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Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a d’ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu’elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d’une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme des retraites dont nous venons d’achever l’examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme des retraites.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : Mme Muguette Dini, MM. Dominique Leclerc, Alain Vasselle, Mme Isabelle Debré, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Christiane Demontès et M. Guy Fischer.
Suppléants : M. Yves Daudigny, Mme Annie David, MM. Gérard Dériot, Alain Gournac, Jean-Jacques Jégou, Jacky Le Menn et Alain Milon.
9
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire
Adoption d'un projet de loi organique en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire [projet n° 714 (2009-2010), texte de la commission n° 729 rectifié (2009-2010), rapport n° 728 (2009-2010)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie très sincèrement ceux d’entre vous qui ont eu le courage et l’obligeance de participer ces derniers jours à des débats tardifs sur la réforme des retraites d’être restés pour l’examen de ce projet de loi organique.
Le texte qui vous est soumis ce soir est la déclinaison, pour les magistrats de l’ordre judiciaire, du projet de loi portant réforme des retraites applicable aux fonctionnaires civils et militaires de l’État, dont vous venez de débattre ces trois dernières semaines. La Constitution impose en effet l’adoption d’une loi organique pour toute modification du statut des magistrats dont la limite d’âge fait, bien entendu, partie.
Mais, au-delà de cette spécificité, le présent texte s’inscrit dans le même effort et la même volonté de préserver le système de retraite par répartition.
Certaines dispositions du projet de loi ordinaire portant réforme des retraites, que vous venez d’adopter, concernent aussi les magistrats, auxquels s’applique le code des pensions civiles et militaires de retraite de l’État : c’est le cas, par exemple, du recul de l’âge d’ouverture des droits à pension, qui sera donc porté progressivement pour les magistrats à 62 ans, comme pour les autres fonctionnaires.
Le projet de loi organique a, quant à lui, d’abord pour objet d’appliquer aux magistrats de l’ordre judiciaire le relèvement de deux années de la limite d’âge prévu par la réforme générale, portant cette dernière de 65 ans à 67 ans. Un calendrier de mise en œuvre progressive de cette mesure sera défini. La nouvelle limite d’âge s’appliquerait pleinement aux magistrats nés à compter de 1956.
Dans le projet de loi portant réforme des retraites, nous avons fait en sorte d’instituer des mesures appropriées et ajustées à la fonction publique, et je voudrais, à ce propos, rappeler à quel point nous sommes tous d’accord pour reconnaître la qualité de cette dernière.
Il faut savoir que les magistrats de l’ordre judiciaire, dont le dévouement et l’attachement à leur métier se manifestent chaque jour, prolongent très souvent leur activité au-delà de l’âge minimal d’ouverture des droits à pension, l’âge moyen de départ à la retraite étant déjà aujourd’hui sensiblement supérieur à 62 ans.
Mais la modification susvisée imposait de revoir le mécanisme de maintien en activité des magistrats au-delà de la limite d’âge prévu par deux lois organiques distinctes de l’ordonnance de 1958 portant statut de la magistrature.
Actuellement, les magistrats atteignant l’âge de 65 ans peuvent, à leur demande, être maintenus en activité en surnombre des effectifs de la juridiction jusqu’à l’âge de 68 ans pour les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, ou pour une période de trois ans non renouvelable pour les magistrats des premier et second degrés.
Ce dispositif, que l’on retrouve dans d’autres grands corps de l’État, doit être préservé, car il permet aux juridictions de bénéficier plus longtemps des compétences de magistrats expérimentés et à ces derniers de continuer à cotiser pour leur retraite si nécessaire.
Mais si les dispositions actuelles n’étaient pas modifiées, le relèvement de la limite d’âge à 67 ans aurait pour effet de permettre aux magistrats des cours et tribunaux d’être maintenus en activité jusqu’à 70 ans, ceux de la Cour de cassation pouvant poursuivre leur activité, comme je l’indiquais précédemment jusqu’à 68 ans.
Mme le ministre d’État, garde des sceaux, a donc souhaité que les conditions de maintien en activité des magistrats des cours d’appel et des tribunaux de grande instance soient alignées sur celles qui sont applicables aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation. Ainsi, le projet de loi organique prévoit la cessation de l’activité, pour l’ensemble des magistrats, à l’âge de 68 ans.
L’Assemblée nationale a apporté des améliorations, de forme et de fond, à ce dispositif, en intégrant le maintien en activité dans l’ordonnance du 22 décembre 1958 et en prévoyant que cette poursuite d’activité, dont la durée sera désormais d’une année, ne pourra pas être l’occasion d’un passage du siège au parquet ou du parquet au siège.
La commission des lois, dont je salue le travail réalisé sous l’impulsion de son président et de son rapporteur, a adopté le texte transmis par l’Assemblée nationale sans modification. Je demande au Sénat de bien vouloir en faire de même.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi organique parachève le projet de loi portant réforme des retraites, avec lequel il est parfaitement cohérent. Il s’agit simplement d’appliquer aux magistrats de l’ordre judiciaire les mêmes mesures que celles qui seront applicables à l’ensemble des fonctionnaires et des salariés du secteur privé. Que vous ayez, ou non, approuvé le projet de loi portant réforme des retraites, il ne me semble pas souhaitable d’ouvrir de nouveau un débat sur le bien-fondé de cette réforme à l’occasion de l’examen de ce texte. Je me tiens néanmoins à votre disposition pour répondre à toutes vos questions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire inscrit dans le statut de la magistrature les éléments de la réforme des retraites qui relèvent de la loi organique, en application de l’article 64 de la Constitution.
En effet, la limite d’âge jusqu’à laquelle les magistrats peuvent exercer leur activité figure parmi leurs garanties statutaires, afin d’éviter qu’il puisse être mis fin à leur activité de façon arbitraire. Elle n’est toutefois pas spécifique aux magistrats, qui sont, en la matière, soumis aux mêmes règles que les autres fonctionnaires de l’État.
D’autres dispositions organiques définissent les conditions particulières dans lesquelles les magistrats peuvent être maintenus en activité au-delà de la limite d’âge.
Je ne m’étendrai pas sur le projet de loi portant réforme des retraites qui vient d’être adopté, et n’en citerai que les deux points ayant un impact direct sur la carrière des magistrats.
Il s’agit, d’une part, du report de l’âge d’ouverture du droit à pension de 60 à 62 ans et, d’autre part, du relèvement de 65 à 67 ans de l’âge auquel la pension de retraite est attribuée à taux plein.
Cette réforme s’appliquera au régime général d’assurance vieillesse et aux régimes de la fonction publique, conformément au principe de convergence. Elle doit donc concerner également les magistrats.
Pour ce qui concerne le report progressif à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits à pension, les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite sont applicables aux magistrats de l’ordre judiciaire.
L’article 9 du projet de loi portant réforme des retraites reportant l’âge d’ouverture des droits à pension à 62 ans pour les fonctionnaires dits « sédentaires », dont les magistrats font partie, cette modification s’appliquera aux magistrats nés à compter du 1er janvier 1956, sans qu’il soit besoin d’adopter de disposition particulière.
Le projet de loi susvisé renvoie, par ailleurs, à un décret la fixation, de façon croissante à raison de quatre mois par génération, de l’âge d’admission à la retraite pour les assurés nés avant le 1er janvier 1956. Cette disposition s’appliquera aux magistrats comme aux autres personnels.
Par conséquent, le relèvement de l’âge d’ouverture des droits ne concernera que les magistrats atteignant l’âge d’ouverture du droit à pension à compter du mois de juillet 2011, c’est-à-dire ceux qui sont nés après le 1er juillet 1951, de façon progressive, comme le prévoit le principe de garantie générationnelle retenu par la réforme des retraites de 2003.
Conformément au principe de convergence entre les règles applicables au régime de retraite des fonctionnaires et celles du secteur privé, les magistrats qui choisiraient de liquider leur retraite avant d’avoir atteint la durée de cotisation requise pour l’obtention d’une pension à taux plein subiront une décote.
Quant au report de la limite d’âge à 67 ans, il est prévu à l’article 1er du présent projet de loi organique, dont c’est la mesure principale. Au-delà de cet âge, un magistrat ne pourra poursuivre son activité, sauf s’il est maintenu en activité à sa demande ou s’il bénéficie de dispositifs de recul de la limite d’âge.
L’article 2 du projet de loi organique prévoit que, en vertu du principe de garantie générationnelle, le report de la limite d’âge entrera également en vigueur progressivement.
Ainsi, pour les magistrats nés avant le 1er juillet 1951, la limite d’âge demeurera fixée à 65 ans, et la limite d’âge de 67 ans s’appliquera aux magistrats nés à compter du 1er janvier 1956.
Par ailleurs, les aménagements apportés en première lecture par le Sénat à l’article 6 du projet de loi portant réforme des retraites s’appliqueront également aux magistrats.
La limite d’âge restera donc fixée à 65 ans pour les magistrats nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 inclus, lorsqu’ils remplissent les conditions requises, notamment s’ils ont élevé au moins trois enfants.
Le projet de loi organique s’inscrit dans une logique d’égalité de traitement, vous pouvez le constater, mes chers collègues.
Je voudrais maintenant évoquer plus longuement l’impact de cette réforme sur la carrière des magistrats et sur la gestion des ressources humaines dans la magistrature, dont la commission des lois a longuement débattu.
Tout d’abord, la réforme entraînera un allongement de la carrière des magistrats qui devra être nécessairement pris en compte dans l’organisation du corps.
Le report de l’âge d’ouverture des droits à pension à 62 ans ne devrait pas avoir de répercussions très fortes sur l’âge de départ à la retraite des magistrats, puisque l’année dernière, ils prenaient en moyenne leur retraite à 63,3 ans.
En réalité, ce départ quelque peu décalé à la retraite n’a rien de surprenant : il résulte de l’âge relativement élevé auquel les magistrats ont commencé leur carrière en raison du nombre d’années d’études que requiert le niveau exigé pour se présenter au premier concours de l’École nationale de la magistrature.
Quant aux magistrats recrutés par d’autres voies, qu’il s’agisse des deuxième et troisième concours ou de recrutements sur titres, leur carrière dans ce corps est nécessairement plus courte puisqu’ils ont déjà eu une carrière précédente, ce qui les conduit à prolonger leur activité.
Il faut reconnaître aussi que les magistrats utilisent peu les dispositifs leur permettant de partir à la retraite de façon anticipée.
L’application progressive du mécanisme de décote aux magistrats, comme à l’ensemble des fonctionnaires, conformément aux dispositions de la loi du 21 août 2003, devrait amplifier ce phénomène, en conduisant un nombre croissant de magistrats à prolonger leur carrière au-delà de 62 ans.
En revanche, le recul de la limite d’âge risque d’avoir d’importantes conséquences sur le déroulement de la carrière.
Les syndicats de magistrats que j’ai rencontrés ont souligné les conséquences qu’aurait le recul de la limite d’âge à 67 ans pour les personnes qui n’ont pas effectué une carrière complète au sein de la magistrature ou qui ont connu des interruptions de carrière. Tel sera le cas en particulier pour les femmes et pour les polypensionnés, c’est-à-dire pour les magistrats issus du troisième concours ou des voies de recrutement parallèles.
En outre, le projet de loi portant réforme des retraites prévoit l’extinction du dispositif permettant aux magistrats, comme aux autres fonctionnaires, de liquider leur retraite après quinze années de service s’ils ont élevé au moins trois enfants. Les magistrats qui ne remplissent pas ces conditions au 1er janvier 2012 ne pourront donc plus en bénéficier.
Cette extinction pourrait donc précipiter d’ici là le départ d’un nombre relativement important de magistrats, notamment de femmes, ayant interrompu ou réduit leur activité pour élever leurs enfants. Un tel phénomène devrait donc être compensé par des recrutements, afin d’éviter une diminution des effectifs et de nouvelles difficultés de fonctionnement dans les juridictions.
Or, ces dernières années, force est de constater que le nombre de places offertes aux concours de l’École nationale de la magistrature est en diminution.
Nous serons par conséquent vigilants, en particulier lors de l’examen du projet de budget de la mission « Justice », sur les perspectives de recrutement de nouveaux magistrats.
Le report de 65 à 67 ans de l’âge limite aura également des conséquences sur l’attractivité du maintien en activité.
L’article 3 du projet de loi organique aligne, en effet, les conditions de maintien en activité des magistrats des premier et second grades, qui peuvent actuellement demander à être maintenus en activité pour une durée de trois ans, sur celles des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, qui ne peuvent prolonger leur activité au-delà de 68 ans.
Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi organique, cette harmonisation vise à « éviter que les magistrats ne poursuivent leur activité au-delà d’un âge raisonnable ».
Par conséquent, la limite d’âge étant reportée de 65 à 67 ans, le maintien en activité des magistrats, quel que soit leur grade, ne pourra excéder un an, alors qu’il est généralement de trois ans aujourd'hui.
Dès lors, on peut penser que ce dispositif deviendra peu attractif, notamment parce que le maintien en activité ne peut avoir lieu dans la même fonction. Il suppose au minimum un changement d’affectation au sein de la juridiction, voire une mobilité géographique. Un tel changement de fonction, s’il pouvait sembler acceptable pour une durée de trois ans, risque de devenir dissuasif avec un maintien en activité limité à une année.
Toutefois, il convient de rappeler que le dispositif de maintien en activité ne concerne qu’un effectif réduit, puisque 71 magistrats sont actuellement dans cette situation, le nombre total de magistrats atteignant un peu plus de 8 000.
En outre, l’alignement prévu par le projet de loi organique permettra aux magistrats des cours et tribunaux de bénéficier jusqu’à 67 ans de gains indiciaires liés à l’ancienneté et au déroulement de leur carrière, ce que le maintien en activité en surnombre au-delà de 65 ans n’autorisait pas jusqu’à présent.
L’Assemblée nationale a par ailleurs adopté en première lecture trois amendements visant à prévoir que les magistrats désirant être maintenus en activité doivent le faire dans des fonctions correspondant à celles qu’ils exercent lorsqu’ils atteignent la limite d’âge, c’est-à-dire au siège s’ils sont magistrats du siège à ce moment-là, ou au parquet s’ils y exercent leurs fonctions.
Ces modifications nous paraissent raisonnables et nécessaires et devraient permettre aux magistrats maintenus en activité d’être rapidement opérationnels, sans attendre un an.
Enfin, je souhaite évoquer les conséquences de la réforme sur la gestion du corps des magistrats.
Les syndicats de magistrats que j’ai reçus ont insisté sur le risque de blocage de l’évolution des carrières que pourrait provoquer la réforme, puisque le nombre de magistrats présents dans chaque grade est lié à l’effectif du corps.
Le maintien hors hiérarchie des magistrats concernés par le recul de la limite d’âge pourrait fermer ou ralentir l’accès à ce niveau pour un certain nombre de magistrats du premier grade et l’on peut donc redouter une accentuation des blocages de carrière qui sont déjà observés depuis quelques années.
Ces difficultés doivent être prises en compte dans le cadre de la refonte du statut de la magistrature actuellement en préparation.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que vous puissiez nous donner des indications à cet égard.
Par ailleurs, le report de la limite d’âge entraînera nécessairement le maintien en fonction de personnes en fin de carrière qui exercent des responsabilités d’encadrement. Cela pourrait donc aboutir à un ralentissement du travail des juridictions s’il se crée un déséquilibre dans la répartition des magistrats entre chaque grade au profit du plus élevé ; le contentieux de masse est majoritairement confié aux magistrats du second grade, qui risquent d’être bloqués par le maintien hors hiérarchie d’un nombre croissant de leurs collègues.
Il est donc nécessaire que les magistrats du second grade continuent à être recrutés en nombre suffisant, ce qui ne semble pas être le cas à la lecture du projet de loi de finances pour 2011 que nous examinerons dans quelques semaines.
En conclusion, le projet de loi organique constitue tout simplement – M. le secrétaire d’État l’a dit – la transposition à la magistrature de la réforme des retraites qui sera applicable au secteur privé comme à l’ensemble de la fonction publique.
À ce titre, il n’appelle pas d’observation particulière par rapport à celles qui ont pu être faites pendant trois semaines sur le projet de loi portant réforme des retraites, adopté tout à l’heure par notre assemblée.
Cependant, cette réforme, vous l’avez compris, mes chers collègues, risque de se révéler moins anodine qu’il n’y paraît eu égard à la gestion du corps.
En effet, la fragilité des améliorations obtenues au cours des dernières années dans l’évolution des effectifs de magistrats et les tensions qui existent déjà dans le déroulement des carrières – je le soulignais tout à l’heure –, doivent conduire le Gouvernement à envisager rapidement des mesures de réforme complémentaires permettant d’assurer la transition.
Depuis plusieurs années, le ministère de la justice s’est engagé dans une nouvelle approche des ressources humaines. Il dispose enfin depuis quelques années d’une direction des ressources humaines !
Le report de la limite d’âge et la modification des règles d’ouverture du droit à pension auront des effets qui doivent donc être pris en compte dans ce cadre, sous peine de perdre – ce serait vraiment dommage – le bénéfice des efforts conduits ces dernières années pour améliorer le fonctionnement de la justice.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter conforme le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.– M. Robert Tropeano applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire n’est que l’application – cela a été rappelé par M. le rapporteur – du projet de loi portant réforme des retraites à ce corps de fonctionnaires.
D’un point de vue purement technique, le statut d’indépendance des magistrats de l’ordre judiciaire posé à l’article 64 de la Constitution explique que les dispositions relatives à leur limite d’âge soient distinctes du statut général de la fonction publique. Pour autant – cela a été dit –, l’âge d’ouverture des droits et les dispositions régissant les pensions des magistrats ne sont pas spécifiques à ce corps, mais résultent du droit commun de la fonction publique.
En repoussant de 65 à 67 ans la limite d’âge du départ à la retraite sans décote pour les magistrats de l’ordre judiciaire, à l’exception du Premier président et du procureur général près la Cour de cassation, le présent projet de loi organique transpose ce qui doit désormais être le droit commun de la fonction publique La majorité des membres du RDSE ayant vivement et fermement marqué leur opposition à la réforme des retraites, vous ne serez donc pas étonnés qu’ils confirment, par cohérence, cette position et soumettent à la Haute Assemblée des amendements de suppression. Ils s’opposent également au présent texte qui marque, lui aussi, un recul des droits sociaux.
Ce texte illustre de façon plus globale le nouvel écueil qui vient frapper un corps de fonctionnaires déjà durement touché par la politique pénale du chiffre mise en œuvre par votre majorité depuis maintenant plus de huit ans Il n’est pas anodin que nombre de magistrats décrivent leur corps comme empreint d’un profond malaise, pris entre une instabilité législative maladive, des objectifs quantitatifs éloignés de ce que devrait être la sérénité de la justice et le manque patent de considération dont font preuve, de façon irresponsable, certains ministres.
À l’heure où les fonctionnaires sont les victimes de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et du dogme budgétaire, la politique de recrutement en dents de scie mise en place depuis cinq ans engendrera d’ici à quelques années d’importants problèmes avec la non-compensation des départs à la retraite d’ici à 2017. Nos collègues Yves Détraigne et Simon Sutour avaient d’ailleurs confirmé dans leur rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2009 que dès 2010, ces départs seraient supérieurs à 200 par an et s’élèveraient à 260 en 2013 et à 321 en 2017. Les départs volontaires avant la limite d’âge sont, depuis 2002, nettement supérieurs aux départs imposés par la limite d’âge, preuve, s’il en fallait encore, du malaise des magistrats !
Les syndicats de magistrats ont manifesté leur opposition au présent projet de loi organique, s’étonnant même qu’ils n’aient pas été associés à sa conception.
Surtout, ce texte ne règle pas les problèmes qui affectent la magistrature et que vous connaissez nécessairement, mes chers collègues. Le recul de l’âge de la retraite risque, au contraire, de mettre de l’huile sur le feu, en accentuant les déséquilibres déjà existants.
Ces problèmes concernent en premier lieu la structure même de la hiérarchie des magistrats. Il est notoire que les magistrats sont peu nombreux à faire valoir leur droit dès l’ouverture des droits à pension. Seuls 37 % d’entre eux l’ont fait en 2009. L’âge moyen de départ à la retraite a même tendance à s’allonger, passant de 62,7 ans en 2008 à 63,3 ans en 2009.
Il en résulte, de façon quasi mécanique, un allongement du temps passé dans le dernier échelon indiciaire du premier grade, tendance qui ne sera qu’accentuée avec le recul du départ à la retraite De façon concomitante, les magistrats qui ont réussi à atteindre la hors hiérarchie devront rester plus longtemps dans ces fonctions, ce qui revient à limiter très fortement pour les générations suivantes la perspective d’accéder à ces fonctions les plus prestigieuses. Du point de vue du progrès social, nous y voyons surtout une forme prononcée de conservatisme !
Nous ne souscrivons pas aux solutions envisagées par la Chancellerie qui consisteraient, par exemple, à « dilater » les échelons en augmentant le temps passé dans chacun d’eux pour retarder l’accès aux niveaux plus élevés. De fait, vous sacrifiez la carrière de fonctionnaires qui effectuent leur travail dans des conditions de plus en plus contraintes, et auxquels vous ne promettez que des lendemains qui déchantent ! Cette « dilatation » conduirait à une baisse de pouvoir d’achat tout au long de la carrière.
Certes, nous convenons que la catégorie des magistrats de l’ordre judiciaire est loin d’être la plus à plaindre par rapport à l’ensemble des travailleurs, alors que la crise économique frappe de plein fouet des milliers de nos compatriotes. Nous n’entendons pas non plus défendre un corporatisme totalement éloigné de notre vision de l’intérêt général. Mais il est patent que la convergence du taux de cotisation des magistrats avec celui des salariés du régime général – il passera de 7,85 % à 10,55 % –, conjuguée au gel annoncé du point d’indice et au relèvement du taux de décote à 1,25 % par trimestre, aboutira à une baisse de pouvoir d’achat des magistrats que nous déplorons, à l’instar de toute diminution de cette nature pour n’importe quelle catégorie de travailleurs.
Les syndicats de magistrats évoquent également de façon très régulière, comme vous le savez, mes chers collègues, la question de l’intégration des primes lors du calcul de la pension. Depuis la réforme du régime additionnel de la fonction publique en 2003, ces primes ne pèsent que pour 20 % dans ce calcul, maintenant un taux de remplacement particulièrement défavorable. Pourquoi refusez-vous toujours d’engager des discussions sur ce point ?
Enfin, je ne saurais conclure mon propos sans évoquer la question, encore épineuse, des polypensionnés.
Tandis que votre gouvernement promeut la mobilité professionnelle des salariés et a fait voter une loi censée faciliter la mobilité dans la fonction publique, les conditions de reprise d’ancienneté pour les magistrats ayant intégré ce corps par les deuxième et troisième concours leur sont particulièrement défavorables.
Le recul de l’âge de départ à la retraite ne fera que pénaliser davantage encore ces magistrats, qui ne bénéficient pas d’annuités antérieures dans la fonction publique. Il en sera de même pour ceux, nombreux, qui choisissent, pour des raisons personnelles, notamment pour s’occuper de leur famille, de suspendre temporairement leur carrière.
Dans un corps majoritairement féminisé comme la magistrature, vous comprendrez que le fait de parler d’avancée des droits relève de la gageure, a fortiori lorsque l’on sait que la Chancellerie a refusé d’évoquer cette question et de réunir la commission permanente d’études.
Toutes ces questions, les magistrats auraient souhaité les voir aborder avant que ne leur soit imposé d’office, sans concertation véritable, le recul de l’âge de départ à la retraite. Les quelques mesures introduites par l’Assemblée nationale sur les conditions de maintien en activité des magistrats ayant dépassé la limite d’âge ou l’unification de textes jusqu’à présent épars ne changent rien à l’appréciation de fond que nous portons sur ce texte.
Tout aussi résolue que lors du vote de la réforme des retraites, voilà quelques heures, la majorité des membres du RDSE votera contre le présent projet de loi organique.