposés sur le texte de votre commission, témoignent.
À ce stade, je voudrais simplement vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles ont été nos intentions.
Je l’ai dit en introduction à mon propos, nous avions en quelque sorte l’obligation de concilier deux exigences essentielles dans ce projet de loi. D’un côté, nous avons l’obligation juridique et morale d’assurer la protection des mineurs qui sont placés sous la responsabilité de nos institutions et de nos administrations ; de l’autre, nous avons aussi l’impérieuse nécessité de respecter les grands principes de notre droit, en particulier la présomption d’innocence, que nous devons à toute personne poursuivie.
Parce que je connais votre sensibilité légitime sur ce sujet, nous avons apporté, avec le concours du Conseil d’État et la contribution de l’Assemblée nationale, le plus grand soin à vous proposer un texte dans lequel l’affirmation des principes s’accompagne de garanties fortes et proportionnées à chacune des hypothèses que nous avions à traiter.
En effet, se contenter d’une information au stade de la condamnation définitive, comme le proposent les auteurs de certains amendements, reviendrait à priver les procureurs de toute capacité à informer les administrations d’un danger. Et à cela, je ne m’y résous pas !
Je ne souscris pas davantage au refus de principe d’une délivrance d’information laissée à l’appréciation des procureurs, en cours de procédure, voire en cas de garde à vue ou d’audition libre, dès lors qu’il existe des indices graves ou concordants d’une participation à des délits ou crimes très graves.
Si je ne partage pas le raisonnement adopté par la commission des lois, ce n’est pas par dogmatisme, car je suis, comme vous, très attachée au respect de la présomption d’innocence, mais c’est parce que nous avons, avec ce projet de loi, trouvé l’équilibre juste qui permet d’apporter aux personnes mises en cause des garanties et des protections fortes que je veux rappeler : une telle personne qui fera l’objet d’un signalement à son administration sera informée de cette transmission d’informations. Si celle-ci intervient très en amont, c’est-à-dire au stade de la garde à vue ou de l’audition libre, la personne pourra faire une déclaration, qui sera consignée dans un procès-verbal. Toute transmission s’effectuera par écrit.
Si la décision de justice conclut à l’absence de culpabilité, il faudra non seulement que l’autorité judiciaire transmette à l’employeur cette décision, mais aussi que la mention antérieure soit effacée du dossier de la personne concernée. Nous rappelons par ailleurs dans ce texte que l’obligation du secret professionnel s’applique à tout destinataire de ces informations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous n’avons pas voulu opposer dans ce texte la protection des mineurs et la présomption d’innocence. Nous n’avons pas voulu renoncer sur l’autel de l’efficacité institutionnelle aux principes essentiels et aux garanties dues aux personnes mises en cause, mais nous n’avons pas davantage voulu éviter cette confrontation des principes ou bien refuser de trancher, précisément parce que les professionnels, sur le terrain, nous demandent de prendre nos responsabilités et de leur apporter enfin un cadre juridique sécurisé.
Tel est le sens du projet de loi que nous avons préparé. Il représente une rupture majeure dans les relations entre l’autorité judiciaire et l’administration, mais il est respectueux de la Constitution. En effet, le Conseil d’État nous a assurés, au terme de son étude, que ce texte parvenait à préserver l’équilibre essentiel entre une protection des mineurs renforcée et le respect de la présomption d’innocence.
Voilà l’esprit du projet de loi que je défends et que je défendrai encore devant vous avec détermination lors de nos échanges. Je le ferai parce que les professionnels de terrain, mais aussi tous les acteurs que nous avons consultés, adhèrent très largement aux principes que nous avons retenus et sont déjà prêts à les mettre en œuvre.
La garde des sceaux et moi-même avons beaucoup travaillé pour créer les conditions d’un changement radical des pratiques dans nos deux institutions et mettre en œuvre l’intégralité des recommandations du rapport des inspections générales, afin que les liens aléatoires qui pouvaient exister entre nos services deviennent des procédures claires et sécurisées.
Dès le printemps 2015, nous avions réuni à la Sorbonne les procureurs généraux et les recteurs d’académie – ces deux corps se trouvaient rassemblés pour la première fois –, afin de leur rappeler la grande vigilance dont ils doivent faire preuve dans ces domaines. Nous les avions aussi chargés de travailler pour améliorer la fluidité des échanges d’information entre nos services.
À la rentrée dernière, nous avons installé des référents « éducation nationale » dans chaque parquet et des référents « justice » dans chaque rectorat. Nous avons, par circulaire commune du 16 septembre 2015, mis en place des procédures officielles et sécurisées d’échange d’informations. En fin d’année dernière, les référents de mon ministère ont été formés pendant trois jours avec l’appui de la Chancellerie, pour que chacun maîtrise ces nouvelles procédures et connaisse le cadre juridique dans lequel s’inscrit cette transmission d’informations, ainsi que les décisions que l’administration sera amenée à prendre, à titre conservatoire ou disciplinaire.
Avec le renfort de ce projet de loi, nous pourrions donc enfin construire ce que vingt-deux circulaires n’étaient pas parvenues à créer. Voilà notre ambition et voilà le défi que nous devons collectivement relever, avec votre soutien, je l’espère, mesdames, messieurs les sénateurs !
Ce texte est très attendu. Les administrations seront ainsi sécurisées, mais elles seront aussi pleinement responsabilisées, car nous avons tenu à ce que les garanties s’imposent non seulement au parquet avant qu’il transmette une information, mais aussi à l’administration détentrice d’une information communiquée par l’autorité judiciaire.
C’est pour cela que tous les destinataires de l’information au sein de l’administration seront soumis au secret professionnel. C’est pour cela aussi que toutes les transmissions devront se faire par écrit. C’est pour cela enfin que les informations figurant au dossier de l’agent devront être effacées lorsque l’enquête se sera conclue par une décision de non-culpabilité.
Je vous ai dit que nous souhaitions tirer toutes les conséquences du rapport des inspections générales. Celles-ci nous ont invités au débat que nous avons aujourd’hui ; mais elles nous ont aussi rappelé une situation préoccupante que je veux évoquer en citant ce rapport : « Rien ne permet d’affirmer, à ce jour, que toutes les condamnations concernant des agents en fonction dans des établissements scolaires ont bien été transmises à l’éducation nationale ; il ne peut, en conséquence, être exclu que des situations identiques à celles de l’Isère et de l’Ille-et-Vilaine se reproduisent ».
M. Pierre-Yves Collombat. Parce que l’administration ne fait pas son boulot !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Face à cette situation, le Gouvernement a pris ses responsabilités. Jusqu’alors, l’administration n’avait accès au bulletin n° 2 du casier judiciaire de ses fonctionnaires qu’au moment du recrutement. Nous avons donc, après avoir consulté le Conseil d’État et la CNIL, publié, le 31 décembre dernier, un décret qui nous permettra désormais d’avoir une vision précise du bulletin n° 2 du casier judiciaire de nos agents sur l’ensemble de leur carrière.
Enfin, j’ai pris mes responsabilités en faisant publier ce matin même au Journal officiel un arrêté qui définit cette procédure de contrôle pour les agents de mon ministère. Ce texte, pour lequel la CNIL a donné un avis favorable, est très important, car près de 850 000 agents de l’éducation nationale pourront ainsi voir leur casier contrôlé.
Cette procédure, je le dis clairement, est non pas un acte de défiance à l’égard des agents de mon administration, mais un engagement collectif pour que des dysfonctionnements majeurs tels que ceux que nous avons connus ne se reproduisent plus. J’ai évidemment consulté les organisations syndicales qui adhèrent à cette opération nécessaire.
Comme ma collègue Christiane Taubira, je suis déterminée à tenir les engagements que nous avons pris : l’engagement de ne plus laisser nos professionnels se débrouiller seuls avec un cadre flou et insécurisant ; l’engagement de ne plus seulement dénoncer les dysfonctionnements, mais d’agir résolument.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ignore pas que les drames qui sont survenus dans l’Isère au printemps dernier vous ont tout autant marqués que nous. Je sais que chacun d’entre vous a beaucoup réfléchi à ces questions et que votre rapporteur et votre commission vous proposent une solution assez différente de celle que nous vous avons présentée.
Vous aurez donc un choix à faire dans quelques instants et je vous engage sincèrement à suivre les propositions que je vous soumettrai lors de l’examen de ce texte. Vous feriez ainsi le choix d’une loi ambitieuse, qui pourrait être mise en œuvre immédiatement, comme l’ont souhaité unanimement vos collègues députés. Vous feriez aussi le choix d’une loi respectueuse de nos valeurs, attentive à préserver les équilibres, même lorsqu’il s’agit d’affaires extrêmement pénibles que nous aimerions ne plus revoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Haute Assemblée est de nouveau réunie pour débattre de la question des communications d’informations entre l’autorité judiciaire et l’administration. J’ai bien dit l’« autorité » judiciaire, car l’intitulé du texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale mentionnait l’« institution » judiciaire. La différence peut paraître anecdotique, mais elle a constitué pour nous un premier signal : une telle approximation dans le titre du projet de loi pouvait laisser à penser que son examen avait peut-être été insuffisant et que sa rédaction était perfectible.
Nos discussions s’inscrivent dans le prolongement des affaires dramatiques dites « de Villefontaine » et « d’Orgères » qui avaient malheureusement défrayé la chronique. L’été dernier, le Gouvernement avait donc déposé des amendements lors de l’examen d’un texte de transposition de directives européennes, amendements qui avaient été adoptés. Tout à fait logiquement, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, dans la mesure où elles n’avaient aucun lien avec le texte étudié. En l’espèce, il a laissé entendre qu’il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation.
Au Sénat, nous savons ce qu’est la vitesse, puisque, le 20 octobre dernier, la Haute Assemblée a, exactement sur le même sujet, discuté et adopté une proposition de loi très proche du texte qui nous est proposé aujourd’hui, déposée par notre collègue Catherine Troendlé, qui s’était d’ailleurs beaucoup investie. Malheureusement, de façon assez incompréhensible, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont refusé que la navette parlementaire se poursuive, ce que je déplore, alors que ce texte apportait une réponse aux attentes du Gouvernement, en dépit de quelques divergences de vues. La poursuite de la navette parlementaire nous aurait surtout permis de gagner du temps !
Le Gouvernement a donc décidé de ne pas s’intéresser au travail parlementaire, autrement que comme référence, de perdre du temps et de nous présenter aujourd’hui ce projet de loi qui revient sur des questions que nous avons déjà abordées à maintes reprises et qui, pour l’essentiel, recueillent un consensus.
Or, madame la ministre, je n’ai pas bien compris comment vous pourriez créer une divergence de vues artificielle entre le Sénat et vous-même, car nous sommes quasiment d’accord sur tout. Nous vous proposons même d’aller un peu plus loin en matière de contrôle judiciaire. Le seul point sur lequel nous ne transigerons pas est le respect des principes constitutionnels, en l’occurrence la présomption d’innocence.
L’article 1er du présent texte est le plus important, car il modifie de manière très substantielle le code de procédure pénale. Je dois dire que c’est un honneur de vous accueillir, madame la ministre de l’éducation nationale, à l’occasion de l’examen de ce texte, car votre avis nous aurait manqué.
Toutefois, nous aurions également aimé entendre Mme Taubira, garde des sceaux, s’exprimer devant nous sur ce sujet très important, d’autant plus que les modifications envisagées ont donné lieu à des appréciations très divergentes, non seulement au Sénat, mais également dans le monde de la magistrature – je veux parler de la Conférence nationale des procureurs généraux et la Conférence nationale des procureurs de la République. En effet, l’opinion de Mme le garde des sceaux ne nous a pas toujours paru très claire sur cette question et il aurait été intéressant de la confronter avec les hésitations de certains parlementaires présents cet après-midi dans notre hémicycle. Nous comprenons cependant qu’elle doive répondre à des obligations internationales et nous vous remercions, madame la ministre, d’être présente aujourd’hui.
L’article 1er crée un régime général de communication d’informations à l’administration. J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que les décisions susceptibles d’être transmises pourraient concerner une condamnation, même non définitive, la saisine d’une juridiction de jugement ou une mise en examen. Ce régime trouverait à s’appliquer à un large champ d’infractions qui ne se limite pas aux infractions sexuelles commises contre des mineurs. Il s’agit de la possibilité, pour le parquet, d’informer l’autorité administrative de tous les crimes ou délits punis d’une peine d’emprisonnement.
Ce régime général s’appliquerait non seulement aux administrations, mais aussi aux personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public – pour l’essentiel des associations –, ainsi qu’aux ordres professionnels.
Parallèlement est créé un régime d’information renforcé pour les infractions les plus graves, notamment contre des mineurs, commises par des personnes exerçant une activité supposant un contact habituel avec des mineurs. En vertu de ce régime, le ministère public serait tenu d’adresser à l’administration les décisions de condamnation et de placement sous contrôle judiciaire assorties de l’interdiction d’exercice d’une activité au contact habituel de mineurs. Pour ces mêmes infractions, le ministère public aurait également la possibilité d’informer l’administration ou l’employeur de la garde à vue ou de l’audition libre, lorsqu’il existerait des indices graves ou concordants… – je n’insiste pas davantage, puisque je m’adresse à des spécialistes des questions pénales.
Lors de son examen par les députés, le projet de loi n’a fait l’objet que de modifications rédactionnelles. Ce consensus assez étonnant a succédé à des débats très rapides. Je m’en étonne, car le sujet est loin d’être anecdotique. Lors des discussions des textes précédents, de nombreuses hésitations et divergences de vues avaient pu être constatées au sein des groupes politiques les plus nombreux.
Je veux le redire très clairement, au Sénat, personne ne conteste la nécessité d’assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles, en particulier dans le milieu scolaire, mais je veux redire aussi que, en tant que législateurs d’un État de droit, nous sommes tenus au respect absolu de notre ordre constitutionnel, dont fait partie intégrante le principe de la présomption d’innocence, qui suppose le respect du secret de l’instruction et de l’enquête.
Entre ces deux exigences contradictoires, le chemin est particulièrement étroit, mais j’ai le sentiment que le texte de la commission des lois, qui connaît ce sujet depuis des années, parvient mieux à les concilier que la version qui nous a été transmise par l’Assemblée nationale, et à laquelle semble tenir le Gouvernement.
Pour ce qui concerne la phase située après une reconnaissance de culpabilité, il n’y a aucune difficulté : la transmission systématique de l’information est bien sûr nécessaire et va de soi.
De même, comme nous l’avions prévu dans la proposition de loi votée au mois d’octobre, nous souhaitons que la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité auprès de mineurs soit, en cas d’infractions sexuelles en lien avec les mineurs, prononcée de manière plus systématique, dans le respect des prescriptions du Conseil constitutionnel sur l’individualisation des peines.
À cet égard, je dois dire, madame la ministre, que nous ne comprenons pas votre position : nous vous faisons une proposition qui est complètement dans l’esprit de ce que vous défendez, à savoir permettre qu’il y ait plus de décisions de justice assorties du contrôle judiciaire, et vous vous y opposez mordicus. Il s’agit là d’une contradiction que, je le répète, nous n’arrivons pas à comprendre. En tout cas, sur ce point, j’appelle le Sénat à reprendre la position qu’il avait retenue au mois d’octobre.
S’agissant de la transmission d’informations pénales sur des procédures en cours, la commission des lois a logiquement infléchi sa position. J’y insiste, cet infléchissement n’allait pas de soi et il a suscité un débat très approfondi, bon nombre de membres de la commission demeurant résolument hostiles à toute idée d’une communication avant condamnation. Telle n’est pas la thèse que je défends en cet instant, mais il faut savoir qu’elle est soutenue par certains parlementaires.
Si nous avons accepté, au regard de l’avis du Conseil d’État, le principe d’une information en cas de mise en examen ou de renvoi devant une juridiction de jugement, nous y avons posé deux conditions : d’une part, une telle information doit demeurer facultative, car il faut faire confiance aux magistrats, et, d’autre part, elle doit s’accompagner de garanties réelles, avec un minimum de contradictoire, ce qui permettra à la personne mise en cause simplement de faire connaître sa position.
Pour le reste, nous nous en sommes tenus à notre position constante, c’est-à-dire le refus d’autoriser l’information de l’administration dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre. Une telle information porterait en effet une atteinte tout à fait excessive à la présomption d’innocence. Je précise, puisque vous avez cité les magistrats tout à l’heure, madame la ministre, que la Conférence nationale des procureurs généraux et la Conférence nationale des procureurs de la République y sont tout à fait défavorables.
De plus, j’ai conscience de m’exprimer devant bon nombre d’élus locaux, qui ont tous compris qu’il s’agissait d’un transfert de responsabilité du juge vers l’employeur, souvent le maire – certains d’entre nous sont actuellement confrontés à ce type de sujet –, or nous ne souhaitons pas que ce transfert se fasse sans un minimum de garanties. En effet, ce dispositif peut avoir des conséquences importantes sur la vie des administrations, les relations avec les syndicats, et entraîner des recours en tout genre auprès des juridictions administratives.
La commission a, dans le même esprit, exclu certaines infractions du régime de transmission obligatoire. Je ne développe pas ce point, qui fait l’objet d’un consensus.
En tout état de cause, l’efficacité de ces mesures se heurtera nécessairement aux moyens dont disposent actuellement les parquets. Souvenons-nous que M. Nadal, au mois de novembre 2013, pointait la lourde charge de travail des magistrats des parquets et des greffes « qui ne peuvent plus répondre à l’ensemble de leurs missions ».
À cette inadaptation des effectifs du parquet s’ajoute celle des moyens informatiques, avec les dysfonctionnements du logiciel Cassiopée, que tous les spécialistes connaissent.
Mes chers collègues, aujourd’hui, les parquets ne disposent pas d’outils d’alerte informatiques leur permettant de remplir la mission que vise à leur confier ce projet de loi, et l’étude d’impact précise que lesdits moyens informatiques ne seront pas déployés avant l’échéance du premier trimestre 2017. Ainsi, on comprend mal que le Gouvernement nous oppose l’urgence, même si nous partageons ce sentiment, tout en avouant que les moyens n’y sont pas actuellement.
Par ailleurs, je m’étonne que le Gouvernement évalue à quinze minutes le temps nécessaire à un magistrat du parquet pour décider de transmettre ou non l’information. Ce n’est franchement pas sérieux ! (Mme Catherine Troendlé manifeste son accord.) Si Mme Taubira avait été présente, je pense qu’elle en serait convenue diplomatiquement.
Au total, nous sommes un peu dubitatifs, et vous comprendrez, madame la ministre, que nous ayons apporté des modifications qui sont, de votre point de vue, très significatives, mais qui, à notre sens, respectent l’esprit du texte. C’est aussi une façon pour nous de rappeler que le texte que nous avions déposé était assez conforme au vôtre.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter le projet de loi ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)