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Candidatures à une mission commune d'information
M. le président. J’informe le Sénat que la liste des candidats présentés par les groupes pour la désignation de six membres supplémentaires de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale a été affichée à 16 heures.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, elle sera ratifiée à 18 heures, si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
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Service citoyen pour les mineurs délinquants
Suite de la discussion en procédure accélérée et rejet d’une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, je souhaiterais aborder successivement trois points.
Tout d’abord, nous avons effectivement des motifs de nous inquiéter de l’état des lieux. La proposition de loi de notre excellent collègue député Éric Ciotti que le Sénat doit examiner aujourd’hui est d’une actualité malheureusement criante.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Criarde, plutôt !
M. Louis Nègre. Elle vise à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants.
Il est vrai que le phénomène de la délinquance des mineurs connaît depuis plusieurs années une augmentation. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Entre 1977 et 1992, le nombre des faits de délinquance impliquant des mineurs est passé de 82 000 à 98 000, soit une augmentation de 20,4 %. Entre 2004 et 2009, l’augmentation, bien que moindre, a persisté, à hauteur de 16,2 %, avec 214 000 faits recensés en 2009.
Cette évolution, mes chers collègues, n’est pas particulière à la France. Nos voisins européens sont confrontés à la même situation, mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire ! Le Gouvernement a réagi, monsieur le garde des sceaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Voilà ce qui nous différencie, mes chers collègues : vous réfléchissez, nous agissons ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. Alain Gournac. Bravo !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’agissez pas, vous vous agitez, c’est différent !
M. Louis Nègre. Madame le rapporteur, je tiens à vous rassurer : nous ne casserons rien !
Depuis 2002, notre législation a évolué pour mieux appréhender les différents aspects de cette délinquance : de nouveaux établissements éducatifs ont été ouverts, de nouveaux moyens de prévention ont été adoptés.
Mme Virginie Klès, rapporteur. C’est efficace, apparemment…
M. Louis Nègre. Ainsi, la loi du 9 septembre 2002 a instauré les centres éducatifs fermés. De même, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a introduit de nombreux dispositifs de prévention.
Cependant, comme l’a excellemment exposé ma collègue Colette Giudicelli, malgré ces évolutions législatives, il apparaît qu’entre la prison et la rue, il n’y a pas suffisamment de solutions intermédiaires.
Mme Virginie Klès, rapporteur. Il n’y aurait même rien, selon M. Ciotti !
M. Louis Nègre. L’objet de la proposition de loi présentée par M. Éric Ciotti est donc de compléter – c’est le deuxième point de mon intervention – les dispositifs existants en instaurant un service citoyen pour les mineurs délinquants : je soutiens pleinement ce texte et je me félicite de son dépôt.
Vous savez, mes chers collègues, que cette mesure est plébiscitée par nos concitoyens, par-delà les clivages politiques. Ainsi, selon un sondage de l’IFOP effectué le 10 juin 2011, 93 % d’entre eux sont favorables à l’instauration d’un service civique pour les mineurs délinquants : c’est le cas de 97 % des électeurs de droite, mais aussi de 90 % des sympathisants de gauche, madame le rapporteur ! (Exclamations sur les travées de l’UMP. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste.)
M. Alain Gournac. Elle a oublié de nous le dire !
M. Louis Nègre. Par conséquent, mes chers collègues, soyons à la hauteur de ce qu’attendent de nous les Français. Encore une fois, face à cette délinquance, ne restons pas inertes, agissons !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Agitons-nous, plutôt !
M. Louis Nègre. Je trouve pour le moins surprenant, original et, pour tout dire, bien contradictoire que nos collègues de gauche proclament à tout bout de champ leur attachement à la démocratie représentative mais refusent, ici au Sénat, d’engager une discussion sur le fond !
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que faisons-nous donc en ce moment, sinon discuter sur le fond ?
M. Louis Nègre. Pis, vous envoyez à la tribune – j’allais dire au front ! – pas moins de onze orateurs, dont le rapporteur, pour esquiver le débat. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.) Vous ne pouviez pas, chers collègues, rendre un meilleur hommage à cette proposition de loi, qui crée le chaînon manquant que j’évoquais,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Entre le primate et l’homme développé ?
M. Louis Nègre. … avec la mise en place d’un service citoyen qui s’appuiera sur l’apport que peuvent représenter les valeurs militaires pour l’insertion des jeunes en difficulté et sur le dispositif « Défense deuxième chance » mis en œuvre depuis 2005 dans les centres relevant de l’Établissement public d’insertion de la défense.
En effet, face à une population de mineurs délinquants en manque de repères, les valeurs militaires, et tout simplement civiques, peuvent constituer une réponse adaptée. Le savoir-faire des armées en matière d’insertion des jeunes en difficulté s’est affirmé, dans le passé, dans le cadre du service militaire obligatoire, ainsi que dans celui du dispositif « Jeunes en équipes de travail », créé sur l’initiative de l’amiral Brac de la Perrière. Il s’exprime aujourd’hui encore, comme l’a dit l’orateur précédent, dans le cadre du service militaire adapté en outre-mer.
Par ailleurs, le contrat de service dans un centre relevant de l’Établissement public d’insertion de la défense s’appliquera dans un cadre bien précis, rappelons-le ! Il sera établi par un magistrat. De plus, cette mesure ne s’adressera qu’à des mineurs âgés de plus de seize ans et ayant exprimé leur consentement. Ce point est important, madame le rapporteur ! Le volontariat, j’y insiste, est au cœur du dispositif, ne vous en déplaise !
Je souligne que les trois objectifs assignés au contrat de service citoyen apparaissent particulièrement pertinents, si l’on veut bien dépasser les clivages idéologiques, démagogiques ou tout simplement politiciens.
Les jeunes bénéficieront tout d’abord d’une mise à niveau en français, en orthographe et en mathématiques, ensuite d’une formation civique et comportementale, enfin d’une préformation professionnelle qualifiante.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le paradis !
M. Louis Nègre. Je rappelle que le taux d’insertion sur le marché du travail des jeunes actuellement accueillis dans les centres relevant de l’EPIDE est supérieur à 70 %. Ce résultat des plus enviables confirme la justesse de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. Pourrait-on refuser d’offrir cette nouvelle chance aux jeunes concernés ?...
M. André Reichardt. Non !
M. Louis Nègre. Ce serait incompréhensible ! L’accueil des mineurs dans ces centres constituera une alternative crédible et efficace à l’incarcération ou au placement en centre éducatif fermé.
L’objectif visé est également de transmettre à ces jeunes en rupture des notions quelque peu oubliées, telles que la citoyenneté, le respect de la règle et de l’autorité, le sens de l’effort et du mérite. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Qui, parmi nous, pourrait ne pas être d’accord avec un tel objectif ?
Cette proposition de loi a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, le 12 octobre,…
M. Alain Néri. Ce n’est pas une référence !
M. Louis Nègre. … et je ne peux que m’en réjouir !
Aussi ai-je été très surpris que la commission des lois du Sénat ait adopté une motion tendant à opposer la question préalable, au rebours de la vocation de notre assemblée, haut lieu du débat démocratique. Le changement de majorité commence mal ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Face à une situation qui s’aggrave chaque jour, nous le savons tous, face à l’augmentation des actes de délinquance, et donc du nombre de victimes – mais qui pense à elles ? –, la réponse n’est pas dans l’obstruction ou l’attentisme. Au contraire, il nous faut agir !
M. Jean-Pierre Michel. Oui, mais comment ?
M. Louis Nègre. C’est notre devoir ! La candidate du parti socialiste à la précédente élection présidentielle, Mme Ségolène Royal, vous y a même invités !
M. Alain Gournac. C’est vrai !
M. Louis Nègre. Aussi souhaiterais-je, à des arguments pas toujours justifiés à mes yeux, opposer certaines vérités. Ce sera mon troisième point.
Tout d’abord, les magistrats et les responsables de l’EPIDE ont bien évidemment été entendus. Dans le cadre de l’élaboration de la proposition de loi, Éric Ciotti – je l’ai vérifié auprès de lui – a eu l’occasion, vous le savez parfaitement, d’auditionner plusieurs représentants des syndicats de magistrats, au plus haut niveau. Quant à la consultation des professionnels, je souligne que ce dispositif a été conçu avec les services de l’EPIDE, c’est-à-dire avec les spécialistes du dossier.
Par ailleurs, contrairement à ce que certains ont dit, il n’existe aucun risque de déstabilisation des centres relevant de l’EPIDE par le mélange de mineurs délinquants et de majeurs volontaires. En effet, bien qu’étant volontaires, la moitié des jeunes qui se trouvent dans ces centres ont déjà eu affaire à la justice, et bon nombre d’entre eux ont déjà connu la prison. (M. Jean-Pierre Michel proteste.) Cette proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants au sein des centres relevant de l’EPIDE n’altérera donc en aucune manière la stabilité de ces structures.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Louis Nègre. Je regrette de devoir constater que les arguments de la gauche manquent de fond. Ils illustrent un esprit partisan, d’opposition stérile, alors que seul l’intérêt des mineurs délinquants et de la société doit être recherché.
Éric Ciotti a eu le courage politique…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes vraiment très drôle !
M. Louis Nègre. … et la volonté d’élaborer une proposition de loi concrète et pragmatique ; je remercie M. le garde des sceaux de la défendre.
Mes chers collègues, il faut soutenir cette démarche pleine de bon sens et cesser d’opposer au principe de réalité les critères d’une idéologie dépassée.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vous qui êtes caricatural !
M. Louis Nègre. En conclusion, je m’opposerai à l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable, qui serait inopportune et contreproductive. Nous pensons, au contraire, que cette proposition de loi doit pouvoir être mise en œuvre dans les meilleurs délais, dans l’intérêt des jeunes qui bénéficieront de son dispositif, mais aussi dans celui de la sécurité de nos concitoyens et de la société en général. Plutôt que d’organiser un combat de retardement, faisons, mes chers collègues, œuvre utile et efficace au bénéfice de ces jeunes en rupture : les Français nous en seront reconnaissants ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « lorsque les parents s’habituent à laisser faire leurs enfants ; lorsque les enfants ne tiennent plus compte de leurs paroles ; lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves ; lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien ni de personne, alors c’est en toute justesse, le début de la tyrannie. Oui ! La jeunesse n’a que du mépris pour ceux de ses maîtres qui s’abaissent à la suivre au lieu de la guider. »
Cette analyse, développée par Platon au début du IVe siècle avant Jésus-Christ, est saisissante de vérité et toujours actuelle !
Dans cette proposition de loi, monsieur le garde des sceaux, je vois essentiellement l’aveu, le constat d’un double échec de notre mission éducative.
L’éducation est l’une des principales questions qui se posent aujourd’hui à notre pays. Le mineur délinquant est un adulte en devenir, envers lequel le monde adulte a un devoir d’éducation. J’adhère pleinement à la philosophie qui a inspiré l’ordonnance du 2 février 1945, selon laquelle la cause première du basculement du mineur dans la délinquance réside dans le déficit d’éducation. Je crois, monsieur le ministre, que cette philosophie se profile aussi au travers de cette proposition de loi.
L’urgence première est de remobiliser les parents autour du devoir d’éduquer. La conduite d’une politique d’appui à la parentalité est, en effet, un enjeu important pour la société d’aujourd’hui et de demain.
Depuis quarante ans, la famille s’est profondément transformée. Surtout, moins institutionnalisée que dans le passé, la vie familiale suscite davantage de questionnements et de doutes de la part des parents. Les familles doivent donc être épaulées tout au long de leur existence. Ce soutien à la parentalité par des dispositifs d’action publique est intégré au périmètre des politiques familiales depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Il doit absolument se poursuivre en s’amplifiant, et il est indispensable d’augmenter les crédits alloués à l’accompagnement des familles dans leur rôle parental.
Autre échec : celui de notre école. Aujourd’hui source de dévalorisation et d’inégalités, cet échec engendre aussi de la violence. Notre système scolaire ne transmet plus les valeurs qui ont assuré la cohésion sociale de notre pays, ainsi que la construction individuelle de chacun.
Cette proposition de loi se veut une réponse à cet échec de l’éducatif. Je me pose les mêmes questions que beaucoup de nos collègues, mais je ne vous rejoins pas, madame la rapporteure, quand vous indiquez de façon très expéditive que cette proposition de loi est un texte de circonstance, dont il n’y aurait rien à tirer.
M. Alain Gournac. Ah !
Mme Muguette Dini. Je souhaite insister sur l’encadrement militaire, si critiqué. Je serais, pour ma part, plus mesurée, m’associant sur ce point aux propos de notre collègue Félix Desplan.
En avril dernier, j’ai conduit une délégation de la commission des affaires sociales en mission d’études à la Martinique et en Guyane. Lors de notre séjour à la Martinique, nous avons visité, durant toute une matinée, le régiment du service militaire adapté.
Le SMA, présent dans la quasi-totalité des collectivités d’outre-mer, assure, dans un environnement exclusivement militaire, une formation professionnelle à de jeunes ultramarins volontaires en difficulté ; il contribue également, par le biais de chantiers d’application, au développement économique des collectivités d’outre-mer, ainsi qu’à la protection civile, notamment lors des catastrophes naturelles.
L’engagement à servir au titre du SMA est fondé sur le volontariat, et il existe une procédure de sélection, afin de vérifier notamment que le candidat n’a pas eu de démêlés trop lourds avec la justice.
L’objectif est d’aider un jeune en difficulté à recevoir une formation de base, afin de lui permettre ensuite d’obtenir un diplôme ou de trouver un emploi. Ce dispositif constitue, pour ce profil de jeunes, le « chaînon manquant » entre la formation initiale et la vie professionnelle.
Au total, plus de 120 000 jeunes sont passés par le SMA, sur nos territoires, depuis sa création en 1961. Aujourd’hui, trente-sept métiers sont proposés.
Il est important de souligner que le SMA met l’accent sur le comportement et les règles de vie à respecter en société. La formation globale proposée au travers du SMA est ainsi fondée sur la rupture que supposent l’acte d’engagement et la vie en internat dans une enceinte militaire.
Le SMA dispose actuellement d’environ 700 personnels d’encadrement, en majorité des militaires détachés par le ministère de la défense, ainsi que d’un état-major.
Pour tous les membres de notre mission, ce fut une vraie découverte ! Nous avons tous reconnu l’incontestable succès de ce dispositif. Cette visite a permis sans nul doute de « dédiaboliser » l’encadrement militaire des jeunes en rupture sociale. J’adhère donc à cette idée que l’encadrement militaire peut être une bonne chose.
Une double question se pose ici.
Tout d’abord, faut-il confier une partie de l’enseignement professionnel, pas exclusivement destiné à des délinquants, à des militaires, manifestement plus performants que l’éducation nationale ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Alain Néri. C’est excessif !
Mme Muguette Dini. Je rappelle que 160 000 jeunes sortent chaque année sans formation du système éducatif.
Ensuite, est-il sain de mélanger dans les centres relevant de l’EPIDE de jeunes volontaires non délinquants avec de jeunes délinquants pour qui ce dispositif à encadrement militaire sera la seule alternative à l’incarcération ? Je n’y insisterai pas, beaucoup de mes collègues ont déjà évoqué cette vraie question.
Une telle juxtaposition paraît bien dangereuse. Ne vaudrait-il pas mieux créer, sur le modèle des centres relevant de l’EPIDE, des structures uniquement consacrées aux jeunes délinquants ? Sans doute l’adoption d’amendements allant dans ce sens, après un examen approfondi de la proposition de loi, aurait-elle permis à la majorité du groupe UCR de voter celle-ci. Je ne peux que regretter la décision de la commission des lois de rejeter ce texte et de proposer au Sénat d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, sous couvert de compléter les solutions offertes à la justice et de trouver des remèdes à la situation des jeunes en manque de repères et en rupture sociale, la proposition de loi qui nous est soumise à la va-vite n’est constituée que de « mesurettes » cosmétiques et inefficaces.
Sur le plan de la méthode, tout d’abord, un tel chantier législatif aurait dû être entrepris dans le respect du débat parlementaire,…
M. Louis Nègre. Débat que vous refusez ici !
Mme Esther Benbassa. … mais le Gouvernement a fait le choix de recourir à la procédure accélérée, cédant une fois encore à l’urgence et à l’électoralisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Sur le fond, je consacrerai l’essentiel de mon intervention aux cinq premiers articles du texte, Mme Tasca ayant excellemment traité de l’ajout de dernière minute d’un article 6.
Je partage, quant à moi, la position de notre rapporteure et des magistrats sur les difficultés engendrées par l’article 6. Les sénatrices et sénateurs écologistes rejettent fermement cette atteinte à la nécessaire continuité du suivi éducatif des mineurs, exigence constitutionnelle qui aurait dû être prise en compte dans le cadre d’une réflexion globale et approfondie.
Mais, outre cette greffe de l’article 6 qui ne prend pas, le reste de la proposition de loi est également contestable à plus d’un titre.
M. Jean-Pierre Michel. C’est vrai !
Mme Esther Benbassa. Tout d’abord, les mesures contenues dans les cinq premiers articles de la proposition de loi comportent de nombreuses confusions et suscitent l’incompréhension, y compris chez les professionnels du droit.
Ainsi, il n’est pas précisé si les mesures s’appliqueront aux primo-délinquants ou aux mineurs récidivistes ou multirécidivistes. M. le ministre vient heureusement de nous préciser que les multirécidivistes n’étaient pas concernés.
Mme Esther Benbassa. On ignore également si la qualification pénale des infractions, délits ou crimes sera ou non prise en compte.
Cette confusion est accentuée par le caractère « militaire » du dispositif. En effet, l’on sait que l’encadrement des centres relevant de l’EPIDE est composé à 42 % d’anciens militaires, et que le ministère de la défense a fourni, à l’origine, les terrains et les bâtiments.
Le rapport nous indique également que ce même ministère sera sollicité financièrement à hauteur de 2 millions d’euros si les mesures contenues dans le texte sont finalement adoptées – ce dont je doute, tant ce texte semble, à juste titre, faire l’unanimité contre lui !
M. Jean-Jacques Hyest. Mais non !
Mme Esther Benbassa. Dès lors, même si les centres relevant de l’EPIDE sont conçus comme des établissements civils d’enseignement et d’internat, l’ambiguïté persiste !
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer devant la commission des lois, les sénatrices et sénateurs écologistes sont hostiles à la militarisation de l’insertion des mineurs délinquants.
M. Louis Nègre. Ils ont tort !
M. Alain Gournac. Vous voulez supprimer le SMA dans les DOM ?
Mme Esther Benbassa. Une autre confusion entretenue par ce texte tient à la référence à un « contrat » dont la signature relève de la « volonté » des jeunes pour entrer dans le dispositif, alors que, dans le même temps, il y a mesure de contrainte prise par l’institution judiciaire. Il s’agit bien, en réalité, d’une obligation imposée aux jeunes concernés, puisque ce service est prévu, à l’article 1er de la proposition de loi, comme une modalité de la composition pénale.
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
Mme Esther Benbassa. Ainsi, si le procureur de la République propose à un jeune l’exécution d’un service citoyen, ce dernier n’aura in fine pas le choix : soit l’action publique s’éteindra et il entrera dans un centre relevant de l’EPIDE, soit il sera poursuivi pénalement.
M. Louis Nègre. C’est au choix…
Mme Esther Benbassa. Le même raisonnement est applicable, par analogie, à l’article 2 du texte, relatif à l’accomplissement du service au sein d’un centre relevant de l’EPIDE dans le cadre de l’ajournement de peine, ou à l’article 3, concernant quant à lui le sursis avec mise à l’épreuve. Dans ces deux autres hypothèses aussi, le caractère volontaire de l’entrée dans le dispositif demeure purement théorique.
Au-delà, c’est l’esprit même de ce nouveau texte répressif, liberticide et sécuritaire que les sénatrices et sénateurs écologistes contestent fermement.
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
Mme Esther Benbassa. Il s’agit, ici encore, comme en est coutumière une certaine « droite populaire », de chercher à flirter avec l’électorat de l’extrême droite, par le biais d’« effets d’annonce ». (Protestations sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
« Enfermons ces jeunes pour protéger la société », déclare ainsi M. Ciotti ! En pratique, ces mesures ne concerneront pourtant qu’une poignée de jeunes et ne régleront évidemment pas les problèmes liés à la délinquance des mineurs.
M. Ronan Kerdraon. Ce n’est pas le but !
Mme Esther Benbassa. En effet, la délinquance juvénile apparaît comme une problématique ancienne, régie presque entièrement par l’ordonnance du 2 février 1945, qui repose sur une dichotomie entre justice des mineurs et justice des majeurs et dont l’article 2 donne aux mesures éducatives la primauté sur les sanctions.
Mme Catherine Troendle et M. Louis Nègre. Nous sommes d’accord !
Mme Esther Benbassa. Or, la proposition de loi de M. Ciotti s’insère dans une série de textes votés précédemment : « Perben 1 », « Perben 2 », « LOPPSI 1 » puis « LOPPSI 2 », et enfin la loi du 10 août 2011 relative aux jurés populaires et à la justice des mineurs. Tous mettent l’accent sur la réponse pénale, dans un contexte où la rhétorique sécuritaire prime sur la recherche de solutions viables aux maux et aux crises économiques successives dont souffre notre société.
Les mesures présentées dans cette proposition de loi risquent en outre de déstabiliser le fonctionnement des centres relevant de l’EPIDE, qui ne sont pas adaptés à l’accueil de mineurs délinquants. Il serait préjudiciable de bouleverser la dynamique de ces structures, qui fonctionnent bien pour le moment, afin d’y faire entrer une toute petite poignée de mineurs délinquants, lorsque 40 000 bénéficient déjà, en milieu ouvert, d’une palette de dispositifs de prise en charge.
Les sénatrices et sénateurs écologistes rejettent donc en bloc la philosophie de ce texte ; ils plaident en faveur de la mise en œuvre de solutions de prévention ou de mesures adaptées à l’âge et à la situation des intéressés, en particulier de mesures éducatives ou de « placement » en milieu ouvert, favorisant la réinsertion des jeunes concernés et impliquant tous les acteurs : famille, école, éducateurs.
Enfin, je terminerai en rappelant le coût exorbitant d’un tel dispositif. Alors que le budget consacré actuellement à la formation d’un jeune majeur dans ces établissements est en moyenne de 32 000 euros, le rapport de la commission des lois nous indique qu’il s’élèvera à 50 000 euros par mineur délinquant si le texte est mis en œuvre ! Dans cette période de crise que nous connaissons, où la justice peine déjà à obtenir un budget qui lui permettrait de fonctionner au mieux, pensez-vous sincèrement que ces nouvelles dépenses soient nécessaires ?
Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs écologistes sont évidemment hostiles à cette proposition de loi, qui a d’ailleurs été rejetée par la commission des lois. Ainsi, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri.
M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteure, mes chers collègues, oui, la délinquance des mineurs est un problème réel et important, mais il ne date pas d’aujourd’hui, même s’il est particulièrement d’actualité.
En effet, dès 1945, à la Libération, le Gouvernement s’en était occupé en mettant en œuvre l’ordonnance relative à l’enfance délinquante. La description donnée de l’enfant en danger était d'ailleurs claire : est en danger tout enfant dont la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises.
Le traitement d’un tel sujet appelle à l’évidence l’élaboration d’un projet ambitieux et réfléchi pour les enfants et adolescents en difficulté. Or la proposition de loi que nous examinons est avant tout un texte d’affichage. C’est pourquoi je conteste son contenu et réfute son opportunité.
Pourquoi proposer une nouvelle réforme de l’ordonnance de 1945 alors que vous affirmez, monsieur le ministre, qu’un code de la justice pénale des mineurs est quasiment achevé ?
Il est parfaitement illogique et inopportun d’apporter à l’ordonnance de 1945 de nouvelles modifications, qui ne pourront que nuire à sa lisibilité et à sa cohérence.
Sur le fond, la proposition de loi qui nous est soumise est inutile. En effet, l’article 10 de l’ordonnance de 1945 permet déjà le placement de mineurs dans des établissements et dans des institutions d’éducation, de formation professionnelle ou de soins, relevant de l’État ou d’une administration publique habilitée.
Pour toutes ces raisons, il n’y a pas lieu de créer un nouveau dispositif législatif, si ce n’est pour faire du spectaculaire et obtenir un effet d’annonce au travers d’un texte de circonstance, à quelques mois de l’élection présidentielle.
À l’origine, les centres relevant de l’EPIDE avaient pour vocation d’assurer l’insertion professionnelle et sociale de jeunes en difficulté scolaire, sans qualification professionnelle ni emploi, en danger de marginalisation, mais volontaires pour s’engager dans un projet éducatif global, c’est-à-dire une véritable école de la deuxième chance.
Le texte qui nous est soumis prévoit de mêler à ces jeunes volontaires de jeunes délinquants, qui devront choisir entre la prison et l’entrée dans un tel centre. Ce serait transformer une structure d’insertion en structure de sanction, en alternative à l’enfermement.
Les jeunes accueillis étant différents, l’approche pédagogique ne peut être la même. Il faut individualiser les parcours d’éducation et de formation pour être efficaces. Ce n’est pas la nouvelle modification de l’ordonnance de 1945 qui nous est proposée qui permettra de pallier l’absence d’éducateurs en milieu ouvert, prêts à intervenir dès le début de la déscolarisation ou l’apparition de difficultés en matière d’autorité parentale, ni celle de structures de rééducation adaptées.
Monsieur le ministre, pour mettre en place une véritable politique de prévention, il faut radicalement changer les orientations de votre action en direction des services de la protection judiciaire de la jeunesse. Depuis trois ans, vous avez supprimé 400 postes en leur sein. À lui seul, le budget de la justice pour 2011 a organisé la disparition de 117 postes. Quant à votre projet de budget pour 2012, il semble poursuivre sur cette lancée. Paradoxalement, il y est prévu que les crédits des centres relevant de l’EPIDE diminueront de 5 millions d’euros, passant de 85 millions à 80 millions d’euros.
De plus – cerise sur le gâteau ! –, le directeur de l’EPIDE, à qui vous aviez reconnu de nombreux mérites, vient d’être remercié du jour au lendemain, sans explication. Mais peut-être allez-vous enfin, monsieur le ministre, nous en donner une ?
En réalité, il est urgent de redonner aux services de la protection judiciaire de la jeunesse les moyens d’exercer leur mission, car, sans nier les qualités des uns et des autres, il faut rappeler ce vieux principe d’efficacité : à chacun son métier !
S’agissant de la jeunesse, et plus particulièrement des jeunes en difficulté, on ne peut se satisfaire de textes de circonstance, ni de bricolages en tous genres. Organisez une remise à plat totale de ce texte, monsieur le garde des sceaux, ordonnez la réalisation d’une étude d’impact sérieuse, afin de dresser un bilan des besoins humains et financiers que requiert le traitement d’un problème d’une telle importance.
Donnons-nous les moyens de développer des politiques de prévention propres à éviter que ne soient gâchées les vies d’un trop grand nombre de jeunes citoyens. De surcroît, la mise en œuvre de telles politiques engendrerait de grandes économies pour l’État, en ces temps de crise financière, et donnerait une nouvelle chance, une nouvelle espérance, à de nombreux jeunes.
Donnons également à la justice les moyens de faire appliquer rapidement ses décisions, au lieu de la critiquer injustement. C’est ainsi que, ensemble, nous retrouverons le chemin de la cohésion nationale. Tel est le vœu que formulent les sénatrices et sénateurs socialistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)