M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Comme je n'ai pas les mêmes contraintes que M. le rapporteur - je ne suis notamment pas obligé de voter le projet de loi dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale -, je voudrais dire tout le bien que je pense de la rédaction proposée par M. Peyronnet.
En effet, ce qui est très précis dans le projet de loi, c'est ce que la délégation ne peut pas faire. Dès lors, il ne me semble tout de même pas exorbitant de lui permettre de recueillir toutes les informations dont elle a besoin pour remplir sa mission.
Peut-être cela va-t-il de soi, mais cela ira encore mieux en le précisant. Je suis donc surpris que M. le secrétaire d'État refuse un tel dispositif aux seules fins d'aller vite et d'obtenir un vote conforme.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa du IV du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, après les mots :
les activités opérationnelles de ces services
insérer les mots :
en cours et à venir
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement vise à étendre le pouvoir d'information et d'appréciation de la délégation parlementaire au renseignement en restreignant le droit au secret des ministres aux seules activités opérationnelles en cours et à venir.
Le fait que la délégation ne puisse pas connaître les activités opérationnelles en cours respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel - je remarque que ce n'est pas forcément le cas dans d'autres pays, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis. Nous approuvons cependant cette situation.
En ce qui concerne les activités opérationnelles passées, en revanche, le débat peut être ouvert. Les travaux effectués sur des situations passées pourraient permettre aux parlementaires, en tout cas au sein de la délégation, de mieux comprendre les situations à venir et de mieux préparer l'adaptation de nos services.
Dans notre esprit, et pour reprendre les propos de M. le secrétaire d'État, il ne s'agit pas de faire le travail de la justice, ni d'instituer une commission d'enquête permanente, ni bien sûr d'instruire en continu le procès des services. Dans ce cadre précis, les membres de la délégation doivent simplement pouvoir exercer leur droit d'information.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Je m'exprimerai sur les amendements nos 3 et 4 car ils ont, me semble-t-il, été défendus conjointement. (M. Jean-Claude Peyronnet fait un signe de dénégation.)
Concernant l'amendement n° 3, le principe que j'évoquais tout à l'heure prévaut, c'est-à-dire que les travaux préparatoires éclairent le texte.
Il a effectivement été dit que nous ne pourrions interroger un fonctionnaire d'un service sans passer par son directeur. Nous étions parvenus à l'accord suivant : si nous souhaitons interroger une personne particulière sur une opération, nous la recevons avec son directeur. Une telle solution est à peu près conforme à nos souhaits et permet au directeur d'être présent en tant que responsable de son service. Cet amendement n'a donc plus d'objet.
J'en viens à l'amendement n° 4 tendant à restreindre le droit au secret aux seules activités opérationnelles en cours et à venir. Nous pourrions effectivement être tentés d'étudier des opérations passées. Mais, si nous décortiquons une opération ancienne, je crains que les services étrangers ne puissent trouver le modus operandi et se forger une idée de « qui a fait quoi, et comment », ne serait-ce que par l'utilisation des moyens, des lieux et des sites.
Nous pouvons certes nous faire expliquer le système ; mais préciser la construction d'une opération à l'étranger, c'est déjà dire ce qui se passe et, peut-être, ce qui se passera demain. Par conséquent, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire ce matin, je ne peux accepter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je partage pleinement l'avis de la commission et je n'ai rien à ajouter concernant l'amendement n° 3.
Quant à l'amendement n° 4, monsieur Peyronnet, vous avez certes précisé dans son objet : « sous réserve que ces informations ne relèvent pas des données visées au premier alinéa du paragraphe V du projet de loi ». Vous comprenez bien que des éléments opérationnels passés, surtout dans un passé récent, mettent en cause des services, des réseaux de renseignement, des personnes, des agents. Les investigations sont donc extrêmement compliquées.
Les directeurs des services pourront certainement évoquer un certain nombre de points devant la délégation sans mettre en danger qui que ce soit, et ce d'autant plus qu'une relation de confiance se sera instaurée. La relation entre les services de renseignement et la délégation me paraît, en la matière, essentielle. Les services de renseignement donneront d'autant plus d'éléments qu'ils auront le sentiment que la confidentialité est assurée, que les choses se passent bien.
Cependant, en donnant à cette délégation un pouvoir d'investigation sur des opérations passées mais récentes, vous risqueriez - involontairement, bien sûr - de mettre en difficulté des services, des réseaux, voire des agents. C'est la raison pour laquelle nous sommes également défavorables à cet amendement.
M. Jean-Patrick Courtois. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je dirai d'abord quelques mots sur l'amendement n°3, puisqu'il a été évoqué.
Cet amendement concerne la liste des personnes susceptibles d'être entendues par la délégation. Nous souhaiterions, pour notre part, que toute personne puisse être auditionnée par celle-ci. Vous nous dites que c'est dangereux, problématique. Par ailleurs, vous nous laissez entendre que, conformément à une sorte de tradition parlementaire, ces auditions seraient possibles.
L'existence d'une liste limitative restreint forcément le pouvoir d'audition et donc d'information de la délégation. Voilà pourquoi nous souhaitons que les possibilités d'investigation de la délégation soient étendues.
Cela étant dit, s'agissant de l'amendement n° 4, je comprends vos propos, monsieur le secrétaire d'État, quant aux risques que peuvent engendrer des investigations sur des opérations passées récentes. Dans notre esprit, je le répète, il ne s'agit pas d'instaurer une commission d'enquête permanente, il s'agit simplement de permettre à la délégation d'approfondir ponctuellement, sur une affaire, ses investigations. Mais, sur ce sujet, je conçois aussi que, comme vous l'avez dit, « la marche se prouve en marchant ».
M. le président. Mes chers collègues, si nous examinons d'abord l'amendement n° 4 puis l'amendement n° 3, c'est parce qu'ils se réfèrent respectivement au deuxième alinéa et au dernier alinéa du paragraphe IV du texte proposé par l'article unique. Il est donc normal de procéder dans cet ordre.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Après les mots :
et le secrétaire général de la défense nationale
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du IV du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 :
, les directeurs des services mentionnés au premier alinéa ainsi que toute personne relevant de leur autorité et déléguée par eux. Elle entend également toute personne étrangère aux services et susceptible d'éclairer ses travaux.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(L'article unique est adopté.)
Article additionnel après l'article unique
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Après l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le second alinéa du VI de l'article 154 de la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001), après les mots : « au Premier ministre, » sont insérés les mots : « à la délégation parlementaire au renseignement ».
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement, dans l'esprit de nos amendements précédents, vise à donner à la délégation parlementaire au renseignement de véritables pouvoirs d'investigation.
Je fais remarquer, en particulier à M. le rapporteur, qu'il s'agit d'un amendement a minima par rapport à ce que nous avions demandé en première lecture. Nous avions souhaité, en effet, une meilleure association entre la délégation et la commission de vérification des fonds spéciaux, et nous avions imaginé qu'un certain nombre de membres de la commission des finances puissent être membres de ces deux structures.
Nous proposons ici d'étendre à la délégation la transmission du rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux, limitée jusqu'à présent au Président de la République, au Premier ministre ainsi qu'aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées. Nous souhaitons à tout le moins que le président de la délégation puisse aussi recevoir ce rapport. Ainsi s'établirait en quelque sorte une passerelle entre la commission de vérification des fonds spéciaux et la délégation. Il nous semble que ce serait le signe d'un meilleur fonctionnement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Mon cher collègue, nous revenons à un débat que nous avons eu en commission.
M. Charles Pasqua. Brièvement ! (Sourires.)
M. René Garrec, rapporteur. Je serai bref !
M. Charles Pasqua. Si vous voulez qu'on parle du renseignement, je suis à votre disposition.
M. René Garrec, rapporteur. À vos ordres ! (Nouveaux sourires.)
Nous nous étions en effet demandé s'il ne conviendrait pas d'agréger la commission de vérification des fonds spéciaux à la délégation. Les membres de la commission de vérification - qui ne sont pas présents aujourd'hui - nous ont indiqué qu'ils avaient établi des liens de confiance avec les services et que cela fonctionnait très bien. Il s'agit en outre d'une instance de nature administrative et non de nature parlementaire.
Nous en avons conclu qu'il était utile de laisser fonctionner cette commission avec laquelle la confiance est établie, plutôt que de l'agréger à une délégation de nature parlementaire. Installons la délégation et, si les mêmes relations de confiance s'établissent, le Gouvernement nous proposera peut-être une modification. Voilà pourquoi je suis au regret de ne pas accepter davantage cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Patrick Courtois. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Le projet d'aligner la France sur la pratique institutionnelle majoritaire des démocraties en matière de contrôle parlementaire des services de renseignement n'est pas récent. On a même cru, en 1998 et en 1999, que l'affaire était faite, un consensus s'étant apparemment dégagé, notamment au sein de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, présidée par Paul Quilès et dont Arthur Paecht était vice-président.
Dix ans d'atermoiements ont suivi, dus, comme on l'a vu, non pas à un désaccord politique, mais aux réticences de ceux qui n'avaient aucune envie d'être contrôlés par des parlementaires, jugés insuffisamment responsables et peu imprégnés de la « culture du renseignement ». Curieuse conception de la démocratie et du parlementarisme !
Ce texte ne parle d'ailleurs pas de contrôle. La délégation parlementaire a seulement pour mission de « suivre l'activité générale et les moyens des services spécialisés ». Suivre, certes, mais à quelle distance ? À partir de quelles informations, sinon celles que l'on voudra bien lui fournir, même si la discussion parlementaire a élargi les possibilités et les marges de manoeuvre de la délégation ?
Ce qui frappe dans ce texte, c'est surtout la mention de ce que la délégation ne peut pas ou ne doit pas faire.
Les amendements du groupe socialiste qui auraient permis à la délégation de recueillir toutes les informations utiles à l'accomplissement de sa mission, de limiter le droit au secret des ministres aux seules activités opérationnelles en cours et à venir, qui auraient élargi le nombre des personnes pouvant être auditionnées, ont été refusés. Nous restons donc largement sur notre faim.
Mais j'ai cru comprendre, monsieur le secrétaire d'État, que vous acceptiez que les choses puissent évoluer. Je cite les propos que vous avez tenus devant l'Assemblée nationale, confirmés depuis devant le Sénat : « Je répète que ce qui est créé aujourd'hui constitue une première étape. [...] Au Parlement, ensuite, avec le recul, d'établir un rapport d'étape afin de savoir si des améliorations sont possibles. »
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes bien d'accord !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous voulons bien vous croire sur parole en espérant que la « relation de confiance » à établir ne soit pas à sens unique, c'est-à-dire des services vers le Parlement, qui, comme j'ai cru le comprendre, devrait mériter cette confiance. Avouez que c'est un peu curieux !
Parce que ce texte ne correspond pas à notre attente, nous ne pouvons voter pour. Parce qu'il constitue le premier pas, celui qui, comme chacun le sait, est le seul qui coûte, nous ne pouvons voter contre. Aussi, le groupe socialiste s'abstiendra.
M. Jean-Claude Peyronnet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Nous allons voter un texte important qui répond à une exigence démocratique et met fin à une singularité française.
Il s'agit d'une novation remarquable : pour la première fois en France, le Parlement va être associé au suivi des activités des services de renseignement. Ceux-ci y gagneront une nouvelle et durable légitimité.
Dans le contexte actuel de rénovation institutionnelle, ce projet de loi apparaît comme le premier signe concret de l'ambition du Président de la République de renforcer le poids et les pouvoirs du Parlement dans nos institutions. Nous tenions à le souligner et à nous en féliciter.
Par ailleurs, je tiens à saluer le travail des deux commissions saisies, celle des lois et celle des affaires étrangères, qui ont enrichi et équilibré le texte.
Le groupe UMP votera donc avec grand plaisir et conviction ce texte qui constitue sans aucun doute une importante avancée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. J'ai écouté très attentivement le débat qui vient d'avoir lieu à l'occasion de cette deuxième lecture. Je vous ai donc entendu dire, monsieur le secrétaire d'État, qu'il s'agit d'une affaire délicate, qu'il faut avancer doucement et que le dispositif s'améliorera « en marchant ». Soit !
En revanche, je suis moins convaincue par les arguments qui ont trait à la composition de la délégation. En effet, dans cette assemblée, on confond pluralisme et bipartisme, ce qui n'est pas du tout la même chose. Comme l'a souligné M. Peyronnet, passer de huit à dix membres pour garantir le pluralisme, ce ne serait quand même pas la mer à boire !
Cela étant dit, compte tenu des engagements que vous avez pris, monsieur le secrétaire d'État, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
8
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- M. Jean-Pierre Cantegrit membre titulaire de la commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étranger ;
- Mme Anne-Marie Payet membre titulaire du conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ;
- Mme Gisèle Printz membre suppléant du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances ;
- Mme Bernadette Dupont membre suppléant de l'Observatoire national des zones sensibles.
9
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques et une candidature pour la commission des affaires étrangères.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- Mme Odette Terrade membre de la commission des affaires économiques, en remplacement de Mme Michelle Demessine, démissionnaire ;
- Mme Michelle Demessine membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par Mme Hélène Luc, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Accords avec les Émirats Arabes Unis relatifs au musÉe universel d'Abou Dabi
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation d'accords entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi (nos 436, 451, 455).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur le président, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le 6 mars 2007, la France et les Émirats Arabes Unis ont signé un accord qui scellait la coopération entre nos deux pays pour la création d'un musée universel à Abou Dabi.
Cet accord était le fruit de plus d'un an de négociations.
À l'automne 2005, les autorités de l'émirat d'Abou Dabi ont sollicité l'aide de la France et du musée du Louvre pour la conception et la construction d'un musée national du niveau des plus grandes institutions. Elles demandaient aussi la mise en place, jusqu'à ce que cet objectif soit atteint, d'un musée universel de renommée internationale, qui aurait pour nom le « Louvre Abou Dabi ».
Cette démarche correspondait à l'ambition affichée par les Émirats Arabes Unis, situés au carrefour du Moyen-Orient et de l'Asie, à mi-chemin entre l'Asie et l'Europe, de devenir la plaque tournante de l'art et de la culture pour cette partie du monde.
L'ampleur et la nature du projet, totalement inédit en France comme à l'étranger, soulevaient un certain nombre de questions auxquelles il importait de répondre : en dépit des excellentes relations qu'entretiennent la France et les Émirats Arabes Unies, était-il judicieux de s'engager sur un tel projet dans une zone aussi sensible ? Était-il opportun d'apporter une caution culturelle aussi prestigieuse que celle du Louvre à un projet qui, de prime abord, s'inscrivait dans le cadre d'un futur complexe touristique ? Avions-nous les moyens de répondre à une telle demande ?
La France a finalement répondu favorablement, afin d'encourager la volonté d'ouverture des autorités émiriennes et parce qu'elle y a vu une chance exceptionnelle d'affirmation du dialogue des cultures entre l'Orient et l'Occident.
Elle a également été sensible au concept de l'île de Saadiyat, qui, certes, a des visées touristiques, mais également des ambitions culturelles. Tandis que Dubaï propose une base de loisirs, Abou Dabi veut faire découvrir, à un public international et régional, l'art classique, contemporain et islamique.
En outre, la France dispose d'une expertise de premier plan, légitimée par la qualité des collections de ses grandes institutions patrimoniales et par les connaissances et le savoir-faire de leurs conservateurs.
La négociation a donc porté, dans une large mesure, sur les points suivants : le rôle du musée afin de promouvoir le dialogue des cultures, la garantie de la qualité scientifique et artistique du futur musée et la juste rémunération des musées français fortement sollicités pour la réalisation de ce projet.
La France a posé plusieurs principes : la création de ce musée devait transmettre un message universel et humaniste et témoigner du rapprochement des civilisations que les violences du monde tendent aujourd'hui à opposer ; le Louvre Abou Dabi, comme le musée qui lui fera suite, se devait de répondre aux critères de qualité et de déontologie les plus exigeants, qu'il s'agisse de la pertinence du discours scientifique et culturel ou de la conception et de la réalisation du bâtiment ; enfin, les contreparties financières, qui s'élèveront à plus de 1 milliard d'euros sur trente ans, devaient bénéficier, dans leur totalité, aux musées de France, le musée du Louvre en tête, pour des projets scientifiques nouveaux.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux et garantir la qualité du projet à toutes les étapes, la France a proposé une aide globale.
Une agence a été créée, l'Agence France Museums, émanation de douze établissements publics patrimoniaux, dont le Louvre est membre de droit. L'État y est représenté par deux censeurs : l'un du ministère de la culture et de la communication, l'autre du ministère des affaires étrangères et européennes, qui sera garant de la bonne exécution des obligations prévues par l'accord intergouvernemental et des intérêts de la France lors de la conclusion de nouveaux projets de nature muséale et patrimoniale d'ampleur internationale.
L'Agence France Museums va avoir pour tâche de mettre en oeuvre et d'accompagner ce projet jusqu'à sa réalisation.
Pour une période de dix ans, dans l'attente de la constitution de la collection du musée d'Abou Dabi, seront prêtées, pour des durées allant de six mois à deux ans, des oeuvres issues des collections du Louvre, de l'ensemble des musées nationaux et des autres musées français qui souhaiteront participer au projet. Par ailleurs, pendant quinze ans, la France concevra et mettra en place une programmation d'expositions temporaires.
Pour accompagner la formation de la collection émirienne, des experts français proposeront une stratégie d'acquisition.
De plus, la France conseillera Abou Dabi pour la mise en place de la future structure de gestion du musée, participera à la formation de ses cadres et accompagnera pendant une durée de vingt ans le fonctionnement du musée afin de lui permettre de conforter sa place dans le paysage des institutions internationales.
Face à l'engagement de la France dans une coopération aussi novatrice, des voix se sont élevées et des inquiétudes se sont exprimées dans notre pays même. Elles concernaient l'inaliénabilité des collections publiques, le dépouillement des musées français de leurs oeuvres majeures, la censure et les risques de marchandisation.
Pourtant, il n'en est rien. La présence de Christine Albanel aujourd'hui dans cet hémicycle témoigne de l'attachement du ministère de la culture à ce projet, et sa disponibilité à apporter tous les éclaircissements nécessaires qui permettront de dissiper l'ensemble des interrogations.
Au-delà de la controverse, la coopération que nous entamons avec les Émirats Arabes Unis représente un défi sans précédent.
Dans ce contexte de mondialisation, le Louvre Abou Dabi constitue un formidable vecteur de rayonnement de l'universalité de la culture et un défi que la France, au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations, se devait de relever. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la description du futur musée du « Louvre Abou Dabi », qui vient de vous être présenté. Pour ma part, je concentrerai mon propos sur la controverse que ce projet a suscitée.
Dès le stade des négociations, ce projet a en effet provoqué des critiques, souvent justifiées et pertinentes, notamment de la part de conservateurs de musées, dont des personnalités éminentes telles que Mme Cachin.
Il me semble que cette controverse n'est pas sans rappeler la polémique occasionnée en 1962 par le prêt de la Joconde aux États-Unis. Le ministre de la culture, André Malraux, s'était déjà heurté à l'époque à l'opposition des conservateurs de musées. On ne peut pas leur en vouloir : leur métier est en effet de conserver les oeuvres et non de s'en départir dans des conditions qui leur paraissent parfois imprudentes.
Dans le cas de la négociation avec Abou Dabi, le manque de transparence concernant les objectifs et les méthodes ont suscité et aggravé la méfiance non seulement des milieux professionnels, mais aussi du Parlement.
Je regrette que, sur un tel sujet, le précédent gouvernement n'ait pas pris la peine d'informer le Parlement du lancement et du déroulement des négociations, ce qui aurait sans doute permis de désamorcer certaines critiques. Je tiens à cet égard à saluer le rôle joué par la commission des affaires culturelles du Sénat, qui, dès le mois de janvier, a pris l'initiative d'auditionner les principaux protagonistes de ce débat. Ses travaux m'ont d'ailleurs été d'une grande aide pour rédiger mon rapport.
Trois principaux reproches ont été formulés à l'encontre de ce projet concernant sa localisation, son ampleur et les conditions financières. J'examinerai donc successivement ces trois points.
La première critique a porté sur l'emplacement du musée. Certains ont estimé que ce choix résultait plus de considérations politiques que de considérations culturelles et ils n'ont pas hésité à comparer Abou Dabi à une sorte de cité pour milliardaires, une ville comparable à Las Vegas - ville horrible !
M. Pierre Fauchon. Mais non, c'est très amusant !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur. Moi, je la trouve horrible et je n'ai pas envie d'y voir le Louvre !
Or, dans ce cas précis, le reproche n'est pas fondé.
Je rappelle que c'est l'émirat d'Abou Dabi, où le désir d'ouverture au monde se manifeste activement, qui est à l'origine du projet. Pour préparer l'après-pétrole, les Émirats Arabes Unis ont engagé un processus de diversification de leur économie et de leur société. Dubaï a ainsi fait le choix du commerce et de la finance et constitue déjà la première plateforme aéroportuaire intercontinentale de cette zone.
Pour sa part, Abou Dabi a pour ambition de devenir le coeur de la région couvrant le Golfe, l'Asie, l'Australie, l'Inde, voire, le jour où la paix y régnera de nouveau, l'Irak et l'Iran, pour l'enseignement supérieur et la culture, un lieu de rencontre et d'échanges entre les civilisations, au carrefour des continents.
Il a lancé sur l'île de Saadiyat, située en face de la capitale émirienne, un projet de district culturel d'envergure mondiale, qui comprendra plusieurs musées, dont un musée maritime et un musée d'art moderne.
Après s'être tourné une première fois vers l'expertise française en matière d'enseignement supérieur, avec l'installation à l'automne 2006 d'une antenne de la Sorbonne, il a demandé l'aide de la France pour la conception d'un autre musée.
Ce musée sera un « musée universel » dont les collections couvriront toutes les périodes, y compris la période contemporaine, et toutes les aires géographiques. Il fera appel aux techniques les plus modernes. Sa conception a été confiée à Jean Nouvel qui a réalisé le musée du Quai Branly, car c'est sur ce modèle que les émiriens souhaitent voir construire leur propre musée.
Il ne s'agit donc pas de créer une antenne du Louvre ; il s'agit de concevoir un musée émirien, avec l'expertise française.
Cette coopération culturelle d'une ampleur inédite devrait s'inscrire dans la relation des civilisations d'Orient et d'Occident, dans une région du monde où les échanges culturels et artistiques sont un des éléments de la lutte contre « les identités meurtrières », pour reprendre le titre d'un livre prémonitoire d'Amin Maalouf publié il y a déjà sept ou huit ans.
Ces identités meurtrières font des ravages partout, pas seulement dans le monde arabe. Elles frappent également chez nous.
La fermeture culturelle face à la mondialisation des échanges économiques est un phénomène terrifiant. Il me semble que le projet dont nous débattons aujourd'hui fait partie de la lutte contre les identités meurtrières. À ce titre, je ne saurais trop vous conseiller la lecture du livre d'Amin Maalouf. Il n'y a pas eu, depuis la publication de cet ouvrage, de meilleure analyse des dangers auxquels nous sommes confrontés.
La deuxième source de préoccupation, certains s'en sont inquiétés, est le nombre élevé d'oeuvres d'art qui seraient prêtées au musée d'Abou Dabi, privant ainsi le public français et les touristes étrangers de ces oeuvres.
Il faut toutefois relativiser l'ampleur de ces prêts et établir un parallèle avec l'action de partenariat actuellement en cours avec le musée d'Atlanta.
Je rappelle, en effet, que l'État s'engage à prêter au musée d'Abou Dabi des oeuvres issues des collections françaises pendant une durée de dix ans. Une partie seulement de ces oeuvres proviendra du musée du Louvre. L'autre partie sera prêtée par une dizaine d'autres grands musées français, comme le musée d'Orsay.
Pendant cette période, les Émirats Arabes Unis devront acquérir des oeuvres afin de constituer leur propre collection nationale. Au-delà de ces dix ans, seules les oeuvres des collections émiriennes seront exposées dans les galeries permanentes du musée.
Le nombre d'objets prêtés par la France diminuera progressivement. Il sera de 300 oeuvres les trois premières années, puis passera à 250 oeuvres les quatre années suivantes et à 200 oeuvres les quatre dernières années. Chaque oeuvre sera prêtée pour une durée comprise entre six mois et deux ans, selon sa nature.
Je rappelle que 35 000 oeuvres sont exposées au musée du Louvre sur les quelque 445 000 oeuvres que compte le musée, et que le musée du Louvre acquiert chaque année entre 200 et 300 oeuvres d'art.
Par ailleurs, plus de 1 400 oeuvres sont prêtées chaque année par le musée du Louvre à d'autres musées, en France ou à l'étranger, et il reçoit environ 1 000 oeuvres provenant d'autres musées. Le prêt de 300 oeuvres issues de tous les musées participants ne devrait donc pas dégarnir les galeries de nos musées.
En outre, chaque prêt se fera exclusivement sur la base du volontariat, sous le contrôle d'une commission scientifique et en conformité avec les règles des musées nationaux en la matière.
La troisième préoccupation concerne les contreparties financières, qui sont probablement le point ayant suscité le plus de critiques dans les milieux artistiques.
Certains conservateurs ont dénoncé l'abandon du principe de la gratuité du prêt des oeuvres d'art entre les musées. La marchandisation générale de nos sociétés justifie que l'on s'inquiète de la voir gagner les musées de la République. Toutefois, ce risque ne doit pas être majoré.
En effet, les personnes qui ont critiqué le plus ces contreparties financières les ont elles-mêmes pratiquées quand elles dirigeaient de grands musées.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Bien sûr !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur. Or ces contreparties financières n'ont pas modifié fondamentalement, par exemple, le fonctionnement du musée d'Orsay.
De plus, cette pratique des contreparties existe réellement de manière importante depuis 1995. Il faut distinguer deux cas.
Les grands musées qui disposent de riches collections fonctionnent habituellement par le jeu d'échanges gratuits d'oeuvres d'art pour leurs expositions temporaires, cette réciprocité va dans le sens d'un intérêt bien compris.
Une telle pratique ne concerne toutefois pas les musées éloignés des circuits internationaux ou ceux qui ont des collections relativement réduites - il s'agit parfois de musées américains, japonais, canadiens ou australiens. Ceux-ci ont souvent recours à des mécènes pour financer des expositions temporaires d'oeuvres provenant des grands musées, car ils n'ont pas d'oeuvres à offrir en échange.
Le prêt gratuit, fondé sur l'échange entre partenaires de niveau équivalent n'est donc pas appelé à disparaître, et il faut veiller à ce qu'il ne disparaisse pas.
Cependant, le prêt avec compensations financières ou avec compensations d'autre nature a le mérite d'offrir à de nouveaux publics des oeuvres de premier plan auxquelles ils n'auraient jamais eu accès dans le cadre d'échanges traditionnels.