M. Jean-Pierre Godefroy. Nous en sommes encore loin !

Telles sont les observations générales que je souhaitais présenter à cet instant de la discussion.

Je tiens à appeler dès maintenant votre attention, monsieur le ministre, sur l’amendement n° 137 du groupe socialiste.

Le vote de la loi du 9 avril 1898 a été l’acte fondateur de la reconnaissance de la spécificité des accidents du travail. Cependant, pour des raisons tenant aux circonstances de l’époque, cette loi est fondée sur un compromis : elle facilite la reconnaissance des accidents du travail, mais ne prévoit en contrepartie qu’une indemnisation partielle des dommages subis par le salarié.

Cette situation a persisté jusqu’à nos jours, alors que, dans le même temps, les régimes de réparation intégrale se généralisaient, qu’il s’agisse des accidents de la circulation, des aléas thérapeutiques ou, dans le domaine du travail, de maladies développées en raison d’une exposition à l’amiante.

À ce jour, les victimes d’accidents du travail ne bénéficient donc encore que d’une indemnisation partielle des dommages subis : 60 % du salaire journalier de base pendant les vingt-huit premiers jours d’arrêt de travail, puis 80 % à partir du vingt-neuvième jour. Cette indemnisation ne couvre pas l’ensemble des dommages, dont les conséquences vont souvent au-delà des atteintes physiques et morales immédiates.

Une réparation améliorée ne peut généralement être obtenue que par la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, au terme de plusieurs années de procédure. L’établissement d’un régime légal de réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles permettrait de limiter le nombre de contentieux visant à faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur et de rétablir l’égalité entre les victimes d’accidents.

Actuellement, lorsque la faute inexcusable de l’employeur a été reconnue, l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale dispose que « la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».

L’énumération des préjudices pouvant donner lieu à réparation est donc strictement limitée. Aussi, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue publique le 18 juin 2010, a-t-il indiqué quelle interprétation il convient de faire de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel considère que la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit, indépendamment de la majoration de la rente ou du capital alloué en fonction de la réduction de la capacité de la victime lorsque l’accident ou la maladie est due à la faute inexcusable de l’employeur, « peuvent, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l’employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; […] en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ». Parmi ces derniers, on peut évoquer notamment les divers aménagements du logement devenus nécessaires, l’intervention d’une tierce personne, ou encore l’aménagement des moyens de locomotion.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel ouvre la voie à une réparation véritablement intégrale des préjudices subis par les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, même si elle n’est pour le moment accordée que dans le cas d’une faute inexcusable de l’employeur.

Je crois, monsieur le ministre, qu’il est du devoir du Parlement de prendre acte de cette avancée et d’intégrer clairement dans la loi les observations formulées par le Conseil constitutionnel. Tel était d’ailleurs l’objet de la proposition de loi n° 613 que j’avais déposée le 6 juillet 2010. Or nous pouvons régler ces problèmes sans attendre, dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 : nous aurons l’occasion d’en débattre dans les jours à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Muguette Dini, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, je souhaite simplement rappeler à mes collègues que la commission des affaires sociales va se réunir immédiatement.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale de financement de la sécurité sociale pour 2011
Discussion générale (suite)

8

Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Jean Boyer et Marc Daunis respectivement en qualité de membre titulaire et de membre suppléant du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, créé en application du décret n° 2006-826 du 10 juillet 2006 modifié.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

9

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération, et aux conditions de recrutement et d’emploi du personnel enseignant et universitaire, déposée sur le bureau de notre assemblée.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale de financement de la sécurité sociale pour 2011
Discussion générale (suite)

Financement de la sécurité sociale pour 2011

Suite de la discussion d'un projet de loi

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Serge Dassault.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale de financement de la sécurité sociale pour 2011
Exception d'irrecevabilité (début)

M. Serge Dassault. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, mon intervention a essentiellement pour objet de faciliter la maîtrise de nos dépenses d’assurance maladie, conformément au souhait du Gouvernement.

La conjoncture économique actuelle est difficile, très difficile même, pour les entreprises, dont les coûts de production sont trop élevés, en particulier à cause de l’instauration des 35 heures et de charges sur les salaires très lourdes, le prélèvement opéré au titre de l’assurance maladie représentant 43 % du salaire net.

Or la France est le seul pays qui finance son assurance maladie par les salaires, les autres recourant par exemple au financement privé par les salariés ou à l’impôt.

Notre mode de financement présente deux graves inconvénients.

D’une part, il réduit la compétitivité de nos entreprises, car les salaires nets perçus par les salariés leur coûtent le double, le taux de charges n’étant que de 31 % en Suède et de 15 % en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.

D’autre part, le financement de l’assurance maladie est insuffisant, puisque celle-ci est en déficit permanent par manque de recettes.

En outre, nos charges sur salaires trop élevées conduisent nos entreprises soit à ne pas embaucher, soit à licencier, soit à délocaliser leur production, afin de réduire leurs coûts et de faciliter leurs ventes.

Par conséquent, madame le ministre, je vous propose de supprimer le financement de l’assurance maladie par les charges sur salaires et de recourir à ce que j’appelle le « coefficient d’activité ». Ainsi, on favoriserait à la fois la compétitivité de nos entreprises, en réduisant les coûts de production, et le financement de l’assurance maladie.

Cette solution consiste à asseoir le calcul des charges d’assurance maladie non plus sur la production, c’est-à-dire sur les salaires, mais sur le résultat de l’activité, c’est-à-dire sur le chiffre d’affaires, diminué de la masse salariale.

Les entreprises de main-d’œuvre se trouveront favorisées, au contraire des entreprises de services employant peu de personnel. En outre, toutes les importations entrant dans les coûts de production seront taxées, puisqu’elles sont prises en compte dans le calcul de l’activité fondé sur le seul chiffre d’affaires, sans déduction de masse salariale, du fait d’une fabrication à l’étranger. Les importations engendreront ainsi un surcroît de charges.

Les autres charges sur salaires continueront à financer l’assurance chômage, l’assurance vieillesse, les allocations familiales et la branche accidents du travail-maladies professionnelles, bien que l’on puisse aussi envisager de les intégrer un jour – pourquoi pas ? – dans le système du coefficient d’activité.

Il faut noter que cette opération ramènera le poids des charges sur salaires à 67 % du salaire net, au lieu de 100 % actuellement, ce qui réduira considérablement nos coûts de production. Cela permettra de faciliter notre activité industrielle, de favoriser l’emploi, les exportations et la croissance.

Ajoutons que cette solution permettrait de réduire considérablement le financement par l’État des allégements de charges, à concurrence de la réduction des charges supportées par les entreprises. Le coût de ces allégements de charges, qui atteint aujourd’hui près de 30 milliards d’euros, serait presque réduit de moitié, soit une économie pour le budget de l’État de 15 milliards d’euros. Ce n’est pas rien !

La solution que je propose peut être résumée par la formule suivante : « coefficient d’activité (chiffre d’affaires - masse salariale) = assurance maladie ».

L’assurance maladie serait donc financée entièrement par le biais de ce coefficient d’activité et, chaque année, celui-ci pourrait être adapté de façon à équilibrer exactement le dispositif.

Le déficit budgétaire se trouverait donc réduit à concurrence du déficit de l’assurance maladie, étant précisé que ma solution ne concerne que le secteur marchand, puisqu’elle fait appel au chiffre d’affaires. En conséquence, le coefficient d’activité ne pourrait pas s’appliquer au secteur non marchand.

En résumé, ma proposition permettrait d’abord de réduire les coûts de production et de relancer la croissance, ensuite de mieux financer, en équilibrant ses comptes, notre assurance maladie, enfin de réduire considérablement le coût pour l’État des allégements de charges. Au total, elle autoriserait une réduction de notre déficit, à hauteur de 15 milliards d'euros au titre des allégements de charges ainsi que d’une part importante des 20 milliards d’euros de déficit de l’assurance maladie pour le secteur marchand. Ce sont ainsi près de 30 milliards d'euros d’économies que vous pourriez réaliser en appliquant cette formule.

C’est pourquoi je vous suggère, madame, monsieur les ministres, de demander à vos services d’étudier ma proposition pour en déterminer les avantages et les éventuels inconvénients. En tout état de cause, le pire, me semble-t-il, serait de ne rien faire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale s’inscrit parfaitement dans la politique que le Gouvernement mène depuis quelques années. Celle-ci est teintée de rigueur et d’austérité, elle est injuste et contraire à la solidarité nationale, à laquelle les Français sont attachés.

Prétextant la mondialisation et la crise, le Gouvernement tend vers une privatisation de notre système social, par un glissement progressif de la couverture sociale vers les assurances complémentaires santé. En transférant à celles-ci, dont le coût va s’accroître, une part croissante de la prise en charge, le Gouvernement pénalise les ménages modestes et ceux de la classe moyenne.

Ce changement intervient alors que de nombreux Français sont en proie à de graves difficultés, allant jusqu’à les amener à faire passer leur santé au second plan : 40 % d’entre eux ont récemment reporté un soin ou y ont renoncé pour des raisons financières.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ce chiffre est faux !

Mme Patricia Schillinger. Les fondements de l’assurance maladie sont aujourd’hui menacés, et avec eux le principe même de solidarité. Un tel bouleversement mériterait un véritable débat associant tous les Français.

Les années passent et le constat est de plus en amer : on démantèle toujours plus la sécurité sociale. Les économies sont faites sur le dos des malades et des personnes les plus fragiles. Le système est devenu inégalitaire, alors que les ressources de près de 8 millions de ménages sont inférieures au seuil de pauvreté. Il apparaît urgent de maintenir et de renforcer une sécurité sociale solidaire.

Après la mise en place des franchises médicales, la hausse du forfait hospitalier, la multiplication des dépassements d’honoraires, nous assistons aujourd’hui à une baisse du taux de remboursement des médicaments à vignette bleue, qui passe de 35 % à 30 %, ainsi qu’au relèvement du seuil de la contribution de 18 euros. Il est certain que ce sont les personnes les plus modestes qui vont le plus souffrir de ces mesures.

Le PLFSS qui nous est présenté aujourd’hui est en complet décalage avec la situation économique et sociale. Les finances sociales subissent une crise structurelle qui appelle des réformes de fond, et non de simples ajustements paramétriques pour faire face à l’ampleur du déficit.

La politique du Gouvernement entretient une certaine inertie, elle contribue à la dégradation de la situation du pays.

Il s’agit d’abord d’une dégradation sociale, par la diminution des prestations de la sécurité sociale qui est engagée.

Il s’agit ensuite d’une dégradation financière, car les déficits continuent à s’accumuler et les réponses du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des problèmes. Plus les années passent, plus la dérive s’accentue.

Encore plus regrettables sont les mesures inégalitaires et injustes concernant la branche famille contenues dans ce PLFSS. Ces mesures, destinées à réaliser des économies de bouts de chandelles, ont été largement critiquées, y compris dans les rangs de la majorité.

En effet, la politique familiale n’est pas épargnée : la date d’ouverture des droits aux aides personnelles au logement ne bénéficierait plus d’une rétroactivité de trois mois. Cette mesure frappera, encore une fois, les plus démunis, les plus modestes. Il faut savoir que l’accès au logement conditionne la réalisation des projets familiaux, ainsi que l’accès au travail et le maintien dans l’emploi. La rétroactivité des aides au logement correspondait à certaines réalités de la vie des familles, pour lesquelles la demande d’une aide au logement n’est pas forcément la première démarche à accomplir lorsqu’elles accèdent à un logement. Entre le moment où un locataire déposait sa demande et celui où il recevait une réponse, plusieurs semaines pouvaient s’écouler. Cette rétroactivité de trois mois permettait, si le locataire était déjà dans les lieux durant cette période, de rétablir ses droits.

La suppression de la rétroactivité pose problème tant pour les personnes concernées que pour les associations faisant de l’intermédiation locative. En effet, une personne en situation d’exclusion – ou le travailleur social qui l’accompagne – peut rencontrer de très grandes difficultés pour réunir, dès son entrée dans les lieux, tous les papiers nécessaires à l’ouverture des droits. Elle peut en effet avoir à rassembler des justificatifs attestant de ses ressources ou des aides qu’elle perçoit et émanant de diverses administrations, de diverses régions de France, de divers employeurs ; or obtenir ces documents peut se révéler très difficile.

De plus, certaines associations qui font de l’intermédiation locative touchent l’aide personnalisée au logement, l’APL, au titre de tiers payant, à la place des personnes qui occupent les logements. Ces associations peuvent donc prendre le risque de ne pas toucher tout de suite l’APL pour les personnes qu’elles suivent. Cependant, jusqu’à présent, elles savaient qu’elles pourraient récupérer cette aide rétroactivement. Une suppression pure et simple de cette ressource peut conduire ces associations d’intermédiation locative à connaître de graves difficultés de trésorerie. La suppression de la rétroactivité de trois mois pour l’APL est une mesure tout simplement scandaleuse, qui va de nouveau affecter fortement le budget des familles, des jeunes célibataires et des étudiants.

Une autre « mesurette » que le Gouvernement a voulu faire passer en force par le biais de ce texte, mais qui, heureusement, a été supprimée au dernier moment, est le versement de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant dans le mois qui suit la naissance, et non plus à compter du jour de celle-ci. Un tel report serait complètement absurde car il rapporterait peu financièrement et pénaliserait les plus défavorisés de nos concitoyens. Est-ce aux populations les plus pauvres de ce pays de financer la crise ? Non !

Cette allocation a pour vocation d’aider les parents à prendre en charge les coûts liés à l’entretien de l’enfant dès son arrivée au foyer, jusqu’à son troisième anniversaire. Il est cohérent que son versement intervienne au moment où la famille en a le plus besoin, c’est-à-dire dès la naissance de l’enfant. Aujourd'hui, 13 % des Français ont des ressources inférieures au seuil de pauvreté, et ce sont ces familles modestes qui seront touchées, en particulier les familles monoparentales, qui ont besoin de l’APL et de la prestation d’accueil du jeune enfant. Je me réjouis que les députés aient eu le bon sens de supprimer cette mesure.

Autre choix contre-productif du Gouvernement, celui de priver la branche famille d’une fraction de la part de la CSG qui lui était attribuée afin de financer la dette sociale, alors même que la branche famille s’enfonce progressivement dans les déficits.

Un récent rapport du Haut Conseil de la famille, adopté en septembre 2010, indiquait pourtant qu’à législation et à natalité constantes, la branche famille ne pourrait revenir à l’équilibre qu’en 2017 et n’effacer ses dettes qu’en 2023. En faisant le choix de lui retirer 0,28 % du produit de la CSG, ressource qui l’alimentait de manière pérenne, au profit de la CADES, le Gouvernement retarde de plusieurs années à la fois le remboursement de la dette sociale et le retour à l’équilibre de la branche famille. Cette perte sera compensée par des recettes non pérennes, qui vont faire perdre à la branche famille 200 millions d’euros en 2012 et plus de 1 milliard d’euros en 2013. Il s’agit là d’un véritable passage en force du Gouvernement, opéré contre l’avis même des présidents des commissions des lois et des finances de l’Assemblée nationale.

Une fois encore, on ne règle pas le problème de la dette sociale, on reporte simplement la charge de celle-ci sur la jeune génération. Pour pouvoir passer le cap fatidique de 2012, le Gouvernement n’hésite pas à compromettre le financement de la branche famille. C’est tout simplement scandaleux !

Ainsi, on inflige une double peine à nos enfants : le règlement des dettes est renvoyé aux impôts de demain et les prestations familiales sont progressivement asphyxiées. Des solutions autres que celle qui consiste à distribuer environ 40 milliards d’euros aux plus privilégiés de nos concitoyens existent pourtant ! Il faut mener de véritables réformes et adapter au plus près les prestations aux besoins des familles.

Une autre politique est aujourd’hui nécessaire, passant par exemple par la taxation des banques, la suppression du bouclier fiscal, la suppression de l’exonération des heures supplémentaires, l’augmentation de la taxation des stock-options, la lutte contre les dépassements d’honoraires, la promotion des actions de prévention pour éviter les soins coûteux.

Le Gouvernement a décidé de sacrifier la branche famille en prenant des mesures inégalitaires, qui auraient pu être évitées car les sommes récupérés sont dérisoires. Il est fort regrettable que le Gouvernement, pour faire face aux déficits, choisisse non pas d’avoir recours à des politiques structurelles ou de rechercher de nouvelles ressources, mais de mettre à contribution les assurés, c’est-à-dire bien souvent les Français les plus modestes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur la politique familiale, pour me réjouir de notre « exception française », qui nous permet d’afficher un des meilleurs taux de natalité d’Europe et de maintenir un taux élevé d’emploi féminin.

L’État consacre 100 milliards d’euros, soit 5,1 % du PIB, à sa politique familiale, qui recouvre des réalités diverses, allant des prestations sociales aux incitations fiscales, en passant par les aides au logement ou aux transports.

S’il n’y a pas, fort heureusement, une correspondance parfaite entre les efforts engagés en faveur de la politique familiale et le taux de natalité, on peut néanmoins observer que la France est le pays d’Europe qui consacre le plus d’argent à la politique familiale et celui dont la situation démographique est le moins dégradée.

On ne peut à la fois faire valoir, lors de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, que celle-ci est inéluctable, notamment pour des raisons démographiques, et affaiblir, quelques jours plus tard, la pérennité du financement de cette politique. Si nos voisins ont dû prendre des mesures plus fortes que nous ne l’avons fait pour assurer le financement des retraites, c’est aussi parce que leur déséquilibre démographique est plus important.

Je déplore donc que, depuis plusieurs années, un transfert de ressources vers d’autres branches de la sécurité sociale fragilise la branche famille en accroissant son déficit, qui atteint cette année 2,6 milliards d’euros. Cette mise à contribution de la branche famille rend ses recettes plus précaires, avec la perte d’une fraction de CSG. Or, il n’est pas possible de faire de la famille le parent pauvre du dispositif social, alors que chacun se plaît à souligner son rôle en matière d’éducation et de prévention.

Mme Morano a parlé, à propos de la politique familiale, d’une « dépense d’avenir ». C’est bien là tout l’enjeu ! À la différence des branches maladie et vieillesse, qui recouvrent des dépenses de gestion quotidienne, la branche famille constitue, par excellence, une dépense d’investissement, qui conditionne le futur de notre société. Il n’est pas possible de déconnecter le débat sur les retraites de la démographie, et donc de la politique familiale, qui doit faire l’objet d’une même exigence et d’efforts partagés. Le financement des retraites et celui de la politique familiale sont intimement liés.

On observe une corrélation directe entre le taux de natalité et le taux d’activité des femmes. Du reste, les pays voisins, singulièrement l’Allemagne, dont le taux de natalité est le plus bas d’Europe, ont souhaité s’inspirer de la politique familiale française, notamment en matière de garde d’enfants.

À ce titre, je souhaiterais particulièrement insister sur la nécessité de favoriser la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Toute remise en cause de cet effort constituerait une régression, sociale à court terme et économique à long terme.

Conformément aux engagements sur la politique familiale pris le 13 février 2009, le chef de l’État a annoncé la création de 200 000 places de garde supplémentaires, réparties également entre l’accueil individuel et l’accueil collectif. Il s’agit d’offrir aux ménages la possibilité de faire garder leur enfant dans les meilleures conditions.

Si le Gouvernement semble près d’atteindre son objectif, avec 104 000 places créées en deux ans et demi, la grande majorité des parents préfèrent la solution de la garde individualisée assurée par les assistantes maternelles.

Cette préférence pour l’accueil individuel indique qu’il faut faire porter l’effort sur les assistantes maternelles, en nombre encore insuffisant. Je voudrais souligner les initiatives prises par le Gouvernement pour permettre leur regroupement ou leur donner la possibilité de garder un enfant supplémentaire.

À ce titre, je déplore que certaines caisses d’allocations familiales ne jouent pas toujours le jeu localement, et restent très frileuses en matière d’innovations. J’ai pu le constater dans mon département, avec l’exemple précis d’un projet de jardin d’éveil.

Aujourd’hui, les concours financiers des CAF aux structures de garde d’enfants ne sont versés qu’à la condition que celles-ci respectent un barème de participation financière des familles, fixé par les CAF elles-mêmes. La part des CAF dans la prise en charge du coût de fonctionnement de ces structures est de plus en plus faible. Dans ces conditions, est-il normal qu’un barème de fait d’ordre public soit fixé par un opérateur qui finance moins de 30 % des coûts, alors que les collectivités territoriales prennent en charge plus de 50 % de ces derniers ?

Mes collègues du groupe UMP et moi-même sommes attachés à la politique d’avenir qu’est la politique familiale. Pivot d’une réflexion d’ensemble, elle doit bénéficier d’un soutien sans faille de l’État. Je sais, madame, messieurs les ministres, que la volonté du Gouvernement va dans cette direction, et je voterai donc ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je souhaiterais toutefois vivement qu’il nous assure que la politique familiale, qui correspond, je le répète, à un investissement d’avenir, ne sera en aucun cas sacrifiée sur l’autel de considérations comptables. Ces dernières sont certes légitimes, mais elles ne doivent pas avoir pour effet de fragiliser sur le long terme notre sécurité sociale et notre pacte de solidarité intergénérationnelle. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. René Teulade.

M. René Teulade. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la saga des textes sociaux se poursuit en cette fin d’année : après l’élaboration de la loi organique relative à la dette sociale et celle de la loi portant réforme des retraites, nous examinons aujourd’hui le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Et nous n’en resterons pas là, car des dispositions remettent en cause la construction sociale qui, depuis plus d’un demi-siècle, avait permis d’éradiquer dans notre pays la plus intolérable de toutes les inégalités, à savoir l’inégalité devant la souffrance et la maladie.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est toujours le cas !

M. René Teulade. Il faut reconnaître que, dans nos établissements publics de santé, notamment dans les hôpitaux, les plus modestes de nos concitoyens pouvaient avoir accès aux techniques les plus modernes, opératoires ou d’investigation. Cela n’est plus vrai aujourd'hui !

D’une manière générale, les finances de notre protection sociale ne sont pas en bonne santé. Je n’insisterai pas sur ce point, qui a déjà été largement évoqué par les différents orateurs qui m’ont précédé : je rappellerai simplement que les déficits ont dépassé 20 milliards d’euros en 2009, contre 10,5 milliards d’euros prévus.

Madame, messieurs les ministres, vous pouvez bien sûr rejeter la responsabilité de cette augmentation sur la crise, qui a amené une diminution des recettes. Mais cette crise a commencé dès octobre 2008 et, au moment du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, nous espérions tous qu’elle épargnerait la France. Les chiffres des déficits nous montrent bien que vos grandes déclarations médiatiques destinées à rassurer les Français n’étaient que communication, et le plan de relance de l’économie voté au début de l’année 2009 n’aura eu qu’une faible incidence sur les comptes sociaux.

En 2010, les déficits s’élèveront vraisemblablement à 25 milliards d’euros. Vous espérez qu’ils pourront être ramenés à 21 milliards d’euros en 2011, et à 15 milliards d’euros en 2014. Ces projections sont fondées sur l’hypothèse d’un taux de croissance de 2 % en 2011 et de 2,5 % pour les années suivantes. Les économistes – et pas les plus pessimistes d’entre eux ! – tablent pour leur part sur un taux de croissance de 1,4 %. Quant au FMI, que vous citez quand cela vous arrange, il prévoit 1,6 % de croissance en 2011 et 2,1 % en 2015. En prenant en compte ces prévisions, la masse salariale progresserait de 2,9 % en 2011 et de 4,5 % à partir de 2012. De telles hypothèses ne sont-elles pas très optimistes ? M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a remarqué qu’un point de moins de hausse de la masse salariale par rapport aux projections représente 2 milliards d’euros de déficits supplémentaires. Ces chiffres sont maintenant bien connus.

Les cotisations sur les salaires représentent les trois quarts des recettes. Dans l’avenir, si nous voulons pérenniser notre système de santé, nous devrons trouver de nouvelles recettes.

La première des solutions serait d’élargir l’assiette des cotisations. Pourquoi ne pas solliciter la solidarité nationale pour assurer le financement de la protection sociale, au travers par exemple d’un impôt progressif à faibles taux ?

J’ai rencontré récemment des responsables du secteur mutualiste, qui m’ont fait part de leur inquiétude. Ils ont dénoncé, comme les organisations syndicales, un manque de concertation. Ils sont en effet eux aussi très conscients des difficultés, et veulent comme nous que de véritables mesures structurelles soient prises : cela est plus que jamais nécessaire. Ils sont prêts à s’associer à la réflexion et à apporter leur contribution, mais encore faudrait-il qu’une concertation, qui n’existe pas pour l’heure, puisse avoir lieu. Ils savent très bien que la taxe sur les conventions d’assurance va les frapper de plein fouet.

Les allocations familiales ou la prestation d’accueil du jeune enfant seront financées en partie par le produit d’une taxe sanctionnant le respect d’un panier de règles de remboursement des frais médicaux par les organismes complémentaires de santé. À l’absurde du principe s’ajoute l’incertitude, puisque ces recettes sont jugées incertaines dans la durée. Cela aboutit à organiser le déficit récurrent de la CNAF : les prestations familiales sont touchées après l’assurance maladie, mal en point depuis 1986, l’assurance vieillesse, l’assurance chômage… L’instauration de cette taxe, ajoutée aux transferts en constante augmentation et à la croissance tendancielle des dépenses de santé, va augmenter la participation des mutuelles au financement de l’assurance maladie.

En effet, si l’assurance maladie reporte ses déficits sur les générations futures, une seule solution s’impose pour les mutuelles au regard de leurs obligations réglementaires : l’augmentation des cotisations. Celle-ci provoquera une « démutualisation », notamment parmi les plus modestes. Faute de solidarité, ces derniers ne se feront plus soigner, car ce sera trop onéreux pour eux. Cela posera un vrai problème de santé publique. À cet égard, selon une enquête de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, l’IRDES, publiée en 2008, 15,4 % de nos concitoyens avaient renoncé à des soins cette même année, contre 12,1 % en 2002. Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit des économies ; celles-ci seront malheureusement réalisées sur le dos des malades et des plus démunis.

Ainsi, une économie de 800 millions d’euros sera réalisée sur les médicaments. La baisse des prix de ces derniers atteindra quelque 500 millions d’euros. Les médicaments à vignette bleue, actuellement remboursés à 35 %, ne le seront plus demain qu’à hauteur de 30 %. Cette mesure est la plus injuste : qui va payer cette évolution ? Les Français, à travers leurs mutuelles, pour ceux qui en ont une !

Un seul principe doit guider la politique de remboursement des médicaments : si le médicament est efficace, il est remboursé ; si c’est un placebo, il ne l’est pas.

Concernant l’hôpital, les actes d’un coût inférieur à 91 euros étaient financés à concurrence de 20 % par l’assuré. Votre PLFSS prévoit de porter ce seuil à 120 euros : voilà une mesure d’injustice supplémentaire qui va toucher les plus faibles ! La recette attendue s’élève à 160 millions d’euros.

D’autres mesures d’économie sont également prévues, notamment la fin de la prise en charge à 100 % des patients atteints d’hypertension bénigne, qui touchera 40 000 personnes chaque année, pour une économie de quelques dizaines de millions d’euros. Les diabétiques sont également victimes de la politique menée par le Gouvernement : le remboursement des bandelettes d’autotest de glycémie sera limité à une par jour et par patient.