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Nomination de membres de commissions mixtes paritaires
M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : Mme Annie David, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Catherine Génisson, M. Ronan Kerdraon, Mme Catherine Deroche, M. René-Paul Savary, Mme Françoise Férat.
Suppléants : Mme Jacqueline Alquier, M. Gilbert Barbier, Mmes Françoise Boog, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean Desessard et Jacky Le Menn, Mme Michelle Meunier.
Il va également être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : Mmes Annie David, Anne Emery-Dumas, MM. Claude Jeannerot, Jacky Le Menn, Jean Bizet, Jean-François Husson, Jean-Marie Vanlerenberghe.
Suppléants : Mme Jacqueline Alquier, MM. Gilbert Barbier, Jean Desessard, Mme Catherine Génisson, MM. Gérard Longuet, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger.
9
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi organique
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 10 avril 2014.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Politique de développement et de solidarité internationale
Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chère Annick, mes chers collègues, en qualité de rapporteur spécial pour la Haute Assemblée de la mission « Aide publique au développement », vous comprendrez que le texte examiné aujourd’hui m’intéresse au tout premier chef. Il m’intéresse d’autant plus que, comme l’a déploré excellemment notre collègue Nathalie Goulet, l’absence de débat sur la seconde partie des deux dernières lois de finances ne m’a pas permis d’intervenir à cette tribune sur les crédits de l’aide au développement.
Je me félicite moi aussi que le Parlement soit, pour la première fois, directement associé à la définition de la politique de développement et de solidarité internationale. En effet, il est important que le législateur puisse avoir un regard sur cette politique, en discutant notamment de ses orientations et de ses outils. C’est légitime, et à un triple titre.
Tout d’abord, l’aide au développement engage chaque année nos finances publiques : un concours à hauteur de 6,9 milliards d’euros pour l’année 2013 s’agissant du budget général, auquel il faut ajouter les taxes hors budget général – je pense à la taxe sur les billets d’avion voulue par le président Chirac, ainsi qu’à celle sur les transactions financières, pour laquelle le RDSE s’est battu jusqu’à son instauration en 2012. J’avais d’ailleurs eu l’occasion de déposer une proposition de loi sur ce point en février 2010.
Je rappelle simplement que cette taxe rapportera 100 millions d’euros cette année et 165 millions d’euros l’année prochaine au Fonds de solidarité pour le développement, et que son potentiel est supérieur, puisque l’affectation de son produit est plafonnée. À cet égard, madame la secrétaire d’État, je compte sur votre détermination – je la sais grande, car je vous connais bien – pour mener le combat en faveur d’une généralisation de ce type de financement au niveau mondial, ou au moins au niveau communautaire.
Ensuite, par les projets de coopération qu’elle permet de mener sur le terrain, la politique d’aide au développement participe naturellement de l’influence de la France à l’étranger, du renforcement de l’espace francophone et du rayonnement de sa technologie ou de ses savoir-faire.
J’ai pu mesurer cet impact, pas plus tard que la semaine dernière, au cours d’une mission de contrôle budgétaire que j’ai effectuée au Vietnam, au nom de la commission des finances. Ce déplacement m’a permis de constater, sur pièces et sur place, l’engagement de la France, à travers l’AFD, l’Agence française de développement, dans des domaines aussi divers que la mise en place de micro-crédits en faveur des agriculteurs du delta du Mékong, la construction d’une centrale de production d’électricité via un partenariat public-privé, d’un barrage ou encore du métro de Hanoï. J’ai également assisté à la signature d’un protocole d’accord entre le gouvernement vietnamien et l’AFD pour faciliter l’accès aux emprunts non souverains, ce qui va dans le sens d’une simplification administrative.
Enfin, la politique d’aide publique au développement doit bien sûr contribuer, comme cela est mentionné à l’article 1er du projet de loi, à « promouvoir un développement durable dans les pays en développement, dans ses composantes économique, sociale et environnementale ». Les projets que je viens d’évoquer vont dans ce sens.
Cette solidarité, nous la devons à de nombreux pays, ralentis dans leur développement pour différentes raisons et qui sont dans l’incapacité de garantir à leur peuple des conditions de vie décente. Au-delà de la démarche altruiste et des réponses aux crises, qui sont au cœur des actions humanitaires, nous savons aussi que l’avenir de l’humanité tout entière dépend de cet équilibre à trouver entre ceux qui n’ont rien et ceux qui ont beaucoup, de ce fameux équilibre Nord-Sud.
Garantir au plus grand nombre la sécurité alimentaire, un habitat digne et une protection sociale est indispensable, pour ne pas hypothéquer aussi le propre avenir des pays développés, soumis à de fortes pressions migratoires essentiellement d’origine économique.
Depuis longtemps, notre pays est bien conscient de tout cela. En effet, comme je viens de l’indiquer, l’État mobilise chaque année des financements qui, ajoutés aux moyens des autres acteurs tant privés que publics, frôlent les 10 milliards d’euros. Comme nos collègues l’ont rappelé, cet effort place la France au rang de quatrième contributeur mondial en volume.
Est-ce suffisant ? Assurément non ! Même si l’ONU a constaté un recul de la pauvreté au cours de ces dix dernières années, l’ampleur de la tâche reste immense. Surtout, nous sommes loin d’atteindre l’objectif d’une aide de 0,7 % du revenu national brut, ou RNB, fixé par les Nations unies dans les objectifs du millénaire. C’est pourquoi j’adhère à l’initiative de nos collègues députés, qui l’ont opportunément inséré dans le rapport annexé au projet de loi. Cela conférera plus de force à cet objectif, dont nous nous sommes malheureusement écartés l’année dernière.
En 2013, nous avons atteint 0,41 % du RNB, contre 0,45 % en 2012. On peut toujours répéter : « C’est la faute à la crise ! » Je veux toutefois souligner que notre voisin britannique, confronté lui aussi à des contraintes budgétaires, n’a pas abandonné cette cible. C’est une question de volonté politique, comme me l’a rappelé l’année dernière Mme Lynne Featherstone, ministre déléguée au développement international : au Royaume-Uni, le taux de 0,7 % a fait l’objet d’un consensus, tant au sein des principaux partis qu’au niveau de l’opinion publique, grâce d’ailleurs aux efforts accomplis pour assurer l’efficacité des sommes engagées. Tout à l’heure, M. Cambon a rappelé combien il était important d’évaluer l’efficacité de ces politiques.
Je veux souligner cette question du principe d’efficacité, dont il est bien sûr question dans ce texte – c’est une bonne chose. Je crois en effet que, au-delà des grands principes de l’aide publique au développement rappelés aux articles 1er et 2, il s’agit non seulement de jeter les bases d’une meilleure efficacité, mais aussi d’une plus grande transparence et d’une cohérence accrue des politiques publiques de l’aide au développement.
J’ai entendu certains de nos collègues dire que le projet de loi n’allait pas assez loin, du moins sur le plan normatif. Mais comment pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit d’une loi de programmation et d’orientation ? Ce texte n’est donc pas censé tout régler à ce stade. Pour ma part, en tout cas, je constate qu’il tient compte des conclusions des Assises du développement, auxquelles j’ai participé. J’ajouterai que certaines des remarques de la Cour des comptes ont également été entendues.
La lutte contre l’éparpillement des aides est traitée par la notion de « partenariat différencié ». Le choix de concentrer 85 % des aides sur l’Afrique et la Méditerranée va d’ailleurs dans ce sens et se justifie parfaitement au regard de nos intérêts historiques et stratégiques.
Je pense également à l’évaluation pour laquelle la rue Cambon avait émis la recommandation suivante en 2012 : « Renforcer les capacités publiques nationales d’évaluation par leur rapprochement et l’allocation de moyens appropriés. » Je partage ce souci de rationaliser l’évaluation française. C’est pourquoi je salue l’excellent travail de la commission des affaires étrangères, qui a renforcé ce volet du texte.
S’agissant du pilotage de l’aide, critiqué pour sa dilution, il n’est pas directement l’enjeu de ce texte. Toutefois, je veux simplement dire que rien ne nous empêche de faire des propositions dans un avenir proche. Pour ce faire, il faudra dépasser le compromis historique entre le ministère de l’économie et le ministère des affaires étrangères, qui montre aujourd’hui ses limites.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais formuler et que je compléterai lors de l’examen des amendements que j’ai déposés avec mes collègues du RDSE. En attendant, je remercie Mme la secrétaire d’État de s’être emparée de ce texte reçu en héritage et auquel elle a déjà su imprimer sa marque. Aussi est-ce sans surprise que les membres du groupe du RDSE lui apporteront leur total soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd’hui présenté est un acte inédit : c’est la première fois, comme l’ont souligné plusieurs intervenants, que les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale sont inscrites dans la loi.
De nombreux pays de l’Union européenne disposent déjà d’un cadre législatif pour réglementer leur aide, notamment la Grande-Bretagne. Le Parlement, qui, jusqu’à présent, ne pouvait examiner cette politique que dans le cadre de la loi de finances, aura dorénavant l’occasion de débattre en détail de ses grands principes et de ses orientations. Même si certains regrettent que ce texte ne contienne pas d’engagements budgétaires précis – il est davantage un texte d’orientation que de programmation –, il constitue néanmoins un engagement politique fort.
Le projet de loi concrétise un engagement de campagne du Président de la République, celui de refonder notre politique de développement. Il est l’aboutissement d’un long travail de concertation avec les acteurs de la société civile réunis lors des Assises du développement et de la solidarité internationale. Nous tenons ici à saluer la méthode qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
Depuis de nombreuses années, la politique d’aide au développement était observée et critiquée pour son opacité et son manque de cohérence, d’efficacité et de lisibilité. Plusieurs rapports parlementaires, ainsi que d’autres rapports de la Cour des comptes ou du comité d’aide au développement de l’OCDE l’ont souligné.
Le projet de loi redéfinit profondément nos priorités sur le plan tant géographique, en redéployant l’aide française en direction des pays d’Afrique subsaharienne les plus pauvres, que sectoriel, en définissant dix pôles d’intervention prioritaires.
Je tiens en particulier à saluer la reconnaissance, en matière de coopération technique et d’expertise dans le rapport annexé, de la contribution de l’enseignement supérieur et de la recherche à notre dispositif d’aide au développement, en particulier des institutions scientifiques dédiées, comme l’Institut de recherche pour le développement, l’IRD, que je connais bien, l’un de ses grands centres étant implanté à Bondy en Seine-Saint-Denis. Je suis satisfait de voir le travail de cet institut reconnu dans notre dispositif d’aide au développement, et je salue l’initiative de la création d’une charte sur la recherche au service du développement.
Le travail fourni par nos rapporteurs a permis de réaliser des avancées majeures. Je pense notamment à l’adoption par la commission, sur l’initiative du Gouvernement, d’une mesure autorisant l’Agence française de développement à gérer des fonds multibailleurs, qui permettent de rassembler des financements de sources différentes pour mieux concentrer l’aide internationale. Ce type de fonds est particulièrement adapté dans les pays en crise, et cette décision a été bien reçue en Centrafrique, où un projet de « Fonds Bêkou » a été engagé en ce sens, ainsi que vous l’avez relevé ce matin, madame la secrétaire d’État.
Je souhaite également citer la reconnaissance du rôle et de la complémentarité des acteurs non étatiques du développement, notamment les collectivités territoriales, n’est-ce pas mon cher Michel Delebarre ?...
Dans le prolongement du rapport du député André Laignel, le projet de loi consolide juridiquement la coopération décentralisée. Les collectivités développent depuis de nombreuses années des projets partenariaux de développement qu’elles cofinancent. J’en veux pour preuve les projets que j’ai développés en Seine-Saint-Denis avec la province de Haiphong au Vietnam, de Matola au Mozambique, d’Akko en Israël et de Jenin en Palestine.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Gilbert Roger. Il est temps de reconnaître la compétence de nos collectivités. À cet égard, je tiens à préciser que l’article 9 du projet de loi n’a pas vocation à remettre en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales ; il vise à favoriser les actions d’aide au développement que ces dernières mettent en œuvre.
M. Michel Delebarre. Très bien !
M. Gilbert Roger. Des évolutions récentes de notre législation ont permis aux collectivités territoriales de dégager de nouvelles sources de financement, leur permettant d’affecter une partie de leur budget consacré à l’eau, l’assainissement ou l’énergie à des projets de développement ; nous y reviendrons au cours de la discussion. Un amendement déposé par nos rapporteurs a permis d’étendre ce dispositif au budget consacré aux déchets ménagers. Cette mesure permettra de flécher un secteur d’intervention de la politique de développement dans lequel les collectivités disposent d’une expertise reconnue par tous.
Par ailleurs, je veux souligner l’importance que constitue la prise en compte de la notion de « responsabilité sociétale », qui permet, au-delà des simples aspects sociétaux et environnementaux, d’inclure les questions de gouvernance, de droits de l’homme ou de lutte contre la corruption.
Notre groupe politique a souhaité introduire un amendement visant à renforcer la participation des populations concernées aux projets de développement qui leur sont destinés par la mise en place de citoyens-relais. Trop d’initiatives menées auprès de ces populations les réduisent à de simples bénéficiaires. Aussi nous semble-t-il intéressant de prévoir dans la loi une implication systématique des populations.
En outre, le groupe socialiste est favorable à la reconnaissance du concept de « pays en grande difficulté climatique » au sein des politiques de développement et de solidarité. En effet, l’exposition des pays aux effets du dérèglement climatique est désormais un paramètre à prendre en compte.
Nous souhaitons également rappeler la nécessaire articulation entre les politiques de développement et les politiques publiques menées dans les territoires ultramarins, afin de gagner en cohérence ; notre collègue Serge Larcher reviendra sur cette question.
Enfin, madame la secrétaire d’État, je veux vous interpeller sur les engagements de la France en faveur de la cohérence des politiques d’aide au développement.
La cohérence des politiques est définie comme l’obligation de garantir que les politiques domestiques et extérieures ne nuisent pas à l’objectif d’éradication de la pauvreté dans les pays en développement et de respect des droits, notamment des populations les plus vulnérables au sud. Ce principe étant déjà consacré par l’Union européenne, il était nécessaire d’en faire l’un des piliers de la politique de développement de la France, ce que fait le projet de loi dans son article 3. La France va ainsi pouvoir se doter d’un dispositif institutionnel structuré pour s’assurer de la cohérence de ses diverses politiques avec les objectifs de la politique de développement. Cependant, le Gouvernement serait-il prêt à aller plus loin, en s’engageant à compléter ce dispositif au travers d’un plan pluriannuel d’actions avec les parties prenantes adéquates ?
Pour conclure, je souhaite vous assurer, madame la secrétaire d'État, du soutien plein et entier du groupe socialiste sur ce texte, qui permettra de consolider la place de notre pays comme contributeur mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà quelques jours, vingt-deux organisations humanitaires ont alerté la communauté internationale sur le sort de 3 millions de Somaliens, qui font face à un risque de crise alimentaire à grande échelle. Nous sommes dans une situation de réelle urgence ! Les chiffres sont là pour le prouver.
Dans son dernier rapport sur la sécurité alimentaire, la FAO a estimé que 842 millions de personnes souffrent aujourd’hui de faim chronique dans le monde. Toutes les trois heures, c’est l’équivalent des victimes de l’attentat du Wall Trade Center en 2001 qui meurent de faim dans le monde. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, estime que, d’ici à 2020, entre 75 et 250 millions d’Africains seront exposés à un risque accru de stress hydrique.
Enfin, aujourd’hui encore, 1,3 milliard d’hommes et de femmes vivent avec moins de 1 euro par jour.
Les inégalités continuent de se creuser entre les pays riches et les pays pauvres.
Afin de répondre à ces défis grandissants, l’encadrement, le contrôle et la transparence des pratiques de la France dans le domaine du développement n’ont que trop tardé. Sans ces impératifs, nous ne pouvons pas prétendre apporter une aide durable et adaptée aux pays bénéficiaires.
Il s’agit aujourd’hui pour la France de tourner définitivement la page de décennies de coopération opaque menée à l’international. Madame la secrétaire d’État, ce projet de loi ne doit pas être une sanctuarisation de la Françafrique, et nous y veillerons. Au contraire, nous devons fixer les grandes orientations de notre politique de développement, afin de permettre une plus grande cohérence et une plus grande efficacité de notre aide.
C’est en ce sens que l’initiative du Gouvernement de mettre en place des partenariats différenciés est un premier élément de réponse. En effet, nous faisons face à des problématiques différentes dans les pays pauvres « prioritaires », les pays en crise ou en sortie de crise et les « très grands émergents ». Nous devons donc utiliser des instruments adaptés à chaque situation. Toutefois, rationaliser notre aide ne doit pas être synonyme d’abandon.
Alors que l’APD française s’est réduite de près de 10 % en 2013, nous ne pouvons pas orienter l’intégralité de notre aide vers les pays émergents et minimiser le besoin des pays les moins avancés, notamment en Afrique subsaharienne. Les partenariats différenciés doivent nous permettre d’allouer, de la manière la plus optimale qui soit, l’aide publique au développement en fonction des besoins.
En outre, l’effort de cohérence affiché tout au long du texte est un élément primordial, qui doit être réaffirmé au niveau tant national qu’européen. L’ensemble de nos politiques sectorielles doivent systématiquement prendre en compte leur impact sur le développement.
Ainsi, tout programme incompatible avec les priorités mises en avant dans ce texte doit être arrêté. Mais, surtout, au sein même de notre politique de développement, nous devons être « gouvernés » par l’impératif de « développement durable », introduit dans ce texte, afin de permettre l’autosuffisance alimentaire et le développement de l’agriculture vivrière dans les pays partenaires.
Plus largement, je tiens à saluer la mise en avant de la dimension environnementale du développement dans le projet de loi. En effet, il n’est plus possible aujourd’hui de réfuter la prégnance du changement climatique sur le développement d’un pays.
Dans son dernier rapport, publié en mars 2014, le GIEC a une nouvelle fois affirmé que le changement climatique affectait l’intégrité des États, en fragilisant leur souveraineté et en impactant les infrastructures étatiques les plus sensibles. Est-il encore nécessaire de vous expliquer, mes chers collègues, les ravages, dans des pays en développement, déjà fragiles et instables, des stress hydriques et nourriciers, de la course effrénée aux matières premières, de l’accaparement des terres rares ou des tensions énergétiques ? Et la liste est encore longue !
Comment peut-on prétendre venir en aide sur le long terme aux populations de la République démocratique du Congo sans tenir compte des tensions meurtrières autour de l’accaparement des minerais ?
Comment peut-on prétendre soutenir les pays de la corne de l’Afrique, notamment l’Éthiopie, sans comprendre les enjeux hydriques le long du Nil ?
Comment peut-on prétendre coopérer durablement avec le Niger si nous nions le scandale social et environnemental qui se joue depuis des années dans le delta ?
Comment, enfin, peut-on prétendre tendre une main solide à la Mauritanie sans aborder la question de l’exploitation des ressources halieutiques ?
La France se doit d’être pionnière dans ce domaine, et ce avant la tenue de la prochaine conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 2015 ! La France doit être force de propositions en termes de cohérence de ses politiques et de financement de projets, en amont, afin que le débat sur le changement climatique avance ! À ce sujet, j’ai déposé un amendement sur la reconnaissance des « pays en grande difficulté climatique », dont le concept serait une innovation et pour lequel la France pourrait être leader à la fois dans les institutions européennes et onusiennes.
Nous ne pouvons plus nous limiter à une vision passéiste et simpliste du développement : il nous faut adopter une approche multidimensionnelle, à la fois politique, sociale, culturelle, économique, financière et environnementale. De ce point de vue, si les écologistes notent l’effort du Gouvernement pour établir une liste de priorités sectorielles, ils auraient souhaité que le projet de loi soit plus ambitieux et mieux adapté aux enjeux actuels. En effet, ce texte présente un certain nombre de limites, qui en réduisent significativement la portée.
Nous regrettons en particulier le refus systématique du Gouvernement, tout au long des débats, d’imposer des mesures contraignantes au groupe de l’AFD, ainsi qu’à toutes les entreprises opérant dans les pays bénéficiaires. Pourtant, les convoitises internationales visant les ressources présentes dans ces pays ont conduit à un pillage de la biodiversité et à des pratiques sociales et environnementales indignes d’un pays comme la France, « pays des droits de l’homme ». Que dire des activités de Total ou de celles d’Areva au Gabon et au Niger ?
Nous ne pouvons pas mener une politique de développement systématiquement déconstruite par les intérêts commerciaux français et par le comportement prédateur de grands groupes. La France doit bannir ces comportements et permettre la mise en place de mécanismes juridiques contraignants pour ses industriels. Il le faut d’autant plus que les pratiques incontrôlées en matière commerciale et d’exploitation ont souvent entretenu par le passé, et entretiennent encore aujourd’hui, les tensions nationales et régionales dans des zones déjà fragilisées. C’est pourquoi l’impératif de sécurité doit être mis en avant. Or, alors qu’il n’y a pas de développement sans stabilité ni bonne gouvernance, la prévention des conflits n’est que trop peu abordée dans le projet de loi. Si le développement ne peut se réduire à sa composante sécuritaire, celle-ci est indispensable à toute réflexion proactive, notamment au niveau européen.
Madame la secrétaire d’État, le groupe écologiste votera le projet de loi, qui constitue une avancée significative et une première base de réflexion, mais nous devons aller plus loin et proposer des textes programmatiques plus ambitieux. Selon nous, les grandes orientations de la politique de développement doivent s’appliquer à un budget tendant vers l’objectif de 0,7 % du RNB. Surtout, il nous appartient d’impulser une dynamique audacieuse et innovante pour garantir à nos pays partenaires un comportement exemplaire en matière de traçabilité et de conditionnalité de l’aide ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à rendre hommage au rapporteur, Christian Cambon, qui, depuis de nombreuses années, suit avec une attention sans faille les questions relatives à l’aide publique au développement. Le travail qu’il a accompli et le rapport qu’il a rédigé, au nom de la commission des affaires étrangères, avec notre collègue Jean-Claude Peyronnet, sont minutieux, rigoureux et marqués par une volonté de pragmatisme et d’efficacité. Je crois que nous pouvons tous en être très reconnaissants à nos deux rapporteurs. À l’heure où l’institution sénatoriale et ses compétences sont attaquées de toutes parts, leur travail témoigne de la plus-value législative qu’apporte la Haute Assemblée.
Mes chers collègues, permettez-moi d’être franche : entre le texte issu de l’Assemblée nationale et le texte modifié par notre commission, il n’y a pas photo ! Sans vouloir être désagréables, reconnaissons que le texte initial s’apparentait plus à un catalogue de bonnes intentions, motivé par un affichage politique grossier, qu’à un projet de loi procédant à une remise à plat des outils et des moyens de l’APD française. Aujourd’hui, grâce au Sénat, le projet de loi est allégé des redites à chaque chapitre et bénéficie d’une plus grande cohérence. Cet effort répond à l’objectif constitutionnel d’intelligibilité de la loi ; cela méritait d’être souligné.
L’édification d’une politique d’aide au développement comporte plusieurs défis : définir de façon durable et précise son périmètre d’action, optimiser la coordination des acteurs, cibler des actions concrètes et les zones des pays bénéficiaires, assurer de manière pérenne l’adéquation des financements aux besoins et créer les conditions d’une véritable évaluation des actions menées.
La tâche est déjà assez difficile, d’autant que les besoins des pays en développement sont élevés et changent de nature, pour que nous ne nous laissions pas piéger par l’idéologie politique, qui altère souvent les débats et qui, à mon sens, est en décalage avec la réalité des pays bénéficiaires de l’aide française. Ainsi, les polémiques d’ordre sémantique sur telle ou telle dénomination – « coopération » ou « développement » – et les tropismes politiques qui en découlent doivent être dépassés.
Aujourd’hui, le monde connaît de nouveaux bouleversements, d’ordre économique, politique, sécuritaire, sanitaire, environnemental et migratoire, qui contribuent aussi à l’augmentation des inégalités et des fragilités. Plus que jamais, il existe une véritable interdépendance entre pays dits « du Nord » et « du Sud » : les enjeux sont transversaux et globaux. Cette réalité nous impose la mise en place d’une politique d’aide au développement efficace, cohérente et répondant aux besoins des pays les plus pauvres.
Parmi ces nouveaux enjeux, il importe de prendre en compte la raréfaction des ressources stratégiques, qu’il s’agisse des terres arables, de l’eau ou des énergies fossiles. Cette question est trop grave pour souffrir des clivages politiques.
Nous devons évidemment nous réjouir de l’essor de classes moyennes dans les pays émergents, même s’il est encore insuffisant. Mais il nous faut aussi prendre conscience des nouveaux défis qui se présentent à nous, en particulier sur le plan environnemental – je pense notamment aux domaines alimentaire et géopolitique.
L’environnement macro-économique mondial ayant profondément évolué, il importe que notre politique d’APD et ses mécanismes s’y adaptent, et le plus rapidement possible.
En Afrique, le taux de croissance économique avoisine les 5 %, mais 400 millions de personnes vivent encore avec moins de 1,25 dollar par jour. Parmi les défis majeurs auxquels ce continent doit faire face, il y a bien sûr l’urbanisation, dont les conséquences sont multiples, tant sur la gestion du territoire que sur les sociétés et leur mode d’organisation. La France a développé une expertise mondialement reconnue en la matière. Il importe qu’elle puisse, à travers son aide publique au développement, la partager.
Si, globalement, la pauvreté recule, les crises, notamment politiques, s’accélèrent, fragilisant les efforts accomplis. À cet égard, il me paraît important de tenir compte du fait que, aujourd’hui, notre politique d’APD et ses résultats sont menacés par l’effondrement des structures gouvernementales et la fragilisation de l’État dans les pays bénéficiaires.
Combien de programmes sont stoppés du fait de coups d’État, de violences entre populations ou d’actes de terrorisme ? En quelques mois à peine, ce sont des régions entières qui s’embrasent et où il faut tout reconstruire ; ce sont des années de travail des humanitaires qui sont réduites à néant et des millions d’euros qui s’évaporent. Alors, quand le Gouvernement nous a annoncé qu’un projet de loi de programmation et d’orientation sur le développement allait être examiné, nous nous sommes réjouis, car il était temps.
C’est le premier exercice du genre en la matière. Le projet de loi, en tant que tel, répond à une requête ancienne de tous les acteurs de l’APD, des ONG aux parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique. Il répond à un vide législatif, au sens où une loi de programmation doit servir de cadre juridique et financier définissant des objectifs précis, qui participent à la crédibilité de notre pays dans ce domaine.
Il est d’autant plus nécessaire que, sur la scène internationale, la position française est très fragilisée. Certes, la France demeure, en volume, un contributeur important de l’aide au développement, se classant à la cinquième place à l’échelle mondiale ; mais elle ne consacre plus à la solidarité internationale que 0,41 % de son revenu national brut, contre 0,45 % en 2012. De l’ensemble des membres de l’OCDE, la France enregistre l’une des plus fortes baisses de son APD. Par contraste, le Royaume-Uni a, lui, rempli pour la première fois l’engagement de consacrer 0,7 % de son RNB au développement, et ce malgré la crise. Cette divergence de stratégie entre nos deux pays doit nous conduire à nous interroger : quel est l’intérêt d’afficher d’ambitieux objectifs si l’on n’assure pas leur financement ?
Autres impératifs qu’il est essentiel de garder à l’esprit : une loi de programmation doit s’inscrire en totale cohérence avec la politique diplomatique menée par la France, être un outil de soft power et un instrument de notre diplomatie d’influence à travers le monde.
Force est de reconnaître que, jusqu’à présent, pour les parlementaires, les seules occasions d’aborder l’APD étaient l’examen du projet de loi de finances, quand du moins sa première partie n’est pas rejetée, comme on l’a déjà signalé,…