M. Pierre Fauchon. Tout à fait !
Mme Nathalie Goulet. Il n'y a pas de Belphégor dans ce dossier, madame le ministre ; c'est une opération parfaitement claire, et je ne doute pas de son succès.
Je tiens également à souligner le travail qu'il reste à accomplir dans cette région du monde, que je connais bien pour m'y être rendue régulièrement.
Madame le ministre, il faudrait veiller au recrutement de nos attachés culturels. Ces fonctions sont le plus souvent dévolues à des volontaires internationaux, ce qui interdit l'accomplissement de tout travail à long terme. Le poste d'attaché culturel est un vrai poste, et non un poste au rabais ou une entreprise de recyclage ou de réinsertion pour des amis désoeuvrés en mal d'exotisme.
Je tenais aussi à attirer votre attention sur le très important projet Focus, mené par Culturesfrance, qui a donné lieu à la publication d'un ouvrage présentant des photographies inédites des six pays du Golfe. Ce projet s'inscrit dans une ligne générale de coopération avec l'ensemble de la péninsule arabique, y compris le Yémen.
Je suis convaincue, madame la ministre, que vous ne passerez pas quelques heures seulement à Abou Dabi, comme certains de vos collègues, mais que vous prendrez le temps de visiter les sites importants des Émirats Arabes Unis et, surtout, que vous irez à la rencontre des étudiantes de l'université Zayed, ce qu'aucun ministre français n'a fait à ce jour, alors que Tony Blair ou Bill Clinton y ont passé plusieurs heures. Lorsque l'on parle de coopération culturelle, il faut absolument y associer l'université, sans quoi nos efforts resteront vains.
Je parlais tout à l'heure de pont entre les civilisations. L'Orient est compliqué, polymorphe et d'une richesse inégalée. Je citerai ainsi, pour conclure cette intervention de façon poétique, le sultanat d'Oman, sur les traces de Marco Polo, d'Ibn Battuta et de Sindbad le marin, l'Arabie Saoudite, centre du monde pour les musulmans, où les ruines nabatéennes de Maiden Saleh attestent d'un passé glorieux, les Émirats Arabes Unis et le Qatar, sans oublier Bahreïn, le Royaume des deux mers, la plus grande nécropole du monde, dont l'histoire est liée à la récolte des perles, et où a accosté, en janvier 1842, le premier navire français, une corvette.
Nous n'implantons pas le Louvre Abou Dabi au milieu d'un désert culturel ! Il s'agit non seulement de lancer une opération française, mais aussi d'apprendre et d'échanger.
Le Koweït accueillit Alexandre le Grand sur ces rives.
Il y a enfin le Yémen, dont l'histoire ancienne raconte la visite légendaire de Balquis, reine du royaume de Saba, au roi Salomon.
Je conclurai mon intervention en rappelant un souhait qu'avait mon mari, Daniel Goulet.
Le Président de la République projette, dit-on, une visite d'État au Qatar en janvier. L'organisation, par Culturesfrance, d'une année du Qatar en France serait un bon moyen de mettre le Golfe à l'honneur, sans froisser les susceptibilités des autres États de la région.
Le Qatar est en effet le pays le plus francophile de la région. Des émissions françaises sont diffusées chaque jour à la télévision et à la radio qatariennes, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays du Golfe. C'est la raison pour laquelle le projet Louvre Abou Dabi est aussi important.
Madame le ministre, c'est donc sans réserve que je voterai votre texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous remercier de vos interventions concernant le projet de musée universel d'Abou Dabi, que je considère, pour ma part, comme une très belle aventure.
Mme Goulet et M. de Broissia l'ont rappelé, ce projet sera l'occasion de créer un lien extraordinaire avec ces régions peu connues, dont nous avons une image assez caricaturale, et qui ont leurs propres richesses culturelles. Cette passerelle entre nos deux cultures est valorisante et intéressante en soi.
Tout a été dit par les différents intervenants, mais l'essentiel est que la France a été sollicitée par une région située dans une zone anglophone pour concevoir un musée. L'Émirat d'Abou Dabi a en effet choisi la culture comme vecteur de son rayonnement et s'est tourné vers notre culture pour faire rayonner la sienne. Cette démarche ne pouvait être rejetée.
Cinq musées seront édifiés sur l'île de Saadiyat et il est très important que le Louvre fasse partie de cet ensemble. C'est un bel hommage rendu à notre ingénierie culturelle, à nos savoir-faire, à nos capacités scientifiques et, bien entendu, à l'extrême richesse de nos oeuvres.
On a déjà dit quel était l'intérêt, non négligeable, d'un tel projet pour notre pays : nous allons participer à la conception de ce musée, définir son projet scientifique, diriger la constitution des collections. Nous le laisserons ensuite totalement libre ; ce musée deviendra autonome et nous entretiendrons avec ses responsables des relations plus égalitaires.
Il s'agit d'un très beau projet, en dehors notamment des apports financiers qui sont de première importance pour le Louvre, comme l'indiquent les chiffres qui ont été rappelés.
On croit toujours que le musée du Louvre est achevé et qu'il n'a besoin de rien. Or le Grand Louvre est un projet en devenir permanent. Les apports financiers ainsi obtenus permettront en particulier d'améliorer le projet « Pyramide », qui doit assurer au Louvre de nouveaux espaces et moyens d'accueil et d'information, et de réaliser le déménagement du centre de recherche et de restauration des musées de France, le CRRMF, qui se trouve actuellement dans le Pavillon de Flore, et qui pourra ainsi rejoindre le futur centre de réserves destiné à abriter les collections de plusieurs musées menacés par la crue que nous redoutons tous.
Il s'agit donc d'un projet d'intérêt général non seulement pour le Louvre, mais aussi pour les musées participants. Tous les musées seront en effet libres de collaborer à ce projet ; ils s'adresseront à l'Agence internationale des musées de France ou ils seront sollicités par celle-ci. On peut imaginer, par exemple, que le musée Toulouse-Lautrec d'Albi soit invité à participer à une exposition et recueille, en retour, les moyens nécessaires à l'enrichissement de ses propres collections et à l'amélioration de la présentation des oeuvres ou de l'accueil du public.
Ce qui est très important, c'est que les fonds ainsi recueillis bénéficieront, dans tous les cas, aux oeuvres et au public.
Plusieurs orateurs ont déploré les conditions de secret qui ont présidé à l'élaboration du projet de musée universel. Cette extrême discrétion avait été souhaitée par les Émiratis, qui ne voulaient pas ébruiter cette affaire et qui ont préféré indiquer un chiffre global sans fournir de détails trop précis. Cette longue période de silence a été brisée en janvier dernier, lorsque mon prédécesseur a été auditionné par les membres de la commission des affaires culturelles.
Soyez assurés qu'à l'avenir la plus totale transparence présidera à la poursuite du projet et que les responsables de l'Agence, de même que les services du ministère de la culture, répondront à toutes vos invitations afin de vous informer des développements de l'opération.
Mme Cerisier-ben Guiga a exprimé la crainte que l'État ne profite de cette manne financière pour se désengager. Il n'en est absolument pas question : l'accord est tout à fait clair sur ce point. Les fonds versés ne feront que s'ajouter aux actions déjà menées en faveur des oeuvres, des collections et du public. Ils ne serviront en aucun cas à combler les manques d'un État supposé défaillant. L'État continuera à remplir son rôle.
M. Nachbar a évoqué, en particulier, le nom du Louvre. Il existe un débat, et même une polémique, portant sur le fait que le Louvre reçoit des fonds en contrepartie de l'utilisation de ce nom. Mais ce n'est pas une marque destinée à être vendue, bradée et reproduite sur quantité de produits dérivés ; c'est simplement le symbole même de notre coopération.
Le Louvre ne va pas fermer ses portes à Paris et déménager à Abou Dabi ! Il n'est pas non plus question d'ouvrir une antenne du Louvre à Abou Dabi ; c'est un musée indépendant qui sera construit.
Comme l'a dit Philippe Nachbar, au travers de cette opération, c'est un bel hommage qui est rendu au rayonnement de notre musée universel.
Mme Morin-Desailly a regretté que les collectivités locales n'aient pas été davantage associées, mais une telle coopération était difficile à mettre en place. En revanche, et c'est important, les musées locaux y seront associés et auront toute liberté pour participer aux projets communs.
Vous avez également souligné, madame la sénatrice, que toutes les garanties juridiques et scientifiques étaient réunies. En effet, un comité scientifique de très haut niveau, présidé par M. Henri Loyrette et composé des plus hauts responsables des musées participants, a été placé la tête de ce projet, dont Mme Laurence des Cars, conservateur au musée d'Orsay, est la directrice scientifique.
S'agissant du public, la politique est actuellement à l'étude et sera définie ultérieurement. Le public concerné sera, tout d'abord, les habitants des pays du Golfe, qui représentent une population d'environ 150 millions de personnes, ce qui n'est pas négligeable. Cette « clientèle naturelle » pourra ainsi découvrir une autre culture. Il s'agira, ensuite, des touristes. Nous sommes bien contents, dans les musées français, de recevoir des touristes ! En tout cas, à Versailles, je les accueillais avec grand plaisir.
M. Pierre Fauchon. Vive le tourisme culturel !
M. Louis de Broissia. Il n'y a pas que le rugby ! (Sourires.)
Mme Christine Albanel, ministre. Mme Morin-Desailly s'est également interrogée à propos de la charte déontologique élaborée par la Direction des musées de France. Cette charte est disponible sur Internet. Elle a été transmise à toutes les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, ainsi qu'aux conservateurs de musées.
Mme Tasca a tenu des propos très sévères et je ne partage pas sa vision quelque peu caricaturale : les motivations du projet sont exclusivement financières ; il s'agit, en fait, de faire payer une marque ; les établissements et les conservateurs perdront de leur pouvoir et nous allons assister au départ des meilleurs talents et des oeuvres les plus importantes, sans que personne ne puisse s'y opposer. Ces propos sont très exagérés et, si tel était le cas, ce serait très grave. Mais c'est inexact.
Je rappelle les chiffres : environ 30 000 oeuvres sont prêtées par an par les musées français. S'agissant du seul projet Louvre Abou Dabi, 300 oeuvres, puis 200, seront prêtées. On voit bien dans quelle proportion nous nous situons ! Par ailleurs, il est précisé expressément dans l'accord que les oeuvres les plus emblématiques, les plus identitaires ou les plus fragiles de nos collections ne seront pas prêtées. Enfin, le comité scientifique et les conservateurs veilleront, en tout état de cause, à la préservation des oeuvres, comme ils l'ont toujours fait, me semble-t-il.
Nous ne vivons pas un changement d'époque aussi radical. Certains principes demeurent, en particulier, bien entendu, celui du prêt gratuit de tableaux à des expositions, règle qui s'applique, et c'est normal, dans 90 % des cas.
En revanche, sont présentées, depuis assez longtemps déjà, des expositions livrées « clés en main », expositions qui mobilisent des savoir-faire, une expertise scientifique, une muséographie, et qui donnent lieu à des contreparties.
Jack Lang rappelait, dans un article de Libération paru en janvier dernier, que les travaux de l'Orangerie avaient été partiellement « payés » - à hauteur de 7 millions d'euros - par les collections qui avaient voyagé en Australie et en Extrême-Orient.
De même, l'exposition « Mélancolie », dont le commissaire était Jean Clair, a bénéficié d'une dotation d'environ 700 000 euros à la suite du prêt d'oeuvres de Picasso au musée de Berlin.
J'ajoute d'ailleurs que, lorsque j'étais présidente du château de Versailles, nous avons organisé à Tokyo des expositions, « Les fastes de Versailles » puis « Napoléon », en échange de contreparties qui nous ont permis de restaurer des pièces, de procéder à des acquisitions, d'enrichir nos collections.
Le dispositif mis en place avec le musée universel d'Abou Dabi ne constitue donc pas, en réalité, une telle nouveauté et je ne crois pas du tout qu'il soit la marque d'un changement d'époque ou d'un changement de nature de la pratique des prêts d'oeuvres.
Nous serons du reste très attentifs à ce qu'il n'y ait aucune dérive.
Je rappelle en outre que nous restons dans des durées brèves puisque les prêts ne pourront excéder deux ans, alors que les dépôts entre musées portent souvent sur des périodes allant jusqu'à cinq ans.
M. Ralite a regretté, de manière générale, la place de l'argent dans notre économie culturelle. Pour ma part, je considère comme normal que les ressources privées et les ressources publiques se conjuguent. Il ne faudrait pas, en effet, qu'il y ait un désengagement complet de l'État, mais j'estime que l'engagement de l'État peut être utilement complété par le mécénat et des soutiens privés.
M. Ralite a par ailleurs fait allusion à ma lettre de mission, qui n'a pas directement trait au musée d'Abou Dabi : elle traduit surtout l'exigence de mener une politique en direction du public et de s'engager dans des démarches de contractualisation avec des objectifs clairs, en prévoyant pour la suite des « rendez-vous » qui permettront de faire le point sur ce qui a été réalisé et de procéder à des échanges.
Je me réjouis que M. Ralite ait cité Jean Vilar, car j'adhère évidemment à son grand rêve, qui était de rendre les oeuvres et les théâtres « populaires », mot que, comme lui, je ne considère pas comme un mot vulgaire.
M. de Broissia a rappelé le beau rêve de Malraux - rendre les oeuvres accessibles à tous - et il est vrai que les projets au long cours tournés vers l'étranger comme celui d'Abou Dabi sont aussi une façon d'aller au-devant de publics nouveaux.
M. de Broissia a parlé de « diplomatie culturelle », notion qui me paraît aussi extrêmement importante et très prometteuse.
Enfin, M. Dauge a regretté que le débat n'ait pas eu lieu plus tôt, mais il a aussi souligné - et, en cela, il a tout à fait raison - qu'il s'agissait d'un projet en devenir : nous sommes au début de l'aventure. Je rappelle à ce titre que l'accord était applicable dès sa signature.
L'agence chargée de mettre ce projet en oeuvre a changé de statut juridique : c'est maintenant une société anonyme simplifiée,...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est très important !
Mme Christine Albanel, ministre. ...ce qui paraît répondre au souhait des Émirats Arabes Unis, qui ont eux-mêmes fondé une agence.
Elle a par ailleurs été recentrée sur ses missions. Nous voulions éviter qu'elle ne devienne une « usine à gaz » et en faire une structure réellement opérationnelle, qui comporte dans son conseil d'administration les musées, afin que ceux-ci participent non pas en dépit d'eux-mêmes, mais en étant véritablement engagés dans l'aventure. Quant à l'État, il joue le rôle d'observateur, de censeur et de régulateur. Toutes ces évolutions sont positives.
Le projet scientifique et culturel, qui est en cours d'élaboration sous la houlette de Laurence des Cars, sera achevé en décembre.
Ce projet, qui pourra, bien sûr, être remis au Sénat et, en particulier, à sa commission des affaires culturelles, viendra enrichir le projet de Jean Nouvel, qui, à l'heure actuelle, n'est en réalité qu'une esquisse. Ce n'est qu'ensuite que nous disposerons du projet définitif de Jean Nouvel. Il me semble que cette façon de procéder est de nature à rassurer les uns et les autres.
Il est vrai qu'au début - j'étais alors présidente du château de Versailles - on s'interrogeait sur le format et sur les fonctions de l'agence. Depuis que nous l'avons reconfigurée, la nouvelle agence donne toute satisfaction. Une délégation s'est rendue dans les Emirats Arabes Unis dès le lendemain de sa constitution pour expliquer la nouvelle démarche et ce geste a été très apprécié par les Emiriens.
Le projet est donc très bien parti et l'Émirat d'Abou Dabi comme la France devraient en tirer de nombreux avantages réciproques, notamment en termes d'échanges et de rayonnement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatif au musée universel d'Abou Dabi, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
M. Ivan Renar. Le groupe CRC s'abstient !
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Est autorisée l'approbation de l'accord additionnel à l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatif au musée universel d'Abou Dabi portant dispositions fiscales, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
M. Ivan Renar. Même motif, même punition : abstention !
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Est autorisée l'approbation de l'accord additionnel à l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatif au musée universel d'Abou Dabi portant dispositions relatives à la garantie des États Parties, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis de ceux que désole quelque peu le cortège de lamentations qui accompagne le vote du présent projet de loi.
Pour ma part, j'aborde ce texte avec confiance et même avec enthousiasme, car il a un caractère novateur et permet de constater que le vaste phénomène de la mondialisation, dont on regrette souvent qu'il ne concerne que des échanges de biens industriels médiocres ou purement utilitaires, s'étend aux oeuvres d'art et à la culture.
Que la France soit invitée à jouer un rôle actif sur ce plan, je crois qu'il faut en être fier ! Ce n'est ni aux Américains ni aux Anglais, qui ne sont pourtant pas les derniers venus en matière de musées, mais aux Français que l'on a demandé de concevoir ce projet. (Applaudissements sur des travées de l'UMP.)
Alors, bravo, tant mieux, allons-y ! Et allons-y vaillamment, avec toute notre intelligence et avec les oeuvres dont nous disposons, qui, entre nous soit dit, sont tellement nombreuses qu'il nous est aisé d'en prêter.
Si nous pouvons, de surcroît, y trouver quelque argent dont nous avons grand besoin, quoi de plus légitime ? Notre pétrole à nous, ce sont notre culture et nos oeuvres d'art, et qu'y a-t-il de mal à échanger ces richesses ?
Monsieur Ralite, ce n'est pas d'aujourd'hui que les grandes fortunes s'intéressent aux choses de l'art ! Feignez-vous d'ignorer que les Médicis étaient d'abord des banquiers et des marchands de laines, qui se sont d'ailleurs ruinés pour Gozzoli, Botticelli, F. Lippi, et quelques autres artistes ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Ignorez-vous le rôle des grands hommes d'affaires qui étaient aussi de grands collectionneurs ?
Il faut ne pas y être allé pour critiquer les musées de la fondation Calouste Gulbenkian ! Et que dire de la collection Phillips à Washington, de la Morgan Library and Museum à New York, du musée Jacquemart-André, du musée Cernuschi, de la collection Reinhard à Winterthur, du musée Thyssen-Bornemisza, que j'ai encore visité vendredi dernier, à Madrid ? Toutes ces collections,...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Admirables !
M. Pierre Fauchon. ...nous les devons à des hommes d'affaires. Quand un homme d'affaires, au lieu de consacrer ses moyens à des opérations purement mercantiles et à la spéculation - ce qui d'ailleurs est son droit - ou à l'acquisition d'oeuvres qu'il enferme soigneusement chez lui où ne les verront que quelques amis intimes,...
M. Ivan Renar. M. Fauchon s'y connaît en banquiers !
M. Pierre Fauchon. ...se donne le mal de présenter au public ses collections, c'est un bienfaiteur de l'humanité ! Il faut le dire, car, s'il n'y avait que les pouvoirs publics et les services publics pour assurer la survie et la diffusion des oeuvres, où en serait-on ?
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !
M. Pierre Fauchon. Monsieur Ralite, vous devez savoir encore mieux que moi que ce ne sont pas les pouvoirs publics qui ont racheté les Cézanne : ils ne s'y sont pas du tout intéressés et c'est à des collectionneurs que l'on doit d'avoir sauvé l'oeuvre de Cézanne !
Donc, bravo à ces émirs ! Et Mme Goulet a eu raison de féliciter ces véritables créateurs qui, au lieu de dépenser leur argent à la roulette, dans les courses (Rires sur les travées de l'UMP)...
M. Ivan Renar. L'un n'empêche pas l'autre !
M. Gérard Le Cam. À qui ont-ils volé l'argent ?
M. Pierre Fauchon. ...ou dans des spéculations foncières, à Monaco ou je ne sais où, ce qui est d'ailleurs parfaitement leur droit,...
M. Gérard Le Cam. C'est l'argent du travail !
M. Pierre Fauchon. ...ont trouvé le moyen, dans ces espaces que l'on croyait déserts, de créer un ensemble de musées dignes des Mille et une nuits !
On ne peut pas être aussi stupide ! S'ils avaient voulu réserver les oeuvres à un petit cercle d'amis très riches, ils les auraient conservées dans leurs collections privées : s'ils créent un musée, c'est bien entendu pour l'ouvrir au public et je les félicite de consacrer une partie de leur fortune à cette belle action.
Certes, monsieur Dauge, nous n'avons pas tous les détails, mais votre intervention m'a un peu surpris. Bien entendu, je comprends votre curiosité : vous ne percevez pas bien - et moi pas davantage - le projet artistique. Mais enfin, nous sommes des législateurs, nous n'avons pas le pouvoir gouvernemental et nous n'avons pas à entrer dans la définition des projets artistiques !
Il nous appartient de poser des principes et d'autoriser l'approbation d'accords. Avez-vous eu, monsieur Dauge, à approuver le projet artistique du musée du quai Branly ? En ce moment même, on inaugure le musée des Monuments français, après d'ailleurs une vingtaine d'années de fermeture : avons-nous eu à débattre du projet artistique, paraît-il très réussi, de ce musée ? Non, et nous ne nous en plaignons pas. Ne confondons donc pas les missions qui sont les nôtres et celles du Gouvernement !
Pour ma part, je fais confiance aux professionnels que j'ai entendu citer, professionnels dont je connais les qualités et que j'estime beaucoup, comme M. Loyrette en particulier, et je fais confiance au Gouvernement pour veiller à ce que le projet artistique soit une réussite. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de penser qu'il va être bâclé. Ces procès d'intention sont ridicules et abaissent le niveau de réflexion d'une assemblée comme la nôtre.
M. Louis de Broissia. Bravo !
M. Pierre Fauchon. Nous devons voir l'essentiel : dans un ancien désert va naître un pôle de création artistique qui attirera, dans les décennies à venir, des millions de gens qui y trouveront le meilleur des antidotes aux troubles et aux dangers du terrorisme qui caractérisent ces régions.
Pour ma part, je trouve émouvant et magnifique qu'un tel pôle de concorde, de compréhension et de pénétration de notre culture soit créé dans l'une des régions les plus dangereuses pour la paix mondiale. C'est donc bien volontiers que je voterai le projet de loi.
Je m'intéresse d'ailleurs de longue date à la diffusion des oeuvres d'art et je me permets de rappeler au passage, madame la ministre, que le Sénat avait adopté, dans le cadre du projet de loi relatif aux responsabilités locales, un amendement, dont le texte avait été établi en accord et en coopération avec M. Loyrette, pour inviter le musée du Louvre à prêter - et, là, à prêter réellement - en petit nombre, non pas des oeuvres de deuxième ou de troisième catégories, mais des oeuvres significatives à nos musées de province.
Cet amendement prévoyait un rapport d'évaluation sur la mise en application de cette expérimentation et je souhaiterais - je me tourne vers M. Valade - que la commission des affaires culturelles interroge le Gouvernement pour savoir où nous en sommes.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !
M. Pierre Fauchon. Je m'éloigne peut-être un peu du sujet, mais nous sommes toujours dans le même domaine, celui de la diffusion des oeuvres d'art, et je terminerai mon propos en m'adressant à ceux qui craignent de priver les visiteurs du Louvre de la vue de tel ou tel tableau.
Pour ma part, c'est avec bonheur que j'ai constaté, il y a une quinzaine de jours, qu'un tableau que j'adore depuis mes quatorze ans, Les Bergers d'Arcadie, était à Atlanta. Au Louvre, il passe, c'est vrai, sept millions de personnes chaque année, mais, mes chers collègues, je vous invite à étudier l'attitude de ces visiteurs : ils passent, certes, « ils font le Louvre », mais La Joconde mise à part, ils ne regardent presque aucune oeuvre. C'est la triste réalité, ce qui me permet de dire que ce ne sont pas sept millions de personnes qui voient les oeuvres d'art, mais les oeuvres d'art qui voient sept millions de personnes... (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, je n'avais pas l'intention d'intervenir à nouveau, mais les propos tenus à l'instant par notre collègue Pierre Fauchon me conduisent à le faire, de façon très brève, rassurez-vous.
Je pense que dans, un débat comme celui que nous venons d'avoir, il est dangereux de falsifier les positions des uns et des autres. Or, Mme la ministre de la culture elle-même a qualifié mon intervention de « caricaturale ».
Je rappelle que c'est non seulement le devoir, mais aussi le droit des parlementaires de discuter des projets qui leur sont soumis. Or, à aucun moment, l'un de ceux qui ont émis des réserves sérieuses sur ce projet n'a considéré que l'appel à l'argent privé ou que l'intervention du mécénat était en soi le diable. Nous avons bien pris soin, au contraire, de souligner que l'évolution des temps obligeait à l'addition des efforts.
Ce qui nous préoccupe - et ce à quoi, madame la ministre, nous souhaitons que vous puissiez répondre concrètement à l'avenir -, c'est que, dans cette opération, le rapport entre ces efforts nous paraît déséquilibré.
Certes, nous savons que l'État n'est plus en mesure d'assumer seul des projets de cette nature et nous avons soulevé dans nos interventions, tous autant que nous sommes, un certain nombre de questions précises sur la manière dont cette opération, largement financée par un État étranger, allait, d'une part, se mettre en place et , d'autre part, se concilier avec la politique des musées nationaux.
En effet, je voudrais dire à notre collègue Pierre Fauchon, qui s'exprime toujours avec beaucoup de passion, que nous ne sommes pas stupides et que nous ne considérons pas que les mécènes sont des gens incultes, vils ou dangereux !
Nous estimons simplement - ce qui est tout à notre honneur - que, au sein de notre République, il y a place pour l'initiative privée et pour la responsabilité publique, dans un domaine dont nous continuons de penser qu'il ne doit pas être assimilé à un marché ordinaire.
Par conséquent, madame la ministre, nous attendons, par les questions que nous avons soulevées dans ce débat, que vous nous démontriez que la politique publique culturelle peut assumer sa pleine responsabilité à côté de ces diverses sources de financement, qui sont les bienvenues.
M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.
M. Yves Dauge. Mon collègue Pierre Fauchon s'est déclaré un peu surpris de mon intervention. Or, ce que j'ai dit relève du bon sens : la base de l'accord - qui est tout de même de notre compétence - est constituée par le projet culturel et scientifique. Malheureusement, nous signons un accord avant l'élaboration dudit projet.
Vous venez de nous dire, madame la ministre, ce dont je vous remercie, que ce projet serait prêt à la fin de l'année. Pour ma part, je prétends simplement qu'il aurait été sage de commencer par là. Ensuite, le Sénat, en particulier sa commission des affaires culturelles, pourrait éventuellement être consulté - cela ne me paraît pas incongru ! Enfin, le processus serait poursuivi jusqu'à l'aboutissement du cahier des charges et le choix du maître d'oeuvre.
Telle est ma position ; elle est simple et je pense que personne, ici, ne considérera qu'elle est contestataire, voire révolutionnaire. Il s'agit simplement de revenir à un processus normal de gestion d'un grand projet.
J'attends donc avec intérêt le projet culturel et scientifique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)