M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Avant d'expliquer mon vote, je voudrais rappeler à M. le ministre que le Gouvernement a intitulé ce projet de loi : « Obligations de service public des télécommunications et France Télécom ». Je n'étais donc pas hors sujet tout au long de ce débat, mes collègues non plus, loin s'en faut !
Le droit à la communication doit être reconnu pour tous, ce qui suppose une accessibilité meilleure que celle qui existe actuellement. En tout cas, c'est ce qui me semble devoir être à l'ordre du jour.
L'ouverture à la concurrence, ces dernières années, s'est traduite par une course à des produits de consommation diversifiés tellement nombreux que le simple consommateur ne peut plus s'y retrouver.
Le service universel dont il est question dans ce texte doit être délivré à un prix abordable. Même si l'abonnement au téléphone fixe est le moins cher d'Europe, comme M. le rapporteur de la commission des affaires économiques le rappelait, il n'en demeure pas moins qu'il a augmenté de 86 % entre 1995 et 2003. Ainsi, tous ceux qui prétendaient que la concurrence allait se traduire par un allégement des coûts n'ont pas fait en la matière une analyse correcte.
Je ne connais, pour ma part, aucun salarié, aucun demandeur d'emploi, aucun retraité dont les ressources, durant la même période, ont progressé au même rythme que ces coûts.
Vous nous avez dit hier, monsieur le ministre, que le portable était devenu un outil largement utilisé, pour ne pas dire démocratisé.
Certains, au cours de nos débats, ont dit qu'ils considéraient que le téléphone fixe n'était peut-être plus utile et que les cabines téléphoniques ne servaient plus à grand-chose.
M. Raymond Courrière. Beaucoup sont supprimées !
Mme Marie-France Beaufils. Si le téléphone mobile faisait partie du service universel, on pourrait peut-être en discuter. Mais tel n'est pas le cas, et vous avez fait le choix du service universel minimum.
Pour accéder à la téléphonie mobile ou à l'internet à haut débit, il faudra attendre 2005, en tout cas le débat qui aura lieu en 2005. Je ne comprends pas cette volonté de repousser si loin la possibilité pour la France d'être un exemple en Europe.
Favoriser l'accès des usagers aux nouvelles technologies de communication, comme le prévoyait la loi jusqu'à ce jour, c'était tout simplement répondre à une exigence de notre époque. C'était réduire la fracture numérique, mais c'était aussi répondre à l'esprit et à la lettre de notre Constitution : créer les conditions pour que les citoyens soient traités à égalité, quel que soit leur lieu de vie - pour cela il est nécessaire de couvrir l'ensemble du territoire des infrastructures adaptées à cet accès -, mais aussi quelles que soient les ressources des intéressés.
Vous nous proposez la privatisation pour répondre aux besoins des habitants de nos communes. Vous estimez qu'il faut mettre fin au monopole de France Télécom. A ce propos, je ne reviendrai pas sur l'efficacité de l'entreprise, bien avant l'ouverture de son capital, en termes de recherche et de développement, en termes de couverture du territoire national je suis déjà intervenue sur ce sujet hier.
Faisons en revanche le bilan de la situation du secteur des télécommunications depuis cette ouverture du capital, analysons les conséquences des déréglementations, et pas seulement en France, mais aussi aux Etats-Unis. Nous disposons tout de même de quelques exemples qui nous permettront de mieux approcher les réalités. Observons comment les déréglementations se traduisent dans les pays où il n'existe plus aucun garde-fou.
Cessons de faire croire qu'une société privée, dont les actionnaires auront des exigences de rentabilité par rapport aux capitaux investis, aura les mêmes capacités de gestion qu'une entreprise publique. L'ampleur des investissements nécessaires à la recherche et au développement, à la couverture du territoire national en termes de création et d'entretien des infrastructures indispensables à l'accessibilité de tous les citoyens sera rapidement incompatible avec ses décisions.
Accepter que ce bilan soit fait est indispensable pour éviter que, demain, certains parmi vous n'en viennent à regretter leur décision d'aujourd'hui. Travaillons plutôt à faire de France Télécom un outil permettant de lutter contre les inégalités sociales dont notre pays souffre douloureusement, un outil d'aménagement du territoire, un outil économique performant pour répondre aux défis technologiques du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis aujourd'hui à l'approbation de la Haute Assemblée est un texte ambitieux qui donne au principal opérateur de télécommunications, France Télécom, les moyens de son développement en garantissant à ceux de ses personnels qui sont fonctionnaires la pérennité de leur statut et des droits correspondants.
France Télécom évolue aujourd'hui dans un environnement totalement concurrentiel tout en étant chargée par la loi de missions de service public. Cette situation, sans équivalent, devait trouver une réponse législative.
En effet, plus de sept ans après la transformation de France Télécom en société anonyme détenue majoritairement par l'Etat, il était nécessaire de procéder à une nouvelle évolution de son statut afin de mettre l'entreprise en situation de relever les défis à venir dans les meilleures conditions.
Ce projet de loi affiche trois objectifs, qu'il est important de rappeler brièvement.
Premièrement, il vise à rendre la loi française compatible avec la directive européenne sur le service universel en matière de télécommunications.
Deuxièmement, il tend à abroger l'obligation d'une participation majoritaire de l'Etat contenue dans la loi du 2 juillet 1990. Le groupe UMP est, bien entendu, favorable à cette abrogation cette obligation était idéologique et dépassée. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Elle a eu des conséquences désastreuses sur l'endettement de France Télécom au moment du rachat d'Orange, mais aussi du paiement des acomptes sur l'UMTS, je vous le rappelle.
La levée de cette contrainte rendra possible pour la nouvelle équipe une politique d'alliance à la fois offensive et raisonnable, alliance qui permettra à France Télécom de rester l'un des principaux opérateurs mondiaux.
Troisièmement, et je voudrais m'attarder quelques instants sur ce point, le projet de loi a pour objet d'adapter le statut des fonctionnaires de France Télécom au nouveau statut de l'entreprise.
Il faut absolument respecter l'histoire de France Télécom puisqu'elle est sans équivalent et aboutit à la situation très particulière d'un groupe de 240 000 personnes dont plus de 100 000 ont le statut de fonctionnaire.
Le texte respecte les engagements pris par l'Etat auprès des fonctionnaires. Ce dispositif est naturellement fondamental et le groupe UMP s'en félicite.
Le groupe UMP se réjouit également des avancées significatives que prévoit le projet de loi, d'une part, en garantissant le statut des fonctionnaires de France Télécom indépendamment des missions de service universel et en harmonisant les règles de gestion du personnel, qu'ils soient fonctionnaires ou contractuels, d'autre part, en adaptant le statut de l'entreprise pour lui donner plus de souplesse. Cela permettra de maintenir la cohésion des personnels au moment où l'entreprise reprend son destin en main.
Je voudrais, à ce sujet, rendre hommage au nouveau président de France Télécom, Thierry Breton, à la tête de l'entreprise depuis un an. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
MM. Dominique Braye et Henri de Raincourt. Il le mérite !
M. Pierre Hérisson. Si la crise de liquidités a pu être évitée et l'augmentation de capital menée à bien, c'est parce qu'il a su établir un projet stratégique, avec, pour principale priorité, le désendettement du groupe. La dette a d'ailleurs été très significativement réduite en l'espace d'un seul semestre, à hauteur d'environ 19 milliards d'euros.
Le projet stratégique du président de France Télécom, appelé plan TOP, porte donc déjà ses fruits ; il ne se limite pas uniquement à des économies de coûts, mais impulse également une nouvelle dynamique destinée à améliorer la performance opérationnelle, en particulier de la recherche.
Enfin, je veux rendre hommage aux travaux de la commission des affaires économiques et à son président, notre excellent collègue Gérard Larcher, rapporteur de ce texte, mais aussi rapporteur de la mission d'information sur le bilan de la loi de 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom qui a rendu es conclusions en mars 2002.
Le rapporteur de la commission a su proposer à la Haute Assemblée des amendements très pertinents, notamment pour lever l'ambiguïté qui pesait sur le calcul des coûts du service universel, pour préciser la date d'entrée en vigueur de la nouvelle clef de répartition des contributions au service universel, enfin, pour prévoir une clause de rendez-vous permettant la réévaluation du contenu du service universel avant le 1er mars 2005.
C'est donc avec enthousiasme que le groupe UMP votera ce projet de loi, qui est nécessaire à la modernisation de l'opérateur historique France Télécom tout en étant respectueux de l'histoire de cette entreprise stratégique pour l'avenir industriel de notre pays et des nouveaux opérateurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. L'évolution technique dans le domaine des télécommunications est tout à fait particulière : elle provoque une mutation telle que la part de la communication dans le produit intérieur brut national augmente tandis que son coût diminue, ce qui prouve bien qu'il s'agit d'un secteur stratégique central.
Le rôle d'un service public tel qu'il existe et tel qu'il doit pouvoir se développer a été confirmé tout au long de ces débats et continuera à l'être.
Nous disposons des instances de régulation nécessaires et efficaces, et une commission qui réunit parlementaires et experts, la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, est régulièrement tenue informée, non seulement des textes de loi, mais aussi des projets de décrets. Elle fait bien son travail, n'est-ce pas, monsieur Trémel ?
Le texte que nous allons voter est trés équilibré. La préoccupation du service public y est affirmée, la régulation y est renforcée, y compris par l'amendement n° 24 rectifié bis que nous venons de voter, et le rôle de France Télécom, cette grande entreprise qui est notre acteur historique, est assoupli.
Je tiens d'ailleurs à en saluer les personnels et le président a qui, comme vient de le souligner M. Hérisson, est un homme capable de manier deux cultures qui se complètent, s'affrontent, se diversifient, je veux parler de la culture informatique et de la culture des réseaux. Cette compétence est très importante dans les circonstances actuelles.
Ce projet de loi est également ambitieux. Il tient compte à la fois de l'intérêt des personnels, de celui des consommateurs, de l'adaptabilité aux directives européennes et de l'intérêt de l'entreprise. Que demander de plus ? Certes, nous souhaitons des rendez-vous ultérieurs. Nous en aurons - peut-être un peu trop selon certains - au cours desquels nous aurons l'occasion de reparler de ce domaine et de son évolution, car c'est un secteur hautement stratégique.
Nous pouvons donc féliciter le Gouvernement et notre rapporteur de cet aboutissement exemplaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Avec mon éminent collègue Daniel Raoul, j'ai eu l'occasion, tout au long de ce débat, de présenter les positions du groupe socialiste sur ce projet de loi. Mon explication de vote sera donc assez brève.
Pour la clarté de l'exposé, je considérerai sucessivement les trois titres qui nous étaient soumis.
Sur le titre III, qui est à nos yeux la vraie raison d'être de ce projet de loi, c'est-à-dire la marche vers la privatisation, notre groupe a exprimé une position très ferme. Nous sommes opposés à la privatisation de France Télécom pour des raisons de fond, d'opportunité et de forme, même si, évidemment, ce sont les raisons de fond qui l'emportent.
Au sujet du titre II, je souhaite rappeler un mot qui a été utilisé et qui restera, je crois, celui de « sanctuarisation ». Nous avons bien senti que les personnels de France Télécom avaient besoin d'être rassurés. C'était vrai depuis l'avis du Conseil d'Etat de 1993. Ce fut, bien entendu, encore plus vrai après le dépôt des titres I et III. Il fallait donc trouver une réponse, ce fut l'objet de ce titre II, présenté comme innovant, sécurisant, mais qui est aussi dérogatoire et non exempt de risques.
Si sanctuarisation il y a, il fallait aller jusqu'au bout de cette logique. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté des amendements qui traduisaient les attentes du personnel à propos de leur statut. Ces amendements portaient sur la subdélégation, sur le mode de rémunération, sur le droit d'option. Seul l'amendement portant sur ce dernier point a été adopté.
J'en viens au titre Ier.
Certes, il fallait transposer la directive européenne sur le service universel. Mais il était possible de le faire à l'occasion d'un autre texte, et le « paquet télécoms » aurait mérité d'être examiné en priorité par le Parlement.
D'autres modalités de transpositions étaient également possibles, ce que vous avez confirmé, monsieur le ministre.
En ce qui nous concerne, nous réitérons les exigences qui nous paraissent les plus importantes : garder un service universel de qualité, garder un contrôle public sur ce service universel, voir évoluer le contenu du service universel et trouver des règles plus lisibles pour son financement.
Nous voici au terme de ce débat. Il vous incombe maintenant, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, d'assumer.
M. Dominique Braye. Nous l'avons toujours fait !
M. Pierre-Yvon Trémel. À vous d'assumer la marche vers la privatisation, à vous d'assumer la mise en oeuvre d'un service universel, qui, à notre avis, aura du mal à conserver sa qualité et son unité !
M. Dominique Braye. Et les 70 milliards, vous les assumez ?
M. Pierre-Yvon Trémel. Quoi qu'il en soit, pour ce qui le concerne, le groupe socialiste n'ayant obtenu satisfaction que sur deux ou trois amendements votera contre le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est aujourd'hui une étape importante que nous faisons franchir à France Télécom en donnant tout simplement à l'entreprise les moyens juridiques de modifier son architecture pour s'insérer sur le marché, y être concurrentielle et s'y développer. Car notre objectif est bien le développement de France Télécom.
S'agissant du contenu du service universel, j'aurais souhaité que l'on aille dès aujourd'hui un peu plus loin. Je considère que le rendez-vous de 2005 sera essentiel et que nous n'aurons pas le droit de le négliger, car il nous faudra alors aller au bout de notre démarche concernant le service universel.
Notre devoir d'élus nous conduira aussi à veiller à la couverture la plus large possible du territoire.
M. Raymond Courrière. C'est antinomique !
M. Philippe Arnaud. Nous avons également pris, pour les fonctionnaires d'Etat, des mesures transitoires qui me paraissent très positives. Bien sûr, on peut s'accrocher bec et ongles au statut des fonctionnaires,...
M. Raymond Courrière. Pourquoi ne le supprimez-vous pas carrément ?
M. Philippe Arnaud. ... qu'il n'a, au demeurant, jamais été question de remettre en cause. Les fonctionnaires qui travaillent actuellement à France Télécom restent protégés par ce statut.
Mais enfin, derrière ce statut, il y a des hommes et des femmes qui, dans une entreprise, peuvent avoir des aspirations différentes et des projets de carrière différents, qui peuvent avoir envie de prendre certains risques : c'est leur liberté ! Une entreprise aussi belle et aussi performante que France Télécom, même si elle présente encore quelques signes de fragilité, offre des perspectives indiscutables aux hommes et aux femmes qui veulent bien s'y engager.
Nous avons donc, indiscutablement, créé toutes les conditions favorables au développement de France Télécom. Je suis personnellement très confiant parce que je suis convaincu que France Télécom est effectivement une magnifique entreprise, recelant des compétences très fortes.
Nous pouvons tous croire en l'avenir de France Télécom, qui, j'en suis persuadé, sortira vainqueur du défi de la concurrence, au plus grand bénéfice de nos concitoyens.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Raymond Courrière. Et pourquoi ne supprimez-vous pas, alors !
M. Philippe Arnaud. ... qu'il n'a, au demeurant, jamais été question de remettre en cause. Les fonctionnaires qui travaillent actuellement à France Télécom restent protégés par ce statut.
Mais enfin, il y a des hommes et des femmes derrière ce statut, des hommes et des femmes qui, dans une entreprise, peuvent avoir des aspirations différentes et des projets de carrière différents, qui peuvent avoir envie de prendre certains risques : c'est leur liberté ! Une entreprise aussi belle et aussi performante que France Télécom, même si elle présente encore quelques signes de fragilité, offre des perspectives indiscutables aux hommes et aux femmes qui veulent bien s'y engager.
Nous avons donc, indiscutablement, créé toutes ces conditions favorables au développement de France Télécom. Je suis personnellement très confiant, parce que je suis convaincu que France Télécom est effectivement une magnifique entreprise, recelant des compétences très fortes. Nous pensons tous croire en l'avenir de France Télécom qui, j'en suis persuadé, sortira vainqueur du défi de la concurrence, au plus grand bénéfice de nos concitoyens.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous arrivons maintenant à la conclusion d'une discussion qui a, me semble-t-il, donné à chacun la possibilité de faire entendre ses arguments et qui nous a, au total, permis d'enrichir ce projet de loi.
Je voudrais d'abord vous remercier, monsieur le président, ainsi que le président Hoeffel, de la manière dont vous avez, l'un et l'autre, dirigé nos débats, qui ont été souvent complexes.
Je voudrais également vous remercier, monsieur le ministre, notamment de votre implication personnelle dans la préparation de cette discussion.Vous avez pris le temps de venir devant notre commission et de me recevoir ; vous avez permis à vos collaborateurs de travailler de manière suivie avec la commission. Nous avons ainsi pu faire du bon travail, tout en respectant l'indépendance de l'exécutif et du législatif.
Je remercie aussi mes collègues de tous les groupes. Au-delà des logiques différentes qui nous guident, nous avons évoqué trois sujets qui nous tiennent à coeur à tous : le service universel, le statut des personnels et la composition du capital de l'entreprise France Télécom.
Nous avons pu démontrer que, à l'occasion de la transposition d'une directive, il était possible de concilier la notion de service universel et la réalité de la concurrence aujourd'hui, moyennant une clause de rendez-vous qui nous permettra, en 2005, de progresser encore et d'apporter les précisions qui nous apparaîtront utiles.
Monsieur le ministre, il importe que, avec le Parlement, vous puissiez préparer les esprits, notamment celui des opérateurs, à ce rendez-vous. En effet, nous l'avons bien senti, un travail de pédagogie, sur certains aspects financiers et techniques, est encore nécessaire. Il convient encore d'expliquer en quoi ce service universel ne pourra pas être unique si on y introduit, demain, la téléphonie mobile ou l'Internet rapide.
Par ailleurs, nous avons pu démontrer que, dans une entreprise qui est en train de devenir une entreprise comme les autres, nous pouvions préserver les droits acquis des personnels sous statut de fonctionnaire. Nous apportons à ces personnels un certain nombre de garanties. C'était pour moi tout à fait essentiel, car je n'oublie pas que deux Premiers ministres s'y étaient engagés : la continuité républicaine, c'est aussi cela.
Enfin, il nous faut mettre France Télécom en position de partir à la conquête de l'avenir, de bannir toute frilosité devant l'avenir. C'est pourquoi nous lui avons donné la possibilité d'ouvrir son capital au-delà de 50 % à d'autres actionnaires que l'Etat, étant entendu qu'un décret sera pris et que la commission chargée d'examiner ces transferts sera, bien sûr, sollicitée.
Au-delà de la technicité un peu âpre de certains des sujets que nous avons abordés, nous avons accompli un travail éminemment politique puisqu'il s'agit d'engager la mutation d'une entreprise publique tout en préservant le principe du service public dans notre pays.
Ce service public, précisément, il convient de l'adapter, de le moderniser, pour que France Télécom demeure un atout français dans le concert européen et mondial.
Il est bien évident que les télécommunications constituent une pierre essentielle dans l'édification d'une économie performante au cours des années qui viennent et qu'elles sont, en même temps, un élément essentiel des rapports humains dans notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin
n° 23
:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Majorité absolue des suffrages | 160 |
Pour | 206 |
Contre | 112 |
La parole est à M. le ministre.
M. Francis Mer, ministre. Je souhaite remercier l'ensemble de la Haute Assemblée pour la qualité de nos échanges. Les présidents de séance ont su brillamment mener ces débats, faisant en sorte qu'ils puissent se clore dans un délai raisonnable tout en laissant à chacun la possibilité de s'exprimer. Les orateurs successifs, y compris ceux qui n'étaient pas d'accord avec l'esprit de ce projet de loi, ont fait valoir leur point de vue de manière franche mais toujours reponsable. Quant au rapporteur, le président Larcher, il a effectué un travail aussi considérable que remarquable.
Cette évolution du secteur des télécommunications et de l'entreprise France Télécom revêt une importance majeure. Bien sûr, le service universel continuera à s'enrichir. Le rendez-vous qui a été pris sera l'occasion, croyez-le bien, de procéder à cet enrichissement.
Ce texte permet, au prix d'une alchimie certes un peu compliquée, d'assurer une transition exceptionnelle, unique en vérité, entre un service administratif, qu'on appelait les « télécoms », que j'ai connu lorsque j'ai failli y entrer il y a trente ans, et France Télécom de demain, c'est-à-dire une grande entreprise de taille européenne, et même mondiale.
Dans cette entreprise, pendant encore trente ans, de très nombreux fonctionnaires continueront à travailler avec fierté, en bénéficiant de leur statut actuel, à moins qu'ils ne choissisent eux-mêmes d'en changer, éventuellement en passant dans une autre fonction publique.
En conclusion, je dirai que ce que nous faisons pour France Télécom est utile et intelligent. C'est donc également utile et intelligent pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Merci, monsieur le ministre, des propos aimables que vous venez de tenir à l'endroit du Sénat dans son ensemble.
COMMUNICATION RELATIVE
À UNE COMMISSION MIXTE PRIORITAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
DROIT D'ASILE
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 340, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. [Rapport n° 20 (2003-2004) et avis n° 29 (2003-2004).]
Dans la discussion générale la parole est à M. le ministre.
M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la tradition française de l'asile plonge ses racines dans notre plus lointain passé. Aux temps les plus obscurs existaient déjà des clairières sacrées, des sanctuaires inviolables, des refuges pour les proscrits.
L'Eglise codifia ces coutumes, mais ce sont les Constituants de 1793 qui ouvrirent les portes de la France aux combattants de la liberté, « aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ». Ce droit sacré a valeur constitutionnelle : il est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, auquel fait référence la Constitution de 1958.
Oui, notre pays est une terre d'asile, même si parfois dans notre histoire, quand le visage de la France était défiguré, ses portes se sont fermées.
Oui, pour les persécutés, pour les résistants, pour les intellectuels qui refusent de se taire devant l'injustice, l'intolérance ou l'oppression, la France reste un havre d'espoir.
Oui, dans ce monde d'incertitude et de violence, il y a plus que jamais besoin de refuge pour les persécutés. Et la France, qui a des responsabilités particulières dans ce monde, ne saurait faillir à ce devoir sacré. Le rapport de la commission des lois souligne fort justement que « le droit d'asile a contribué au rayonnement de notre pays et au crédit qui lui est reconnu dans la défense des libertés et des principes démocratiques, axe majeur de notre diplomatie ».
C'est vrai, fidèle à sa tradition, la France a ratifié la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés. Elle a créé en 1952 l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, et la commission des recours des réfugiés, la CRR, en y associant - nous devons être le seul pays à le faire et le rapport pour avis de la commission des affaires étrangères le rappelle fort bien - le Haut-Commissariat pour les réfugiés, le HCR.
L'asile conventionnel, celui de Genève, a été complété en 1998 par la loi RESEDA et de nouvelles formes de protection : l'asile constitutionnel, accordé à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté, et l'asile territorial, offert aux étrangers menacés dans leur pays ou exposés à des traitements inhumains ou dégradants.
Or ce droit sacré, cette liberté fondamentale, cette valeur de la République, est en crise. Oui, s'il y a bien un point sur lequel chacun d'entre nous peut s'accorder s'agissant du droit d'asile en France, c'est qu'il est en crise, profondément. Ce sont les termes mêmes du rapport de la commission des lois : « Le dispositif français ne répond plus aux objectifs qui lui sont assignés et le droit d'asile est en crise. »
Crise de la réalité et non du principe : la France compte bien rester une terre d'asile, je crois vous l'avoir confirmé avec la plus grande conviction.
Mais les rappels solennels aux grands textes révolutionnaires ou à la convention de Genève, pour indispensables qu'ils soient, ne suffisent plus. Ils n'apportent guère de réponse aux difficultés quotidiennes des demandeurs d'asile, au désarroi des associations qui les accueillent ou au découragement des agents de l'Etat qui sont les dépositaires de cette tradition dont notre pays s'honore.
L'honneur, justement, des politiques est d'agir avec exigence et lucidité. L'asile doit bien redevenir réalité.
C'est ce principe de réalisme qui a amené le Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 octobre dernier à inviter le conseil « justice et affaires intérieures » à achever avant la fin de l'année ses travaux de préparation des directives relatives au statut de réfugié et à ses procédures d'octroi, « l'objectif étant de permettre à l'Union de s'attaquer aux abus et à l'inefficacité dans le domaine du droit d'asile, tout en respectant pleinement la convention de Genève et la tradition humanitaire des Etats membres ».
Ce principe de réalisme, c'est aussi le parti de votre commission des lois, qui observe dans son rapport que « ce texte obéit à des considérations distinctes de celles qui inspirent le projet de loi sur la maîtrise de l'immigration » et qu'« il vise à donner toute son effectivité au droit d'asile ».
Enfin, c'est bien ce principe de réalisme qui conduit le Gouvernement à vous soumettre, après son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale, ce projet de loi portant réforme de notre droit d'asile.
Le diagnostic est connu : des procédures redondantes, un dispositif saturé, des délais de réponse insupportables, des centres d'accueil submergés et, surtout, des réfugiés injustement maintenus dans la précarité pendant de longs mois.
Les causes et les effets de ces dérives sont étroitement liés : le dispositif n'est pas adapté à l'afflux considérable des demandes ; les délais de traitement s'allongent ; trop de demandes d'asile sont infondées ; enfin, les coût explosent.
Quelques chiffres donnent la mesure de l'afflux de demandes, qui est la première cause de difficultés.
En 1980, le nombre de demandeurs d'asile était inférieur à 20 000. Il s'établissait à 47 380 en 1992. Devant cet afflux, le législateur a modifié à plusieurs reprises l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il s'est ensuivi, de 1993 à 1996, une baisse relative du nombre des demandes.
La forte reprise des demandes d'asile, consécutive initialement aux événements d'Algérie, s'est poursuivie jusqu'à ce jour. En 2002, l'OFPRA a enregistré 50 500 demandes, auxquelles s'ajoutent plus de 30 000 demandes d'asile territorial déposées auprès des préfectures.
C'est un phénomène général en Europe. Pour l'ensemble de la Communauté, les demandes sont passées de 50 000 en 1983 à 700 000 en 1992, soit une multiplication par 14 en moins de dix ans. En 2002, l'Union européenne a reçu 65 % des demandes mondiales. Elle est de loin la première destination des demandeurs d'asile.
C'est l'une des raisons pour lesquelles se négocie actuellement à Bruxelles un nouveau droit communautaire de l'asile, droit qui devra être transcrit dans notre droit national. L'une des caractéristiques de cette réforme est d'anticiper ce nouveau droit communautaire. Mais nous devons agir maintenant, « sans attendre » - je cite la commission des lois - « un accord définitif sur les directives communautaires ».
La deuxième difficulté, conséquence inévitable de la première, réside dans l'allongement des délais de traitement des demandes.
Ce n'est pas une surprise : l'explosion du nombre de demandes a conduit à l'engorgement du dispositif. Les équipes de l'OFPRA et de la commission des recours des réfugiés, comme celles du ministère de l'intérieur, sont submergées malgré les moyens nouveaux mis en place par le Gouvernement depuis dix-huit mois.
Les demandeurs d'asile, dont beaucoup ont vécu des tribulations qui s'apparentent à un calvaire, doivent subir les incertitudes et l'angoisse d'une attente qui peut excéder dix-huit mois. C'est en effet malheureusement le délai moyen entre le dépôt d'une demande auprès de l'OFPRA et la décision finale de la commission des recours ! Pour l'asile territorial, obtenu auprès des préfectures, l'attente est encore plus longue.
Pendant toute cette attente, quelles conditions de vie offrons-nous à ces femmes et à ces hommes ? Comment ne pas voir que la précarité ainsi subie entraîne avec elle son cortège de souffrances, d'incertitudes, de fragilités qui exposent à toutes les dérives et toutes les mafias ?
De fait, les centres d'accueil des demandeurs d'asile sont aujourd'hui saturés, et beaucoup de demandeurs d'asile ont recours désormais au dispositif d'accueil d'urgence prévu pour les sans-abri.
La troisième difficulté tient aux détournements de procédures.
Certes, l'afflux de demandeurs d'asile témoigne de l'aggravation des violations des droits de l'homme et des persécutions à l'échelle de la planète. Chaque jour, des hommes et des femmes n'ont d'autre solution que de fuir leur pays pour échapper à des traitements dégradants, à la torture, à la mort.
Mais les personnes réellement persécutées sont loin de représenter la majorité des demandeurs d'asile. Alors qu'il reconnaissait le statut de réfugié à près d'un dossier sur cinq il y a peu, l'OFPRA ne l'accorde plus aujourd'hui qu'à moins de 13 % des demandeurs ; le constat est encore plus net quant à l'asile territorial, pour lequel le taux de décisions favorables n'a pas dépassé 0,3 % en 2002.
Ainsi, dans la plupart des cas, le parcours accompli par les demandeurs d'asile l'est en pure perte : 90 % des demandes ne peuvent être retenues parce qu'elles se fondent sur des motivations économiques et sociales qui ne relèvent pas du droit d'asile.
On notera à ce propos que, hormis les Algériens, près de 90 % des demandeurs d'asile sont entrés irrégulièrement sur notre territoire. Ces candidats à un asile que l'on pourrait qualifier d'économique recourent, en effet, aux filières d'immigration clandestine et arrivent en France le plus souvent par voie terrestre, mais aussi par voie aérienne : pour des centaines de demandes d'asile à la frontière reçues à l'aéroport de Roissy, quelques-unes seulement font l'objet d'un avis favorable du ministère des affaires étrangères.
Le fait est que beaucoup d'étrangers sollicitent notre système d'asile non pas pour obtenir la protection de notre pays, mais pour s'y maintenir le plus longtemps possible, leur motivation étant économique.
Ces demandeurs d'asile abusifs voient dans la longueur de ces procédures la possibilité d'une implantation durable. En effet, la juxtaposition des procédures de l'asile conventionnel et de l'asile territorial leur permet de se maintenir jusqu'à trois ans dans notre pays avant le rejet définitif de leurs demandes.
En pratique, il s'agit là d'un véritable détournement de procédure. Combien d'étrangers entrés irrégulièrement en France, fréquemment en rétribuant les services de passeurs mafieux, invoquent sans raison sérieuse l'asile conventionnel puis l'asile territorial pour demeurer jusqu'à trois ans dans notre pays avant le rejet de leurs demandes successives ? Et, une fois déboutés, comment les expluser, sachant qu'il ont parfois pu se marier, avoir des enfants ou s'installer, alors même que leur présence sur notre territoire résulte d'un abus de droit ?
Les premiers à pâtir de ces abus sont les véritables demandeurs d'asile, ceux qui ont souffert de persécutions. Le rapport de la commission des lois du Sénat l'affirme avec force, « le poids des "réfugiés économiques" menace le bon fonctionnement des procédures d'asile au détriment des victimes de persécutions ».
Devons-nous tolérer plus longtemps qu'une mission à valeur constitutionnelle soit ainsi détournée pour devenir un moyen d'immigration irrégulière ?
Soyons lucides : c'est le pacte social et républicain lui-même que ces errements mettent en péril. Et il en va de notre responsabilité à tous d'empêcher cette dérive de se poursuivre.
La quatrième difficulté, enfin, c'est le dérapage des coûts du traitement social de la demande d'asile.
Ces demandeurs, qui n'ont pas encore le statut de réfugié, n'ont pas accès au marché du travail. Alors qu'ils devraient, conformément à notre conception du droit d'asile, trouver rapidement une vraie place dans notre société, ils sont relégués dans les circuits de l'assistance d'Etat tant que leur situation n'est pas stabilisée en droit.
Dépendants de notre aide sociale, ils contribuent à en déséquilibrer le financement.
En quatre ans, le coût du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile est passé de 150 à 496 millions d'euros, et cela ne comprend pas le coût de l'aide médicale d'Etat, qui peut être évaluée à 700 millions d'euros pour les seuls demandeurs d'asile.
Si rien n'est fait, cette tendance ira en s'accentuant et cumulera tous les inconvénients : une charge financière de plus en plus lourde, une situation de moins en moins digne pour les réfugiés, une incertitude chaque jour plus lourde à porter.
C'est d'autant plus vrai que nous ne sommes pas en mesure de proposer à chacun d'entre eux un hébergement convenable en centre d'accueil pour demandeurs d'asile. C'est fort à propos que la commission des affaires étrangères note à cet égard dans son rapport que « les centres d'accueils sont saturés et qu'une augmentation de la capacité d'accueil de l'ordre de 25 % serait souhaitable ».
Ceux que nous ne pouvons accueillir sont orientés vers le dispositif généraliste d'herbergement des personnes sans domicile fixe, qu'ils contribuent par leur nombre à déséquilibrer, quand ils ne sont pas logés provisoirement dans des chambres d'hôtel, voire livrés à eux-mêmes avec une allocation d'insertion des plus modiques.
Ces errements coûteux sont déstabilisants pour les demandeurs. Ils sont peu compatibles avec la défense de leurs droits puisque la précarité de leur logement les fait vite perdre de vue par l'OFPRA, par les préfectures ou par les services sociaux qui doivent pouvoir les convoquer ou les orienter dans leurs démarches. Ils les exposent davantage aux compromissions et aux abus.
A l'évidence, cette situation, que vos deux commissions ont analysée avec précision, ne peut plus durer. Elle accroît les souffrances morales d'hommes et de femmes déjà éprouvés. Elle décourage les associations qui les accueillent. Elle nuit à notre image. En la laissant perdurer, on ne défend pas le droit d'asile, on l'affaiblit.
Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, que constatons-nous ?
Deux régimes, deux guichets - l'Office de protection des réfugiés et des apatrides pour le premier régime, les préfectures pour le second -, deux procédures, autant de méandres, d'arcanes, de procédures parallèles, voire concurrentes, qui suscitent l'incompréhension, l'impatience et les détournements de procédure.
L'asile en France, c'est l'attente, l'inquiétude, la précarité, mais c'est aussi l'opportunisme. En cinq ans, le nombre de demandes, toutes catégories confondues, a quadruplé. En regard, en 2002, l'OFPRA a accordé l'asile à environ 6 500 personnes et le ministère de l'intérieur, à quelques dizaines. Ce nombre d'asiles accordés est constant en valeur absolue, mais il baisse en valeur relative : il n'y a pas moins de véritables réfugiés, il y a plus de candidats à l'immigration.
Telle est la réalité de la demande d'asile : plus de 90 % des demandes n'ont pu être retenues parce qu'elles se fondaient sur des motivations économiques et sociales qui méritent sans aucun doute d'être prises en considération mais qui n'ont pas de lien avec le droit d'asile.
Certes, face à la détresse économique, à la pauvreté, à l'exclusion mondiale, les nations riches ont le devoir de venir en aide aux populations démunies. Mais ce devoir ne s'appelle pas l'« asile », il s'appelle « solidarité », « aide au développement économique », « coopération », « action humanitaire ». Ce devoir, le Président de la République et le Gouvernement en font une priorité, tenant fermement le cap de la progression de notre aide publique au développement.
La confusion entre un choix, l'immigration, et un droit, l'asile, brouille le sens de nos politiques. Elle favorise les détournements de procédures et de l'aide sociale et, tout compte fait, pénalise ceux qui ont le plus besoin de la protection de la France.
En bref, le désordre se combine avec l'injustice. Le Président de la République n'a pas dit autre chose, le 14 juillet 2002, quand il a qualifié notre système d'absurde et d'intolérable.
Il nous faut donc y remédier, en trouvant un nécessaire équilibre entre rigueur et générosité. C'est en restant fidèle à notre tradition d'asile tout en luttant efficacement contre les abus que nous pouvons apporter des solutions efficaces et durables. Tel est bien l'esprit de cette réforme.
Présentée au conseil des ministres du 25 septembre 2002, la réforme proposée au Sénat doit consacrer un véritable renouveau de notre droit d'asile.
Ce renouveau va procéder en quatre axe principaux : la réforme renforce les garanties offertes aux demandeurs d'asile ; elle rationalise les procédures pour réduire les délais d'examen des dossiers ; elle prend en compte les formes nouvelles de persécution et les nouvelles possibilités de protection offertes par les organisations internationales ; enfin, elle est conçue dans un esprit d'harmonisation avec le droit que nous construisons pas à pas avec nos partenaires européens.
Le premier acte de la réforme tient au renforcement des garanties offertes aux demandeurs d'asile.
Au-delà de la rationalisation du dispositif, qui va incontestablement bénéficier aux demandeurs d'asile, deux mesures essentielles illustrent la volonté du Gouvernement de mieux protéger ces dernières : l'abandon du critère jurisprudentiel de l'origine étatique des persécutions pour l'octroi du statut de réfugié et la substitution de la protection subsidiaire à l'asile territorial.
C'est précisément pour mieux appliquer la convention de Genève et, partant, pour renforcer la protection des demandeurs d'asile que le Gouvernement propose l'abandon du critère de l'origine étatique des persécutions lié à l'interprétation faite par les tribunaux de l'article 1er de la convention.
Avec cette réforme, le statut de réfugié pourra être accordé même si les persécutions proviennent d'acteurs non étatiques, comme c'est de plus en plus souvent le cas. Il faut souligner que cette évolution était souhaitée depuis longtemps par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés ainsi que par les associations et organisations d'aide aux réfugiés.
Mais la convention de Genève ne prend pas en compte toutes les violences qui conduisent leurs victimes à fuir leur pays. D'où l'introduction, en 1998, de l'asile territorial dans notre droit avec la loi RESEDA.
Dans le projet de loi, la protection subsidiaire va remplacer l'asile territorial.
Cette protection est dite « subsidiaire » en ce sens qu'elle ne sera examinée que si le demandeur ne remplit pas les conditions de l'asile conventionnel prévues par la convention de Genève.
L'OFPRA vérifiera donc si le demandeur relève des critères de la convention de Genève avant d'envisager, si tel n'est pas le cas, l'octroi éventuel de la protection subsidiaire.
Ajoutons que les critères de cette protection subsidiaire sont plus précis que ceux de l'actuel asile territorial, ce qui devrait diminuer le risque d'arbitraire dans l'appréciation des situations individuelles.
Cette hiérarchisation dans l'examen successif des deux formes d'asile montre bien que le Gouvernement n'a, en aucun cas, l'intention de marginaliser la convention de Genève dans notre système de protection au profit de la protection subsidiaire.
En outre, alors que l'asile territorial laissait une grande marge d'appréciation au ministère de l'intérieur, l'OFPRA sera tenu - je dis bien « tenu » - d'accorder la protection subsidiaire dès lors que les critères en seront réunis.
Par ailleurs, ce seront les officiers de protection de l'OFPRA, spécialistes du droit d'asile, indépendants dans leur jugement et bons connaisseurs des pays d'origine, qui examineront les demandes, tandis que les recours se feront devant la commission des recours des réfugiés, avec un caractère suspensif, ce qui n'est pas le cas actuellement devant les tribunaux administratifs. Là encore, l'extension de la protection pour les demandeurs d'asile est appréciable. Pour reprendre les termes du rapport de la commission des affaires étrangères, que je tiens à remercier de cette appréciation favorable, « l'expérience des officiers de protection de l'OFPRA est une garantie forte qui s'ajoute au cadre légal dans lequel ils exercent leur mission » pour la protection subsidiaire comme pour l'asile territorial.
Le deuxième axe de la réforme réside dans la rationalisation des procédures.
Je ne m'étendrai pas sur les trois innovations de procédure qui sont déjà bien connues : un guichet unique - l'OFPRA sera seul compétent en matière d'asile conventionnel et de protection subsidiaire -, une procédure unique - c'est à l'OFPRA qu'il appartiendra de qualifier la demande d'asile lors de l'instruction et d'éviter ainsi le dépôt de demandes successives pour le même motif, mais sur des fondements juridiques différents - et un recours unique, devant la commission des recours des réfugiés.
La rationalisation de notre système d'asile permettra de raccourcir très sensiblement les délais moyens de traitement des demandes par l'OFPRA.
Soyons clairs, la réduction des délais d'instruction ne se fera pas au détriment des demandeurs d'asile, en conduisant à des procédures expéditives. C'est même exactement le contraire qui se produira puisque la réduction des délais lèvera bien plus vite l'incertitude sur leur sort. Elle ne sera, en fait, défavorable qu'à ceux qui misaient jusqu'à présent sur la longueur de la procédure pour se maintenir le plus longtemps possible sur notre territoire, en violation de notre droit.
Je l'affirme une fois encore, les garanties offertes aux demandeurs d'asile seront étendues, avec, notamment, la garantie d'un examen au fond de leur demande, la présence d'un conseil au cours des auditions et un recours juridictionnel à effet suspensif pour les deux types d'asile.
A cet égard, la question de la convocation pour l'audition des demandeurs d'asile reste posée avec insistance. Le débat à l'Assemblée nationale a permis d'introduire un dispositif garantissant aux demandeurs de pouvoir exposer les éléments de leur dossier. Cependant, la commission des lois a adopté un amendement de son rapporteur, Jean-René Lecerf, qui inverse cette construction en posant le principe de la convocation et en l'assortissant d'exceptions clairement énoncées. Je lui laisse le soin d'en exposer l'économie, mais je me félicite de cet apport précieux au projet de loi, apport qui ne peut que rassurer ceux qui ont cru pouvoir nourrir des inquiétudes sur les intentions du Gouvernement en la matière.
Pour la simplifier et la rendre performante, une procédure unique d'examen des demandes sera donc instaurée. En amont, les préfectures restent compétentes pour recevoir les demandes d'asile, quelle qu'en soit la nature, et délivrer des autorisations de séjour aux demandeurs.
Observons au passage que, à cette occasion, chaque demandeur d'asile est entendu par un agent du service compétent de la préfecture. Si je fais mention de cette étape de la procédure, c'est parce que, dans beaucoup de pays de l'Union européenne, cela est considéré comme valant entretien systématique. Je le rappelle, car notre dispositif actuel assure une qualité de service bien plus achevée aux demandeurs, et je voudrais que ce point ne soit pas perdu de vue tout à l'heure, dans nos débats.
L'examen au fond des demandes relèvera désormais du seul OFPRA. C'est le sens de l'expression d'un « guichet unique », guichet placé sous la responsabilité du ministre des affaires étrangères. C'est ce que la commission des affaires étrangères rappelle fort justement dans son rapport : « la France est le seul Etat de l'Europe des Quinze où l'examen des demandes d'asile se fait sous la tutelle du ministère des affaires étrangères ».
Le troisième axe de la réforme est la prise en compte des nouvelles réalités du droit d'asile dans un esprit d'harmonisation communautaire.
L'exemple de Sangatte a montré à l'envi les inconvénients d'une politique de l'asile disparate au sein des pays de l'Union. Il n'y aurait rien de plus déstabilisant pour notre espace commun et pour les relations entre nos peuples que l'absence de coordination dans le traitement du droit d'asile. Des divergences au sein de l'espace Schengen se traduiraient nécessairement par des flux secondaires de migration, que nous devons absolument éviter.
Comme la commission des affaires étrangères l'affirme avec beaucoup de netteté dans son rapport pour avis, « l'harmonisation des législations européennes en matière d'asile est une nécessité ».
Avec le traité d'Amsterdam, nous nous sommes précisément engagés dans la voie de l'harmonisation. Les directives communautaires encore en discussion, dont le Conseil européen des 16 et 17 octobre vient à nouveau de demander la finalisation avant la fin de 2003, introduisent plusieurs concepts nouveaux qui vont dans le sens d'une protection meilleure parce que plus proche des réalités.
Le premier concept est l'abandon du critère de l'origine étatique des persécutions.
Depuis la signature de la convention de Genève en 1951, l'origine et la nature des violences qui justifient le droit d'asile ont changé. Des régions entières échappent à l'autorité des Etats. Des populations locales peuvent être sous la coupe de milices qui les terrorisent. Les exemples abondent de ces violences qui gangrènent les sociétés, de ces infiltrations mafieuses souvent liées au terrorisme, de ces zones grises ou de non-droit qui affectent de plus en plus la géographie et la politique.
Désormais, la qualité de réfugié pourra être accordée, même si les menaces de persécution sont le fait d'acteurs non étatiques.
Le deuxième concept, corollaire du précédent, est celui d'asile.
La notion d'asile interne permettra à l'OFPRA de ne pas retenir la demande d'asile d'une personne, qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine et qui pourrait raisonnablement y être renvoyée sans crainte d'y être persécutée.
Dans beaucoup d'endroits, des organisations internationales, régionales ou locales assurent dans des zones sécurisées la protection des populations menacées. Il en est ainsi au Kosovo, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire ou encore en République démocratique du Congo. Dans tous ces cas, et dans bien d'autres, la France a assumé ses responsabilités, vous le savez, en contribuant au succès de ces missions diligentées par la communauté internationale.
Il faut se réjouir de l'émergence de cette nouvelle forme de sécurité collective, ancrée sur la légitimité des Nations unies. Dès lors, n'y aurait-il pas une incohérence à mobiliser la communauté internationale, afin d'établir des zones de sécurité pour ensuite ne pas accepter que des populations puissent y trouver refuge ?
Comment faire comprendre à nos concitoyens que nous contribuons au financement d'opérations de maintien de la paix, auxquelles nous participons même parfois militairement, mais que nous refusons de tirer les conséquences de leur succès en termes de gestion du droit d'asile des populations concernées ?
Si nous voulons être cohérents et montrer notre confiance à cette forme de sécurisation du monde, alors faisons en sorte que les populations restent sur place dès lors qu'elles n'y sont pas en danger. Accorder l'asile, ce serait donner un signal aux persécuteurs qui attendent le désengagement de la communauté internationale. Ce serait couper les populations de leur environnement, de leurs racines. Ce serait, une fois la paix revenue, les astreindre à de nouveaux efforts de réinsertion. Leur accorder l'asile, ce serait favoriser la fuite des forces vives d'une région et, donc, rendre plus difficile sa reconstruction.
Il faut donc prendre en considération, chaque fois que c'est possible, le maintien des populations chez elles, car je n'arriverai jamais à me convaincre que l'asile ailleurs est préférable à l'asile chez soi. Je rappelle que cette notion d'asile interne est utilisée par la plupart de nos partenaires européens, ainsi qu'aux Etats-Unis, au Canada ou en Suisse.
Le troisième concept introduit par le projet de loi est celui de pays d'origine sûr. Un pays d'origine sûr est un Etat de droit. Des persécutions ne sauraient y être perpétrées, y être autorisées ou y demeurer impunies.
Chacun peut comprendre qu'une demande d'asile peut être traitée différemment selon qu'elle provient d'un Etat de droit ou au contraire, d'une dictature.
Au demeurant, c'est un mécanisme comparable à celui de la clause dite de cessation de la convention de Genève, que l'OFPRA applique aux réfugiés dont le pays est redevenu sûr, et qui a été étendu en 1993 à l'admission au séjour des demandeurs d'asile.
Il ne s'agit pas de rejeter systématiquement les demandes d'asile déposées par des ressortissants de pays d'origine sûrs, ni de les considérer comme irrecevables, mais simplement de traiter ces demandes selon une procédure accélérée, dite « prioritaire », avec la garantie d'un examen au fond de chaque dossier, conformément à nos principes constitutionnels.
Nous devons aboutir rapidement à la fixation, sur le plan européen, d'une liste commune de pays présumés sûrs, sur la base de critères communs, facilement révisables pour tenir compte des évolutions de la situation internationale. La récente rencontre à La Baule des ministres de l'intérieur de cinq pays du conseil justice et affaires intérieures en a confirmé le principe et l'urgence.
Cette liste sera probablement annexée à la directive en cours de préparation sur le statut des réfugiés. D'ici là, le conseil d'administration de l'OFPRA, où siègent le HCR et des représentants de la société civile, sera chargé d'établir cette liste à titre provisoire.
Le dernier axe du dispositif est la rationalisation des moyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le renforcement des moyens en personnel de l'OFPRA et de la Commission des recours des réfugiés est engagé ; je vous en avais d'ailleurs rendu compte lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2003.
Cet effort se poursuit. Je souscris, à cet égard, à l'analyse qu'en fait la commission des affaires étrangères quand elle souligne qu'« il est indispensable de poursuivre les efforts de productivité déjà entrepris et de garantir les moyens humains et matériels consacrés aux droits et aux demandes en cours ».
Je citerai tout d'abord quelques chiffres sur la résorption de l'encours de demandes à l'OFPRA. Fin 2002, il y avait 35 000 dossiers en instance ; il y en aura à peine plus de 15 000 à la fin de l'année. C'est que le nombre de décisions rendues par l'Office est passé de 40 000 en 2001 à plus de 65 000 en 2003, ce dernier chiffre étant bien entendu une projection sur l'ensemble de l'année. A ce rythme, il est raisonnable d'estimer que, à la fin de cette année, l'OFPRA traitera en moyenne une demande en quatre mois, contre plus de huit mois fin 2002, et que nous parviendrons à atteindre l'objectif de deux mois assigné par le Président de la République à l'été 2004.
Cela ne s'est pas fait sans efforts, et je me plais à souligner la mobilisation du personnel de l'Office, ni sans moyens supplémentaires. Après une augmentation de 125 % en trois ans, la subvention à l'OFPRA et à la Commission des recours des réfugiés va être portée à 36,2 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2004. Ce montant recouvre notamment la création ou la consolidation de 196 emplois supplémentaires.
Je sais pouvoir compter sur votre soutien vigilant, tel que l'expriment les auteurs des rapports des deux commissions.
Sur la question du coût global du dispositif, le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères estime avec raison que « le coût global de la politique d'asile doit être mieux connu ». La commission propose, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, de créer des actions spécifiques dans les programmes de chaque ministère concerné par l'asile, et de mettre en place un projet concerté de politique interministérielle sous la direction du ministère des affaires étrangères. Quel que soit le chef de file retenu, et je ne disconviens pas qu'il serait légitime que ce soit effectivement le ministère des affaires étrangères, je retiens cette proposition constructive et conforme à l'esprit de gestion par objectifs que porte la LOLF.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme qui vous est soumise est destinée à redonner toute sa portée et tout son sens à la tradition française d'accueil des opprimés.
Au-delà des considérations d'efficacité et d'équité, je considère que c'est une question d'honneur pour notre pays.
Il s'agit en effet d'honorer un engagement que les constituants ont pris il y a deux siècles devant les hommes et devant l'Histoire. Les combattants de la liberté, les victimes de l'oppression, les proscrits doivent être accueillis dans la dignité. Il n'est plus tolérable que leur arrivée dans notre pays soit synonyme d'attente, d'inquiétude et d'injustices, et il ne faut plus que les désordres de notre dispositif d'asile soient porteurs d'incertitude et de précarité.
Redonner une nouvelle force au droit d'asile, c'est favoriser le rayonnement de la France, c'est confirmer l'engagement de notre pays en faveur des libertés.
Redonner de la vigueur au droit d'asile, c'est affirmer devant le monde que la France continue à vivre ses valeurs et sa tradition, qu'elle demeure attachée au principe de justice qui doit guider la construction d'un monde nouveau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en abordant la réforme du droit d'asile, la première idée qui vient à l'esprit, le premier sentiment qui nous anime, c'est bien la relation privilégiée, l'alchimie particulière qui s'est instaurée entre la France et la liberté, entre la patrie des droits de l'homme et la main tendue à ceux qui sont persécutés.
Même si elle n'a jamais été appliquée, la Constitution de 1793 n'en reste pas moins un symbole puissant qui a nourri la tradition française d'accueil des réfugiés jusqu'au préambule de la Constitution de 1946, repris en 1958, et jusqu'à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui consacre le droit d'asile comme « un principe de valeur constitutionnelle dont la loi ne peut réglementer les conditions d'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ».
Il est des évidences qu'il conviendra, je pense, de rappeler souvent dans ce débat et qui marquent bien la remarquable spécificité des procédures françaises en ce domaine.
Tandis que treize des Etats membres de l'Union européenne confient au ministère de l'intérieur l'examen des demandes d'asile, la particularité de notre droit repose sur la compétence d'un établissement public autonome, l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dont les décisions sont contrôlées par un organisme juridictionnel spécialisé, la Commission des recours des réfugiés, elle-même placée sous le contrôle du Conseil d'Etat, juge de cassation.
Mais, mes chers collègues, puisqu'il ne s'agit nullement de remettre en cause cette architecture de notre Etat de droit, fidèle au génie de notre pays et partie prenante de notre rayonnement international, pourquoi une réforme, me direz-vous ? Parce que, dans son fonctionnement quotidien, la machine s'est emballée et génère aujourd'hui de multiples effets pervers.
Le système, patiemment mis au point dans l'intérêt d'une reconnaissance rapide du statut de réfugié, a été détourné de son but pour devenir un facteur considérable d'immigration irrégulière au détriment de l'Etat de droit, de l'intérêt élémentaire des victimes de persécution, de la dignité des personnes et de l'efficacité de nos institutions.
L'augmentation massive des demandes d'asile depuis 1998, passant de 23 000 à plus de 80 000, a provoqué un engorgement sans précédent des services chargés de ces problèmes, qu'il s'agisse de l'OFPRA ou de la Commission des recours des réfugiés, pour la reconnaissance du statut du réfugié, c'est-à-dire de l'asile conventionnel en application de la convention de Genève de 1951 et de la loi de 1952, ou qu'il s'agisse du ministère de l'intérieur et des préfectures, pour l'octroi de l'asile territorial issu de la loi RESEDA de 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
On en arrive aujourd'hui, malgré les efforts déployés et les moyens supplémentaires accordés, à des délais procéduraux de l'ordre de dix-huit mois à deux ans, en moyenne, pour l'asile conventionnel, et du même ordre pour l'asile territorial. Il y a en outre des risques de cumul, ce qui explique largement la faiblesse extrême, que l'on peut évaluer au maximum à 5 %, des mesures d'éloignement des déboutés du droit d'asile.
Et pourtant, jamais les décisions favorables à la reconnaissance du statut de réfugié n'ont été aussi peu nombreuses. On est passé de 80 % de réponses positives à la fin des années quatre-vingt à 17 % en 2002 pour l'asile conventionnel, ce qui représente 8 500 certificats de réfugiés en 2002 pour 50 000 demandes d'asile. S'agissant du taux d'octroi de l'asile territorial, il atteint en 1999 son plus haut niveau, si l'on peut dire, avec 6 % de réponses positives, pour tomber en 2002 à 0,3 %.
Et pourtant, chacun reconnaît la qualité du travail de l'OFPRA et de la CRR, mais constate que la demande d'asile, qui ouvre un droit au séjour pendant toute la durée de la procédure, a le plus souvent aujourd'hui une motivation exclusivement économique.
C'est bien là que se fait l'amalgame entre immigration et asile. La procédure d'asile est à plus de 80 % utilisée à des fins économiques, certes respectables, mais étrangères à l'essence même de la notion d'asile ; la multiplication des demandes entraîne l'allongement des délais, qui lui-même génère de nouvelles demandes infondées. Les déboutés du droit d'asile, après des années passées dans notre pays, ont tissé des liens qui rendent bien difficile leur éloignement et vont ainsi élargir le cercle des sans-papiers, condamnés à vivre dans l'illégalité et devenus des proies faciles pour trafiquants et mafias.
Comme vous l'avez rappelé avec force devant l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, « l'asile est un droit et l'immigration un choix ». En laissant ce droit subir de tels abus, on finit par l'étouffer, au nom des bons sentiments, des grands principes, et l'on ne fait que confirmer, sans s'en rendre compte et avec bonne conscience, le proverbe qui dit l'enfer pavé de bonnes intentions.
Enfin, la réforme s'impose pour une ultime raison : l'absolue nécessité en cette matière d'une harmonisation des normes dans le cadre européen.
En effet, on assiste globalement à une nette augmentation des demandes d'asile en Europe, mais cela recouvre des évolutions contrastées selon les Etats. La disparité des législations entraîne des mouvements secondaires importants de demandeurs d'asile, dont le centre de Sangatte nous a fourni l'an dernier un exemple particulièrement significatif.
Les étrangers qui avaient rejoint cette structure d'accueil souhaitaient, dans leur immense majorité, gagner le Royaume-Uni en raison de règles, sur le contrôle d'identité et surtout sur le droit au travail, alors plus attractives.
Nous sommes cependant tous bien conscients que cette harmonisation européenne doit conjurer un double écueil : d'une part, les effets d'appel suscités par les dispositifs les plus favorables et, d'autre part, un alignement sur le plus petit dénominateur commun.
Mais venons-en maintenant, si vous le voulez bien, mes chers collègues, aux principales dispositions du projet de loi, ce qui permettra tout d'abord de recenser les avancées sensibles et unanimement reconnues dans le cadre des auditions nombreuses auxquelles j'ai procédé en qualité de rapporteur de la commission des lois.
Trois réformes devraient être saluées sur toutes les travées de cet hémicycle, dans la mesure où elles sont source à la fois de clarification et de garanties renforcées pour les demandeurs d'asile : il s'agit de l'unification des procédures autour de l'OFPRA, de l'avènement de la protection subsidiaire et de la prise en compte des persécutions d'origine non étatique.
L'OFPRA sera désormais chargé d'examiner l'ensemble des demandes d'asile, alors qu'elles peuvent aujourd'hui être portées parallèlement ou successivement devant les préfectures ou devant l'Office. La mise en place de ce guichet unique simplifiera les démarches du demandeur, réduira les délais des procédures d'examen et libérera les services préfectoraux d'une lourde charge. Cela devrait à l'évidence leur permettre de délivrer désormais, en un minimum de temps, l'autorisation provisoire de séjour dont l'obtention, ne l'oublions pas, conditionne le dépôt de la demande d'asile devant l'Office.
La protection subsidiaire se substituera à l'asile territorial. Dans les hypothèses où une personne ne satisfait pas aux critères de la convention de Genève, bien que sa situation exige une protection, le demandeur d'asile relevait jusqu'à présent du pouvoir discrétionnaire du ministre de l'intérieur, soumis à un recours devant le juge administratif, bien aléatoire puisque ne présentant, d'une part, aucun caractère suspensif et se limitant, d'autre part, au contrôle minimum de l'erreur manifeste d'appréciation. Désormais, la protection subsidiaire apparaîtra comme une compétence liée de l'OFPRA, qui devra l'accorder si les conditions d'octroi sont réunies, avec la garantie d'un recours, à caractère suspensif celui-là, devant la Commission des recours des réfugiés.
Enfin, le projet de loi impose la prise en compte des persécutions d'origine non étatique pour accorder le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, mettant ainsi heureusement fin à une jurisprudence, aussi surprenante que bien établie, qui n'admet que les persécutions perpétrées ou à tout le moins encouragées par l'Etat.
Jusqu'ici, la réforme fait, je le crois, l'unanimité, et c'est donc autour de ses autres aspects que devrait se circonscrire l'essentiel de nos débats.
C'est ainsi que deux notions nouvelles sont introduites dans le projet de loi sur la base de deux directives communautaires en cours d'examen, les notions d'asile interne et de pays d'origine sûr.
Le statut de réfugié ou la protection subsidiaire pourront être refusés par l'OFPRA si le demandeur est en mesure de bénéficier d'une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine. Cette simple possibilité est en outre entourée de nombreuses garanties, déjà renforcées par un amendement de l'Assemblée nationale et que la commission des lois vous propose de compléter encore.
Les demandes des pays considérés comme étant d'origine sûrs, c'est-à-dire ceux qui respectent l'ensemble des principes démocratiques, feront l'objet d'un traitement prioritaire. Dans l'attente de la mise en place par l'Union européenne d'une liste des pays d'origine sûrs à l'horizon 2004, c'est l'OFPRA qui sera chargé de sa première élaboration.
Notons que ces deux notions d'asile interne et de pays d'origine sûr s'avèrent déjà largement appliquées par nos partenaires européens et que les auditions tendent à démontrer que la prise en compte de ces deux concepts, nécessaire pour inscrire l'effort d'harmonisation européenne en droit français, ne devrait concerner qu'un nombre restreint de demandeurs d'asile.
Le projet de loi met enfin en oeuvre toute une série de réformes à caractère plus technique relatives à l'organisation de l'OFPRA et de la Commission des recours des réfugiés, dont nous débattrons à l'occasion de l'examen des amendements et du vote des différents articles. Sans sous-estimer leur importance ni les possibilités nouvelles qu'elles apportent pour faire face à l'afflux des demandes d'asile, ces réformes ne me paraissent bouleverser en aucune manière la spécificité de nos procédures. Notamment, le rôle du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés n'est en rien remis en cause. Au contraire, serais-je même tenté de dire !
En conclusion, je souhaiterais attirer tout particulièrement l'attention sur les conditions - et elles ne tiennent pas toujours à des aspects juridiques, législatifs ou réglementaires - du succès de cette réforme et, partant, sur ses risques d'échec.
Succès ou échec s'apprécieront fondamentalement, toutes les garanties étant par ailleurs respectées - M. le ministre le soulignait à l'instant -, à l'aune du raccourcissement des délais de la procédure de demande d'asile.
L'objectif raisonnable serait, à mon sens, de parvenir à un délai global moyen de l'ordre de six à huit mois. Encore faut-il, pour y parvenir, mobiliser l'ensemble des partenaires ,- à commencer par le ministère de l'intérieur, qui, jusqu'à présent, prenait son temps pour délivrer l'autorisation provisoire de séjour ! Selon les préfectures, des délais de l'ordre de un à deux mois, mais pouvant atteindre de façon assez fréquente jusqu'à huit mois, m'ont été signalés.
Dans la mesure où la charge que représente l'examen des demandes d'asile territorial va disparaître, il n'y aura plus de raison que ce délai dépasse quelques jours, comme le ministre de l'intérieur s'y est d'ailleurs récemment engagé devant la commission des lois, lors de son audition sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France.
Mais puisque cette compétence, qui incombait jusqu'à présent aux préfectures et au ministre de l'intérieur, sera désormais assumée par l'OFPRA et par la Commission des recours des réfugiés, il est impératif que l'un et l'autre bénéficient d'une augmentation très significative de leurs moyens humains et matériels. Nous comprendrions d'autant plus mal des réticences gouvernementales sur ce point, invoquant par exemple la tension des équilibres budgétaires, que ces indispensables renforts seront à court terme source d'économies pour l'Etat.
En effet, le coût social de la prise en charge des demandeurs d'asile s'accroît dans des conditions vertigineuses : 150 millions d'euros en 2000, 200 millions en 2001, 270 millions en 2002 et 239 millions en estimation, en 2003, pour les seules dépenses d'hébergement, le coût du traitement administratif ne représentant que 10 % de la dépense.
Dans un chiffrage prudent et généralisant à l'ensemble des demandeurs d'asile - ce qui est une bonne chose - les conditions matérielles d'accueil qui sont aujourd'hui applicables aux seuls demandeurs d'asile conventionnel - allocation d'insertion et hébergement en centre d'accueil pour les demandeurs d'asile, le CADA -, l'étude d'impact du projet de loi chiffre à 80 millions d'euros par an le bénéfice financier attendu de la réforme, dont on peut penser qu'il devrait évoluer favorablement au fil des années.
En effet, nous pouvons raisonnablement escompter que cette réforme du droit d'asile enclenchera un cercle vertueux. Le raccourcissement des délais générera une diminution des démarches infondées, c'est-à-dire celle des « réfugiés économiques » ; elle-même sera source d'une amélioration de la situation des centres d'hébergement et des CADA. Parallèlement, les personnes persécutées bénéficieront beaucoup plus vite d'un statut protecteur et du droit au travail, tandis qu'il est vraisemblable que les taux de décisions favorables de l'OFPRA redeviendront beaucoup plus significatifs.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, des textes comme celui que nous examinons aujourd'hui sont par nature éminemment sensibles et nous obligent à trouver la juste mesure, celle de l'équilibre entre la générosité et la solidarité, qui s'ancrent dans nos traditions les plus respectables, d'autre part, et, d'autre part, la non moins nécessaire rigueur sans laquelle la porte est ouverte à tous les débordements et à toutes les aventures.
C'est le mouvement qui crée l'équilibre et la commission des lois tentera modestement, par ses amendements, d'y contribuer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Paul Dubrule, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues. Les rédacteurs de la convention de Genève avaient limité sa portée aux événements survenus avant 1951, certains Etats pouvant même en limiter le champ d'application à l'Europe. Tous sans exception avaient alors en mémoire les atrocités qui marquèrent les années trente et quarante. Ils voulaient, par un texte fort, tirer toutes les conséquences de l'insuffisance des conventions internationales régissant, jusque-là, le sort des réfugiés. Ils voulaient également s'assurer qu'aucun Etat ne puisse refouler ces réfugiés au péril de leurs vies et leur refuser l'asile sans un examen respectant leurs droits essentiels. Ces rédacteurs avaient, je crois, l'espoir que de tels drames - ces flots de réfugiés - restent un problème appartenant au passé.
La reconnaissance de ce droit fondamental ne devait pourtant pas longtemps garder ce caractère historique. Dès 1967, face aux drames du monde, les Etats choisissaient de lever les restrictions temporelles et géographiques de la convention de Genève en lui donnant une portée universelle, aujourd'hui reconnue par la quasi-totalité des Etats.
Dans le domaine du droit d'asile, mes chers collègues, pèse tout le poids des engagements internationaux de la France et de ses obligations à l'égard des personnes persécutées.
Ce devoir, elle le tient aussi d'un long héritage religieux, politique et juridique, antérieur à la Révolution française et conforté par elle. Le texte de la Constitution montagnarde proclamait, tel un défi à l'Europe monarchique en armes, « le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. »
Droit régalien, intimement lié à la souveraineté, un Etat étendant sa protection souveraine à une personne n'ayant pas sa nationalité, le droit d'asile a longtemps été attribué de manière discrétionnaire et intuitu personae. Ce sont les massacres du xxe siècle et la prise de conscience qu'ils ont provoquée qui ont entraîné son inscription parmi les principes particulièrement nécessaires à notre temps du préambule de la Constitution de 1946, repris par la Constitution de 1958 et utilisés par le Conseil constitutionnel à l'appui de ses décisions, comme l'ensemble des composantes du bloc de constitutionnalité.
C'est une exigence constitutionnelle : l'accueil des réfugiés poursuivis en raison de leur action en faveur de la liberté nous oblige à en réglementer les conditions afin de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles de même valeur. Pour les mêmes raisons, le Conseil constitutionnel a, par deux fois, rappelé que la France ne pouvait pas, sous le bénéfice de traités européens, s'en remettre complètement à un autre Etat pour examiner une demande d'asile et qu'elle devait préserver la possibilité d'accueillir une personne demandant l'asile sur le fondement de la Constitution. Cela nous a conduits à modifier par deux fois notre loi fondamentale, en 1993 et en 1997.
En Europe justement, le droit d'asile est devenu un problème d'intérêt commun pour trois raisons principales.
Tout d'abord, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, les pays européens dans leur ensemble doivent faire face à une hausse presque continue du nombre des demandes d'asile. Elles sont légèrement inférieures à 400 000, ce qui représente plus de 65 % des demandes d'asile dans le monde. Si l'on y ajoute les pays candidats, l'Europe reçoit plus de 70 % de ces demandes. Dans le même temps, le nombre de décisions accordant le statut de réfugié est toujours plus faible, laissant penser à un accroissement du nombre des procédures abusives.
Cette évolution pose d'autant plus de difficultés que, depuis l'accord de Schengen et le traité de Maastricht, les pays européens ont constitué entre eux un espace de libre circulation des personnes dans lequel les risques de mouvements secondaires des réfugiés sont très élevés, les réfugiés se tournant vers le pays le plus accueillant. Or, pour faire face à ce risque, les pays européens sont tentés d'adopter, de manière non concertée, des mesures toujours plus restrictives.
C'est pourquoi les pays européens ont accepté, par les traités d'Amsterdam et de Nice, de prendre des décisions à la majorité qualifiée sur ce sujet. La Commission négocie, depuis 2000, deux directives principales relatives au droit d'asile afin de débuter l'harmonisation des législations.
En France, comme dans le reste de l'Europe, le nombre des demandes d'asile croît depuis 1996. Il est aujourd'hui évalué entre 80 000 et 95 000, soit environ 50 000 demandes d'asile conventionnel et 30 000 à 45 000 demandes d'asile territorial. La spécificité française est que le nombre de demandes continue d'augmenter alors que, dans plusieurs pays d'Europe ayant modifié leur législation pour réduire la durée des procédures, leur nombre a baissé significativement.
Cette évolution est la cause principale de l'engorgement des organismes chargés de traiter les demandes et de prendre en charge les réfugiés. Le délai de traitement a dépassé les limites de ce qui est acceptable. En 2002, l'OFPRA mettait environ onze mois à traiter une demande, la Commission des recours neuf mois. Je dois signaler à cet égard, m'étant rendu sur place, que cela ne provient pas d'un manque de compétence des fonctionnaires, qui rendent au contraire un travail de très grande qualité au prix d'un effort considérable.
De plus, l'ensemble du dispositif s'est trouvé considérablement alourdi par la création, en 1998, d'une procédure parallèle devant les préfectures, celle de l'asile territorial, provoquant doublons et retards. Les préfectures se sont trouvées incapables de traiter ces demandes et de fournir, dans des délais raisonnables, des documents de séjour aux demandeurs d'asile dépendant de l'OFPRA. Il en résulte que la plupart des procédures durent entre un an et deux ans.
L'explosion des délais a des conséquences directes sur le coût de la prise en charge sociale des demandeurs. En effet, ceux-ci reçoivent des aides dans l'attente d'une décision définitive, leur coût est donc d'autant plus grand que les procédures s'allongent.
On estime ainsi que la politique d'asile a un coût - j'ai personnellement annoncé la somme de 400 millions d'euros alors que vous en êtes, pour votre part, monsieur le ministre, à 500 millions d'euros, et je crois que vous êtes plus près de la vérité - sans que l'administration soit à même de le mesurer précisément ; j'y reviendrai.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les raisons essentielles de la réforme : l'indispensable harmonisation européenne et la nécessaire remise en ordre de nos procédures d'examen des demandes d'asile.
J'en viens, dans un dernier temps, au contenu même du projet de loi et aux observations de la commission des affaires étrangères et de la défense.
Nous avons majoritairement estimé que le projet de loi qui nous était présenté était un projet équilibré, donnant des droits supplémentaires aux demandeurs d'asile.
Je voudrais ici rappeler la mise en place d'une procédure unique d'examen des demandes sous l'égide de l'OFPRA et du ministère des affaires étrangères ; le remplacement de l'asile territorial par la protection subsidiaire, transformant une simple possibilité en un droit pour les demandeurs dès lors qu'ils remplissent les critères d'attribution ; enfin, la reconnaissance des persécutions d'origine non étatique, élargissant très sensiblement les conditions de reconnaissance du statut de réfugié.
Parallèlement, le projet de loi introduit des notions juridiques nouvelles, utilisées par la plupart des grands pays démocratiques, figurant dans les projets de directives européennes et correspondant à la doctrine du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il s'agit principalement de la reconnaissance d'un asile interne, d'acteurs de protection non étatiques et de la notion de pays d'origine sûrs.
Ce projet de loi m'amène à formuler plusieurs observations complémentaires.
Je veux, tout d'abord, tempérer les critiques fortes qui sont émises au sujet des nouveaux concepts juridiques introduits par le projet de loi.
Aucun ne portera atteinte à un examen individuel et au fond des demandes. N'oublions pas que la loi limitera la liberté d'interprétation de l'OFPRA et que celui-ci en fera une application prudente et circonstanciée, construisant progressivement sa doctrine sous le contrôle des juges, de la Commission des recours puis du Conseil d'Etat, gardiens toujours actifs des droits fondamentaux. Surtout, après cette réforme, la législation française restera parmi les plus protectrices en Europe.
Ensuite, je crois que le statut de la Commission des recours des réfugiés doit faire l'objet de précisions. Il est souhaitable que la loi confirme la jurisprudence et la pratique constante en affirmant qu'elle est une juridiction administrative dont les décisions sont soumises en cassation au Conseil d'Etat. Ce faisant, son indépendance sera confortée. Il paraissait en effet curieux qu'une juridiction rendant plus de 20 000 décisions par an reste un objet juridique mal identifié par la loi. Je souhaite, en outre, que soient donnés rapidement à la Commission des recours des réfugiés des moyens de fonctionnement autonomes.
Je crois également indispensable de mieux connaître le coût global de la prise en charge des demandes d'asile. Le citoyen n'est pas aujourd'hui à même de savoir combien lui coûte la politique d'asile ou combien la France dépense pour chaque demandeur ou pour chaque réfugié ayant obtenu le statut. Cela doit changer afin que les arbitrages budgétaires les plus justes puissent être pris. C'est pourquoi je propose que, dans le cadre de l'application de la loi organique relative aux lois de finances, la politique d'asile fasse l'objet d'une action spécifique dans les ministères compétents et qu'un projet coordonné de politique interministérielle soit créé sous la direction du ministère des affaires étrangères.
En outre, notre politique d'accueil doit évoluer. Elle doit donner la priorité à l'hébergement des demandeurs dans des centres spécialisés où leurs droits sont beaucoup mieux assurés ainsi que leurs chances de s'insérer dans la société française. Aujourd'hui, la France ne dispose, environ, que de 15 000 places. En 2005, elle disposera de 17 000 places, soit une capacité annuelle d'accueil de 34 000 places hors hébergement d'urgence, si les procédures durent six mois. Compte tenu du niveau prévisible des demandes, il convient, je crois, d'augmenter cette capacité de l'ordre de 25 %.
Enfin, je tiens à souligner que l'objectif de réduction des délais ne pourra être atteint que si l'on respecte deux conditions : l'augmentation des moyens dévolus au traitement des demandes d'asile - le projet de budget pour 2004 y pourvoit largement - et l'amélioration de la productivité et de la coordination interministérielle. Sur ce dernier point, si des progrès très sensibles sont réalisés actuellement à l'OFPRA, permettant d'espérer un délai de traitement des demandes autour de quatre mois et peut-être moins, la situation de la Commission des recours des réfugiés est plus problématique. Un audit doit s'y dérouler prochainement ; je le crois particulièrement utile.
En matière de coopération interministérielle, personne ne gagne à opposer de manière stérile des administrations entre elles, tout au contraire.
L'intérêt des véritables demandeurs d'asile réside dans la réussite d'initiatives comme celle de la plate-forme qui sera mise en place à Lyon pour gérer de manière coordonnée, sur le plan régional, l'ensemble des problèmes posés par l'asile.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi est nécessaire. C'est une modernisation de la loi en vigueur, qui prend en compte la nouvelle donne européenne. Il s'agit de répondre à un véritable souci d'efficacité, d'améliorer la rapidité de réponse et, surtout, la qualité, en étendant le champ du droit d'asile.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire : 51 minutes ;
Groupe socialiste : 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 12 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ernest Cartigny.
M. Ernest Cartigny. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte dont nous débattons revêt un caractère particulier. Le droit d'asile est, en effet, un droit fondamental, qui touche à la défense de la liberté et de la dignité de l'homme par-delà les spécificités nationales. Notre pays possède, et nous en sommes fiers, une tradition multiséculaire d'accueil des personnes dont la vie ou la liberté sont menacées dans leur pays.
Le monde d'aujourd'hui n'est plus celui dans lequel la convention de Genève de 1952 a été adoptée. L'accroissement des flux migratoires, le creusement des écarts de richesses entre le Nord et le Sud, le rétrécissement du monde sont autant d'éléments qui aboutissent à une pression accrue des demandes d'asile dans notre pays.
Mais permettez-moi d'insister sur un point important : ne confondons pas politique d'immigration et politique de droit d'asile. Si la première implique un contrôle draconien des flux migratoires convergeant vers la France, la seconde induit la protection de personnes mises en danger dans leur pays d'origine.
Ces nouvelles données géopolitiques ont donc rendu nécessaire une adaptation de nos instruments juridiques. Je dis bien adaptation et non changement. Le dessein principal du projet de loi, la simplification des procédures, est une avancée louable.
Actuellement, la complexité excessive des procédures d'octroi du droit d'asile facilite, pour certains migrants, le détournement de celui-ci au profit de finalités à but purement économique. Il apparaissait donc nécessaire de remettre le dispositif de protection du droit d'asile en phase avec les objectifs premiers auxquels il doit répondre.
Mettons-nous à la place de ces personnes qui arrivent sur notre territoire, souvent après avoir dû quitter leur pays dans la précipitation, en ayant laissé toute leur vie derrière elles. Il n'est pas acceptable d'assujettir ces personnes à des procédures longues et complexes, en les renvoyant d'une commission à une autre, d'un interlocuteur à un autre. Aussi, l'unification et la rationalisation des moyens et procédures sont-elles un progrès important, qui vient humaniser un peu plus l'accueil que notre pays entend réserver à des individus en danger.
Plus particulièrement, et à ce titre, le raccourcissement du délai d'examen de la demande constitue un progrès majeur.
L'Union européenne est aujourd'hui, pour les pays en voie de développement, un îlot luxuriant de richesses. Il est donc compréhensible que des populations non seulement placées dans le dénuement, mais aussi persécutées, mises quotidiennement en danger, aient la tentation de venir trouver ici un avenir meilleur, voire la vie sauve.
L'harmonisation des procédures au niveau européen est, par conséquent, une autre avancée significative du projet de loi. La loi constitutionnelle votée le 17 mars 2003 tendant à modifier l'article 53-1 de la Constitution permet à notre pays de coordonner sa politique d'asile avec nos partenaires européens. La disparité des législations nationales en la matière peut se révéler être une faille, facilement exploitable pour des personnes décidées à détourner la procédure d'asile de son dessein initial. Le rapprochement de notre législation avec un socle général de règles édifié conjointement à l'échelon communautaire tend à conjuguer une politique se voulant à la fois efficace et respectueuse des droits.
Je me réjouis, par conséquent, de la mise en conformité préalable de notre droit avec le projet de directive européenne relative à l'asile interne. La France se doit de donner l'exemple dès lors qu'il importe de favoriser la construction européenne. Loin de moi l'idée d'y voir un abandon de souveraineté. Bien au contraire, j'y vois plutôt un pas supplémentaire dans le sens de l'émergence d'une Europe raisonnée et rationnelle.
Je tiens par ailleurs à souligner une autre avancée importante de ce texte : la reconnaissance de qualité de réfugié pour toute personne victime de persécutions d'origine non étatique. Il s'agit là non seulement d'une prise en compte de l'évolution des données géopolitiques des conflits dans le monde, mais aussi d'un progrès important quant à la manière dont notre pays veut protéger toutes les personnes victimes de persécution.
Depuis au moins vingt ans, nous avons pu constater que beaucoup de conflits, de guerres civiles, d'exactions, étaient le fait de franges de la population ne jouissant pas de la qualité d'autorité étatique ; que l'on songe, bien sûr, aux massacres du FIS en Algérie, mais aussi au génocide rwandais, aux massacres perpétrés par les colonnes de la mort en Bosnie, aux tueries de milices incontrôlables en Somalie, ou encore aux méfaits des armées auto-proclamées oeuvrant dans les régions reculées de la République démocratique du Congo.
Il s'avérait indispensable de prendre en considération cet état de fait, afin de donner une perspective plus humaniste à nos instruments de protection des réfugiés, en liaison étroite avec le pouvoir démocratique en place et unanimement reconnu.
Néanmoins, il est nécessaire de veiller à ce que la combinaison de ce nouveau dispositif avec la nouvelle procédure de protection subsidiaire ne se fasse pas au détriment des demandeurs d'asile. Si l'unification de l'examen des demandes au profit du seul OFPRA est un gage important, il serait paradoxal de restreindre, par ailleurs, les conditions d'octroi du statut de réfugié. Certes, le triplement des demandes d'asile depuis 1999 implique de veiller à ne pas transformer l'asile politique en ce que vous avez appelé, monsieur le ministre, un « asile économique ». Mais je pense sincèrement qu'il est nécessaire de tout faire pour que la compétence liée de l'office en matière de protection subsidiaire se révèle effective.
En allant plus loin, et ce dans un souci de plus grande transparence, il est également possible de réfléchir de manière plus approfondie à l'introduction du principe de publicité des débats devant la Commission des recours des réfugiés. En tant que juridiction administrative spécialisée, cette commission rend des décisions importantes sur le sort des personnes en situation de précarité. Je ne doute pas de l'acuité particulière avec laquelle la commission examine les recours. Mais ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que des audiences publiques constitueraient une garantie supplémentaire tendant à ce que l'examen d'une demande se fasse dans des conditions respectant la sincérité des débats ?
J'émettrai, quant à moi, une réserve sur l'établissement des listes dites de pays sûrs.
M. Jean-Pierre Sueur. Très judicieux!
M. Ernest Cartigny. Vouloir dresser exhaustivement la liste des pays garantissant juridiquement les droits fondamentaux est un exercice difficile et périlleux. Les relations diplomatiques de la France pourraient s'en trouver fragilisées.
C'est pourquoi je tiens spécialement à féliciter la commission, qui propose un amendement à mon sens particulièrement intéressant.
Le respect effectif des droits fondamentaux me paraît être un critère pertinent pour l'établissement de cette liste. De trop nombreux Etats se cachent derrière une façade de respectabilité en affichant leur attachement indéfectible aux droits fondamentaux. Mais nous savons tous, hélas ! que ces mêmes Etats violent quotidiennement et allègrement les droits les plus élémentaires de la personne. C'est la raison pour laquelle je souscris à l'amendement proposé dans les remarquables conclusions de notre collègue Jean-René Lecerf.
Je ne doute pas du fait que les autorités françaises concernées sauront appliquer méthodiquement les normes européennes pertinentes en matière de droit des réfugiés. Mais l'efficacité de ces mêmes règles suppose que nos partenaires européens fassent preuve d'une rigueur et d'une vigilance similaires. Je ne doute donc pas, monsieur le ministre, de votre propre vigilance pour que l'établissement de cette liste au niveau européen se fasse avec la plus grande justesse et la plus grande précision. Une liste trop large viderait en réalité de son sens la substance même du droit d'asile. Il serait incohérent de plaider pour une harmonisation des règles au niveau européen, tout en laissant à chaque Etat une marge d'appréciation trop large.
J'estime dès lors que la position défendue par la France lors du conseil Justice et affaires intérieures des 2 et 3 octobre dernier s'inscrit dans une logique intéressante. L'adoption à l'unanimité d'une liste de pays dits « sûrs » garantirait une coordination optimale des politiques nationales.
De la même manière, comme l'a souligné notre éminent collègue Paul Dubrule dans son avis, le texte qui nous est soumis aujourd'hui prépare d'ores et déjà notre législation au futur cadre normatif dans lequel s'inscrira le droit des réfugiés lorsque la Constitution européenne aura été adoptée.
C'est pourquoi le Rassemblement démocratique et social européen, dans sa grande majorité, votera en faveur de ce projet de loi, qui me paraît en définitive équilibré et soucieux de respecter à la fois la cohérence d'une politique d'asile réaliste et responsable et la dignité de la personne humaine. Il induit également notre volonté de tout mettre en oeuvre pour mieux coordonner notre politique d'accueil des réfugiés dans le cadre de la politique de développement dont la France, voire l'Union européenne veulent se doter. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes nombreux à dire qu'il ne faut pas confondre l'immigration, même si l'immigration économique s'explique par la misère du monde dont nous avons notre part de responsabilité. Donc, ne nous défaussons pas !
Mais il faut bien constater qu'il y a aujourd'hui moins d'immigrés que jadis en Europe du fait de la fermeture des frontières, moins de réfugiés, malgré l'état du monde. Les deux tiers sont accueillis dans les pays du tiers-monde.
Et même si les demandes en direction de l'Europe sont nombreuses, il y a de moins en moins de personnes accueillies. Sur les 22 millions de réfugiés officiellement recensés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, la France en accueille 130 000, soit 0,5 %.
D'où viennent essentiellement les demandeurs d'asile ? De la République démocratique du Congo, de Sierra Leone, de Côte d'Ivoire, d'Afghanistan, d'Irak, de Turquie pour les Kurdes, du Sri Lanka, de Colombie, de pays où leur vie et leur intégrité sont en danger.
Pour expliquer ce projet de loi relative au droit d'asile, vous invoquez l'engorgement de l'OFPRA - 50 000 demandes et 30 000 auprès du ministère de l'intérieur au titre de l'asile territorial - et la lenteur des procédures. Mais y a-t-il besoin d'une loi pour dégager des moyens nouveaux ? N'est-ce pas avant tout un problème budgétaire et de formation des hommes ?
Mais nous savons aussi que le problème se situe très en amont, puisque l'étranger arrivant sans les papiers requis - qui les lui aurait donnés, puisqu'il fuit un pays où sa vie est en danger et où nous pratiquons une politique des visas restrictive ? -, l'étranger, dis-je, arrivant par exemple à l'aéroport de Roissy, est réputé ne pas être encore en territoire français lorsqu'il circule de la passerelle de débarquement jusqu'au poste de police. Puis il est retenu dans une salle de correspondance, dans des conditions presque toujours indignes. Il lui faudra, pour ne pas être refoulé de cette zone de non-droit au bout d'un jour franc, si ce délai est bien respecté, faire admettre à la police, aux frontières, qu'il entend demander l'asile, et il devra le faire en termes explicites, et pas seulement en se bornant à raconter ce que furent concrètement sa situation et sa misère.
Une fois, et une fois seulement, entré sur le territoire français, c'est-à-dire admis dans une zone d'attente pour personnes en instance, à la ZAPI 3 à Roissy, il sera retenu, parfois jusqu'à vingt jours, si le juge en décide ainsi. Il pourra réclamer, pendant ce temps, au ministère de l'intérieur, à la direction des libertés publiques, le droit de demander l'asile. Des agents du ministère des affaires étrangères l'auront entendu avant de donner un avis au ministère de l'intérieur qui tranchera. S'il est débouté, seul un référé-injonction devant le tribunal administratif, avec possibilité d'appel devant le Conseil d'Etat, peut lui éviter d'être expulsé, s'il connaît cette procédure. Sinon, dans la procédure classique, il aura été renvoyé longtemps, bien longtemps avant que le tribunal administratif eût rendu un jugement.
Au cas, fréquent, où toute cette procédure aurait dépassé les vingt jours fatidiques, il serait libéré et irait grossir les rangs des sans-papiers jusqu'à ce qu'il se retrouve dans un centre de rétention administrative - dans quel état ? J'ai visité ceux de Bogigny ou de Choisy-le-Roi : des caves dans le sous-sol des commissariats de police - sous le coup d'une expulsion ou d'une condamnation à la prison s'il refuse d'embarquer.
Je voudrais, à ce stade de mon exposé, rendre hommage aux organisations qui, malgré les contraintes et les limites fixées à leur action, apportent leur soutien aux demandeurs d'asile et honorent les traditions de notre pays.
Dans l'hypothèse la moins sombre, mais de loin la moins fréquente, le demandeur d'asile est admis à faire valoir ses droits. Il quitte la zone d'attente muni d'un sauf-conduit de huit jours, le temps de s'adresser à la préfecture qui lui délivre, théoriquement dans les jours suivants, une autorisation de séjour valable pendant la durée de la procédure devant l'OFPRA, voire, ensuite, devant la Commission des recours des réfugiés. Une fois devant l'OFPRA, s'il est au nombre des « heureux bénéficiaires » qui peuvent être entendus et assistés par un avocat, il sera tenté d'oublier que, depuis un an, il a dû se contenter pour survivre d'une maigre allocation d'insertion sans avoir eu le droit de travailler. Six mois ou davantage se seront peut-être encore écoulés depuis, sans allocation d'insertion cette fois-ci, mais il risque, en fin de compte, de se trouver dans les 83 % de demandeurs déboutés et dans les 99 % de déboutés de l'asile territorial.
Voilà pourquoi beaucoup d'étrangers relevant du droit d'asile renoncent à entreprendre ces démarches, car ils savent que le statut de réfugié est délivré au compte-gouttes et l'asile territorial pratiquement jamais : 0,2 % des demandeurs en 2002 ; on nous l'a rappelé tout à l'heure.
Alors, ce projet de loi, en cette fin d'année 2003, vise-t-il à mieux protéger les demandeurs d'asile qui viennent frapper à notre porte ? On serait tenté de le croire un court instant à entendre M. le ministre et MM. les rapporteurs.
On invoque les grands principes : la Constitution de 1793, le Préambule de notre Constitution, la convention de Genève de 1951, le protocole de New York de 1967, la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Nous verrons bientôt, au travers de quelques articles du projet de loi, ce qu'il en est exactement.
Mais, dans l'exposé des motifs, hélas ! vous faites aussi un amalgame injustifié, me semble-t-il, avec l'immigration irrégulière. Au demeurant, il est regrettable et nuisible à l'image de la France que le Gouvernement n'ait pas de politique d'immigration, comme l'a montré le projet défendu la semaine dernière, ici même, par le ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement invoque aussi, dans le présent débat, la nécessité de nous accorder avec la future harmonisation du droit d'asile dans l'Union européenne, telle qu'elle est prévue par le traité d'Amsterdam. Des directives sont en préparation, mais pourquoi anticiper et ne pas attendre leur adoption par les instances européennes, sachant tout de même qu'elles devront être appliquées a minima, chaque Etat membre pouvant faire preuve de plus de générosité ? Le Gouvernement français voudrait-il prendre toute sa part du durcissement que nous constatons chez beaucoup de nos voisins et, par le vote de ce texte, entraîner les autres sur cette voie-là ? Que reste-t-il alors du discours français sur les droits de l'homme ?
Ce projet de loi vise, en fait, à décourager les candidats à une demande d'asile, comme les premiers charters lancés par le ministère de l'intérieur. Il va aggraver considérablement la situation faite jusqu'alors aux demandeurs d'asile, même si le projet de loi prend théoriquement en compte les persécutions non étatiques. Mais il accumule tant d'obstacles, comme nous le verrons, que l'on n'est pas sûr du tout d'obtenir un résultat.
Ainsi, les demandeurs d'asile pourront, à l'avenir, se voir opposer qu'ils viennent d'un pays que l'OFPRA aura inscrit dans la liste des pays réputés sûrs - en attendant que l'Europe le fasse, mais ne perdons pas une minute, n'est-ce pas ? -, ou encore on leur signifiera qu'ils sont susceptibles de retourner dans une portion de territoire de leur pays d'origine où l'Etat, à défaut un parti politique - mais je crois que la commission des lois a modifié cette disposition -, une organisation internationale seraient à même d'assurer le contrôle. Leur affaire sera alors traitée dans les délais les plus courts et sans possibilité de recours suspensif. On ne nous dit pas comment ils parviendront à cet Eldorado tout relatif et quels dangers ils devront surmonter.
Cette dernière disposition est d'ailleurs en totale contradiction, comme beaucoup d'autres, avec l'article 3 de la convention de Genève, qui ne prévoit nullement la prise en compte de la nature du pays d'origine et pose au contraire clairement le principe de la non-discrimination entre les demandeurs d'asile.
Si l'exilé ne bénéficie que d'une protection subsidiaire, qui est appelée à remplacer l'asile territorial si peu opérant, comme on l'a vu, celle-ci sera révocable au bout d'un an, mais elle pourra lui être retirée sur l'initiative de l'OFPRA ou à la demande du préfet à tout moment pour diverses raisons, notamment d'ordre public, de sécurité publique ou de sûreté de l'Etat. Mais pourquoi demander à l'OFPRA, dont la fonction devrait être essentiellement de protéger les demandeurs d'asile, de procéder également à cette police des étrangers, comme si l'Etat n'avait pas d'autres moyens - heureusement ! - d'assurer cette fonction régalienne, la sécurité dans le pays ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Louis Mermaz. On comprend mieux alors pourquoi le projet de loi prévoit de modifier les structures de l'OFPRA.
La discussion des amendements permettra d'y revenir. J'irai donc à l'essentiel, la volonté de mainmise du ministre de l'intérieur, puisque, à l'avenir, le directeur général de l'OFPRA sera nommé sur proposition conjointe du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur. Le directeur actuel, qu'on a fait venir de son ambassade d'Australie, a dû apprécier d'être flanqué d'un préfet faisant fonction, sans en avoir le titre, de directeur adjoint et d'ores et déjà en relation avec un autre préfet chargé des questions dites d'asile au ministère de l'intérieur. Ainsi le projet de loi n'a-t-il d'autre objet que d'entériner ici une situation de fait.
On comprend aussi pourquoi ce texte tend à marginaliser le rôle du représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés tant au sein de l'OFPRA qu'au sein de la Commission des recours des réfugiés.
Le ministre de l'intérieur pourra derechef faire appel d'une décision de l'OFPRA accordant satisfaction aux demandeurs d'asile. In fine, les décisions motivées de l'OFPRA et de la Commission des recours des réfugiés pourront être transmises au ministre de l'intérieur, avec, en outre, si ce dernier le requiert, la communication à des agents habilités des documents d'état civil et de voyage des déboutés. Pourquoi cette transmission ? Bien sûr, pour faciliter l'expulsion des déboutés. Nous avons compris depuis longtemps la philosophie qui sous-tendait ce texte.
Nous n'avons pas de doute sur l'objectif central du projet de loi. Mais il y a plus grave. D'après l'exposé des motifs, il s'agit de faciliter la délivrance des laissez-passer consulaires par les autorités des pays d'origine. Comment alors ne pas craindre que le ministre de l'intérieur ne transmette à ces consulats des documents jusqu'alors considérés comme inviolables ? Cela serait proprement effrayant. Je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir vous expliquer sur ce point.
La discussion des articles nous donnera encore une fois la possibilité de dénoncer de nombreuses atteintes aux libertés. Notre collègue Jean-Pierre Sueur, en soutenant une motion d'irrecevabilité, démontrera que plusieurs articles méconnaissent des décisions rendues ces dernières années par le Conseil constitutionnel. Mais comment ne pas s'arrêter sur les dispositions du III de l'article 4 qui permettraient au président de la Commission des recours des réfugiés et à des présidents de section de statuer sur des recours hors de tout débat contradictoire et hors, bien entendu, de toute collégialité ?
Voilà un projet de loi qui porte atteinte au droit d'asile, pourtant proclamé sacré, mais qu'il sera de plus en plus difficile de mettre en oeuvre ; voilà un texte en trompe-l'oeil qui, sous couvert d'instruction unique, introduit des dispositions excessivement dangereuses ; voilà un texte qui, sous le prétexte de la transformation de l'asile territorial en protection subsidiaire, donne un pouvoir considérable au ministère de l'intérieur et à son ministre. Pour satisfaire certains secteurs de l'opinion mal éclairés et facilement manipulables, vous allez donner priorité, monsieur le ministre, aux menaces d'expulsion sur la nécessaire protection des réfugiés, qui devrait être l'honneur de notre pays.
Cela n'est pas sans rappeler cette loi dite de justice et d'amour qui, sous la Restauration, précédée d'attendus bénisseurs, n'avait qu'un objectif : étrangler la liberté de la presse. En 1827, notre lointain ancêtre, la Chambre des pairs, obligea le gouvernement de Charles X à retirer son projet. Nous serions bienvenus, mes chers collègues, de nous inspirer de cet exemple, car c'est ici le droit d'asile que l'on s'apprête à bafouer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ferai tout d'abord un constat : la France est actuellement l'un des pays les plus concernés par les demandes d'asile, certes derrière la Grande-Bretagne, mais devant l'Allemagne, avec près de 80 000 demandes en 2001.
Le fait le plus marquant reste cependant l'évolution de ce chiffre en trois ans. Depuis 1998, le nombre de demandes d'asile a en effet triplé, et les différents services chargés de l'instruction des dossiers sont engorgés. La tradition française d'accueil des réfugiés ne doit pas continuer à pâtir de nos faiblesses administratives. C'est pourquoi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je voulais saluer le Gouvernement pour les avancées majeures que contient ce projet de loi relatif au droit d'asile.
D'une part, vous nous proposez de modifier certains aspects de notre procédure afin de réduire les délais d'examen des demandes d'asile, délais qui représentent aujourd'hui l'une des principales lacunes de notre dispositif.
D'autre part, par anticipation, vous intégrez dans notre droit interne quelques notions issues de propositions de directives communautaires. Cette volonté de prendre les devants nous satisfait pleinement. Il serait en effet inutile d'attendre que la procédure communautaire aboutisse pour transposer des éléments qui recueillent, dès aujourd'hui, une large approbation de la part des Quinze.
Cela étant, l'examen de votre projet de loi appelle quelques remarques de la part de notre groupe.
Désormais, un seul organisme sera chargé de l'examen des demandes d'asile. Cette mise en place d'une sorte de « guichet unique » des demandes d'asile est incontestablement une avancée, qui doit permettre de raccourcir les délais de traitement.
Toutefois, il faudra veiller à attribuer aux services de l'OFPRA les moyens humains et financiers suffisants pour que les effets escomptés se réalisent. Cet effort de restructuration des services est majeur, compte tenu également de la suppression de la notion d'asile territorial, qui est remplacée par la notion de « protection subsidiaire ». Cette procédure relèvera également de la compétence de l'OFPRA.
Par ailleurs, l'accroissement des demandes d'asile infondées évolue parallèlement au durcissement des politiques d'immigration. Le Sénat vient d'adopter en première lecture le projet de loi présenté par le ministre de l'intérieur et renforçant les règles relatives aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Il semble donc nécessaire de veiller à ce que ce phénomène de vases communicants ne se reproduise pas.
Vous proposez aussi, monsieur le ministre, d'intégrer dans notre droit interne quelques notions dérivées de deux propositions de directives communautaires.
D'abord, comme je viens de le dire, vous proposez de supprimer l'asile territorial et de lui substituer un nouveau dispositif, la protection subsidiaire, qui permettra à une personne ne répondant pas aux critères prévus par la convention de Genève de bénéficier d'un statut particulier. Nous ne pouvons que nous satisfaire de cette nouvelle notion. Toutefois, il faudra veiller, une fois de plus, à ce que cette procédure ne soit pas détournée et utilisée par des étrangers qui demandent une protection uniquement pour des motifs économiques. D'autres notions telles que l'asile interne, la persécution émanant d'agents non étatiques et les pays d'origine sûrs figureront aussi dans notre droit interne.
Votre volonté d'intégrer ces notions n'appelle de notre part qu'un seul commentaire : il faut que l'instructeur du dossier s'entoure de toutes les garanties, notamment en ce qui concerne la notion d'asile interne. A nos yeux, la référence doit être le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR.
Je vous livre enfin quelques réflexions concernant la politique européenne du droit d'asile. Nous le savons, le problème de l'asile ne peut plus être traité au seul échelon national. En effet, la nécessaire protection des personnes qui craignent d'être persécutées représente un enjeu politique important à l'échelle européenne. L'Union européenne est confrontée depuis la fin des années quatre-vingt à une véritable montée du nombre des demandeurs d'asile. Il me semble que sans politique commune dans ce domaine la France ne pourra pas résoudre seule cette crise.
En effet, la situation critique vécue au centre de Sangatte, comme l'a rappelé voilà quelques instants M. le rapporteur, a bien montré que les disparités existant entre les procédures des Etats membres de l'Union peuvent entraîner des mouvements secondaires de demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne.
L'application de la méthode communautaire, qui a d'ailleurs été renforcée par le traité de Nice, apparaît indispensable. Or elle est encore limitée aujourd'hui puisque la Commission européenne partage son pouvoir d'initiative avec les Etats membres et que le Parlement européen n'est en fait que consulté. Ainsi, les compromis auxquels l'on aboutit sont souvent des compromis a minima. Pourtant, l'urgence d'une véritable politique commune en matière d'asile n'est plus à démontrer.
Le traitement du concept des « pays d'origine sûrs », qui repose sur l'idée de traiter plus rapidement les demandes de ressortissants du pays respectant les principes des libertés fondamentales, ne peut pas être abordé par des procédures différentes. L'élaboration d'une liste commune de pays d'origne sûrs doit évidemment être réalisée dans le cadre de l'Union européenne, sous le contrôle ou avec le concours du HCR. Ainsi, les divergences d'appréciation entre les Etats membres de la situation de tel ou tel pays pourraient être évitées.
Nous approuvons également le Gouvernement pour son refus de la notion de « pays tiers sûr », qui permettrait de renvoyer un demandeur d'asile vers le pays dans lequel il a transité ou sollicité le statut de réfugié.
Comme l'a fait dans son excellent rapport notre collègue Robert Del Picchia au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, nous encourageons le Gouvernement à poursuivre dans cette voie ou, à défaut, pour ne pas bloquer l'accord européen, à accepter le principe de cette liste, mais sous réserve d'une application facultative.
Enfin, concernant l'installation des centres d'accueil, la création éventuelle de centres de transit et de traitement soulève d'importantes questions et, en particulier, celle de savoir où ces centres devraient se situer. Il ne me semble pas envisageable de créer de tels centres dans les pays d'origine. Je ne crois pas non plus à la possibilité de les établir dans des pays tiers de transit.
La seule possibilité serait de créer de tels centres sur le territoire de l'Union ou à ses frontières extérieures, ce qui reproduirait exactement la situation de Sangatte à une plus grande échelle. Il me semble donc nécessaire de mûrir notre réflexion sur cette question.
Si, sur quelques points, l'ensemble des Etats membres a trouvé un accord, différents sujets de dissensions majeures bloquent le processus d'harmonisation des procédures. Aujourd'hui, la communautarisation des règles en matière de droit d'asile est bloquée. Sans passage à la majorité qualifiée, il me semble difficile d'arriver rapidement à l'unification des législations. Or il s'agit là d'un enjeu politique majeur de l'Union européenne.
Bien que la réforme du droit d'asile engagée en France s'inscrive dans le cadre de l'harmonisation européenne, elle restera vaine si aucune politique d'harmonisation des différentes procédures n'est menée au niveau européen.
Tels sont, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les quelques points que je voulais aborder. Le droit d'asile est un droit fondamental lié aux valeurs démocratiques et républicaines de notre pays. Vous pouvez compter sur le soutien de l'ensemble des sénateurs du groupe de l'Union centriste s'agissant de l'adaptation et de la simplification des procédures concernant le droit d'asile. Nous espérons que nous vous aurons sensibilisés sur la nécessité d'avancer davantage au niveau européen. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)