Mme Marie-Christine Blandin. Justement, ce n’est pas la peine d’en rajouter !
Mme Fleur Pellerin, ministre. Il me paraît donc délicat d’envisager d’adopter des mesures aussi radicalement différentes pour les seules antennes de France Télévisions, si l’objectif visé est celui de la santé publique.
Par ailleurs, votre proposition de loi cible les programmes destinés à la jeunesse, alors que les pratiques des jeunes sont très diverses, puisque, comme l’indique le CSA, dans le palmarès des programmes les plus regardés par les enfants de quatre à dix ans figurent un grand nombre d’émissions de téléréalité.
C’est la raison pour laquelle – c’est mon deuxième point de désaccord – les démarches entreprises ces dernières années ont reposé sur une corégulation associant l’ensemble des professionnels concernés et dans laquelle France Télévisions a, bien sûr, toute sa place.
Outre les nombreuses actions menées par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, en matière de lutte contre l’obésité infantile, les pouvoirs publics ont privilégié une démarche pédagogique, qui consiste à promouvoir une alimentation saine et équilibrée. En effet, ce sont moins les aliments consommés qui sont la cause de l’obésité que les comportements alimentaires et, plus globalement, l’hygiène de vie.
Cette démarche a pris corps avec la signature, en 2009, d’une charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision. Cette charte a été reconduite et renforcée en 2014. Elle réunit le mouvement associatif, les industriels de l’agroalimentaire, les professionnels du secteur audiovisuel et ceux de la publicité, sous l’égide des pouvoirs publics dans leur ensemble.
Une étude indépendante sur l’efficacité de ces émissions, réalisée sur l’initiative du CSA, avait conclu au bien-fondé de cette démarche. Les émissions diffusées au titre de la charte sont en effet appréciées par le public pour leur caractère pédagogique, pratique et motivant.
Les efforts déployés depuis plus de six ans par les professionnels ont démontré que des pratiques constructives pouvaient être mises en œuvre par tous les acteurs concourant à la diffusion de messages publicitaires.
Le mérite de cette charte, dont six ministères sont désormais signataires, est d’envisager la problématique dans toutes ses composantes, qu’il s’agisse de la régulation du contenu des spots publicitaires par l’ARPP, des campagnes de prévention de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, et des messages sanitaires apposés sur les spots publicitaires alimentaires, mais également, et surtout, de la création et de la diffusion d’émissions faisant la promotion d’une bonne hygiène de vie.
Les nouveaux engagements pris en 2014 témoignent de la réussite du dispositif de régulation mis en place et de sa capacité d’évolution. Cela doit permettre, en prenant en compte l’expérience déjà acquise, de le rendre encore plus efficace en lui donnant une nouvelle dynamique.
Parmi les engagements renforcés pris par les diffuseurs, on peut citer, par exemple : l’augmentation du volume horaire annuel de diffusion de programmes faisant la promotion d’une bonne hygiène de vie ; la valorisation de ces programmes sur les services de télévision de rattrapage et sur les sites internet édités par les chaînes, qui sont des plateformes de plus en plus utilisées par les enfants et les adolescents ; l’engagement de relayer à l’antenne, chaque année, des événements tels que les « journées européennes de l’obésité », « la semaine du goût » ou encore « la semaine du sport » ; l’ajout d’un engagement spécifique à l’outre-mer.
Par l’insertion de ces nouvelles dispositions, qui permettent d’aller plus loin encore dans ce travail collectif, les professionnels ont montré leur volonté réelle d’engagement. Les pouvoirs publics soutiennent cette démarche, qui reste un bon exemple en matière de corégulation.
Je parle d’« exemple », car le recours à ce type d’encadrement souple, en matière de publicité, s’est avéré être une solution très constructive, qui permet de mettre en cohérence les intérêts de chacun autour d’actions concertées, dans un but d’intérêt général.
L’autorégulation a donc porté ses fruits. Je rappelle d’ailleurs qu’elle a été négociée dans un contexte de stabilité de l’environnement législatif et réglementaire.
Certains pourraient tirer prétexte de cette proposition de loi pour dénoncer l’application de la charte.
Je ne dis pas que nous ne devons rien faire ; je dis que si nous devons faire quelque chose d’un point de vue normatif, il nous faut au moins atteindre le niveau de protection déjà permis par l’autorégulation.
Il me paraît donc préférable de poursuivre cette démarche pédagogique et d’en évaluer l’impact dans la durée, plutôt que d’envisager des mesures de prohibition.
Enfin – c’est mon troisième point de désaccord –, je suis convaincue que le service public de l’audiovisuel a besoin de stabilité, dans sa structure comme dans son financement.
Ce financement, le Gouvernement s’est engagé à le rendre plus solide, plus indépendant, y compris des annonceurs ; c’est ce que traduit le projet de loi de finances en cours de discussion. C’est également le sens de l’affectation d’une partie de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, la TOCE, à France Télévisions. Je précise d’ailleurs qu’il ne s’agit nullement d’une réaffectation, madame la présidente de la commission, cette affectation n’ayant jamais été opérée par la majorité précédente, qui avait décidé de supprimer la publicité sur France Télévisions après 20 heures.
Comme vous le savez, le groupe France Télévisions est confronté à une situation économique difficile. Entre 2010 et 2014, les recettes publicitaires du groupe ont diminué de 123 millions d’euros, tandis que ses ressources publiques demeuraient stables, du fait de sa participation, légitime, à l’effort national de redressement des comptes publics.
En dépit de mesures d’économies importantes, notamment la mise en œuvre d’un plan de départs volontaires, l’exploitation de la société demeure déséquilibrée du fait de la progression automatique de certaines charges. L’exercice 2016 pourrait ainsi être déficitaire de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Pour permettre à la nouvelle présidente de France Télévisions de réduire ce déficit après trois années de pertes, l’Assemblée nationale a adopté avant-hier un amendement du Gouvernement, reprenant des amendements parlementaires, qui augmente de 25 millions d’euros le montant de la ressource publique allouée à l’entreprise.
Pour autant, ce « coup de pouce » n’exonérera pas France Télévisions d’un effort d’économie important, et le contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2016-2020 devra définir les conditions d’un retour durable à l’équilibre. Or, il ne sera pas possible d’atteindre cet objectif en réduisant de nouveau les recettes publicitaires de l’entreprise.
À ce titre, il ne serait pas responsable de « gager » le financement de ce dispositif sur une réforme à venir de la redevance, dont vous savez qu’elle est complexe. La réforme de la redevance doit avoir pour seul objectif d’adapter l’assiette de cette contribution à la réalité des usages des Français.
En outre, ce gouvernement n’est pas favorable à la réintroduction, fût-elle partielle, de la publicité en soirée sur France Télévisions. Ce n’est pas cohérent avec l’ambition qui est la nôtre pour le service public, un service public capable de proposer une information indépendante et une création audacieuse. Mais nous ne sommes pas non plus favorables à une réduction des recettes publicitaires, qui fragiliserait le financement de France Télévisions.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette proposition de loi.
M. Loïc Hervé. Quel dommage !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour sept minutes.
M. Jean Desessard. Sept minutes de publicité ! (Sourires.)
M. David Assouline. Cette proposition de loi de nos collègues écologistes témoigne d’une ambition qui ne peut qu’être partagée.
Les socialistes ont toujours été aux avant-postes d’une régulation encourageant le secteur audiovisuel en général à prendre sa part dans l’éducation et la protection des enfants et des jeunes. J’ai moi-même réalisé, en 2008, un rapport intitulé « Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? », qui abordait la question de la révolution numérique et de l’impact de la télévision et des radios sur les jeunes.
Toutefois, à mon grand regret et à mon étonnement, le champ de cette proposition de loi se limite au périmètre du service public, alors que les études montrent qu’au plus un tiers des enfants qui regardent des programmes de télévision destinés à la jeunesse le font sur le service public de l’audiovisuel. De surcroît, les enfants regardent aujourd’hui de plus en plus ces programmes sur internet, où n’existe aucune régulation.
Je suis donc étonné que le dispositif d’une proposition de loi affichant la grande ambition de protéger les enfants ne touche qu’une infime partie de ceux-ci, en visant le seul service public de l’audiovisuel, sans que ses auteurs aient envisagé de renforcer la régulation pour l’ensemble du secteur audiovisuel, les chaînes privées concurrençant de plus en plus fortement le service public, ou pris en compte les conséquences de la révolution numérique, avec par exemple 500 millions de vidéos vues sur YouTube ! Il ne suffit plus d’éduquer les enfants à la manière de regarder la télévision, comme je l’ai fait avec les miens : dorénavant, il faudrait aussi leur apprendre comment regarder les images diffusées sur internet.
Ces lacunes du texte sont d’autant plus dommageables que le nouveau paysage audiovisuel, marqué par une tendance à la concentration dans le secteur privé et le développement des plateformes de diffusion sur le net, impose d’engager une nouvelle réflexion sur les règles, les moyens de régulation et le contrôle en général, notamment s’agissant de la protection des jeunes.
Non seulement cette proposition de loi ne traite pas de tous les supports audiovisuels et ne concerne qu’un enfant sur trois qui regarde des programmes télévisés destinés à la jeunesse, mais elle n’aborde le sujet de la protection des enfants que sous l’angle de la publicité.
En effet, on nous invite ici à légiférer non pour assurer la nécessaire protection des enfants contre les effets néfastes des programmes destinés à la jeunesse, mais seulement pour exclure de ceux-ci la publicité. C’est envisager les choses par le petit bout de la lorgnette, en n’abordant qu’une infime partie des problèmes que peuvent poser ces programmes.
Ainsi, la protection de la santé des enfants et des jeunes est placée au cœur de la proposition de loi, mais nous devons aussi porter une attention particulière à la prévention des comportements violents : il convient de prendre en compte la santé psychologique, à côté de l’obésité.
Par un tour de passe-passe, en omettant d’évoquer le contenu des programmes pour se focaliser sur la seule publicité, on donne à penser que celle-ci serait la cause de l’obésité !
M. Loïc Hervé. Ben oui !
Mme Colette Mélot. En partie !
M. David Assouline. Non, justement !
C’est le fait de rester immobile, des heures durant, assis devant la télévision, en grignotant des aliments sucrés ou gras, qui peut favoriser l’apparition de l’obésité.
M. Loïc Hervé. Il faut regarder Public Sénat ! (Rires.)
M. David Assouline. Ce n’est pas la publicité en elle-même qui est responsable de l’obésité ! La preuve en est que, en Suède et au Canada, l’obésité a progressé de façon exponentielle durant la décennie qui a suivi la suppression, dans ces deux pays, de la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse ! (M. André Gattolin marque son désaccord.)
En effet, c’est le manque d’activité physique et la mauvaise alimentation qui favorisent la prise de poids. Le développement de l’obésité relève d’un problème de société global. Un effort d’éducation sanitaire approfondi doit être engagé : la télévision n’est pas seule en cause.
Au regard de l’équité, la mesure proposée ne toucherait pas tous les enfants.
Aux termes de la loi du 30 septembre 1986, « aucun programme susceptible de nuire gravement à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne [doit être] mis à disposition du public par un service de radiodiffusion sonore et de télévision ».
En outre, tout spot publicitaire doit recevoir, avant diffusion, l’aval de l’ARPP, sur la base d’une charte comportant de nombreux points relatifs à la protection des enfants.
Ces dispositions valent pour l’ensemble du secteur audiovisuel, mais, malheureusement, elles ne concernent pas le net, où la publicité n’est donc pas régulée par la loi et n’est soumise à aucun contrôle de l’ARPP. Il me semble que nous devrions surtout légiférer pour combler ce vide.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. En conclusion, il est inique de cibler le seul secteur public de l’audiovisuel, qui est confronté à des difficultés extrêmes de financement et dont la mission de service public comporte une dimension d’éducation de la jeunesse.
Un sénateur du groupe Les Républicains. C’est fini !
M. David Assouline. Croyez-vous que si l’on prive France Télévisions de 10 millions d’euros de recettes, à un moment où le groupe connaît un déficit structurel, cela n’induira pas une diminution des investissements en faveur de la création ? Je rappelle que le secteur public assure 80 % de la création audiovisuelle en France.
M. le président. C’est terminé, mon cher collègue !
M. David Assouline. Parce que nous pensons que la régulation de l’audiovisuel dans son ensemble passe par un service public fort, nous ne voulons pas affaiblir ce dernier en lui retirant 10 millions d’euros. C’est pourquoi nous voterons contre cette proposition de loi.
M. Jean Desessard. Il a dépassé son temps de parole d’une minute et demie !
M. David Assouline. Mon groupe a un temps de parole de quatorze minutes !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la présente proposition de loi, cela a été dit, a pour objet de supprimer la publicité à caractère commercial dans les programmes destinés à la jeunesse sur les chaînes de télévision publiques.
L’objectif affiché est de lutter contre l’obésité et le surpoids, fléaux qui touchent, il est vrai, de plus en plus de personnes dans notre pays, en particulier les enfants. Chacun d’entre nous ici peut souscrire à cet objectif de santé publique.
L’incidence de la télévision, mais aussi, de plus en plus, des autres médias sur l’obésité est démontrée par de nombreux travaux. C’est surtout le temps passé devant les écrans qui est en cause, du fait de la passivité qu’il implique et de la propension naturelle à grignoter pendant le visionnage.
Cependant, le contenu même des programmes publicitaires peut aussi avoir une influence néfaste. La promotion de produits alimentaires représente la plus grande part de la publicité à la télévision. De plus, les produits présentés sont essentiellement des aliments riches en sucre et en matières grasses, donc ceux qui entraînent le plus de surpoids.
Les enfants sont vulnérables à ce type de publicité, car ils sont généralement trop jeunes pour être conscients des conséquences de la consommation de ces aliments sur leur santé. En outre, les professionnels de la publicité mettent en œuvre des techniques nombreuses et élaborées pour rendre ces produits attractifs et désirables.
Compte tenu de ces éléments, l’idée d’interdire purement et simplement la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse de la télévision publique paraît justifiée. La sanctuarisation de ces programmes comporte un autre avantage, sachant que les annonceurs ont l’obligation d’intégrer dans certaines de leurs publicités des messages de prévention, alors qu’ils font, dans le même temps, la promotion de ce que certains appellent la « malbouffe » : la suppression de la publicité aura le mérite de lever cette contradiction et, peut-être, une certaine hypocrisie.
On peut toutefois regretter que le champ de la proposition de loi soit restreint aux chaînes du service public. Cela limite nécessairement la portée d’une telle législation, sans parler de l’évolution profonde des usages, internet tendant de plus en plus à se substituer à la télévision.
Par ailleurs, si l’on comprend l’attention spécifique portée aux moins de douze ans – c’est la tranche d’âge visée par la proposition de loi –, je tiens à souligner que les adolescents sont tout aussi concernés par les problèmes de surpoids. Même s’ils peuvent avoir plus de recul à l’égard de la publicité du fait de leur âge, ils ne sont probablement pas à l’abri. La pression des pairs est particulièrement forte à l’adolescence, et elle peut inciter à consommer certains produits promus par la publicité.
Enfin, je souhaite souligner que les enfants ne se limitent pas, loin de là, à regarder les programmes qui leur sont spécifiquement destinés. Aujourd’hui, les programmes le plus regardés par les jeunes sont des émissions de téléréalité, même s’ils ne les regardent pas forcément seuls.
La mesure est présentée comme neutre du point de vue budgétaire. Il est vrai que les 10 millions d’euros de perte de recettes annoncés ne représentent que 0,3 % du budget global de France Télévisions, qui s’élève à 3 milliards d’euros : une goutte d’eau ! Néanmoins, cela justifie-t-il de considérer la mesure comme financièrement neutre ? Le risque existe-t-il vraiment de fragiliser le modèle de financement de l’audiovisuel public ?
Pour ce qui concerne les chaînes privées, la proposition de loi maintient le régime en vigueur, qui repose sur l’autorégulation du secteur par les chaînes elles-mêmes. Il est vrai que des progrès notables ont été accomplis et que l’adoption de la charte alimentaire a été suivie d’une autodiscipline réelle.
Toutefois, l’information du Parlement en la matière est insuffisante. Au-delà de l’élaboration des lois, les parlementaires doivent exercer pleinement leur fonction de contrôle. Nous devons sans doute renforcer notre suivi des activités du Conseil supérieur de l’audiovisuel et veiller à ce qu’il remplisse correctement ses missions. La transmission annuelle d’un rapport du CSA, que prévoit la proposition de loi, va dans ce sens.
M. David Assouline. Cela existe déjà !
Mme Françoise Laborde. À l’heure où le développement du numérique modifie profondément le paysage des médias et les habitudes de consommation, le modèle économique de l’audiovisuel doit être repensé en profondeur. Les publicités intégrées dans les contenus vidéo diffusés sur internet tendent à se substituer aux publicités à la télévision. À terme, nous ne pourrons faire l’économie d’une réforme en profondeur, afin de préserver l’esprit de la loi de 1986 relative à la liberté de communication.
La proposition de loi visant à supprimer la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse de la télévision publique est un texte consensuel. Si elle n’apporte pas de réponse à la question plus large du financement de l’audiovisuel public, le gain potentiel qu’elle permet en matière de santé publique nous semble à lui seul de nature à justifier son adoption.
C’est pourquoi aucun des membres du groupe du RDSE ne s’opposera à l’adoption de cette proposition de loi. J’ajouterai, madame la ministre, que si ce texte vous semble insuffisant, rien ne vous empêche de nous en proposer un autre… (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, je pense que nous partageons, sur toutes les travées de la Haute Assemblée, le même souci de protéger les enfants de la pression exercée par certains messages publicitaires.
L’enfant est un futur consommateur. Il est également le conseiller du parent consommateur. Il n’est donc pas étonnant que les publicitaires ciblent ce jeune public, particulièrement dans les programmes destinés à la jeunesse, qu’il s’agisse de publicité pour des jouets ou pour des produits alimentaires.
Comme l’a relevé notre rapporteur, dont je tiens à saluer le travail et l’engagement, il existe un problème de vulnérabilité de l’enfant, dont la capacité à décrypter les messages est limitée par son jeune âge.
La publicité ouvre à l’enfant le monde de la consommation. On peut le déplorer, mais cela est lié à notre mode de vie occidental. Un contrôle existe : il est exercé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui veille au respect de la réglementation, s’appuyant sur la loi de 1986 et un décret de 1992 relatif aux communications commerciales.
La question est aujourd’hui de savoir si cet encadrement est suffisant sur le plan de la santé publique, car on peut se demander, le taux d’obésité augmentant, quelle est l’influence de la publicité télévisuelle sur les comportements alimentaires des jeunes.
Si l’on observe la situation dans des pays ayant diminué ou supprimé la publicité télévisée, la corrélation n’apparaît pas clairement.
Ainsi, au Québec, la publicité à destination des enfants diffusée lors d’émissions de télévision a été supprimée en 1980, mais l’obésité infantile a quasiment doublé depuis cette date. Aux États-Unis, où la publicité en direction des moins de douze ans a diminué de 34 % entre 1977 et 2004, l’incidence de l’obésité infantile a quadruplé.
Cependant, les spécialistes auditionnés par notre rapporteur sont formels : même si l’impact de la publicité sur les habitudes alimentaires des enfants est difficile à évaluer, il est bien réel.
Pour clore ce débat, il faut comprendre que l’obésité a des causes multifactorielles, qui persistent dans les pays réglementant la publicité : sédentarité, manque d’activité physique, absence de conscience des parents des risques alimentaires encourus… Les causes de l’obésité et de son augmentation dans les pays occidentaux sont multiples. Je pense que la publicité vient jouer un rôle incitatif supplémentaire.
L’idée de réduire ou de supprimer la publicité dans le cadre des programmes destinés à la jeunesse recueille d’ailleurs un large assentiment des familles.
L’objet de la proposition de loi paraissant légitime, il nous faut alors être particulièrement attentifs aux conséquences, notamment économiques, de sa mise en œuvre.
En effet, il s’agit d’une proposition de loi : il n’y a donc pas eu d’étude d’impact et il nous appartient, en tant que parlementaires, d’estimer les effets potentiels de cette mesure sur le secteur de la publicité, d’une part, et sur les chaînes de télévision, d’autre part.
Concernant les annonceurs, le texte initial de la proposition de loi prévoyait, à son article 3, une hausse de la taxe sur la publicité, mais cet alourdissement des charges a été heureusement supprimé en commission. L’article 1er imposant un encadrement de la publicité a également été supprimé et remplacé par une amélioration de l’autorégulation du secteur, ce que nous approuvons entièrement.
En revanche, les chaînes publiques vont voir les investissements des publicitaires partir vers d’autres médias soumis à une moindre régulation, internet prenant une place de plus en plus importante.
Sans pouvoir disposer de données exactes, la commission a estimé à 5 millions ou 6 millions d’euros la perte de recettes résultant d’une suppression de la publicité qui ne viserait que les programmes destinés aux moins de douze ans.
M. David Assouline. C’est 10 millions !
Mme Nicole Duranton. Comment le groupe France Télévisions pourra-t-il compenser cette perte, alors que son budget est déjà serré ? Cette mesure ne risque-t-elle pas de mettre en péril la réalisation de ses missions ?
C’est là un débat qui dépasse l’objet de cette proposition de loi, pour toucher aux sources du financement de l’audiovisuel public.
Notre groupe, lors de l’examen des précédents textes sur l’audiovisuel public, s’est déclaré favorable à la suppression générale de la publicité sur la totalité de la journée, principalement pour des raisons d’indépendance.
Le récent et excellent rapport de MM. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin expose précisément cette nécessité : supprimer la publicité doit permettre de différencier fortement l’audiovisuel public des diffuseurs privés et, surtout, de le soustraire aux contraintes de l’audimat, ce qui garantirait définitivement son indépendance.
La disparition de la publicité ne pouvant être totale pour des raisons économiques, les auteurs du rapport recommandent une suppression partielle, afin de privilégier les messages des pouvoirs publics et de protection de la santé ou de l’environnement.
Le financement rendu nécessaire par la proposition de loi pourrait alors trouver sa place dans le cadre de la redéfinition du modèle économique de France Télévisions, que le Sénat appelle de ses vœux. Notre collègue Jean-Pierre Leleux a donc fait adopter un amendement en ce sens, tendant à reporter l’entrée en vigueur du texte, et donc le règlement de la question financière, à 2018. Cette solution de bon sens permettra de traiter la question de la publicité dans l’audiovisuel public dans son ensemble.
Toutefois, y aura-t-il alors une réforme de la contribution à l’audiovisuel public, souvent annoncée, jamais réalisée ? La redéfinition du financement des chaînes publiques passera-t-elle par davantage d’économies ? Je souhaiterais savoir, madame la ministre, comment vous appréhendez ces questions. Notre groupe reste réservé eu égard à cette inconnue financière.
Je vous rassure, mes chers collègues : nous voterons néanmoins ce texte dans sa nouvelle version, ne souhaitant pas condamner une initiative louable. Nous devrons être particulièrement attentifs aux développements futurs en matière de financement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis, ce soir, pour examiner une proposition de loi à l’intitulé séduisant mais qui, au cours de son examen, a malheureusement perdu de sa substance et de son intérêt.
Vous le savez, nous sommes particulièrement sensibilisés à la problématique de la publicité à destination des enfants, puisque nous étions, avec notre ancien collègue écologiste Jacques Muller, à l’origine du travail engagé sur cette question en 2009 et que nous avons nous-mêmes déposé une proposition de loi.
M. Jean Desessard. Ah !
M. Pierre Laurent. Nous considérions – et considérons toujours – que la publicité est particulièrement nocive pour les enfants et les adolescents, au regard notamment des enjeux de santé publique qui ont été évoqués, sans parler, de manière plus large, du fait que la publicité appréhende les enfants comme des prescripteurs d’achat, les enrôlant ainsi, très tôt, au service d’une société d’hyperconsommation.
Prenant appui sur les législations en vigueur dans d’autres pays, ce travail avait abouti, comme je viens de l’indiquer, au dépôt d’une proposition de loi en 2010. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui relève à mon sens davantage d’une dénaturation que d’une simplification de cette proposition de loi, contrairement à ce qui a pu être dit précédemment.
Bien plus complète et ambitieuse, celle-ci s’articulait selon quatre axes.
Premièrement, elle prévoyait la sanctuarisation des programmes pour enfants et adolescents, en les exonérant de publicité. Cette interdiction s’appliquait – c’est l’une des questions cruciales – tant aux chaînes publiques qu’aux chaînes privées. À nos yeux, une telle interdiction globale était seule légitime, puisqu’il s’agissait de répondre à des impératifs d’intérêt général et de santé publique qui concernent tous les enfants.
Par ailleurs, notre proposition de loi traitait également des autres plages horaires, puisque, malheureusement, la plupart des enfants regardent la télévision bien au-delà des seuls programmes destinés à la jeunesse. Nous limitions plus clairement l’influence des contenus publicitaires, en interdisant par exemple le recours à des personnages de programmes dédiés à la jeunesse dans des publicités ou en renforçant les dispositions du code de la santé publique relatives à la publicité pour les boissons sucrées.
Deuxièmement, la proposition de loi de 2010 prévoyait un renforcement du contrôle et des sanctions.
Troisièmement, elle comportait un volet relatif à l’éducation et à la sensibilisation des enfants et des adolescents par la mise en œuvre d’un programme pédagogique de lecture de l’image et des médias à destination des élèves.
Enfin, quatrièmement, des dispositions visaient à défendre la production de l’animation audiovisuelle en France, dont la qualité est reconnue, y compris à l’international, au travers de mesures propres à engendrer des ressources nouvelles pour le Centre national du cinéma et de l’image animée.
Or, dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui, l’ambition éducative de ces propositions a disparu, au profit d’objectifs très limités. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé d’une « dénaturation », et non pas d’une « simplification », comme l’a fait notre collègue André Gattolin.
Ainsi, seul l’audiovisuel public est concerné, alors que la version initiale de la proposition de loi renvoyait à un décret en Conseil d’État les mesures à prendre concernant l’audiovisuel privé.
Avant même l’examen du texte en commission, nous avions regretté cette limitation, estimant que réduire le champ du dispositif à l’audiovisuel public le rendait bancal. Les enfants qui regardent les chaînes privées seraient-ils moins vulnérables ? Nous pensons plutôt le contraire !
Pour autant, nous étions prêts à soutenir cette proposition de loi, considérant qu’il s’agissait d’un premier pas en vue de la protection de l’enfance et de la jeunesse. Malheureusement, la commission a fini de vider le dispositif de son contenu, le privant ainsi de toute effectivité.
L’interdiction de la publicité commerciale ne concerne désormais que l’audiovisuel public, toute perspective de renforcement de la réglementation applicable aux chaînes privées ayant disparu.