M. Michel Delebarre. Très bien !
M. Ronan Dantec, rapporteur pour avis. J’en viens maintenant aux amendements soutenus par la commission du développement durable afin d’améliorer le texte. Ces amendements peuvent être classés selon cinq grands objectifs.
Premier objectif : nous souhaitons rappeler que le développement durable comprend un volet culturel. Depuis la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement, de nombreuses voix se sont élevées pour affirmer que le développement durable repose non pas sur trois piliers, mais sur quatre. Ce point figurait notamment dans un texte très important, adopté il y a une dizaine d’années : l’Agenda 21 de la culture, dit « de Barcelone ». Le texte de la Conférence Rio + 20 souligne lui aussi cet enjeu de la culture dans le cadre du développement durable. Nous avons donc proposé, avec le soutien de la commission des affaires étrangères, d’inscrire ce pilier culturel à l’article 1er.
Je présenterai également, dans le même esprit, un amendement fixant, parmi les objectifs de la politique de développement, la préservation du patrimoine matériel et immatériel des pays bénéficiaires de l’aide, ainsi que de leur diversité culturelle. Le rapport présentait de ce point de vue un certain déséquilibre, n’évoquant que très peu la dimension culturelle du développement. C’était d’autant plus regrettable que le Gouvernement compte désormais un secrétariat d’État chargé à la fois du développement et de la francophonie.
Deuxième objectif : il convient de reconnaître le rôle des sociétés civiles et de souligner l’importance de leur coopération et de leur dialogue pour construire un développement harmonieux et durable. Vous-même avez insisté dans votre propos introductif, madame la secrétaire d’État, sur l’importance de prendre en compte l’ensemble des acteurs.
Je présenterai, à ce titre, un amendement visant à intégrer les retours d’expérience des bénéficiaires de l’aide dans l’évaluation réalisée. Cet amendement s’appuie sur l’important travail réalisé par la mission commune d’information du Sénat sur l’action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement, présidée par Henri de Raincourt, et sur le rapport d’information de Kalliopi Ango Ela. Un dialogue égalitaire entre sociétés du Nord et sociétés du Sud passe aussi par le partage de l’évaluation de l’action.
Troisième objectif, lié au précédent : rappeler que la politique française doit s’inscrire, comme l’a dit M. Cambon, dans le cadre des agendas des Nations unies, avec les objectifs du millénaire pour le développement et, surtout, les objectifs de développement durable, dont le principe a été adopté en juin 2012, lors de la Conférence Rio + 20.
Vous le savez, les Nations unies devront adopter la liste de ces objectifs de développement durable en septembre 2015 à New York. C’est une négociation importante, en lien avec la négociation sur le climat. Il n’est pas imaginable de conclure un accord ambitieux à Paris en décembre si nous n’obtenons pas un accord dynamique sur les objectifs de développement durable à New York en septembre. Il est important que la France ait une stratégie cohérente en la matière et que le présent projet de loi s’inscrive clairement dans le cadre de ces grands objectifs onusiens.
Quatrième objectif : amplifier la reconnaissance du rôle des collectivités territoriales dans le développement. C’est aujourd’hui essentiel, tant leur action est importante, précieuse sur nombre de territoires, nourrie aussi de cultures communes entre élus locaux du Nord et du Sud. Les questions sont parfois posées dans des termes très proches, quels que soient les territoires concernés.
Je proposerai, dans ce cadre, de reconnaître l’intérêt de la capacité de prêt direct de l’AFD à des collectivités du Sud. L’AFD est la seule banque de développement à pouvoir consentir des prêts directs à des collectivités du Sud : soulignons cet atout français ! Il est essentiel de s’appuyer sur les collectivités territoriales, du Nord comme du Sud, car c’est par elles – nombre d’entre nous en sont convaincus – que passera la définition d’un nouvel équilibre mondial.
Pour finir, je propose de revenir sur la suppression, par la commission des affaires étrangères, de la notion de responsabilité sociale et environnementale, au profit de celle de responsabilité sociétale. La commission du développement durable soutient le retour à la mention de la responsabilité sociale et environnementale, car cette notion est plus précise et correspond au décret de 2012, ainsi qu’aux critères des agences de notation internationales.
Notre commission souhaite également que l’on en revienne à la rédaction initiale de l’alinéa du rapport annexé concernant les concours apportés par la France aux énergies fossiles, qui fixe comme objectif de réduire progressivement ces soutiens. Il ne faut évidemment pas restreindre cette ambition au seul cadre de la politique de développement. Il nous faut viser, de manière générale, une réduction des soutiens aux énergies carbonées, en cohérence avec les positions affirmées par le ministre Laurent Fabius dans le cadre de la préparation de la Conférence Paris Climat 2015, ainsi qu’avec la politique de transition énergétique engagée par le Gouvernement.
C’est là un point très important, car les autres pays regarderont avec attention si notre action nationale et internationale est cohérente avec le discours généreux que nous tenons dans le cadre de la négociation sur le climat.
Telles sont, mes chers collègues, résumées en quelques mots, les grandes lignes de mon rapport sur un texte innovant et ambitieux, et les propositions d’amendement soutenues par la commission du développement durable, qui a émis, par ailleurs, un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes entre nous, ce matin, pour examiner ce texte important. Nous allons donc pouvoir nous parler franchement !
La France consacre aujourd’hui quelque 10 milliards d’euros par an, tous modes de financement confondus, à l’aide au développement. Ces dernières années, néanmoins, ce sont surtout les critiques qui ont dominé le débat national sur ce sujet, critiques portant sur de multiples aspects, par exemple la visibilité ou la cohérence. Les rapporteurs s’en étant déjà fait l’écho, je n’y reviendrai pas.
Ces constats, nous les connaissons, les critiques aussi. Ce qui nous manque, ce sont les solutions et les outils.
En effet, ce qui fait défaut à nos politiques, cela a été dit à plusieurs reprises, ce sont les évaluations et les bilans, surtout à mi-parcours, en cette période de disette financière.
Je me suis rendue, la semaine dernière, au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. J’ai appris à cette occasion que la Banque mondiale venait de mettre en place un outil permettant d’interrompre en moins de six mois un programme en cas de dysfonctionnement des aides. Disposons-nous, madame le secrétaire d’État, d’un outil de cet ordre ? Si tel n’est pas le cas, pensez-vous pouvoir en mettre un en place ? Puisque le présent texte est un projet de loi d’orientation, orientons-le dans le bon sens ab initio. Cela nous évitera de devoir y revenir, d’autant que le Sénat a été privé, ces deux dernières années, de l’examen de la loi de finances,…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C’est vrai, et nous le regrettons !
Mme Nathalie Goulet. … qui constitue pour nous, en règle générale, la seule occasion de débattre des voies et moyens.
Ayant été vice-présidente de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, je souhaiterais insister fortement sur les problèmes de corruption, en évoquant notamment les prix de transfert, qui font l’objet d’un amendement déposé par mes soins. Avec le président de ladite commission d’enquête, François Pillet, et sur l’initiative de notre excellent collègue Éric Bocquet, qui en fut le rapporteur, nous avons fait vœu de revenir sur ces questions chaque fois que nous en aurions l’occasion : je saisis donc celle qui m’est offerte aujourd’hui.
Les prix de transfert sont un moyen, pour des sociétés du même groupe, de faire de l’évasion fiscale et d’appauvrir les pays de production en se vendant les unes aux autres des biens, des marchandises ou des prestations de toute nature.
Pour illustrer mon propos, je prendrai d’abord l’exemple de la société minière suisse Glencore, implantée en Zambie. Un contrôle a estimé à 174 millions de dollars la perte fiscale pour l’État zambien. Première tricherie : surévaluation des coûts de production ; deuxième tricherie : sous-évaluation des volumes de production ; troisième tricherie : contravention au principe de « pleine concurrence » de l’OCDE par la manipulation des prix de transfert.
Autre exemple, celui de SABMiller, brasserie implantée au Ghana. Dans un rapport publié en 2010, ActionAid a révélé le schéma des versements réalisés par des brasseries africaines de SABMiller à des filiales implantées dans des paradis fiscaux. L’entreprise SABMiller a indiqué en réponse qu’elle ne se livrait à « aucune pratique fiscale agressive », mais l’enquête a permis de mettre en évidence les quatre tricheries suivantes : versement à une société située aux Pays-Bas d’une redevance en échange de l’utilisation de la marque, le manque à gagner pour le Ghana s’élevant à 248 800 euros ; versement pour des frais de gestion à une filiale implantée en Suisse, le manque à gagner pour le Ghana atteignant 189 000 euros ; enregistrement des services d’approvisionnement à l’île Maurice, le manque à gagner pour le Ghana étant estimé à 793 000 euros ; sous-capitalisation, le manque à gagner pour le Ghana dépassant 1,2 million d’euros.
Le problème des prix de transfert recoupe donc nos préoccupations. Il est très important que la loi d’orientation et de programmation donne déjà aux multinationales qui travaillent dans les pays que nous aidons un indice de notre intention de contrôler les prix de transfert et de lutter contre la corruption.
Ce sujet semblait un peu technique lorsque j’ai présenté mon amendement en commission. Cependant, madame le secrétaire d'État, je compte beaucoup sur vos services pour qu’ils parviennent à vous convaincre, durant la suspension de nos travaux pour le déjeuner, de l’intérêt d’adopter ce remarquable amendement ! (Sourires.)
J’en terminerai avec la question des prix de transfert en soulignant que le premier exportateur de bananes au monde est non pas un pays d’Amérique latine ou d’Afrique, mais bien l’île de Jersey, où les quatre entreprises leaders du secteur localiseraient 48 % de leur chiffre d’affaires !
C’est un vrai sujet, sur lequel la France pourrait jouer un rôle moteur. Aucune convention internationale n’a encore été prévue par l’OCDE. La pratique des prix de transfert est absolument légale et ne constitue pas une fraude. Il faut la contrôler. Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ce thème lors d’un très intéressant débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales.
J’attire l’attention du Gouvernement sur l’importance de mettre en place des coopérations en matière fiscale et bancaire. Il existe déjà un certain nombre de « jumelages » entre nos services, notamment la direction générale des finances publiques, et ceux d’autres pays, tels l’Algérie, l’Albanie ou le Cameroun. Cela fait aussi partie du soutien logistique et de l’aide au développement que nous pouvons apporter à ces pays : on peut être mère Teresa en faisant de la fiscalité ! Des accords de coopération ont également été conclus avec des administrations étrangères. Dans ce domaine aussi, la marge de progression est très importante.
Comme à l’habitude, ce projet de loi d’orientation et de programmation est pavé de bonnes intentions. Le doyen Vedel disait du plan qu’il parlait au présent ou au futur de l’indicatif, parfois au conditionnel, jamais à l’impératif : il en va de même du texte que nous examinons aujourd'hui.
Concernant les collectivités territoriales, il est vrai qu’elles ont un rôle extrêmement important à jouer. L’Île-de-France, suivie par l’Alsace, a été la première région française à prendre une délibération contre les paradis fiscaux. La région a voté une mesure contraignante, introduisant une transparence avec un reporting par pays, dispositif qui est de nature à faire apparaître la réalité des activités des entreprises et si la contribution fiscale est juste au regard de la richesse produite. Dans un autre ordre d’idées, toutefois, M. Peyronnet a cité, en commission, deux régions françaises qui travaillent avec des régions chinoises voisines l’une de l’autre sans jamais se coordonner entre elles…
En conclusion, on ne peut s’opposer à un tel texte d’orientation. Le groupe UDI-UC votera donc ce projet de loi. Néanmoins, je souhaite attirer l’attention sur la nécessité de mener une action plus coordonnée et plus volontariste sur des points détachables d’une aide financière totalement paramétrée. En effet, l’aide au développement, ce n’est pas seulement de l’argent, des moyens techniques, de l’aide administrative : elle relève aussi d’un comportement un peu plus éthique de nos entreprises et de nos banques travaillant dans les pays concernés, par exemple en matière de prix de transfert.
Au lendemain d’une journée électorale sombre, remettre un peu d’éthique dans la gestion de l’aide publique au développement permettra que celle-ci soit mieux comprise par nos concitoyens. Faute de quoi, ceux-ci finiront par se demander pourquoi, depuis le temps que nos collectivités creusent des puits au Mali, autant de terroristes continuent d’en sortir… (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ces deux dernières années, nos interventions militaires au Mali et en Centrafrique, comme l’activité de notre diplomatie dans cette région du continent africain, ont eu pour toile de fond la problématique de la politique de développement à mener dans ces pays.
En effet, l’origine des crises et des conflits dans cette partie du monde est bien souvent liée à la pauvreté des populations. C’est dire l’importance du rôle des politiques d’aide au développement pour remédier aux causes de ces crises et conflits !
La paix et la sécurité n’adviennent pas spontanément. Le développement économique, social et culturel des sociétés en est le terreau. De ce point de vue, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est fondamental.
Jusqu’à présent, les questions liées à la politique d’aide au développement étaient l’apanage de l’exécutif, qui ne soumettait cette politique au contrôle parlementaire qu’à l’occasion de trop rares débats généraux ou lors de l’examen des projets de loi de finances.
Que le Parlement puisse être désormais associé à la définition et au contrôle des politiques en matière d’aide au développement est donc une première dans notre pays.
J’ajoute que, avec les Assises du développement et de la solidarité internationale, l’élaboration de ce projet de loi a fait l’objet d’une large concertation entre les autorités publiques, la société civile, les ONG et les collectivités territoriales. Le recours à cette méthode est suffisamment rare, de la part de l’exécutif, pour être souligné.
Par ailleurs, la politique d’aide au développement a été, à juste titre, fréquemment critiquée dans des rapports parlementaires ou par la Cour des comptes, pour son opacité, son absence de cohérence, et donc son manque de lisibilité et son inefficacité. C’est à tous ces défauts que ce texte tend à remédier ; je salue la logique qui l’inspire.
La recherche d’une plus grande efficacité par la concentration de l’aide et la mise en place de partenariats différenciés selon les besoins et la situation des pays partenaires est empreinte de bon sens. Elle peut produire des résultats positifs, à condition qu’elle soit sous-tendue par une véritable volonté politique.
Je ne doute pas que le Gouvernement ait cette volonté, ni que celle-ci soit au service d’une conception de l’aide au développement différente de celle des gouvernements précédents. Je pense en particulier au changement qui doit prévaloir dans nos relations avec les pays africains, lesquels, au travers de ce texte, font légitimement l’objet d’une attention et d’une aide prioritaires.
De la même façon, la recherche d’une mise en cohérence de la politique de développement avec l’ensemble des politiques publiques, le renforcement de la transparence et l’évaluation des aides accordées sont des principes forts que j’approuve pleinement.
Enfin, les collectivités territoriales étant devenues des acteurs majeurs de l’aide au développement, de l’aide humanitaire et des actions de coopération, ce projet de loi reconnaît leur rôle et sécurise leurs choix et leurs activités sur le terrain à l’étranger.
Le texte institue notamment une coordination nécessaire entre l’État et les collectivités et élargit le champ de compétence de ces dernières à la question des déchets ménagers. Toutefois, dans la perspective de la future réforme territoriale, je m’interroge sur la portée réelle d’une telle reconnaissance.
En effet, avec la suppression de la clause de compétence générale, la baisse et la réforme de la dotation globale de fonctionnement, les 11 milliards d'euros d’économies supplémentaires demandés aux collectivités territoriales, je crains fort que ces affirmations ne restent sans portée et que ces grands principes ne soient inapplicables.
C’est sans doute là la grande faiblesse de ce texte. Certes, il s’agit d’une loi d’orientation et de programmation, qui, conformément à sa vocation, doit se limiter à définir et à affirmer des orientations et des principes généraux dont l’application est par ailleurs détaillée dans un rapport annexé n’ayant pas, notons-le, de véritable valeur normative. Néanmoins, l’absence de toute programmation financière dans le projet de loi obère lourdement la mise en œuvre concrète d’une politique d’aide au développement différente de celles qui ont été menées précédemment.
Cette absence d’engagements précis me laisse sceptique. J’estime que, sans moyens financiers pour les mettre en œuvre, les objectifs et le cadre de travail fixés par ce projet de loi seront voués à n’être que des vœux pieux. Il faut parler clairement : certes, les efforts à produire en faveur de l’aide au développement ne sont pas tous d’ordre financier, mais ils se mesurent aussi en grande partie à l’aune d’engagements financiers concrets.
Or la réalité, c’est que notre pays ne cesse de réduire les budgets qu’il consacre à l’aide publique au développement. Je rappelle que, selon les estimations fournies par l’OCDE, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont diminué de 10 % en 2013 et de 6 % dans la loi de finances pour 2014.
Les années précédentes, parmi les engagements de l’Agence française de développement, le montant des prêts bonifiés et des subventions accordés était en baisse, de même que celui des dons aux pays les plus pauvres, africains pour la plupart. Un rapport budgétaire de la commission des affaires étrangères du Sénat s’en était inquiété.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement se donne-t-il les moyens d’inverser cette tendance ? Ce devrait pourtant être à la portée d’un grand pays comme le nôtre. Observons l’action du Royaume-Uni, qui mène une politique d’austérité plus stricte encore que celle que nous connaissons : en 2013, les Britanniques ont dépassé l’objectif de 0,7 % du revenu national brut alloué à l’aide publique au développement, et il en ira de même cette année.
Pour sa part, l’Union européenne, bien qu’elle peine à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés pour 2015, a continué ces deux dernières années à augmenter son aide au développement, malgré les effets de la crise financière. Je relativiserai cependant l’ampleur de cet effort, eu égard à la façon dont le projet de taxe sur les transactions financières, laquelle était censée financer le développement des pays du Sud, a été récemment vidé de sa substance par le conseil des ministres européens, et ce avec l’approbation du Gouvernement français…
Au-delà des aspects budgétaires, le projet de loi souffre également de quelques faiblesses, qui amoindriront malheureusement sa portée. Je pense tout particulièrement à l’insuffisance des dispositions qui seraient mises en œuvre pour lutter contre l’opacité des transactions financières dans ce secteur d’activité et contre l’évasion fiscale que pratiquent certaines entreprises. Je regrette profondément que les règles d’utilisation par l’AFD des places financières dites « offshore » ne soient pas plus strictement encadrées.
Notre collègue Nathalie Goulet l’a particulièrement bien illustré : ces différents aspects posent concrètement la question d’un contrôle plus efficace des sociétés multinationales, a fortiori lorsqu’elles sont soutenues par l’Agence française de développement – laquelle, soulignons-le, est essentiellement alimentée par de l’argent public.
C’est notamment dans cet esprit que nous souhaitons amender le texte, en imposant aux entreprises ce qu’on appelle en franglais le reporting par pays.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Michel Billout. Dans le même ordre d’idées, je regrette que les références précises à la responsabilité non seulement fiscale, mais aussi sociale des entreprises aient été diluées au sein de l’expression beaucoup plus générale de « responsabilité sociétale ».
Au total, madame la secrétaire d’État, je vous avoue que, à la suite de la grande consultation que furent les Assises du développement, ce texte nous laisse un peu sur notre faim. Après l’espoir qu’avait fait naître, dans de nombreux domaines, l’élection présidentielle, il apparaît comme l’occasion manquée – là aussi ! – d’une profonde refonte de notre aide publique au développement.
Nous sommes nombreux à le dire, notre politique d’aide au développement n’est pas à la hauteur des enjeux. Elle est enjolivée, gonflée artificiellement par une série de mécanismes, telles les réductions de dettes. Il aurait notamment fallu procéder à une véritable réorientation de la vocation de l’AFD, qui privilégie des prêts concessionnels et finance trop souvent des projets sur la base de la rentabilité qu’elle peut en attendre.
C’est dans ce contexte que le monde de l’action humanitaire a pu légitimement s’inquiéter, lors de la première constitution du gouvernement de Manuel Valls, de l’absence de ministre chargé du développement et du rattachement du commerce extérieur au ministère des affaires étrangères. Comme l’avait déclaré un collectif d’organisations non gouvernementales, cet épisode révélait « qu’une étape supplémentaire serait franchie, mettant ainsi les intérêts des acteurs privés au cœur de la stratégie française à l’étranger, au détriment des impératifs en matière de gestion des biens communs mondiaux, d’amélioration des conditions de vie et de respect des droits des populations du Sud ».
Reste que le projet de loi contient quelques avancées, que nous ne sous-estimons pas. Aussi, malgré ses insuffisances sur des questions fondamentales, le groupe communiste, républicain et citoyen, en fonction des résultats de la discussion à venir, dont nous espérons qu’elle contribuera à améliorer ce texte, pourrait l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Demande de réserve
Mme Annick Girardin, secrétaire d'État. Monsieur le président, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande la réserve de l’examen de l’article 2.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette demande de réserve ?
M. Christian Cambon, corapporteur. Favorable.