PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Robert-Denis Del Picchia.

M. Robert-Denis Del Picchia. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après les exposés de MM. les rapporteurs, je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions du projet de loi.

Je ne reviendrai pas davantage sur les propos qui ont pu être tenus et selon lesquels le droit d'asile allait être aboli. Tout ce qui est excessif est insignifiant...

Je voudrais plutôt souligner l'originalité de cette réforme qui s'inscrit dans une dynamique européenne. Qu'il s'agisse en effet de la prise en compte des persécutions non étatiques, de l'unification des procédures d'asile ou de l'introduction de la notion d'asile interne et de la protection subsidiaire, ces différents éléments sont directement issus de directives, adoptées ou en cours de négociation à l'échelon de l'Union européenne.

A cet égard, mes chers collègues, trois questions viennent immédiatement à l'esprit.

D'abord, question préjudicielle, cette harmonisation européenne du droit d'asile est-elle nécessaire ?

Ensuite, la réforme qui nous est proposée est-elle cohérente avec l'harmonisation engagée au niveau européen ?

Enfin, quelles sont les perspectives ?

Première question, faut-il harmoniser les législations des Etats membres de l'Union en matière d'asile ? Je crois profondément que cette harmonisation n'est pas ni souhaitable ni nécessaire, elle est tout simplement indispensable ! La crise du droit d'asile n'est en effet pas seulement française : c'est une crise européenne.

C'est l'Union européenne, dans son ensemble, qui est confrontée, depuis la fin des années quatre-vingt, à une véritable explosion du nombre de demandeurs d'asile.

C'est au sein de l'Union européenne que se manifestent les déplacements secondaires des demandeurs d'asile, qui sont également en forte progression. Or, ces déplacements secondaires s'expliquent très largement par les disparités entre les législations nationales.

Ainsi, l'attractivité du Royaume-Uni s'expliquait par le fait que ce pays autorisait les demandeurs d'asile à exercer une activité professionnelle, ce que ne prévoit pas, par exemple, la législation française.

De la même manière, les divergences entre les procédures appliquées par les Etats membres conduisent très souvent à ce que l'on appelle l'asylum shopping, les demandeurs d'asile qui déposent leur demande dans les pays offrant les conditions les plus avantageuses.

Dans un espace où les personnes circulent librement, comment les Etats pourraient-ils en effet prétendre pouvoir contrôler les flux migratoires en pratiquant le « chacun pour soi » ?

Douvres, Calais, Sangatte, ces trois lieux ont illustré tragiquement l'absence d'harmonisation entre les Etats membres.

C'est la raison pour laquelle les chefs d'Etat et de Gouvernement ont fixé depuis déjà plusieurs années l'objectif de parvenir progressivement à un régime d'asile européen commun, fondé sur le respect de la convention de Genève.

Cette harmonisation constitue, d'ailleurs, une sorte de « retour aux sources », car, faut-il le rappeler, la convention de Genève a été élaborée par et pour les Etats européens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour faire face aux flux des réfugiés ?

Les accords de Schengen puis la convention de Dublin ont constitué les premières pierres de cet édifice : s'y sont ajoutées la directive sur la protection temporaire et la mise en service du système d'empreintes digitales EURODAC.

Cette construction devrait connaître un premier achèvement avec trois directives européennes : tout d'abord, la directive relative aux conditions d'accueil des demandeurs d'asile adoptée le 27 janvier 2003 ; ensuite, la directive sur la définition du statut de réfugié et de la protection subsidiaire, qui a fait l'objet d'un large consensus, mais dont l'adoption est actuellement bloquée par un seul Etat membre ; enfin, la directive sur les procédures d'asile toujours en cours de discussion mais qui a d'ores et déjà fait l'objet d'accords politiques sur une grande partie de ses dispositions.

Ces trois textes représentent une étape essentielle vers un régime d'asile européen commun.

Comme le soulignent les conclusions du Conseil européen de Tempere d'octobre 1999, ce régime devrait comprendre à terme « une procédure d'asile et un statut uniforme, valable dans toute l'Union, pour les personnes qui se voient accorder l'asile ».

J'en viens à mon deuxième point : la réforme qui nous est proposée est-elle cohérente avec l'harmonisation engagée au niveau européen ?

Certes, deux des trois directives que je viens de mentionner n'ont pas encore été formellement adoptées par les institutions de l'Union. Mais faut-il pour autant tenir rigueur au Gouvernement d'anticiper par cette réforme sur le contenu de ces deux directives ? Je ne le pense pas, et cela pour plusieurs raisons.

D'abord, il faut être conscient que ces textes, qui sont discutés depuis plus de trois ans, seront applicables, au mieux, dans deux ans compte tenu du délai de transposition. Or, il y a aujourd'hui une urgence politique à réformer notre dispositif sur l'asile, notamment au regard des enjeux soulevés par la réduction des délais d'examen. La plupart des autres pays ont d'ailleurs réformé récemment leur législation relative à l'asile ou envisagent de le faire.

Ensuite, on ne peut pas à la fois reprocher au Gouvernement notre retard en matière de transposition des directives et critiquer ce qu'un de mes interlocuteurs a appelé lors des auditions une « anticipation vertueuse » des textes européens.

Enfin, faut-il considérer qu'en agissant ainsi le Gouvernement se prive d'une marge de manoeuvre ? Je ne le crois pas non plus, car, comme je l'ai indiqué, la plupart des dispositions des directives ont d'ores et déjà fait l'objet d'accords politiques, et on peut donc les considérer comme acquises.

Surtout, je souligne qu'il n'existe aucune incompatibilité ou incohérence entre le projet de loi qui nous est soumis et le processus d'harmonisation engagé à l'échelle européenne.

C'est même tout le contraire, car le projet de loi transpose par avance dans notre droit les éléments essentiels contenus dans les textes européens.

Il en va ainsi de la notion de protection subsidiaire, de la prise en compte des persécutions non étatiques, ou encore de l'extension des agents de protection.

A cet égard, je m'arrêterai un instant sur la notion de « pays d'origine sûr », qui figure dans le projet de loi, et sur celle de « pays tiers sûr », qui est très différente.

Tout d'abord, je me félicite de l'accord intervenu récemment entre les Quinze sur une liste commune européenne de pays d'origine sûrs.

L'adoption d'une telle liste me semble, en effet, être un progrès essentiel, étant donné que la plupart des pays européens appliquent ce dispositif et qu'ils ont recours à des listes nationales.

Or, une liste européenne permettra de limiter les divergences d'appréciation entre les Etats membres. Tout le monde a donc à y gagner, les demandeurs d'asile y compris.

Je rappellerai, à cet égard, à ceux qui critiquent l'introduction de cette notion, que la plupart des Etats membres la mettent déjà en pratique, que la Commission européenne et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés y sont favorables, que cette notion figure dans un protocole annexé au traité et qu'elle est entourée de garanties puisqu'elle ne fait pas obstacle à un examen individuel de chaque demande.

Je me félicite, d'ailleurs, que la commission des lois ait présenté un amendement qui renforce encore ces garanties.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sauf si on leur refuse l'accès au territoire !

M. Robert-Denis Del Picchia. Il n'y a pas d'irrecevabilité en France, monsieur Dreyfus-Schmidt !

Je remarque également que la notion de « pays d'origine sûr » est déjà appliquée par la France, sous forme légèrement différente, avec les pays à l'égard desquels ont été mises en oeuvre les clauses de cessation de la convention de Genève.

Mes chers collègues, faut-il rappeler que ce dispositif a été introduit dans notre droit par le précédent gouvernement en 1998 ?

La notion de « pays d'origine sûr » est donc parfaitement recevable et ne devrait pas susciter de polémiques.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y en aura !

M. Robert-Denis Del Picchia. Il n'en va pas de même de la notion de « pays tiers sûr », qui permet à certains Etats, comme l'Allemagne, de renvoyer un demandeur d'asile, sans que sa demande soit examinée, vers le pays par lequel il a simplement transité.

L'application de cette notion serait susceptible de soulever des difficultés d'ordre constitutionnel en France, et elle ne figure d'ailleurs pas dans le projet de loi.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout de même !

M. Robert-Denis Del Picchia. Je précise, à cet égard, que, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, la délégation pour l'Union européenne du Sénat a examiné la proposition de directive sur les procédures d'asile.

Nous avons été unanimes pour considérer que le Gouvernement devrait s'opposer à l'idée d'introduire une liste commune de « pays tiers sûrs » ou, à défaut, et M. le rapporteur l'a dit tout à l'heure, qu'il ne devrait accepter le principe de cette liste que sous réserve que son application reste facultative.

Personnellement, je regrette, monsieur le ministre, que le Gouvernement n'ait pas saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur cette directive. En effet, il me semble que l'on est en présence d'un cas relevant de la circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003, qui, je le rappelle, prévoit la consultation du Conseil d'Etat lorsque des textes européens susceptibles d'avoir un impact important sur notre droit interne soulèvent des difficultés juridiques, mais c'est une question dont on pourrait débattre longtemps.

Dernier point : quelles sont les perspectives en matière d'asile au niveau européen ?

La réforme qui nous est présentée constitue une étape, certes importante, mais une étape seulement vers la création d'un régime d'asile européen. Comme l'a rappelé récemment le commissaire européen chargé de ces questions, M. Antonio Vitorino, le processus d'harmonisation de l'asile tel qu'il est actuellement engagé au niveau européen se situe encore très en deçà des enjeux.

Il est vrai que les textes européens en restent à un degré limité d'harmonisation et ne dépassent parfois même pas le stade incantatoire.

M. Robert Bret. Eh oui !

M. Robert-Denis Del Picchia. Je citerai en particulier la directive sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile : on ne parvient pas à harmoniser les conditions d'accès au marché du travail. Or, il s'agit là d'un point essentiel, qui explique largement les déplacements secondaires au sein de l'Union.

Il faut aussi reconnaître que les accords européens se font très souvent sur la base du plus petit dénominateur commun.

La principale explication de ces insuffisances réside, nous le savons bien, dans la règle de l'unanimité, qui prévaut encore, au sein du Conseil, pour la législation relative à l'asile.

Comme chaque Etat membre dispose d'un droit de veto, on aboutit généralement à des compromis a minima, mais, sur ce point, on peut se montrer optimiste, car le traité de Nice a prévu de passer à la règle de la majorité qualifiée dans le domaine de l'asile, une fois que les règles communes et les principes essentiels auront été adoptés.

Cela signifie que les directives que nous avons évoquées pourront à l'avenir être modifiées avec la règle de la majorité qualifiée.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et la codécision ?

M. Robert-Denis Del Picchia. Nous serons donc certainement appelés dans quelques années à nous prononcer de nouveau sur ces sujets.

Face aux limites de l'actuel processus d'harmonisation, je crois qu'il convient de s'interroger dès à présent sur les perspectives d'avenir.

Ce débat a été lancé sur l'initiative du Premier ministre britannique, qui a proposé une nouvelle approche européenne du traitement des demandes d'asile.

M. Blair a notamment évoqué la création de centres fermés de réception et de traitement des demandes d'asile situés dans des pays tiers. Cette proposition a été accueillie assez favorablement par certains Etats, mais le Président de la République a exprimé de fortes réserves lors du Conseil européen de Thessalonique, considérant que toute initiative en ce sens devrait s'effectuer sous les hospices du HCR.

Vous aviez vous-même, monsieur le ministre, exprimé de fortes réticences sur ce projet, qui soulève effectivement des questions sur les plans tant pratique et juridique que politique et symbolique.

Si le débat sur une nouvelle approche de l'asile est aujourd'hui assez mal engagé, il faut cependant le poursuivre, à la fois sur le plan mondial et dans le cadre européen.

Sur le plan mondial, je pense à la réflexion menée actuellement par le HCR, dite « Convention plus ». Cette réflexion est nécessaire, car l'aide aux réfugiés dans le monde est très mal répartie. Je vous rappelle les chiffres : si les pays européens consacrent près de 10 000 euros par an à chaque demandeur d'asile, le HCR ne dispose, lui, que de 50 euros par an pour chaque réfugié ou personnes déplacée !

Je voudrais également saluer les perspectives ouvertes en matière d'asile par le projet de constitution européenne,...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah !

M. Robert-Denis Del Picchia. ... auquel vous avez activement participé, monsieur le ministre, aux côtés des représentants de notre assemblée.

La Convention a prévu d'aller au-delà de simples règles minimales en matière d'asile et de recourir à la « méthode communautaire » dans ce domaine.

Elle a donc ouvert la voie à une véritable politique commune et à une harmonisation plus poussée, dont l'urgence n'est plus à démontrer.

Si je me félicite de ces avancées, je crois aussi que les parlements nationaux ont leur mot à dire sur des sujets tels que l'asile et l'immigration, qui intéressent directement les citoyens. Il me semble donc que les parlements nationaux devraient être plus étroitement associés à l'étude des questions relatives à l'« espace de liberté, de sécurité et de justice ».

Il me semble aussi que, dans une Europe à quinze aujourd'hui, à vingt-cinq demain, il serait naïf de croire que tous les Etats voudront et pourront avancer au même rythme sur ces sujets.

Dans une Europe allant d'Helsinki à Nicosie, de Dublin à Varsovie, comment imaginer que l'Union européenne pourra progresser sans recourir au mécanisme des coopérations renforcées, en particulier dans ces matières ?

Or, sur ce point, les propositions de la Convention constituent un recul par rapport au traité de Nice, en retenant le régime de droit commun, où la Commission et le Parlement européen disposent chacun d'un droit de veto.

Dès lors que certains Etats cherchent à remettre en cause les acquis de la Convention, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que la France et l'Allemagne pourraient prendre des initiatives afin de faciliter le recours aux coopérations renforcées en matière d'asile et d'immigration, comme dans le domaine de la justice et de la sécurité ?

Cela pourrait permettre à une avant-garde de pays d'aller plus vite et plus loin vers la création de l'« espace européen de liberté, de sécurité et de justice » auquel nous sommes tous très attachés. La récente réunion, à La Baule, des ministres de l'intérieur des cinq grands pays de l'Union, qui a porté précisément sur ces sujets, me paraît, à cet égard, particulièrement prometteuse.

Pour conclure, je voudrais apporter le plein soutien du groupe de l'UMP au texte présenté par le Gouvernement, modifié par les amendements qui seront défendus par la commission des lois et la commission des affaires étrangères.

Ce projet de loi constitue en effet une réforme équilibrée, quoi qu'en disent certains, du droit d'asile, et il représente une étape importante vers la mise en place d'un régime d'asile européen commun, dont la future constitution européenne devrait faciliter l'achèvement.

Voilà pourquoi le groupe de l'UMP soutient la réforme proposée par le Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la catastrophe survenue, voilà quelques jours, avec le naufrage d'une petite embarcation qui a fait entre soixante et quatre-vingt morts - des Somaliens fuyant leur pays - est malheureusement d'actualité au moment où nous entamons l'examen de ce projet de loi relatif au droit d'asile.

Ce drame humain démontre, si besoin en était, que les femmes, les hommes, les enfants qui fuient leur pays au péril même de leur vie pour se rendre vers des côtes plus sûres ne cherchent pas à faire du tourisme.

Ces dramatiques événements doivent nous faire prendre conscience de l'ampleur du problème et indiquent à l'ensemble des parlementaires à quel niveau se situent les réponses à apporter dans ce domaine.

Votre réforme du droit d'asile est-elle en rapport avec ces enjeux humains internationaux, monsieur le ministre ? Non : elle correspond à un autre niveau de préoccupations. Elle s'inscrit dans un programme de refonte législative, entamé par le Gouvernement qui, en s'attaquant au statut des étrangers en France, porte atteinte en même temps à celui des demandeurs d'asile et des réfugiés.

C'est ainsi que la réforme de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, que nous avons examinée la semaine dernière, comporte des dispositions directement liées au droit d'asile.

Il en va de même du dispositif de protection temporaire et du raccourcissement à cinq jours du délai dans lequel l'intéressé peut demander à bénéficier de l'asile prévus dans le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France.

Insérer de la sorte des dispositions relatives à l'asile dans un texte sur les flux migratoires, d'une part, et considérer l'asile comme « un vecteur d'immigration irrégulière », d'autre part, comme l'écrit dans son rapport notre collègue Jean-René Lecerf, tend à entretenir la confusion entre asile, droit fondamental, et politique de maîtrise des flux migratoires. Cela n'est pas admissible !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Robert Bret. Depuis le 11 septembre 2001, une obsession sécuritaire s'est imposée non seulement en France, mais aussi à l'échelon européen. Notre législation interne s'est ainsi considérablement durcie, depuis la loi relative à la sécurité quotidienne jusqu'au projet de loi relatif à l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Le présent texte n'échappe pas à cette dérive répressive. Il est notamment marqué par une vision policière et l'empreinte du ministère de l'intérieur.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !

M. Robert Bret. Ce texte et le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France sont inspirés par une même logique de suspicion généralisée envers tous les étrangers. Après avoir stigmatisé les mariages mixtes et les paternités de complaisance supposées, le Gouvernement s'en prend ici aux demandeurs d'asile, tous suspects d'être de faux réfugiés, se servant de la procédure du droit d'asile dans un dessein dilatoire, afin de pénétrer en France et d'y rester le plus longtemps possible.

M. Jean Chérioux. Il y en a ! Il suffit de lire le rapport que nous avons rédigé voilà deux ans !

M. Robert Bret. Monsieur Chérioux, vous auriez dû vous inscrire dans la discussion générale !

M. Jean Chérioux. Non, mais je dis les choses !

M. Robert Bret. La politique de la France en matière de droit d'asile n'est pas si généreuse que cela, monsieur Chérioux ! En effet, ces vingt dernières années, on n'a cessé de réduire les possibilités ouvertes aux demandeurs de bénéficier de ce droit pourtant fondamental, conforme à la tradition française et reconnu par notre Constitution et la convention de Genève.

De la réforme constitutionnelle de 1993 consécutive aux accords de Schengen à la loi RESEDA instituant l'asile territorial, placé sous la tutelle du ministre de l'intérieur, le droit d'asile en France a vu son champ d'application se restreindre sensiblement.

Ainsi, alors que, au début des années quatre-vingt, 80 % des demandes d'asile recevaient une réponse favorable, ce taux est passé à 17 % en 2002, soit 8 500 certificats de réfugié seulement.

M. Jean Chérioux. Oui, mais c'étaient de vrais réfugiés !

M. Robert Bret. Où est l'abus en la matière ?

Quant à l'asile territorial, on frôle le ridicule : le taux de réponses favorables, qui atteignaient 6 % en 1999, n'était plus que de 0,3 % en 2002.

Aussi, quand bien même certaines demandes d'asile seraient « abusives », cela ne justifie en rien la réforme que vous nous proposez, monsieur le ministre. Mieux vaut accepter une demande abusive que de refouler une personne réellement persécutée dans son pays. Le doute doit profiter au demandeur d'asile.

Les chiffres que je viens de citer vous servent à justifier votre réforme : vous nous dites que si de nombreuses personnes sont déboutées du droit d'asile, c'est que la proportion de demandes abusives est trop grande. Pour notre part, nous tenons un discours tout à fait différent : si le nombre de dossiers acceptés est si faible, c'est parce que notre procédure de droit d'asile, réformée à plusieurs reprises, est déjà, en son état actuel, trop restrictive.

Mais, au-delà, si les demandes d'asile se multiplient, c'est surtout parce que le monde ne va pas mieux que par le passé : comment passer sous silence les guerres, les atteintes aux droits de l'homme et aux libertés, les persécutions en tout genre ? ... Il faut savoir que cinquante millions de personnes ont été contraintes par la violence à quitter leur lieu de résidence et que l'on compte vingt-deux millions de personnes déplacées et réfugiées.

J'ajoute que l'Union européenne n'accueille que de 10 % à 15 % des réfugiés ou des personnes déplacées, comme l'a rappelé M. Mermaz. Les pays sollicités sont bien souvent les Etats voisins des zones de conflit, dont l'économie et l'équilibre politique sont très précaires. Où est l'afflux massif de réfugiés redouté ?

L'Europe ne remplit même pas le rôle qu'elle dit jouer en la matière. Quant à la France, contrairement aux idées reçues, elle n'accueille pas « toutes les misères du monde » ! En effet, on assiste plus souvent à des déplacements sud-sud qu'à des déplacements sud-nord.

Sous couvert de vouloir raccourcir les délais d'instruction des demandes d'asile - on nous précise bien, au passage, que la prise en charge des demandeurs est très coûteuse - vous procédez en réalité, monsieur le ministre, à une attaque en règle contre le droit d'asile.

A cet égard, que l'on me permette de m'arrêter un instant sur cette question du coût de la prise en charge des réfugiés pendant l'examen de leur dossier.

L'on sait que, durant toute la procédure, les réfugiés vivent dans la plus grande précarité, du fait de l'absence d'autorisation de travail et de la faiblesse de l'allocation qu'ils perçoivent. La solution consisterait donc à leur accorder une autorisation de travail pour ce laps de temps.

J'ajoute que le droit au travail, élément indispensable pour rendre effectif le droit d'asile qui existait jusqu'en 1991, est prévu à l'article 11 de la directive du Conseil du 27 janvier 2003 relative aux normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile.

Quoi qu'il en soit, ne soyons pas hypocrites : pour survivre, les intéressés sont amenés à travailler dans la clandestinité, et ce dans des conditions déplorables.

Ils représentent ainsi une main-d'oeuvre bon marché, taillable et corvéable à merci par des employeurs sans scrupules.

En outre, à défaut d'une capacité d'hébergement suffisante pour accueillir les réfugiés en attente d'une décision, ces derniers sont logés dans des hôtels de fortune, généralement situés dans les quartiers les plus fragiles.

Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis élu local à Marseille, ville tournée vers la rive sud de la Méditerranée qui compte beaucoup de réfugiés en attente d'une décision. Faute d'un nombre suffisant de places dans les CADA, les centres d'accueil des demandeurs d'asile, on en arrive à cette situation ubuesque où l'Etat est amené à payer des loyers, souvent élevés au regard des prestations fournies, à des patrons d'hôtel peu scrupuleux.

Concernant l'harmonisation des procédures à l'échelon de l'Union européenne, que l'on me permette de m'étonner ici de l'empressement avec lequel notre pays, habituellement mauvais élève de la classe européenne, transpose en droit interne certaines directives. La précipitation est réelle quand il est question, par exemple, d'immigration ou, comme en l'espèce, d'asile, d'autant que, en l'occurrence, la transposition s'effectue a minima, s'agissant de deux directives qui n'ont pas encore été adoptées définitivement à l'échelon européen.

En matière de normes minimales, rien n'empêche la France de proposer des mesures plus généreuses que celles qui sont contenues dans ces directives européennes. Or vous avez choisi, monsieur le ministre, de ne retenir que des dispositions a minima, ce qui donnera le ton, pour les années à venir, à la politique européenne en matière d'asile, pour le plus grand plaisir de nos voisins anglais.

Ce choix est clairement exprimé dans le rapport de notre collègue Jean-René Lecerf : « L'harmonisation européenne, nécessaire, doit conjurer un double écueil : d'une part, les effets d'appel suscités par les dispositifs les plus favorables, d'autre part, un alignement sur le plus petit dénominateur. »

Ma collègue Danièle Bidard-Reydet reviendra plus longuement sur les aspects européens et internationaux du droit d'asile, à l'occasion de la présentation de la motion tendant à opposer la question préalable.

Cette harmonisation par le bas que vous nous proposez, monsieur le ministre, est confirmée par les dispositions présentées visant à restreindre le champ du droit d'asile et à précariser, voire à faire disparaître, le statut de réfugié.

Si je ne peux que reconnaître la nécessité d'organiser un examen plus rapide des demandes d'asile, les moyens que vous proposez d'employer pour atteindre cet objectif, monsieur le ministre, sont loin de nous satisfaire.

Ainsi, nous ne pouvons que regretter l'introduction de la notion de « protection subsidiaire », forme précaire de l'asile puisque l'OFPRA pourra mettre fin à cette protection à tout instant, sur son initiative ou à la demande du représentant de l'Etat.

Même si nous nous félicitons par ailleurs de la suppression de l'asile territorial et de l'unification, par l'OFPRA, du traitement de l'ensemble des demandes, prévues par le projet de loi, nous craignons que cette protection subsidiaire ne remplace peu à peu le statut de réfugié au sens de la convention de Genève.

Quant au champ d'application de cette protection, il est plus restreint que celui de l'asile territorial, puisque les menaces pesant sur la vie ou la liberté du demandeur dans son pays, prises en compte pour l'octroi de l'asile territorial, ne figurent plus parmi les critères d'attribution du bénéfice de la protection subsidiaire. Nous y reviendrons plus longuement lors de la discussion des articles et des amendements.

En outre, nous estimons que l'extension de la notion d'« acteurs de protection » et l'introduction de la notion d'« asile interne » dans notre législation ont essentiellement pour objet de refuser au plus grand nombre des demandeurs le statut de réfugié au titre tant de la convention de Genève que de la protection subsidiaire.

Nous nous opposons également à ce que le texte fasse référence aux « pays d'origine sûrs ». Outre qu'elle constitue une restriction supplémentaire au droit d'asile, une telle mention représente une entorse au principe de non-discrimination énoncé à l'article 3 de la convention de Genève.

S'agissant de l'OFPRA, dont on nous dit qu'il sera rénové et plus performant, nous redoutons, quant à nous, sa reprise en main par le ministère de l'intérieur : j'en veux pour indice la récente nomination d'un préfet au poste de directeur de l'OFPRA. Vous aviez pourtant affirmé, monsieur le ministre, au mois de juin dernier, que « l'indépendance et le devoir d'asile sont au coeur de l'OFPRA et de la CRR. C'est leur métier et leur fierté depuis cinquante ans et il n'est pas question de revenir là-dessus. » (M. le ministre opine.)

Or votre texte dément ces propos. En effet, le rôle du ministre de l'intérieur, qui est déjà, par ailleurs, compétent s'agissant de la protection temporaire, se trouve accru dans le projet de loi.

Ainsi, le directeur de l'OFPRA, qui était nommé depuis cinquante ans par le ministre des affaires étrangères, le sera désormais sur proposition conjointe de ce dernier et du ministre de l'intérieur.

En outre, il est prévu que des informations soient transmises au ministère de l'intérieur, ce qui remet en cause les principes de confidentialité des dossiers déposés à l'OFPRA et d'inviolabilité des données individuelles détenues par l'office.

Le projet de loi, dans lequel il est fait référence à la notion d'« ordre public » pour refuser la protection subsidiaire, confère à l'OFPRA des compétences en matière de police que celui-ci n'a jamais exercées en ce qui concerne le droit d'asile. C'est une première ! Les missions de protection et de police se trouvent ainsi confondues au sein de l'OFPRA, ce qui n'est pas acceptable.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la réduction des délais d'examen des demandes d'asile ne saurait s'opérer au mépris des principes fondateurs du droit d'asile et des garanties qui s'y attachent, ni aux dépens de la qualité de l'examen de chaque dossier.

Ainsi, on ne saurait faire ici l'économie de garanties de procédure essentielles à un examen équitable d'une demande de protection, par exemple le droit à un entretien. Pour lutter contre les lenteurs, il suffirait de mieux encadrer les délais tout au long de la procédure ! Il n'est nul besoin de renverser les fondements mêmes de notre droit d'asile.

Plus qu'à réduire les délais, réduction dont le rapporteur évoque d'ores et déjà les « effets contrastés », votre réforme, monsieur le ministre, tend essentiellement à restreindre les possibilités de déposer une demande d'asile.

S'il faut relever quelques améliorations proposées par la commission des lois pour le présent texte, elles restent toutefois minimes au regard du profond bouleversement que risque de subir notre droit d'asile.

En outre, ces améliorations s'inscrivent parfaitement dans la logique inhérente à ce texte, à savoir faire obstacle aux demandeurs d'asile, au rebours de la conception humaniste qui est la nôtre du droit d'asile.

Parce que nous considérons que votre texte, monsieur le ministre, amènera un recul important dans l'exercice du droit d'asile ; parce que nous estimons qu'il entraînera un affaiblissement notable de la protection des personnes persécutées, nous émettrons un vote négatif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, terre des droits de l'homme, la France a inscrit le droit d'asile dans le préambule de la Constitution de 1946, a signé la convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, a créé, par la loi du 25 juillet 1952, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, dont le rôle a été complété, en 1998, par la loi RESEDA.

Ce droit d'asile, le seul droit qui reste à un être humain lorsqu'il se trouve privé de tous les autres dans son pays, est donc reconnu comme un droit constitutionnel et fait pleinement partie de la tradition républicaine de notre pays. En cinquante ans, la notion de droit d'asile a considérablement évolué, et je crois que nous sommes tous d'accord, dans cette enceinte, sur la nécessité d'adapter le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile.

Si nous reconnaissons qu'il est fondé de donner un caractère exemplaire aux sanctions qui doivent être appliquées aux fraudeurs, à tous ceux qui tirent profit et profitent des situations de grande précarité, à toutes les filières mafieuses, nous craignons fort, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que les préoccupations sécuritaires ne l'emportent sur les préoccupations humanitaires, qui devraient pourtant inspirer cette réforme.

Les trop nombreuses guerres civiles qui déchirent la planète, la multiplication des conflits régionaux, les crimes contre l'humanité, les persécutions ethniques et religieuses jettent sur les routes et au-delà des frontières des populations particulièrement vulnérables, plongées dans le dénuement le plus complet ! Comme le souligne M. Paul Nielson, commissaire européen au développement et à l'aide humanitaire, « aucun continent en fait, à l'exception de l'Australie et de l'Antarctique, n'est épargné par la guerre ».

D'après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, plus de vingt-six millions de personnes se trouvent aujourd'hui arrachées à leur lieu de vie ! Une situation aussi critique, aussi alarmante, entraîne une augmentation considérable du nombre des demandeurs d'asile. C'est ainsi que, dans notre pays, entre l'asile conventionnel et l'asile territorial, le nombre des demandes a atteint le chiffre de 80 000 pour l'année 2002, la quasi-totalité des dossiers étant rejetés.

Selon le rapport 2003 qui a été rendu public récemment par Forum réfugiés, il faut savoir que la France reste l'un des pays de l'Union européenne les plus fortement sollicités, alors que notre pays se situe en onzième position des pays européens accueillants !

Vous conviendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que l'on pouvait s'attendre à beaucoup plus de générosité, preuve et marque de l'attachement de la France à ce droit fondamental qu'est le droit d'asile ! Tout se passe comme si l'on cherchait à décourager tout demandeur d'asile, tout en réduisant ses chances d'accéder au territoire français.

Après avoir franchi physiquement et moralement toute une série d'obstacles, après avoir parfois séjourné dans les fameuses zones d'attente, après avoir réussi, dans le meilleur des cas, à trouver un hébergement, le demandeur d'asile attend le récépissé de la première convocation devant l'OFPRA.

Alors qu'il est déjà difficile pour nous d'y voir clair dans cette réglementation, imaginez les difficultés que rencontrent les étrangers qui ne comprennent pas notre langue ! Heureusement que les associations de défense des étrangers sont là pour les guider dans ce labyrinthe. Mais au moment où ces associations, qui n'ont aucune avance de trésorerie, subissent de plein fouet la baisse des subventions, on est en droit de s'interroger sur l'avenir du réseau d'aide mis en place !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Philippe Madrelle. Il est toujours très difficile de s'habituer à la légitime inquiétude, à la profonde détresse, au sentiment de peur que ressent le demandeur d'asile venant frapper à la porte de nos permanences parlementaires. Se débattant dans une situation de très grande précarité, devant faire face à la plus grande incertitude, le demandeur d'asile tente de subsister et de survivre en attendant la décision finale de laquelle dépendra la suite de son existence !

Il doit parfois patienter pendant dix-huit mois tout en étant dans l'obligation permanente de prouver qu'il n'est pas un fraudeur. En effet, les demandeurs d'asile sont trop souvent suspectés d'être de faux réfugiés.

Cet amalgame permanent entre asile et immigration est contraire à la tradition d'accueil de notre pays. Une authentique politique d'asile, conforme à l'esprit de la convention de Genève, doit être indépendante de la politique d'immigration !

Le contrôle des flux migratoires ne devrait pas permettre à l'Etat d'empêcher les demandeurs d'asile de parvenir jusqu'à l'OFPRA ! La récente et arbitraire expulsion d'une femme tchétchène et de ses deux enfants vers Moscou a mis à mal l'image de la France, pays des droits de l'homme !

Vous me permettrez, monsieur le ministre, de vous faire part de nos inquiétudes relatives à l'introduction des notions d'« asile interne » et de « pays d'origine sûr ».

Non seulement ces deux concepts sont contraires à notre droit, mais ils vident la notion de droit d'asile de son sens initial, à savoir la protection par l'accueil sur notre sol.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Philippe Madrelle. Je partage à ce sujet le souci de mes collègues qui ont dénoncé le caractère ambigu et dangereux de ces deux notions.

Le 5 juin dernier, lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que les notions de « pays d'origine sûr » et « d'asile interne » sont les « précurseurs » du droit communautaire de l'asile ! Vous ne pouvez pas nous empêcher de craindre que l'harmonisation européenne ne se fasse au détriment du demandeur d'asile et que le réflexe souverainiste des Etats ne conduise à faire prévaloir la règle la moins favorable.

Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaiterais me faire le porte-parole à cette tribune des associations de défense des étrangers et vous demander de nous donner des assurances quant à la place et au rôle du représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés au sein de la Commission des recours des réfugiés. Nous souhaitons maintenir dans toute sa plénitude la place effective du Haut-Commissariat aux réfugiés.

N'oublions pas que la protection des réfugiés doit être la priorité de toute politique d'asile, c'est pourquoi il nous apparaît essentiel de préciser la présence et le rôle du Haut-Commissariat aux réfugiés au sein de l'OFPRA : le HCR est en effet le meilleur garant de la convention de Genève.

Je veux, monsieur le ministre, après mon ami Louis Mermaz, vous faire part de nos craintes quant au poids du ministère de l'intérieur sur l'OFPRA, qui doit rester avant tout une autorité administrative indépendante. Pourquoi, en effet, donner un droit de recours au ministère de l'intérieur contre une décision de l'OFPRA ? Le droit d'asile n'a rien à voir avec la sécurité intérieure !

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour nous, socialistes, ce projet rend caduque l'existence même du droit d'asile en France en niant les grands principes sur lesquels repose la convention de Genève. C'est parce que nous avons une tout autre conception de l'asile, c'est parce que nous pensons que la France est grande lorsqu'elle est fidèle à ses valeurs que nous voterons contre ce texte qui nous inquiète. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Dominique de Villepin, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à remercier la commission des lois et son rapporteur, M. Jean-René Lecerf, ainsi que la commission des affaires étrangères et son rapporteur, M. Paul Dubrule, qui ont si bien mis en lumière l'esprit de cette réforme.

Messieurs les rapporteurs, votre soutien et votre engagement constructifs en faveur de ce texte me sont précieux pour améliorer l'équilibre de la loi, et je vous en remercie.

Les amendements proposés par la commission des lois et par la commission des affaires étrangères sont ceux de la clarté, de la transparence et de l'équité. J'en remercie tous les membres de la commission.

Plusieurs aspects du projet soulèvent des questions.

L'intégration par anticipation de normes européennes encore en gestation a suscité les interrogations de MM. Mermaz, Madrelle et Bret, alors que les deux directives sur l'asile n'ont pas encore été adoptées.

Mais, comme le dit avec force M. Del Picchia, ce n'est pas seulement l'asile en France qui est en crise, c'est l'asile dans toute l'Europe qui est en cause. Notre réponse ne peut donc être seulement nationale, elle doit évidemment être européenne. Je partage sur ce point l'analyse de M. Lecerf.

A propos de la dimension européenne de l'asile, je voudrais rappeler, notamment parce que MM. Louis Mermaz et Robert Bret ont cité des chiffres, que l'Europe accueille, chaque année, 70 % des réfugiés au sens de la convention de Genève.

Il n'est pas contestable que certains aspects des directives ne sont pas encore totalement stabilisés, notamment quant aux droits sociaux qui découleront du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, le droit au travail notamment. Sur ce point, vous savez que la France défend évidemment une position favorable à l'intégration et, par conséquent, le droit au travail dès que le statut est accordé. Mais notre projet de loi n'aborde pas ces questions.

En revanche, le consensus qui existe sur les notions de protection subsidiaire, de pays d'origine sûrs, d'asile interne ou sur l'origine non étatique des agents de persécutions ne sera plus remis en question et il n'est pas envisagé que les Etats membres en débattent à nouveau.

Que fallait-il faire ? Attendre que les directives soient effectivement approuvées, ce qui peut prendre encore de longs mois, alors que l'urgence se voit au quotidien aux guichets des préfectures, dans les halls de l'OFPRA ou de la CRR ou dans les corridors bondés des centres d'accueil des demandeurs d'asile ? Je sais, madame Bidart-Reydet et monsieur Cartigny, combien vous êtes confrontés à cette situation dans votre département de Seine-Saint-Denis.

Fallait-il finalement prendre le risque d'un simple toilettage de la loi de 1951 et s'en remettre à la procédure toujours lente de la transposition ? Tel n'a pas été le choix du Gouvernement, mesdames et messieurs les sénateurs.

Nous avons voulu agir vite et au plus près des textes communautaires parce que la crise de notre dispositif le commandait et parce que la solidarité communautaire l'imposait. M. Paul Dubrule a fort justement rappelé que « l'ensemble des pays européens doit faire face à une hausse presque continue du nombre de demandes d'asile ».

A cet égard, je vous confirme, monsieur Mermaz, qu'il n'y a pas d'écart entre les positions que je soutiens devant vous et celles que nos représentants défendent à Bruxelles. Sur les pays d'origine sûrs ou sur les conditions de la convocation des demandeurs d'asile, nous avons ici et là-bas le même langage, celui du respect des droits fondamentaux et du pragmatisme.

Je voudrais enfin rassurer M. Del Picchia quant à la consultation du Conseil d'Etat conformément à la circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003. Il est vrai que, formellement, nous n'y avons pas recouru. Mais je puis vous dire que la lecture du projet de loi a été faite « directives en main » par l'assemblée générale de la haute juridiction. C'est à la triple lecture de notre droit, des directives communautaires en préparation et de la jurisprudence, notamment de la Cour européenne des droits de l'homme, que le Conseil d'Etat a examiné ce texte.

La protection subsidiaire et son caractère supposé précaire ont retenu votre attention, monsieur Mermaz, tout comme celle du groupe socialiste et du groupe CRC. Je voudrais le redire avec force, c'est une réelle avancée par rapport au droit actuel de l'asile territorial. Oui, sans aucun doute, la protection subsidiaire, ce sont des garanties supplémentaires pour les demandeurs.

Il y aura plus de garanties puisque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sera tenu d'accorder cette protection lorsque les conditions fixées par la loi seront réunies. Je relève l'expression pertinente de M. Lecerf, qui parle, sur ce point, « de compétence liée » de l'OFPRA.

Oui, il y aura plus de garanties, parce que l'appel devant la Commission des recours des réfugiés aura un effet suspensif que n'avait pas le recours des déboutés de l'asile territorial devant le tribunal administratif.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas pour tout le monde !

M. Dominique de Villepin, ministre. Il y aura plus de garanties parce que la protection subsidiaire n'est pas concurrente mais bien complémentaire de la protection conventionnelle. L'Office examinera les demandes d'asile, d'abord sous l'angle de la convention de Genève, puis au prisme de la protection subsidiaire. L'une précède l'autre, dans tous les sens du terme. Cela devrait vous rassurer, monsieur Bret. Cette succession dans le traitement concomitant des demandes me paraît de nature à éviter les détournements de procédure dont M. Jean-Marie Vanlerenberghe s'est légitimement préoccupé.

La protection subsidiaire donnera lieu à la délivrance d'une autorisation de séjour d'un an renouvelable. La situation des intéressés sera donc plus stable que celle des bénéficiaires de l'asile territorial.

A contrario, le retour d'un réfugié pourra - et c'est normal - être envisagé lorsque les menaces qui pesaient sur lui auront disparu. Il y aura donc, chaque année, réexamen des situations personnelles et de l'évolution de la situation internationale ou locale. Voilà pourquoi il ne saurait être question de pérenniser une forme d'asile qui n'a pas vocation à s'inscrire dans la durée.

Enfin, je n'ai pas de commentaires à faire sur les réserves de ceux qui sont surpris que la France veuille exclure de la protection subsidiaire un demandeur d'asile qui a commis un crime grave de droit commun, un viol ou un meurtre.

La notion de pays d'origine sûr inquiète également tous les orateurs des groupes de l'opposition. Je relis le projet de loi : un pays d'origine sûr respecte les principes de liberté et de démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit.

En premier lieu, je rappelle que la Convention a toujours prévu que l'on tienne compte de l'évolution de la situation d'un pays. Ce principe est posé par l'article 1er C 5 de la convention que l'on appelle aussi « clause de cessation ».

« Cessation », cela veut dire interruption de la protection si la situation du pays n'est plus celle d'un pays où l'on pratique ou tolère la persécution.

La conséquence de ce retrait que prévoit la convention, toujours elle, c'est « la perte, pour l'ancien bénéficiaire de l'asile, du droit de refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne décris pas là une construction juridique nouvelle, j'évoque une disposition en vigueur depuis 1951, que l'OFPRA applique depuis cette date sans que quiconque s'en soit jamais ému et qui a même été étendue par la loi en 1993, à l'examen de l'admission au séjour des demandeurs d'asile.

En second lieu, peut-on sérieusement mettre sur le même plan un pays démocratique et un pays où sévit une dictature ? C'est pourquoi le HCR lui-même a établi une liste d'exclusion comprenant les pays qu'il considère comme suffisamment protecteurs des droits de l'homme et de la personne pour que toute demande d'asile émanant de leurs ressortissants soit traitée selon une procédure dite « prioritaire ».

Il s'agit bien là des prémices de cette notion de « pays d'origine sûrs » que nous souhaitons introduire dans notre droit.

Or je rappelle que la condition posée par la convention de Genève d'un examen individuel de chaque demande est absolument garantie : chaque demande sera étudiée au cas par cas, selon ses mérites propres.

Une liste de ces pays sera arrêtée au niveau communautaire au terme d'une négociation collective. Elle devrait être annexée à la directive relative aux procédures d'asile et mise à jour par des délibérations adoptées à la majorité qualifiée. La latitude qui est donnée au conseil de l'OFPRA - latitude dont il dispose depuis des décennies - n'est que transitoire.

Nous saluons unanimement la suppression du caractère seulement étatique des persécutions. Mais MM. Mermaz et Madrelle, notamment, s'inquiètent de l'émergence d'agents de protection non étatiques.

Dans l'appréciation de la menace pesant sur les demandeurs d'asile, on prendra désormais en compte les exactions de groupes politiques, ethniques ou religieux, notamment, dont l'actualité récente donne encore d'horribles exemple. M. Ernest Cartigny a souligné avec raison cette avancée.

La communauté internationale souhaite que les organisations internationales et régionales jouent pleinement leur rôle dans la solution des conflits. Et notre diplomatie n'a cessé d'encourager l'émergence de cette nouvelle forme de protection et des acteurs qui s'en chargent. Comment la loi française pourrait-elle ignorer cette évolution majeure ?

Le rapport de la commission des affaires étrangères plaide pour une application prudente des nouveaux concepts. A supposer que les officiers de protection se risquent à une interprétation imprudente du concept - ce qui n'est pas leur habitude, nous le savons - dois-je rappeler qu'ils agissent sous le contrôle d'un juge lui-même soumis à la cassation du Conseil d'Etat ?

MM. Mermaz, Madrelle et Bret ont été très critiques quant au rôle du ministère de l'intérieur. Ils ont voulu voir dans cette réforme un changement de fond. Permettez-moi d'être très clair et sans équivoque : c'est bien le ministère des affaires étrangères qui est en charge du droit d'asile, du devoir d'asile et qui le restera. Il n'y aura nul changement sur ce point par conséquent.

Dois-je rappeler que le ministre de l'intérieur est présent au sein du conseil de l'OFPRA depuis 1953, que les services de la police de l'air et des frontières et les préfectures assurent le premier contact avec les demandeurs d'asile et que cela ne changera pas, que les documents de séjour des étrangers en France, des demandeurs d'asile en particulier, sont établis sous le contrôle de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur ?

Alors la nouveauté repose, pour l'essentiel, sur un point : le projet qui vous est soumis envisage la création, au sein de l'office, d'une mission de liaison du ministère de l'intérieur.

Cette mission sera un outil de facilitation de la nécessaire interface entre l'OFPRA et les services du ministère de l'intérieur. Il s'agit, tout d'abord, d'être en relation étroite avec les préfectures, je viens de rappeler pourquoi.

Cette mission devra veiller à l'exécution des décisions de l'OFPRA ou de la CRR dès lors qu'elles seront définitives. Un demandeur d'asile qui a épuisé toutes les voies de recours et qui n'a pas établi qu'il encourrait des risques en cas de retour dans son pays d'origine doit pouvoir y être reconduit. La transmission des décisions de l'Office ou de la CRR au ministère de l'intérieur ne poursuit pas d'autre finalité.

La non-reconduite à la frontière des déboutés du droit d'asile est une injustice pour les réfugiés statutaireset, plus généralement, pour les étrangers en situation régulière.

Je rappelle enfin que la disparition de l'asile territorial se traduit par le transfert à l'OFPRA et au ministère des affaires étrangères d'une compétence que le ministère de l'intérieur a exercée jusqu'à ce jour.

Selon MM. Mermaz et Bret, la place du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés serait remise en cause.

Or rien dans le projet de loi ne va dans le sens d'un affaiblissement du rôle du HCR, « au contraire » a même été tenté de dire le rapporteur de la commission de lois, M. Lecerf. Le HCR continuera d'être représenté au sein du conseil d'administration de l'OFPRA. Les sections de jugement de la CRR comprendront des personnalités qu'il aura désignées, sous la seule réserve d'un avis du vice-président du Conseil d'Etat.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quel est le rapport ?

M. Dominique de Villepin, ministre. Or l'Office et la Commission des recours des réfugiés voient leurs champs de compétence sensiblement accrus par l'introduction de la protection subsidiaire.

L'OFPRA et la CRR bénéficieront donc toujours de l'expérience internationale des représentants du HCR. Ainsi, la spécificité française d'une place privilégiée du HCR dans le dispositif d'asile est préservée, et la France reste par conséquent, comme l'a rappelé M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères, « le seul Etat à donner une place aussi importante au HCR ».

Le projet de loi, après amendement par l'Assemblée nationale, donne au président de la CRR et aux présidents de section la faculté de régler par ordonnance les affaires dont la nature ne justifie pas l'intervention d'une formation collégiale. Les voix de Louis Mermaz et de Philippe Madrelle se sont élevées pour critiquer le risque de justice expéditive.

Messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous dire que vos craintes ne sont pas fondées.

La possibilité de régler certaines affaires par ordonnance est de droit commun. Elle est communément utilisée dans nos juridictions, notamment dans les tribunaux administratifs.

Dans la pratique, les ordonnances seront utilisées pour régler des affaires simples, dans lesquelles aucun élément sérieux n'est produit à l'appui de la demande. Aucune affaire d'importance ne sera traitée par voie d'ordonnance, d'autant que le principe de la convocation obligatoire par l'OFPRA va être posé par l'amendement que présente à cet égard la commission des lois et que l'application de ce principe sera soumise au contrôle de la commission de recours des réfugiés.

Cela renvoie sans aucun doute au statut juridictionnel de la Commission de recours des réfugiés, que Paul Dubrule souhaiterait voir précisé.

Je répondrai enfin à Ernest Cartigny qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter de la publicité des débats à la CRR.

N'oublions pas que la CRR est une véritable juridiction. Les débats y sont publics. Toutes les langues de la terre s'y entendent, car chacun a le droit de s'exprimer dans sa langue et d'être assisté par un interprète assermenté. Surtout, les portes des salles d'audience sont ouvertes, et chacun peut aller et venir pour y écouter comment se dit le droit, dans la collégialité. Il n'y a aucun doute : c'est bien une juridiction. C'est même la première juridiction administrative de France, avec à elle seule plus de la moitié de tout le contentieux traité par l'ensemble des juridictions administratives.

Monsieur Bret, vous posez la question des droits des demandeurs d'asile, notamment du droit au travail et du droit à l'aide juridictionnelle.

Je rappelle que la France défend avec constance, à Bruxelles, le droit au travail des réfugiés statutaires et des bénéficiaires de la protection subsidiaire. Vous voyez bien, monsieur le sénateur, qu'il n'est pas question pour la France d'introduire un biais entre protection conventionnelle et protection subsidiaire. Mais il serait incohérent, alors même que la situation des demandeurs d'asile n'est pas stabilisée, de leur accorder un droit au travail qui les fonderait à espérer un établissement durable dans notre pays.

En ce qui concerne l'aide juridictionnelle, je voudrais rappeler que seules trois juridictions disposent en France d'un bureau d'aide juridictionnelle : la Cour de cassation, le Conseil d'Etat et la Commission des recours des réfugiés. Cette question est donc bien centrale dans notre dispositif d'accueil.

Quant à l'attribution de l'aide juridictionnelle aux étrangers en situation irrégulière au regard du droit au séjour, je précise que la négociation de la directive sur ce point n'a pas abouti et que, par ailleurs, cette question de relève pas du projet de loi sur l'asile, mais d'une éventuelle modification de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Allons, allons !

M. Dominique de Villepin, ministre. J'ajoute un mot, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le renforcement des moyens de l'OFPRA et de la CRR. J'ai bien entendu les préoccupations de vos deux rapporteurs à cet égard.

Malgré une conjoncture budgétaire difficile, le Gouvernement s'est donné et se donnera les moyens de financer cette réforme. Je vous ai dit tout à l'heure combien ces efforts portaient maintenant leurs fruits.

Un ou deux chiffres encore pour vous en donner la mesure : la subvention à l'OFPRA et à la CRR est passée de 28,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2003 à 38,2 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2004, soit plus de 9 millions d'euros d'augmentation. Et ce sont plus de 260 agents qui sont venus renforcer, en deux ans, les effectifs de l'OFPRA et de la CRR.

Il ne s'agit là que des coûts directs du dispositif. Les rapporteurs ont évoqué aussi l'explosion du coût social d'un système à la dérive.

Pour maîtriser cette politique publique, il faut évidemment en intégrer la conception, le suivi et l'évaluation. Je retiens à cet égard la proposition judicieuse de Paul Dubrule pour un « projet coordonné de politique interministérielle » - un PCPI, selon le jargon qui a surgi de la LOLF -, en d'autres termes pour une meilleure coordination d'un volet complexe mais sensible de l'action de l'Etat.

Je remercie une nouvelle fois les commissions des lois et des affaires étrangères, leurs rapporteurs, Jean-René Lecerf et Paul Dubrule, ainsi que tous les orateurs pour la qualité de leurs contributions. Un débat va maintenant s'engager. Je ne doute pas qu'il en émergera un droit d'asile rénové, fidèle à notre tradition républicaine et anticipant peut-être cet « espace européen de liberté, de sécurité et de justice » qu'appelle de ses voeux Robert Del Picchia. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)