compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Romani
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Clouet, maire honoraire de Vincennes, qui fut sénateur du Val-de-Marne de 1986 à 2004.
Au nom de M. le président du Sénat et du Sénat tout entier, je tiens à exprimer nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
3
Commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
4
Modification de la composition du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement
M. le président. J’informe le Sénat que Mme Éliane Assassi remplace Mme Annie David au sein du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement.
5
Mise au point au sujet d'un vote
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, lors du scrutin public sur l'ensemble du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, mon collègue Robert Tropeano a été porté comme ayant voté contre, alors qu’il souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur de Montesquiou.
6
Revenus du travail
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, en faveur des revenus du travail (no 502, 2007-2008 ; nos 43, 48).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et Mme Isabelle Debré, rapporteur, applaudissent.)
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez notre projet : remettre le travail au cœur de notre modèle de société.
En effet, pour partager des richesses, il faut d’abord les créer. Or c’est par le travail que l’on crée des richesses et, donc, du pouvoir d’achat. C’est par le travail que l’on prépare mieux l’avenir de la société. C’est aussi par le travail que l’on peut améliorer sa situation professionnelle et personnelle.
M. Guy Fischer. Tiens donc !
M. Xavier Bertrand, ministre. Tous nos efforts, toutes les réformes engagées depuis plus d’un an en matière économique et sociale ont permis de donner une place centrale à la valeur travail.
Avec ce texte, comme l’a rappelé le Président de la République, il s’agit de donner au travail la juste part des richesses qu’il contribue à produire et de le faire dans le cadre du dialogue social.
Il est évident qu’une société qui propose la juste rétribution des efforts de chacun et qui privilégie la discussion est plus forte et mieux armée pour affronter la compétition économique ou les difficultés économiques.
Il est également évident que le capital et le travail sont tous les deux indispensables au développement économique et à la vitalité d’une entreprise : l’un ne va pas sans l’autre, et les opposer n’a jamais rien produit de positif.
La participation, ce sont 5 millions de salariés qui ont touché un peu plus de 7 milliards d’euros en 2006.
L’intéressement, ce sont 4,3 millions de salariés qui ont bénéficié de 7 milliards d’euros. Voilà des outils importants pour continuer à améliorer les revenus des Français.
L’intéressement et la participation donnent donc déjà des résultats, mais nous devons faire plus et mieux, car, aujourd’hui, ces dispositifs restent essentiellement limités aux grandes entreprises : seul un salarié sur dix dans les PME de moins de cinquante salariés en bénéficie.
Or les PME sont des acteurs clés du développement : c’est là que nous saurons trouver de nouveaux gisements de croissance. Il nous faut à la fois dynamiser et faire plus largement connaître les bénéfices de ce système, et ce au plus près du terrain.
Alors que nous traversons une conjoncture économique difficile, il est d’autant plus crucial d’élargir les marges de manœuvre des entreprises et d’offrir davantage de possibilités pour augmenter les revenus.
Aujourd'hui, 6 millions de salariés ne bénéficient ni de l’intéressement ni de la participation. C’est cette situation qu’il nous faut changer.
Ce projet de loi, nous l’avons préparé avec Christine Lagarde et Laurent Wauquiez, et nous avons voulu qu’il permette de développer les revenus du travail, rapidement et efficacement. Il comporte deux versants complémentaires : l’intéressement et la participation, pour mieux associer les salariés à la réussite économique des entreprises ; les salaires, parce qu’il faut aujourd’hui moderniser et dynamiser la politique salariale dans notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous présenterai maintenant les détails qui concernent l’intéressement, la participation et le SMIC, avant que Laurent Wauquiez vous expose plus précisément la conditionnalité des allégements de charges pour les entreprises et les branches.
L’intéressement et la participation sont de grandes idées, nous en convenons tous. Dès lors, pourquoi ne pas en faire profiter le plus grand nombre de salariés, notamment dans les PME ?
Ce projet de loi s’inscrit dans une relance plus générale de la participation, cette association entre le capital et le travail lancée, voilà plus de cinquante ans, par le général de Gaulle.
Notre projet de loi fixe des objectifs simples.
Les entreprises doivent tout d’abord distribuer davantage à leurs salariés. Pour cela, il faut développer l’intéressement. Ainsi mettons-nous en place un crédit d’impôt de 20 % sur les sommes supplémentaires versées : c’est simple et c’est immédiat. Si un chef d’entreprise distribue en plus 1 000 euros d’intéressement à ses salariés, il bénéficiera d’un crédit d’impôt de 200 euros.
Pour inciter les entreprises à jouer le jeu sans attendre et pour permettre aux salariés de percevoir immédiatement une prime, le projet de loi autorise les entreprises qui auront déjà signé un accord d’intéressement avant la mi-2009 de verser aux salariés une prime de 1 500 euros exonérée de charges et d’impôt.
Sur ce sujet, j’ai bien entendu la proposition formulée par la commission des finances et par vous-même, monsieur le rapporteur pour avis. Mais, sans crédit d’impôt, nous n’atteindrons jamais l’objectif : nous ne ferons pas bénéficier de l’intéressement un plus grand nombre de salariés, en doublant, comme nous le souhaitons, les montants versés au titre de l’intéressement.
Or nous avons, me semble-t-il, trouvé un point d’équilibre avec les différents acteurs, notamment les parlementaires. Monsieur Dassault, si je comprends bien le sens et la portée de votre proposition, il n’est pas possible, selon moi, de la retenir aujourd'hui, au risque de bouleverser l’équilibre qui a été trouvé et qui repose – j’assume ce choix – sur l’incitation.
En outre, l’Assemblée nationale a permis de prévoir dans les accords d’intéressement des possibilités de reconduction tacite, ce qui facilitera également la vie des entreprises. Ce qui marche, c’est ce qui est simple. Voilà aussi pourquoi cette mesure était de bon sens.
Nous voulons aussi faire confiance aux salariés, en leur laissant la liberté de choix : au moment où ils percevront leur participation, ils pourront soit disposer tout de suite de leur épargne, soit la bloquer.
Il est temps de sortir d’une conception qui consistait à choisir à la place du salarié. Ce n’est pas au ministre du travail, derrière son bureau, de choisir à la place du salarié. C’est à ce dernier de savoir s’il souhaite se constituer une épargne automatique, en prenant avant tout en compte, pour lui-même et par lui-même, sa situation, ses projets, voire ses besoins.
Naturellement, cette réforme n’entrera en vigueur que pour les droits à participation nouvellement distribués ; elle ne modifiera pas les cas de déblocage anticipé qui existent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens également à souligner que cette réforme ne réduira pas non plus l’intérêt et le développement de l’épargne salariale. Celle-ci poursuivra son essor. Je sais que beaucoup d’entre vous, sur toutes ces travées, notamment vous-même, madame le rapporteur, y sont légitimement attachés.
L’Assemblée nationale a complété la liberté de choix par plusieurs dispositions importantes, qui répondent aux attentes formulées par les entreprises elles-mêmes et en leur sein. Elle a ouvert la possibilité d’abonder la participation bloquée comme pour l’intéressement, ainsi que la possibilité de bloquer par accord collectif la partie de la participation qui excède l’application de la formule légale.
En simplifiant les règles, nous voulons développer l’attrait de ces mécanismes, pour les entreprises comme pour les salariés : plus d’intéressement et plus de participation, c’est plus de revenus qui viennent s’ajouter aux salaires.
J’ai bien dit « ajouter », car l’intéressement et la participation ne remplacent pas les salaires : ils viennent en plus des salaires ! C’est d’ailleurs pourquoi ce projet de loi est un tout, que nous vous présentons à deux, Laurent Wauquiez et moi-même.
Ce texte dynamise également la politique salariale, l’échelle des salaires et la négociation sur les salaires.
L’Assemblée nationale a voulu étendre le bénéfice de ces outils aux chefs d’entreprises employant jusqu’à deux cent cinquante salariés. Il est en effet logique que tout le monde puisse être associé aux performances de l’entreprise, tout comme il est logique que la rémunération des dirigeants soit liée aux succès de l’entreprise.
En ce domaine, le Président de la République a souligné combien il était primordial, particulièrement dans la conjoncture actuelle, de moraliser les pratiques de notre économie, notamment pour ce qui concerne la rémunération des dirigeants.
Comme vous le savez, le MEDEF et l’AFEP, l’Association française des entreprises privées, ont fait, sur ce sujet, des recommandations intéressantes.
Mme Nicole Bricq. Intéressantes, en effet !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il faut maintenant que chacun des conseils d’administration des sociétés concernées s’engage à les respecter. Formuler des recommandations, c’est bien ; prendre des décisions, c’est encore mieux ! Il nous faut aujourd'hui attendre de telles décisions, tout en sachant que – j’y insiste – l’Autorité des marchés financiers établira chaque année un rapport sur la mise en œuvre de ces recommandations.
De son côté, le Gouvernement prend ses responsabilités sans tarder. Nous avons déposé un amendement tendant à mettre en place, dans les entreprises qui versent des stock-options à certains dirigeants, un dispositif comparable pour les salariés sous forme d’actions gratuites, de stock-options, d’intéressement ou de participation.
Les stock-options réservées à certains, c’est terminé ! Cette possibilité existera désormais pour tous. Tel est l’esprit de ce projet de loi en faveur des revenus du travail. (Mme Catherine Procaccia applaudit. – Mmes Nicole Bricq et Annie David s’exclament. ) J’ai cru comprendre, dans les propos tenus au sujet des banques, que cette proposition recueillait le soutien de tous, et j’en suis très heureux. (M. Guy Fischer proteste.)
Cette proposition me tient particulièrement à cœur. En effet, si nous voulons renforcer les solidarités dans l’entreprise et faire reconnaître encore davantage la valeur du travail, il nous faut instaurer une forme de solidarité dans les rémunérations.
Nous pensons aussi à ceux dont la rémunération se situe en bas de l’échelle des salaires. C’est pourquoi nous voulons moderniser le mode de fixation du SMIC.
Depuis trop longtemps, la fixation du SMIC est devenue un rendez-vous politique de plus en plus déconnecté de la réalité économique et sociale.
Les « coups de pouce » gouvernementaux, les multiples SMIC qu’il nous a fallu unifier en raison des 35 heures, le rendez-vous annuel autour des partenaires sociaux qui plaident, les uns, pour une augmentation significative, les autres, pour un statu quo, n’ont pas vraiment conduit à améliorer la situation des salariés et des entreprises.
M. Guy Fischer. Et vous ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Ils n’ont pas davantage permis de disposer d’une « rémunération plancher » dynamique, tant pour la croissance des entreprises que pour l’échelle des salaires. Il faut donc que l’évolution du SMIC ...
M. Guy Fischer. Vous allez le tuer, le SMIC !
Mme Nicole Bricq. C’est ce qu’ils veulent !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... soit davantage en phase avec les conditions économiques et le rythme des négociations salariales, et que l’on puisse sortir de ce qui est devenu un véritable jeu de rôle, notamment politique.
En avançant la date de la revalorisation annuelle au 1er janvier, nous voulons donner de la visibilité aux négociations salariales annuelles dans les entreprises et les branches. En effet, l’ensemble des négociations salariales pâtissent du fait que cette date est actuellement fixée au 1er juillet, car il ne se passe rien ou presque au cours des mois de juillet et août.
Nous ne changeons rien aux règles légales de fixation et de revalorisation du SMIC.
Mme Annie David. Jusqu’à quand ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous souhaitons tout simplement obtenir un éclairage supplémentaire.
Nous proposons que des experts indépendants soient consultés (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) et remettent chaque année à la Commission nationale de la négociation collective et au Gouvernement un rapport sur les évolutions souhaitables du SMIC.
Il s’agit de faire en sorte que la fixation du SMIC soit l’objet d’une analyse sereine, objective et indépendante, comme chez nos voisins européens, tout simplement. L’Assemblée nationale a voulu que cette analyse soit faite par un groupe d’experts indépendants et non par une commission supplémentaire. Ce message, qui émanait également des sénateurs, a été bien reçu. Les moyens de ce groupe d’experts seront mutualisés avec ceux d’une instance existante.
Enfin, nous allons conditionner les allégements de charges, pour qu’ils soient versés à ceux qui jouent le jeu de la négociation salariale.
Laurent Wauquiez vous exposera plus en détail cet axe de notre projet, mais je veux souligner certains points qui me tiennent particulièrement à cœur.
Est-il normal que presque le quart des entreprises qui ont l’obligation légale de négocier chaque année sur les salaires n’en fassent rien ? Non, bien sûr !
Il ne s’agit pas d’augmenter les salaires par la loi, mais l’État peut choisir de retirer des allégements de charges sociales à ceux qui ne respectent pas un engagement minimal, à savoir dialoguer et échanger avec les représentants des salariés sur les possibilités de revalorisation salariales.
Les entreprises qui ne respecteront pas leur obligation de négociations salariales se verront retirer 10 % des allégements de charges dont elles bénéficient.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. En outre, il n’est pas admissible que des minima salariaux fixés par la négociation de branche soient encore inférieurs au SMIC.
Avant de conclure, je veux souligner un dernier point qui est, à mes yeux, essentiel.
Il faut que chaque entreprise puisse mettre en œuvre ce système de la façon la plus simple et la plus adaptée à sa situation. C’est pourquoi je souhaite que nous fassions ensemble un effort de pédagogie sur le sujet, ce que j’appelle le « service après vote ». Je suis en effet convaincu qu’une réforme n’existe vraiment que lorsqu’elle est appliquée, lorsqu’elle entre dans le quotidien de nos concitoyens, lorsque ceux-ci la comprennent et en mesurent les effets, en un mot, lorsqu’ils se l’approprient.
Durant tout le débat parlementaire, et donc avant le vote, le Gouvernement sera attentif aux propositions que vous pourrez faire pour améliorer ce texte. Je veux d’ores et déjà saluer le travail de la commission des affaires sociales, de son président, de ses membres et de son rapporteur, Isabelle Debré, dont les propositions d’amendements permettront d’enrichir le présent projet de loi. Je tiens à la remercier pour sa contribution et son implication. Je salue également le regard exigeant de la commission des finances et de son rapporteur pour avis, Serge Dassault.
Avec ce texte, nous envoyons un signal clair aux entreprises et aux salariés. Nous créons les conditions pour favoriser davantage ceux qui travaillent dans le partage des richesses, ...
M. Guy Fischer. Il y a de quoi faire !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... pour développer le dialogue social et pour mieux associer les salariés aux succès de leur entreprise. Nous pensons qu’il est juste que les salariés touchent le dividende de leur travail, de même que les actionnaires perçoivent le dividende de leur investissement.
M. Guy Fischer. Il vaut mieux entendre cela que d’être sourd !
M. Xavier Bertrand, ministre. Avec ce projet de loi, l’action politique prend tout son sens moderne : la loi incite et fixe un cap, mais ce sont les acteurs de l’entreprise qui lui donnent sa portée pratique.
Ambition et pragmatisme, tels sont les deux aspects de ce texte attendu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous vous présentons, avec Xavier Bertrand et Christine Lagarde, revêt une actualité toute particulière dans le contexte économique que nous connaissons.
Face aux difficultés auxquelles se heurtent les uns et les autres, des réflexions s’engagent, notamment sur la question du partage des revenus entre la rémunération du capital et celle du travail. Ce projet de loi s’adresse précisément à ceux qui n’ont que leur travail pour capital !
Pour cela, il est nécessaire de moderniser et d’adapter les règles qui déterminent les rémunérations dans notre pays, non pas en légiférant de manière exceptionnelle, dans l’urgence, mais en réformant en profondeur les modes de négociation salariale. Cette philosophie, comme l’a rappelé Xavier Bertrand, est celle de la revalorisation du travail.
Ce projet de loi, qui est complémentaire par rapport à la loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, s’adresse en priorité aux ménages des classes moyennes modestes, qui ont été trop souvent les grands oubliés des politiques salariales menées depuis vingt-cinq ans.
En effet, au cours des vingt-cinq dernières années, on a pratiqué une politique publique des rémunérations qui consistait uniquement à revaloriser le SMIC. Le SMIC est alors devenu l’outil d’une politique de revenu et pas seulement d’une politique de salaire plancher. Les débats se sont donc concentrés uniquement sur les fameux « coups de pouce », qui expliquent à eux seuls 60 % des hausses du SMIC depuis sa création en 1970, sans que l’on se demande jamais quel effet ces coups de pouce pouvaient avoir sur l’ensemble des salaires.
Il ne s’agit bien évidemment pas de tuer le SMIC, mais je rappelle que, pour 85 % de nos concitoyens, le SMIC n’est pas le seul mode de fixation des salaires.
Mme Isabelle Debré, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Nous devons donc éviter d’en faire l’alpha et l’oméga de toute notre politique salariale. Ce n’est que l’arbre qui cache la forêt, cette forêt dans laquelle se trouvent la majorité des salariés.
On a, du coup, oublié précisément ceux qui gagnent juste un peu plus que le SMIC. Or les autres salaires n’ont pas suivi la même progression. L’écart entre le SMIC et le salaire des classes moyennes modestes s’est ainsi resserré année après année.
Le résultat est simple.
L’économie française présente une particularité très nette : 15% des salariés sont rémunérés au SMIC, contre 5 % seulement en moyenne dans les autres pays européens. Ce phénomène ne serait pas inquiétant en soi si ne s’y ajoutait un autre paramètre : les perspectives pour ces salariés de sortir du SMIC ont été pratiquement divisées par deux depuis vingt ans. Le SMIC joue donc comme une trappe : une fois au SMIC, un salarié voit ses chances d’en sortir se réduire année après année.
Cette situation est inacceptable, notamment pour les jeunes, qui sont payés au SMIC deux fois plus souvent que leurs aînés et auxquels on promet toute une vie de travail sans perspective de progression et sans véritable stimulation.
Le projet de loi qui vous est soumis tend clairement à rompre avec cette tendance et à récréer des perspectives de rémunération et de progression salariale, notamment à l’échelle des bas salaires. Il faut pour cela une action à tous les niveaux : salaires dans les entreprises, grilles salariales des branches et compléments de rémunération, comme l’intéressement et la participation.
Je ne reviendrai ni sur l’intéressement et la participation, dont a parlé Xavier Bertrand, avec lequel j’ai travaillé de façon très complémentaire, ni sur le mode de fixation du SMIC.
Je souhaite en revanche m’attarder sur l’articulation entre le SMIC et les minima de branche, d’une part, et sur la conditionnalité des allégements de charges, d’autre part.
Permettez-moi auparavant, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir sur la méthode que nous avons retenue. Celle-ci consiste à faire le pari du dialogue social, tout en veillant à ne pas faire de celui-ci un simple mot ou un simple appel à la négociation : il s'agit de fixer un délai pour la négociation et des contraintes claires.
La conditionnalité des allégements de cotisations doit permettre de stimuler les négociations de salaires de manière à recréer des perspectives salariales.
Disons-le clairement : il n’est pas normal que des lois votées par la représentation nationale et qui sont celles de la République ne soient pas appliquées.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. C’est clair !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Or c’est le cas aujourd’hui ! L’obligation de négocier annuellement sur les salaires n’est pas respectée dans une entreprise sur quatre et dans une grande entreprise sur dix. Ce n’est pas sain !
Il est de l’intérêt de l’entreprise d’avoir, au moins une fois par an, un vrai débat sur la question des salaires, où l’on explique, si le contexte économique est difficile, pourquoi les salaires ne peuvent pas être revalorisés, ou, à l’inverse, comment le résultat constaté, fruit du travail de l’ensemble des équipes, permet d’ouvrir des perspectives de négociations salariales.
Pour la première fois, mesdames, messieurs les sénateurs, un gouvernement se pose donc la question de l’application concrète et du respect de cette disposition, adoptée au milieu des années quatre-vingt !
Les entreprises qui ne joueront pas le jeu verront leurs allégements diminuer de 10 % chaque année.
L’Assemblée nationale a même souhaité aller plus loin en retirant 100% des allégements aux entreprises qui ne jouent pas le jeu trois années de suite, dans le but de sanctionner fortement les « passagers clandestins ».
Pour autant – nous avons eu à ce sujet un débat très intéressant avec M. Dassault –, l’objectif n’est pas de supprimer les allégements de cotisations sociales. Cette politique a été évaluée de manière rigoureuse sur plus de dix années, et il ressort de ce retour d’analyse qu’elle a permis d’enrichir notre croissance en emplois, notamment au bénéfice des moins qualifiés. J’ai la conviction que c’est sans doute l’outil le plus efficace dont nous disposons en termes de création et de préservation de l’emploi.
M. Guy Fischer. Tout le monde ne dit pas cela !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Il est vrai que tout cela représente un effort budgétaire important pour la collectivité. C’est pourquoi nous sommes fondés à demander aux entreprises qui bénéficient de cet effort national qu’elles respectent, en contrepartie, leurs obligations en matière de rémunération.
J’en viens maintenant aux branches.
Dans certaines branches, et ce malgré le travail remarquable réalisé par Gérard Larcher lorsqu’il était ministre chargé du travail, le bas des grilles de salaires est durablement décalé par rapport au SMIC. Cela signifie non pas que les salaires versés sont inférieurs au SMIC, mais que l’étagement des carrières et des salaires est comprimé encore plus au niveau du SMIC. Concrètement, même si vous continuez à voir vos responsabilités croître dans l’entreprise, vous restez au SMIC.
Nous souhaitons donc que les négociations annuelles démarrent au plus vite, dès l’année prochaine, pour mettre les minima au niveau du SMIC. Les négociations entre partenaires sociaux doivent nous permettre de revaloriser les minima sociaux des branches qui ne les ont pas portés au niveau du SMIC afin de donner de nouvelles perspectives en la matière.
M. Guy Fischer. Ce ne sont pas des minima sociaux !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Sept branches sont concernées.
Votre rapporteur, Isabelle Debré, a attiré notre attention sur la nécessité de bien articuler les niveaux de négociation de branche et d’entreprise. Le débat permettra certainement de trouver des solutions en la matière. Ce sujet mérite que nous nous y attardions.
Permettez-moi, en conclusion, de saluer le travail remarquable accompli par le rapporteur de la commission des affaires sociales, Mme Isabelle Debré, et par le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Serge Dassault, qui, par leurs propositions, ont permis d’enrichir sensiblement le texte du Gouvernement.
Si je devais résumer ce texte tout en respectant sa forte cohérence interne et sans oublier les apports de vos commissions, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirais qu’il a un objectif - les salariés modestes et les classes moyennes -, qu’il privilégie une méthode - la négociation sociale -, et qu’il a un but : la revalorisation des salaires de ceux qui n’ont que leur travail pour capital. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Isabelle Debré, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le pouvoir d’achat demeure, plus que jamais, au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Le Parlement a adopté, au cours des derniers dix-huit mois, plusieurs textes destinés à répondre à leurs attentes. Je pense notamment à la loi TEPA du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, qui a détaxé les heures supplémentaires, ou à la loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d’achat, qui a facilité le rachat de jours de repos et procédé à un déblocage exceptionnel de la participation.(M. Guy Fischer s’exclame.)
Il nous est aujourd’hui proposé de franchir une nouvelle étape, en jouant sur deux leviers complémentaires : d’une part, l’intéressement, la participation et l’épargne salariale ; d’autre part, la politique salariale.
L’intéressement et la participation permettent aux salariés de partager les fruits de la croissance de leur entreprise. Ces mécanismes s’inscrivent, nous le savons tous, dans la tradition profondément gaullienne d’association du capital au travail.
À l’heure actuelle, un tiers environ des salariés sont couverts par un accord d’intéressement. Cette statistique, qui n’est certes pas défavorable, ne doit pas nous faire oublier pour autant que cette proportion est beaucoup plus faible dans les PME. Le crédit d’impôt prévu par le projet de loi a pour objectif de contribuer à combler cet écart en diffusant plus largement l’intéressement dans nos entreprises. Le coût de cette mesure, non négligeable, pourrait être de l’ordre de 370 millions d’euros la première année et dépasser 1 milliard d’euros en 2012 si l’objectif de doublement des sommes versées au titre de l’intéressement est atteint.
Je sais que certains de nos collègues jugent ce coût excessif pour les finances publiques. Cette préoccupation s’est exprimée au sein de la commission des affaires sociales et, plus encore, au sein de la commission des finances, attachée, comme nous tous, au retour à l’équilibre des comptes de l’État. Pour autant, la crise actuelle et le contexte de ralentissement économique doivent-ils nous conduire à rejeter cette mesure au motif qu’elle aurait pour effet de diminuer nos recettes fiscales ?
Permettez-moi de rappeler que le développement de l’intéressement n’est pas seulement un moyen de distribuer du pouvoir d’achat aux salariés. C’est aussi, et surtout, un instrument d’amélioration de la performance de nos entreprises. En effet, la logique qui sous-tend tout accord d’intéressement est de lier le versement d’une prime à la réalisation de certains objectifs. Elle constitue donc un moyen puissant de motivation des salariés et d’amélioration du climat social dans l’entreprise, puisque les efforts de chacun sont gratifiés.