M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il ne faut pas voter pour la rejeter !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … et les débats organisés dans le cadre du contrôle par le Parlement de l’action du Gouvernement. C’était donc positivement que nous attendions ce premier projet de loi de programmation.
En juin 2012, dans une interview au journal Jeune Afrique, l’ancien ministre chargé du développement, Pascal Canfin, avait déclaré, parlant de l’APD : « Je ne suis pas un adepte du fétichisme comptable ». Eh bien, à la lecture de ce projet de loi, nous en sommes définitivement convaincus ! II m’avait pourtant semblé que le propre d’une loi de programmation tenait surtout, comme son nom l’indique, à sa programmation budgétaire. Or, malgré ses 10 articles et les 247 alinéas du rapport annexé, force est de constater que le projet de loi ne comporte ni prévision ni trajectoire financière.
Madame la secrétaire d’État, s’il est difficile pour vous d’hériter de ce projet de loi, on ne pourra pas vous faire le procès de ne pas respecter les engagements financiers. En tout cas, si le projet de loi est adopté, nous savons au moins qu’il ne connaîtra pas les affres que subit actuellement la loi de programmation militaire.
Mes chers collègues, je pense que nous regrettons tous que la seule référence chiffrée du projet de loi n’intervienne qu’à l’alinéa 224 du rapport annexé à l’article 2, qui rappelle que la France doit avoir pour objectif de consacrer 0,7 % de son RNB à l’APD – objectif dont nous nous éloignons chaque année davantage, comme je l’ai rappelé il y a quelques instants. Cette mention, même très tardive, dans le rapport annexé ne représente aucune nouveauté, puisqu’elle correspond à un engagement international déjà pris par notre pays. Il s’agit donc d’un simple rappel, d’un vœu pieux sans traduction concrète, ce que nous déplorons. Pis, il y a une forme de double langage à réaffirmer cet objectif de principe tout en continuant à réduire les crédits de l’APD. Alors que, selon l’OCDE, ils ont diminué de 10 % en 2013, nous nous acheminerions vers une nouvelle baisse de 6 % des crédits de la mission « Aide publique au développement » en 2014, avec des projets de coupes encore plus importantes dans le prochain triennum budgétaire.
Pourquoi donc voter un projet de loi coupé de toute réalité financière ? Pourquoi et comment vouloir refonder la politique française d’aide au développement sans prévision budgétaire, alors même que l’un des principaux problèmes réside dans la dispersion des crédits ? Comment un projet de loi peut-il fixer comme objectif la maîtrise de la fragmentation d’une aide financière, en particulier lorsqu’elle est engagée dans un cadre multilatéral, sans en définir ni les proportions ni les limites ?
Nous savons tous que la mission « Aide publique au développement » comporte les crédits des deux principaux programmes. Toutefois, la mission ne regroupe qu’une partie de l’effort français en matière d’aide publique au développement : huit ministères différents participent à une politique transversale en faveur du développement. Les crédits des deux programmes de la mission « Aide publique au développement » transitent par plusieurs canaux : l’aide bilatérale, qui est versée directement aux pays partenaires, l’aide européenne, qui est mise en œuvre par la Commission européenne, et l’aide multilatérale hors Union européenne, qui est assurée par les organisations et programmes internationaux.
Dans son rapport de juin 2012, la Cour des comptes a fait mention d’« une organisation tripartite mal articulée ». Cela aurait dû être l’un des premiers objectifs du projet de loi d’orientation : répondre à cette organisation, souvent qualifiée d’opaque du fait de la multiplication des acteurs de l’APD.
Là encore, il y a une certaine hypocrisie à appeler à une cohérence des politiques publiques avec la politique du développement, comme le fait l’article 3. Ce principe demeurera incantatoire si l’on ne prévoit pas, pour chaque projet de loi ou proposition de loi, une étude préalable de son impact sur le développement – méthode déjà pratiquée par l’Union européenne. De même, en aval, il faut organiser un véritable suivi de cet impact en lien avec le CNDSI, le Conseil national du développement et de la solidarité internationale. J’avais déposé un amendement en ce sens en commission, et je regrette qu’il ait été rejeté.
Un domaine doit retenir toute notre attention : la responsabilité sociale de nos entreprises lorsqu’elles opèrent dans les pays en développement. Il peut y avoir une vraie tension entre les objectifs de notre APD et la stratégie d’optimisation des coûts de certaines entreprises, d’où l’importance d’un dialogue et d’un suivi attentif, menés de façon coordonnée par le ministère chargé du développement et par celui du commerce extérieur. Je me réjouis que l’un de mes amendements, relatif à la responsabilité sociale des entreprises, ait été, lui, adopté en commission.
En termes de suivi et de contrôle, on aurait également pu faire davantage en matière de lutte contre la corruption, intrinsèquement liée au maintien de l’extrême pauvreté.
En avril dernier, j’ai représenté le Sénat au séminaire parlementaire annuel de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Nous y avons longuement abordé ces problèmes et lancé une initiative pour l’éradication de la pauvreté. À cette occasion, j’ai accepté de lancer la section française du GOPAC, l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption. Je vous invite d’ailleurs, mes chers collègues, à y adhérer ; nous ferons ainsi un travail très utile.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. On n’en a pas besoin !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Plusieurs l’ont évoqué avant moi, la question du pilotage de l’aide est essentielle, tout comme celle de l’évaluation.
Le pilotage et l’évaluation sont deux piliers de la politique d’APD, et ils sont indissociables. Ils garantissent son succès.
Les pays nordiques et anglo-saxons mènent dans ce domaine des actions qui devraient nous inspirer. La sous-évaluation institutionnelle et financière est moralement indécente, tant pour ceux qui en ont besoin que pour nos concitoyens. Sur ce point, il revient à mon avis aux élus que nous sommes de promouvoir les efforts engagés par notre pays pour lutter contre la pauvreté dans le monde et de mieux en informer la société civile.
Au lendemain d’élections européennes dont les résultats sont des plus inquiétants, on ne peut que se féliciter de l’article 3 ter, qui non seulement appelle à une meilleure coordination de l’ensemble des bailleurs de fonds dans le monde, mais tend aussi à promouvoir l’idée d’une programmation conjointe au sein de l’Union européenne et des politiques d’APD menées par les États membres.
À l’heure où le sentiment d’adhésion à l’Europe est mis à mal, promouvoir les actions d’APD entre États me paraît indispensable. Cela démontrerait que l’Union européenne ne se résume pas à des seuls critères d’endettement.
Revenons à l’évaluation. Évaluer, mes chers collègues, c’est aussi dresser le bilan de ce qui fonctionne. C’est rationaliser, ce qui ne veut pas dire « faire moins », mais « faire mieux » ! C’est l’objet de l’article 8 bis, qui prévoit la création de l’AFETI, la future agence française d’expertise technique internationale, qui regroupera six organismes dépendant actuellement de ministères différents. Il s’agit de France expertise internationale, d’Assistance au développement des échanges en technologies économiques et financières, ou ADETEF, d’Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau, ou ESTHER, d’International, de Santé protection sociale internationale et de l’Agence pour le développement et la coordination des relations internationales, ou ADECRI. Cette agence sera conçue comme une holding et assurera les fonctions transversales des opérateurs.
Nous savons que l’expertise internationale fait partie de notre politique de développement. C’est un secteur dans lequel la France pourrait gagner plus de marchés qu’elle n’en remporte aujourd’hui, non pas à cause d’un manque de compétences, mais pour des raisons structurelles, principalement liées à la taille trop critique des opérateurs pour certains appels d’offres.
Si ce regroupement donne l’occasion d’une meilleure lisibilité de l’expertise française à l’international, comme le ferait un label, il importera de rester vigilant quant au fonctionnement afin d’éviter les situations de concurrence entre les anciens opérateurs et administrations d’origines.
Il me semble également que l’AFETI devra s’ouvrir à la société civile, notamment par le biais du recrutement de contractuels pour des missions de quelques années. Cela me semble d’autant plus cohérent que nos finances publiques ne nous permettent plus de recruter de nouveaux fonctionnaires.
En tant qu’élue des Français de l’étranger, je tiens à rappeler ici combien l’expertise internationale française est un levier important. C’est un outil fondamental pour notre diplomatie d’influence dans le monde, à un moment où la concurrence est extrêmement rude et décomplexée. J’ajoute, madame la secrétaire d’État, que la francophonie est aussi un levier très efficace. Je regrette que nous ne sachions pas davantage nous appuyer sur ce patrimoine de langues et de valeurs et le faire fructifier.
Avant de terminer, j’évoquerai un point très important pour le Sénat. Je veux parler du rôle des collectivités territoriales au cœur de l’APD.
Certes, avec l’article 9, le projet de loi permet d’affirmer leur place et de mieux coordonner leurs opérations. Surtout, il est primordial que leurs actions et projets soient en parfaite adéquation tant avec notre diplomatie qu’avec nos engagements internationaux.
Prévoir la transmission d’un rapport des collectivités territoriales à la Commission nationale de la coopération décentralisée est une bonne chose. Cela permettra non seulement de dresser un bilan exhaustif de leurs actions, mais aussi d’organiser une meilleure coordination et in fine un meilleur suivi.
Si les collectivités territoriales et leurs élus ont beaucoup à apporter, ce ne sont pas des ambassadeurs, et leurs ressources ne sont pas extensibles. Il importe donc que la Commission nationale de la coopération décentralisée puisse aussi les aider et mettre en valeur leur travail.
Je me réjouis tout particulièrement de l’amendement relatif à l’extension de la loi Oudin-Santini au secteur des déchets. S’il est un sujet dont l’impact est capital pour les populations des pays en développement et pour l’environnement, c’est bien le traitement des déchets.
La prolifération des déchets organiques et chimiques a de très lourdes conséquences sanitaires et nuit à la préservation de la biodiversité. La constitution d’îles de déchets au cœur des océans est une catastrophe à l’échelle mondiale. En détruisant la faune marine, ce sont l’écosystème et les ressources halieutiques qui sont menacés. Les répercussions sont évidentes pour les populations.
Dans le nord-est du Pacifique, entre la Californie et Hawaï, les courants marins ont acheminé tellement de déchets que les experts évoquent « un septième continent » ! Ce phénomène touche également la Méditerranée. L’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, estime à 250 milliards le nombre de microplastiques en Méditerranée. Le Centre d’études supérieures de la Marine a également consacré des études à ce sujet.
Les collectivités territoriales et la France ont un réel savoir-faire en matière de gestion responsable des déchets. Cet amendement leur permettra d’exporter leurs compétences et de répondre à problème que les populations n’ont pas les moyens techniques et logistiques de traiter.
Avant de conclure, j’insisterai sur un dernier point crucial ; je veux parler de l’éducation. Les alinéas 56 à 59 du rapport annexé qualifient l’éducation de facteur de « transformation sociale » contribuant à « la réduction des inégalités sociales », « à l’épanouissement des personnes » et « à l’exercice de la citoyenneté ». Ces formules trouveront bien sûr un écho positif dans l’opinion française, mais le manque d’indicateurs est flagrant.
Je pense que le texte aurait dû être plus concret quant aux moyens d’améliorer réellement l’accès à l’éducation dans les pays en difficulté, en particulier pour les jeunes filles. C’est un dossier pour lequel je me bats depuis de nombreuses années, et il me semble que nous avons, ici, manqué une occasion de donner un nouvel élan à ce volet essentiel de notre politique de développement. Les outils existent sur le plan international. Il est dommage que la France ne s’en saisisse pas.
Comme le soulignait l’ex-président de la Banque mondiale Robert Zoellick, « l’investissement dans les adolescentes est […] le catalyseur dont les pays pauvres ont besoin pour briser le cycle intergénérationnel de la pauvreté […]. Cet investissement n’est pas seulement équitable, c’est une décision intelligente au plan économique ».
D’après l’ONG Plan, le coût économique de la non-scolarisation des filles dans soixante-cinq pays en développement représenterait à lui seul 92 milliards de dollars, soit quasiment le montant total des 103 milliards de dollars alloués par l’ensemble des États finançant l’APD ! En tant que membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, je tenais à le rappeler.
L’éducation ne peut donc plus être considérée comme un luxe secondaire face aux enjeux alimentaires et sanitaires. Il est primordial que la France mène, en matière d’éducation, des actions d’aide publique au développement plus ciblées et plus adaptées aux structures économiques locales, pour enfin faire jouer pleinement ce levier de développement puissant qu’est l’éducation.
De manière plus générale, les droits de l’enfant sont aussi les grands oubliés de ce projet de loi puisqu’ils n’apparaissent que dans le rapport annexé. Comme souvent, on n’oublie un peu vite que la France, en ratifiant la Convention internationale des droits de l’enfant, a pris des engagements internationaux forts. Il serait bon qu’ils transparaissent davantage dans cette loi.
Mes chers collègues, je m’arrêterai là, même s’il y a encore beaucoup à dire, mais surtout à faire. Le groupe UMP s’abstiendra sur ce projet de loi, qui, s’il a le mérite d’exister, est une occasion ratée pour la majorité. À l’heure où les trajectoires budgétaires doivent être clairement définies pour être préservées, ce projet de loi est coupé des réalités financières. Malgré tout, le texte issu des travaux de la commission des affaires étrangères et les amendements des rapporteurs élargissent et confortent juridiquement le rôle des collectivités territoriales au sein de la politique d’aide publique au développement, et le Gouvernement sait combien nous y sommes attachés ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Delebarre.
M. Michel Delebarre. Vous avez fort bien rappelé, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, les enjeux et les espoirs que suscite ce texte majeur pour le développement et la solidarité internationale. Je ne reviendrai pas sur ce point, mais je souhaiterais évoquer rapidement un sujet qui me tient tout particulièrement à cœur et sur lequel j’avais appelé l’attention du précédent ministre, Pascal Canfin : la coopération décentralisée des collectivités territoriales.
J’évoquerai, lors de l’examen d’un amendement, repris également par notre collègue Gilbert Roger, la nécessité de maintenir la liberté des collectivités territoriales dans ce domaine. Le Sénat s’honorerait de la préserver en adoptant cette modification qui, je crois, va dans le sens de l’histoire.
Je me permets également de revenir sur la mise en place d’un cadre juridique sécurisé permettant aux collectivités de mener des actions de coopération internationale dans le domaine qui a déjà été évoqué, celui des déchets, plus connu sous le nom du « 1 % déchet » en référence à la loi Oudin-Santini dans le domaine de l’eau.
J’avais tenté, à de très nombreuses reprises, d’introduire ce dispositif dans la loi, mais mes tentatives s’étaient heurtées au refus constant de la commission des finances d’accorder la recevabilité financière à mes amendements. Je suis très heureux aujourd’hui que ce mécanisme soit inscrit dans le projet de loi grâce à l’action des deux rapporteurs, Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, ainsi qu’à celle d’Hélène Conway-Mouret, qui avait, au nom du Gouvernement en juin 2013, accepté le principe du dispositif.
Je tiens également à saluer l’action de Jacques Pélissard, qui a posé les bases d’un travail fructueux entre l’Association des maires de France et Cités Unies France, que je préside. Enfin, je salue les initiatives dans ce domaine d’André Laignel et de Xavier Breton, député de l’Ain.
Afin de lever des inquiétudes qui ont pu naître ici ou là, je rappelle une fois encore que seules les collectivités territoriales volontaires pourront se lancer dans cette aventure. Il s’agit d’une faculté qui leur est offerte et en aucun cas d’une obligation. Les collectivités territoriales pourront ainsi bénéficier d’un cadre juridique sécurisé pour mener leur action de coopération décentralisée dans le domaine des déchets. C’est un progrès incontestable. Ce domaine d’intervention nous est de plus en plus demandé par les collectivités des pays en développement, comme nous l’avons souligné dans les propositions que nous avons remises au Gouvernement avec notre collègue Ronan Dantec.
Certes, dans les faits, il faudra encore du temps avant que tout cela ne se traduise au travers d’un certain nombre d’entreprises, mais il nous faut progresser et continuer à avancer dans la voie de la coopération que nous ouvrons avec un certain nombre de villes et de régions en développement. Je me félicite que ce soit le Sénat qui ait pu enfin mettre en œuvre cette avancée majeure.
Bref, mon intervention n’aura servi à rien puisque le combat que je menais vient ici de se traduire dans les faits, mais est-ce si grave de monter une fois de temps en temps à la tribune du Sénat pour dire simplement à ses collègues : merci ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
Mme Nicole Bricq. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues : « texte long, souvent descriptif et très peu normatif », ont écrit les rapporteurs. Il est vrai que le projet de loi qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale était bavard, peu stratégique et encore moins opérationnel. Mais le Sénat vint ! La commission des affaires étrangères, fidèle à sa tradition, a travaillé ; elle a inscrit dans le texte deux innovations et a porté une attention particulière, comme l’Assemblée nationale du reste, à ce qu’il est convenu d’appeler la responsabilité sociale et environnementale.
La première innovation est l’article 5 quater, puisé à bonne source. Il a une portée financière pour l’Agence française de développement, car il étendra sa capacité à gérer des fonds pour autrui. Cet ajout fort bienvenu clarifie l’environnement juridique de l’agence, lui apporte de la flexibilité en lui permettant de bénéficier d’accords avec des agences bilatérales – on pense par exemple à la KfW allemande. Une autre vertu de cet article est que l’agence disposera aussi d’un effet de levier en utilisant les fonds d’autres agences ou ceux de multibailleurs. L’exposé des motifs de l’amendement qui a introduit cet article donne deux exemples récents.
Dans la discussion générale comme en commission, on a insuffisamment parlé, selon moi, des entreprises. Je veux saluer l’effort qui est fait dans le nouveau contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2014-2016. J’ai pu constater que l’agence avait reçu des objectifs financiers de performance. L’innovation introduite par la commission accompagnera utilement la recherche des partenariats différenciés qui lui sont demandés.
Je note aussi avec satisfaction que l’AFD sera évaluée selon des indicateurs de résultat tels que validés par le CICID, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement, du 31 juillet 2013 et que, sans qu’il soit renoncé au principe de l’aide déliée, les indicateurs de suivi rapprochent l’AFD des entreprises françaises puisqu’ils comportent la référence à la part et au nombre de marchés remportés par les entreprises françaises dans les appels d’offres internationaux.
La deuxième innovation est celle qui a été introduite sur l’initiative de notre collègue Jacques Berthou à l’article 8 bis nouveau, qui transforme FEI, France expertise internationale, en une agence française d’expertise technique internationale, l’AFETI, placée sous une double tutelle afin de fusionner six organismes à compter du 1er janvier 2015 – la date n’est pas neutre. On sait que, parmi les six opérateurs, FEI et ADETEF en sont les deux principaux.
L’argument avancé, qu’a repris notre collègue de l’UMP, est celui de la nécessité d’atteindre une taille critique. La référence est le GIZ allemand. Mon cher collègue Jacques Berthou, vous exercez votre droit de suite de parlementaire en tant qu’auteur d’un rapport d’information remarquable sur la performance de France expertise internationale. À l’époque, votre démarche consistant à rassembler les diverses agences chargées de l’expertise en un seul opérateur était prudente. Vous prôniez la réforme, mais vous envisagiez qu’elle se fasse par étapes et vous fixiez l’objectif de mutualiser un certain nombre de tâches communes.
La démarche de la commission, démarche dont je ne conteste pas la légitimité puisque celle-ci a été approuvée à l’unanimité, est très radicale et d’application ultrarapide. Je ne suis pas d’avis d’aller dans cette voie : je pense qu’il est préférable de procéder par phases, en évaluant chacune d’entre elles. Pourquoi ? Parce que nous ne connaissons pas l’impact sur les activités du secteur privé de l’ingénierie française, qui se bat beaucoup à l’international. C’est là que la référence au GIZ allemand m’inquiète, car celui-ci a tout simplement tué le privé.
Même si ce point n’est pas fondamental, je veux terminer cette intervention sur ce qui est désormais qualifié par la commission de « responsabilité sociétale des entreprises ». Parler de « responsabilité sociale et environnementale » aurait deux mérites à mes yeux – je me suis occupée de cette question dans un passé récent : premièrement, on sait de quoi on parle ; deuxièmement, cette référence est désormais commune à l’ensemble des pays de l’OCDE, dont la France fait évidemment partie.
Ce qui est important, c’est de tirer les conséquences du drame du Rana Plaza, au Bangladesh, qui a suscité de l’émotion et fait naître un débat sur les engagements à attendre des entreprises françaises. Je sais que certains parlementaires souhaitent introduire un mécanisme juridique permettant de mettre en cause leur responsabilité. Jean-Claude Peyronnet, corapporteur, a fait justement remarquer qu’un tel mécanisme ne saurait concerner que les seules entreprises françaises.
Je rappelle ici que le gouvernement français n’est pas resté les bras ballants après cette horreur, qui n’est pas un cas isolé dans de tels pays : la plateforme RSE mise en place par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, qui rassemble toutes les parties prenantes, devrait présenter son rapport cet été. Je rappelle également que le Parlement européen a adopté la directive sur la publication d’informations extra-financières, le 15 avril 2014, et que le point de contact national des principes directeurs de l’OCDE a fait des recommandations sérieuses s’agissant du secteur du textile et de l’habillement, avec saisine possible de la mise en œuvre de ces recommandations. Je rappelle enfin, ce qui me paraît très important, qu’a été introduite la notion de devoir de vigilance des donneurs d’ordres, et je ne doute pas que les ONG, très actives en la matière, seront elles-mêmes vigilantes.
On assiste donc à une mobilisation française et celle-ci ne retombera pas. Les morts du Rana Plaza ne seront pas oubliés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.
M. Jacques Berthou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, cher Jean-Louis, messieurs les rapporteurs, dont je salue la qualité du travail, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est d’autant plus important qu’il traite de l’ensemble des instruments de solidarité et d’influence de notre politique de coopération au développement.
Parmi ces différentes facettes, il en est une qui joue et jouera un rôle de plus en plus important : l’expertise technique internationale. En effet, un nombre croissant de pays a aujourd’hui accès à des financements privés et publics dans des conditions satisfaisantes. C’est évidemment le cas des pays émergents, mais c’est également le cas, de plus en plus, de pays africains en forte croissance.
En revanche, ce dont tous ces pays ont encore besoin, c’est de notre expertise pour bâtir des politiques publiques, pour construire des États modernes, pour faire face aux nombreux défis du développement, en particulier d’un développement durable. C’est vrai dans le domaine de la santé, où nous disposons d’un savoir-faire mondialement reconnu ; c’est vrai en matière d’urbanisme, en agriculture, dans tout ce qui relève des obligations régaliennes des États, dans de très nombreux secteurs où nos hauts fonctionnaires, nos ingénieurs, nos juristes sont particulièrement appréciés.
C’est l’intérêt des pays en développement que de bénéficier de ces transferts de compétences, mais c’est également, il ne faut pas le cacher, notre intérêt. C’est un enjeu d’influence, car nous partageons ainsi notre vision du monde. C’est un enjeu de commerce extérieur, car, en diffusant nos normes, nous favorisons nos entreprises et nos produits.
Je voudrais redire ici qu’une expertise publique forte à l’international est évidemment un atout pour nos entreprises et le secteur privé. Bref, c’est un enjeu de solidarité et d’influence. C’est pourquoi j’ai souhaité introduire dans ce texte une réforme de nos opérateurs d’expertise publique à l’international. J’ai poursuivi ainsi la réflexion menée depuis longtemps par la commission des affaires étrangères. Dès 2008, le rapport Tenzer nous avait alertés sur la nécessité de regrouper nos opérateurs pour être plus compétitifs. Il faut dire que la France se singularise par son très grand nombre d’opérateurs d’expertise publique à l’international. Chaque ministère a le sien ; il en compte même plusieurs parfois, et il arrive que certains d’entre eux dépendent de plusieurs ministères.
En 2010, nous avions voulu adopter un amendement visant à rationaliser ce paysage, qui est non seulement foisonnant, mais aussi conflictuel puisque ces opérateurs se concurrencent entre eux. Le gouvernement de l’époque nous avait indiqué que cette réforme était prématurée. Nous avions alors demandé, par voie d’amendement, un rapport sur les moyens de rationaliser ce secteur. Le rapport Maugüé nous a été remis en 2010 et n’a débouché sur aucune réforme. Chaque ministère souhaite – c’est tellement naturel – conserver son opérateur, chaque opérateur son directeur, son comptable, ses locaux, et j’en passe.
En France, c’est bien connu, quand on ne veut pas faire, on crée d’abord une commission et, ensuite, on commande un ou plusieurs rapports. Devant cette situation, la commission des affaires étrangères et son président Jean-Louis Carrère m’ont missionné pour réfléchir aux moyens d’aller plus avant, de créer « une équipe France de l’expertise publique à l’international ». En 2011, mes collègues ont adopté à l’unanimité les conclusions de mon rapport recommandant un regroupement de ces opérateurs dans un établissement ayant la taille critique pour faire face à la concurrence étrangère.
Il faut bien voir, mes chers collègues, qu’aujourd’hui le marché de l’expertise est essentiellement financé par des appels d’offres de la Commission européenne, des organisations des Nations unies et de la Banque mondiale. Là où les Allemands, les Anglais ou les Espagnols ont réuni leurs forces en un seul opérateur pivot, nous y allons en ordre dispersé. Le résultat parle de lui-même : quand les Allemands réalisent plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires sur les appels d’offres internationaux, l’ensemble de nos petits opérateurs n’arrivent au total qu’à un peu plus de 100 millions d’euros.
Le gouvernement précédent s’est saisi des conclusions de mon rapport. En 2013, lors des Assises du développement, le Président de la République, me faisant l’honneur de citer mon rapport, a indiqué qu’il fallait maintenant agir. Mais la volonté de chaque ministère de conserver son opérateur a conduit à une nouvelle commission dite de « modernisation de l’action publique » et, le mois dernier, à un nouveau rapport qui, de nouveau, prône le regroupement.
Je crois que le temps de la concertation est fini. Nous en sommes au quatrième rapport aux conclusions identiques. Comme le Président de la République l’a dit, le temps de l’action est venu. C’est pourquoi j’ai proposé à la commission des affaires étrangères de réformer la loi de 2010 relative à l’action extérieure de l’État afin de regrouper les principaux opérateurs, celui du ministère des affaires étrangères et du développement international, celui du ministère des finances et ceux qui dépendent des ministères sociaux. Cela ne couvre qu’une partie des opérateurs ; nous verrons à l’usage si les autres s’y rallient.
Cet amendement, je m’en réjouis, a été voté avec l’accord des deux rapporteurs par l’ensemble de la commission des affaires étrangères, tous bords confondus. Il témoigne de notre volonté de participer à la réforme de l’État en améliorant l’efficacité de notre dispositif d’expertise publique à l’international. Il s’agit de fusionner les opérateurs dans un établissement public industriel et commercial qui puisse, à terme, s’autofinancer.
Rationalisation des structures, économies budgétaires, efficacité : voilà les principes qui nous animent ! Cet établissement intégrera dans sa gouvernance l’ensemble des ministères concernés et prévoit de nombreuses garanties pour maintenir le lien avec les viviers d’experts.
Alors, évidemment, toute fusion est une opération délicate : chacun cherche naturellement à défendre son existence, son identité, ses acquis. Mais, dans l’état actuel de nos finances publiques, on ne peut plus se payer une myriade d’opérateurs disposant chacun d’une organisation comparable qui peut être facilement mutualisée. Il y a des économies d’échelle à obtenir et des parts de marché à gagner avec cette réforme.
J’ai entendu dire çà et là que c’était précipité. Chacun a sa conception du temps qui passe. Il me semble que, sur un sujet qui est sur la table depuis 2008, l’État a pris le temps de faire mûrir sa réflexion. L’amendement tend d’ailleurs à prévoir un séquençage en plusieurs étapes : tout d’abord, une date butoir, le 1er janvier prochain ; ensuite, la création de cet EPIC.
Voilà donc les deux éléments incontournables de cette réforme. Je crois que la Haute Assemblée fera œuvre utile en adoptant ce texte, qui nous permettra de renforcer notre présence sur les marchés internationaux de l’expertise et de diffuser au profit des pays en développement notre savoir-faire et celui de nos entreprises. (Applaudissements.)