M. Gilbert Barbier. Il faut des mesures plus structurelles. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai soutenu la réforme des retraites, malgré son impopularité.
Quoi qu’il en soit, je crains que les propositions d’aujourd’hui ne suffisent pas à faire disparaître le sentiment d’injustice ressenti par beaucoup de nos concitoyens, à tous les niveaux de la société. Peut-être est-ce faute d’avoir pu ou voulu traiter certaines questions symboliques, comme celle du bouclier fiscal ? Peut-être est-ce également dû au fait que le corporatisme, encore très présent en France, déforme les réalités ? Chacun se considère plus mal traité que les autres.
Une telle segmentation de notre société est pour le moins inquiétante ; elle se traduit par un manque de confiance entre nous, une suspicion généralisée, un clivage catégoriel dangereux. Et je laisse de côté le combat politique, où la démagogie l’emporte parfois sur l’esprit de responsabilité ! Il est toujours facile de promettre ce que l’on sait parfaitement ne pas pouvoir tenir.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. Gilbert Barbier. Nous avons pourtant un devoir de vérité à l’égard de nos concitoyens : qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités locales, la France vit au-dessus de ses moyens. Notre système de couverture sociale, sujet qui nous préoccupe aujourd’hui, n’illustre que trop bien, malheureusement, ce propos.
Ainsi, pour pouvoir assumer les dépenses de fonctionnement de l’an prochain, nous allons ajouter quelque 21 milliards d’euros supplémentaires à une dette qui s’élève déjà à 130 milliards d’euros. Malgré cela, le déficit global sera encore de 15,3 milliards d’euros en 2014, dont une part importante pour la branche maladie.
Nous sommes bien loin d’un retour à l’équilibre. Faut-il aller plus vite, comme nos voisins européens ? Bien sûr, comparaison n’est pas raison, mais un redressement des comptes sur la base d’une volonté politique est préférable à une réforme brutale sous la contrainte des puissances financières.
Pour sortir de l’impasse actuelle, des solutions existent. Certes, leur mise en œuvre prendra du temps et suppose des changements de comportement de toutes les parties prenantes du système. Mais elles existent. Comment ne pas relever, par exemple, la disparité à peine croyable des consommations médicales entre la France et ses voisins européens, ou encore celle des indications chirurgicales selon les régions et les départements ?
M. Gilbert Barbier. Au cours de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites, nous avons voté la mise en chantier dès 2013 d’une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse. Pourquoi ne pas en faire de même pour les branches maladie et famille ? Ce sujet est-il tabou ? Certaines prestations sociales ne pourraient-elles être attribuées sous condition de ressources ? Ne faut-il pas réexaminer celles qui le sont, en révisant les plafonds d’attribution ?
L’an dernier, j’avais déjà déposé un amendement en ce sens, visant à instaurer une franchise de prise en charge des dépenses de santé en fonction des revenus des intéressés. Par exemple, un foyer assujetti à la troisième tranche du barème de l’impôt sur le revenu ne peut-il assumer une dépense de santé annuelle de 200 euros à 300 euros sans avoir recours au remboursement ? Je renouvelle cette proposition aujourd’hui. Je note d’ailleurs que la commission Attali la reprend sous une autre forme, en évoquant la création d’un « bouclier sanitaire », terminologie dont je me méfie toutefois ! La prise en charge du petit risque serait ainsi soumise à condition de ressources. Un jour ou l’autre, nous y arriverons, de même qu’à une refonte de la prise en charge des affections de longue durée, qui constitue une urgente nécessité. Au-delà du fait qu’il représente le plus fort pourcentage d’augmentation des dépenses de santé, le dispositif actuel des ALD engendre en effet une profonde injustice devant la maladie.
Les principes généreux de l’État-providence qui ont prévalu à la création de la sécurité sociale en 1945 ont-ils toujours un sens en 2010 ?
M. François Autain. Oui !
M. Gilbert Barbier. Certes oui pour les plus faibles d’entre nous ! Mais, à force de tirer sur la corde, les inégalités déjà présentes en matière d’accès aux soins risquent de s’aggraver. La solidarité, quand elle est synonyme de gratuité, est source de dérives. Sans renier ces principes, nous pourrions les revisiter, au moins pour partie, dans le sens d’une plus grande équité.
Les Français seraient-ils prêts à regarder en face ce grave problème budgétaire et à accepter une grande réforme ? Cela n’est pas évident, et pourtant nous devrions ouvrir ce chantier le plus rapidement possible, après ceux des retraites et de la dépendance. La question doit être posée clairement : par qui et pour qui le risque maladie doit-il être couvert ?
Quoi qu’il en soit, une telle réforme ne pourra pas se faire contre les Français, et encore moins sans la participation des professionnels de santé.
M. Guy Fischer. Ah ! Parlons-en !
M. Gilbert Barbier. Or, parmi ces derniers règne aujourd’hui un grand désenchantement, sinon une amertume, qui contribue à dresser un mur d’incompréhension entre les deux acteurs principaux de l’assurance maladie, l’État et les professions médicales. Soit dit par parenthèse, ce n’est pas l’amendement adopté à l’Assemblée nationale concernant la cotisation maladie des médecins du secteur 2 qui va arranger les choses.
Je ne sais où se situent exactement les responsabilités, mais l’absence de dialogue est bien préjudiciable à une bonne gouvernance.
M. Gilbert Barbier. De nombreuses avancées tournent court ; nous aurons à y revenir dans la discussion des articles. La refonte de la nomenclature, le contrat d’amélioration des pratiques individuelles, le CAPI, le secteur optionnel, la convention partenariale : le traitement de tous ces dossiers piétine, comme celui d’autres points techniques. Une série de mesures ont été prises dans le secteur de la médecine de ville pour réduire les déficits, mais elles n’apportent pas de solutions pérennes.
M. Guy Fischer. Ils ne veulent rien payer !
M. Gilbert Barbier. En outre, comme chaque année, il nous faut aussi évoquer le problème de l’hôpital. (M. Guy Fischer s’exclame.) L’hospitalisation publique et privée représente près de la moitié des dépenses de l’assurance maladie.
M. François Autain. Un peu moins, quand même !
M. Gilbert Barbier. En leur temps, les agences régionales de l’hospitalisation, les ARH, devaient remédier à l’inadéquation de l’offre. Toutefois, comme l’a indiqué M. le rapporteur général, malgré quelques avancées, le bilan reste très maigre.
M. Gilbert Barbier. La loi HPST, en créant les ARS, dotées de missions élargies et de pouvoirs accrus, devrait en théorie relancer cette démarche.
M. François Autain. En théorie seulement !
M. Gilbert Barbier. L’objectif est de rendre notre système plus efficace, en suscitant certaines économies qui, loin de nuire à la qualité des soins, peuvent au contraire garantir une prise en charge plus adaptée.
La restructuration des plateaux techniques est une urgence, non pas avant tout pour diminuer les coûts, certes disproportionnés pour une partie d’entre eux, mais parce que la sécurité des soins administrés y est parfois moindre.
L’évolution des techniques fait qu’aujourd’hui l’hyperspécialisation est gage de meilleurs résultats pour le patient. Chacun de nous préférera, en tant que de besoin, se faire poser une prothèse de hanche par un praticien qui en pose cent dans l’année plutôt que par un autre qui en pose dix. Encore faut-il qu’une indication raisonnable soit portée et que la course à l’acte soit évitée…
M. François Autain. Il ne faut plus rémunérer à l’acte !
M. Gilbert Barbier. À ce sujet, permettez-moi, madame la ministre, d’ouvrir une parenthèse : ne faudrait-il pas confier à l’Ordre des médecins, comme il le souhaite, un rôle plus important en matière de contrôle de l’activité, des tarifs, des dépassements ?
M. François Autain. Les médecins sont incapables de s’autoréguler !
M. Gilbert Barbier. L’an dernier, l’amendement que j’avais déposé en ce sens a été refusé. Votre position a-t-elle évolué, madame la ministre ? Il serait largement préférable que les médecins et les auxiliaires médicaux assurent leur propre police, plutôt que de laisser l’autorité administrative tout contrôler. (M. François Autain s’exclame.)
Demain, les ARS devront établir, avec l’ensemble des acteurs de la santé, la carte globale d’accès aux soins sur le territoire régional, en ambulatoire, en hospitalisation, en médicosocial. Il me semble cependant que les grandes orientations relèvent d’un schéma national répartissant les moyens au mieux des intérêts du patient d’abord, des finances ensuite. Les rôles respectifs de la médecine de ville, de l’hôpital et des établissements médicosociaux doivent être définis : c’est au Gouvernement et au Parlement de le faire.
Il faudra, là aussi, éviter les effets d’aubaine. Dans cette perspective, je soutiens tout à fait la proposition de soumettre à accord préalable l’admission des patients en soins de suite et de rééducation.
Les évolutions des prises en charge, notamment avec l’hospitalisation de jour ou à domicile, devront être soigneusement évaluées dans le temps. Nous aurions intérêt par exemple à conforter et à encourager la dialyse à domicile. Qu’il me soit aujourd'hui permis de mettre en exergue la première place de ma région, la Franche-Comté, en la matière.
La loi HPST devrait également mieux responsabiliser les directeurs d’établissement et leur permettre la mise en place d’une gestion plus rationnelle. Depuis trois ans, certains établissements se sont engagés dans cette voie, mais il existe encore de nombreux points faibles. Les plans de retour à l’équilibre financier devraient être imposés.
On le sait, l’instauration des 35 heures a été une cause essentielle de la désorganisation hospitalière. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Cela devient un rituel !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Peut-être, mais il est utile de rappeler certaines évidences !
M. Gilbert Barbier. La mise en place d’une évaluation systématique des dépenses des établissements doit permettre des gains de productivité et une plus grande cohérence entre établissements d’une même région.
D’ailleurs, il est curieux d’entendre les responsables de la CNAM affirmer que l’hôpital est un sujet tabou. Pourtant, nous pouvons, j’en suis persuadé, trouver là des sources d’économies substantielles, sans – je le répète – que le patient ait à en subir les conséquences.
M. de Kervasdoué caricature peut-être lorsqu’il évoque « trop d’hospitalisations, trop d’hôpitaux, trop de médicaments, trop d’actes faits et refaits »,…
M. François Autain. C’est vrai qu’il y a trop de médicaments !
M. Gilbert Barbier. … mais où en est-on de la restructuration des plateaux techniques, à quand la réorganisation des services des urgences ? C’est sur ces points qu’il convient d’agir, plutôt que de procéder à des expérimentations comme celles que vous nous proposez, madame la ministre, avec les « maisons de naissance ». Alors que de nombreuses petites maternités ont été fermées au bénéfice de la très juste obligation de sécurité, créer de nouvelles structures, dont l’Assemblée nationale a déjà montré les limites organisationnelles, ne me semble pas devoir être la priorité du moment, sauf à céder à des lobbies dont les finalités ne sont pas toujours évidentes…
M. Guy Fischer. Ah, les lobbies !…
M. François Autain. Surtout le lobby des médicaments !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Et le lobby de la CGT ?
M. Gilbert Barbier. Médecine de ville, médecine hospitalière, secteur public, secteur privé : il faut d’urgence renouer le dialogue, car rien ne pourra se faire sans la participation des professionnels. L’échec malheureux de l’organisation sanitaire lors de la pandémie grippale H1-N1 doit nous servir de leçon.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 comporte des mesures intéressantes, positives, pour réduire le déficit de la branche maladie, mais il est certainement possible de dégager des marges de manœuvre supplémentaires. Je l’ai souligné à propos du secteur de l’hospitalisation, notamment, sans évoquer le problème de la convergence intersectorielle. Encore faut-il sensibiliser les acteurs et les patients aux exagérations, aux prescriptions abusives, à la fraude.
Madame la ministre, dans l’attente d’un grand débat sur la prise en charge du risque santé, dans l’attente d’une loi de santé publique qui tarde à venir, nous essaierons, tout au long de cette discussion budgétaire, de vous aider dans cette tâche difficile, en souhaitant une écoute partagée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, dans le cadre du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, je voudrais attirer votre attention sur quelques points qui me paraissent importants.
En ce qui concerne la politique du médicament, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 remet partiellement en cause la part réservée au crédit d’impôt recherche pour les entreprises.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ce n’est pas dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale !
M. François Autain. Tout à fait, c’est dans le projet de loi de finances !
M. Dominique Leclerc. Le crédit d’impôt recherche permet actuellement aux entreprises de bénéficier d’un crédit d’impôt correspondant à 30 % des dépenses investies dans la recherche et le développement, dans la limite de 100 millions d’euros et au-delà de 5 %.
Grâce à cette disposition, les industries pharmaceutiques françaises sont devenues un acteur majeur de la recherche privée et un partenaire incontournable de la recherche publique. Elles sont aujourd’hui le premier domaine industriel en termes d’investissement dans la recherche et le développement. Les dépenses de recherche et de développement représentent près de 15 % de leur chiffre d’affaires et 40 % des emplois du secteur du médicament !
Toute remise en cause significative de ce dispositif pénaliserait donc gravement non seulement ce secteur, mais aussi toutes les entreprises françaises ayant une activité de recherche et de développement. Faut-il rappeler que lorsque les entreprises décident de maintenir et de développer leurs efforts de recherche en France, elles fondent leurs stratégies d’investissement à moyen et long terme ? À ce titre, elles sont particulièrement sensibles à la stabilité de l’environnement juridique et économique. Le crédit d’impôt recherche a largement fait ses preuves depuis sa création en 2008. Toute remise en cause précipitée, deux ans seulement après sa mise en place, apparaît inopportune.
Je voudrais ensuite appeler l’attention sur la nécessaire réforme de la gouvernance du médicament, notamment en ce qui concerne les modalités de l’admission des médicaments au remboursement.
Aujourd’hui, si un laboratoire pharmaceutique veut obtenir le remboursement d’un médicament par la sécurité sociale, il doit en faire la demande auprès de la commission de transparence de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS. Cette commission est chargée d’évaluer l’intérêt du médicament en le comparant à ceux qui sont déjà présents sur le marché. Or cette commission de transparence ne respecte pas le principe du débat contradictoire tel qu’il est défini par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En effet, selon la procédure actuelle, le laboratoire pharmaceutique concerné ne peut formuler des observations que postérieurement aux délibérations de la commission. Une évolution de la procédure applicable devant la commission de transparence est donc nécessaire, afin que les industriels de la santé soient en mesure de formuler des observations en amont de l’avis rendu par la commission, dans le respect du principe du contradictoire.
L’industrie pharmaceutique est un atout majeur pour l’économie française. La maîtrise des comptes sociaux ne doit pas se traduire par un affaiblissement de sa compétitivité ni, surtout, par un ralentissement de l’innovation. Il faut une cohérence d’ensemble pour la politique du médicament, depuis la recherche jusqu’à la prise en charge.
En ce qui concerne les professions libérales de santé, un sujet me paraît essentiel : celui de la responsabilité civile médicale professionnelle.
M. Dominique Leclerc. Depuis les lois de 2002, les médecins libéraux désirant couvrir leur responsabilité civile professionnelle doivent souscrire des contrats d’assurance qui comportent des plafonds de garantie. Lorsque la couverture d’assurance est épuisée, par dépassement du plafond de 3 millions d’euros, ou expirée – plus de dix ans après la cessation d’activité –, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, dispose d’un droit d’action récursoire qui lui permet de se retourner contre un praticien et de récupérer les sommes avancées.
Compte tenu de l’inflation et de l’augmentation continue de l’espérance de vie des victimes, les dommages et intérêts peuvent alors dépasser de plusieurs millions d’euros les plafonds d’assurance les plus élevés proposés par les assureurs. De tels cas existent, bien qu’ils ne soient pas fréquents.
Dans ce contexte, les médecins libéraux exerçant une profession à risques, tels les gynécologues-obstétriciens, les anesthésistes ou les chirurgiens, sont menacés de ruine.
M. François Autain. Ce sera la retraite anticipée !
M. Dominique Leclerc. Cette situation n’est tout simplement pas acceptable. Comment un professionnel peut-il travailler correctement avec cette épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de sa tête ?
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Dominique Leclerc. La responsabilité civile médicale telle qu’elle existe depuis 2002 entraîne deux conséquences majeures.
Premièrement, face à un tel risque juridique, les médecins libéraux sont incités à développer une médecine « défensive » ou à s’orienter vers d’autres filières. Ainsi, plus de la moitié des gynécologues-obstétriciens et anesthésistes libéraux renoncent aujourd’hui à prendre en charge les accouchements. Je ne peux pas accepter que, dans un pays réputé pour la qualité de son système de santé, des pans entiers de la médecine et de la chirurgie disparaissent comme chez nos voisins, où certains actes dits « à risques » ne sont plus pratiqués.
Deuxièmement, la législation actuelle entraîne un surcoût pour l’assurance maladie, car elle décourage l’exercice de la médecine libérale, pourtant moins onéreuse que la médecine hospitalière.
M. François Autain. Ah bon ?
M. Dominique Leclerc. Par exemple, en 2008, la sécurité sociale a déboursé près de 400 euros de plus pour un accouchement à l’hôpital public que pour un accouchement en clinique.
M. François Autain. Il se lâche !
M. Dominique Leclerc. Eu égard à ce double constat, il convient de trouver une solution pérenne et définitive aux « trous de garantie » de la couverture de la responsabilité civile professionnelle. Seul l’abandon de toute possibilité d’action récursoire de l’ONIAM permettra aux médecins libéraux de retrouver une sérénité indispensable et d’exercer leur profession dans de meilleures conditions.
M. François Autain. Il fait son coming out ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur le sénateur.
M. Dominique Leclerc. D’autres orateurs ont largement dépassé leur temps de parole, madame la présidente ! Je continuerai donc à m’exprimer !
Mme Janine Rozier. Très bien !
M. Dominique Leclerc. Porter le plafond d’indemnisation de 3 millions à 6 millions d’euros, comme vous aviez promis de le faire en 2010, madame la ministre, est une fausse bonne solution, dont l’adoption aurait des conséquences économiques et médicales désastreuses. Les professionnels de santé seraient confrontés à une hausse massive et dissuasive des primes d’assurance, tandis que les CPAM se trouveraient contraintes de verser des aides supplémentaires.
Malgré les amendements successifs que j’ai déposés sur chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale depuis 2008, ainsi que lors de l’élaboration de la loi HPST, la situation n’a évolué qu’à la marge. Cela ne peut plus durer ! Mon collègue Alain Milon et moi-même avons déposé une proposition de loi, qui a recueilli plus de cent signatures, visant à sécuriser ces professions à risques. Nous voulons éviter que l’on ne réclame à un professionnel des sommes considérables très longtemps après les faits, parfois même après qu’il a pris sa retraite.
Ainsi, madame la ministre, seule une prise en charge par l’ONIAM sans possibilité d’action récursoire contre le praticien permettra de maintenir ces spécialités à risques dans le cadre d’un exercice libéral.
J’évoquerai maintenant brièvement une autre spécialité médicale libérale, qui fait l’objet de mesures déstabilisantes : la biologie médicale.
Cette profession vient d’être totalement bouleversée par les ordonnances Ballereau faisant suite à la loi HPST. La biologie médicale évolue actuellement vers une organisation commerciale et industrielle, exactement au rebours de l’esprit des ordonnances et surtout de ce qui nous avait été affirmé lors de l’élaboration de la loi HPST.
De plus, les baisses tarifaires ne peuvent pas être décidées toujours arbitrairement, pour la quatrième année consécutive, sans évaluation de leur incidence, tant économique que médicale.
M. François Autain. Il a oublié les radiologues !
M. Dominique Leclerc. Les recommandations de la Haute autorité de santé pour la prescription du dosage de la troponine en ambulatoire sont à mes yeux exemplaires d’une dérive technocratique qui peut être lourde de conséquences.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le sénateur !
M. Dominique Leclerc. Pour réaliser des économies, il faut une bonne médecine ambulatoire, qui évitera des hospitalisations intempestives. Nous devons être vigilants, de façon à ne pas mettre en péril la mise en place de la réforme Ballereau, surtout au regard de ses exigences de qualité. Il faut veiller à maintenir une biologie libérale de proximité, notamment dans les zones rurales, où la biologie est une spécialité médicale qui participe largement à la permanence de soins.
Madame la ministre, comment les professionnels et les entrepreneurs peuvent-ils garder confiance et investir quand les règles changent tous les ans, à l’occasion de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Le secteur de la santé, comme vous le savez, n’est pas qu’un secteur de dépenses, lesquelles doivent bien sûr être maitrisées ; c’est aussi un secteur d’excellence pour l’économie de notre pays et, surtout, pour le bien-être de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je consacrerai mon propos à la branche accidents du travail-maladies professionnelles, qui gère les risques professionnels auxquels sont confrontés les salariés et les entreprises de l’industrie, du commerce et des services.
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit pour 2011 un retour à l’équilibre de la branche après deux années de déficit, grâce notamment à une augmentation du taux de cotisation patronale de 0,1 point, qui devrait rapporter 450 millions d’euros.
Si l’on en croit vos prévisions, monsieur le ministre, les charges nettes progresseraient de 1,8 % en 2011, à un rythme voisin de celui de 2010, et la croissance des recettes de la branche ralentirait, puisque celles-ci ne progresseraient que de 3,1 %, mais resterait néanmoins plus dynamique que la hausse des charges, ce qui permettrait à la branche de réduire son déficit de plus de 130 millions d’euros. En conséquence, le solde s’établirait à moins 355 millions d’euros.
La progression des dépenses de prestations resterait dans l’ensemble en 2011 proche de celle de 2010, y compris les dotations nettes des reprises, qui croîtraient de 2,8 %. Les autres charges seraient stables ou en léger recul, comme les transferts, qui enregistreraient une baisse de 0,8 % par rapport à 2010.
En 2011, les cotisations seraient stimulées par une hausse de la masse salariale de 2,9 % – c’est une prévision que nous ne sommes pas les seuls à trouver bien optimiste – et par une progression des exonérations générales moins rapide que celle de l’assiette. Au total, l’agrégat composé des cotisations et des compensations d’exonérations par dotation budgétaire et affectation de recettes fiscales, représentant 97 % des recettes, connaîtrait une augmentation de 3,2 % en 2011.
Finalement, ce n’est que l’année prochaine, voire dans deux ans, que se vérifiera ou non la justesse de toutes ces hypothèses économiques et de ces prévisions. Au vu des résultats des années précédentes, on peut tout de même avoir d’ores et déjà des doutes…
Et je ne parle même pas de l’incidence de la prise en compte de la pénibilité du travail, mise à la charge de la branche par la loi portant réforme des retraites ! Nous avons déjà eu largement l’occasion de dire ce que nous en pensions. M. le rapporteur estime que « l’ambiguïté de certains des critères retenus pour bénéficier d’un départ anticipé lié à la pénibilité rend difficile l’évaluation exacte de l’impact financier qu’auront sur la branche les mesures votées ». Pour l’instant, vous parlez de 200 millions d’euros par an ; c’est une affaire à suivre…
Aujourd’hui, la branche AT-MP représente moins de 5 % du budget de la sécurité sociale et son influence sur l’équilibre général est faible. Il n’en reste pas moins qu’elle recouvre des problématiques importantes et participe pleinement de la politique de santé et de sécurité au travail, qui est devenue une préoccupation essentielle des salariés et un enjeu majeur de santé publique.
Des progrès indéniables ont, d’ailleurs, été accomplis en matière de santé et de sécurité au travail au cours des dix dernières années, mais la situation reste contrastée : si l’on en croit certaines comparaisons internationales, la France est la lanterne rouge en Europe au regard de la plupart des indices de santé au travail. Notre système de réparation est sans doute relativement abouti par rapport à ceux de nos voisins, mais nous avons encore beaucoup de retard en matière de prévention.
Depuis quelques années, les statistiques publiées par la direction des risques professionnels de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, font apparaître un recul tendanciel des accidents du travail et une forte hausse des maladies professionnelles.
Ainsi, en 2009, le nombre d’accidents du travail a diminué de 7,5 %, ce qui a conduit à une baisse de l’indice de fréquence, lequel a atteint le niveau inédit de trente-six accidents avec arrêt pour 1 000 salariés.
Je suis néanmoins un peu moins enthousiaste que vous, monsieur le rapporteur. En effet, il faut relativiser cette diminution, qui est davantage le reflet de la baisse de l’activité économique et de ses répercussions sur l’emploi que le fruit des efforts de prévention. La cause de cette évolution ne saurait se réduire à la crise financière de ces deux dernières années : à mon avis, la fermeture ou la perte de vitesse de secteurs d’activité réputés dangereux, comme les mines ou la sidérurgie, expliquent pour beaucoup l’amélioration des résultats en matière d’accidentologie. Il reste donc des progrès à accomplir dans la lutte contre le fléau des accidents du travail, d’autant que la réduction de la gravité de ces accidents n’est pas allée de pair, tant s’en faut, avec celle de leur fréquence.
S’agissant des maladies professionnelles, le nombre de déclarations a encore augmenté de plus de 8 % entre 2008 et 2009. Cette hausse s’explique en partie, certes, par une meilleure reconnaissance des pathologies liées au travail, mais aussi et surtout par l’apparition de nouvelles pathologies, liées notamment à l’usage de produits chimiques et au développement des troubles musculo-squelettiques.
Ainsi, les affections articulaires représentent plus des trois quarts des maladies professionnelles reconnues en 2009, et ce pourcentage croît d’année en année.
Quant aux affections et cancers dus à l’amiante, ils représentent 10,7 % du total des maladies professionnelles. Cela explique l’importance des sommes consacrées à la prise en charge des victimes de l’amiante dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale : ces sommes pèsent d’ailleurs de plus en plus lourdement sur l’équilibre de la branche.
L’article 52 de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale porte, pour l’année 2011, à 880 millions d’euros la contribution de la branche accidents du travail-maladies professionnelles au Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA – ce chiffre restant stable par rapport à 2010 –, et à 340 millions d’euros celle qu’elle apporte au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, soit une augmentation de 25 millions d’euros.
Lors de notre débat du 2 novembre dernier, j’ai déjà eu l’occasion de faire part de mes inquiétudes, s’agissant notamment du FCAATA, dont le déficit cumulé devrait atteindre près de 300 millions d’euros à la fin de cette année. Ce déficit pèse sur le solde de trésorerie de la branche AT-MP, qui procède aux avances de paiement pour ce fonds. D’un montant de 66 millions d’euros en 2009, ces avances pourraient être reconduites en 2010, portant le montant des prises en charge opérées par la branche depuis 2004 à 464 millions d’euros, hors intérêts financiers. La mécanique est certes bien huilée, mais, convenons-en, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette situation n’est pas saine !
En ce qui concerne le FIVA, la Commission des comptes de la sécurité sociale prévoit, dans son rapport de septembre dernier, que les dépenses d’indemnisation devraient augmenter en 2010 d’environ 15 %, pour s’établir à quelque 483 millions d’euros. Un déficit d’environ 80 millions d’euros pourrait donc être constaté en 2010. Il serait financé par un prélèvement sur le fonds de roulement du FIVA. D’après le même rapport, « en 2011, en raison d’un nombre d’offres aux victimes plus important, le déficit du fonds pourrait être plus élevé qu’en 2010 et atteindrait 180 millions d’euros, ce qui conduirait à épuiser les excédents cumulés par le FIVA depuis 2001 ». Comme je vous le disais, monsieur le ministre, nous arrivons au terme d’un cycle. Je crains que les 25 millions d’euros supplémentaires attribués au FIVA, somme correspondant à une estimation a priori de l’incidence financière de la modification des règles de prescription des actions en indemnisation devant ce fonds, ne suffisent pas à faire face à l’augmentation continue des dépenses d’indemnisation.
Soyez donc assuré, monsieur le ministre, que nous serons particulièrement vigilants, dans les années à venir, s’agissant de la pérennité du financement des fonds dédiés aux victimes de l’amiante. Un jour, il faudra d’ailleurs reposer la question du partage de ce financement entre la branche AT-MP et l’État. Aujourd’hui, cette branche en assume plus de 90 %, contre 77 % en 2001. En 2005, la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante avait estimé que l’État devrait contribuer au financement des fonds à hauteur d’environ 30 %, pour tenir compte de sa responsabilité, à la fois comme employeur et comme autorité de contrôle défaillante.