Sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
3. Candidatures à des organismes extraparlementaires
4. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
5. Démission d'un membre d'une commission et candidatures
6. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Québec
7. Création d'une délégation parlementaire pour le renseignement. - Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
Discussion générale : MM. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement ; René Garrec, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Patrick Courtois, Aymeri de Montesquiou, Jean-Claude Peyronnet, Mmes Jacqueline Gourault, Michelle Demessine.
M. le secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.
Amendement no 1 de M. Jean-Claude Peyronnet. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.
Amendement no 2 de M. Jean-Claude Peyronnet. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Pierre-Yves Collombat. - Rejet.
Amendement no 4 de M. Jean-Claude Peyronnet. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.
Amendement no 3 de M. Jean-Claude Peyronnet. - Rejet.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
Article additionnel après l'article unique
Amendement no 5 de M. Jean-Claude Peyronnet. - MM. Jean-Claude Peyronnet, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.
MM. Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Michelle Demessine.
Adoption définitive du projet de loi.
8. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
9. Nomination de membres de commissions
Suspension et reprise de la séance
10. Accords avec les Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi. - Adoption d'un projet de loi
Discussion générale : Mmes Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme ; Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur de la commission des affaires étrangères ; M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles ; Mmes Catherine Morin-Desailly, Catherine Tasca, MM. Jack Ralite, Louis de Broissia, Yves Dauge, Mme Nathalie Goulet.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.
Clôture de la discussion générale.
M. Pierre Fauchon, Mme Catherine Tasca, M. Yves Dauge.
Adoption du projet de loi.
11. Accord avec l'Italie relatif au tunnel routier de Tende. - Adoption d'un projet de loi
Discussion générale : Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme ; MM. Charles Pasqua, en remplacement de M. Jacques Peyrat, rapporteur de la commission des affaires étrangères ; José Balarello, Gérard Le Cam.
Mme la secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
12. Amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme. - Adoption d'un projet de loi
Discussion générale : Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme ; M. André Rouvière, rapporteur de la commission des affaires étrangères ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme la secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
13. Convention relative à la coopération administrative avec la Principauté de Monaco. - Adoption d'un projet de loi
Discussion générale : Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme ; M. Jacques Blanc, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
14. Conventions internationales. - Adoption de six projets de loi en procédure d'examen simplifiée
Convention fiscale avec le Luxembourg. - Adoption de l'article unique du projet de loi.
Convention fiscale avec l'Éthiopie. - Adoption de l'article unique du projet de loi.
Convention fiscale avec la Libye. - Adoption de l'article unique du projet de loi.
Convention fiscale avec le Japon. - Adoption de l'article unique du projet de loi.
15. Dépôt d'une question orale avec débat
16. Transmission d'un projet de loi
17. Dépôt de propositions de loi
18. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
19. Dépôt de rapports d'information
20. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue François Louisy, qui fut sénateur de la Guadeloupe de 1986 à 1995.
3
Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu'elle propose les candidatures suivantes :
- M. Jean-Pierre Cantegrit pour siéger comme membre titulaire au sein de la Commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étranger ;
- Mme Anne-Marie Payet pour siéger comme membre titulaire au sein du conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ;
- Mme Gisèle Printz pour siéger comme membre suppléant au sein du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances ;
- Mme Bernadette Dupont pour siéger comme membre suppléant au sein de l'Observatoire national des zones sensibles.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
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Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004 1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires économiques et est disponible au bureau de la distribution.
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Démission d'un membre d'une commission et candidatures
M. le président. J'ai reçu avis de la démission de Mme Michelle Demessine, comme membre de la commission des affaires économiques.
Le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat proposé en remplacement.
Il a en outre communiqué à la présidence le nom du candidat proposé pour siéger à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par Mme Hélène Luc, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du règlement.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Québec
M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de l'Assemblée nationale du Québec, conduite par son président, M. Michel Bissonnet.
Cette visite s'inscrit dans le cadre du renforcement des relations interparlementaires entre nos deux pays francophones, qui connaissent une vitalité importante sous l'impulsion du président du groupe interparlementaire, notre éminent collègue Jean-Pierre Raffarin.
Je forme des voeux pour que la venue de nos amis québécois fortifie les liens indéfectibles qui nous unissent à nos frères d'Amérique et nous renforce dans le combat pour la défense de la langue française que nous partageons avec tant de conviction. (M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
7
Création d'une délégation parlementaire pour le renseignement
Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant création d'une délégation parlementaire au renseignement (n°s 422, 450).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter, en deuxième lecture, ce projet de loi portant création d'une délégation parlementaire au renseignement, dans le prolongement du débat que nous avons déjà eu en juin dernier.
Le projet de loi que vous soumet le Gouvernement répond à un double impératif : il permet l'information du Parlement sur l'activité des services spécialisés, selon les exigences propres à toute démocratie, tout en assurant la sécurité de ces spécialistes du renseignement qui accomplissent une mission essentielle pour la sécurité de notre pays.
Comme vous le savez, ce projet de loi a fait l'objet d'une concertation approfondie avec les deux assemblées afin de permettre que, pour la première fois en France, le Parlement soit associé au suivi des activités des services de renseignement.
Je tiens d'ailleurs à saluer le travail de grande qualité qui a été accompli par le Sénat et par ses rapporteurs : il contribuera à améliorer sensiblement la composition comme les conditions de fonctionnement de cette future instance parlementaire. Je pense notamment à la modification introduite par le Sénat qui vise à porter à huit le nombre de parlementaires au sein de la délégation, ce qui permettra de conférer à ses travaux une vision pluraliste.
En vertu d'un autre amendement du Sénat, la délégation pourra entendre non seulement les ministres de l'intérieur et de la défense, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense nationale, ainsi que le prévoyait le projet de loi initial, mais également le Premier ministre.
Pour donner plus de poids et de lisibilité au travail de la délégation, le Sénat a également souhaité que son rapport d'activité soit rendu public, afin que tous les élus et les citoyens puissent avoir une information directe, et non simplement relayée par voie de presse.
L'Assemblée nationale a, pour sa part, permis à la délégation de suivre l'activité générale d'administrations relevant du ministère du budget et du ministère de l'économie et des finances et qui ont une compétence en matière de renseignement. Je pense ici à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ainsi qu'à la cellule TRACFIN - traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.
Ces deux administrations s'ajouteront aux cinq directions qui relèvent déjà de la compétence de la délégation : la direction de la surveillance du territoire et la direction centrale des renseignements généraux, administrations qui sont susceptibles d'être rapprochées prochainement, la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement militaire et la direction de la protection et de la sécurité de la défense.
Les députés ont également souhaité que la délégation puisse adresser des recommandations et des observations au Président de la République ainsi qu'au Premier ministre et qu'elle les transmette au président de chaque assemblée.
Enfin, comme l'ont précisé les députés, les informations sensibles communiquées aux membres de la délégation ne pourront pas faire partie du rapport public.
Tel qu'il a été modifié par le Parlement, ce projet de loi est donc un texte essentiel. II honore l'engagement pris devant votre assemblée en décembre 2005 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, de doter la France d'un suivi parlementaire de l'activité des services de renseignement.
Ce texte correspond également - nous aurons l'occasion de le voir lors d'autres discussions - à l'ambition plus large du Président de la République de renforcer le poids du Parlement dans nos institutions.
En associant le Parlement au suivi du renseignement, nous allons également donner à nos services spécialisés une nouvelle légitimité aux yeux de nos concitoyens. Les activités liées au renseignement sont souvent mal connues des Français. Dans le même temps, le renseignement n'a pas toujours la place qu'il devrait avoir dans le processus de décision. Nous allons aussi probablement favoriser l'émergence d'une réelle culture du renseignement, qui, aujourd'hui, nous fait largement défaut.
Je voudrais également insister sur un aspect pratique du travail de la future délégation : le respect du secret des travaux.
Par définition, le Parlement est un lieu de débat et de parole. II est pourtant primordial que les membres de la commission respectent les règles de sécurité inhérentes au renseignement.
Aussi, les travaux de la délégation, même privés des éléments les plus opérationnels, seront couverts par le secret de la défense nationale. Dans certains cas, le secret est même une question de survie, au sens plein de ce mot. Nous le savons, cela induira des contraintes, à la fois pour les services de renseignement et pour les parlementaires.
Aux services cela imposera de faire état d'informations couvertes par le secret de la défense nationale, sans, bien sûr, dévoiler les éléments à caractère opérationnel, ni leurs sources, afin que ne soit pas mise gravement en péril la vie de nos agents.
Quant aux parlementaires membres de la délégation, ils devront donc concilier cet impératif du « besoin d'en connaître », bien légitime, avec leur statut de représentants de la nation. La participation de plusieurs parlementaires aux commissions administratives de vérification des fonds spéciaux et du secret de la défense nationale montre que l'on peut parfaitement concilier les deux.
Le respect de ces règles pratiques favorisera l'établissement, entre la délégation parlementaire et les responsables des services, d'une relation de confiance essentielle au succès de la démarche : confiance envers les membres de la délégation, qui auront à traiter en toute discrétion des informations essentielles ; confiance entre les services de renseignement et les membres de la délégation qui sera déterminante pour l'efficacité du travail de la délégation ; enfin, confiance des citoyens dans leurs services de renseignement grâce au travail de la délégation parlementaire pour le renseignement.
Avant de conclure, je souhaite, comme je l'avais fait lors de la première lecture, rendre hommage à l'action courageuse des hommes et des femmes qui travaillent au sein des services de renseignement. Il faut souligner l'importance de leurs missions dans un monde devenu plus instable, plus difficile, car l'adversaire potentiel est souvent invisible et imprévisible. Cette délégation, je n'en doute pas, oeuvrera à la reconnaissance de leur rôle essentiel à la sécurité de notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la création d'une instance parlementaire spécialisée dans le domaine du renseignement est évoquée de longue date, dans les deux assemblées : elle l'était déjà dans des rapports établis voilà dix à quinze ans. Elle trouve sa justification fondamentale dans un souci d'exigence démocratique, tout en confortant et en valorisant la politique du renseignement, plus que jamais fondamentale pour notre sécurité nationale.
Je crois qu'une telle ambition peut être partagée sur toutes les travées de cette assemblée. Le texte qui vous est proposé aujourd'hui, tel qu'il a été enrichi par les deux chambres du Parlement, répond à ces attentes légitimes : c'est pourquoi je vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 26 juillet dernier.
Monsieur le secrétaire d'État, je vais reprendre certains de vos propos. Vous voudrez bien m'en excuser, mais, mon intellect étant naturellement lent, j'ai besoin de répéter ce qui a été dit pour en être sûr moi-même ! (Sourires.)
M. Charles Pasqua. Pourquoi « naturellement » ? (Nouveaux sourires.)
M. René Garrec, rapporteur. Mon cher collègue, je vous renvoie à Nietzsche : « Qui se méprise se prise de se mépriser. » (Nouveaux sourires.)
Ce projet de loi fait suite à l'accord de principe donné par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, lors des débats sur la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, en faveur de la création d'un organisme parlementaire ad hoc de suivi des services de renseignement, à l'occasion de la discussion d'un amendement de notre collègue M. Peyronnet...
M. Jean-Claude Peyronnet. Absolument !
M. René Garrec, rapporteur. ... qui avait été voté par l'ensemble des groupes.
La création d'une délégation commune aux deux assemblées doit mettre fin à une singularité française, notre pays restant l'une des rares démocraties - avec le Portugal - à ne pas disposer d'instance parlementaire chargée de suivre, selon des modalités adaptées, l'activité des services de renseignement.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement! prévoyait une délégation composée de trois députés et de trois sénateurs - je rappelle, pour mémoire, qu'il s'agissait des deux présidents des commissions des lois, des deux présidents des commissions chargées de la défense et de deux autres parlementaires, issus de la majorité et de l'opposition - habilités à connaître d'informations classifiées sur l'activité générale, le budget ou l'organisation des services de renseignement relevant des ministères de la défense et de l'intérieur.
Cette délégation devait avoir la possibilité de procéder à l'audition périodique des ministres de la défense et de l'intérieur et des directeurs de service, sans pouvoir toutefois accéder aux informations concernant les activités opérationnelles des services, ce qui s'explique parfaitement.
Saisi en premier lieu de ce texte emblématique au moment même où une réflexion sur le renforcement des pouvoirs du Parlement est engagée, le Sénat a adopté douze amendements lors de son examen en première lecture, le 27 juin 2007.
Sans remettre en cause l'équilibre du texte et soucieux de préserver les conditions permettant d'établir une relation de confiance entre les membres de la future délégation et les responsables des services, confiance sans laquelle aucun travail efficace ne sera possible, le Sénat a souhaité ménager à la délégation parlementaire une liberté d'action plus conforme au rôle de la représentation nationale, donc plus large.
Notre assemblée a, en particulier, adopté plusieurs amendements présentés conjointement par la commission des lois et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui était saisie pour avis.
Le nombre respectif de députés et de sénateurs membres de la délégation a ainsi été porté de trois à quatre afin que soit mieux remplie la condition d'une représentation pluraliste au sein de la délégation, tout en conservant un effectif resserré, de huit membres.
Un autre amendement a précisé la mission de la délégation de façon à confier à celle-ci un rôle moins passif que ne le prévoyait le projet de loi initial, ce qui nous a valu, monsieur le secrétaire d'État, quelques discussions, au demeurant parfaitement amicales ! (Sourires.)
Le Sénat a également souhaité permettre à la délégation de procéder à des auditions du Premier ministre ainsi que de personnes ne relevant pas d'un service de renseignement : des professeurs d'université spécialisés dans ces types de problèmes, par exemple. Il est en effet nécessaire que la délégation puisse prendre en compte la dimension interministérielle du renseignement et donc entendre le Premier ministre. Surtout, il est difficilement imaginable que des parlementaires ou une commission parlementaire se voient interdire d'interroger toute personne extérieure aux services de renseignement.
Enfin, le Sénat a prévu la remise d'un rapport public annuel dressant le bilan de l'activité de la délégation. Le projet de loi initial prévoyait un rapport annuel remis seulement au Président de la République et au Premier ministre et soumis au secret-défense, comme l'ensemble des travaux de la délégation. Il nous a semblé que cette solution, imaginée dans le souci de préserver la confidentialité, serait en réalité contre-productive. En effet, un silence complet sur les travaux de cette délégation risquait soit de la rendre inutile dans l'esprit du public, soit d'alimenter des fantasmes sur les services de renseignement, du type des élucubrations répandues sur les « manteaux couleur de muraille » et les « services à moustache »...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah, ah !
M. René Garrec, rapporteur. Dois-je conclure de cet écho à mes propos, monsieur le président, que vous en faites partie ? Je serais ravi de l'apprendre ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je manifestais simplement combien je trouvais votre formule admirable ! (Nouveaux sourires.)
M. René Garrec, rapporteur. N'avouez jamais ! (Nouveaux sourires.)
Au cours de sa séance du 26 juillet 2007, l'Assemblée nationale a examiné en première lecture le projet de loi adopté par le Sénat. Les députés ont voté sept amendements, aucun ne modifiant les apports du Sénat.
Outre des améliorations rédactionnelles, dont je ne parlerai pas, l'Assemblée nationale a souhaité étendre la compétence de la délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministres chargés de l'économie et du budget, c'est-à-dire la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, la DNRED, et la cellule TRACFIN. Nous avions évoqué cette possibilité en commission et avions pensé que, le ministère des finances communiquant les informations en sa possession aux différents services ainsi qu'au Secrétariat général de la défense nationale, une telle disposition était superflue. Cette précision n'a toutefois rien de choquant et présente au moins l'avantage de faire comprendre aux différents services et aux Français qu'il est bon de resserrer notre dispositif de renseignement.
Je ne sais plus qui a dit qu'une démocratie qui ne se défend pas est une démocratie qui se meurt. Or le renseignement est la base de la défense. L'idée selon laquelle il faut conforter et regrouper les services chargés du renseignement doit donc être encouragée et nous avons pensé que cet amendement enrichissait le texte.
L'Assemblée nationale a également adopté des amendements relatifs au rapport public annuel. Nous avions considéré qu'il ne pouvait pas comprendre d'informations couvertes par le secret-défense. Les députés ont souhaité indiquer explicitement que ce rapport ne pouvait faire état d'aucune information ni d'aucun élément d'appréciation protégés par le secret-défense. Cette précision n'ajoute rien au texte, mais ne lui nuit pas non plus. Cela ne mange pas de pain, comme dit le bon sens populaire !
Je ne voulais pas dire de mal des députés,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Loin de nous cette idée !
M. René Garrec, rapporteur. ... d'autant que j'ai été l'un d'eux !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Nous avons pour eux le plus grand respect ! À condition qu'ils nous respectent aussi !
M. René Garrec, rapporteur. Bien sûr, monsieur le président, mais cela m'a échappé ! (Sourires.)
M. Charles Pasqua. Ce débat entre vous est passionnant ! (Nouveaux sourires.)
M. René Garrec, rapporteur. Quoi qu'il en soit, je le répète, cette précision ne nuit pas au texte.
Enfin, les députés ont introduit la possibilité pour la délégation d'adresser des recommandations et des observations au Président de la République.
Il nous semblait que, le rapport devant respecter le secret-défense, le président de la délégation serait chargé de transmettre, oralement ou par écrit, des informations qui pourraient lui paraître intéressantes aux présidents des assemblées. Le projet de loi le précise désormais, ce qui n'est pas plus mal, même si cela n'apporte rien de concret.
Notre commission approuve ces précisions, bien que la rédaction issue du Sénat n'interdise nullement à la délégation de communiquer avec le Président de la République et le Premier ministre, autorités habilitées par excellence à connaître de toute information relevant du secret-défense.
Sous le bénéfice de ces observations, nullement hostiles à l'Assemblée nationale, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter sans modification le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire au renseignement représente une innovation démocratique de première importance, qui permettra à la France de rejoindre l'ensemble des États démocratiques, lesquels disposent tous de structures ad hoc pour suivre l'activité de leurs services de renseignement.
Ce texte manifeste clairement la volonté du Gouvernement d'associer plus étroitement le Parlement aux questions de renseignement. Après plusieurs tentatives avortées, il répond également au large consensus qui s'est dégagé ces dernières années en faveur de la création d'une instance parlementaire chargée de suivre le secteur du renseignement.
Il s'agit d'une promesse du Président de République et je tiens à remercier le Gouvernement et, en premier lieu, notre ancien collègue Roger Karoutchi, de l'avoir concrétisée rapidement et avec efficacité. Je voudrais féliciter aussi notre collègue René Garrec pour la clarté de son rapport et la qualité de son travail.
En bref, ce projet de loi répond à un double impératif : il permet l'information du Parlement sur l'activité des services spécialisés, tout en assurant la sécurité de ces spécialistes qui accomplissent une mission essentielle pour la sécurité de notre pays. Une telle ambition peut être partagée sur toutes les travées de notre assemblée.
Ce texte constitue en effet un premier pas très important en faveur de l'information du Parlement et sans doute est-il utile de bien en analyser la mise en oeuvre à venir dans la perspective de rénovation de nos institutions, et plus particulièrement du Parlement, rénovation dont le processus. Le mouvement plus général de renforcement de la fonction de contrôle et d'information du Parlement sur l'action de l'exécutif me semble indiscutable, légitime et irréversible. Il s'agit d'une tendance lourde, aboutie chez certains de nos voisins anglo-saxons, et que nous devons accompagner. Soyez-en persuadés, mes chers collègues : la rénovation du Parlement est la condition même de sa survie. Cette idée doit conduire nos travaux ; nous en écarter serait pure folie.
Dans ce contexte, la création d'une délégation parlementaire au renseignement constituera une avancée importante pour le Parlement. Il trouvera enfin la place lui revenant dans un domaine qui, s'il obéit à des contraintes de secret bien compréhensibles, ne peut cependant échapper à l'évaluation extérieure, d'autant que le renseignement est devenu un instrument de tout premier plan de la politique de défense et de sécurité.
La création de cette délégation représente aussi un progrès pour l'exécutif, qui disposera d'un regard extérieur susceptible de mieux l'orienter vers d'éventuelles réformes. La délégation sera un lieu où pourront être abordées des questions allant au-delà de la seule analyse des ressources humaines et financières, notamment le cadre juridique dans lequel évoluent les services de renseignement. Elle constitue également une amélioration significative pour ces derniers, desservis par un isolement institutionnel parfois plus subi que voulu.
Il reste que cette réforme ne pourra produire ses effets de manière instantanée. Le temps sera sans aucun doute un élément essentiel dans le succès de la démarche d'information et d'évaluation, tant seront importantes les relations de confiance mutuelle qu'il conviendra de tisser progressivement.
Compte tenu des spécificités des activités de renseignement, la mise en oeuvre d'un suivi parlementaire exigeait de prendre des précautions afin de ne pas nuire à la confidentialité nécessaire à leur fonctionnement. Nous estimons que ce projet de loi parvient à un équilibre, toujours difficile à obtenir, entre les impératifs de la confidentialité et ceux du contrôle démocratique, entre les droits de l'État et l'état de droit, pour reprendre les termes d'un débat traditionnel. Les travaux des deux assemblées ont permis d'atteindre cet équilibre entre la transparence et le secret, deux notions vitales au regard de la protection et de la pérennité de toute démocratie.
Pour autant, si le renseignement est l'affaire de l'exécutif, le Parlement peut s'interroger légitimement sur les conditions de fonctionnement des services, les moyens techniques et les programmes dévolus, l'orientation des missions, les modes de recrutement et le statut des personnels. La future délégation assurera donc cette mission importante, sans interférer avec les activités opérationnelles des services de renseignement. La qualité et l'utilité du travail de la délégation reposeront en effet davantage sur l'existence d'une relation de confiance que sur des prérogatives légales apparemment étendues, mais dépourvues d'efficacité.
L'instauration de ce climat de confiance sera facilitée par les dispositions du texte qui encadrent l'étendue des missions de la délégation et mettent en place la confidentialité nécessaire à sa crédibilité. Les améliorations apportées par notre assemblée en première lecture vont pleinement dans ce sens. Elles ne remettent pas en cause l'équilibre du texte et elles sont soucieuses de tisser une relation de confiance entre les membres de la future délégation et les responsables des services, sans laquelle - j'y insiste une nouvelle fois - aucun travail efficace ne sera possible. Nous avons souhaité ménager à la délégation parlementaire une liberté d'action plus conforme au rôle de la représentation nationale.
La plupart de ces mesures ont été reprises par les députés. Ils ont par ailleurs étendu la compétence de la délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministres chargés de l'économie et du budget, c'est-à-dire la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et la cellule chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins, connue sous le nom de TRACFIN. Ces dispositions sont les bienvenues, car elles soulignent la nécessité d'une coordination étroite des services de renseignement et la part croissante prise par le renseignement économique.
Avant de conclure, je voudrais, au nom du groupe UMP et en mon nom personnel, rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui travaillent dans un contexte difficile et remplissent pleinement leurs missions.
La création d'une délégation parlementaire pour le renseignement représente une grande innovation pour le Parlement, en lui permettant d'être informé et associé aux questions de renseignement, fonction régalienne, mais aussi pour les services spécialisés, car cet organe doit contribuer à une meilleure prise en compte des enjeux de la politique du renseignement, plus que jamais essentielle pour notre sécurité nationale.
Monsieur le secrétaire d'État, le groupe UMP votera donc avec conviction ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me félicite de la priorité donnée par le Gouvernement à ce texte qui répond à une demande ancienne et répétée du Parlement et traduit le respect de deux engagements politiques : renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement et mettre fin à une singularité française. Notre pays restait en effet l'une des rares démocraties à ne pas disposer d'une instance parlementaire chargée de suivre l'activité des services de renseignement.
C'était d'autant plus nécessaire que, ces dernières années, la fonction de renseignement s'est valorisée et accrue du fait de la progression des diverses menaces, notamment la menace terroriste. En outre, elle s'intéresse dorénavant à la sphère économique en raison de la sophistication et de l'imbrication croissante de la toile financière internationale qui autorise aujourd'hui toutes les pénétrations anonymes et illicites.
Malgré des pouvoirs particulièrement étendus, les services du renseignement apparaissent comme occultes et impénétrables à nos concitoyens. Il est vrai que leur action, par nature ignorée, se prête mal au démenti et à une communication officielle. Pour autant, la diffusion d'une information est une nécessité à plus d'un titre.
Elle répond tout d'abord à une exigence de contrôle de l'utilisation des ressources publiques dont nul ne peut s'abstraire.
Elle doit aussi permettre aux services concernés eux-mêmes de se défaire des soupçons tenaces et injustes dont ils sont sans cesse l'objet, tout en les faisant sortir d'un tête-à-tête exclusif avec l'exécutif qui leur est moins bénéfique qu'on ne pourrait le penser, notamment lors des arbitrages budgétaires.
Enfin, il s'agit de répondre de manière adaptée à un souhait de plus en plus marqué de ne pas laisser totalement dans l'ombre une activité qui constitue la première ligne de défense face aux menaces actuelles, tout particulièrement le terrorisme.
La création d'une délégation parlementaire au renseignement constitue donc une avancée réelle.
À cet instant, je tiens à saluer les modifications qui ont été apportées au dispositif par le Sénat lors de la première lecture. Elles vont dans le sens d'une plus grande souplesse de fonctionnement de la délégation, tout en conciliant efficacité et respect des impératifs liés au secret-défense.
Je partage bien sûr l'idée selon laquelle un effectif resserré est de nature à réduire les risques de fuites et surtout à favoriser des relations de confiance entre services de renseignement et membres de la délégation. Néanmoins, l'effectif retenu dans le projet de loi initial était plutôt de l'ordre de « l'intime » et ne permettait pas d'assurer une représentation pluraliste, les membres de droit représentant plus de la moitié de l'effectif total. Le Sénat a porté celui-ci à huit parlementaires : c'est mieux, mais cela ne permettra pas la représentation de tous les groupes du Sénat et de l'Assemblée nationale. Nous faisons confiance au président du Sénat pour veiller à une représentation équilibrée, gage d'efficacité et de crédibilité de la délégation.
S'agissant de la mission de la délégation, le projet de loi se bornait à inscrire celle-ci dans un rôle passif. Le Sénat a dynamisé ce dernier, en prévoyant que la délégation aura pour mission de suivre l'activité générale et les moyens des services de renseignement. On peut déplorer que ce soit un simple suivi, et non un contrôle. Pour ma part, je considère toutefois qu'il y a effectivement là un progrès.
Ma dernière interrogation concerne la fonction de président de la délégation. Le texte adopté par le Sénat donne un peu plus de souplesse au dispositif par rapport à la rédaction initiale, en organisant une alternance à la tête de la délégation entre un président de commission permanente de l'Assemblée nationale et un président de commission permanente du Sénat, la durée du mandat étant d'un an.
Cependant, chacun sait que cette mission exigera une forte disponibilité et une implication personnelle de l'intéressé, alors que les activités des présidents des commissions permanentes compétentes sont d'ores et déjà accaparantes. Pourquoi ne pas avoir prévu une désignation libre du président de la délégation par les membres de celle-ci ?
Pour conclure, je dirai que ce texte est opportun pour trois raisons.
Tout d'abord, il met la France au même niveau que ses partenaires européens.
Ensuite, les travaux de la délégation constitueront un apport à l'action du Gouvernement dans le secteur de la défense, qu'il s'agisse du domaine spatial, des drones, des satellites, des écoutes téléphoniques, de l'interception ou des hautes fréquences.
Enfin, il est important d'indiquer à l'opinion publique que les services de renseignement sont constitués de gens responsables, travaillant de manière précise, selon des orientations claires, et obtenant des résultats. Le rapport public souhaité par nos rapporteurs jouera un rôle fondamental à cet égard.
Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe du RDSE votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avions appelé de nos voeux la création d'un organe adapté au contrôle parlementaire des services de renseignement. Sur le principe d'une telle création, nous sommes donc évidemment d'accord. Cependant, malgré quelques sensibles améliorations apportées en première lecture par le Sénat et par l'Assemblée nationale, notre satisfaction n'est pas totale.
Comme cela a été dit à plusieurs reprises aujourd'hui, notamment par M. le rapporteur, cette création participe de la revalorisation du rôle du Parlement. À ce titre, elle est la bienvenue. Elle tend à placer nos institutions dans le droit commun des démocraties avancées en matière de contrôle parlementaire des services de renseignement et elle nous permet de continuer dans la voie dans laquelle notre pays s'était engagé en 2001 avec la réforme des fonds spéciaux.
Toutefois, malgré ce progrès démocratique, sénateurs et députés socialistes ont déploré la timidité du projet de loi, qui tend à privilégier, nous semble-t-il - je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Courtois lorsqu'il estime que nous serions parvenus à un équilibre -, les impératifs liés à la protection du nécessaire secret, au détriment de l'instauration de réels pouvoirs de contrôle. M. de Montesquiou a indiqué combien il regrettait que l'on n'aboutisse pas à un tel contrôle.
Il ne faudrait pas que la création de cette nouvelle instance parlementaire serve d'alibi à la poursuite d'une relation peu transparente. Elle doit constituer au contraire un outil de contrôle efficace. Aussi avons-nous sans cesse réclamé davantage de garanties quant au juste équilibre entre la confidentialité des travaux de la délégation, qui représente une impérieuse nécessité, et l'efficacité du contrôle exercé, condition essentielle pour asseoir la crédibilité de la nouvelle instance.
Nous souhaitons donc garantir le pluralisme de la délégation, pour que l'exercice d'un contrôle parlementaire puisse apporter une légitimité démocratique à l'activité de renseignement.
Par ailleurs, lors de la première lecture, nous avions déjà fait remarquer l'importance croissante du renseignement dans la conduite de la politique extérieure et de sécurité. Plusieurs intervenants ont souligné cette évidence. Sans trop insister sur cet aspect, nous pouvons signaler que la mondialisation de l'économie et la fluidité des relations internationales, assortie de menaces en constante évolution, donnent une prime aux sociétés, aux États, aux ensembles régionaux capables d'anticiper et de prévoir.
Comme vous l'avez vous-même indiqué, monsieur le secrétaire d'État, c'est là le coeur du renseignement : offrir aux décideurs la capacité d'avoir un ou plusieurs « coups » d'avance, si je puis employer cette expression. Disposer de services de renseignement est donc indispensable et primordial, parce qu'ils constituent un premier rempart, la première ligne de notre défense.
Cela étant, nous pensons aussi que, dans une démocratie moderne, le Parlement doit pouvoir s'assurer que les orientations politiques et les moyens mis à la disposition des services de renseignement sont adaptés aux circonstances, sont à la hauteur des exigences nées de l'intensité de la menace, sont respectueux des libertés publiques et des principes démocratiques.
Je le répète, instituer un équilibre dynamique et réactif entre, d'une part, l'obligation stricte de préserver les secrets de la défense, de la sécurité et de la protection des intérêts de notre pays, et, d'autre part, l'exercice d'un contrôle parlementaire réel, sans lequel il n'y a pas de démocratie, nous semble une évidente nécessité.
Nous souhaitons une délégation vivante, active et efficace ; nous aimerions que l'opposition parlementaire ne soit pas réduite à un simple rôle de figuration ; nous ne voudrions pas que les compétences de la délégation soient bridées. La question se pose donc de savoir si le « suivi » défini par le texte deviendra un véritable contrôle de la politique du renseignement et des moyens des services de renseignement.
Bien entendu, dans la mesure où le Parlement a été tenu à l'écart de ces questions pendant tant d'années, tout est à inventer - M. le secrétaire d'État l'avait expliqué en première lecture - et je conçois que l'expérience puisse permettre des évolutions ; nous sommes d'accord sur ce point.
Il s'agira en effet d'instaurer une relation de confiance entre les membres de la délégation et les responsables des services afin de développer un travail efficace et mutuellement utile, sans oublier toutefois que la représentation nationale a pour mission de contrôler la politique du Gouvernement dans tous les domaines, y compris celui, crucial, de la sécurité, et donc du renseignement !
En outre, si le renseignement comporte bien sûr une dimension étatique, je n'oublie pas que, de plus en plus, des organismes privés s'en occupent également. On les appelle des SRP, des sociétés de renseignement privé ; elles agissent notamment dans le domaine économique et financier, mais pas seulement. Il faudrait que la future délégation puisse suivre aussi l'action de ces organismes privés qui ont établi d'ores et déjà des liens et des rapports de travail avec les services de renseignement de l'État.
Enfin, n'oublions pas l'espace européen du renseignement : nous ne devons pas négliger l'aspect de la coopération européenne et les partenariats déjà en cours dans la lutte contre certaines menaces terroristes ou criminelles. D'autres parlements en Europe traitent déjà de cette question ; il ne faudrait pas que, après avoir été les derniers, ou presque, à aborder le problème du contrôle parlementaire des services de renseignement, nous soyons aussi les derniers à prendre en compte la dimension européenne de cette activité.
Tout le monde propose actuellement de renforcer les pouvoirs du Parlement. C'est bien ! Il faudra cependant vérifier dans la pratique que, après la saison des annonces, les réalités seront au rendez-vous. En attendant, nous avons, avec ce texte, la possibilité de faire un pas, un petit pas certes, mais un premier pas quand même, dans la bonne direction... Il conviendrait, pour que ce premier pas débouche sur une avancée concrète, que nos amendements soient adoptés, chers collègues de la majorité. Toutefois, après vous avoir entendu appeler à un vote conforme, monsieur le rapporteur, je ne me fais guère d'illusions sur ce point...
Voilà pourquoi, si nous saluons l'examen d'un tel texte au Sénat, nous pensons aussi qu'il peut être amélioré. À cette fin, nous présenterons quelques amendements visant à modifier le dispositif dans trois domaines.
Premièrement, nous souhaitons améliorer la capacité de contrôle de la délégation à partir de quelques mesures simples, en lui permettant d'abord de faire oeuvre utile en recueillant toutes, je dis bien toutes, les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission.
Lors de la première lecture, les rapporteurs des commissions saisies au fond et pour avis, MM. Garrec et Vinçon, avaient partagé cette volonté d'octroyer à la délégation une grande liberté d'action. Dans le même sens, nous proposerons un élargissement mesuré, contrôlé, de la capacité d'investigation de la délégation, en lui permettant d'auditionner toute personne susceptible d'éclairer ses travaux.
En outre, nous proposons que la délégation, sans avoir bien entendu à connaître des activités opérationnelles en cours, puisse travailler sur des actions éteintes, susceptibles de révéler des dysfonctionnements et donc d'apporter sans doute de riches enseignements.
Deuxièmement, si nous avons le souci de rendre cette délégation efficace, nous avons aussi la préoccupation d'y assurer une réelle représentation pluraliste.
Nous pensons donc qu'il est important que toutes les sensibilités politiques s'exprimant au Parlement soient représentées au sein de la délégation. À cet égard, je souhaite faire remarquer que nous avions défendu, lors de la première lecture, le strict respect du pluralisme au sein de la future délégation, en prenant en compte ce critère fondateur dans la désignation du président et du rapporteur de cette instance...
Troisièmement, nous persistons dans notre souhait de rapprocher utilement les travaux de la future délégation et ceux de la commission de vérification des fonds spéciaux qui existe déjà.
Au chapitre des points positifs, nous saluons l'extension de la compétence de la délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministères chargés de l'économie et du budget. Nous-mêmes avions plaidé en ce sens. Toutefois, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout en incluant, comme nous l'avions proposé, des représentants des commissions des finances parmi les membres de la délégation ?
Pour terminer, j'évoquerai d'un mot l'actualité.
Le chantier de la fusion des services de renseignement civils, c'est-à-dire la direction centrale des renseignements généraux et la direction de la surveillance du territoire, est en cours, tandis que certains parlent déjà d'un nouveau chantier, concernant cette fois la fusion des services chargés du renseignement extérieur et du renseignement militaire, à savoir la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, la direction du renseignement militaire, la DRM, et la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD.
Il est vrai que la France, malgré les bons résultats obtenus par ses services et le dévouement de ses agents, auxquels je rends à mon tour hommage, avait pris quelque retard en la matière. Des doublons avaient été constatés, et parfois de la concurrence entre services ; cela est connu de tous. Une « rationalisation du renseignement français » était devenue nécessaire et des réformes sont effectivement inévitables, s'agissant d'organisations mises en place, pour l'essentiel, dans les années soixante-dix.
Par ailleurs, le renseignement économique, financier et technologique prend dans nos sociétés une importance grandissante. Devant cette réalité, une coordination exemplaire des organismes étatiques travaillant dans tous ces domaines du renseignement « non traditionnel » est nécessaire.
Toutefois, il serait utile que la représentation nationale puisse être informée de la réorganisation en cours. Cela pourrait constituer un des premiers dossiers soumis à l'examen de la future délégation parlementaire. Plus tard, il sera intéressant d'aborder la question du futur conseil national de sécurité, dont certains annoncent l'imminente création et qui aura vocation à se substituer aux actuels organismes d'aide à la décision dont dispose le pouvoir exécutif.
Mais cela relève de l'avenir, aussi proche soit-il ; s'agissant du présent texte, dans l'attente du débat et de la discussion de nos amendements, nous réservons notre décision quant au vote final.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour la première fois, le Parlement français va être associé au suivi des activités des services de renseignement.
La création d'une délégation parlementaire au renseignement est d'autant plus importante qu'elle était vivement attendue. En témoignent les nombreuses propositions de loi allant dans ce sens, dont celle de mon collègue Nicolas About qui, en 1999, visait déjà à la « création d'une délégation parlementaire du renseignement ».
Cette délégation est très attendue d'abord parce que la France est l'un des rares pays démocratiques à ne pas disposer d'une telle structure. Les États-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, l'Australie et bien d'autres encore disposent de leur propre organe parlementaire dédié au renseignement. Certes, ces organes disposent d'une plus ou moins grande latitude dans leurs activités, mais celles-ci ont le mérite de favoriser le développement d'une vraie culture du renseignement.
Car il faut reconnaître que notre pays cultive, pour sa part, en ce qui concerne ses services de renseignement, un certain goût pour le mystère, ce qui a parfois conduit à entretenir une vision quelque peu négative de ces services, voire une forme d'hostilité à leur égard, alors que leur mission est essentielle.
La faute en revient très certainement à cette idée, longtemps véhiculée, selon laquelle le renseignement était une affaire d'État qui ne pouvait concerner les citoyens ou leurs représentants.
La mise à l'écart du Parlement a certainement renforcé cette tendance. Or, tout en reconnaissant le caractère exceptionnel et exorbitant du droit commun des missions de renseignement, le Parlement ne pouvait rester plus longtemps tenu à l'écart de cet aspect de notre dispositif de protection.
Ainsi, en permettant au Parlement, représentant de la nation, d'avoir un droit de regard sur le renseignement, nous créons ce lien indispensable qui fait défaut entre les citoyens et les services de l'État. Nous permettons à la France de réaliser une avancée démocratique significative en ne laissant pas le Parlement dans l'ignorance d'enjeux importants.
Au-delà de cette exigence démocratique, la création d'une telle délégation répond également à une exigence géopolitique.
L'action des services de renseignement constitue en effet un volet essentiel de nos politiques de sécurité.
Or, à l'heure actuelle, depuis la fin de la guerre froide, le contexte géopolitique est beaucoup plus compliqué : conflits régionaux, menaces terroristes, prolifération d'armes de destruction massive, autant de phénomènes qui obligent nos services de renseignement à évoluer, et ce d'autant que les menaces sont nettement moins prévisibles.
À cet égard, je voudrais vous dire, monsieur le secrétaire d'État, tout l'intérêt que m'inspire la réorganisation des services de renseignement, chantier qui a été lancé il y a quelques jours. Cette réforme permettra aux services de renseignement de réaliser la nécessaire « révolution » que j'évoquais à l'instant.
Bien entendu, l'instauration d'une telle délégation doit se faire en respectant un équilibre entre l'exigence démocratique et l'impératif du secret attaché à la fonction du renseignement. Cet impératif a justifié que, dans un premier temps, les missions dévolues à la délégation soient relativement restreintes.
Je voudrais, à ce propos, saluer le travail de notre rapporteur, qui a permis, sans toutefois trahir cette exigence de secret, d'ouvrir un peu le champ de compétences de la délégation. Car, comme beaucoup l'ont dit, il ne peut y avoir de délégation parlementaire sans relation de confiance.
Or, à la première lecture du texte, l'étendue de la mission de la délégation pouvait laisser supposer que cette confiance n'était pas effective. Élargir les compétences lève le doute sur l'existence de quelques réticences à voir le Parlement se mêler des affaires de renseignement. Ainsi s'instaure une relation de confiance entre la représentation nationale et les services de renseignement.
Aujourd'hui, après la première lecture dans chaque assemblée, nous arrivons à un texte équilibré qui a été salué par beaucoup, y compris par les directions des services concernés par ce texte. Ces dernières, d'après leur témoignage, y retirent d'ailleurs un certain avantage.
Je ne vais pas citer toutes les directions qui sont concernées. Y ont été ajoutées, à l'initiative de l'Assemblée nationale, la délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministères chargés de l'économie et du budget, c'est-à-dire la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et la cellule TRACFIN.
Je voudrais également revenir sur la modification opérée en première lecture portant sur la composition de cette délégation. Désormais, chaque chambre aura deux représentants, au lieu d'un seul, en plus des membres de droit, permettant ainsi d'assurer, pour reprendre votre expression, monsieur le rapporteur, une « représentation pluraliste au sein de la délégation ». Vous le comprendrez aisément, je ne peux que souscrire à cette initiative.
Le groupe UC-UDF approuve donc entièrement la création d'une telle délégation, qui assurera une meilleure connaissance de l'organisation des services de renseignement, de leurs orientations stratégiques et de l'utilisation des moyens qui leur sont alloués.
Le texte proposé aujourd'hui garantit l'équilibre nécessaire entre l'exigence du secret et celle d'informer le Parlement.
En outre, il permet à la France de s'aligner sur ce qui se fait dans les autres grandes démocraties occidentales.
Pour conclure, je rapprocherai cette initiative de la réflexion qui est menée actuellement sur la réforme des institutions par la commission Balladur.
En effet, à l'heure où je m'exprime, cette commission s'interroge sur la pertinence qu'il y a à conserver des domaines réservés, sur la nécessité de conférer davantage de pouvoirs au Parlement et plus généralement sur la place du Parlement dans l'équilibre de nos institutions. Dans ce contexte, la création de la délégation ici proposée permet incontestablement de renforcer le poids du Parlement. Elle permettra aussi de tirer quelques enseignements sur les avancées qui pourraient encore être proposées. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte créant une délégation parlementaire au renseignement nous revient en deuxième lecture après avoir été légèrement modifié par l'Assemblée nationale, les modifications portant cependant sur des points non négligeables.
Pour autant, aucun progrès ne peut être enregistré quant aux deux aspects fondamentaux sur lesquels nous avions insisté en première lecture.
Bien au contraire, on peut même dire que la majorité et vous-même, monsieur le secrétaire d'État, avez confirmé le verrouillage et le caractère tout à fait formel de cette nouvelle instance parlementaire.
En effet, nous en sommes toujours au même point concernant, d'une part, la représentativité des membres de la délégation et, d'autre part, la réalité du contrôle démocratique que celle-ci pourra exercer sur les services de renseignement.
Si vous souhaitiez vraiment, monsieur le secrétaire d'État, un contrôle démocratique du Parlement, l'une des conditions serait de garantir par la loi la présence au sein de la délégation de toutes les sensibilités politiques qui sont représentées dans nos deux assemblées. Il y va de la légitimité et de la crédibilité mêmes de la future délégation.
Or, bien que le nombre de membres de cet organisme ait été augmenté par le Sénat, qui l'a porté de six à huit, la structure de cette délégation, qui comprend des membres de droit en la personne des présidents des commissions concernées, ne permettra pas une représentation pluraliste. De fait, certains groupes en seront exclus.
Au nom de quoi certains parlementaires, qui sont élus, je me permets de vous le rappeler, seraient-ils moins dignes de confiance que leurs collègues ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non, cela n'a rien à voir !
Mme Michelle Demessine. Car c'est comme cela que l'opinion publique interprétera cette exclusion.
Je ne peux me satisfaire de l'affirmation selon laquelle l'opposition dans sa globalité sera, de toute façon, représentée.
Je comprends bien que, pour des raisons de confidentialité, l'effectif de ce type d'organisme ne puisse être pléthorique. Mais, si le Gouvernement en avait vraiment eu la volonté, il aurait eu la possibilité de trouver une solution. En tout état de cause, les travaux de la délégation seront couverts par le secret de la défense nationale et les parlementaires, comme les fonctionnaires qui travailleront pour la délégation, seront habilités au secret-défense.
Les exemples de certains de nos voisins et amis européens - je pense à l'Italie, à l'Allemagne, voire au Royaume-Uni - sont là pour nous montrer qu'il est possible, même si les compétences de leurs organismes ne sont pas tout à fait les mêmes, de trouver une formule satisfaisante et plus démocratique.
À l'Assemblée nationale, vous avez même refusé, monsieur le secrétaire d'État, les propositions qui vous étaient faites d'instaurer un système de fonctionnement paritaire entre la majorité et l'opposition, à défaut d'augmenter le nombre de membres de la délégation.
Pour respecter et garantir concrètement les droits de l'opposition, il serait par exemple tout à fait envisageable de mettre en place un système d'alternance pour les postes de président et de rapporteur, sous réserve bien entendu que la délégation prévoie la création de cette fonction dans son règlement intérieur.
A défaut de ce minimum, une partie de l'opposition - et une seule - risque d'être cantonnée dans un simple rôle de figuration au sein d'une délégation dans l'incapacité d'exercer un contrôle efficace.
Mais s'agit-il vraiment d'exercer un contrôle ?
C'est là le deuxième élément de notre désaccord sur ce texte.
On aurait été en droit d'attendre que cette délégation ne se borne pas à un simple suivi de l'activité générale et des moyens des services spécialisés.
C'est certes un premier pas, puisque nous étions en effet la dernière grande démocratie à ne pas posséder une telle institution. Mais il permet tout juste une information du Parlement sur ces questions. Celui-ci sera désormais associé au suivi de l'activité des services, en particulier par le biais du rapport annuel public qu'élaborera la délégation.
Toutefois, il n'est pas question de contrôle à proprement parler et, dans un champ de compétence déjà restreint, la délégation jouera un rôle purement passif.
Pourtant, le Président de la République, lorsqu'il n'était encore que ministre de l'intérieur, avait une conception moins limitée de ce rôle. Dans le débat sur le projet de loi sur la sécurité intérieure en novembre 2005, il avait en effet affirmé : « Il ne s'agit pas d'opposer législatif et exécutif, mais d'exercer un contrôle démocratique sur des services de renseignement qui, au demeurant, font très bien leur travail. [...] Dans une démocratie moderne, il est normal que le Parlement contrôle les activités de renseignement que le gouvernement met en oeuvre. [...] Je crois tellement à la notion de contrôle que je ne veux pas qu'elle soit caricaturée. ».
Certes, il faut concilier, d'une part, la préservation de l'efficacité et de la sécurité des services par le secret, et, d'autre part, la légitime nécessité d'informer le Parlement. À cet égard, je précise d'ailleurs que nous ne sommes pas non plus partisans de la conception anglo-saxonne d'une commission supervisant de manière tatillonne l'activité des services de renseignement.
Pour nous, le renseignement, élément très important et méconnu du processus de décision gouvernementale, doit rester de la responsabilité de l'exécutif ; c'est une prérogative régalienne de l'État. Cette situation particulière est aussi une raison supplémentaire pour que le Parlement puisse contrôler cette partie, par définition peu transparente, de l'activité gouvernementale. Sinon, cela entretient la suspicion et la méfiance de l'opinion publique.
Or il y a une grande différence de conception de la démocratie entre ce que vous voulez faire, c'est-à-dire informer le Parlement, l'associer de façon lointaine au suivi de l'activité des services, et ce que nous souhaitons, c'est-à-dire lui donner de réels moyens d'exercer des prérogatives nouvelles de contrôle et d'évaluation des activités desdits services.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez une conception trop restrictive de ce que doit être cette délégation parlementaire au renseignement.
À l'Assemblée nationale comme au Sénat, vous avez repoussé tous les amendements ceux qui élargissaient le champ de compétence de cet organisme, à l'exception toutefois des enquêtes douanières et de TRACFIN, comme ceux qui augmentaient le nombre et la qualité des personnes qu'il pourrait auditionner.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La qualité y est !
Mme Michelle Demessine. Au total, cette délégation risque fort de n'être qu'une coquille vide, un alibi démocratique. Elle jouera un rôle marginal car, j'y insiste, elle n'aura aucun réel pouvoir de contrôle.
Concrètement, la majorité sera seule à présider la délégation, elle auditionnera exclusivement les ministres et les directeurs de services. Il est évident que, dans ces conditions, l'information du Parlement sera filtrée et distillée au compte-gouttes ; il n'aura aucune possibilité de se faire une opinion et d'apprécier des situations en toute connaissance de cause.
En première lecture, nous nous étions abstenus en espérant, sans nourrir trop d'illusions, que quelques modifications positives seraient apportées à votre texte.
Puisque rien ne change, le groupe communiste et républicain, ne voulant pas cautionner ce faux-semblant, votera contre.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je souhaiterais remercier le rapporteur, M René Garrec, ainsi que tous les intervenants, plus particulièrement bien sûr, ceux qui ont apporté leur soutien à la création de cette délégation.
Madame Demessine, je vous ai bien entendue : nous n'allons pas assez loin, nous n'allons pas assez vite, nous ne contrôlons pas assez. Mais, jusqu'à présent, il n'y avait rien ! Lorsqu'on crée une structure et que l'on prend l'initiative d'apporter une solution permettant de donner au Parlement davantage de pouvoirs, il me paraît excessif de tout demander tout de suite, sans attendre de voir comment travailler ensemble.
À ce propos, MM. de Montesquiou et Peyronnet ont fait référence aux services de renseignement étrangers. Or, vous avez pu le constater, durant ces dernières semaines ou les derniers mois, les modalités de suivi de l'activité des services de renseignement par les commissions parlementaires en Allemagne et au Royaume-Uni - je n'évoque même pas les États-Unis, où le cas de figure s'est présenté à de multiples reprises - ont fait l'objet de remises en cause.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Par conséquent, nous avons véritablement besoin de retenir la solution qui vous est proposée et d'instituer une telle délégation parlementaire.
Comme je l'avais souligné à l'occasion de l'examen du présent projet de loi en première lecture, le Gouvernement n'est pas opposé à d'éventuelles évolutions futures. Mais, dans un premier temps, il faut mettre en place la structure, afin d'établir un véritable lien entre nos services de renseignement et le Parlement. Puis, dans les années à venir, en fonction de l'expérience que nous aurons acquise, nous pourrons analyser les évolutions du dispositif et, le cas échéant, décider d'aller plus loin si cela se révèle nécessaire.
Très sincèrement, compte tenu de ce qui se passe dans certains pays voisins ou amis, où les relations entre le Parlement et les services de renseignement sont très compliquées, quand elles ne sont pas totalement remises en cause par les médias, mieux vaut, me semble-t-il, procéder avec prudence pour avancer.
Monsieur Peyronnet, comme l'a souligné M. le rapporteur - je suis presque confus de devoir répéter ses propos -, le Gouvernement a accepté nombre d'amendements du Sénat, ainsi que quelques amendements de l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi en première lecture. Ainsi, nous avons décidé d'augmenter le nombre de membres de la délégation, d'élargir l'éventail des services qui seront soumis à son contrôle et d'en assouplir le fonctionnement.
À cet égard, madame Demessine, je regrette que votre groupe bascule de l'abstention au vote contre. En effet, c'est seulement à l'usage que nous pourrons voir si le dispositif sera aussi fermé que vous l'affirmez.
Monsieur Peyronnet, nous avons souvent débattu dans cette noble maison et je connais votre sens des responsabilités. Selon moi, - Mme Gourault et M. de Montesquiou l'ont souligné à plusieurs reprises - nous devons trouver un équilibre entre la transparence et la nécessité de ne pas mettre nos services de renseignement en difficulté. Certes, ce n'est pas évident. Comme le rappelait notre ami Jean-Patrick Courtois, nous sommes en présence non pas de matière brute, mais bien d'hommes sur le terrain. Il s'agit d'agents qui effectuent des missions dangereuses, parfois au péril de leur vie. Nous devons donc trouver un équilibre entre transparence et discrétion, entre information et secret. De mon point de vue, le projet de loi constitue un premier pas et la délégation parlementaire permet de parvenir à un tel équilibre.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Peyronnet, s'agissant des amendements que vous avez déposés - nous les examinerons tout à l'heure -, nous ne pourrons malheureusement pas aller au-delà de l'équilibre actuel, qui pose sans doute des difficultés, mais qui est tout de même bien un équilibre.
Encore une fois, cela ne signifie pas que le dispositif doive demeurer figé. Dans les années à venir, il sera toujours possible de procéder à des modifications à la lumière de l'expérience acquise. Une fois la confiance entre le Parlement et les services de renseignement établie, une fois un lien réel, permanent et régulier mis en place, il sera plus facile d'avancer qu'aujourd'hui, où il n'existe rien.
Je remercie donc M. Courtois, Mme Gourault et M. de Montesquiou du soutien de leur groupe respectif, mais je souhaiterais vivement, madame Demessine, qu'aucun parlementaire ne s'oppose à ce projet de loi. En effet, je suis certain que l'institution de la délégation constitue une véritable avancée.
Que le dispositif soit perfectible, nous en sommes tous conscients. Mais, puisqu'il représente un premier pas positif pour le Parlement, il mérite, me semble-t-il, que nous lui donnions sa chance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Après l'article 6 octies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article 6 nonies ainsi rédigé :
« Art. 6 nonies. - I. - Il est constitué une délégation parlementaire au renseignement, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle est composée de quatre députés et de quatre sénateurs.
« II. - Les présidents des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées respectivement des affaires de sécurité intérieure et de défense sont membres de droit de la délégation parlementaire au renseignement. La fonction de président de la délégation est assurée alternativement, pour un an, par un député et un sénateur, membres de droit.
« Les autres membres de la délégation sont désignés par le président de chaque assemblée de manière à assurer une représentation pluraliste. Les deux députés qui ne sont pas membres de droit sont désignés au début de chaque législature et pour la durée de celle-ci. Les deux sénateurs sont désignés après chaque renouvellement partiel du Sénat.
« III. - Supprimé.
« IV. - Sans préjudice des compétences des commissions permanentes, la délégation parlementaire au renseignement a pour mission de suivre l'activité générale et les moyens des services spécialisés à cet effet placés sous l'autorité des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l'économie et du budget.
« Les ministres mentionnés au premier alinéa du présent IV adressent à la délégation des informations et des éléments d'appréciation relatifs au budget, à l'activité générale et à l'organisation des services de renseignement placés sous leur autorité. Ces informations et ces éléments d'appréciation ne peuvent porter ni sur les activités opérationnelles de ces services, les instructions données par les pouvoirs publics à cet égard et le financement de ces activités, ni sur les échanges avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.
« La délégation peut entendre le Premier ministre, les ministres et le secrétaire général de la défense nationale. S'agissant des agents exerçant ou ayant exercé des fonctions au sein des services mentionnés au premier alinéa, seuls les directeurs en fonction de ces services peuvent être entendus.
« V. - Les membres de la délégation sont autorisés ès qualités à connaître des informations ou des éléments d'appréciation définis au IV et protégés au titre de l'article 413-9 du code pénal, à l'exclusion des données dont la communication pourrait mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés, ainsi que les modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement.
« Les agents des assemblées parlementaires désignés pour assister les membres de la délégation doivent être habilités, dans les conditions définies pour l'application de l'article 413-9 du code pénal, à connaître des mêmes informations et éléments d'appréciation.
« VI. - Les travaux de la délégation parlementaire au renseignement sont couverts par le secret de la défense nationale.
« Les membres de la délégation et les agents des assemblées mentionnés au V sont astreints au respect du secret de la défense nationale pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en ces qualités.
« VII. - Chaque année, la délégation établit un rapport public dressant le bilan de son activité, qui ne peut faire état d'aucune information ni d'aucun élément d'appréciation protégés par le secret de la défense nationale.
« Dans le cadre de ses travaux, la délégation peut adresser des recommandations et des observations au Président de la République et au Premier ministre. Elle les transmet au Président de chaque assemblée.
« VIII. - La délégation parlementaire au renseignement établit son règlement intérieur. Celui-ci est soumis à l'approbation du Bureau de chaque assemblée.
« Les dépenses afférentes au fonctionnement de la délégation sont financées et exécutées comme dépenses des assemblées parlementaires dans les conditions fixées par l'article 7. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le I du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, remplacer le chiffre :
quatre
par le chiffre :
cinq
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement, qui avait été défendu en première lecture par mon ami Didier Boulaud, vise à remplacer le chiffre quatre par le chiffre cinq, c'est-à-dire à porter de huit à dix le nombre de parlementaires qui composent la délégation.
Compte tenu de la présence de membres de droit, l'accroissement du nombre des membres de la délégation permettrait d'assurer une représentation réellement pluraliste des différentes sensibilités politiques.
En effet, en raison du nombre de membres de droit et de personnalités nommées sur titres, le choix du Parlement ne portera en réalité que sur deux personnes par assemblée. Même s'il s'agit d'un progrès - je ne le nie pas - par rapport à la version initiale du projet de loi, cela nous semble demeurer insuffisant. Il serait souhaitable que la délégation parlementaire au renseignement soit plus étoffée, ce qui la rendrait plus représentative et permettrait de mieux asseoir sa crédibilité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Mon cher collègue, vous avez entendu M. le secrétaire d'État comme moi. Pendant un moment, compte tenu des propos que vous avez tenus et de ce que j'ai moi-même exprimé en commission, je me suis dit que, comme vous aviez eu une magnifique occasion de défendre vos idées, vous alliez peut-être accepter de retirer vos amendements. Mais je constate que tel n'est pas le cas. Aussi, la courtoisie républicaine exige que nous examinions tous vos amendements.
S'agissant de l'amendement n° 1, je ne vois pas l'intérêt pour la délégation de compter un membre de plus par assemblée. En effet, lorsque j'avais proposé à M. le secrétaire d'État, qui avait finalement accepté après une longue réflexion, d'intégrer deux parlementaires supplémentaires au sein de cette instance, c'était pour qu'il y ait un représentant de la majorité et un représentant de l'opposition par assemblée. Je ne vois donc pas ce qu'un membre de plus par assemblée apporterait.
Mme Michelle Demessine. Le pluralisme !
M. René Garrec, rapporteur. Madame Demessine, dès lors que la majorité et l'opposition seront représentées au sein de la délégation, celle-ci sera bien pluraliste.
Mme Michelle Demessine. Vous réduisez le pluralisme au bipartisme !
M. René Garrec, rapporteur. M. le secrétaire d'État l'a souligné - cela vous aura peut-être échappé -, la marche se prouve en marchant. Ce qui est aujourd'hui ne sera peut-être plus demain. Il y aura éventuellement des améliorations. Nous examinerons le dispositif et nous verrons si des modifications s'imposent. Acceptons-en donc l'augure.
Certes, je comprends que vous défendiez fermement vos positions, mais je ne les approuve pas pour autant. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Comme je l'ai déjà évoqué, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Monsieur Peyronnet, je partage l'opinion de M. le rapporteur. Même avec un parlementaire de plus par assemblée au sein de la délégation, tous les groupes ne seraient pas représentés. Il n'y aurait donc pas de grands changements et je ne vois pas ce que cela apporterait.
Comme vous le savez, à l'Assemblée nationale - certes, c'est moins le cas au Sénat -, l'alternance se produit régulièrement. Ainsi, si les deux membres de droit de la délégation parlementaire peuvent être de droite, ils peuvent également très bien être de gauche. Il ne faut pas considérer uniquement la situation actuelle. Nous instituons un dispositif qui peut devenir dans les prochaines années une force d'équilibre et de débats. Nous verrons ensuite si des modifications s'imposent.
Lors de l'examen du projet de loi en première lecture, nous avions accepté l'amendement de M. le rapporteur, ce qui constitue une ouverture. Par la suite, si une relation de confiance s'est établie entre le Parlement et les services de renseignement et si nous avons le sentiment que l'augmentation du nombre de membres de la délégation ne risque pas de compromettre le secret-défense, nous aviserons.
Mais, pour le moment, je préfère que nous en restions à l'équilibre actuel.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le rapporteur, vous me demandez ce que changerait la présence d'un membre de plus par assemblée au sein de la délégation parlementaire. Je vous rappelle simplement que si la majorité est homogène, l'opposition ne l'est pas. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n'avez qu'à l'homogénéiser !
M. Charles Pasqua. On pourrait même avoir recours à la représentation proportionnelle ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Peyronnet. N'allons pas jusque-là !
Monsieur le secrétaire d'État, je comprends vos propos et, d'un certain point de vue, je les approuve.
Mais convenez avec moi que certains des arguments qui ont été avancés en première lecture - je pense notamment à l'affirmation selon laquelle le fait de porter de huit à dix le nombre de membres de la délégation parlementaire risquerait de mettre en cause le principe de confidentialité - ne sont pas sérieux. Les parlementaires, y compris les deux qui viendraient éventuellement en complément, sont des élus responsables. Et si l'on veut une confidentialité totale, il ne faut pas instituer de délégation. Dès lors que l'on distille un certain nombre d'informations, le risque est pratiquement aussi grand avec deux parlementaires qu'avec dix. On ne peut donc retenir un tel raisonnement.
Par conséquent, si je comprends vos arguments, comprenez également les nôtres. Peut-être sommes-nous un peu maximalistes, mais, même si nous ne nions pas les avancées qui ont eu lieu, nous estimons qu'il était possible d'aller un peu plus loin. Porter de huit à dix le nombre de membres de la délégation parlementaire ne constituait tout de même pas une révolution !
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter le premier alinéa du IV du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 par une phrase ainsi rédigée :
Elle recueille les informations utiles à l'accomplissement de sa mission.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement a pour objet de préciser que la délégation parlementaire au renseignement « recueille les informations utiles à l'accomplissement de sa mission ».
Cela renvoie à la préoccupation que j'ai toujours exprimée, c'est-à-dire attribuer à la future délégation les moyens d'action lui permettant d'assurer le respect de ses missions.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi prévoit que seuls les ministres de l'intérieur, de la défense et des finances adressent à la délégation des informations et éléments d'appréciation. Ainsi, le cadre d'intervention de la délégation se trouve très corseté, puisque cette future instance ne disposera pas de la faculté de recueillir elle-même des informations.
Je rappelle que, en première lecture, M. le rapporteur et M. Vinçon, qui était alors rapporteur pour avis, défendaient un dispositif similaire à celui que l'amendement n° 2 tend à instituer.
Comme nous avions soutenu leur position, qui rejoignait nos propres préoccupations, et malgré les explications que M. le secrétaire d'État nous avait apportées sur le verbe « recueillir », nous présentons cet amendement, lequel vise à rendre la délégation parlementaire plus dynamique dans sa recherche d'informations.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Mon cher collègue, je reconnais la rédaction de cet amendement, qui est celle de la commission et, par conséquent, qui est également un petit peu la mienne. (Sourires.)
Toutefois, dans une ancienne profession, j'ai appris que la compréhension d'un texte juridique nécessite l'éclairage des travaux préparatoires. Or, durant les travaux qui ont précédé l'examen du présent projet de loi, M. le secrétaire d'État nous a bien précisé que la délégation parlementaire pourrait s'informer. Dans ces conditions, affirmer que celle-ci « recueille les informations utiles à l'accomplissement de sa mission » est une tautologie. En effet, si elle ne le faisait pas, une telle structure ne servirait à rien. C'est la raison pour laquelle je n'étais pas très satisfait de mon amendement et j'avais retiré cette phrase sans trop de douleur.
De fait, les travaux préparatoires, ainsi que les explications de M. le secrétaire d'État sur la possibilité pour la délégation de se rendre à l'étranger et de rencontrer ses homologues, font qu'il n'y a plus de raisons de s'inquiéter à ce sujet. C'est pourquoi la commission avait décidé de retirer cette précision en première lecture.
Aujourd'hui, du fait de l'éclairage des déclarations gouvernementales, et en attendant une éventuelle nouvelle étape, nous pouvons, me semble-t-il, nous satisfaire de la solution qui a été retenue dans le projet de loi. Pour ma part, il ne me semble pas utile d'insérer une telle phrase dans le dispositif.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Je remercie M. Peyronnet de se souvenir des explications que j'avais fournies sur le verbe « recueillir » en première lecture. (Sourires.)
Pour autant, la délégation parlementaire pourrait, me semble-t-il, travailler en évitant de donner le sentiment d'être une sorte de commission d'enquête permanente. À cet égard, les propos de M. le rapporteur sur la définition des travaux de la délégation me conviennent parfaitement.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Comme je n'ai pas les mêmes contraintes que M. le rapporteur - je ne suis notamment pas obligé de voter le projet de loi dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale -, je voudrais dire tout le bien que je pense de la rédaction proposée par M. Peyronnet.
En effet, ce qui est très précis dans le projet de loi, c'est ce que la délégation ne peut pas faire. Dès lors, il ne me semble tout de même pas exorbitant de lui permettre de recueillir toutes les informations dont elle a besoin pour remplir sa mission.
Peut-être cela va-t-il de soi, mais cela ira encore mieux en le précisant. Je suis donc surpris que M. le secrétaire d'État refuse un tel dispositif aux seules fins d'aller vite et d'obtenir un vote conforme.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa du IV du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, après les mots :
les activités opérationnelles de ces services
insérer les mots :
en cours et à venir
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement vise à étendre le pouvoir d'information et d'appréciation de la délégation parlementaire au renseignement en restreignant le droit au secret des ministres aux seules activités opérationnelles en cours et à venir.
Le fait que la délégation ne puisse pas connaître les activités opérationnelles en cours respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel - je remarque que ce n'est pas forcément le cas dans d'autres pays, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis. Nous approuvons cependant cette situation.
En ce qui concerne les activités opérationnelles passées, en revanche, le débat peut être ouvert. Les travaux effectués sur des situations passées pourraient permettre aux parlementaires, en tout cas au sein de la délégation, de mieux comprendre les situations à venir et de mieux préparer l'adaptation de nos services.
Dans notre esprit, et pour reprendre les propos de M. le secrétaire d'État, il ne s'agit pas de faire le travail de la justice, ni d'instituer une commission d'enquête permanente, ni bien sûr d'instruire en continu le procès des services. Dans ce cadre précis, les membres de la délégation doivent simplement pouvoir exercer leur droit d'information.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Je m'exprimerai sur les amendements nos 3 et 4 car ils ont, me semble-t-il, été défendus conjointement. (M. Jean-Claude Peyronnet fait un signe de dénégation.)
Concernant l'amendement n° 3, le principe que j'évoquais tout à l'heure prévaut, c'est-à-dire que les travaux préparatoires éclairent le texte.
Il a effectivement été dit que nous ne pourrions interroger un fonctionnaire d'un service sans passer par son directeur. Nous étions parvenus à l'accord suivant : si nous souhaitons interroger une personne particulière sur une opération, nous la recevons avec son directeur. Une telle solution est à peu près conforme à nos souhaits et permet au directeur d'être présent en tant que responsable de son service. Cet amendement n'a donc plus d'objet.
J'en viens à l'amendement n° 4 tendant à restreindre le droit au secret aux seules activités opérationnelles en cours et à venir. Nous pourrions effectivement être tentés d'étudier des opérations passées. Mais, si nous décortiquons une opération ancienne, je crains que les services étrangers ne puissent trouver le modus operandi et se forger une idée de « qui a fait quoi, et comment », ne serait-ce que par l'utilisation des moyens, des lieux et des sites.
Nous pouvons certes nous faire expliquer le système ; mais préciser la construction d'une opération à l'étranger, c'est déjà dire ce qui se passe et, peut-être, ce qui se passera demain. Par conséquent, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire ce matin, je ne peux accepter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je partage pleinement l'avis de la commission et je n'ai rien à ajouter concernant l'amendement n° 3.
Quant à l'amendement n° 4, monsieur Peyronnet, vous avez certes précisé dans son objet : « sous réserve que ces informations ne relèvent pas des données visées au premier alinéa du paragraphe V du projet de loi ». Vous comprenez bien que des éléments opérationnels passés, surtout dans un passé récent, mettent en cause des services, des réseaux de renseignement, des personnes, des agents. Les investigations sont donc extrêmement compliquées.
Les directeurs des services pourront certainement évoquer un certain nombre de points devant la délégation sans mettre en danger qui que ce soit, et ce d'autant plus qu'une relation de confiance se sera instaurée. La relation entre les services de renseignement et la délégation me paraît, en la matière, essentielle. Les services de renseignement donneront d'autant plus d'éléments qu'ils auront le sentiment que la confidentialité est assurée, que les choses se passent bien.
Cependant, en donnant à cette délégation un pouvoir d'investigation sur des opérations passées mais récentes, vous risqueriez - involontairement, bien sûr - de mettre en difficulté des services, des réseaux, voire des agents. C'est la raison pour laquelle nous sommes également défavorables à cet amendement.
M. Jean-Patrick Courtois. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je dirai d'abord quelques mots sur l'amendement n°3, puisqu'il a été évoqué.
Cet amendement concerne la liste des personnes susceptibles d'être entendues par la délégation. Nous souhaiterions, pour notre part, que toute personne puisse être auditionnée par celle-ci. Vous nous dites que c'est dangereux, problématique. Par ailleurs, vous nous laissez entendre que, conformément à une sorte de tradition parlementaire, ces auditions seraient possibles.
L'existence d'une liste limitative restreint forcément le pouvoir d'audition et donc d'information de la délégation. Voilà pourquoi nous souhaitons que les possibilités d'investigation de la délégation soient étendues.
Cela étant dit, s'agissant de l'amendement n° 4, je comprends vos propos, monsieur le secrétaire d'État, quant aux risques que peuvent engendrer des investigations sur des opérations passées récentes. Dans notre esprit, je le répète, il ne s'agit pas d'instaurer une commission d'enquête permanente, il s'agit simplement de permettre à la délégation d'approfondir ponctuellement, sur une affaire, ses investigations. Mais, sur ce sujet, je conçois aussi que, comme vous l'avez dit, « la marche se prouve en marchant ».
M. le président. Mes chers collègues, si nous examinons d'abord l'amendement n° 4 puis l'amendement n° 3, c'est parce qu'ils se réfèrent respectivement au deuxième alinéa et au dernier alinéa du paragraphe IV du texte proposé par l'article unique. Il est donc normal de procéder dans cet ordre.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Après les mots :
et le secrétaire général de la défense nationale
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du IV du texte proposé par cet article pour l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 :
, les directeurs des services mentionnés au premier alinéa ainsi que toute personne relevant de leur autorité et déléguée par eux. Elle entend également toute personne étrangère aux services et susceptible d'éclairer ses travaux.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(L'article unique est adopté.)
Article additionnel après l'article unique
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Peyronnet, Boulaud, Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Après l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le second alinéa du VI de l'article 154 de la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001), après les mots : « au Premier ministre, » sont insérés les mots : « à la délégation parlementaire au renseignement ».
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement, dans l'esprit de nos amendements précédents, vise à donner à la délégation parlementaire au renseignement de véritables pouvoirs d'investigation.
Je fais remarquer, en particulier à M. le rapporteur, qu'il s'agit d'un amendement a minima par rapport à ce que nous avions demandé en première lecture. Nous avions souhaité, en effet, une meilleure association entre la délégation et la commission de vérification des fonds spéciaux, et nous avions imaginé qu'un certain nombre de membres de la commission des finances puissent être membres de ces deux structures.
Nous proposons ici d'étendre à la délégation la transmission du rapport de la commission de vérification des fonds spéciaux, limitée jusqu'à présent au Président de la République, au Premier ministre ainsi qu'aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées. Nous souhaitons à tout le moins que le président de la délégation puisse aussi recevoir ce rapport. Ainsi s'établirait en quelque sorte une passerelle entre la commission de vérification des fonds spéciaux et la délégation. Il nous semble que ce serait le signe d'un meilleur fonctionnement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Mon cher collègue, nous revenons à un débat que nous avons eu en commission.
M. Charles Pasqua. Brièvement ! (Sourires.)
M. René Garrec, rapporteur. Je serai bref !
M. Charles Pasqua. Si vous voulez qu'on parle du renseignement, je suis à votre disposition.
M. René Garrec, rapporteur. À vos ordres ! (Nouveaux sourires.)
Nous nous étions en effet demandé s'il ne conviendrait pas d'agréger la commission de vérification des fonds spéciaux à la délégation. Les membres de la commission de vérification - qui ne sont pas présents aujourd'hui - nous ont indiqué qu'ils avaient établi des liens de confiance avec les services et que cela fonctionnait très bien. Il s'agit en outre d'une instance de nature administrative et non de nature parlementaire.
Nous en avons conclu qu'il était utile de laisser fonctionner cette commission avec laquelle la confiance est établie, plutôt que de l'agréger à une délégation de nature parlementaire. Installons la délégation et, si les mêmes relations de confiance s'établissent, le Gouvernement nous proposera peut-être une modification. Voilà pourquoi je suis au regret de ne pas accepter davantage cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Patrick Courtois. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Le projet d'aligner la France sur la pratique institutionnelle majoritaire des démocraties en matière de contrôle parlementaire des services de renseignement n'est pas récent. On a même cru, en 1998 et en 1999, que l'affaire était faite, un consensus s'étant apparemment dégagé, notamment au sein de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, présidée par Paul Quilès et dont Arthur Paecht était vice-président.
Dix ans d'atermoiements ont suivi, dus, comme on l'a vu, non pas à un désaccord politique, mais aux réticences de ceux qui n'avaient aucune envie d'être contrôlés par des parlementaires, jugés insuffisamment responsables et peu imprégnés de la « culture du renseignement ». Curieuse conception de la démocratie et du parlementarisme !
Ce texte ne parle d'ailleurs pas de contrôle. La délégation parlementaire a seulement pour mission de « suivre l'activité générale et les moyens des services spécialisés ». Suivre, certes, mais à quelle distance ? À partir de quelles informations, sinon celles que l'on voudra bien lui fournir, même si la discussion parlementaire a élargi les possibilités et les marges de manoeuvre de la délégation ?
Ce qui frappe dans ce texte, c'est surtout la mention de ce que la délégation ne peut pas ou ne doit pas faire.
Les amendements du groupe socialiste qui auraient permis à la délégation de recueillir toutes les informations utiles à l'accomplissement de sa mission, de limiter le droit au secret des ministres aux seules activités opérationnelles en cours et à venir, qui auraient élargi le nombre des personnes pouvant être auditionnées, ont été refusés. Nous restons donc largement sur notre faim.
Mais j'ai cru comprendre, monsieur le secrétaire d'État, que vous acceptiez que les choses puissent évoluer. Je cite les propos que vous avez tenus devant l'Assemblée nationale, confirmés depuis devant le Sénat : « Je répète que ce qui est créé aujourd'hui constitue une première étape. [...] Au Parlement, ensuite, avec le recul, d'établir un rapport d'étape afin de savoir si des améliorations sont possibles. »
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous sommes bien d'accord !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous voulons bien vous croire sur parole en espérant que la « relation de confiance » à établir ne soit pas à sens unique, c'est-à-dire des services vers le Parlement, qui, comme j'ai cru le comprendre, devrait mériter cette confiance. Avouez que c'est un peu curieux !
Parce que ce texte ne correspond pas à notre attente, nous ne pouvons voter pour. Parce qu'il constitue le premier pas, celui qui, comme chacun le sait, est le seul qui coûte, nous ne pouvons voter contre. Aussi, le groupe socialiste s'abstiendra.
M. Jean-Claude Peyronnet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Nous allons voter un texte important qui répond à une exigence démocratique et met fin à une singularité française.
Il s'agit d'une novation remarquable : pour la première fois en France, le Parlement va être associé au suivi des activités des services de renseignement. Ceux-ci y gagneront une nouvelle et durable légitimité.
Dans le contexte actuel de rénovation institutionnelle, ce projet de loi apparaît comme le premier signe concret de l'ambition du Président de la République de renforcer le poids et les pouvoirs du Parlement dans nos institutions. Nous tenions à le souligner et à nous en féliciter.
Par ailleurs, je tiens à saluer le travail des deux commissions saisies, celle des lois et celle des affaires étrangères, qui ont enrichi et équilibré le texte.
Le groupe UMP votera donc avec grand plaisir et conviction ce texte qui constitue sans aucun doute une importante avancée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. J'ai écouté très attentivement le débat qui vient d'avoir lieu à l'occasion de cette deuxième lecture. Je vous ai donc entendu dire, monsieur le secrétaire d'État, qu'il s'agit d'une affaire délicate, qu'il faut avancer doucement et que le dispositif s'améliorera « en marchant ». Soit !
En revanche, je suis moins convaincue par les arguments qui ont trait à la composition de la délégation. En effet, dans cette assemblée, on confond pluralisme et bipartisme, ce qui n'est pas du tout la même chose. Comme l'a souligné M. Peyronnet, passer de huit à dix membres pour garantir le pluralisme, ce ne serait quand même pas la mer à boire !
Cela étant dit, compte tenu des engagements que vous avez pris, monsieur le secrétaire d'État, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
8
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- M. Jean-Pierre Cantegrit membre titulaire de la commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étranger ;
- Mme Anne-Marie Payet membre titulaire du conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ;
- Mme Gisèle Printz membre suppléant du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances ;
- Mme Bernadette Dupont membre suppléant de l'Observatoire national des zones sensibles.
9
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques et une candidature pour la commission des affaires étrangères.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- Mme Odette Terrade membre de la commission des affaires économiques, en remplacement de Mme Michelle Demessine, démissionnaire ;
- Mme Michelle Demessine membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par Mme Hélène Luc, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Accords avec les Émirats Arabes Unis relatifs au musÉe universel d'Abou Dabi
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation d'accords entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi (nos 436, 451, 455).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur le président, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le 6 mars 2007, la France et les Émirats Arabes Unis ont signé un accord qui scellait la coopération entre nos deux pays pour la création d'un musée universel à Abou Dabi.
Cet accord était le fruit de plus d'un an de négociations.
À l'automne 2005, les autorités de l'émirat d'Abou Dabi ont sollicité l'aide de la France et du musée du Louvre pour la conception et la construction d'un musée national du niveau des plus grandes institutions. Elles demandaient aussi la mise en place, jusqu'à ce que cet objectif soit atteint, d'un musée universel de renommée internationale, qui aurait pour nom le « Louvre Abou Dabi ».
Cette démarche correspondait à l'ambition affichée par les Émirats Arabes Unis, situés au carrefour du Moyen-Orient et de l'Asie, à mi-chemin entre l'Asie et l'Europe, de devenir la plaque tournante de l'art et de la culture pour cette partie du monde.
L'ampleur et la nature du projet, totalement inédit en France comme à l'étranger, soulevaient un certain nombre de questions auxquelles il importait de répondre : en dépit des excellentes relations qu'entretiennent la France et les Émirats Arabes Unies, était-il judicieux de s'engager sur un tel projet dans une zone aussi sensible ? Était-il opportun d'apporter une caution culturelle aussi prestigieuse que celle du Louvre à un projet qui, de prime abord, s'inscrivait dans le cadre d'un futur complexe touristique ? Avions-nous les moyens de répondre à une telle demande ?
La France a finalement répondu favorablement, afin d'encourager la volonté d'ouverture des autorités émiriennes et parce qu'elle y a vu une chance exceptionnelle d'affirmation du dialogue des cultures entre l'Orient et l'Occident.
Elle a également été sensible au concept de l'île de Saadiyat, qui, certes, a des visées touristiques, mais également des ambitions culturelles. Tandis que Dubaï propose une base de loisirs, Abou Dabi veut faire découvrir, à un public international et régional, l'art classique, contemporain et islamique.
En outre, la France dispose d'une expertise de premier plan, légitimée par la qualité des collections de ses grandes institutions patrimoniales et par les connaissances et le savoir-faire de leurs conservateurs.
La négociation a donc porté, dans une large mesure, sur les points suivants : le rôle du musée afin de promouvoir le dialogue des cultures, la garantie de la qualité scientifique et artistique du futur musée et la juste rémunération des musées français fortement sollicités pour la réalisation de ce projet.
La France a posé plusieurs principes : la création de ce musée devait transmettre un message universel et humaniste et témoigner du rapprochement des civilisations que les violences du monde tendent aujourd'hui à opposer ; le Louvre Abou Dabi, comme le musée qui lui fera suite, se devait de répondre aux critères de qualité et de déontologie les plus exigeants, qu'il s'agisse de la pertinence du discours scientifique et culturel ou de la conception et de la réalisation du bâtiment ; enfin, les contreparties financières, qui s'élèveront à plus de 1 milliard d'euros sur trente ans, devaient bénéficier, dans leur totalité, aux musées de France, le musée du Louvre en tête, pour des projets scientifiques nouveaux.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux et garantir la qualité du projet à toutes les étapes, la France a proposé une aide globale.
Une agence a été créée, l'Agence France Museums, émanation de douze établissements publics patrimoniaux, dont le Louvre est membre de droit. L'État y est représenté par deux censeurs : l'un du ministère de la culture et de la communication, l'autre du ministère des affaires étrangères et européennes, qui sera garant de la bonne exécution des obligations prévues par l'accord intergouvernemental et des intérêts de la France lors de la conclusion de nouveaux projets de nature muséale et patrimoniale d'ampleur internationale.
L'Agence France Museums va avoir pour tâche de mettre en oeuvre et d'accompagner ce projet jusqu'à sa réalisation.
Pour une période de dix ans, dans l'attente de la constitution de la collection du musée d'Abou Dabi, seront prêtées, pour des durées allant de six mois à deux ans, des oeuvres issues des collections du Louvre, de l'ensemble des musées nationaux et des autres musées français qui souhaiteront participer au projet. Par ailleurs, pendant quinze ans, la France concevra et mettra en place une programmation d'expositions temporaires.
Pour accompagner la formation de la collection émirienne, des experts français proposeront une stratégie d'acquisition.
De plus, la France conseillera Abou Dabi pour la mise en place de la future structure de gestion du musée, participera à la formation de ses cadres et accompagnera pendant une durée de vingt ans le fonctionnement du musée afin de lui permettre de conforter sa place dans le paysage des institutions internationales.
Face à l'engagement de la France dans une coopération aussi novatrice, des voix se sont élevées et des inquiétudes se sont exprimées dans notre pays même. Elles concernaient l'inaliénabilité des collections publiques, le dépouillement des musées français de leurs oeuvres majeures, la censure et les risques de marchandisation.
Pourtant, il n'en est rien. La présence de Christine Albanel aujourd'hui dans cet hémicycle témoigne de l'attachement du ministère de la culture à ce projet, et sa disponibilité à apporter tous les éclaircissements nécessaires qui permettront de dissiper l'ensemble des interrogations.
Au-delà de la controverse, la coopération que nous entamons avec les Émirats Arabes Unis représente un défi sans précédent.
Dans ce contexte de mondialisation, le Louvre Abou Dabi constitue un formidable vecteur de rayonnement de l'universalité de la culture et un défi que la France, au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations, se devait de relever. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la description du futur musée du « Louvre Abou Dabi », qui vient de vous être présenté. Pour ma part, je concentrerai mon propos sur la controverse que ce projet a suscitée.
Dès le stade des négociations, ce projet a en effet provoqué des critiques, souvent justifiées et pertinentes, notamment de la part de conservateurs de musées, dont des personnalités éminentes telles que Mme Cachin.
Il me semble que cette controverse n'est pas sans rappeler la polémique occasionnée en 1962 par le prêt de la Joconde aux États-Unis. Le ministre de la culture, André Malraux, s'était déjà heurté à l'époque à l'opposition des conservateurs de musées. On ne peut pas leur en vouloir : leur métier est en effet de conserver les oeuvres et non de s'en départir dans des conditions qui leur paraissent parfois imprudentes.
Dans le cas de la négociation avec Abou Dabi, le manque de transparence concernant les objectifs et les méthodes ont suscité et aggravé la méfiance non seulement des milieux professionnels, mais aussi du Parlement.
Je regrette que, sur un tel sujet, le précédent gouvernement n'ait pas pris la peine d'informer le Parlement du lancement et du déroulement des négociations, ce qui aurait sans doute permis de désamorcer certaines critiques. Je tiens à cet égard à saluer le rôle joué par la commission des affaires culturelles du Sénat, qui, dès le mois de janvier, a pris l'initiative d'auditionner les principaux protagonistes de ce débat. Ses travaux m'ont d'ailleurs été d'une grande aide pour rédiger mon rapport.
Trois principaux reproches ont été formulés à l'encontre de ce projet concernant sa localisation, son ampleur et les conditions financières. J'examinerai donc successivement ces trois points.
La première critique a porté sur l'emplacement du musée. Certains ont estimé que ce choix résultait plus de considérations politiques que de considérations culturelles et ils n'ont pas hésité à comparer Abou Dabi à une sorte de cité pour milliardaires, une ville comparable à Las Vegas - ville horrible !
M. Pierre Fauchon. Mais non, c'est très amusant !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur. Moi, je la trouve horrible et je n'ai pas envie d'y voir le Louvre !
Or, dans ce cas précis, le reproche n'est pas fondé.
Je rappelle que c'est l'émirat d'Abou Dabi, où le désir d'ouverture au monde se manifeste activement, qui est à l'origine du projet. Pour préparer l'après-pétrole, les Émirats Arabes Unis ont engagé un processus de diversification de leur économie et de leur société. Dubaï a ainsi fait le choix du commerce et de la finance et constitue déjà la première plateforme aéroportuaire intercontinentale de cette zone.
Pour sa part, Abou Dabi a pour ambition de devenir le coeur de la région couvrant le Golfe, l'Asie, l'Australie, l'Inde, voire, le jour où la paix y régnera de nouveau, l'Irak et l'Iran, pour l'enseignement supérieur et la culture, un lieu de rencontre et d'échanges entre les civilisations, au carrefour des continents.
Il a lancé sur l'île de Saadiyat, située en face de la capitale émirienne, un projet de district culturel d'envergure mondiale, qui comprendra plusieurs musées, dont un musée maritime et un musée d'art moderne.
Après s'être tourné une première fois vers l'expertise française en matière d'enseignement supérieur, avec l'installation à l'automne 2006 d'une antenne de la Sorbonne, il a demandé l'aide de la France pour la conception d'un autre musée.
Ce musée sera un « musée universel » dont les collections couvriront toutes les périodes, y compris la période contemporaine, et toutes les aires géographiques. Il fera appel aux techniques les plus modernes. Sa conception a été confiée à Jean Nouvel qui a réalisé le musée du Quai Branly, car c'est sur ce modèle que les émiriens souhaitent voir construire leur propre musée.
Il ne s'agit donc pas de créer une antenne du Louvre ; il s'agit de concevoir un musée émirien, avec l'expertise française.
Cette coopération culturelle d'une ampleur inédite devrait s'inscrire dans la relation des civilisations d'Orient et d'Occident, dans une région du monde où les échanges culturels et artistiques sont un des éléments de la lutte contre « les identités meurtrières », pour reprendre le titre d'un livre prémonitoire d'Amin Maalouf publié il y a déjà sept ou huit ans.
Ces identités meurtrières font des ravages partout, pas seulement dans le monde arabe. Elles frappent également chez nous.
La fermeture culturelle face à la mondialisation des échanges économiques est un phénomène terrifiant. Il me semble que le projet dont nous débattons aujourd'hui fait partie de la lutte contre les identités meurtrières. À ce titre, je ne saurais trop vous conseiller la lecture du livre d'Amin Maalouf. Il n'y a pas eu, depuis la publication de cet ouvrage, de meilleure analyse des dangers auxquels nous sommes confrontés.
La deuxième source de préoccupation, certains s'en sont inquiétés, est le nombre élevé d'oeuvres d'art qui seraient prêtées au musée d'Abou Dabi, privant ainsi le public français et les touristes étrangers de ces oeuvres.
Il faut toutefois relativiser l'ampleur de ces prêts et établir un parallèle avec l'action de partenariat actuellement en cours avec le musée d'Atlanta.
Je rappelle, en effet, que l'État s'engage à prêter au musée d'Abou Dabi des oeuvres issues des collections françaises pendant une durée de dix ans. Une partie seulement de ces oeuvres proviendra du musée du Louvre. L'autre partie sera prêtée par une dizaine d'autres grands musées français, comme le musée d'Orsay.
Pendant cette période, les Émirats Arabes Unis devront acquérir des oeuvres afin de constituer leur propre collection nationale. Au-delà de ces dix ans, seules les oeuvres des collections émiriennes seront exposées dans les galeries permanentes du musée.
Le nombre d'objets prêtés par la France diminuera progressivement. Il sera de 300 oeuvres les trois premières années, puis passera à 250 oeuvres les quatre années suivantes et à 200 oeuvres les quatre dernières années. Chaque oeuvre sera prêtée pour une durée comprise entre six mois et deux ans, selon sa nature.
Je rappelle que 35 000 oeuvres sont exposées au musée du Louvre sur les quelque 445 000 oeuvres que compte le musée, et que le musée du Louvre acquiert chaque année entre 200 et 300 oeuvres d'art.
Par ailleurs, plus de 1 400 oeuvres sont prêtées chaque année par le musée du Louvre à d'autres musées, en France ou à l'étranger, et il reçoit environ 1 000 oeuvres provenant d'autres musées. Le prêt de 300 oeuvres issues de tous les musées participants ne devrait donc pas dégarnir les galeries de nos musées.
En outre, chaque prêt se fera exclusivement sur la base du volontariat, sous le contrôle d'une commission scientifique et en conformité avec les règles des musées nationaux en la matière.
La troisième préoccupation concerne les contreparties financières, qui sont probablement le point ayant suscité le plus de critiques dans les milieux artistiques.
Certains conservateurs ont dénoncé l'abandon du principe de la gratuité du prêt des oeuvres d'art entre les musées. La marchandisation générale de nos sociétés justifie que l'on s'inquiète de la voir gagner les musées de la République. Toutefois, ce risque ne doit pas être majoré.
En effet, les personnes qui ont critiqué le plus ces contreparties financières les ont elles-mêmes pratiquées quand elles dirigeaient de grands musées.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Bien sûr !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur. Or ces contreparties financières n'ont pas modifié fondamentalement, par exemple, le fonctionnement du musée d'Orsay.
De plus, cette pratique des contreparties existe réellement de manière importante depuis 1995. Il faut distinguer deux cas.
Les grands musées qui disposent de riches collections fonctionnent habituellement par le jeu d'échanges gratuits d'oeuvres d'art pour leurs expositions temporaires, cette réciprocité va dans le sens d'un intérêt bien compris.
Une telle pratique ne concerne toutefois pas les musées éloignés des circuits internationaux ou ceux qui ont des collections relativement réduites - il s'agit parfois de musées américains, japonais, canadiens ou australiens. Ceux-ci ont souvent recours à des mécènes pour financer des expositions temporaires d'oeuvres provenant des grands musées, car ils n'ont pas d'oeuvres à offrir en échange.
Le prêt gratuit, fondé sur l'échange entre partenaires de niveau équivalent n'est donc pas appelé à disparaître, et il faut veiller à ce qu'il ne disparaisse pas.
Cependant, le prêt avec compensations financières ou avec compensations d'autre nature a le mérite d'offrir à de nouveaux publics des oeuvres de premier plan auxquelles ils n'auraient jamais eu accès dans le cadre d'échanges traditionnels.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur. Dans le cas précis d'Abou Dabi, si le montant extrêmement élevé des sommes en jeu doit susciter une grande vigilance, il faut tout de même mesurer avec réalisme l'intérêt que ces sommes représentent pour nos propres musées.
Au total, ce sont environ 1 milliard d'euros sur trente ans qui seront versés directement au musée du Louvre et aux autres musées participants.
Ces fonds pourraient permettre la création, qui n'a pas encore été possible, d'un grand centre consacré à la conservation, à la restauration et à la recherche pour accueillir les réserves du Louvre et des autres musées de la capitale, en particulier celles du musée d'Orsay, toutes menacées par la crue centennale de la Seine.
Ils pourraient également permettre d'achever le projet Grand Louvre commencé avec l'édification de la pyramide en 1989. Il est en effet actuellement très largement dépassé puisque en vingt ans le nombre annuel de visiteurs a doublé, passant de quelque 4 millions à 8 millions.
Par ailleurs, ces fonds devraient permettre de libérer de nouveaux espaces, comme le pavillon de Flore, pour y accueillir des oeuvres et le public.
Enfin, ils permettraient aux musées participants d'enrichir leurs collections par la restauration ou l'acquisition de nouvelles oeuvres. Sur ce point l'accord pose problème dans la mesure où il pourrait y avoir un conflit d'intérêts entre le musée d'Abou Dabi et les musées français pour l'acquisition de certaines oeuvres.
Bien entendu, ce projet n'a de sens, madame la ministre, que s'il ne se traduit pas par une diminution de la subvention de l'État aux musées nationaux. Votre prédécesseur s'était d'ailleurs engagé à ce que ces ressources nouvelles viennent par surcroît et non en compensation de l'effort budgétaire de l'État. Je souhaite, madame la ministre, que vous nous confirmiez cet engagement.
Qu'on le veuille ou non, il existe aujourd'hui un véritable marché de l'art et de l'influence culturelle, de même qu'il existe un marché des universités.
Le Louvre est en concurrence avec le Metropolitan Museum of Art de New York, le British Museum et les grands musées européens.
Or, face à la mondialisation, notre pays dispose de formidables atouts dans ce domaine grâce à un patrimoine d'une richesse exceptionnelle et à une expertise reconnue.
Dès lors, pourquoi refuser à nos grands musées nationaux, comme le musée du Louvre, le plus grand musée et le musée le plus visité au monde, de mettre à profit cet atout artistique et intellectuel, qui est une arme pour la France dans la dure compétition de la mondialisation - je me place dans la perspective du rapport que M. Védrine vient de rédiger ?
Bien entendu, cela ne doit pas se faire dans n'importe quelles conditions. Il faut se méfier des dérives commerciales, comme dans le cas de la Fondation Guggenheim.
Je souhaite donc que le Gouvernement s'engage à informer régulièrement le Parlement de la mise en oeuvre de ce projet, de l'utilisation des sommes versées par les autorités émiriennes, ainsi que de l'action de l'Agence France Museums créée pour gérer le projet, qu'il s'agisse de ses aspects administratifs, des choix scientifiques et de sa gestion financière.
Je considère en particulier que cette agence devrait rendre chaque année un rapport au Parlement. Pourquoi les commissions de notre assemblée qui sont compétentes sur ces sujets, je pense à la commission des affaires culturelles, à la commission des finances et à la commission des affaires étrangères, ne pourraient-elles pas assurer un suivi régulier de la mise en oeuvre de cet accord, organiser des auditions communes, vérifier que les sommes recueillies servent bien à financer de nouveaux projets et s'assurer que l'État respecte son engagement de ne pas diminuer les subventions qu'il verse aux musées de France ?
Le projet « Louvre Abou Dabi » est novateur et donc risqué. Il met en jeu de sommes importantes sur une très longue durée. Sa mise en oeuvre pose et posera des problèmes déontologiques sur lesquels il faudra exercer une grande vigilance. Un contrôle parlementaire régulier est une des garanties qui doivent être apportées à sa réalisation.
Sous le bénéfice de cette observation, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées de l'UMP. - Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il n'est pas courant que la commission des affaires culturelles demande à se saisir pour avis d'un projet de loi autorisant l'approbation d'un accord international. Cependant, les trois accords passés entre la France et les Émirats Arabes Unis, qui donneront corps au projet de « musée universel d'Abou Dabi », justifient pleinement que notre commission souhaite donner un avis sur ce dossier important en termes diplomatiques, certes, mais également en termes culturels.
La dimension culturelle de ces accords n'est, en effet, pas contestable, comme en témoigne le rôle déterminant qu'ont joué dans les négociations le précédent ministre de la culture, M. Renaud Donnedieu de Vabres, la directrice des musées de France, le président de l'établissement public du Grand Louvre, ainsi que plusieurs responsables de grands musées français.
Ce projet, d'une ampleur exceptionnelle, illustre de manière exemplaire à la fois l'ouverture au monde que nous voulons donner à notre politique culturelle et notre souci de perfectionner en permanence, en le soutenant et en le finançant de manière substantielle, l'ensemble du système français qui permet aux visiteurs de découvrir l'art à travers nos grands musées.
Notre commission, Mme Cerisier-ben Guiga a évoqué ce point et je l'en remercie, avait dès le début de l'année 2007 demandé à entendre les responsables sur ce projet, notamment la directrice des musées de France et le président du Grand Louvre. Nous avions consacré une séance de nos travaux à discuter de ce sujet, sans rien dissimuler ni des controverses qu'il avait entraînées ni de l'intérêt qu'il paraissait présenter.
Par conséquent, dans le rapport pour avis que je présente au nom de la commission des affaires culturelles j'évoquerai tout d'abord les inquiétudes qui s'étaient fait jour afin d'apporter les réponses qui me paraissent les plus adaptées et j'examinerai ensuite les retombées de ce projet à la fois pour le rayonnement culturel de la France et pour la politique des musées, qui est une priorité.
Une première inquiétude, exprimée par certains, tenait au nombre d'oeuvres d'art qui seraient prêtées au musée d'Abou Dabi, au risque de priver les musées français d'une partie de leur attractivité tant pour le public français que pour les visiteurs étrangers.
Les chiffres que vous avez cités, madame la rapporteur, montrent clairement que ces craintes étaient tout à fait excessives.
En effet, la France s'engage à présenter dans les dix années suivant l'ouverture du musée des oeuvres dont le nombre diminuera au fur et à mesure que se constitueront les collections permanentes du nouveau musée.
Il convient de dire avec force qu'il s'agit de la constitution d'un nouveau musée. La France prêtera simplement des oeuvres pendant une durée limitée à dix années jusqu'à ce que les collections soient complètes.
Après ce délai, le musée universel d'Abou Dabi sera un très grand musée que nous auront porté sur les fonts baptismaux, mais auquel nous n'aurons plus, en dehors du cadre d'expositions temporaires, à prêter d'oeuvres.
Nous nous engageons à prêter 300 oeuvres au cours des trois premières années, 250 au cours des trois années suivantes et 200 pendant les quatre dernières années où s'appliqueront les conventions internationales. La durée de chaque prêt sera comprise entre six mois et deux ans. À partir de la onzième année, la totalité des collections propres du musée aura été acquise.
C'est la partie française, il convient de le préciser, qui choisira les oeuvres qu'elle entend prêter. Une commission scientifique sera chargée de cette sélection, qui fera elle-même l'objet d'une convention particulière.
Les mêmes règles s'appliqueront aux quatre expositions temporaires que la France s'engage à organiser chaque année pendant les quinze ans suivant l'ouverture du musée, et qui dureront chacune entre deux mois et quatre mois.
En outre, comme vous l'avez souligné, madame la rapporteur, ce n'est pas le Louvre seul qui prêtera ses oeuvres au musée d'Abou Dabi mais l'ensemble des musées associés au sein de l'Agence France Museums parmi lesquels le musée d'Orsay, le musée du Quai Branly, le musée Rodin, le musée de Versailles, le domaine national de Chambord et le musée Guimet.
On estime que les musées français prêtent actuellement chaque année à l'étranger entre 8 000 et 10 000 oeuvres, dont 1 500 environ proviennent du Louvre, ce qui permet de relativiser le nombre des oeuvres prêtées à Abou Dabi.
Une deuxième critique adressée à ce projet porte sur la sécurité des oeuvres prêtées, et elle manifeste, me semble-t-il, un certain ethnocentrisme français : l'État d'Abou Dabi possède tous les dispositifs nécessaires pour assurer aux oeuvres une complète sécurité. D'ailleurs, peut-être est-il mieux équipé que certaines des grandes institutions anciennes auxquelles nous prêtons des oeuvres et qui, certes, possèdent le charme et le prestige de l'ancienneté, mais dont les dispositifs de sécurité ne sont pas ceux dont disposera le nouveau musée d'Abou Dabi !
Comme vous l'avez rappelé, madame la rapporteur, la maîtrise d'oeuvre du bâtiment sera confiée à Jean Nouvel, un architecte français, et la France sera associée à toutes les étapes de la conception et de la réalisation du musée. Je crois donc qu'il ne faut nourrir aucune inquiétude sur la sécurité des oeuvres qui seront prêtées.
De plus, en cas de menace sur la conservation et la sécurité des oeuvres, l'accord prévoit une série de mesures conservatoires, qui peuvent aller jusqu'au rapatriement immédiat des oeuvres et à la suspension ou à la résiliation du partenariat.
Une troisième critique portait sur l'abandon du principe de gratuité des prêts.
Or il faut noter que cet accord ne porte pas seulement sur le prêt d'oeuvres, car, si tel était le cas, il ne serait pas nécessaire que trois conventions internationales lient notre pays aux Émirats Arabes Unis et que deux commissions du Sénat soient appelées à donner leur avis ! Il s'agit d'un accord global, qui a pour objet non seulement le prêt d'oeuvres, mais aussi l'aide à la conception et à la réalisation du musée, la formation de l'ensemble de son personnel - l'équipe de direction comme les agents de surveillance - et l'acquisition des oeuvres destinées à la collection permanente du musée d'Abou Dabi.
Mes chers collègues, nous sommes donc saisis d'un vaste partenariat de coopération culturelle internationale, et nullement d'un simple accord relatif au prêt d'oeuvres, dérogeant à la règle de la gratuité qui est d'usage en la matière.
J'ajoute, car des critiques ont été formulées sur ce point, que le nom « Louvre », utilisé dans l'appellation du nouveau musée, dit « Louvre Abou Dabi », ne fera pas l'objet d'une utilisation mercantile,...
Mme Catherine Tasca. Mais si !
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. ...de même que n'auront pas lieu les dérapages que certains ont imaginés, en évoquant notamment les produits dérivés. En effet, l'encadrement juridique du nom « Louvre » sera très strict, avec des sanctions pouvant aller jusqu'à la résiliation de l'accord.
Le musée d'Abou Dabi portera le nom de « Louvre », et voilà tout. En contrepartie de cette seule appellation, la France recevra quelque 400 millions d'euros, ce qui montre d'ailleurs le prestige dont nos institutions culturelles jouissent dans l'émirat, comme dans d'autres États.
Ces critiques réfutées, il faut insister, me semble-t-il, sur l'occasion qu'offre ce projet, à la fois pour le rayonnement culturel de notre pays et pour la politique que nous mènerons afin d'accueillir au mieux les visiteurs du Grand Louvre.
Tout d'abord, ce sont les autorités des Émirats Arabes Unis qui sont venues, voilà deux ans, me semble-t-il, solliciter l'appui du musée du Louvre pour la conception de leur musée, ce qui prouve le prestige dont jouissent nos établissements à l'étranger, à commencer bien entendu par le Louvre, qui constitue, comme vous l'avez rappelé, madame la rapporteur, le premier musée au monde par le nombre de visiteurs.
Or le Louvre mène déjà une politique internationale très active. Il offre son expertise, participe à des fouilles archéologiques, contribue par des prêts d'oeuvres à des expositions. À titre d'exemple, en 2005, le Louvre a organisé au Japon une grande exposition consacrée à la peinture française du XIXe siècle, qui a attiré plus d'un million de visiteurs.
En outre, comme vous l'avez souligné à juste titre, madame la rapporteur, le partenariat conclu entre le Louvre et le High Museum d'Atlanta constituait une préfiguration de l'accord que nous examinons aujourd'hui.
Précisons aussi que la France n'est pas le seul pays à engager de tels accords de coopération. La Grande-Bretagne, qui possède elle aussi des musées de renom international, a conclu des accords similaires avec de nombreux États. Par exemple, le British Museum a noué un partenariat avec le musée d'art islamique du Qatar, un État voisin des Émirats Arabes Unis.
Au prestige de la coopération culturelle s'ajoutent les retombées financières tout à fait considérables de cet accord pour la France et les musées français. Mes chers collègues, ce point est fondamental pour le rapporteur du budget de la culture que je suis et que je serai de nouveau dans quelques semaines, quand nous examinerons le budget de ce ministère dans le cadre du projet de loi de finances pour 2008.
Notre pays recevra un milliard d'euros sur trente ans, dont 165 millions d'euros en contrepartie des prestations de service de l'Agence France Museums, 195 millions d'euros au titre des expositions et 190 millions d'euros pour les prêts d'oeuvres, ce qui permettra de moderniser les conditions de fonctionnement du Grand Louvre.
Ces enveloppes financières seront redistribuées par l'Agence France Museums entre les différents établissements qui auront prêté des oeuvres. Le Louvre ne sera donc pas seul à bénéficier de cette manne, même si, je le rappelle, il percevra directement 400 millions d'euros pour l'usage de son nom ainsi que 25 millions d'euros destinés à la restauration du pavillon de Flore, au titre du mécénat.
Ces fonds serviront bien sûr à rénover nos musées, qui en ont besoin : le Grand Louvre est certes un établissement magnifique, mais certaines de ses salles n'accueillent pas le public comme il conviendrait et ne sont pas aussi bien adaptées que nous le souhaiterions à la conservation des oeuvres.
Ils permettront également l'enrichissement des collections, mais surtout leur restauration, d'autant qu'ils seront exonérés de tout prélèvement fiscal - ce point est essentiel -, comme l'État français s'y engage dans l'un des trois accords internationaux que nous examinons aujourd'hui.
Enfin, ces financements aideront à la fois à accélérer l'achèvement du Grand Louvre, dont certaines salles, je le répète, n'accueillent pas le public faute de pouvoir le faire dans de bonnes conditions, et à réaliser le projet Pyramide, qui doit permettre au Louvre de faire face au succès qu'a entraîné, depuis 1989, son extension.
Ils devraient contribuer également à créer en banlieue parisienne un centre commun de réserves pour le Louvre et le musée d'Orsay, entre autres musées, pour faire face à une éventuelle crue de la Seine mais aussi pour participer à la conservation des oeuvres, à leur restauration, à la recherche et à la formation des futurs restaurateurs.
Voilà cinq ans, le Sénat a mis en place une mission d'information sur la gestion des collections des musées, que je présidais et dont Philippe Richert était le rapporteur. Or nous avions constaté que les oeuvres n'étaient pas conservées de façon satisfaisante et que la recherche en la matière était insuffisante. À l'évidence, les sommes qui seront versées en contrepartie de ces accords internationaux permettront d'améliorer la situation.
En dernier lieu, l'accord international confirme la vocation universelle du musée qui sera créé à Abou Dabi et qui réalisera en quelque sorte le rêve d'André Malraux, dont je garde en mémoire les propos sur l'universalité des musées et des oeuvres. Il renfermera des oeuvres de toutes les périodes et de tous les pays, et c'est la France, à travers l'Agence France Museums et ses grands musées, qui aura en grande partie contribué à le mettre en place !
Enfin, je le répète, les Émirats Arabes Unis en général et Abou Dabi en particulier ont décidé de faire de la culture, de l'ouverture au monde et du dialogue entre les civilisations une priorité. Les Émirats comptent deux alliances françaises, quatre établissements d'enseignement français ainsi que, depuis maintenant près de deux ans, une antenne de la Sorbonne.
Mes chers collègues, nous souhaitons tous que se développe le dialogue entre l'Orient et l'Occident, et le musée d'Abou Dabi constitue à cet égard un projet exemplaire. Par là même, il jouera un rôle important en matière de relations internationales et répondra au souci que nous partageons tous de voir cette région du globe s'apaiser.
C'est pourquoi la commission des affaires culturelles recommande au Sénat d'adopter les conventions internationales qui lui sont aujourd'hui soumises. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'autorisation d'approbation des accords conclus entre la France et les Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi aujourd'hui demandée au Sénat fait écho à l'intense polémique qui a agité le milieu culturel au début de l'année.
Si la commission des affaires culturelles a elle-même procédé à des auditions pour entendre les opinions divergentes et connaître les tenants et les aboutissants de cette négociation, ainsi que le contenu des accords - je tiens d'ailleurs à saluer l'initiative de son président, M. Jacques Valade -, je trouve regrettable que nous débattions du projet de musée Louvre Abou Dabi une fois les accords conclus.
En effet, la polémique aurait pu être largement atténuée, me semble-t-il, si le ministère de la culture de l'époque avait pris le temps d'informer de ce projet, avant la conclusion des accords, la représentation nationale et l'ensemble des acteurs culturels, notamment les conservateurs de musée.
Le ministère aurait pu saisir cette occasion pour engager une véritable concertation et évoquer la politique des musées, les projets de coopération internationale, la question des financements et les conditions de circulation des oeuvres.
Aujourd'hui, il nous est demandé d'approuver ces accords a posteriori, d'où un sentiment quelque peu étrange parmi les membres de la commission, car le projet du musée universel à Abou Dabi se trouve déjà engagé.
Au demeurant, ce projet mérite toute notre attention. Comme d'autres, il marque un changement d'échelle dans la politique de coopération internationale des musées. En effet, il ne s'agit pas seulement d'expositions majeures organisées à l'étranger, comme le font couramment les grands musées ; il s'agit d'un projet de coopération globale conçu au niveau international.
Ce qui change, c'est bien sûr l'échelle des opérations, mais aussi la durée des coopérations et l'ampleur politique, économique et culturelle des accords. Or, je le répète, dans ce contexte de mondialisation des musées, où les modes d'accessibilité des oeuvres évoluent, c'est l'absence de débat et de réflexion sur cette mutation qui a conduit à la polémique et fait naître les inquiétudes légitimes des acteurs du monde de l'art quant au devenir des chefs-d'oeuvre de notre patrimoine national.
Ce genre d'opérations pose la question des conditions nécessaires à un travail de coopération culturelle et scientifique de qualité. C'est en ce sens, me semble-t-il, qu'il faut comprendre l'opposition d'une partie des conservateurs de musées à ce projet. Leur réaction traduit d'ailleurs la haute conscience qu'ils ont de leurs missions de conservation, d'étude et de mise en valeur des oeuvres, auxquelles nous ne pouvons que rendre hommage.
Cela dit, comme le note notre collègue Philippe Nachbar dans son rapport, les accords relatifs à Abou Dabi, lorsqu'on les examine, apportent des garanties juridiques fortes, s'agissant du projet culturel et scientifique du musée, de la conservation des collections, de la qualité et de la sécurité des oeuvres ou encore de l'utilisation du nom « Louvre », toutes questions qui ont été au coeur de la polémique.
Comme l'a souligné Philippe Nachbar, les accords se révèlent intéressants également pour le musée du Louvre, puisqu'ils donnent lieu à des contreparties financières d'un montant sans précédent, ce qui est loin d'être négligeable si l'on pense aux projets que le musée du Louvre pourra engager ou poursuivre avec ces financements.
Toutefois, encore faut-il, et cela constitue un motif d'inquiétude, que ces sommes aient vocation non pas à se substituer aux financements de l'État, mais à compléter les efforts que celui-ci consent. II faudra veiller à ce que le Louvre, à côté de l'agence créée à cet effet, soit doté des moyens humains suffisants pour remplir ces nouvelles missions.
En outre, la coopération avec le musée d'Abou Dabi est susceptible d'apporter une contribution significative au financement de l'ensemble des musées français qui accepteraient de s'engager dans le projet, et pas seulement aux grandes institutions parisiennes, via l'Agence internationale des musées de France ; reste que les collectivités locales, qui assurent souvent la tutelle de ces établissements, n'ont pas été réellement informées de ce projet.
On peut regretter d'ailleurs qu'au sein de l'agence aucune place ne soit faite aux musées régionaux ou à un représentant de ces établissements, qui n'ont pas été associés à ces accords et qui ne sont pas non plus impliqués dans le fonctionnement et les décisions de l'agence, alors même que celle-ci pourra leur demander de prêter leurs collections.
Nous ne pouvons contester l'intérêt de ce projet pour le rayonnement culturel de la France. Cet accord constitue d'ailleurs également une reconnaissance internationale du savoir-faire et des collections de notre pays. Il est tout à fait légitime de répondre à une demande d'expertise et d'ingénierie culturelles pour la conception globale d'un musée, et ce genre d'action est même à encourager.
Restent toutefois quelques questions. La première porte sur la localisation choisie pour le musée universel. La décision d'implanter le Louvre sur une « île des Musées », créée pour l'occasion à Abou Dabi, pose problème.
En effet, le site de l'île du Bonheur d'Abou Dabi semble dédié au tourisme culturel haut de gamme, puisque quatre musées, vingt-neuf hôtels, un parc d'attraction, trois marinas et deux terrains de golf y seront implantés, ce qui pose la question des publics susceptibles de profiter de ces oeuvres.
Est-ce que seuls les riches touristes fréquentant ces lieux de loisirs auront accès à ces collections et pourront en profiter ? Quid des populations locales ?
Madame la secrétaire d'État, je note que vous avez évoqué ce problème dans votre propos introductif, puisque vous avez souligné que le projet était destiné à un public international et régional. Toutefois, nous souhaiterions avoir quelques précisions sur ce point.
Le ministère de la culture, quant à lui, insiste sur le sérieux du projet de « district culturel d'envergure mondiale » prévu sur l'île de Saadiyat, qui fera de cette dernière un lieu de rencontres et d'échanges entre les civilisations, la Sorbonne ayant déjà ouvert une antenne à Abou Dabi.
Néanmoins, les accords ne nous disent rien de la politique des publics qui sera menée, alors que le rôle des musées, je le rappelle, est selon nous de faire accéder aux oeuvres de l'esprit le plus grand nombre de citoyens.
Si le dialogue entre les cultures constitue l'une des raisons d'être du musée universel d'Abou Dabi, l'accord aurait pu prévoir la mise en oeuvre d'une politique d'éducation des publics, sous la conduite de l'Agence France Museums, en s'appuyant sur l'expérience accumulée par les musées français en ce domaine.
Nous devons également nous assurer que nos musées, qui font beaucoup pour le rayonnement culturel de notre pays - le Louvre attire chaque année plus de sept millions de visiteurs -, ne se voient dépossédés des oeuvres majeures de leurs collections parce que celles-ci auraient été prêtées et délocalisées pour plusieurs mois au musée universel d'Abou Dabi. On sait que plusieurs chefs-d'oeuvre déposés au High Museum of art d'Atlanta sont restés absents des collections françaises pendant de longs mois.
Le public français se sentirait lésé, tout comme les touristes étrangers, qui s'attendent, en venant visiter le Louvre, à admirer la Joconde, le Radeau de la Méduse ou la Vénus de Milo. Quelle serait leur déception s'ils ne trouvaient pas au musée d'Orsay le Déjeuner sur l'herbe de Manet ou encore la Chambre de Van Gogh à Arles ! Le Louvre et les autres grands musées français perdraient leur réputation et un nombre considérable de visiteurs. Or ce sont trois cents oeuvres émanant des collections publiques françaises - dont une « part raisonnable » est issue de celles du Louvre - qui seront prêtées au cours des trois premières années par les musées français.
À la lecture de ces conditions, nous avons besoin d'avoir des garanties quant à la présence des oeuvres qui font l'originalité, la notoriété et la cohérence des collections des grands musées français.
D'ailleurs, face aux inquiétudes exprimées par certains de nos collègues de la commission des affaires culturelles au mois de janvier dernier et parce que les échanges internationaux d'oeuvres d'art entre les grands musées se multiplieront dans les années à venir, la commission avait évoqué la nécessité de créer une charte déontologique sur les pratiques admises en matière de gestion et d'entretien des collections, en s'inspirant des principes posés par l'UNESCO et le Conseil international des musées, l'ICOM.
Madame la ministre, je souhaiterais savoir si cette charte de bonne conduite a été élaborée ou si elle est en cours de rédaction. En fixant des règles claires, nous rassurerons l'ensemble des acteurs intéressés à la politique des musées. En outre, cette initiative permettrait à la France d'anticiper un phénomène qui, à n'en pas douter, s'amplifiera.
Le monde évolue, les échanges se développent. Il ne s'agit aucunement de se replier sur soi. À n'en pas douter, les partenariats avec les institutions étrangères doivent se diversifier et les coopérations se renforcer. Ce n'est pas moi qui vous dirais le contraire, madame la ministre, et Mme la directrice des musées de France le sait, puisque la ville de Rouen est très active au sein du réseau des musées franco-américains, FRAME. Elle inaugurera d'ailleurs dans deux jours une magnifique exposition intitulée la mythologie de l'Ouest dans l'art américain, 1830-1940, et soutenue par le ministère de la culture, que les villes de Rennes et de Marseille accueilleront ensuite. Mais il faut que ce développement international soit maîtrisé et reste respectueux de l'esprit des Lumières qui a influencé la vocation de nos musées.
Madame la ministre, vous héritez d'un dossier sensible mais passionnant. Nous savons que votre parcours personnel et professionnel vous rend particulièrement attentive à ces enjeux. Je ne doute pas que vous saurez répondre à nos interrogations et rassurer les professionnels des musées, en apportant les garanties culturelles et scientifiques nécessaires à ce projet.
Le groupe de l'Union centriste-UDF souhaite l'adoption de ce projet de loi, parce qu'il confirme l'ouverture de notre politique culturelle sur le monde. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. Pierre Fauchon. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles a eu raison de demander à se saisir pour avis de ce projet de loi, car, à l'évidence, même si l'on n'en sous-estime pas la portée diplomatique, cet accord international a surtout une portée considérable sur l'évolution de notre politique culturelle, tant il innove dans la marche de nos musées nationaux et dans leurs pratiques scientifiques et culturelles.
Levons ici quelques faux procès. Bien sûr, les échanges internationaux des musées sont nécessaires et fructueux sur le plan scientifique et culturel. On ne peut que se réjouir qu'ils sortent des frontières classiques du monde occidental. Les Émirats Arabes Unis et le public potentiel d'Abou Dabi méritent notre coopération tout autant que New York, Berlin, Londres ou Madrid. On ne saurait ignorer les enjeux de notre présence culturelle dans cette région du monde.
De même, nous savons bien que l'argent public se fait rare - et il le sera de plus en plus du fait de la politique économique et budgétaire de ce gouvernement. Nous en sommes conscients : le principe des prêts gratuits a connu depuis longtemps des accommodements par nécessité et bien des expositions bénéficient du mécénat privé.
Pourtant, avec ce projet de musée universel d'Abou Dabi, l'exception devient la règle et le concours financier le moteur, le donneur d'ordre. Ce n'est donc pas une simple évolution, un petit changement. Cette affaire nous oblige à ouvrir un véritable débat sur le sens et l'avenir des politiques culturelles publiques, notamment muséales.
Je vais droit au but. Personnellement, je m'abstiendrai sur ce projet de loi autorisant l'approbation d'accords entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi. En effet, je veux exprimer trois réserves majeures sur la manière dont ce projet a été conduit.
Premièrement, il a été élaboré dans des conditions de non transparence - presque de secret - très contestables, qui devaient inévitablement faire polémique - ça n'a pas manqué ! -, créer le soupçon et susciter la crainte d'une marchandisation des collections nationales.
Deuxièmement, le sens de l'opération reste peu clair, et l'habillage séduisant du « dialogue des civilisations » est un alibi qui ne peut faire illusion : la vraie nature de cette opération est d'abord financière.
Troisièmement, cet accord hors du commun opère de fait, par le changement d'échelle et la durée du projet, un tournant préoccupant de notre politique muséale.
Je ne m'attarde pas sur la première réserve que je viens d'émettre, qui porte sur la manière dont a été menée la négociation, dans une parfaite opacité et avec une rarissime vélocité. Au lieu d'associer les acteurs compétents, y compris le Parlement, on a réussi à éveiller tous les soupçons et à susciter toutes les résistances.
En revanche, et c'est ma deuxième réserve, j'insiste sur la véritable nature de cette opération. On ne peut qu'applaudir à la vaste ambition du futur musée universel d'Abou Dabi, « cornaqué » par nos spécialistes français : confrontation et dialogue des cultures à travers les temps et les continents. Il nous faut souhaiter son succès. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit pour la France d'un vaste projet financier, avec des partenaires qui en ont les moyens. Tel qu'il est présenté, le projet devrait être lucratif, donc bénéfique pour les musées de France, dont les besoins sont vastes, si l'État respecte son engagement de leur en reverser tous les gains sans amputer d'autant son propre financement. C'est donc une affaire qu'il faut suivre.
Évidemment, cela n'a d'intérêt que pour les grands musées, dont les activités sont rentabilisables grâce à leur excellence et à leur notoriété. C'est le cas du Louvre de façon exemplaire, au point que l'on peut entendre parler de la marque ou de la griffe « Louvre ». On est en plein business et en pleine exploitation médiatique, ce qui a permis à un ardent défenseur du projet de déclarer : « Soyons clairs : la société du spectacle et l'ordre marchand dirigent le monde dans lequel nous évoluons depuis des décennies. [...] Si nous refusons cette réalité, d'autres s'empresseront alors d'augmenter leur assise culturelle et scientifique dans le monde à notre place... » Voilà un argument typique de la compétition internationale commerciale ! Nous sommes bien loin du « dialogue des cultures ». Le rôle de l'argent privé ou étranger dans les politiques publiques est un sujet sérieux. On ne peut le laisser sans bornes. Il faut trouver la juste mesure entre une pruderie dont l'État n'a plus les moyens et une dépendance incompatible avec l'intérêt général.
J'en viens à ma troisième critique, la plus fondamentale à mes yeux. Avec l'accord d'Abou Dabi, il y a bien plus qu'un changement d'échelle : il s'agit d'un changement de nature de notre politique d'échanges culturels internationaux et, par conséquent, d'un tournant dont je ne pense pas qu'il soit favorable à nos musées.
Ne nous laissons pas éblouir par ce milliard d'euros annoncé. Il nous faut absolument nous interroger sur les termes de la contribution française à la réalisation du musée universel d'Abou Dabi et sur le prix à payer - sans jeu de mots - par nos musées, leurs publics, leurs conservateurs et leurs chercheurs. Le marché est peut-être financièrement équitable, mais est-il culturellement juste ? Je ne le crois pas.
Le ministère de la culture, par l'intermédiaire de son précédent ministre, et le président-directeur du musée du Louvre ont préempté pour une très longue durée, jusqu'à trente ans, les moyens des principaux musées : on ne voit pas très bien alors comment les responsables de ces établissements en garderont la maîtrise culturelle et scientifique. Pourquoi ne pas avoir étudié un engagement de moins longue durée ?
En vertu de l'échéancier de l'accord, ce sont des oeuvres majeures qui sortiront pour des durées bien plus importantes que dans la pratique des prêts temporaires. De ce fait, elles ne pourront être ni exposées, ni prêtées aux musées en région, ni échangées avec d'autres partenaires à l'étranger. Mais c'est aussi la compétence des spécialistes français engagés dans l'opération qui sera durablement soustraite à leurs équipes d'origine.
Je relève d'ailleurs une contradiction dans la politique de l'État.
D'une part, depuis quelques années, on prône à tout va l'autonomisation des musées, qui sont transformés en établissements publics et se considèrent de plus en plus comme des entreprises autonomes et leurs présidents comme des P-DG du privé. Est-ce bien là le service public ? Parallèlement, on n'a pas cessé de rogner le rôle de la Réunion des musées nationaux, la RMN, qui fut le pivot de la mutualisation et de la cohérence du réseau.
D'autre part, dans le même temps, on lance cette opération d'Abou Dabi en y impliquant avec le Louvre les principaux musées nationaux, de la façon la plus autoritaire, la plus directive, la moins concertée. Et on invente une structure ad hoc dont, à dire le vrai, on sait peu de choses, l'agence internationale des musées de France appelée Agence France Museums, qui associe douze établissements appelés à apporter leur concours - il faudrait dire à louer leurs oeuvres et leurs services - au futur musée universel. C'est donc le meilleur des richesses et des compétences en la matière qui est ainsi mobilisé. On souhaiterait que ce souci de synergie et de convergence inspire la politique hexagonale des musées. Ma foi, si l'expérience d'Abou Dabi peut susciter de l'émulation, on s'en félicitera.
Cette nouvelle agence a un pilote, le Louvre, qui détient plus d'un tiers des actions, et onze petits soldats, détenant chacun vingt actions symboliques, sommés de suivre le mouvement. Dans le choix de la forme juridique d'une société par actions simplifiée, on reconnaît bien ce mirage permanent du privé et l'obsession d'échapper aux règles du service public.
Cela soulève bien des questions. Quel sera le statut des fonctionnaires des musées lorsqu'ils apporteront leur concours ? Quel sera le mode de leur rémunération ? Quelle sera leur responsabilité dans la définition des orientations du futur musée ? Tout cela semble s'installer dans un flou qu'auraient pu lever les promoteurs du projet s'ils en avaient pris le temps.
On ne peut que sourire lorsque ceux-ci affirment sans rire que « pour éviter tout risque de conflit d'intérêts, les conservateurs français fixeront les orientations et la politique d'achat du futur musée, mais ne participeront pas à la politique d'acquisition des oeuvres ». La frontière est bien mince, et l'étroitesse du marché de l'art, lorsqu'il s'agit d'oeuvres majeures du patrimoine mondial, rend cette distinction bien fragile.
Les opérateurs sauront-ils donc préserver l'intérêt de nos propres musées et continuer d'en enrichir les collections ? Comment admettre que, pour avoir posé ces questions, deux des plus éminents spécialistes des musées, Mme Françoise Cachin et M. Michel Laclotte, aient été brutalement « congédiés » par le précédent ministre de la culture, votre prédécesseur, madame la ministre ? Cela prouve qu'il était vraiment à court d'arguments !
Je comprends tout à fait la demande des Émirats Arabes Unis, qui cherchent à acquérir le meilleur appui pour leur projet. Mais j'ai le sentiment que le ministère de la culture et le Louvre sont allés au-delà de ce qu'exigeait une juste coopération. Dans un pays champion de « l'exception culturelle », il y a là une concession à l'air du temps, celui de l'argent roi. Pour ma part, je ne peux y souscrire et je rappelle que je m'abstiendrai, comme le feront d'ailleurs certains de mes collègues, notamment Louis Mermaz, qui m'a demandé de le préciser. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme nous tous dans cet hémicycle, je suis favorable à la circulation des oeuvres, à la rencontre, à la confrontation, au partage de tous les éléments qui constituent la culture, singulièrement les oeuvres d'art. Mais je n'oublie pas ce que disait si bien Octavio Paz : « Le marché - sous-entendu l'argent - est efficace, soit, mais il n'a ni conscience ni miséricorde. » Or, selon la tradition, non pas au sens passéiste, mais au sens de se souvenir de l'avenir, du travail muséal en France, c'est précisément la conscience et la miséricorde. Je voulais vous faire part de cette remarque dès le début de mon propos.
Voici donc inscrite précipitamment à l'ordre du jour d'une session extraordinaire - pardon du peu ! - la ratification de trois conventions signées entre la France et les Émirats Arabes Unis le 6 mars dernier relatives au projet du Louvre Abou Dabi, qui a été préparé sans concertation aucune, y compris professionnelle, en grand secret pendant des mois.
Si plus de 5 500 personnalités du monde de l'art français et étranger n'avaient pas signé l'appel intitulé « les musées ne sont pas à vendre », on se serait cru comme dans le secret-défense. Pourquoi ce secret alors que d'aucuns soutiennent que ce projet est si bien, si beau, si bon ? Je vais essayer de démontrer que la réalité est tout autre.
Ainsi, en résumé, les Émirats Arabes Unis, bourrés de pétrole - il faut le rappeler -, friands d'armement et acheteurs programmés de quarante Airbus, achètent sur trente ans la marque Louvre pour nommer un musée devant être construit à Abou Dabi sur l'île de Saadiyat réservée à la gentry locale, régionale et internationale, mais inaccessible au petit peuple et aux classes moyennes arabes.
Mme Nathalie Goulet. Il n'y en a pas !
M. Jack Ralite. Ce faisant, le Gouvernement a suivi les préconisations d'un rapport sur « L'économie de l'immatériel », remis à Thierry Breton le 23 novembre 2006, rédigé par une commission dominée par les inspecteurs des finances, au nombre de sept, par les industriels, au nombre de neuf, dont Maurice Lévy, président du directoire de Publicis, et ne comprenant qu'un seul artiste.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. L'un d'eux est devenu ministre !
M. Jack Ralite. Certes, mais il s'agissait non pas d'un artiste, mais d'un inspecteur des finances !
Toute la stratégie de l'accord signé le 6 mars est déjà développée dans ledit rapport : on y parle « d'amortissement du capital humain » et de « mettre les acquis immatériels au service de l'économie ». Les musées y sont traités par le menu et en parfaite contradiction avec le code de déontologie de l'ICOM, l'organisation internationale non gouvernementale des musées et des professionnels de musée, code adopté à l'unanimité de ses 21 000 membres présents dans 146 pays.
On lit dans le rapport Lévy-Jouyet, sous l'intitulé « Saisir l'importance de l'image de la ?marque France? pour notre croissance économique », page 123 : « Recommandation n° 10 : [...] autoriser les musées à louer et à vendre certaines de leurs oeuvres [...] Les oeuvres des établissements devraient être classées en deux catégories (les trésors nationaux et les oeuvres libres d'utilisation). Les oeuvres libres d'utilisation devraient être inscrites à l'actif des établissements et être reconnues aliénables. » Je trouve que c'est une magnifique définition de l'entreprise, comme vient de le dire si justement Catherine Tasca. C'est la chosification des oeuvres d'art et leur transformation en produits.
Je fais cette citation pour une raison qui devrait nous « enrager », je n'hésite pas à utiliser ce mot. Ainsi, le 5 mars, j'ai assisté au ministère de la culture à la remise d'une décoration à l'un de mes amis par l'ancien ministre M. Donnedieu de Vabres. Alors que je saluais ce dernier qui allait signer les trois accords précités le lendemain, je lui ai fait la remarque suivante : « Monsieur le ministre, puissiez-vous ne jamais regretter votre signature du 6 mars. » Il m'a répondu ne pas partager le même point de vue et que j'avais sans doute noté que dans le contrat ne figurait pas l'application du passage relatif à la vente des oeuvres que je viens de vous lire. « Pour combien de temps ? » lui ai-je alors demandé, propos que j'ai repris dans un article le lendemain.
Eh bien ! nous y sommes et, de surcroît, devant le Sénat, où la question du patrimoine et des musées est toujours suivie avec une attention scrupuleuse. Je veux, en cet instant, mes chers collègues, simplement vous lire un extrait de la lettre de mission adressée par M. le Président de la République à Mme la ministre de la culture et de la communication, Mme Christine Albanel, dont je me félicite de la présence : « Vous [...] engagerez une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections ».
Alors que nous allons être appelés à voter ce projet de loi, vous constatez que des idées, qui, je suis certain, choquent nombre d'entre vous, sont en train de cheminer dans des courriers qui sont essentiels pour la culture.
Et le signataire poursuit, pour garantir son propos à Mme la ministre, « vous nous proposerez des indicateurs de résultat dont le suivi sera conjoint. » Élysée, Matignon, Bercy, ministère de la culture : c'est une première ! C'est une manière de tenter de supprimer le ministère de la culture dont les artistes ont imposé le maintien au printemps.
Il faut savoir que l'idée d'inaliénabilité des oeuvres a été imposée au xiie siècle, à l'époque des rois de France qui rêvaient de devenir absolus - ce qui fut le cas plus tard -, par les juristes royaux. Cet acquis historique marque toute notre tradition.
Par le passé, des choses heureuses ont été créées. Pourquoi vouloir les remettre en cause ?
Le patrimoine, c'est-à-dire la création de l'histoire, est en danger, tout comme la création contemporaine, dont la lettre présidentielle indique qu'elle doit « favoriser une offre répondant à l'attente du public » avec « obligation de résultat et non-reconduction automatique des aides et des subventions ».
J'étais à Avignon, samedi soir, pour fêter, avec cette ville et la Maison Jean Vilar, le soixantième anniversaire de la « Semaine d'art en Avignon », créée en 1947 par cet homme de théâtre, avec la coopération de peintres et de poètes ; je pense notamment à René Char. Jean Vilar avait bien raison d'évoquer dans un écrit à André Malraux, le 17 mai 1971, le « mariage cruel » entre le pouvoir et l'artiste.
Les artistes se sont exprimés sur cette question. Jean Vilar disait : « Il s'agit aussi de savoir si nous aurons assez de clairvoyance et d'opiniâtreté pour imposer au public ce qu'il désire obscurément ; ce sera là notre combat. » René Char, quant à lui, déclarait : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? » Braque indiquait : « L'art est une blessure qui devient une lumière. » Apollinaire, enfin, écrivait : « Quand l'homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. » C'est cela la création !
Lundi, Le Parisien titrait : « Comment les musées ont appris à gagner de l'argent ». On ne peut pas leur en faire le reproche. Mais ils doivent surtout avoir la possibilité d'acheter, de montrer et de provoquer la rencontre la plus massive possible.
Le même quotidien évoquait « 90,3 millions de chiffre d'affaires » et au-dessus d'une photo d'un haut responsable du Patrimoine figurait le titre Celui qui a redressé la maison ; et le journaliste écrivait : la culture est sa passion, mais une forte dose de technique financière lui permet de garder la raison. (M. Gérard Le Cam applaudit.)
M. Pierre Fauchon. Heureusement !
M. Jack Ralite. Selon Saint-John Perse, « la poésie, c'est le luxe de l'inaccoutumance. » De nos jours, on présente le contraire, dans un journal populaire, comme étant le sommet des sommets, lorsqu'on aborde la création.
Voilà quelques jours, j'étais, comme vous, madame la ministre, à l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine, réalisation remarquable. En d'autres temps, on aurait valorisé le rôle joué par le ministère. Aujourd'hui, on parle de partenaires fondateurs. Bien sûr, le ministère en fait partie, mais il y a également Bouygues Immobilier et Vitra. Ce n'est pas sans conséquence ! Les fondateurs, en général, ont envie de s'occuper de leurs enfants.
M. Pierre Fauchon. Les Médicis étaient des banquiers !
M. Jack Ralite. Je prendrai un autre exemple. Je sais bien que des mouvements de personnel ont lieu parmi les cadres de l'État, mais il me semble curieux que l'ancien directeur de cabinet de M. Aillagon, après avoir exercé des fonctions à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ait été nommé directeur de Sotheby's France, lieu où l'on vend aux enchères le patrimoine.
Est-ce cela la création ? Non ! La création, c'est celle dont je viens de parler à travers les mots des artistes.
M. Paul Blanc. Et la musique !
M. Jack Ralite. Mon cher collègue, je pourrais vous citer Pierre Boulez : toute oeuvre nouvelle est le fruit d'une contradiction entre le passé et l'avenir.
Tous les artistes, quels qu'ils soient, savent à quel point sortir de soi, de l'intimité, de la nature, de l'histoire, les oeuvres fait souffrir. Mais c'est la vente qui intéresse les marchands, pas la création !
M. Pierre Fauchon. Et les mécènes ? S'il n'y avait pas de mécènes, il n'y aurait pas d'art !
M. Jack Ralite. Il y a des mécènes !
M. Pierre Fauchon. Les mécènes sont des marchands !
M. Jack Ralite. Mais il ne faut pas qu'ils deviennent rois ! Or ils sont en train de prendre le pouvoir avec les financiers.
M. Pierre Fauchon. Voyez la Renaissance ! Et les Médicis !
M. Jack Ralite. Bien sûr, les accords soumis aujourd'hui à ratification pourraient faire l'objet d'un long débat, mais je ne m'étendrai pas, car Mme Tasca a fort bien exprimé les choses telles que je les ressens. Pour autant, je ne sous-estime pas le travail de Mme le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
J'ai tenu à rapporter les paroles des artistes, car elles se dressent contre le nouvel esprit des lois, porté par le Président de la République. Dans le discours que celui-ci a prononcé lors de l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine, il a déclaré : « Je ne suis pas partisan d'une conception utilitariste de la culture. Je ne crois pas que la culture soit une simple marchandise. C'est pour eux-mêmes qu'il faut soutenir le théâtre, la musique, le patrimoine, l'architecture, le cinéma, pour ce que l'art et les artistes nous apportent comme sens, comme espérance et tout simplement comme plaisir. La culture ce n'est pas ?un supplément d'âme?, c'est l'âme même de la civilisation. »
Je suis d'accord, mais pourquoi le Président de la République impose-t-il le contraire lorsqu'il s'adresse à Mme la ministre de la culture, dont j'ai vu le travail tant à l'Élysée qu'à Versailles ? Pourquoi le Président de la République dit-il une chose et son contraire ? C'est ainsi que le secret est favorisé.
Dans ma ville, Aubervilliers, à l'occasion des lundis du Collège de France, le professeur de l'université La Sapienza, à Rome, Predrag Matvejevic, a soutenu l'idée selon laquelle nous avons un héritage, nous devons le défendre et, dans un même mouvement, nous devons nous en défendre. Autrement, nous aurions des retards d'avenir, nous serions inaccomplis.
Pour ma part, je ne veux pas que la France, dans quelque domaine que ce soit, d'ailleurs, ait des « retards d'avenir », des citoyennes et citoyens « inaccomplis ». René Char a, un jour, lancé : « L'inaccompli bourdonne d'essentiel. » Quel beau programme !
Ce devrait être cela, la politique de la création contemporaine, de la conservation de la création ! Cependant, elle ne figure pas dans les textes à voter. Elle est combattue dans la lettre stratégique de l'Élysée, qui éclaire des directions fondamentales de la politique gouvernementale voulue par M. Sarkozy.
Adopter ce projet de loi consisterait, ni plus ni moins, à demander aux parlementaires d'adouber un projet gouvernemental empreint d'une logique commerciale, élaboré sans concertation aucune, alors qu'il va bouleverser fondamentalement le rapport de l'État et de la société au patrimoine public et à sa gestion en introduisant du payant là où régnaient la gratuité et la coopération, une sorte de dictature de l'occasion là où devraient régner la permanence et la responsabilité.
Qui ne peut soupçonner alors que se creuse ainsi une entaille dans l'engagement public en faveur de la culture, une brèche pour un désengagement gouvernemental sous couvert d'une démocratisation qui, en fait, n'est qu'une marchandisation de la culture ?
Dans ce contexte, la convocation d'André Malraux, que j'entends évoquer souvent en ce moment, est un véritable reniement, une gifle assenée à sa pensée lorsqu'il a, par exemple, écrit, dans le Musée imaginaire : « Le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l'homme ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.
M. Louis de Broissia. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que M. Jacques Ralite ne m'en veuille pas si, empreint d'une éducation gaulliste et marqué par André Malraux, je n'ai retenu, dans la lettre de mission envoyée par M. le Président de la République à Mme la ministre de la culture et de la communication le 1er août, que le rappel du discours qu'André Malraux prononça en 1959, lors de la création du ministère des affaires culturelles.
Les mots d'André Malraux - « rendre accessible les oeuvres capitales de l'humanité » et « assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel » - résument bien, à mon sens, l'esprit dans lequel nous allons examiner et, pour ce qui concerne le groupe de l'UMP, voter ce projet de loi.
Ce texte consiste à offrir, à la demande des Émirats Arabes Unis - d'ailleurs, comment dire non à des hommes et à des femmes d'une autre civilisation désireux d'avoir accès à notre culture ? - l'expertise et le soutien des principaux musées français à ce grand projet de création de musée universel, ce pendant une période de trente ans. Je ne partage pas, madame Tasca, votre vision un peu fermée de l'expertise française dans le monde, bien que je vous apprécie par ailleurs.
En s'associant à une entreprise d'une telle dimension, la France confortera son effort de démocratisation universelle de la culture et renforcera les perspectives de sa diplomatie culturelle. Cette dernière présentera ainsi, de façon moderne, un aspect nouveau, franc et honnête.
La démocratisation culturelle consiste, selon nous, à rendre la culture accessible à tous, à permettre au plus grand nombre de découvrir les trésors du patrimoine culturel national et mondial sous toutes ses formes : aujourd'hui, il s'agit des beaux-arts ; demain, dans d'autres traités, il sera question du cinéma, de l'audiovisuel, de l'écrit, des spectacles vivants et de la musique.
Permettre à d'autres États d'accéder aux trésors culturels français est porteur pour la culture française. Bien que l'exportation culturelle telle qu'elle est prévue par cet accord constitue une approche nouvelle, elle n'en demeure pas moins exigeante, et nombreuses sont les garanties apportées. Cependant, je partage l'avis de Mme le rapporteur sur la nécessité d'un contrôle parlementaire de la commission des affaires étrangères, de celle des affaires culturelles et de celle des finances. Je pense, madame la ministre, que vous nous donnerez satisfaction sur ce point.
Le gouvernement des Émirats Arabes Unis a fait appel à la France, en premier lieu, pour la conception et la réalisation du musée lui-même.
Il est à noter que la dimension universelle du musée est née sous l'impulsion française. Et nous ne pouvons que féliciter les experts français, les conservateurs, les historiens d'arts, d'avoir soutenu ce projet.
La seconde partie du projet prévoit que, durant dix ans à compter de l'ouverture du musée, et dans l'attente qu'il ait constitué sa propre collection, des oeuvres du Louvre et d'autres musées nationaux, voire provinciaux, seront prêtées pour deux ans afin d'être exposées par rotation dans ce musée universel.
M. le rapporteur pour avis l'a rappelé : aujourd'hui, seuls 10 % à 15 % des collections françaises sont exposés dans les musées, la grande majorité d'entre elles étant conservée dans les réserves des musées, ce dans des conditions évidemment excellentes. Ces prêts ne devraient concerner que trois cents oeuvres pas an et seront toujours à durée déterminée.
Par ailleurs, permettez-moi de rappeler que de tels prêts existent déjà depuis longtemps. Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, le musée des Beaux-Arts de Dijon, le deuxième musée de France après le Louvre - je le dis non sans fierté ! - s'est vu prêter des oeuvres du musée de l'Hermitage de Saint-Pétersbourg. Mes compatriotes n'avaient pas eu le loisir d'aller les voir sur place, au moment où le rideau de fer est tombé.
Toute oeuvre d'art, monsieur Ralite, est une rencontre entre un créateur et un public. Que le public soit le plus élargi possible est pour moi la dimension même de l'art français.
La principale critique dont souffre ce projet porte sur les contreparties financières, sur la marchandisation ; j'ai même entendu parler de « chosification » de la culture.
Certains esprits, légitimement inquiets, y voient une vente déguisée du patrimoine culturel français et vont même jusqu'à imaginer, dans leurs cauchemars, qu'une possibilité serait ainsi offerte aux pouvoirs publics, et à nous, parlementaires, de diminuer les aides aux musées nationaux.
Madame la ministre, je suis sûr que vous les rassurerez et que vous mettrez un terme à ce mauvais procès.
L'Émirat d'Abou Dabi a fait appel à l'expertise technique des conservateurs de musées français afin de développer son projet. C'est un réel sujet de fierté pour notre pays ! Que cette collaboration soit rémunérée ne me choque en aucune façon. Je le dis à Catherine Tasca, avec tout le respect que je lui dois : il s'agit là d'une reconnaissance du génie français ; je préfère le terme « génie » à ceux de « savoir-faire », qui sont la traduction de know how.
Ce génie français des musées est reconnu. Prétendre qu'un expert français qui s'exporterait à l'étranger affaiblirait la France parce qu'il n'y serait plus présent témoigne d'une vision par trop hexagonale de la culture française. Car un expert français qui part travailler à Abou Dabi, à Singapour, en Chine ou au musée Getty enrichit sa culture personnelle et contribue à diffuser la culture française dans le monde.
L'aspect diplomatique de la culture ne peut pas être ignoré. Cette dimension est de tous les temps.
Au sein de notre Haute Assemblée, nous reconnaissons l'importance de la culture, au travers, notamment, de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires étrangères. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt Mme le rapporteur et M. le rapporteur pour avis. Songeons, monsieur Ralite, à l'exemple que donnent les États-Unis, première puissance mondiale : ils ont fait non pas du dollar, mais de la culture, le bras armé de l'ensemble de leur politique dans le monde.
La culture est un outil diplomatique puissant. Je suis persuadé qu'une véritable politique de diplomatie culturelle voit le jour grâce à une ratification comme celle qui nous est proposée.
Les Émirats Arabes Unis sont un État intéressant, sur le sol duquel est mort l'un de nos collègues, un modèle économique exceptionnel fondé sur le pétrole. À l'heure où les pays du Golfe demandent à s'enrichir de la culture française et européenne, c'est une région où la marque Louvre sera bien implantée.
Certains esprits chagrins ont dit que nous allions instrumentaliser la culture. Négliger la dimension culturelle de nos relations diplomatiques serait contreproductif pour notre pays.
Que les Émirats Arabes Unis fassent appel à l'expertise des conservateurs français prouve que la compétence de ces derniers en matière muséale, en matière de conservation, en matière d'élargissement des collections, est mondialement reconnue. C'est un atout supplémentaire ! Nous ne pouvons prendre le risque, bien réel, que ce soit le Prado, le musée de l'Hermitage, le musée Frick, le musée Getty ou la Pinacothèque qui profitent de cette grande aventure culturelle.
La diffusion de la culture française à l'étranger constitue donc un enjeu diplomatique fondamental ; c'est pour nous une nouvelle dimension donnée à notre culture, qui est la culture non pas de la France seule, mais de toute une partie du monde. C'est aussi, et avant tout, un véritable pont entre les civilisations ; je souhaite que nous traversions ensemble ce pont qui va loin, jusqu'à Abou Dabi. Le groupe de l'UMP l'empruntera sans état d'âme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.
M. Yves Dauge. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ferai, moi aussi, une observation sur la méthode générale.
Le 6 mars 2007, la France et les Émirats Arabes Unis ont signé un accord de coopération pour la création d'un musée universel à Abou Dabi. J'ai lu que, trente mois après la signature, une somme non négligeable de 150 millions d'euros devait être versée.
Aujourd'hui, tous ceux qui interviennent dans cet hémicycle, notamment ceux qui, comme moi, ont des questions à poser ou des réserves à émettre, ont le sentiment qu'il est dommage qu'un débat n'ait pas eu lieu avant la rédaction de ce texte, car ce dernier aurait certainement été rédigé autrement. Je note cependant, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, que ce n'est pas vous qui étiez en fonction au moment où cette opération a été lancée.
Je remercie d'ailleurs Jacques Valade d'avoir bien voulu provoquer le débat que nous avons eu en commission. Celui d'aujourd'hui montre bien que, malgré nos divergences de vues et d'analyses, nous avons tous le désir commun que la France puisse, au travers d'un grand projet, manifester son génie et son savoir-faire.
Cependant, je ressens un sentiment de frustration. À l'heure où nombreux sont ceux qui souhaitent une revalorisation du rôle du Parlement, je ne peux m'empêcher de songer qu'une belle occasion nous était offerte.
Certes, le contexte ne facilite pas les choses. En effet, des inquiétudes se font jour, des suspicions s'expriment par rapport à toute une série d'événements mondiaux. Certaines pratiques se développent dans le monde de l'art, notamment la « franchisation » de grandes institutions. Dans ce monde compliqué, porteur de doutes et d'interrogations, nous devons répondre présents, car nous ne pouvons pas nous permettre de fermer les yeux. Il serait donc souhaitable d'avoir une doctrine claire sur le sujet.
C'est d'ailleurs ce que nous avons dit en commission, cher Jacques Valade. À l'issue des débats, en votre présence, nous avons en effet formé le voeu que, lors de telles opérations, dans la mesure où la France sera amenée à développer d'autres grands projets culturels de par le monde, puisse être rédigé un cahier des charges précisant les règles de conduite et les modalités d'action. Le Parlement pourrait d'ailleurs être sollicité à cet effet.
Pour ma part, j'ai beaucoup regretté que cette affaire ait été conduite sans que, pendant sa « gestation », ni le Parlement ni même les professionnels concernés aient été consultés. Au fond, si nous avons pu nous saisir du dossier et en discuter, c'est à la suite des articles parus dans la presse et des nombreuses signatures recueillies par une pétition.
Nous aurions tous à gagner, dans des affaires aussi passionnantes et passionnées, à développer d'autres types de démarches. C'est une bonne leçon qui nous est ici donnée, et mieux vaut donc revenir sur la gestion de ce projet. Du reste, ce n'est pas parce qu'un accord est signé que tout est bouclé : au-delà de tout ce qui a été dit et même si le texte avait été rédigé d'une autre manière, cette histoire ne fait que commencer !
À cet égard, madame la ministre, il n'est tout de même pas déraisonnable d'espérer que vous voudrez bien tenir compte des nombreuses remarques et préoccupations que nous avons formulées et que vous suivrez de près la manière dont ce dossier évolue.
En l'espèce, sans éluder la question de la valeur même du projet et du génie de la France, je préfère m'en tenir au professionnalisme de la démarche. De ce point de vue, c'est vrai, la France sait conduire et gérer un grand projet, notamment dans le domaine de la culture. Elle en a fait la preuve depuis un certain nombre d'années, depuis le centre Georges-Pompidou jusqu'au dernier exemple en date, le musée du quai Branly ; je pourrais citer bien des réussites sur lesquelles la France a construit sa réputation.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, si ces réalisations ont été d'une grande qualité, c'est justement parce qu'elles ont toutes été élaborées autour d'un projet scientifique et culturel. Or, en l'espèce, à la date d'aujourd'hui, je cherche toujours le projet scientifique et culturel ! Personne ne me l'a montré, personne ne m'a annoncé qu'un accord politique était intervenu. En tout cas, si accord il y a eu, nous aurions apprécié que l'on vienne nous le présenter pour pouvoir en discuter.
C'est là le fond de l'affaire ! Cela m'amène à m'intéresser au texte même de l'accord et, plus précisément, aux articles qui traitent des principes, car c'est autour de ces principes que le projet culturel aurait été construit.
Dans le cas présent, je ne peux m'empêcher de vous faire part de ma stupéfaction.
Ainsi, à l'article 2 relatif aux principes mis en oeuvre, le seul élément fort qui ressort est « l'utilisation du nom du Louvre et, le cas échéant, de sa marque ». Vous parlez d'un principe ! Selon moi, une telle précision n'aurait pas dû apparaître du tout, car je suis très critique à l'égard de la vente de cette marque.
Du reste, je le dis en toute franchise, faire porter le premier point de l'article relatif aux principes de l'accord sur l'utilisation de la marque du Louvre, c'est presque de la provocation ! Si nous avions eu notre mot à dire, nul doute que nous aurions rédigé le texte autrement.
Certes, la critique, sur ce point, est facile, et je ne souhaite pas épiloguer. Je mentionnerai tout de même l'article 5 relatif aux principes convenus pour la conception du Musée. Il y est écrit que la maîtrise d'oeuvre sera « confiée à un architecte de renommée internationale » et qu'elle devra respecter « un très haut niveau de qualité ». Quelle révélation ! Et je pourrais continuer ainsi avec les autres articles.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, honnêtement, tout cela n'est pas du niveau d'un projet qui, nous l'avons tous dit, se doit d'être ambitieux. Ce texte est désolant et ne fait pas honneur au savoir-faire français.
À mon sens, il fallait construire l'accord sur un article fondamental, l'écriture du projet culturel et scientifique. D'ailleurs, M. Loyrette lui-même, lorsque nous l'avons interrogé à ce sujet, lors de son audition, a confirmé que l'accord devait être fondé sur un tel projet.
Cela demande du temps, au moins plusieurs mois, car encore faut-il que les parties parviennent à se mettre d'accord sur l'écriture de ce projet culturel et scientifique. Si vous me dites, madame la ministre, que tout cela est réglé, très bien, n'en parlons plus ! Cependant, comme j'ai pu le constater dans d'autres dossiers, obtenir un accord entre les parties concernées n'est pas une petite affaire.
J'aurais donc prévu un deuxième article, afin de préciser, une fois l'accord obtenu, l'étape suivante à engager, à savoir la programmation permettant de traduire concrètement le projet culturel et scientifique. Croyez-moi, il s'agit d'un tout autre exercice, également très difficile, qui implique, là encore, de trouver un consensus. J'aurais donc imaginé un accord-cadre, prévoyant plusieurs phases et des rendez-vous en cours de route pour s'assurer que toutes les parties cheminent bien ensemble dans la bonne direction.
Enfin, j'aurais élaboré un troisième article relatif au cahier des charges destiné au choix des maîtres d'oeuvre, choix qui n'est pas non plus une mince affaire. Or, je tiens à le rappeler, alors même que la commission des affaires culturelles discutait du sujet sur notre initiative, j'ai découvert un jour, dans le journal Le Monde, la maquette réalisée par l'architecte « de renommée internationale », qui avait donc déjà bouclé le projet : d'après ce que j'ai pu voir, il s'agirait d'une coupole étoilée qui permettrait de voir le ciel au travers.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, de qui se moque-t-on ? Je ne sais pas s'il y a un projet culturel et scientifique. Peut-être allez-vous nous le dire, mais permettez-moi d'en douter ! Si cela a pu être fait si vite, c'est bien, mais, dans ce cas, où est le travail de programmation ? Il est écrit dans le texte que la superficie du musée sera « d'environ 24 000 mètres carrés ». Pourquoi pas 25 000 ?
En l'occurrence, c'est véritablement une caricature de la démarche de grand professionnel sur laquelle nous avons justement fondé notre réputation. Il s'agit là d'une histoire qui n'a rien à voir avec nos compétences et avec ce que nous pouvons apporter à ceux qui nous sollicitent pour élaborer des projets culturels.
Par conséquent, il faut revoir toute cette affaire pour redonner du sérieux à la démarche. C'est encore possible, car, à mon sens, vous avez encore des marges de manoeuvre afin de recadrer ce texte, notamment par des documents complémentaires. Nous sommes un certain nombre de collègues à estimer qu'il faudra nous revoir pour discuter de l'évolution du projet.
Je passerai rapidement sur toutes les questions qui ont été évoquées concernant la gestion du musée. Madame la ministre, vous le savez très bien, le prêt gratuit était la règle ; ce n'est pas vous qui l'avez changée : rappelons-nous le malheureux précédent du prêt au musée d'Atlanta de trois oeuvres pour 5 millions d'euros, qui a fait grincer beaucoup de dents. On continue allègrement dans cette voie ! On nous dit qu'il s'agit de prêts de longue durée, mais ce n'est pas sans nous inquiéter.
J'ai donc encore des interrogations. Cependant, vous l'avez bien compris, il ne s'agit pas d'une condamnation sans appel du projet : je souhaite, avec d'autres collègues, que nous nous remettions à travailler sur ce projet, avec l'ambition que notre pays agisse en grand professionnel et qu'il montre tout son savoir-faire pour conduire des affaires autrement que par une diplomatie qui, en l'occurrence, a choqué un certain nombre de gens compétents. Ces derniers sont prêts à s'engager, mais sur des bases plus claires.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas contre ce projet de loi, mais mes réserves me conduiront à m'abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, difficile exercice, mais aussi témoignage, émotion et symbole, comment voir autrement la programmation de ce texte sept mois jour pour jour après la mort de mon mari à Abou Dabi, le 25 février dernier ? Il a été victime d'une attaque quelques heures après avoir visité le site du futur musée du Louvre.
Nous connaissions très bien cette région du Golfe pour nous y être rendus au moins une fois par mois au cours de ces dernières années. Le moins que l'on puisse dire est que ce projet de loi est d'une grande importance.
Madame la ministre, je dois d'abord vous dire que, sans hésitation, je soutiens votre projet de loi. J'associe à ce soutien mon collègue Joël Bourdin, ici présent, qui est le président délégué du groupe sénatorial d'amitié France-Pays du Golfe, qui intègre donc les Émirats Arabes Unis.
En effet, voilà des années que, dans l'indifférence générale, nous militons pour un renforcement des relations culturelles et universitaires avec cette région du monde, tant il est vrai et patent qu'aucune relation commerciale pérenne ne peut exister sans relations culturelles.
Après la Sorbonne, voilà donc le Louvre dans la péninsule arabique.
Abou Dabi sera une réalisation emblématique, comme l'ont été certaines opérations menées par le Louvre, qui, je tiens à le préciser en réponse à certains orateurs, est déjà intervenu dans la région. Il faut tout de même savoir que, plusieurs fois, il a engagé des opérations itinérantes, notamment au sultanat d'Oman. Je voudrais aussi rappeler l'inauguration en grande pompe, l'année dernière, par Son Altesse l'émir du Qatar, de l'exposition d'art islamique au Louvre, qui a également été la marque de l'intérêt que portent la France et le Louvre à cette région du monde.
Ce musée, comme c'est son rôle, sera un pont entre les cultures. J'ai beaucoup entendu parler de « pont » pendant ce débat. Or, un pont, mes chers collègues, c'est un passage dans les deux sens.
Nous apprendrons donc, je l'espère, à connaître, ici en France, les trésors des musées de l'émirat de Charjah. À cette tribune, je tiens d'ailleurs à rendre un hommage particulier à Son Altesse le cheikh sultan bin Mohammed al Qasimi, dont la famille, depuis des générations, a fait de cet émirat la perle culturelle des Émirats Arabes Unis. Il contribue chaque année aux travaux de l'UNESCO en dotant généreusement le prix de la culture arabe, qu'il a lui-même créé : directement inspiré par l'acte constitutif de l'UNESCO, il récompense les efforts d'un ressortissant d'un pays arabe et d'un ressortissant d'un pays qui ne l'est pas, chacun ayant contribué, par leurs oeuvres artistiques et intellectuelles, au développement et à la promotion de la culture arabe.
Autrement dit, avec le Louvre à Abou Dabi, nous n'apportons pas la culture à une « tribu d'Indiens » qui ne connaîtrait rien à l'art !
Promouvoir la compréhension mutuelle entre les peuples par le biais d'activités qui encouragent non seulement une meilleure connaissance des différentes cultures, mais aussi un dialogue entre elles, telle sera aussi la mission du Louvre d'Abou Dabi.
Je voudrais également saluer les efforts de Zaki Nusseibeh, conseiller du cheikh bin Zayed al Nahyan et, aujourd'hui, conseiller du président cheikh Khalifa bin Zayyed al Nahyan. Son action, reflet de la volonté de Son Altesse, a été, dans ce dossier du Louvre, comme dans celui de la Sorbonne, déterminante.
Je tiens enfin à rendre un hommage appuyé à notre ambassadeur, Patrice Paoli, qui a beaucoup travaillé sur ce dossier difficile, ainsi qu'à son homologue émirien en France.
Vous l'aurez compris, c'est donc avec ferveur que je voterai ce texte, qui fait entrer nos musées dans l'ère de la modernité, dans une zone géographique entièrement anglophone.
Que n'aurait-on dit, au sein de la Haute Assemblée, si l'Émirat d'Abou Dabi avait lancé son projet de district culturel sur l'île de Saadiyat sans y faire figurer de musées français, et notamment le plus prestigieux de tous ?
M. Pierre Fauchon. Tout à fait !
Mme Nathalie Goulet. Il n'y a pas de Belphégor dans ce dossier, madame le ministre ; c'est une opération parfaitement claire, et je ne doute pas de son succès.
Je tiens également à souligner le travail qu'il reste à accomplir dans cette région du monde, que je connais bien pour m'y être rendue régulièrement.
Madame le ministre, il faudrait veiller au recrutement de nos attachés culturels. Ces fonctions sont le plus souvent dévolues à des volontaires internationaux, ce qui interdit l'accomplissement de tout travail à long terme. Le poste d'attaché culturel est un vrai poste, et non un poste au rabais ou une entreprise de recyclage ou de réinsertion pour des amis désoeuvrés en mal d'exotisme.
Je tenais aussi à attirer votre attention sur le très important projet Focus, mené par Culturesfrance, qui a donné lieu à la publication d'un ouvrage présentant des photographies inédites des six pays du Golfe. Ce projet s'inscrit dans une ligne générale de coopération avec l'ensemble de la péninsule arabique, y compris le Yémen.
Je suis convaincue, madame la ministre, que vous ne passerez pas quelques heures seulement à Abou Dabi, comme certains de vos collègues, mais que vous prendrez le temps de visiter les sites importants des Émirats Arabes Unis et, surtout, que vous irez à la rencontre des étudiantes de l'université Zayed, ce qu'aucun ministre français n'a fait à ce jour, alors que Tony Blair ou Bill Clinton y ont passé plusieurs heures. Lorsque l'on parle de coopération culturelle, il faut absolument y associer l'université, sans quoi nos efforts resteront vains.
Je parlais tout à l'heure de pont entre les civilisations. L'Orient est compliqué, polymorphe et d'une richesse inégalée. Je citerai ainsi, pour conclure cette intervention de façon poétique, le sultanat d'Oman, sur les traces de Marco Polo, d'Ibn Battuta et de Sindbad le marin, l'Arabie Saoudite, centre du monde pour les musulmans, où les ruines nabatéennes de Maiden Saleh attestent d'un passé glorieux, les Émirats Arabes Unis et le Qatar, sans oublier Bahreïn, le Royaume des deux mers, la plus grande nécropole du monde, dont l'histoire est liée à la récolte des perles, et où a accosté, en janvier 1842, le premier navire français, une corvette.
Nous n'implantons pas le Louvre Abou Dabi au milieu d'un désert culturel ! Il s'agit non seulement de lancer une opération française, mais aussi d'apprendre et d'échanger.
Le Koweït accueillit Alexandre le Grand sur ces rives.
Il y a enfin le Yémen, dont l'histoire ancienne raconte la visite légendaire de Balquis, reine du royaume de Saba, au roi Salomon.
Je conclurai mon intervention en rappelant un souhait qu'avait mon mari, Daniel Goulet.
Le Président de la République projette, dit-on, une visite d'État au Qatar en janvier. L'organisation, par Culturesfrance, d'une année du Qatar en France serait un bon moyen de mettre le Golfe à l'honneur, sans froisser les susceptibilités des autres États de la région.
Le Qatar est en effet le pays le plus francophile de la région. Des émissions françaises sont diffusées chaque jour à la télévision et à la radio qatariennes, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays du Golfe. C'est la raison pour laquelle le projet Louvre Abou Dabi est aussi important.
Madame le ministre, c'est donc sans réserve que je voterai votre texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous remercier de vos interventions concernant le projet de musée universel d'Abou Dabi, que je considère, pour ma part, comme une très belle aventure.
Mme Goulet et M. de Broissia l'ont rappelé, ce projet sera l'occasion de créer un lien extraordinaire avec ces régions peu connues, dont nous avons une image assez caricaturale, et qui ont leurs propres richesses culturelles. Cette passerelle entre nos deux cultures est valorisante et intéressante en soi.
Tout a été dit par les différents intervenants, mais l'essentiel est que la France a été sollicitée par une région située dans une zone anglophone pour concevoir un musée. L'Émirat d'Abou Dabi a en effet choisi la culture comme vecteur de son rayonnement et s'est tourné vers notre culture pour faire rayonner la sienne. Cette démarche ne pouvait être rejetée.
Cinq musées seront édifiés sur l'île de Saadiyat et il est très important que le Louvre fasse partie de cet ensemble. C'est un bel hommage rendu à notre ingénierie culturelle, à nos savoir-faire, à nos capacités scientifiques et, bien entendu, à l'extrême richesse de nos oeuvres.
On a déjà dit quel était l'intérêt, non négligeable, d'un tel projet pour notre pays : nous allons participer à la conception de ce musée, définir son projet scientifique, diriger la constitution des collections. Nous le laisserons ensuite totalement libre ; ce musée deviendra autonome et nous entretiendrons avec ses responsables des relations plus égalitaires.
Il s'agit d'un très beau projet, en dehors notamment des apports financiers qui sont de première importance pour le Louvre, comme l'indiquent les chiffres qui ont été rappelés.
On croit toujours que le musée du Louvre est achevé et qu'il n'a besoin de rien. Or le Grand Louvre est un projet en devenir permanent. Les apports financiers ainsi obtenus permettront en particulier d'améliorer le projet « Pyramide », qui doit assurer au Louvre de nouveaux espaces et moyens d'accueil et d'information, et de réaliser le déménagement du centre de recherche et de restauration des musées de France, le CRRMF, qui se trouve actuellement dans le Pavillon de Flore, et qui pourra ainsi rejoindre le futur centre de réserves destiné à abriter les collections de plusieurs musées menacés par la crue que nous redoutons tous.
Il s'agit donc d'un projet d'intérêt général non seulement pour le Louvre, mais aussi pour les musées participants. Tous les musées seront en effet libres de collaborer à ce projet ; ils s'adresseront à l'Agence internationale des musées de France ou ils seront sollicités par celle-ci. On peut imaginer, par exemple, que le musée Toulouse-Lautrec d'Albi soit invité à participer à une exposition et recueille, en retour, les moyens nécessaires à l'enrichissement de ses propres collections et à l'amélioration de la présentation des oeuvres ou de l'accueil du public.
Ce qui est très important, c'est que les fonds ainsi recueillis bénéficieront, dans tous les cas, aux oeuvres et au public.
Plusieurs orateurs ont déploré les conditions de secret qui ont présidé à l'élaboration du projet de musée universel. Cette extrême discrétion avait été souhaitée par les Émiratis, qui ne voulaient pas ébruiter cette affaire et qui ont préféré indiquer un chiffre global sans fournir de détails trop précis. Cette longue période de silence a été brisée en janvier dernier, lorsque mon prédécesseur a été auditionné par les membres de la commission des affaires culturelles.
Soyez assurés qu'à l'avenir la plus totale transparence présidera à la poursuite du projet et que les responsables de l'Agence, de même que les services du ministère de la culture, répondront à toutes vos invitations afin de vous informer des développements de l'opération.
Mme Cerisier-ben Guiga a exprimé la crainte que l'État ne profite de cette manne financière pour se désengager. Il n'en est absolument pas question : l'accord est tout à fait clair sur ce point. Les fonds versés ne feront que s'ajouter aux actions déjà menées en faveur des oeuvres, des collections et du public. Ils ne serviront en aucun cas à combler les manques d'un État supposé défaillant. L'État continuera à remplir son rôle.
M. Nachbar a évoqué, en particulier, le nom du Louvre. Il existe un débat, et même une polémique, portant sur le fait que le Louvre reçoit des fonds en contrepartie de l'utilisation de ce nom. Mais ce n'est pas une marque destinée à être vendue, bradée et reproduite sur quantité de produits dérivés ; c'est simplement le symbole même de notre coopération.
Le Louvre ne va pas fermer ses portes à Paris et déménager à Abou Dabi ! Il n'est pas non plus question d'ouvrir une antenne du Louvre à Abou Dabi ; c'est un musée indépendant qui sera construit.
Comme l'a dit Philippe Nachbar, au travers de cette opération, c'est un bel hommage qui est rendu au rayonnement de notre musée universel.
Mme Morin-Desailly a regretté que les collectivités locales n'aient pas été davantage associées, mais une telle coopération était difficile à mettre en place. En revanche, et c'est important, les musées locaux y seront associés et auront toute liberté pour participer aux projets communs.
Vous avez également souligné, madame la sénatrice, que toutes les garanties juridiques et scientifiques étaient réunies. En effet, un comité scientifique de très haut niveau, présidé par M. Henri Loyrette et composé des plus hauts responsables des musées participants, a été placé la tête de ce projet, dont Mme Laurence des Cars, conservateur au musée d'Orsay, est la directrice scientifique.
S'agissant du public, la politique est actuellement à l'étude et sera définie ultérieurement. Le public concerné sera, tout d'abord, les habitants des pays du Golfe, qui représentent une population d'environ 150 millions de personnes, ce qui n'est pas négligeable. Cette « clientèle naturelle » pourra ainsi découvrir une autre culture. Il s'agira, ensuite, des touristes. Nous sommes bien contents, dans les musées français, de recevoir des touristes ! En tout cas, à Versailles, je les accueillais avec grand plaisir.
M. Pierre Fauchon. Vive le tourisme culturel !
M. Louis de Broissia. Il n'y a pas que le rugby ! (Sourires.)
Mme Christine Albanel, ministre. Mme Morin-Desailly s'est également interrogée à propos de la charte déontologique élaborée par la Direction des musées de France. Cette charte est disponible sur Internet. Elle a été transmise à toutes les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, ainsi qu'aux conservateurs de musées.
Mme Tasca a tenu des propos très sévères et je ne partage pas sa vision quelque peu caricaturale : les motivations du projet sont exclusivement financières ; il s'agit, en fait, de faire payer une marque ; les établissements et les conservateurs perdront de leur pouvoir et nous allons assister au départ des meilleurs talents et des oeuvres les plus importantes, sans que personne ne puisse s'y opposer. Ces propos sont très exagérés et, si tel était le cas, ce serait très grave. Mais c'est inexact.
Je rappelle les chiffres : environ 30 000 oeuvres sont prêtées par an par les musées français. S'agissant du seul projet Louvre Abou Dabi, 300 oeuvres, puis 200, seront prêtées. On voit bien dans quelle proportion nous nous situons ! Par ailleurs, il est précisé expressément dans l'accord que les oeuvres les plus emblématiques, les plus identitaires ou les plus fragiles de nos collections ne seront pas prêtées. Enfin, le comité scientifique et les conservateurs veilleront, en tout état de cause, à la préservation des oeuvres, comme ils l'ont toujours fait, me semble-t-il.
Nous ne vivons pas un changement d'époque aussi radical. Certains principes demeurent, en particulier, bien entendu, celui du prêt gratuit de tableaux à des expositions, règle qui s'applique, et c'est normal, dans 90 % des cas.
En revanche, sont présentées, depuis assez longtemps déjà, des expositions livrées « clés en main », expositions qui mobilisent des savoir-faire, une expertise scientifique, une muséographie, et qui donnent lieu à des contreparties.
Jack Lang rappelait, dans un article de Libération paru en janvier dernier, que les travaux de l'Orangerie avaient été partiellement « payés » - à hauteur de 7 millions d'euros - par les collections qui avaient voyagé en Australie et en Extrême-Orient.
De même, l'exposition « Mélancolie », dont le commissaire était Jean Clair, a bénéficié d'une dotation d'environ 700 000 euros à la suite du prêt d'oeuvres de Picasso au musée de Berlin.
J'ajoute d'ailleurs que, lorsque j'étais présidente du château de Versailles, nous avons organisé à Tokyo des expositions, « Les fastes de Versailles » puis « Napoléon », en échange de contreparties qui nous ont permis de restaurer des pièces, de procéder à des acquisitions, d'enrichir nos collections.
Le dispositif mis en place avec le musée universel d'Abou Dabi ne constitue donc pas, en réalité, une telle nouveauté et je ne crois pas du tout qu'il soit la marque d'un changement d'époque ou d'un changement de nature de la pratique des prêts d'oeuvres.
Nous serons du reste très attentifs à ce qu'il n'y ait aucune dérive.
Je rappelle en outre que nous restons dans des durées brèves puisque les prêts ne pourront excéder deux ans, alors que les dépôts entre musées portent souvent sur des périodes allant jusqu'à cinq ans.
M. Ralite a regretté, de manière générale, la place de l'argent dans notre économie culturelle. Pour ma part, je considère comme normal que les ressources privées et les ressources publiques se conjuguent. Il ne faudrait pas, en effet, qu'il y ait un désengagement complet de l'État, mais j'estime que l'engagement de l'État peut être utilement complété par le mécénat et des soutiens privés.
M. Ralite a par ailleurs fait allusion à ma lettre de mission, qui n'a pas directement trait au musée d'Abou Dabi : elle traduit surtout l'exigence de mener une politique en direction du public et de s'engager dans des démarches de contractualisation avec des objectifs clairs, en prévoyant pour la suite des « rendez-vous » qui permettront de faire le point sur ce qui a été réalisé et de procéder à des échanges.
Je me réjouis que M. Ralite ait cité Jean Vilar, car j'adhère évidemment à son grand rêve, qui était de rendre les oeuvres et les théâtres « populaires », mot que, comme lui, je ne considère pas comme un mot vulgaire.
M. de Broissia a rappelé le beau rêve de Malraux - rendre les oeuvres accessibles à tous - et il est vrai que les projets au long cours tournés vers l'étranger comme celui d'Abou Dabi sont aussi une façon d'aller au-devant de publics nouveaux.
M. de Broissia a parlé de « diplomatie culturelle », notion qui me paraît aussi extrêmement importante et très prometteuse.
Enfin, M. Dauge a regretté que le débat n'ait pas eu lieu plus tôt, mais il a aussi souligné - et, en cela, il a tout à fait raison - qu'il s'agissait d'un projet en devenir : nous sommes au début de l'aventure. Je rappelle à ce titre que l'accord était applicable dès sa signature.
L'agence chargée de mettre ce projet en oeuvre a changé de statut juridique : c'est maintenant une société anonyme simplifiée,...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est très important !
Mme Christine Albanel, ministre. ...ce qui paraît répondre au souhait des Émirats Arabes Unis, qui ont eux-mêmes fondé une agence.
Elle a par ailleurs été recentrée sur ses missions. Nous voulions éviter qu'elle ne devienne une « usine à gaz » et en faire une structure réellement opérationnelle, qui comporte dans son conseil d'administration les musées, afin que ceux-ci participent non pas en dépit d'eux-mêmes, mais en étant véritablement engagés dans l'aventure. Quant à l'État, il joue le rôle d'observateur, de censeur et de régulateur. Toutes ces évolutions sont positives.
Le projet scientifique et culturel, qui est en cours d'élaboration sous la houlette de Laurence des Cars, sera achevé en décembre.
Ce projet, qui pourra, bien sûr, être remis au Sénat et, en particulier, à sa commission des affaires culturelles, viendra enrichir le projet de Jean Nouvel, qui, à l'heure actuelle, n'est en réalité qu'une esquisse. Ce n'est qu'ensuite que nous disposerons du projet définitif de Jean Nouvel. Il me semble que cette façon de procéder est de nature à rassurer les uns et les autres.
Il est vrai qu'au début - j'étais alors présidente du château de Versailles - on s'interrogeait sur le format et sur les fonctions de l'agence. Depuis que nous l'avons reconfigurée, la nouvelle agence donne toute satisfaction. Une délégation s'est rendue dans les Emirats Arabes Unis dès le lendemain de sa constitution pour expliquer la nouvelle démarche et ce geste a été très apprécié par les Emiriens.
Le projet est donc très bien parti et l'Émirat d'Abou Dabi comme la France devraient en tirer de nombreux avantages réciproques, notamment en termes d'échanges et de rayonnement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatif au musée universel d'Abou Dabi, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
M. Ivan Renar. Le groupe CRC s'abstient !
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Est autorisée l'approbation de l'accord additionnel à l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatif au musée universel d'Abou Dabi portant dispositions fiscales, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
M. Ivan Renar. Même motif, même punition : abstention !
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Est autorisée l'approbation de l'accord additionnel à l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats Arabes Unis relatif au musée universel d'Abou Dabi portant dispositions relatives à la garantie des États Parties, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis de ceux que désole quelque peu le cortège de lamentations qui accompagne le vote du présent projet de loi.
Pour ma part, j'aborde ce texte avec confiance et même avec enthousiasme, car il a un caractère novateur et permet de constater que le vaste phénomène de la mondialisation, dont on regrette souvent qu'il ne concerne que des échanges de biens industriels médiocres ou purement utilitaires, s'étend aux oeuvres d'art et à la culture.
Que la France soit invitée à jouer un rôle actif sur ce plan, je crois qu'il faut en être fier ! Ce n'est ni aux Américains ni aux Anglais, qui ne sont pourtant pas les derniers venus en matière de musées, mais aux Français que l'on a demandé de concevoir ce projet. (Applaudissements sur des travées de l'UMP.)
Alors, bravo, tant mieux, allons-y ! Et allons-y vaillamment, avec toute notre intelligence et avec les oeuvres dont nous disposons, qui, entre nous soit dit, sont tellement nombreuses qu'il nous est aisé d'en prêter.
Si nous pouvons, de surcroît, y trouver quelque argent dont nous avons grand besoin, quoi de plus légitime ? Notre pétrole à nous, ce sont notre culture et nos oeuvres d'art, et qu'y a-t-il de mal à échanger ces richesses ?
Monsieur Ralite, ce n'est pas d'aujourd'hui que les grandes fortunes s'intéressent aux choses de l'art ! Feignez-vous d'ignorer que les Médicis étaient d'abord des banquiers et des marchands de laines, qui se sont d'ailleurs ruinés pour Gozzoli, Botticelli, F. Lippi, et quelques autres artistes ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Ignorez-vous le rôle des grands hommes d'affaires qui étaient aussi de grands collectionneurs ?
Il faut ne pas y être allé pour critiquer les musées de la fondation Calouste Gulbenkian ! Et que dire de la collection Phillips à Washington, de la Morgan Library and Museum à New York, du musée Jacquemart-André, du musée Cernuschi, de la collection Reinhard à Winterthur, du musée Thyssen-Bornemisza, que j'ai encore visité vendredi dernier, à Madrid ? Toutes ces collections,...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Admirables !
M. Pierre Fauchon. ...nous les devons à des hommes d'affaires. Quand un homme d'affaires, au lieu de consacrer ses moyens à des opérations purement mercantiles et à la spéculation - ce qui d'ailleurs est son droit - ou à l'acquisition d'oeuvres qu'il enferme soigneusement chez lui où ne les verront que quelques amis intimes,...
M. Ivan Renar. M. Fauchon s'y connaît en banquiers !
M. Pierre Fauchon. ...se donne le mal de présenter au public ses collections, c'est un bienfaiteur de l'humanité ! Il faut le dire, car, s'il n'y avait que les pouvoirs publics et les services publics pour assurer la survie et la diffusion des oeuvres, où en serait-on ?
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !
M. Pierre Fauchon. Monsieur Ralite, vous devez savoir encore mieux que moi que ce ne sont pas les pouvoirs publics qui ont racheté les Cézanne : ils ne s'y sont pas du tout intéressés et c'est à des collectionneurs que l'on doit d'avoir sauvé l'oeuvre de Cézanne !
Donc, bravo à ces émirs ! Et Mme Goulet a eu raison de féliciter ces véritables créateurs qui, au lieu de dépenser leur argent à la roulette, dans les courses (Rires sur les travées de l'UMP)...
M. Ivan Renar. L'un n'empêche pas l'autre !
M. Gérard Le Cam. À qui ont-ils volé l'argent ?
M. Pierre Fauchon. ...ou dans des spéculations foncières, à Monaco ou je ne sais où, ce qui est d'ailleurs parfaitement leur droit,...
M. Gérard Le Cam. C'est l'argent du travail !
M. Pierre Fauchon. ...ont trouvé le moyen, dans ces espaces que l'on croyait déserts, de créer un ensemble de musées dignes des Mille et une nuits !
On ne peut pas être aussi stupide ! S'ils avaient voulu réserver les oeuvres à un petit cercle d'amis très riches, ils les auraient conservées dans leurs collections privées : s'ils créent un musée, c'est bien entendu pour l'ouvrir au public et je les félicite de consacrer une partie de leur fortune à cette belle action.
Certes, monsieur Dauge, nous n'avons pas tous les détails, mais votre intervention m'a un peu surpris. Bien entendu, je comprends votre curiosité : vous ne percevez pas bien - et moi pas davantage - le projet artistique. Mais enfin, nous sommes des législateurs, nous n'avons pas le pouvoir gouvernemental et nous n'avons pas à entrer dans la définition des projets artistiques !
Il nous appartient de poser des principes et d'autoriser l'approbation d'accords. Avez-vous eu, monsieur Dauge, à approuver le projet artistique du musée du quai Branly ? En ce moment même, on inaugure le musée des Monuments français, après d'ailleurs une vingtaine d'années de fermeture : avons-nous eu à débattre du projet artistique, paraît-il très réussi, de ce musée ? Non, et nous ne nous en plaignons pas. Ne confondons donc pas les missions qui sont les nôtres et celles du Gouvernement !
Pour ma part, je fais confiance aux professionnels que j'ai entendu citer, professionnels dont je connais les qualités et que j'estime beaucoup, comme M. Loyrette en particulier, et je fais confiance au Gouvernement pour veiller à ce que le projet artistique soit une réussite. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de penser qu'il va être bâclé. Ces procès d'intention sont ridicules et abaissent le niveau de réflexion d'une assemblée comme la nôtre.
M. Louis de Broissia. Bravo !
M. Pierre Fauchon. Nous devons voir l'essentiel : dans un ancien désert va naître un pôle de création artistique qui attirera, dans les décennies à venir, des millions de gens qui y trouveront le meilleur des antidotes aux troubles et aux dangers du terrorisme qui caractérisent ces régions.
Pour ma part, je trouve émouvant et magnifique qu'un tel pôle de concorde, de compréhension et de pénétration de notre culture soit créé dans l'une des régions les plus dangereuses pour la paix mondiale. C'est donc bien volontiers que je voterai le projet de loi.
Je m'intéresse d'ailleurs de longue date à la diffusion des oeuvres d'art et je me permets de rappeler au passage, madame la ministre, que le Sénat avait adopté, dans le cadre du projet de loi relatif aux responsabilités locales, un amendement, dont le texte avait été établi en accord et en coopération avec M. Loyrette, pour inviter le musée du Louvre à prêter - et, là, à prêter réellement - en petit nombre, non pas des oeuvres de deuxième ou de troisième catégories, mais des oeuvres significatives à nos musées de province.
Cet amendement prévoyait un rapport d'évaluation sur la mise en application de cette expérimentation et je souhaiterais - je me tourne vers M. Valade - que la commission des affaires culturelles interroge le Gouvernement pour savoir où nous en sommes.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !
M. Pierre Fauchon. Je m'éloigne peut-être un peu du sujet, mais nous sommes toujours dans le même domaine, celui de la diffusion des oeuvres d'art, et je terminerai mon propos en m'adressant à ceux qui craignent de priver les visiteurs du Louvre de la vue de tel ou tel tableau.
Pour ma part, c'est avec bonheur que j'ai constaté, il y a une quinzaine de jours, qu'un tableau que j'adore depuis mes quatorze ans, Les Bergers d'Arcadie, était à Atlanta. Au Louvre, il passe, c'est vrai, sept millions de personnes chaque année, mais, mes chers collègues, je vous invite à étudier l'attitude de ces visiteurs : ils passent, certes, « ils font le Louvre », mais La Joconde mise à part, ils ne regardent presque aucune oeuvre. C'est la triste réalité, ce qui me permet de dire que ce ne sont pas sept millions de personnes qui voient les oeuvres d'art, mais les oeuvres d'art qui voient sept millions de personnes... (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, je n'avais pas l'intention d'intervenir à nouveau, mais les propos tenus à l'instant par notre collègue Pierre Fauchon me conduisent à le faire, de façon très brève, rassurez-vous.
Je pense que dans, un débat comme celui que nous venons d'avoir, il est dangereux de falsifier les positions des uns et des autres. Or, Mme la ministre de la culture elle-même a qualifié mon intervention de « caricaturale ».
Je rappelle que c'est non seulement le devoir, mais aussi le droit des parlementaires de discuter des projets qui leur sont soumis. Or, à aucun moment, l'un de ceux qui ont émis des réserves sérieuses sur ce projet n'a considéré que l'appel à l'argent privé ou que l'intervention du mécénat était en soi le diable. Nous avons bien pris soin, au contraire, de souligner que l'évolution des temps obligeait à l'addition des efforts.
Ce qui nous préoccupe - et ce à quoi, madame la ministre, nous souhaitons que vous puissiez répondre concrètement à l'avenir -, c'est que, dans cette opération, le rapport entre ces efforts nous paraît déséquilibré.
Certes, nous savons que l'État n'est plus en mesure d'assumer seul des projets de cette nature et nous avons soulevé dans nos interventions, tous autant que nous sommes, un certain nombre de questions précises sur la manière dont cette opération, largement financée par un État étranger, allait, d'une part, se mettre en place et , d'autre part, se concilier avec la politique des musées nationaux.
En effet, je voudrais dire à notre collègue Pierre Fauchon, qui s'exprime toujours avec beaucoup de passion, que nous ne sommes pas stupides et que nous ne considérons pas que les mécènes sont des gens incultes, vils ou dangereux !
Nous estimons simplement - ce qui est tout à notre honneur - que, au sein de notre République, il y a place pour l'initiative privée et pour la responsabilité publique, dans un domaine dont nous continuons de penser qu'il ne doit pas être assimilé à un marché ordinaire.
Par conséquent, madame la ministre, nous attendons, par les questions que nous avons soulevées dans ce débat, que vous nous démontriez que la politique publique culturelle peut assumer sa pleine responsabilité à côté de ces diverses sources de financement, qui sont les bienvenues.
M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.
M. Yves Dauge. Mon collègue Pierre Fauchon s'est déclaré un peu surpris de mon intervention. Or, ce que j'ai dit relève du bon sens : la base de l'accord - qui est tout de même de notre compétence - est constituée par le projet culturel et scientifique. Malheureusement, nous signons un accord avant l'élaboration dudit projet.
Vous venez de nous dire, madame la ministre, ce dont je vous remercie, que ce projet serait prêt à la fin de l'année. Pour ma part, je prétends simplement qu'il aurait été sage de commencer par là. Ensuite, le Sénat, en particulier sa commission des affaires culturelles, pourrait éventuellement être consulté - cela ne me paraît pas incongru ! Enfin, le processus serait poursuivi jusqu'à l'aboutissement du cahier des charges et le choix du maître d'oeuvre.
Telle est ma position ; elle est simple et je pense que personne, ici, ne considérera qu'elle est contestataire, voire révolutionnaire. Il s'agit simplement de revenir à un processus normal de gestion d'un grand projet.
J'attends donc avec intérêt le projet culturel et scientifique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
11
Accord avec l'Italie relatif au tunnel routier de Tende
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif au tunnel routier de Tende (n°s 442, 454).
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous soumettre le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord franco-italien relatif au tunnel routier de Tende.
D'une longueur de 3,2 kilomètres, il relie la route nationale RN 204, côté français, à la route nationale SS 20, côté italien.
Il s'agit d'un ouvrage ancien, construit entre 1873 et 1882. Or ce tunnel monotube, avec une voie dans chaque sens, est très étroit et ne répond plus aux normes de sécurité actuellement en vigueur. Dès lors, ses conditions d'exploitation sont de plus en plus difficiles, alors que le trafic moyen journalier annuel atteint un niveau record.
Le 26 novembre 1993, lors du sommet franco-italien de Rome, la France et l'Italie sont convenues de l'intérêt de négocier un accord portant, notamment, sur la reconstruction de ce tunnel afin d'assurer la continuité de la liaison régionale entre les vallées de la Roya et de la Vermenagna. À cet effet, une commission intergouvernementale, CIG, a été instituée.
Cette commission, réunie le 17 octobre 2003, a décidé de constituer un groupe de travail binational chargé de préciser les dispositions techniques de cette infrastructure dans un document d'études commun. Sur la base de ce travail, et après avoir choisi l'une des options techniques, la France et l'Italie ont signé deux accords.
Le premier, finalisé lors du sommet franco-italien de Lucques, le 24 novembre 2006, traite de toutes les dispositions pouvant être mises en oeuvre sans qu'une autorisation parlementaire soit au préalable nécessaire.
Le second, signé à Paris le 12 mars 2007, porte sur la totalité des sujets liés à la gestion unifiée du tunnel et à la réalisation du nouveau tunnel. Il précise, en particulier, les conditions d'exercice de la maîtrise d'ouvrage unique qu'exercera l'Italie pour le compte des deux pays.
Dans la mesure où ce second accord détaille, par ailleurs, les engagements financiers respectifs des deux États, il entre dans le champ d'application de l'article 53 de la Constitution.
L'accord transitoire, signé à Lucques, comporte deux points principaux. D'une part, il précise le rôle de la commission intergouvernementale dans la gestion du tunnel et son action particulière pour la mise au point d'un dossier de sécurité commun et de pratiques communes de gestion. D'autre part, il fonde de manière plus sûre l'existence d'un comité de sécurité et lui donne un mandat clair.
L'accord signé à Paris a vocation à se substituer à celui qui a été finalisé en Italie, et ce afin que le tunnel de Tende ne relève plus que d'un seul texte, complet et cohérent.
Cet accord accompagnera l'essentiel du processus de réalisation du nouveau tunnel, jusqu'à sa mise en service. La maîtrise d'ouvrage de l'opération, y compris pour sa partie située en territoire français, est confiée à l'Italie.
La réalisation de l'ouvrage - 141,2 millions d'euros en valeur 2002 - sera financée à 58,35 % par l'Italie et à 41,65 % par la France, répartis par tiers entre l'État, la région PACA et le département des Alpes-Maritimes.
Le tunnel de Tende offre une spécificité dans son usage non seulement parce qu'il relie l'Italie et la France pour 58,6 % du trafic, mais aussi parce qu'il permet une liaison franco-française par l'Italie entre Menton et Modane et italo-italienne par la France entre Cuneo et Vintimille.
Les coûts d'entretien et d'exploitation sont répartis suivant la même clé, qui pourra, si la structure du trafic venait à évoluer de façon significative, être réajustée tous les cinq ans.
L'objectif principal de l'opération est non d'accroître la capacité sur l'itinéraire, mais d'améliorer la sécurité des usagers. Il définit un cadre de gestion complet, avec un niveau exigeant en la matière. Les conditions de gestion de l'infrastructure actuelle seront significativement améliorées.
Parmi les points les plus importants allant dans ce sens, signalons que la commission intergouvernementale est une autorité administrative et que la gestion unifiée sera confiée à un seul gestionnaire, désigné par l'Italie.
Les compétences en matière de sécurité d'exploitation et de circulation relèvent, côté français, du préfet des Alpes- Maritimes et du directeur général des routes.
L'itinéraire français est en cours de décentralisation : le conseil général des Alpes-Maritimes, qui se substituera à l'État le 1er janvier 2008 pour la partie française du tunnel et de ses accès, est d'ores et déjà associé à la préparation de toutes les phases de décision.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne, relatif à la mise en place d'une gestion unifiée du tunnel routier de Tende et à la construction d'un nouveau tunnel, signé à Paris le 12 mars 2007, et qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Pasqua, en remplacement de M. Jacques Peyrat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre collègue Jacques Peyrat, qui regrette de ne pouvoir être présent aujourd'hui, m'a demandé d'exposer en son nom la position adoptée par la commission des affaires étrangères, à la suite de son propre rapport, sur l'accord intervenu entre la France et l'Italie concernant la reconstruction du tunnel routier de Tende.
La commission a, bien entendu, porté une appréciation extrêmement positive sur ce texte, qui parachève plusieurs années de négociations entre les autorités françaises et italiennes, et qui devrait surtout mettre un terme à une très longue attente des usagers du tunnel de Tende et des populations concernées par cette liaison routière.
Le rapport écrit de Jacques Peyrat fournit un certain nombre de précisions historiques et géographiques permettant de mieux comprendre les particularités de ce tunnel qui, s'il était entièrement italien lors de sa construction et de sa mise en service, est devenu franco-italien lors du rattachement de Tende à la France, en 1947.
Il est à souligner que le tunnel est pratiquement resté jusqu'à ce jour dans son état d'origine et qu'il ne répond plus aux exigences minimales de sécurité, de telle sorte qu'il a fallu instaurer un système de circulation alternée pour les poids lourds et les véhicules larges.
Cette situation ne peut perdurer s'agissant d'un axe routier qui est loin d'être secondaire. En effet, en dehors du passage côtier par Menton et Vintimille, le tunnel de Tende vient immédiatement après les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus en termes de trafic routier entre la France et l'Italie. C'est la voie la plus directe entre Turin, la côte méditerranéenne et la région de Nice.
L'infrastructure nouvelle projetée par les deux gouvernements paraît tout à fait adaptée aux flux de circulation significatifs transitant par cet axe. Les conditions de sécurité seront optimales, puisque le tunnel actuel sera réaménagé et qu'il sera doublé d'un deuxième tube entièrement neuf. Le choix d'une gestion unifiée devrait également renforcer l'efficacité de l'exploitation et de l'entretien de l'ouvrage.
Enfin, il nous semble que le partage du financement -fixé après de très nombreuses années de discussions que je qualifierais de « marchands de tapis » -, à savoir 58,35 % pour l'Italie et 41,65 % pour la France, tient compte assez équitablement des différents paramètres, notamment de l'origine et de la destination des véhicules qui empruntent ce tunnel.
En conclusion, la commission espère qu'un achèvement rapide de la procédure de ratification permettra d'engager les procédures d'appel d'offres et les travaux dans les meilleurs délais, et vous demande en conséquence, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. José Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 1977, alors jeune vice-président du conseil général des Alpes-Maritimes et maire de Tende, j'écrivais dans la revue les Dossiers de l' archéologie un long article sur l'histoire du canton de Tende-La-Brigue à travers les âges, consacrant une partie de mes recherches à la route du col de Tende, ce col qui fut, à travers l'histoire, l'un des portiers des Alpes-Maritimes, sur la ligne de crête, à une altitude de 1871 mètres.
C'est une autre étape de la vie du col de Tende qui nous est proposée aujourd'hui avec l'approbation de ce projet de loi autorisant la ratification de l'accord franco-italien signé à Paris le 12 mars 2007 relatif au tunnel routier de Tende et faisant suite à un premier accord signé à Lucques par Jacques Chirac et Romano Prodi, le 24 novembre 2006, lequel n'est pas soumis à ratification.
Le présent accord, composé de trente-quatre articles, prévoit la création de deux tubes unidirectionnels à une voie, obtenu par le réalésage du tunnel existant, après la réalisation d'un nouveau tunnel à 30 mètres de distance et à la même hauteur, chacun ayant une largeur totale de 6,50 mètres.
Cet accord détermine également que la CIG, c'est-à-dire la conférence intergouvernementale des Alpes du Sud, devient l'autorité administrative unique chargée de superviser la conception technique du tunnel, le dossier d'appel d'offres, ainsi que les principes et conditions d'exploitation, d'entretien et de sécurité, et que c'est à l'Italie qu'est déléguée la maîtrise d'ouvrage de la totalité des travaux.
C'est donc une étape supplémentaire de l'histoire du col de Tende que nous écrivons dans cet hémicycle aujourd'hui.
Mes chers collègues, dès avant l'époque romaine, des sentiers parcourus par les troupeaux en transhumance reliaient la Ligurie maritime aux alpages de la haute Roya.
Au Moyen Âge, cette route, qui prendra l'appellation de « route du sel », sera une préoccupation des comtes de Provence puis, à partir de 1388, des comtes et ducs de Savoie, le comté de Nice étant passé de la Provence à la Savoie. Cette voie sera le passage obligé et très lucratif entre le port de Nice, où débarquent les bateaux en provenance des salines provençales et languedociennes, et les éleveurs piémontais, qui consomment des tonnes de sel pour l'alimentation humaine et animale, les salaisons et le traitement des peaux.
Lorsque le comté de Tende passe sous la domination de la Maison de Savoie en 1581, une campagne de travaux lancée par Charles-Emmanuel Ier en 1592 permet de libérer les passages difficiles entre le col de Tende et le col de Brouis. C'est à cette époque, en 1614, qu'est d'ailleurs envisagée la première tentative de percement d'un tunnel sous le col de Tende ; d'autres tentatives se succéderont en 1624 et 1672.
Au cours du XVIIIe siècle, la circulation entre Nice et Turin, devenue la capitale du royaume de Piémont-Sardaigne, augmente et le gouvernement savoyard ordonne l'aménagement d'une route carrossable ainsi que le percement du tunnel du col de Tende. Ces travaux seront bien commencés en 1784, mais interrompus peu de temps après.
Ainsi, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le trafic sur cette voie ne sera que muletier. Un mémoire de 1780 précise que, chaque année, 16 000 mulets chargés de marchandises diverses partaient de Nice, outre 30 000 mulets - ce qui fait tout de même 46 000 mulets ! - transportant 5 535 tonnes de sel.
À la suite de la réunion du comté de Nice à la France, entre 1792 et 1794 - dont Tende et la Brigue font d'ailleurs partie -, la route de Tende perd temporairement son caractère spécial de trait d'union entre Turin, capitale du royaume, et Nice.
Ce n'est qu'après de nombreuses études et pétitions qu'en 1872, l'unité italienne étant réalisée grâce à Napoléon III et à l'armée française, est lancé le percement du tunnel routier sous le col de Tende, finalement livré à la circulation en 1882.
À l'époque, ce sont des diligences tirées par des chevaux qui l'empruntent. Or, nous circulons toujours aujourd'hui dans ce même tunnel bidirectionnel qui, comme le précise le rapport de notre commission des affaires étrangères, est le plus ancien tunnel routier d'Europe puisqu'il a 125 ans ; sa longueur est de 3 200 mètres, dont 1 500 en territoire français, sa hauteur de 4,30 mètres et sa largeur de 4,90 mètres.
Bien évidemment, il ne correspond plus du tout à nos modes de transports modernes ni au trafic qui en découle, notamment des poids lourds et des cars de tourisme. Pourtant, le passage de 3 700 véhicules par jour en moyenne - chiffre qui double durant la période estivale et triple les week-ends - place ce tunnel, en termes de volume de trafic, en troisième position, comme l'a souligné notre rapporteur M. Pasqua, derrière les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.
Il faut également signaler que, comme l'indique le rapport de la CIG, ce tunnel ne répond pas aux exigences de sécurité minimale dans les tunnels du réseau routier transeuropéen, dont fait état la directive européenne 2004/54/CE du 29 avril 2004, et ce, bien qu'il ne soit pas inclus dans le réseau transeuropéen.
Étant conseiller général du canton, je l'emprunte fréquemment, mais beaucoup le font avec quelques appréhensions, surtout depuis le sinistre du tunnel du Mont-Blanc. Les recommandations de la CIG de novembre 2005 et l'avis du comité de sécurité franco-italien du tunnel des 20 et 21 mars 2006 ont imposé des restrictions de circulation, ainsi que différents travaux de mise en sécurité et d'amélioration qui ont été réalisés depuis 2006 pour un montant de 19,8 millions d'euros du côté français. Cela entraîne des fermetures presque quotidiennes et la mise en place d'alternats pour les poids lourds. Qui plus est, la communication fait bien souvent défaut entre les autorités françaises et les autorités italiennes s'agissant des travaux à réaliser, et elles ont quelquefois du mal à se mettre d'accord pour les faire en même temps !
C'est pourquoi, très tôt, je me suis engagé activement, afin d'obtenir le percement d'un nouveau tunnel, auprès tant de nos différents ministres de l'équipement et des transports que des autorités italiennes, et même de Bruxelles.
Aussi, ma satisfaction est grande aujourd'hui de voir présenté à notre Haute Assemblée cet accord, qui a reçu un avis favorable de notre commission des affaires étrangères et de son rapporteur, Jacques Peyrat, rapport exposé ici, en séance, par l'ancien ministre Charles Pasqua qui connaît bien les lieux.
Cet accord est le fruit d'un travail de coopération mené dès 1993 avec nos amis italiens. Il a permis d'aboutir, le 18 avril 2005, au choix de la solution haute, qui avait à l'origine la préférence du Gouvernement français et de la direction départementale de l'équipement, la DDE, mais point de l'Italie et des services de l'ANAS, la DDE italienne.
Aussi, je salue l'aide que nous a apportée mon ami Raffaele Costa, président de la province italienne de Cuneo, afin d'aboutir au consensus de la CIG et de nos deux gouvernements sur ce choix, avec l'appui déterminant du président du conseil général des Alpes-Maritimes et secrétaire d'État à l'outre-mer, Christian Estrosi, pour qui la réalisation rapide de cet ouvrage est un objectif majeur.
Je souhaite également que les travaux, dont le montant est évalué à 141,2 millions d'euros hors taxes, dont 41,65 % à la charge de la France et 58,35 % à celle de l'Italie, puissent démarrer dès le premier semestre 2008. Le financement côté français est assuré, puisque répondant à la règle des trois tiers, État-région-conseil général, et la déclaration d'utilité publique, la DUP, doit intervenir avant la fin de l'année 2007.
Je n'ambitionne cependant pas que ce tunnel devienne, madame la secrétaire d'État, un axe privilégié pour les poids lourds et je serai attentif à l'action de la CIG, puisque l'article 3 du traité la confirme dans son rôle d'autorité administrative unique, chargée du contrôle tant de la conception technique du tunnel que de ses règles d'exploitation, d'entretien et de sécurité. Ne faudra-t-il pas instituer un péage pour les poids lourds venant d'autres régions que celles qui jouxtent l'ouvrage ? La question méritera d'être examinée.
Je vous rappelle, en effet, que la vallée de la Roya est un axe hautement touristique grâce à la présence sur les cimes de Tende, entre 2 000 et 3 000 mètres d'altitude, du site archéologique de la Vallée des Merveilles, classé monument historique, et dont la procédure de classement au patrimoine mondial de l'UNESCO est en cours.
Il est évident que cette vallée n'est pas adaptée à un accroissement important du nombre de poids lourds, qui dégraderait la qualité environnementale de ce secteur préservé, traversé par la RN 204, désormais RD 6204, où Tende et Breil-sur-Roya comptent chacune des populations permanentes dépassant les 2 000 habitants et triplant durant la période estivale.
En revanche, un développement du transport de marchandises par fer serait tout à fait envisageable, puisque, quelques années après la construction du tunnel routier sous le col de Tende, fut percé en 1889, à 1 040 mètres d'altitude, soit à 260 mètres au-dessous du routier, le tunnel ferroviaire du col de Tende. Long de 8 099 mètres, large de 7,80 mètres et haut de 6,10 mètres, ce tunnel, où deux trains peuvent se croiser, permet aujourd'hui une liaison par rail entre Turin, Cuneo, Tende, Breil-sur-Roya, Vintimille, Menton, Monaco ou Nice.
Cependant, le développement de cette voie est aujourd'hui limité à vingt-trois trains par jour du fait qu'une partie n'est plus électrifiée sur 42 kilomètres du côté français, et ce depuis 1944, suite à des destructions de l'armée allemande.
Sur ce point, comme sur celui de la création d'un épi ferroviaire à Vintimille permettant la suppression d'une rupture de charge, mes appels aux différents ministres de l'équipement sont nombreux et je ne désespère pas de voir mes demandes aboutir.
L'amélioration des liaisons routières et ferroviaires entre le Piémont, région industrielle parmi les plus dynamiques d'Europe, et la Côte d'Azur, tout aussi active, permettra d'accentuer les échanges économiques entre nos régions, favorisant les partenariats.
Je conclurai par un mot de félicitations de nos amis italiens, qui m'ont chargé de remercier M. le président du Sénat, M. le ministre des affaires étrangères, et vous-même, madame la secrétaire d'État, pour la rapidité et l'efficacité avec lesquelles la France conduit la ratification de cet accord, signé le 13 mars 2007 entre Dominique Perben, ministre de l'équipement et des transports d'alors, et Antonio Di Pietro, ministre des infrastructures italiennes, grâce à ce projet de loi, que, je l'espère, mes chers collègues, vous voterez à l'unanimité.
Ce texte, du côté italien, attend pour l'instant de recevoir un dernier accord, celui du ministère de l'économie, pour être présenté en conseil des ministres, puis soumis à l'approbation du Parlement.
Si l'Assemblée nationale l'approuve aussi rapidement que s'apprête à le faire notre Haute Assemblée, ce dont je ne doute point, le rapporteur étant Jean-Claude Guibal, député des Alpes-Maritimes, cela incitera nos amis italiens à faire de même.
Toutefois, il me paraît important, madame la secrétaire d'État, que vous interveniez auprès de votre homologue italien, M. Massimo d'Alema, afin que nous puissions lancer les travaux dès le premier semestre 2008, ce que souhaitent, comme moi, le président du conseil général des Alpes-Maritimes mais également les populations et les élus des régions Piémont et Provence-Alpes-Côte d'Azur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, lors de sa rencontre avec le ministre italien des infrastructures, M. Antonio Di Pietro, M. Borloo déclarait : « Le projet Lyon-Turin est à mes yeux un projet exemplaire, qui traduit l'objectif d'un report modal plus respectueux de l'environnement, car il va permettre un transfert vers le rail des trop nombreux camions qui traversent les vallées alpines ».
De son côté, Nicolas Sarkozy multipliait les interventions et lançait « le Grenelle de l'environnement » afin de convaincre nos concitoyens que les enjeux de développement durable constituaient une priorité de sa politique.
Mais cela relève plus du domaine des mots et de la communication. En effet, si l'on s'intéresse aux faits, on constate que le dossier de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, annoncé depuis de nombreuses années, n'a pas bénéficié de la même diligence que le dossier relatif au tunnel routier de Tende que nous examinons aujourd'hui. Dernièrement, cet état de fait a pu malheureusement se vérifier.
Si un accord a été trouvé entre la France et l'Italie sur la réponse à faire à la Commission européenne pour bénéficier des subventions européennes à hauteur de 725 millions d'euros, en ce qui concerne le tunnel ferroviaire, M. Fillon a laissé planer un doute, cet été, sur la volonté du Gouvernement français de demander le financement de 200 millions d'euros à l'Union européenne. Nous aimerions, d'ailleurs, avoir des précisions claires sur cette question.
Il est demandé au Sénat d'approuver un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif au tunnel routier de Tende.
Ce tunnel étroit ne répondant plus aux exigences de sécurité, d'importants travaux d'amélioration ont été justement entrepris. Cependant, si la sécurité s'en trouve ainsi améliorée, se pose toujours le problème du passage des poids lourds. Le gabarit du tunnel ne permettant pas leur croisement, la France et l'Italie ont décidé de percer un tunnel neuf et d'élargir le tunnel existant. Il sera ainsi procédé à une mise en conformité aux normes de sécurité européennes, notamment pour faire circuler des véhicules lourds et des produits dangereux.
Comme la majorité des élus de cette assemblée, nous restons persuadés que les exigences de sécurité de ces ouvrages ne peuvent souffrir de retard ou de manque de financement ! Mais ce choix ne peut se faire au détriment d'une réponse ferroviaire pour le transport des marchandises, en particulier des matières dangereuses.
Le contenu de ce projet, notamment ses dispositions en faveur de la route, nous amène encore une fois à nous interroger sur la sincérité des déclarations gouvernementales et présidentielles en faveur d'un report modal de la route vers le rail.
Pourtant, il y a bien urgence. Ainsi, en vingt ans, la part du rail entre la France et l'Italie a chuté de 39 % à 15 %. À l'inverse, le nombre de poids lourds traversant les Alpes franco-italiennes n'a pas cessé d'augmenter : en 1984, on en comptait 1 million, en 2004, 2,8 millions et on en prévoit 4 millions d'ici à 2025.
Malgré l'augmentation du transport de marchandises, et alors qu'il serait nécessaire de réaliser de forts investissements sur le réseau ferroviaire, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France s'est vue privée de sa principale source de financement depuis la privatisation des autoroutes.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont alerté le secrétaire d'État chargé des transports sur les conséquences de la fermeture de 262 gares au trafic fret en wagon isolé, à compter du 30 novembre prochain, fermeture qui pourrait être encore étendue. En effet, cette décision unilatérale revient à mettre 1 400 000 camions supplémentaires sur les routes. Par ailleurs, la Cour des comptes a, elle aussi, relevé l'écart entre les actes et les déclarations politiques répétées de ces dernières années sur le fret.
Le projet de loi, qui vise à approuver l'accord entre la France et l'Italie pour construire un nouveau tunnel et, par conséquent, augmenter le trafic routier, ne va pas dans le sens des engagements en faveur du développement durable que la France a promis d'honorer. Il montre, s'il s'était encore nécessaire, que la promesse du Président de la République d'augmenter de 25 % en cinq ans la part du fret non routier dans les transports risque fortement de rester lettre morte et d'être un pur affichage.
Parce que nous pensons qu'il est urgent de rééquilibrer le rail par rapport à la route, de donner la priorité à l'intermodalité, de mettre en oeuvre tous les moyens pour favoriser la croissance du ferroutage, du transport combiné et des autoroutes roulantes, nous nous abstiendrons sur ce projet de loi, qui est contraire à notre conception d'un transport en adéquation avec le développement durable.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Pour répondre à votre préoccupation, monsieur Balarello, je prendrai naturellement un contact direct avec M. Massimo d'Alema, afin d'évoquer la possibilité d'accélérer la construction du tunnel, dès le premier semestre de 2008.
Monsieur Le Cam, l'aménagement du tunnel routier de Tende a été considéré comme prioritaire en raison d'une situation sécuritaire exceptionnellement grave, qui aurait pu conduire, en l'absence de mesures prises, à la fermeture de ce tunnel. Le Gouvernement ne néglige pas du tout le report modal mais, en l'espèce, il devait répondre en priorité à un sérieux impératif de sécurité.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne relatif à la mise en place d'une gestion unifiée du tunnel de Tende et la construction d'un nouveau tunnel, signé à Paris le 12 mars 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
12
Amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme (nos 178, 453).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme, adopté dans le cadre du Conseil de l'Europe et signé par la France le 15 mai 2003.
Comme vous le savez, la France, qui peut se prévaloir d'un dispositif complet en matière de prévention et de répression du terrorisme, principalement articulé autour des lois du 9 septembre 1986, du 22 juillet 1996 et du 23 janvier 2006, a toujours voulu compléter son action nationale par une action bilatérale, européenne et multilatérale, constante et résolue. C'est dans cet esprit que notre pays est partie à la convention pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977, que vient amender le présent protocole.
Ce texte vise essentiellement à élargir le champ d'application de la convention initiale, en incluant les infractions établies dans le cadre des conventions universelles et protocoles additionnels adoptés depuis cette date par l'Organisation des Nations unies, qui s'est investie de façon croissante dans la lutte contre ce phénomène.
La convention de 1977 visait principalement à faciliter la répression du terrorisme. Elle complétait et modifiait les accords d'extradition et d'entraide en vigueur entre les États membres du Conseil de l'Europe.
L'une des difficultés majeures rencontrées dans le cadre de l'application de ces accords tenait à la possibilité, pour les États, de refuser l'extradition ou l'entraide en matière judiciaire, en invoquant la nature politique de l'infraction ou des mobiles de son auteur. Afin de lever cet obstacle, la convention initiale prévoyait un mécanisme original de dépolitisation des infractions incriminées, visant à en limiter la portée. De la sorte, les infractions considérées comme des actes de terrorisme ne peuvent être qualifiées d'infractions politiques.
Le protocole amendant cette convention vient élargir le champ d'application de la dépolitisation prévue par cette dernière, afin d'inclure l'ensemble des infractions établies par les conventions des Nations unies ratifiées par la France. Il étend, par ailleurs, son champ d'application à la tentative et à la complicité des infractions de cette nature. Il prévoit la mise en oeuvre d'une procédure simplifiée permettant l'ajout de nouvelles infractions à la liste de celles pouvant entrer dans le champ de la dépolitisation.
Cette procédure accélérée, qui permettra aux futures révisions de la convention de ne pas prendre nécessairement la forme d'un protocole, est inspirée des conventions onusiennes en vigueur en matière de lutte contre le terrorisme.
Ce texte prévoit également l'ouverture de la convention aux États observateurs auprès du Conseil de l'Europe et à d'autres États, dès lors qu'il sera entré en vigueur.
Enfin, ce protocole encadre plus étroitement la possibilité pour les États d'émettre et de faire usage de réserves à la dépolitisation des infractions énumérées, la possibilité de réserve n'étant, en tout état de cause, pas applicable en matière d'entraide pénale. De la sorte, chaque État doit précisément indiquer les infractions pour lesquelles il souhaiterait émettre une réserve et le protocole prévoit que cette dernière soit dûment motivée et renouvelée tous les trois ans. Il instaure, en outre, la règle « extrader ou punir » et l'obligation de faire part des décisions prises à l'État requérant et au COSTER, comité conventionnel chargé du suivi de la convention et susceptible d'émettre un avis en cas d'absence de décision formelle ou de refus d'extradition.
Si, en 1987, la France avait assorti le dépôt de son instrument de ratification de la convention de 1977 de déclarations visant à garantir le respect du droit d'asile et à empêcher l'usage de la convention à des fins de répression politique ou idéologique, le protocole que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui devant vous n'appelle pas les mêmes réserves. En effet, la convention ainsi révisée garantit indirectement le droit d'asile en empêchant son utilisation à des fins de répression politique ou idéologique.
Ce protocole s'inscrit dans la logique des conventions des Nations unies en matière de lutte contre le terrorisme que la France a soutenues ou dont elle a pris l'initiative, au moins pour l'une d'entre elles : la convention sur la répression du financement du terrorisme. Il marque, par ailleurs, une nouvelle étape dans la mise en cohérence des normes internationales en vigueur en matière de lutte contre un phénomène qui, parce qu'il continue de menacer l'ensemble de nos sociétés, ne peut être combattu que par un effort commun.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Rouvière, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi tend à autoriser la ratification d'un protocole amendant la convention européenne de 1977 pour la répression du terrorisme. Il s'agit donc de moderniser et, en même temps, d'élargir une convention existante.
Ce projet de loi est à la fois simple et important. Il est simple puisqu'il ne comporte qu'un article, mais il n'en est pas moins important et c'est sur ce dernier aspect que je voudrais m'attarder un instant.
Le protocole soumis à notre approbation répond à plusieurs exigences de la lutte contre le terrorisme qui, nous le savons, est, hélas ! de plus en plus menaçant.
D'abord, ce texte répond à l'obligation d'adapter notre arsenal législatif aux évolutions du terrorisme. Ce dernier change dans la nature de ses actions, dans la préparation de ses actes, dans le recrutement de ses acteurs, dans le financement des opérations ; si je puis dire, le terrorisme s'invente en permanence. Nous sommes donc condamnés à nous adapter afin de mieux lutter. Cette situation est insatisfaisante, car nous pouvons avoir le sentiment de courir après un redoutable et dangereux caméléon. Peut-être le temps viendra-t-il où nous pourrons davantage anticiper certaines évolutions...
Ensuite, ce texte participe à l'harmonisation des lois entre les pays signataires. Le terrorisme se joue des frontières ; il ne reconnaît ni les frontières terrestres ni les frontières morales. La mobilisation des États membres du Conseil de l'Europe, et au-delà, est donc une nécessité absolue.
En outre, ce texte s'efforce de concilier l'efficacité dans la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l'homme. Nous y sommes tous très sensibles et nous entendons, bien sûr, demeurer vigilants. Dans la lutte contre le terrorisme, la question de l'équilibre entre l'efficacité de la répression et le respect des libertés individuelles se pose de manière récurrente.
Ce protocole ne porte pas atteinte aux droits de l'homme ; au contraire, il accorde aux États signataires la possibilité de formuler des réserves en ce qui concerne le droit d'asile, le refus d'extrader vers un pays appliquant la peine de mort, pratiquant la torture ou instituant la privation de liberté à perpétuité. On ne peut donc pas lui reprocher d'être liberticide. En revanche, il élargit la notion d'infraction dépolitisée : peuvent ainsi être poursuivis, outre l'exécutant, ceux qui ont conçu, ordonné, financé et aidé la préparation ou l'exécution de l'acte terroriste.
Ce texte vise, enfin, à simplifier les adaptations futures.
Ce protocole paraissant bon, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dans sa majorité, vous invite à autoriser sa ratification.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, peu de sénateurs doivent prendre la parole sur ce texte. Je le ferai néanmoins, parce que le terrorisme est, malheureusement, toujours d'actualité et n'est pas près de disparaître
Avec l'horreur des attentats du 11 septembre 2001, notre siècle s'est ouvert sur une inhumanité rarement atteinte en la matière.
Ce n'est pas la première fois que je le souligne ici, le monde devrait enfin s'interroger sur son état, sur la gravité de ses dysfonctionnements, sur les causes profondes du terrorisme. Nous continuons à ne pas le faire et à « courir » derrière lui, comme vous l'avez dit, mon cher collègue, à travers la complexification des réseaux, des méthodes et des moyens. Or, force est de constater que, malgré la multiplication des législations pour essayer de juguler ce phénomène, le terrorisme persiste.
Ce n'est pas la première fois non plus que je dénonce l'instrumentalisation dont les actes terroristes sont l'objet, au service d'un nouvel ordre international répressif et régressif, au service d'une Europe et d'une France de plus en plus sécuritaires, nourrissant les peurs et les suspicions. Le monde est de plus en plus pensé à travers le prisme de la lutte contre le terrorisme, aux dépens d'une analyse plus approfondie de ses causes.
Certains pays, les États-Unis en tête, théorisent la nécessité de subordonner les droits et les libertés à la lutte contre le terrorisme. Nous avons eu droit au Patriot Act, aux tribunaux militaires d'exception, à la limitation des libertés civiles, à la réduction des garanties contre les atteintes aux droits fondamentaux. L'état d'exception devient la règle. En agissant de la sorte, en faisant de la lutte contre le terrorisme une croisade du Bien contre le Mal, les règles du droit international et les droits fondamentaux se trouvent inéluctablement bafoués.
L'Europe n'est pas en reste, malgré ce qui vient d'être dit sur le protocole et la convention qu'il modifie : je pense aux « sites noirs » et aux avions de la CIA, ainsi qu'à l'accord récent des Vingt-Sept sur le transfert des données des dossiers passagers, les fameux fichiers PNR, par les compagnies aériennes.
Quant à la France, on voit bien qu'elle a accumulé ces cinq dernières années, au nom de la lutte contre le terrorisme, toute une série de dispositions et de pratiques qui n'ont rien à voir avec celle-ci : diminution des droits de la défense, facilitation des perquisitions, fichage généralisé...
Je n'oublie pas, en outre, que des pays européens ont longtemps abrité des terroristes. Il convient donc d'avoir une vision plus lucide de ce qui nourrit le terrorisme et de ceux qui nourrissent des terroristes.
Dans ce contexte, il ne serait pas acceptable, à mon sens, que le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 s'inscrive dans ce mouvement pernicieux et dangereux.
Aussi voudrais-je attirer l'attention sur un certain nombre de problèmes que me pose ce texte.
Le protocole complète le mécanisme mis en place par la convention, qui vise à faciliter l'extradition par la « dépolitisation » des infractions terroristes, en indiquant quelles infractions ne doivent pas être considérées comme politiques.
La convention supprime donc ou limite le recours à la possibilité, pour l'État requis, d'opposer le caractère politique d'une infraction pour refuser une extradition. Comme nous l'avons dit, nous n'y sommes pas opposés, mais il faut savoir de quoi l'on parle avant d'élargir, ainsi que le prévoit le protocole, le champ d'application de la convention. En effet, je persiste à penser que la définition même du terrorisme reste floue et peut être interprétée de diverses manières selon les États.
Le protocole étend la règle obligatoire énoncée à l'article 1er de la convention, à savoir qu'un certain nombre de faits délictueux ne doivent pas être considérés comme des infractions politiques.
À cet égard, deux points suscitent mon inquiétude.
D'une part, ce mécanisme de « dépolitisation » permet de se soustraire aux dispositions du 2° de l'article 696-4 du code de procédure pénale, selon lequel l'extradition n'est pas accordée pour les infractions à caractère politique. Certes, il est précisé que les États peuvent émettre des réserves au regard de l'application du droit d'asile, mais ledit mécanisme ne pourrait-il pas justifier une remise en cause de ce dernier ?
D'autre part, qu'entend-on par « infraction politique » ? Par conséquent, quelles sont les infractions qui échappent à la « dépolitisation » ?
Par exemple, s'agissant de manifestations comme celles que les altermondialistes organisent régulièrement, y compris à l'occasion des forums sociaux, et qui réunissent des citoyens du monde entier, les dispositions de la convention devraient-elles s'appliquer aux organisateurs et aux participants en cas de débordements dont ils ne seraient pas responsables ? Eu égard à la violence de la répression ayant prévalu lors des manifestations contre le G 8 à Gênes en 2001, il y a tout lieu de réfléchir à cette question. Je pense aussi, à cet instant, aux motifs de détention de certaines personnes à Guantanamo : s'agit-il de membres de réseaux terroristes ou de complices ? Les choses demeurent assez floues.
Force est donc de constater que le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme soulève d'indéniables problèmes de sécurité juridique.
Une autre difficulté tient à l'ouverture de l'adhésion à la convention à des États non membres du Conseil de l'Europe. Cela est susceptible de poser problème quand il s'agira d'États ne reconnaissant pas la prééminence du droit et de la protection des droits de l'homme conformément à l'article 3 du statut du Conseil de l'Europe, rappelée explicitement par le paragraphe 29 du rapport explicatif de la convention pour la répression du terrorisme.
Par ailleurs, rien n'est prévu pour garantir le droit à un recours judiciaire afin de contester la légalité de toute mesure de privation de liberté, toute atteinte aux droits de l'homme, pour garantir le droit à un jugement par un tribunal indépendant et impartial, à la présomption d'innocence et aux garanties judiciaires.
En revanche, il est en effet positif que la clause de non-discrimination de la convention soit complétée par le protocole, qui prévoit la possibilité de refuser l'extradition vers des pays où les personnes risquent la peine de mort, la torture ou un emprisonnement à vie sans remise de peine.
Toutefois, cela ne saurait suffire à lever les inquiétudes que j'ai exprimées. Au total, le protocole réduit le champ d'application de l'interdiction d'extrader, en ne conservant plus qu'un « noyau dur » de protection. Si Europe judiciaire il doit y avoir, il est plus que jamais nécessaire que sa construction se réalise dans le respect des libertés et des droits.
Pour l'heure, il n'y a pas d'harmonisation judiciaire. Son préalable serait, me semble-t-il, une harmonisation des législations pénales des différents États membres, respectueuse des traditions juridiques de chacun d'entre eux et entreprise avant même de réfléchir à la définition d'un droit pénal communautaire, peu compatible avec le principe de subsidiarité.
Comme je le disais au début de cette intervention, l'utilisation du concept de terrorisme pour justifier le durcissement de l'arsenal répressif n'est pas la solution, ni en France ni en Europe. Les Européens savent que la lutte contre le terrorisme ne sera ni facilement ni rapidement gagnée, mais la place du droit dans cette lutte doit être prééminente.
Ne perdons pas de vue que la réponse au terrorisme réside, à long terme, dans des remèdes aux insupportables déséquilibres sociaux, économiques et politiques qui enfoncent les quatre cinquièmes de l'humanité dans la pauvreté. Je tiens beaucoup à ce que ce point ne soit pas perdu de vue quand on se propose de restreindre encore l'application de droits élémentaires, tels que les droits politiques.
Pour ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra sur ce texte.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous affirmez que la définition du terrorisme est floue. Je ne le pense pas, puisque la convention renvoie justement à des textes qui précisent la notion de terrorisme et d'actes terroristes. Nous pourrons vous les communiquer pour vous le démontrer.
Par ailleurs, je ne crois pas que les manifestations comme celles qui se produisent lors des sommets du G 8 puissent tomber sous le coup de ce genre de texte, puisque toutes les conventions internationales en question visent des comportements d'une incontestable gravité. Les textes internationaux de cette nature nous obligent à incriminer les actes terroristes.
Je voulais donc vous rassurer sur ce point.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée la ratification du protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme, fait à Strasbourg le 15 mai 2003 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
13
Convention relative à la coopération administrative avec la Principauté de Monaco
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre la République française et la Principauté de Monaco (nos 327, 452).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 24 octobre 2002, le ministre des affaires étrangères français et le ministre d'État de la Principauté de Monaco ont signé un traité destiné à adapter et à confirmer les rapports d'amitié et de coopération entre la République française et la Principauté de Monaco.
Ce traité, entré en vigueur le 1er décembre 2005, confirme les relations étroites et privilégiées établies entre Monaco et la France, qui s'inscrivent dans une communauté de destin. Il engage notamment la Principauté à s'assurer, dans l'exercice de sa souveraineté, que les actions qu'elle conduit s'accordent avec les intérêts fondamentaux de la France dans les domaines politique, économique, de sécurité et de défense. La France, pour sa part, assure à la Principauté la défense de son indépendance et de sa souveraineté et garantit l'intégrité du territoire monégasque dans les mêmes conditions que celle de son propre territoire.
Trois accords, signés le 8 novembre 2005 entre les deux États, sont venus compléter ce traité : il s'agit d'une convention destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre les deux pays, qui vous est soumise aujourd'hui, d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, dont vous avez autorisé l'approbation le 11 janvier dernier, et d'un échange de lettres sur la protection des investisseurs.
La convention destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre les deux pays se substitue à la convention du 28 juillet 1930 relative à l'accession des Monégasques à certains emplois publics en France et au recrutement de certains fonctionnaires de la Principauté, qui ne correspondait plus aux nouveaux principes posés par le traité du 24 octobre 2002.
La nouvelle convention de coopération administrative pose le principe du libre accès des ressortissants monégasques aux emplois publics de leur pays. Dans certaines conditions, les emplois non pourvus par des ressortissants monégasques pourront cependant être occupés par des ressortissants français ou d'États tiers, ce qui correspond notamment au besoin de pourvoir un ensemble d'emplois auxquels l'étroitesse de la population monégasque ne permet pas de répondre.
Pour ce qui concerne les emplois publics non pourvus par des ressortissants monégasques, la Principauté doit faire appel en priorité à des ressortissants français. En matière de sécurité et d'ordre public, la convention dispose que les emplois qui s'y rapportent ne pourront être occupés que par des ressortissants monégasques ou français.
La négociation a aussi porté sur la manière dont seraient conciliés le libre accès des Monégasques aux emplois publics de leur pays et la nomination des hautes personnalités titulaires de certaines fonctions ou emplois « sensibles », parce qu'ils touchent en réalité aux intérêts fondamentaux des deux États.
L'article 6 de ce texte prévoit donc, d'une manière très équilibrée, que les parties se consultent à propos des nominations aux emplois qui touchent à leurs intérêts fondamentaux : ministre d'État, conseiller du Gouvernement pour l'intérieur, directeur des services judiciaires, directeur de la sûreté publique et directeur des services fiscaux.
Ces consultations permettent de s'assurer que les personnalités concernées, qui sont choisies et nommées par Son Altesse Sérénissime le prince de Monaco parmi des ressortissants monégasques ou français, jouissent de la confiance respective des deux parties.
Les Monégasques souhaitaient enfin pouvoir accéder à la fonction publique française de manière plus effective que selon les mécanismes de la convention antérieure. Nous avons accepté, à l'instar de ce qui prévaut pour les ressortissants andorrans, l'accès des Monégasques à notre fonction publique dans les mêmes conditions que pour les ressortissants des pays membres de l'Union européenne.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention du 8 novembre 2005 sur la coopération administrative entre la France et Monaco, soumise aujourd'hui à votre approbation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Blanc, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la convention sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer s'inscrit dans le cadre de la modernisation de nos relations avec la Principauté de Monaco, engagée par le traité du 24 octobre 2002, qui a fait passer les relations franco-monégasques d'une « amitié protectrice » à une « communauté de destin ».
L'esprit et le contenu du précédent traité de 1918 ne correspondaient plus, en effet, aux réalités actuelles et n'étaient plus compatibles avec les prérogatives d'un État souverain, qui dispose d'une constitution, qui est membre de l'Organisation des nations unies, du Conseil de l'Europe et de nombreuses autres organisations internationales.
En ma qualité de président du groupe d'amitié France-Monaco du Sénat, je voudrais insister sur l'importance de cet aspect de la réalité monégasque, sur le poids économique de la Principauté et sur le rôle pionnier qu'elle joue, notamment en matière de protection de l'environnement et du milieu marin : tout cela lui permet d'occuper, à l'échelon international et dans le cadre des relations euro-méditerranéennes, une place sans rapport avec sa dimension.
Le traité de 2002 a réaffirmé la souveraineté et l'indépendance de la Principauté de Monaco, tout en prolongeant la politique d'étroite concertation avec la France, due à la géographie et à notre histoire commune.
Ce traité prévoit ainsi que les actions de la Principauté de Monaco, conduites dans l'exercice de sa souveraineté, s'accordent avec les intérêts fondamentaux de la République française dans les domaines politique, économique, de sécurité et de défense.
Le traité de 2002 est complété par une série d'accords sectoriels, comme la convention qui est aujourd'hui soumise à notre examen et qui concerne l'accès des ressortissants français et monégasques aux fonctions publiques des deux États.
Cette convention doit se substituer à un précédent accord datant de 1930, qui est toujours en vigueur et qui est marqué par une profonde asymétrie.
Selon cet accord, l'accès des Monégasques à la fonction publique française est actuellement très limité, puisqu'il ne concerne que certaines professions, comme celle de chirurgien ou de professeur des universités. Ce sont certes des métiers importants, mais ce n'est pas suffisant.
Or, non seulement les citoyens français peuvent accéder librement et dans les mêmes conditions que les Monégasques à tous les emplois publics de la Principauté, mais surtout les plus hautes fonctions de la Principauté de Monaco ne peuvent être occupées que par des Français.
Je rappelle que, actuellement, 267 fonctionnaires français sont détachés dans la Principauté. Le ministre d'État - l'équivalent du Premier ministre - est Français et deux conseillers de Gouvernement - l'équivalent des ministres - sur cinq le sont également.
Comme vous pouvez le constater, l'accord de 1930 ne paraît plus aujourd'hui compatible avec les prérogatives d'un État souverain. Il est d'ailleurs contraire aux conventions du Conseil de l'Europe, selon lesquelles des citoyens d'un État ont le droit d'accéder à tous les emplois publics de cet État.
Les autorités monégasques ont donc souhaité négocier une nouvelle convention, sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer.
Cette convention prévoit d'abord que les Monégasques auront accès à la fonction publique française dans les mêmes conditions que les ressortissants des autres pays membres de l'Union européenne. Dans la pratique, cela signifie que les Monégasques ne pourront pas accéder à certains emplois, comme celui d'ambassadeur ou de préfet.
En ce qui concerne maintenant l'accès à la fonction publique à Monaco, la convention pose le principe du libre accès des ressortissants monégasques aux emplois publics de la Principauté.
Elle prévoit aussi que les ressortissants français auront la priorité sur les ressortissants d'autres pays tiers pour les emplois publics non pourvus par des ressortissants monégasques, et que les emplois relatifs à la sécurité et à l'ordre public ne pourront être occupés que par des Monégasques ou des Français. Une place particulière est donc incontestablement donnée aux Français.
Enfin, pour certains emplois élevés et sensibles, comme celui de ministre d'État ou de conseiller du Gouvernement pour l'intérieur, la convention prévoit que les deux États se consulteront afin de s'assurer que les personnalités choisies parmi les ressortissants monégasques ou français jouissent de la confiance respective des deux parties. En pratique, cela signifie que la France pourrait refuser un candidat qui ne lui conviendrait pas.
Pour conclure, cette convention participe donc à la refonte de nos relations avec la Principauté, engagée par le traité de 2002, tout en préservant les intérêts français. C'est la raison pour laquelle votre commission des affaires étrangères et de la défense vous propose d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre la République française et la Principauté de Monaco, signée à Paris le 8 novembre 2005 et dont le texte est annexé à la présente loi.
14
Conventions internationales
Adoption de six projets de loi en procédure d'examen simplifiée
M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen de six projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.
Pour ces six projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
modification de l'accord instituant une commission internationale pour le service international de recherches
Article unique
Est autorisée l'approbation du protocole sur la modification de l'accord de Bonn instituant une Commission internationale pour le Service international de recherches, conclu le 6 juin 1955, entre les Gouvernements du Royaume de Belgique, de la République Française, de la République Fédérale d'Allemagne, de la République hellénique, de l'État d'Israël, de la République Italienne, du Grand-Duché de Luxembourg, du Royaume des Pays-Bas, de la République de Pologne, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et des États-Unis d'Amérique, adopté à Berlin le 26 juillet 2006, ensemble l'accord du 6 juin 1955 et le protocole subséquent du 23 août 1960, et dont les textes sont annexés à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque à la convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées, signée à Bruxelles le 8 décembre 2004 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi
(Le projet de loi est adopté.)
convention fiscale avec le Luxembourg
Article unique
Est autorisée l'approbation du deuxième avenant à la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Paris le 1er avril 1958, signé à Luxembourg le 24 novembre 2006.
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
convention fiscale avec l'éthiopie
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale démocratique d'Éthiopie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu, signée à Paris le 15 juin 2006 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
convention fiscale avec la libye
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire Socialiste en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et de prévenir l'évasion fiscale, signée à Paris le 22 décembre 2005.
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
convention fiscale avec le japon
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un échange de lettres), signé à Paris le 11 janvier 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.
15
Dépôt d'une question orale avec débat
M. le président. J'informe le Sénat que j'ai été saisi de la question orale avec débat suivante :
N° 3 - Le 4 octobre 2007 - M. Claude Lise interroge M. le secrétaire d'État chargé de l'outre-mer sur la situation préoccupante créée aux Antilles par l'usage de pesticides dans l'agriculture et notamment celle de produits utilisés de façon massive jusqu'en 1993, alors même qu'ils étaient interdits dans l'hexagone.
Un rapport d'audit externe rendu public récemment a contribué, par le retentissement médiatique auquel il a donné lieu, à amplifier l'inquiétude des populations.
Toutefois, comme le soulignent tous les rapports et études réalisés jusqu'à présent, les données scientifiques concernant le phénomène sont encore insuffisantes. Des travaux de recherche plus poussés s'avèrent donc indispensables. Une évaluation sérieuse des conséquences sanitaires, économiques, et sociales de cette pollution reste encore à établir.
Il lui demande donc quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour approfondir la connaissance de l'impact sanitaire et environnemental de la contamination des sols et des eaux par les pesticides en Guadeloupe et en Martinique et pour renforcer l'information des populations de ces départements.
Quels plans d'action envisage-t-il, par ailleurs, de mettre en oeuvre pour faire face aux conséquences sanitaires économiques et sociales de la situation créée par l'usage de ces pesticides ?
(Déposée le 25 septembre 2007 - annoncée en séance publique le 25 septembre 2007)
Conformément aux articles 79, 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.
16
Transmission d'un projet de loi
M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 461, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
17
Dépôt de propositions de loi
M. le président. J'ai reçu de MM. Daniel Raoul, Jean-Marc Pastor, Roland Courteau, Mme Odette Herviaux, MM. Paul Raoult, Daniel Reiner, Roland Ries, André Lejeune, Thierry Repentin et Michel Sergent et les membres du groupe socialiste une proposition de loi tendant à préserver le pouvoir d'achat des ménages en maintenant les tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz naturel.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 461, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Pierre Hérisson une proposition de loi relative à la sécurité des manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d'attraction.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 462, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
18
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Eurojust : Accord de coopération entre Eurojust et la République de Croatie.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3620 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la signature de l'accord de réadmission entre la Communauté européenne et la République de Serbie ; Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord de réadmission entre la Communauté européenne et la République de Serbie.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3621 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la signature de l'accord de réadmission entre la Communauté européenne et la République de Moldova concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier ; Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord de réadmission entre la Communauté européenne et la République de Moldova concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3622 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Budget prévisionnel d'installation et de fonctionnement du C.SIS pour 2008.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3623 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant l'approbation, au nom de la Communauté européenne, des premier et deuxième amendements à la convention d'Espoo de la CEE-ONU sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3624 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire d'un protocole à l'accord euro-méditerranéen entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République arabe d'Égypte, d'autre part, visant à tenir compte de l'adhésion à l'Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie ; Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole à l'accord euro méditerranéen entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République arabe d'Égypte, d'autre part, visant à tenir compte de l'adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3625 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet d'action commune du Conseil modifiant l'action commune 2007/369/PESC relative à l'établissement de la Mission de police de l'Union européenne en Afghanistan (EUPOL AFGHANISTAN).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3626 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à un programme pour la modernisation des statistiques européennes sur les entreprises et sur le commerce (MEETS).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3627 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil abrogeant la directive 84/539/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux appareils électriques utilisés en médecine vétérinaire.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3628 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures, fondé sur la reconnaissance unilatérale par la Bulgarie, la République tchèque, Chypre, la Lettonie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie de certains documents comme équivalant à leurs visas nationaux aux fins de transit par leur territoire. Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision n° 896/2006/CE établissant un régime simplifié de contrôle des personnes aux frontières extérieures, fondé sur la reconnaissance unilatérale par les États membres, aux fins de transit par leur territoire, de certains titres de séjour délivrés par la Suisse et le Liechtenstein.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3629 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Adaptation à la procédure de réglementation avec contrôle. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 95/50/CE, en ce qui concerne les compétences d'exécution conférées à la Commission.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3630 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 80/181/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux unités de mesure.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3631 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre rectificative n° 1 à l'avant projet de budget 2008.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3632 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un protocole modifiant l'accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et le Royaume du Maroc, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion à l'Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3633 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie relatif au commerce de certains produits sidérurgiques.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3634 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil concernant la gestion de restrictions à l'importation de certains produits sidérurgiques en provenance de la Fédération de Russie.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3635 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil portant dérogation au règlement (CE) n° 1782/2003 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, en ce qui concerne la mise en jachère pour l'année 2008.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3636 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Position commune du Conseil modifiant la position commune 2005/440/PESC relative à des mesures restrictives à l'encontre de la République démocratique du Congo.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3637 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet d'action commune du Conseil relative à l'opération militaire de l'Union européenne en République du Tchad et en République centrafricaine.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3638 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Position commune du Conseil 2007/.../PESC du ... reconduisant la position commune 2004/694/PESC relative à de nouvelles mesures à l'appui de la mise en oeuvre effective du mandat du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3639 et distribué.
19
Dépôt de rapports d'information
M. le président. J'ai reçu de M. Adrien Gouteyron un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les suites données à ses contrôles budgétaires effectués en 2006.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 464 et distribué.
J'ai reçu de MM. Michel Charasse et Adrien Gouteyron un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le suivi du rapport d'information n° 61 (2006 2007) concernant l'enquête de la Cour des comptes relative à CulturesFrance, ex Association française d'action artistique (AFAA).
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 469 et distribué.
20
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 26 septembre 2007 à quinze heures et le soir :
- Projet de loi (n° 293, 2006-2007) ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).
Rapport (n° 459, 2006-2007) de Mme Catherine Procaccia, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD