PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique
Discussion générale (suite)

Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique (proposition n° 656 [2014-2015], texte de la commission n° 69, rapport n° 68).

Dans la discussion générale, la parole est à M. André Gattolin, auteur de la proposition de loi.

M. André Gattolin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les amateurs de fromage de notre assemblée le savent : le tout premier écran publicitaire fut diffusé à la télévision française, alors monopole d’État, le 1er octobre 1968. Son impact sur l’imaginaire collectif fut phénoménal. Ainsi, il me suffit de dire : « Du pain, du vin, du… » pour que chacun soit en mesure d’énoncer spontanément la suite. (Sourires.)

Depuis, la télévision, et avec elle la publicité, sont entrées dans l’intimité de la quasi-totalité des foyers français. À ce jour, près de 97 % des ménages possèdent au moins un téléviseur. En dépit de l’apparition d’internet et des nouveaux médias, nos enfants regardent encore la télévision plus de deux heures par jour. Ce chiffre a peu évolué depuis les années quatre-vingt et nos enfants sont de plus en plus souvent seuls devant le petit écran : c’est le cas de 40 % d’entre eux, selon la dernière enquête budget-temps de l’INSEE, l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Certes, la publicité a permis à notre système médiatique de se diversifier, mais elle a aussi créé de toutes pièces de nouvelles cibles marketing, comme les marchés « enfants » et « préadolescents », dont le chiffre d’affaires est évalué à 40 milliards d’euros en France.

À ce titre, les enfants sont appréhendés par les publicitaires comme prescripteurs d’achats au sein de la famille. Cela se voit plus particulièrement durant la période qui précède Noël : 60 % des investissements publicitaires dans les programmes destinés à la jeunesse s’effectuent du mois d’octobre au mois de décembre.

Les effets néfastes de cette surexposition publicitaire sont aujourd’hui confirmés par les études conduites en matière de santé publique, de désagrégation du lien social et de surconsommation.

En effet, pour les plus jeunes téléspectateurs, il est impossible de distinguer les contenus publicitaires des autres contenus diffusés par les chaînes.

Les procédés utilisés, comme la stratégie marketing dite « de la rareté », frustrent les enfants afin de créer un désir de consommation compulsive, nuisent à l’autorité parentale et créent de fortes tensions familiales.

La publicité pour les enfants contribue également à la création de stéréotypes dangereux. Comme l’a constaté notre collègue Chantal Jouanno dans un rapport publié en 2012, certaines annonces hyper-sexualisent de très jeunes filles à des fins mercantiles, contrevenant ainsi au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Or le cadre législatif et réglementaire actuel est insuffisant – pour ne pas dire quasiment inexistant – pour garantir une véritable protection de la jeunesse contre les effets néfastes de la surexposition publicitaire.

La proposition de loi que nous examinons ce soir a déjà une longue histoire. Elle s’inspire d’un texte déposé en 2010 par notre ancien collègue Jacques Muller, que je m’étais permis de simplifier avant de le déposer de nouveau devant notre assemblée au mois de mai 2013. Alors qu’il était initialement prévu qu’il soit discuté en séance publique au printemps dernier, j’ai finalement jugé préférable d’attendre la fin des travaux de la mission d’information sur le financement de l’audiovisuel public pour l’inscrire à l’ordre du jour, afin que son examen n’interfère pas avec la présentation, le mois dernier, des conclusions de la mission.

Avant d’entrer dans le détail du contenu de cette proposition de loi, je voudrais remercier la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, notamment sa présidente, Catherine Morin-Desailly, et la rapporteur du texte, Corinne Bouchoux. Tout en conservant l’esprit du dispositif initial, la commission l’a clarifié en adoptant plusieurs amendements.

Elle a tout d’abord privilégié l’inscription dans la loi du principe d’une régulation souple par le CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, en lieu et place d’un dispositif réglementaire. La commission n’a pas jugé réaliste de trop contraindre les règles publicitaires applicables aux programmes destinés à la jeunesse sur les chaînes privées, contrairement à ce que prévoyait le texte initial. En effet, une telle disposition aurait été financièrement préjudiciable à la vingtaine de chaînes dédiées à la jeunesse actives en France, qui tirent principalement, voire pour certaines exclusivement, leurs ressources de la publicité.

Ces choix limitent évidemment la portée de notre proposition de loi, mais ils témoignent aussi d’un souci réel de ne pas déstabiliser l’ensemble d’un secteur économique assez dynamique. Nous acceptons ainsi de laisser une chance à l’autorégulation et à la prise de conscience des acteurs.

Chaque année, le CSA devra donc rendre compte devant le Parlement de ses travaux sur la publicité télévisuelle dans les programmes pour enfants des chaînes publiques et privées. Sur le fondement de ses observations, il sera toujours possible, dans un second temps, d’envisager l’élaboration d’un cadre normatif plus contraignant si nécessaire.

Le cœur de la proposition de loi est l’article 2, qui prévoit la suppression de la publicité commerciale dans les programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans, durant les quinze minutes qui les précèdent et les quinze minutes qui les suivent. Cette disposition s’applique également aux sites internet de la télévision publique.

Les publicités génériques, par exemple pour le lait ou pour des fruits, ainsi que les campagnes d’intérêt général, ne sont pas visées par cette interdiction.

Je veux aussi saluer la proposition de notre collègue Jean-Pierre Leleux, retenue par la commission, de faire entrer en vigueur cette disposition au 1er janvier 2018, afin de faire coïncider sa mise en œuvre avec la réforme du modèle de financement de l’audiovisuel public que nous avons ensemble préconisée au nom de notre assemblée.

La perpétuation d’un modèle de financement instable, fondé sur une surévaluation presque systématique des objectifs publicitaires de France Télévisions, qui servent de variable d’ajustement au budget des chaînes, n’est pas acceptable.

Nous ne mettons évidemment pas en cause, dans le contexte budgétaire tendu que connaissent l’audiovisuel public et l’État, l’intérêt de la ressource propre que constituent les recettes publicitaires. Pour autant, il serait à mon sens assez irresponsable d’assujettir l’exercice des missions fondamentales du service public à la collecte de cette seule ressource, qui ne représente, avec 13,5 millions d’euros pour les programmes destinés à la jeunesse, que 0,5 % des 2,8 milliards d’euros de budget global de France Télévisions.

En tant qu’ancien professionnel des médias, des études et de la publicité, j’ai consulté de nombreux acteurs de ces secteurs pour évaluer l’impact financier réel de cette proposition de loi. De ces analyses, il ressort notamment que la part de marché publicitaire de France Télévisions pour le principal secteur d’activité concerné, celui des jeux et des jouets, est très marginale : environ 6,5 %, contre 12 % pour TF1 et plus de 75 % pour les chaînes privées spécialisées dans la jeunesse. Cette part de marché est d’ailleurs inexorablement amenée à décliner à moyen terme, en raison de la concurrence croissante de la télévision numérique terrestre, la TNT, et d’internet.

Autre précision d’importance : la plupart des annonceurs actuels des émissions pour la jeunesse de France Télévisions annoncent également pour les mêmes produits à d’autres horaires, notamment en fin d’après-midi et en access prime time.

Si les écrans publicitaires attachés aux programmes pour la jeunesse devaient être interdits, nous estimons que le report des budgets correspondants à des horaires plus tardifs et non soumis à interdiction sur les mêmes chaînes s’élèverait à au moins 30 %.

Notre proposition de loi ne prévoit donc pas la suppression de la publicité ciblant les jeunes, elle vise simplement, et c’est déjà beaucoup, à en finir avec la « télé-garderie » commerciale à travers l’audiovisuel public : j’entends par là ces moments matinaux où 40 % des enfants sont seuls face à la publicité télévisuelle, hors la présence d’un adulte.

Par ailleurs, compte tenu de ces éléments et du fait que, si elle était adoptée, cette proposition de loi n’entrerait en vigueur qu’en 2018, nous estimons le manque à gagner final pour France Télévisions à seulement 7 millions d’euros. C’est là le prix à payer pour que la télévision publique se distingue davantage du reste de l’offre télévisuelle. Je tiens les estimations détaillées à votre disposition, mes chers collègues.

Enfin, j’aimerais répondre à l’argument fallacieux, souvent entendu, selon lequel cette mesure ruinerait notre belle filière de l’image animée française. Les chaînes publiques ne bénéficiant plus de recettes publicitaires attachées à leur diffusion, elles renonceraient à acheter ce type de programmes : c’est là une contre-vérité qui vise à faire croire en l’existence de ressources publicitaires affectées dans une société nationale comme France Télévisions ; c’est totalement faux !

Je rappelle que la production de programmes de qualité pour la jeunesse fait partie des principales missions de service public assignées à notre télévision publique.

La plus belle illustration du caractère dissocié des recettes publicitaires et des investissements dans les programmes de France Télévisions est la décision prise en 2009 de supprimer la publicité sur les chaînes publiques après 20 heures. France Télévisions a-t-elle pour autant cessé d’investir dans les productions patrimoniales et l’information de qualité diffusées en soirée en raison de l’absence de publicité ? Évidemment non !

Avant-hier soir, nos collègues députés ont adopté un amendement n° I-822 visant à accroître dès l’année prochaine de 25 millions d’euros les ressources de France Télévisions. C’est une bonne chose, et mes collègues écologistes ont voté cet amendement.

Pour conclure, il ne faut pas oublier que la télévision publique n’appartient pas qu’à l’État et à ceux qui la font : elle appartient d’abord et collectivement au public et à tous ceux qui la financent très majoritairement à travers la redevance. Nos concitoyens sont en droit d’avoir des exigences à son égard.

Ainsi, une enquête réalisée le mois passé par l’IFOP, l’Institut français d’opinion publique, révèle que 71 % des Français sont favorables à la suppression de la publicité commerciale dans les émissions destinées à la jeunesse diffusées sur les chaînes publiques. Cet avis est très nettement majoritaire dans tous les segments de la population et parmi les sympathisants de toutes les formations politiques.

Il serait, je pense, très opportun de répondre favorablement à cette attente en adoptant la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Corinne Bouchoux, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui répond à un impératif de santé publique : protéger nos enfants contre les mauvaises habitudes alimentaires et la pression des marques.

Elle affirme par ailleurs la nécessité de renforcer l’identité du service public de la télévision, qui ne peut proposer les mêmes programmes, accompagnés des mêmes messages publicitaires, que les chaînes privées.

Pourquoi est-il si important de limiter la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse ?

Les très nombreuses auditions que j’ai menées ces derniers jours sont sans aucune ambiguïté quant aux effets néfastes de la publicité sur les jeunes enfants. Il y a une corrélation entre le temps passé devant les écrans et l’obésité, et les effets sont plus forts sur les enfants en retard scolaire et sur ceux qui n’ont pas, hélas ! des parents à même de les accompagner de près dans leur scolarité.

Les enfants sont fréquemment laissés seuls devant les programmes pour la jeunesse, d’autant que les familles fragiles vouent souvent une grande confiance au service public.

Avant l’âge de sept ou huit ans, les enfants ne sont pas sensibles au second degré et ne font pas la différence entre le personnage du dessin animé et ce même personnage utilisé juste après un programme destiné à la jeunesse pour vendre une barre chocolatée ou des céréales saturées en sucre et en gras.

La proposition de loi de notre collègue André Gattolin, contrairement à des initiatives précédentes, circonscrit son champ au service public de la télévision et préconise plutôt un encadrement pour les chaînes privées.

Votre rapporteur estime que, en distinguant les chaînes privées, qui vivent de la publicité et, pour certaines, des abonnements, des chaînes publiques, qui ont bénéficié en 2015 de la contribution à l’audiovisuel public, notre collègue André Gattolin a trouvé le bon équilibre.

Il me semble en effet justifié de tenir compte des efforts réels qui ont été accomplis depuis 2009 par les chaînes de télévision et par les annonceurs, en lien avec le CSA et les différents ministères, pour mettre en place une véritable autorégulation de la publicité à destination de la jeunesse.

Les principes de cette autorégulation sont aujourd’hui rassemblés dans une charte, renouvelée en 2014, qui fait l’objet d’une évaluation par le CSA et s’accompagne de la diffusion de messages de prévention.

Ce dispositif assez unique d’autorégulation mérite d’être salué, puisqu’il témoigne d’une prise de conscience des annonceurs et des chaînes de télévision, mais il doit encore être substantiellement amélioré.

C’est pourquoi la commission propose une nouvelle rédaction de l’article 1er du texte, visant à inscrire dans la loi le principe de l’autorégulation du secteur de la publicité et à confier le soin au CSA de remettre au Parlement un rapport annuel évaluant les actions menées par les chaînes pour que les émissions publicitaires respectent les objectifs de santé publique. Je me permets d’indiquer que le principe de l’inscription de cette autorégulation dans la loi a reçu un accueil favorable de la part tant des chaînes privées que du CSA.

Concernant le service public, il me semble légitime d’en exiger plus encore. Comme l’ont montré nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin dans leur excellent rapport sur le financement de l’audiovisuel public, la publicité n’est considérée aujourd’hui par France Télévisions que sous l’aspect financier, sans aucune vision globale en lien avec l’identité du service public.

M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !

Mme Corinne Bouchoux, rapporteur. Le résultat de cette politique peut être surprenant, comme on peut le constater sur le site internet destiné aux enfants de six à douze ans, www.ludo.fr, littéralement envahi de publicités pour un jeu vidéo et des figurines produits par un grand studio américain, également fournisseur de programmes destinés à la jeunesse de France Télévisions. On peut dès lors se demander si certains de ces programmes n’ont pas pour objectif principal de favoriser la vente de produits dérivés.

Comme nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin l’ont rappelé dans leur rapport, il est temps de réaffirmer la spécificité des valeurs du service public de la télévision. Cela signifie, en particulier, que les programmes diffusés ne doivent pas avoir d’abord pour objectif de vendre, par exemple, des produits alimentaires manufacturés saturés en sucre et en gras ou des jeux vidéo extrêmement coûteux à des familles n’ayant pas nécessairement les moyens de les acheter, avec les conséquences que l’on imagine sur les relations entre parents et enfants, qui peuvent, de ce fait, devenir conflictuelles.

Au travers de la rédaction initiale de sa proposition de loi, notre collègue André Gattolin suggérait d’interdire tous les messages publicitaires dans les programmes destinés à la jeunesse. Le terme « jeunesse » employé sans autre précision renvoie aux jeunes de zéro à dix-huit ans, ce qui correspondrait à une interdiction très large.

La rédaction que propose la commission, en restreignant l’interdiction des messages publicitaires et des parrainages aux seuls programmes destinés aux jeunes de moins de douze ans diffusés sur les chaînes et les sites internet de France Télévisions, limite la perte de recettes pour le groupe public et permet par ailleurs une bonne identification des programmes concernés.

France Télévisions estime entre 15 millions et 20 millions d’euros les recettes attachées à la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse. Nous pensons que, avec cette rédaction, la perte de recettes serait inférieure à 10 millions d’euros. Votre rapporteur considère en outre que France Télévisions pourrait limiter celle-ci en réorganisant son offre de façon que ses cibles publicitaires correspondent à ses cibles éditoriales. Cette perte de recettes doit, par ailleurs, être rapportée aux autres ressources de France Télévisons : rien qu’en 2015, le groupe a reçu 2,37 milliards d’euros de redevance, 160 millions d’euros de dotations et 330 millions d’euros de recettes publicitaires.

En définitive, on comprend bien que le nœud du problème ne tient ni à la pertinence de l’idée de réduire l’exposition des jeunes à la publicité ni à son acceptation par les industriels, mais uniquement à l’état des finances de France Télévisions. La proposition de loi de notre collègue André Gattolin prévoyait à cet égard un principe de compensation de la baisse de ressources au moyen d’une hausse de 50 % de la taxe sur la publicité créée en 2009, soit un produit supplémentaire de 7,5 millions d’euros.

La commission n’a pas retenu le principe de la hausse de cette taxe, car elle estime que le financement de cette disposition doit pouvoir trouver sa place dans le cadre de la redéfinition du modèle économique de France Télévisions que le Sénat appelle de ses vœux pour 2018, au travers d’une réforme de la contribution à l’audiovisuel public.

Par cohérence, la commission propose donc que la mise en œuvre de cette proposition de loi intervienne au 1er janvier 2018.

Je remercie le groupe écologiste d’avoir demandé l’inscription de cet excellent texte à l’ordre du jour, l’auteur initial de ce dernier, Jacques Muller, et Marie-Christine Blandin, qui, bien que coauteur, m’a permis d’en être rapporteur, ainsi que l’auteur de la présente proposition de loi, André Gattolin, qui a effectué un très important travail.

Je remercie également la présidente de la commission de la culture, qui veille à ce que nos travaux se déroulent toujours dans une atmosphère cordiale et constructive.

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

M. Jean-Vincent Placé. Très juste !

Mme Corinne Bouchoux, rapporteur. Enfin, je remercie de son importante contribution notre collègue Jean-Pierre Leleux, ainsi que tous ceux qui, très nombreux, nous ont écrit pour nous signifier qu’il s’agissait là d’un vrai texte de salubrité publique. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir est très important, car il a trait à la conception même que nous nous faisons du service public de l’audiovisuel. Considérons-nous que France Télévisions a une vocation particulière à proposer des programmes de qualité, en particulier pour la jeunesse, en lesquels les parents pourront avoir confiance – ce qui, bien sûr, ne les exonère en rien de leur rôle éducatif –, ou bien doit-on estimer qu’il n’y a pas de raison d’en demander plus à France Télévisions qu’aux chaînes privées, s’agissant notamment de la protection de nos enfants ?

La proposition de loi présentée par André Gattolin, telle qu’elle a été très finement rapportée par Corinne Bouchoux et adoptée avec modifications par la commission de la culture, pose des principes. Elle inscrit dans la loi la nécessité d’une autorégulation du marché de la publicité destinée à la jeunesse sous une supervision renforcée du CSA pour les chaînes privées et pour France Télévisions, concernant ses programmes destinés aux enfants de plus de douze ans. On peut se réjouir qu’elle préserve le modèle économique de l’audiovisuel privé.

Pour le groupe public, elle fixe un principe plus exigeant en interdisant la publicité dans les programmes destinés aux enfants de moins de douze ans, sachant qu’il n’y a déjà pas de publicité dans les programmes destinés aux jeunes enfants de trois à six ans.

Pourquoi s’agit-il d’une avancée indispensable ?

Les auditions conduites par la rapporteur ont démontré que les enfants de moins de douze ans étaient soumis à une pression considérable des marques. Dans les familles les plus fragiles socialement et culturellement, la publicité pour les produits alimentaires industrialisés rythme la journée et détermine les achats et le contenu du réfrigérateur. Qui peut nier aujourd’hui cette réalité ?

J’ai reçu, lundi dernier, le témoignage d’une enseignante de français d’un collège de Rouen, ma ville. Cette enseignante, qui vit chaque jour cette réalité, me confirme que ces publicités dégradent le climat familial et incitent à la consommation d’aliments gras et sucrés qui favorisent le surpoids et une alimentation déséquilibrée. Je la cite : « J’ai vu des enfants qui n’ont pas faim à la cantine, leur cartable étant garni de canettes, bonbons et chips de marque qu’ils consomment toute la journée. » Elle insiste également sur les valeurs propagées par ces publicités, qui reposent le plus souvent sur des clichés sexistes, des rapports de domination et une culture de l’individualisme.

Pour ma part, j’ai été surprise de découvrir que certains programmes diffusés sur France Télévisions à destination des enfants de six à douze ans avaient avant tout pour objectif de permettre à un grand studio américain de vendre des produits dérivés extrêmement coûteux, fabriqués très loin de l’Europe. Ce n’est pas notre conception du service public, ce n’est pas la vocation de France Télévisions ; nous le redirons à la nouvelle présidente de ce groupe.

Lorsqu’on les interroge, les Français se déclarent très favorables à l’interdiction de la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse. Alors, pourquoi hésiter ? Cette mesure aurait une incidence très limitée sur le budget de France Télévisions, qui s’élève, je le rappelle, à plus de 2,7 milliards d'euros. Comme le disait notre collègue Maurice Antiste en commission, « que valent 10 millions d'euros face aux dégâts de la publicité sur la santé des enfants ? »

J’ajoute que le vrai problème, madame la ministre, est que l’intégralité du produit de la taxe sur les opérateurs de télécommunications qui a été créée en 2009 pour compenser la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes publiques n’est pas réaffectée à l’audiovisuel public, comme elle devrait l’être.

Nous ne pouvons finalement que nous étonner que cette mission de préservation des enfants ne soit pas au cœur des préoccupations de France Télévisions. C’est pourquoi le législateur est dans son rôle en voulant préciser dans la loi les lignes à ne plus franchir.

Après plusieurs mois de travaux, nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin ont rendu, à notre demande, un important rapport sur l’avenir du financement de l’audiovisuel public, qui a permis de mettre en lumière l’urgent besoin de réformes structurelles et l’indispensable réaffirmation de la spécificité du service public de l’audiovisuel. Cette réaffirmation des valeurs passe par une réduction de la place de la publicité dans le financement de France Télévisions. Il nous apparaît tout à fait opportun que cet acte fort de politique culturelle et sanitaire concerne d’abord les plus jeunes.

Contrairement à ce que nous allons sans doute entendre affirmer aujourd’hui sur certaines travées, la baisse très limitée des recettes publicitaires ne poserait pas de problème financier à France Télévisions, pour au moins deux raisons.

Tout d’abord, un sous-amendement de notre collègue Jean-Pierre Leleux a prévu une mise en œuvre du dispositif au 1er janvier 2018, en même temps que devrait s’appliquer la réforme de la contribution à l’audiovisuel public, qui est indispensable et que le Gouvernement a repoussée du seul fait du calendrier électoral.

Ensuite – je sais que c’est un sujet tabou chez France Télévisions –, il existe d’importantes marges d’économies, qui ont été identifiées par nos collègues. Je pense notamment au recours excessif à des sociétés de production pour les magazines, alors que la rédaction de France Télévisions est abondante, à ces sociétés de production créées par d’anciens dirigeants du groupe public, qui bénéficient de commandes en l’absence de véritable concurrence.

Nous examinons ce soir un texte de portée très limitée, qui ne constitue pas, il faut en avoir conscience, une réforme globale de l’audiovisuel public. Mais, parce qu’elles posent une exigence particulière à l’égard du service public, les mesures présentées nous donnent l’occasion de choisir le chemin de l’ambition pour France Télévisions, si l’on pense que la notion de service public a encore un sens.

Je citerai de nouveau, en conclusion, cette professeure de collège de Rouen que j’évoquais à l’instant : « C’est l’une des missions du service public, et donc de la télévision publique, d’être exemplaire en matière de protection morale des personnes les plus vulnérables – nos enfants – et de respect des valeurs qui fondent le vivre-ensemble. La télévision publique doit considérer le jeune spectateur comme un citoyen en devenir, digne de respect, et non comme un consommateur facilement manipulable. » (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis évidemment tout à fait sensible à la démarche que traduit cette proposition de loi et je partage votre préoccupation de limiter les effets de la pression publicitaire sur les enfants.

Cependant, je ne suis pas convaincue que cette proposition de loi soit le bon moyen pour y parvenir, cela pour trois raisons principales.

D’abord, je m’interroge sur la cohérence de cette proposition de loi au regard de l’objectif visé : la santé publique des plus jeunes.

Le lien entre la réduction ou la suppression de la diffusion de messages publicitaires destinés aux plus jeunes et l’obésité est en réalité assez ténu. (Protestations sur les travées du groupe écologiste.) C’est la raison pour laquelle très peu de pays ont fait le choix d’une prohibition de cette publicité et ceux qui ont introduit ce type d’interdiction n’ont pas constaté de baisse de l’obésité infantile.

En outre – c’est l’un des constats qui ressort de vos débats en commission –, on ne peut réduire cette problématique à la seule diffusion des messages publicitaires sur les chaînes publiques. Les enfants et les jeunes adolescents sont exposés aux messages publicitaires non seulement sur les antennes de France Télévisions, mais également et surtout sur celles des chaînes privées, dont certaines leur sont entièrement dédiées, ainsi que, de plus en plus, sur internet.