Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, effectivement, les agressions sexuelles n’ont jamais été virtuelles et elles ne sont pas apparues récemment. Simplement, pendant très longtemps, elles n’ont pas été connues ni poursuivies ; pis, elles étaient parfois même tolérées.
Les agressions sexuelles à l’égard des mineurs, qu’elles se produisent dans le cercle familial ou dans le milieu scolaire, sont intolérables et doivent être réprimées. Elles sont souvent dues à des comportements pulsionnels que certaines personnes ne savent pas maîtriser et que nous devons savoir freiner en temps utile.
En 2015, à Villefontaine et à Orgères, sont survenus des faits que tout le monde connaît désormais. À chaque fois, il s’agissait de personnes qui avaient déjà été condamnées en 2006 et 2008 ; s'agissant de l'affaire d'Orgères, le prévenu avait en plus fait l’objet de poursuites en 2011. À cet égard, Mme la ministre, je vous sais gré de ne pas avoir fait de politique politicienne en renvoyant la responsabilité de ces affaires sur les personnes alors au pouvoir. Là n’est pas le sujet.
Comme vous l’avez dit et reconnu, il est exact aussi que vingt-deux circulaires de ministres de la justice successifs n’ont pas réussi à aboutir à un résultat. Espérons que nous ferons mieux, mais il faut bien reconnaître que ces questions, au-delà de la loi, restent complexes.
À la suite des affaires que j’ai évoquées, vous avez su, avec Mme la garde des sceaux, réagir très rapidement en mettant en place une mission conjointe à vos deux administrations. Celle-ci a remis, avant l’été 2015, un rapport comprenant quinze préconisations, dont neuf de nature technique et réglementaire, que vous avez très vite reprises dans une circulaire conjointe du 16 septembre 2015 généralisant les référents « justice » et les référents « éducation nationale », dont vous avez parlé.
Par ailleurs, la mission préconisait six mesures d’ordre législatif qui doivent permettre aux procureurs, et parfois même les obliger, à donner des informations à des administrations ou à des organismes employant ces personnes condamnées ou soupçonnées, de manière à prévenir des infractions.
Madame la ministre, à partir du constat que des infractions sexuelles sur des mineurs avaient pu être commises par des personnes ayant été condamnées préalablement pour détention d’images pédopornographiques, vous avez toutefois souhaité aller plus loin avec ce texte et prévoir une information générale à l’égard de toute administration pour des infractions commises.
Cette volonté pose des problèmes de principe, et, vous avez raison, monsieur le rapporteur, le Sénat ne doit pas être timoré sur ce sujet, mais il doit surtout être sage et garant des principes fondamentaux.
Ainsi, nous devons absolument respecter la présomption d’innocence, que rappellent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, même si elle est mise à mal quotidiennement par la presse. Il est exact qu’un enseignant mis en garde à vue peut fort bien faire l’objet d’une dénonciation par voie de presse. Est-ce pour autant un comportement que l’autorité peut se permettre ? C’est un autre sujet, mais, en même temps, nous devons tenir compte de ce contexte médiatique qui s’impose à nous.
Lorsque la personne a été condamnée, il n’y a pas de difficulté, puisque la condamnation est le fruit d’un jugement en audience publique, donc par définition connu. Partant, celui-ci peut être naturellement communiqué.
Lorsque la personne condamnée en première instance fait appel et que les voies de recours ne sont pas épuisées, nous sommes dans la même situation, dans la mesure où une condamnation a été rendue publique, même si les voies de recours ouvertes rendent possible une relaxe de l’intéressé.
Dans ces deux cas, l’information est légitime et ne pose pas de problème. Elle doit simplement être organisée. À ce sujet, j’espère que votre circulaire, avec la mise en place des référents « justice », la sensibilisation des procureurs et des magistrats, la fourniture de moyens, notamment informatiques, y parviendront.
La situation devient un peu plus compliquée lorsque la personne concernée fait l’objet de mesures d’investigation, mais n’est pas encore condamnée.
S’il s’agit d’une mise examen, le juge d’instruction saisi peut ordonner une mise sous contrôle judiciaire, ce qui lui permet de prendre éventuellement un certain nombre de précautions, notamment l’interdiction de fréquenter l’établissement scolaire ou de fréquenter des enfants.
Cependant, il faut savoir que, dans nombre de cas, notamment dans les poursuites engagées pour consultation de sites internet ou détention de vidéos pédopornographiques, la condamnation intervient après une citation directe en correctionnelle plutôt qu’après une procédure, par nature lourde, menée par un juge d’instruction.
Le contrôle judiciaire n’étant donc pas possible, la solution est alors la communication par le procureur de la République, à laquelle il peut procéder, aussi bien pour un mineur que pour un majeur, à condition, comme le précise le Conseil d’État, de préserver un juste équilibre entre les droits ou intérêts légitimes de la personne et les impératifs de protection d’autres droits ou intérêts de même valeur.
C’est bien cette question de la balance, sur laquelle la justice se penche en permanence, qu’il nous faut avoir à l’esprit en examinant ce texte. Ce n’est pas simple et, pourtant, madame la ministre, je crois que vous avez trouvé, avec l’Assemblée nationale, des solutions qui sont différentes et qui vont bien plus loin que celles que prévoit la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé et que le Sénat a votée en octobre.
Dans la phase préparatoire de ce texte, le Conseil d’État vous a donné les pistes nécessaires, qui nous paraissent pour l’essentiel satisfaisantes, même si nous aurons l’occasion d’aborder, au détour d’amendements, quelques soucis techniques et de modes de fonctionnement, le sujet étant complexe. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez raison, il faut se poser la question des moyens des procureurs.
En revanche, au groupe socialiste et républicain, nous sommes convaincus que nous irions trop loin dans le non-respect de la présomption d’innocence en autorisant le procureur à informer à l’issue de la garde à vue ou d’une audition. D’ailleurs, le Conseil d’État relève qu’« il s’agit du seul cas pour lequel l’information communiquée par le parquet serait susceptible de ne pas être suivie de la saisine d’une juridiction et ainsi la procédure pourrait se clore par une décision du ministère public » prononçant un classement sans suite. Or, nous le savons, les mises en examen sont publiquement connues, à la différence des ordonnances de non-lieu ; une poursuite est connue, mais je ne suis pas sûr que le classement sans suite le soit. Et les dommages occasionnés à la personne peuvent être extrêmement importants !
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Jacques Bigot. Le Conseil d’État relève également l’hypothèse dans laquelle le ministère public dispose d’indices suffisamment graves et concordants pour une mise en examen. Dans ce cas, soit le procureur saisit un juge d’instruction, soit le ministère public considère qu’il a tous les éléments pour poursuivre et il procède alors à une citation directe, voire à une comparution immédiate. La procédure prévue par le présent texte peut alors être suivie, dans le respect à la fois de la présomption d’innocence et des droits de la défense.
Monsieur le rapporteur, vous avez raison de ne pas parler d’« institution judiciaire », mais si vous respectez l’autorité judiciaire, comme le groupe socialiste et républicain, alors laissez-lui la liberté d’agir,…
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Jacques Bigot. … et ne retenez pas, comme vous l’aviez fait lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Troendlé, le principe des peines automatiques.
L’autorité judiciaire peut prononcer des interdictions d’exercer, mais n’est pas obligée de le faire. Elle peut déterminer des obligations dans le cadre d’un contrôle judiciaire, lesquelles obligations sont renforcées par le texte. On ne peut pas la contraindre à le faire, ce qui nous donne le sentiment de mesures qui relèvent plus de l’affichage que de la nécessité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise clairement à renforcer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités ou professions qui impliquent un contact habituel avec des mineurs. Pour ce faire, le texte encadre juridiquement la transmission d’informations entre les autorités judiciaires et administratives. Sont alors concernés les enseignants, les agents des trois fonctions publiques, les contractuels employés par la fonction publique, mais aussi les professionnels ou bénévoles relevant d’une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public.
Cet encadrement juridique est tout à fait légitime et bienvenu, car les pratiques d’information ne reposaient jusqu’alors que sur des circulaires ministérielles dont la validité juridique, au regard des dispositions de l’article 34 de la Constitution, pouvait être sujette à caution.
L’enjeu est également fondamental, puisqu’il s’agit de la protection de nos enfants, qui ne doivent plus être les victimes de dysfonctionnements dans le circuit de transmission des informations entre les juridictions et les administrations chargées de les accueillir. Nous avons tous en mémoire les sordides affaires de Villefontaine et d’Orgères et souhaitons, sur toutes les travées de cet hémicycle, que de tels événements ne puissent plus jamais se produire !
La nécessité de légiférer en la matière fait également consensus au sein du Parlement, qui a déjà évoqué cette question à plusieurs reprises au cours des derniers mois. Ce fut d’abord le cas l’été dernier lors de l’examen des amendements proposés par le Gouvernement au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne – dispositions finalement invalidées par le Conseil constitutionnel. Ce fut le cas plus récemment lors de l’examen par le Sénat de la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est donc, à tous égards, nécessaire, et il est urgent que certaines des dispositions qu’il contient entrent en vigueur.
Toutefois, il est capital, en matière de protection des mineurs, comme en matière de lutte contre le terrorisme, d’ailleurs, de toujours garder en tête que la défense des droits fondamentaux doit être notre seul guide en ces temps troublés.
La question qui se pose finalement à nous aujourd’hui est de savoir si ce projet de loi atteint le délicat équilibre entre l’impératif de protection des mineurs et l’indispensable respect du principe constitutionnel de présomption d’innocence.
Face au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, la réponse était positive, particulièrement après la suppression par la commission des lois sénatoriale de la possibilité d’informer l’administration en cas de garde à vue ou de simple audition libre. Cette disposition nous semblait tout à fait excessive et contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de présomption d’innocence.
Toutefois, la commission des lois ne s’est pas contentée de ce texte relativement équilibré et a souhaité introduire deux dispositions supplémentaires, issues de la proposition de loi de Mme Troendlé.
Ces dispositions mettent en place, d’une part, l’automaticité de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité impliquant un contact habituel avec les mineurs pour les personnes condamnées pour infraction sexuelle contre mineur ; d’autre part, l’automaticité du placement sous contrôle judiciaire, assorti de l’interdiction d’exercice d’une activité au contact de mineurs en cas de mise en examen pour une ou plusieurs infractions entrant dans le champ du régime obligatoire d’information.
Les membres du groupe écologiste considèrent que ces dispositions constituent une certaine défiance à l’endroit des magistrats et qu’elles sont contraires au principe de l’individualisation de la peine. Nous ne pouvons donc les accepter et avons déposé des amendements de suppression.
En fin de compte et bien que le texte soit globalement positif, le groupe écologiste déterminera son vote en fonction du sort réservé à ses amendements.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon groupe a une tradition, l’inlassable défense des libertés publiques et des libertés individuelles. Nous ne sommes pas les seuls, mais nous n’avons jamais manqué à cette tradition, quels que soient les gouvernements.
J’ai souvenance d’avoir bataillé, il y a quelques années, avec mes collègues du groupe socialiste contre ce qu’on appelait les « lois médiatiques » des gouvernements Fillon. Les gouvernements changent, les méthodes restent les mêmes !
Madame la ministre, je ne sais pas si je dois vous dire « pas vous, pas ça ». Ce que je sais, c’est que, contrairement à ce que vous nous avez indiqué tout à l’heure, vous nous présentez non un texte d’équilibre, mais un texte de rupture. Je le dis parce qu’il y a une hiérarchie dans les principes et parce qu’il est des principes sur lesquels on ne peut ni tergiverser ni faire de compromis.
Tous les membres de cette assemblée sont attachés à ce que la protection des enfants soit assurée. Pour autant, ce n’est pas parce qu’il existe des failles dans l’administration qu’il est justifié de déposer un texte mettant à bas la présomption d’innocence – c’est en effet de cela qu’il s’agit !
Notre position est simple et l’objet de notre amendement est de rendre l’information obligatoire, systématique lorsqu’il y a une condamnation définitive. Cela me paraît un principe protecteur par rapport aux enfants.
Ensuite, soyons réalistes et raisonnables. S’il y a des faits graves, l’autorité judiciaire, qui s’est d'ailleurs exprimée sur ce texte, dispose d’une panoplie de mesures adaptées – le contrôle judiciaire, la comparution immédiate et toute une série de mesures qui ont d’ailleurs été rappelées afin de protéger les victimes potentielles ou celles qui ont déjà subi un ou plusieurs actes.
Il arrive que des procédures s’étalent dans le temps. Lorsqu’elles aboutissent à une condamnation définitive, nous considérons que l’information doit être systématique et obligatoire. Tel est l’objet de notre amendement. Je le dis d’emblée, s’il n’est pas adopté, aucun des membres de mon groupe ne votera le présent texte. Soit ils voteront contre, soit ils s’abstiendront.
Au nom des principes sur lesquels nous ne pouvons transiger, je remercie M. Zocchetto des efforts qu’il a faits pour que la rédaction issue des travaux de la commission soit nettement améliorée par rapport au projet de loi du Gouvernement.
Le texte de la commission autorise quand même la transmission, puisqu’il dispose : « Le ministère public peut informer ». Cela signifie que la situation changera en fonction des magistrats du parquet. Certains choisiront d’informer systématiquement l’administration, d’autres ne le feront pas. On ne peut pas dire que ce soit un système judicieux !
Le texte de la commission autorise l’information de l’administration lorsqu’il y a condamnation, même non définitive, lorsqu’il y a une simple saisine d’une juridiction de jugement par le procureur de la République ou par le juge d’instruction et lorsqu’il y a une simple mise en examen. Je remercie le rapporteur de nous avoir évité la garde à vue et un certain nombre de dispositions semblables. Évidemment, tout cela est attentatoire – complètement attentatoire ! – au principe de la présomption d’innocence.
Et il y a encore d’autres textes. La décision du Conseil constitutionnel du 17 décembre 2010 sur une question prioritaire de constitutionnalité visait la possibilité pour l’autorité judiciaire de prendre des mesures restrictives des libertés avant qu’il y ait condamnation. Rappelée dans le rapport de M. Zocchetto, elle est tout à fait normale. Le Conseil constitutionnel n’est pas allé au-delà.
Il n’en est pas moins clair qu’on ne peut pas fouler aux pieds l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen relatif à la présomption d’innocence au motif que des professionnels se plaignent, entre autres, que, sur le terrain, leur travail est rendu plus difficile !
Surtout, je le redis après avoir eu l’occasion de le rappeler dans cet hémicycle en séance publique il n’y a pas longtemps, tant que, dans ce pays, on réagira et surréagira aux programmes diffusés en continu par les chaînes d’information telles BFM TV ou iTELE, tant que l’on considérera qu’il faut faire un projet de loi chaque fois que ces médias en « remettent une louche », on n’ira pas dans le bon sens ! Nous l’avions dit sous les gouvernements dirigés par François Fillon, nous le redisons aujourd'hui, parce que, pour nous, ce n’est pas acceptable ! On ne peut pas transiger sur ce point ! Si vous ouvrez cette brèche sur la présomption d’innocence, il n’y a ni barrage ni protection !
Oui, il faut protéger davantage les enfants. S’agissant de l’administration, vous avez pris beaucoup de circulaires, et c’est très bien. Il faut que l’information circule pour ne plus voir les errements qui ont conduit aux drames qui ont été rappelés.
Concernant les principes que j’ai évoqués, je doute que les juridictions européennes considèrent ce texte comme une avancée. Le projet de loi tel qu’il nous a été transmis par le Gouvernement n’est pas acceptable pour nous. Bien que la commission des lois l’ait amélioré, si le Sénat ne limite pas l’information de l’administration à la condamnation définitive, aucun des membres de mon groupe ne pourra le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne reviendrai par sur les tragiques événements qui se sont produits dans l’Isère et en Ille-et-Vilaine. Je sais que vous les avez tous en tête, ne serait-ce que parce nous avons déjà débattu de ce sujet à deux reprises dans cet hémicycle : d’abord, l’été dernier, lors de l’examen de l’amendement du Gouvernement au projet de loi relatif à l’adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « projet de loi DDADUE », dispositions qui ont finalement été retoquées par le Conseil constitutionnel, le 13 août dernier, dans sa décision n° 2015-719 DC ; ensuite, le 20 octobre dernier, lors de l’examen et de l’adoption de ma proposition de loi relative à la protection des mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles. Aujourd’hui enfin, nous traitons de nouveau, pour la troisième fois, du même sujet, à l’occasion de la discussion d’un texte gouvernemental !
J’aimerais simplement vous rappeler que le but que nous partageons tous est celui de protéger les enfants de prédateurs qui ne devraient pas être au contact de jeunes publics.
Ce but n’est pas antinomique, bien au contraire, avec le soutien que je souhaite apporter aux professionnels concernés, notamment de l’éducation, ainsi qu’à tous les bénévoles qui œuvrent au contact des enfants. Je désire leur rendre ici hommage. En effet, il s’agit de très belles vocations qui agissent au profit des plus jeunes et forment les futurs esprits de demain. Aussi, je pense nécessaire de préciser qu’aucun des textes dont nous traitons sur ce sujet ne saurait jeter l’opprobre sur ces professionnels et ces bénévoles, qui comptent parmi les plus méritants.
Cela dit, il faut se rendre à l’évidence suivante : malgré le constat d’une parole heureusement de plus en plus libérée dans notre société sur ces agissements criminels, au sein que ce soit de l’administration ou des familles, et malgré des dispositions du code pénal et du code de l’action sociale et des familles qui encadrent de plus en plus précisément le risque pédophile, la répression de celui-ci et le suivi des personnes incriminées nous conduisent à dresser un bilan dramatique. Je ne dispose pas des chiffres de 2015, madame la ministre, mais seize révocations d’enseignants sont encore intervenues en 2014 dans ce cadre !
Où se situent les dysfonctionnements ? Ils se trouvent dans le non-respect non seulement de l’application de la circulaire du 26 août 1997 portant instruction concernant les violences sexuelles qui détermine la ligne de conduite à suivre au sein du ministère de l’éducation nationale, mais également de la dépêche du 29 novembre 2001 relative à l’avis à donner aux administrations à l’occasion des poursuites pénales exercées contre des fonctionnaires et agents publics.
Par conséquent, il apparaît que c’est au stade de la condamnation qu’une faiblesse de notre droit demeure, laquelle a pu conduire aux récents dysfonctionnements. L’interdiction d’exercer toute profession au contact d’enfants pour des personnes concernées par ce type de crime ou de délit est considérée comme une peine complémentaire laissée à la libre appréciation du juge. Temporaire ou définitive, l’interdiction peut être décidée par le juge en complément d’une peine principale.
À cet égard, j’aimerais remercier vivement notre excellent rapporteur, François Zocchetto, de son travail, de son écoute, mais aussi de sa détermination à rendre efficace le présent projet de loi. Celui-ci a permis de reconnaître le travail qui a été réalisé par les députés et les sénateurs, notamment à partir de la proposition de loi du député Claude de Ganay examinée le 3 décembre dernier à l’Assemblée nationale, et de la proposition de loi que j’ai moi-même déposée et qui a été examinée dans notre enceinte le 20 octobre dernier, sans pour autant méconnaître les travaux de notre collègue sénatrice Sylvie Goy-Chavent et du député Pierre Lellouche.
Ces différents travaux rendent complet, à mon sens, le texte issu de la commission des lois sous l’égide de notre rapporteur, texte qui tient compte de tous les débats et de toutes les questions qui ont pu être mises en évidence sur le sujet. Il répond à la situation que nous connaissons et devrait, je l’espère, protéger nos jeunes d’éventuels prédateurs.
À titre personnel, je tiens à préciser que je suis opposée à la transmission d’informations dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre que vous préconisez, madame la ministre. Cela serait contraire au principe de la présomption d’innocence et pourrait jeter le discrédit sur des personnes innocentes. De plus, nous savons tous que des dérives pourraient avoir lieu dans un tel cas de figure, ces informations étant transmises trop tôt.
C’est pourquoi je soutiens plus particulièrement la disposition présentée par M. le rapporteur et adoptée en commission des lois qui prévoit une communication certes antérieure à la condamnation, mais au seul moment de la mise en examen et du renvoi devant une juridiction de jugement, tout en renforçant les garanties et les droits de la défense pour la personne mise en cause.
Madame la ministre, le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale était imparfait : je m’étonne, en vérité, que vous n’ayez nullement tenu compte des débats auxquels Mme la garde des sceaux a assisté au Sénat : ma proposition de loi, je me permets de le rappeler, avait alors été adoptée, la majorité présidentielle s’étant largement abstenue.
Mme Taubira m’avait fait part de son adhésion à ce texte, sous réserve, je le reconnais, d’une réticence, qui portait uniquement sur le fait que le texte n’avait pas été soumis pour avis au Conseil d’État. Avec M. le rapporteur, François Zocchetto, le président de la commission des lois et mes collègues commissaires, nous avions proposé un texte qui se voulait le plus protecteur possible, mais également respectueux du principe fondamental de la présomption d’innocence. Il abordait largement les différentes situations possibles et, je l’affirme haut et fort, il répondait non pas à une émotion, mais à un constat : celui de l’inefficacité des dispositifs existants.
Madame la ministre, vous n’êtes sans doute pas étonnée que le Sénat, dans sa grande sagesse et dans sa constance, propose ce jour un texte amendé de façon qu’il corresponde au mieux au travail de fond déjà réalisé par le Sénat sur ce sujet de la plus haute importance.
J’en appelle au respect de ce travail et au respect du débat législatif qui s’est déroulé à l’automne dernier.
Je forme le vœu que ce texte dorénavant équilibré soit rapidement adopté et mis en application, pour le bien de tous, en particulier des plus jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà saisis, pour la troisième fois en sept mois, des questions de la transmission de l’information à l’administration par les parquets et de la protection des mineurs.
Après que le Conseil constitutionnel a censuré pour des raisons de procédure, le 13 août dernier, des dispositions similaires de la loi DDADUE et après l’adoption par le Sénat, au mois d’octobre, de la proposition de loi relative à la protection des mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles, le présent texte porte sur les mêmes sujets.
Si nous avions souligné, lors de l’examen de cette proposition de loi, l’opportunisme politique de la droite sur de telles questions, alors que le Gouvernement soumettait au même moment son texte au Conseil d’État, nous regrettons en revanche aujourd’hui la méthode employée par le Gouvernement, méthode un tant soit peu irrespectueuse de l’initiative parlementaire et des travaux du Sénat.
Sur le fond, ce projet de loi organise la possibilité pour les parquets de communiquer à l’administration certaines décisions prises par l’autorité judiciaire, qu’il s’agisse d’une condamnation ou de l’existence de poursuites pénales.
Aux termes de deux articles qu’il est proposé d’introduire dans le code de procédure pénale – l’article 11-2 et l’article 706-47-4 –, sont institués à la fois un régime général, applicable à toutes les personnes exerçant des activités soumises à contrôle mises en cause pour des infractions de tous types, et un régime particulier pour les personnes en contact avec les mineurs qui se voient mises en cause pour certaines infractions.
Il y a à l’évidence urgence à améliorer notre système de transmission d’informations pénales, au vu des pratiques disparates des parquets en la matière et des actuelles incertitudes juridiques entourant cette problématique.
Il y a aussi besoin d’améliorer la diffusion de ces informations dans l’ensemble de nos administrations, d’autant plus que le rapport d’étape conjoint de l’Inspection générale des services judiciaires et de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche a estimé qu’il ne pouvait en l’état « être exclu que des situations identiques à celles de l’Isère et de l’Ille-et-Vilaine se reproduisent. »
Néanmoins, la question de la transmission de l’information se pose en des termes différents selon que la communication porte sur des condamnations – aucun problème alors quant à la transmission, qui doit être rapide et systématique – ou sur des éléments d’une procédure en cours.
À cet égard, la commission des lois, par l’intermédiaire de son rapporteur, François Zocchetto, dont je salue le travail, a rendu le texte plus acceptable, notamment en supprimant la possibilité de la transmission d’informations à l’issue d’une garde à vue ou d’une audition libre, dispositions que le Gouvernement – nous y reviendrons – souhaite rétablir par voie d’amendement. Or cette transmission, si elle est effectuée à un stade trop précoce et dans un cadre procédural non contradictoire, ne permettrait effectivement pas à la personne mise en cause de bénéficier des droits de la défense.
Toutefois, dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois, cette transmission reste possible en cours de procédure, en cas de mise en examen ou de renvoi devant une juridiction, c’est-à-dire avant que la condamnation ne soit définitive. Selon nous, et comme le rappelait à l’instant Jacques Mézard, cette dernière modalité de transmission porte gravement atteinte au principe constitutionnel de présomption d’innocence.
Comme le soulignait justement Alain Anziani en commission, ce projet de loi invente une nouvelle catégorie juridique : désormais, une personne interpellée reste présumée innocente, mais son employeur est alerté par le parquet de sa possible culpabilité. La présomption d’innocence deviendrait dès lors proportionnelle au retentissement médiatique de la mise en accusation dans de telles affaires.
Quoi qu’il en soit, et tout particulièrement dans la période actuelle, nous ne pouvons transiger sur les principes et les droits fondamentaux. Rappelons que la présomption d’innocence, qui figure à l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans notre code pénal et dans notre code civil, consiste en ce que nul ne peut être déclaré coupable sans qu’un procès public l’ait établi.
De plus, face au manque flagrant de moyens du parquet, force est de constater la portée infime d’un tel projet de loi, qui revêt davantage le caractère d’un texte d’affichage.
Le principe d’un régime général de transmission d’informations, sous certaines garanties, se heurte nécessairement à l’état de fonctionnement des parquets, qui ne peuvent plus répondre à l’ensemble de leurs missions, lesquelles n’ont par ailleurs cessé d’augmenter en matière civile comme en matière pénale, ainsi que le rappelle le rapport remis par Jean-Louis Nadal au mois de novembre 2013. Ce qui nous conduit à douter de l’efficacité d’un tel dispositif.
Et, comme le souligne la Conférence nationale des procureurs de la République sollicitée par le rapporteur, « les juridictions ne disposent à ce jour d’aucun outil informatisé d’alerte permettant de remplir les nouvelles missions imposées par le texte ». Cela importera d’autant plus s’il faut mettre en œuvre les nouvelles dispositions législatives alors même que des milliers de procédures concernées sont en cours.
De plus, le rapport des inspections générales concernées est clair : ce sont essentiellement des problèmes techniques et organisationnels qui font obstacle à la transmission d’informations, tels une insuffisance de moyens informatiques, le manque d’interlocuteurs bien identifiés et assumant des responsabilités claires au sein des rectorats, l’absence de dispositif d’alerte structuré.
Tous ces dysfonctionnements ne seront résolus que par une nécessaire réorganisation des services judiciaires et de l’éducation nationale et non par une loi. À charge, bien sûr, pour le Gouvernement de s’emparer des neuf recommandations de nature technique et organisationnelle formulées par les inspections générales concernées. C’est, semble-t-il, ce qu’il a commencé à faire par voie réglementaire.
Face à une problématique de cette gravité, et afin de protéger efficacement nos mineurs de personnes effectivement dangereuses pour eux, il nous paraît essentiel de réfléchir calmement aux réelles dispositions qui doivent être mises en place, en dehors de l’effervescence et de la confusion qui entourent ce projet de loi et qui dénotent l’émotion et l’affichage médiatique latents.
En outre, au regard de l’atteinte inadmissible portée au principe de présomption d’innocence et du manque de moyens nécessaires pour mener à bien tout projet de réorganisation des services judiciaires et de l’éducation nationale, nous ne pourrons voter en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)