PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution, et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement modifie l'ordre du jour prioritaire du jeudi 5 juin, le matin et l'après-midi :

« - Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction ;

« - Deuxième lecture du projet de loi de sécurité financière.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

« Jean-François Copé »

Acte est donné de cette communication et l'ordre du jour de la séance du jeudi 5 juin est ainsi fixé.

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INFRASTRUCTURES 2003-2020

Suite d'un débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur les infrastructures 2003-2020.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour l'essentiel, les grandes infrastructures conçues et construites par la France royale puis jacobine convergeaient sur Paris, ou, autrement dit, elles partaient de Paris vers la province.

Je note au passage que ce terme de « province » est difficilement traduisible, voire compréhensible, pour nos amis européens : pour eux, une province, c'est un Land, une région, sans que le mot ait la connotation légèrement condescendante qu'il a en français.

M. Jacques Blanc. Eh oui !

M. Pierre Laffitte. D'autres Etats, bien entendu, ont doté leur territoire d'infrastructures nationales, lesquelles, évidemment, ne se connectent pas toujours avec les infrastructures des pays voisins.

On peut penser qu'il y a depuis que l'Europe existe, qu'elle prend des initiatives et des décisions, une volonté de construire des infrastructures véritablement européennes, de « quadriller » l'Europe par des structures adaptées à l'ensemble, puisque, tous, nous avons la conviction que les infrastructures de transport sont un élément fondamental de l'aménagement d'un territoire et, plus ce territoire est vaste, de sa structuration.

Mon groupe, le Rassemblement démocratique et social européen - européen ! - ne peut qu'applaudir aux initiatives bilatérales prises en la matière, lesquelles l'ont souvent été par la France. C'était du Paris-Bruxelles, ou encore du Paris-Londres ; curieusement, ce n'était pas encore du Paris-Strasbourg.

Strasbourg étant tout de même l'une des deux capitales européennes, on aurait pu concevoir que, pour la France comme pour l'Allemagne, depuis le traité de l'Elysée, il y a donc plus de quarante ans, doter Strasbourg à la fois d'un TGV et d'un aéroport digne de ce nom - c'est-à-dire international - soit devenu une priorité. Cela n'a pas été le cas. Nous le regrettons, car, à notre sens, ce devrait être une priorité politique.

Plusieurs orateurs, et notamment M. de Robien, l'ont dit, nous devons entrer dans l'ère du politique : le politique doit jouer son rôle. Il ne s'agit plus de mettre uniquement l'accent sur l'aspect économique.

Certes, l'aspect économique a son importance, et, pour ma part, je considère que les problèmes fondamentaux que soulève l'aménagement de notre territoire sont liés à la fois à la politique et à l'économie.

En 1989, il y a donc presque quinze ans, je militais déjà en faveur d'un TGV Barcelone-Milan passant par Nice et par Turin.

M. Jacques Peyrat. Bravo !

M. Pierre Laffitte. M. Peyrat, dont la région est concernée, est tout à fait d'accord. Le président de la SNCF d'alors, M. Fournier, avait demandé à ses services une étude économique. Le ministre de l'industrie catalan, que j'avais contacté, était, bien entendu, partant, et on sait avec quelle vélocité les Catalans s'engagent dans les opérations importantes ! Quant au président de la Commission européenne, à l'époque M. Delors, à qui j'avais demandé ce qu'il pensait de l'idée, il m'avait dit y être pour sa part très favorable ; il considérait que la Commission l'était aussi, mais que les Etats membres, eux, y étaient opposés. Et il est vrai que, à l'époque, les Etats, la France en particulier, ne voulaient pas de ce TGV.

Je pense cependant que les temps ont changé et, en particulier, qu'il y a maintenant une nouveauté.

Peut-être l'excellent et remarquable document de la DATAR que M. Delevoye a largement diffusé parmi nous, « La France en Europe : quelle ambition pour la politique des transports ? », n'a-t-il pas assez marqué d'intérêt pour le TGV qui, à partir d'Aix-en-Provence, irait jusqu'à Nice et éventuellement plus loin. Même s'il est évoqué, il ne l'est pas avec autant de force que nous le voudrions, et je laisse d'ailleurs à mon ami Jacques Peyrat le soin d'évoquer ce point plus longuement, parce qu'Aix-Marseille et Nice-Turin sont des éléments du projet, qui était peut-être un peu trop en avance, de liaison Barcelone-Milan.

S'agissant de ce projet, je parlerai surtout du tronçon Turin-Nice, ou Nice-Turin,...

M. Jacques Peyrat. Bien sûr !

M. Pierre Laffite. ... Laissant à M. Peyrat le soin de traiter de la liaison vers l'est, vers notre capitale régionale Marseille et, surtout, vers Paris.

Le Turin-Lyon a deux avantages majeurs : d'abord, il permet de renforcer la crédibilité et surtout l'économie de la ligne, dont la rentabilité devrait presque doubler d'après les études préliminaires faites par l'un de mes amis, M. René Mayer, ingénieur général des ponts et chaussées, auteur d'une splendide étude, largement diffusable et qu'il faudra largement diffuser ; ensuite, il renforce le maillage et permettrait éventuellement d'éviter une catastrophe si l'axe nord-sud de l'Europe, à savoir la vallée du Rhône, devenait, pour une raison quelconque, inutilisable. Pour les spécialistes des techniques routières ou ferroviaires, il y a là quelque chose d'assez courant : il faut toujours avoir des possibilités de rechange.

On ne peut pas faire dépendre d'une seule voie déjà saturée comme l'est le sillon rhodanien l'ensemble de l'Europe du nord et du sud, surtout si l'on tient compte du nécessaire ferroutage, des migrations saisonnières des populations attirées par le soleil et du fait qu'il n'est pas impossible qu'un acte terroriste conduisant à une catastrophe économique majeure puisse se produire.

Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il est temps que l'Europe finance des infrastructures concernant plusieurs pays et susceptibles d'offrir des avantages dont le premier serait d'être rentables et d'assurer un cash flow ?

Nous pensons qu'il y va de l'intérêt de l'Europe et de la France en particulier, tant il est vrai que notre pays est une plate-forme, comme cela a été dit et répété. Le trafic de l'est vers l'ouest notamment va augmenter, nous en avons la certitude, ne serait-ce que sur la petite autoroute qui passe sur la Côte d'Azur. Ainsi, le nombre des camions qui vont des Pays-Bas vers la Hongrie et celui de camions hongrois, polonais et slovènes qui se dirigent vers l'Espagne ne cessent de croître. Cela crée une situation extrêmement dangereuse pour toute une série de raisons : cela abîme les autoroutes, complique le trafic local et aggrave l'effet de serre, d'où la nécessité d'un aménagement du territoire assurant le développement durable.

Nous ne sommes pas pour le tout-ferroviaire, mais nous ne sommes pas non plus pour le tout-routier, d'autant que le tout-routier consomme de précieux mètres carrés.

Par conséquent, la « plate-forme France » et l'Europe structurée méritent une action européenne, et je crois pour ma part, monsieur le ministre, que le Conseil des ministres européens des transports devrait prendre des initiatives en vue du lancement d'un grand programme de travaux, cohérent et solide, qui serait financé par des contributions des Etats, bien entendu, et par des prêts à long terme de la Banque européenne d'investissement. En France, ce programme devrait concerner en priorité, cela va de soi, les départements frontaliers, là où s'opère le raccordement avec les infrastructures créées depuis des siècles par les pays voisins.

Mes collègues des Alpes-Maritimes savent comme moi que ces infrastructures nouvelles sont nécessaires. Cela est particulièrement évident lorsque les contrôleurs aériens nous prennent en otages, nous qui vivons si loin de Paris. La population active de notre département, qui est nombreuse et dont le travail engendre des rentrées de devises importantes, dans les secteurs tant de la haute technologie que du tourisme, se trouve alors entravée, ce qui constitue pour notre économie locale un inconvénient majeur. Etre situés en bout de ligne, à mille kilomètres de Paris, est tout à fait gênant, voire catastrophique quand la situation est proche de la saturation. Pour l'ensemble des forces vives de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, pour tous les élus régionaux, qu'ils soient de droite ou de gauche, qu'ils soient communistes, socialistes, radicaux, membres de l'UMP, de l'UDF ou même du Front national, cette question est d'une importance vitale. Notre débat d'aujourd'hui doit permettre d'organiser le futur, et je remercie monsieur le M. le ministre d'en avoir pris l'initiative.

Les pays européens sont-ils prêts à engager de tels investissements ? L'euro en souffrirait-il ? Je ne le crois pas et, même s'il devait en souffrir quelque peu vis-à-vis du dollar, je doute que beaucoup d'industriels européens jugent qu'il serait catastrophique que l'euro ne continue pas à s'apprécier. Au contraire, il ne serait probablement pas mauvais pour l'économie et l'emploi en Europe que notre monnaie soit un peu plus faible par rapport au dollar ; tel est d'ailleurs le point de vue de la plupart des économistes.

Il conviendrait donc, à mon sens, de mener une action de relance, et ce en dehors du pacte de stabilité. A cet égard, ce dernier n'a pas forcément pour objet, me semble-t-il, de pénaliser les Etats s'ils réalisent des investissements ! Je n'ai jamais entendu dire qu'il soit a priori mauvais qu'une entreprise privée procède à de nombreux investissements ! Certes, il ne faut pas qu'elle aille trop loin dans cette voie, mais il ne faut pas non plus qu'elle renonce totalement à s'endetter. Comme le prônait tout à l'heure M. le président, nous devons comparer l'action d'un Etat à celle d'un entrepreneur, et considérer de la même manière un investissement en vue de la construction d'une autoroute et un investissement consenti par une entreprise : la dépense est incorporée au bilan.

D'ailleurs, la commission des finances, en général extrêmement vigilante quand il s'agit des dépenses publiques, a estimé qu'il était positif de réaliser des investissements devant permettre un meilleur fonctionnement de l'économie dans le futur. M. Marini a jugé que c'était là un paradoxe ; quant à moi, cela me paraît tout à fait normal !

Ce point me semble d'autant plus important que les temps sont mûrs. Ainsi, nos amis Allemands, traditionnellement très sourcilleux en matière de dépenses, seraient sans doute heureux que nous prenions avec eux une initiative en ce sens à Bruxelles, à l'heure où la présidence de l'Union européenne est assurée par l'Italie, qui partage notre avis. Une occasion s'offre donc à nous, monsieur le ministre, d'améliorer la compétitivité européenne.

J'en reviens maintenant à la question du projet spécifique de TGV sud-européen. Renforcer la cohésion économique et culturelle de l'arc méditerranéen est une idée chère à notre délégué à l'aménagement du territoire. Cet arc est d'ores et déjà une réalité. Dans l'optique des nouvelles priorités définies en matière d'aménagement du territoire, s'agissant notamment de la création de lignes à grande vitesse, relier l'Italie du Nord à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur permettrait de donner un coup de fouet phénoménal à cette dernière, mais aussi aux régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Ce serait là, à mon sens, un important facteur de rénovation pour la partie méditerrannéenne et sud-ouest de la France, une occasion de réviser les priorités actuelles. Le projet clé, dans cette affaire, est celui du segment Nice-Turin. Sa réalisation coûterait beaucoup moins cher que celle de la liaison Turin-Lyon, qu'elle rendrait en même temps plus crédible et envisageable à plus court terme. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la politique des transports constitue l'une des grandes responsabilités du Gouvernement. Au-delà de ses effets économiques et environnementaux, cette politique doit affirmer la vision de l'Etat en matière d'aménagement du territoire et exprimer la solidarité nationale vis-à-vis des zones géographiques les plus enclavées.

Cette responsabilité doit se traduire par des engagements précis. Certains, fort importants, ont déjà été pris dans le passé. Je n'en citerai que deux, à titre d'exemple : le schéma de services collectifs des transports, visant à un meilleur équilibre entre les divers modes, et les lois Pasqua et Voynet, garantes de la solidarité nationale pour tous les territoires situés à plus de quarante-cinq minutes d'une grande infrastructure.

La mise en oeuvre de ces engagements nécessite une réelle volonté de concertation. La création de la Commission nationale du débat public illustre bien cette nécessité, qui est ressentie, d'ailleurs, par tous les acteurs du développement.

« Un territoire mal desservi verra presque toujours son avenir compromis » : ce constat de la délégation parlementaire à l'aménagement et au développement durable du territoire est terrible. Il doit être rapproché des conclusions de l'étude prospective de la DATAR, intitulée : La France en Europe : quelle ambition pour une politique des transports ? Cette étude met en exergue l'accessibilité très médiocre à douze départements. Mon intervention portera sur l'action gouvernementale en faveur de ces départements, en matière d'aménagement du territoire et de solidarité, au travers de la politique des transports. J'illustrerai mon propos par le cas de l'Ardèche, celui des douze départements en question que je connais le mieux.

En termes de méthode, le constat est négatif.

Tout d'abord, la concertation est inexistante, ou traîne en longueur. En témoigne par exemple le renvoi incessant de la tenue du débat public sur le couloir rhodanien, que M. Jean-Claude Gayssot avait pourtant prévue pour le début de 2003, sur ma demande en particulier. Vous vous étiez d'ailleurs engagé ici même, monsieur le ministre, le 6 décembre 2002, à ce que ce débat ait lieu.

Ensuite, les études n'avancent pas, à moins - ce serait plus grave encore - que le black-out n'ait été fait sur les études qui auraient pu être réalisées pour trouver une solution à l'engorgement progressif de l'autoroute A 7.

Enfin, la surmédiatisation d'un audit commandé par le Gouvernement vient troubler la lisibilité politique en tranchant parmi les solutions avant même que le débat public n'ait commencé.

En termes d'engagement gouvernemental, le constat est encore plus négatif, avec une politique floue en matière d'intermodalité, voire un désengagement au travers des projets de décentralisation de la gestion des routes nationales, une démission au regard de l'équilibrage entre les territoires et un abandon des objectifs de soutien aux zones les plus fragilisées, une absence de ligne directrice dans la gestion des projets qui ouvre la voie à une véritable foire d'empoigne dans laquelle chacun essaiera de faire valoir ses intérêts.

Devant ces constats, quelles sont les mesures concrètes qui auraient dû être prises et que le Gouvernement peut encore mettre en oeuvre ?

En termes de méthode tout d'abord, il convient de sortir de l'approche théorique du problème en accélérant la réalisation des études nécessaires et en communiquant sans délai les résultats aux acteurs locaux. Il faut organiser l'indispensable concertation en lançant immédiatement des débats publics, à l'instar de celui qui a été promis au sujet du couloir rhodanien.

En termes d'engagement de l'Etat ensuite, celui-ci est tout particulièrement indispensable sur le plan financier, compte tenu des faibles possibilités contributives des collectivités les moins favorisées. L'Ardèche est très directement concernée à cet égard.

Il incombe aussi à l'Etat d'établir un véritable plan d'investissement, à mettre en oeuvre dans un délai raisonnable. Cela peut se traduire, en prenant toujours l'exemple ardéchois, par la réalisation de voies expresses à partir des infrastructures existantes.

Il est en outre de la responsabilité de l'Etat de mobiliser tous ses moyens, par le biais, par exemple, de l'affectation d'une partie du produit de la TIPP ou encore d'un meilleur usage des cahiers des charges des concessions existantes ou futures pour compléter les infrastructures autoroutières et les relier aux autres grandes infrastructures nationales, afin que puissent être résolus des problèmes particuliers, tels que le nombre insuffisant de franchissements du Rhône en Ardèche.

En termes de responsabilité enfin, le développement de l'intermodalité est, certes, une préoccupation constante, mais le traitement de cet aspect important du développement des transports ne doit pas faire oublier l'obligation de solidarité nationale vis-à-vis des territoires les plus enclavés, qui doivent faire l'objet d'un traitement particulier, et même, devrais-je dire, prioritaire,...

M. Michel Moreigne. Très bien !

M. Michel Teston. ... afin qu'ils ne restent pas à l'écart du développement économique.

En conclusion, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le rôle de l'Etat est de mettre en place des infrastructures cohérentes avec une politique d'aménagement du territoire durable et ambitieuse. Il est aussi de favoriser par tous les moyens une solidarité réelle entre les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ma collègue et amie Marie-France Beaufils a déjà eu l'occasion de souligner combien le soutien public au développement des modes de transport autres que la route, notamment pour le fret, constituait une impérieuse nécessité, au regard d'enjeux socioéconomiques dépassant le cadre national.

Au même titre que le rail, indispensable au nécessaire rééquilibrage modal, les voies fluviale et fluvio-maritime présentent, du point de vue du décongestionnement routier, mais aussi de celui de la sécurité du transport de marchandises dangereuses, un intérêt majeur. Or nous constatons en ce domaine un véritable recul par rapport aux engagements du précédent gouvernement.

Ainsi, la réalisation de la liaison Seine-Nord serait repoussée au-delà de 2020, rendant - soyons sérieux ! - son exécution tout à fait hypothétique.

Cette liaison répond pourtant à des impératifs écologiques avérés, étant donnée la saturation du corridor nord aussi bien routier que ferroviaire liée à l'absence d'une politique visant la mise en cohérence intermodale et à l'insuffisance de valorisation des plates-formes multimodales, comme celle de Dourges par exemple. Cette dernière a considérablement accru le trafic des poids lourds sur l'axe A 1, créant des nuisances à la limite du supportable.

Outre les effets d'entraînement à attendre sur le plan économique de la connexion des voies navigables du nord, mais aussi des canaux européens, cette liaison devrait permettre d'alléger en fret routier toute la région d'Ile-de-France.

Doit-on rappeler que des moyens de financement pour moderniser cet axe fluvial ont été prévus au contrat de plan Etat-région ? Le dispositif élaboré par le précédent gouvernement, associant les contributions de l'Etat pour un milliard d'euros, celles de l'Union Européenne pour 500 millions d'euros et celles, à hauteur de 500 millions d'euros, des trois régions impliquées, ne paraît absolument pas irréaliste, contrairement à ce que tend à affirmer le Gouvernement !

De même, le projet d'écluse fluviale de Port 2000 devrait être maintenu. L'écluse entre son nouveau bassin et la Seine permettrait une réduction du trafic routier poids lourds assurant les liaisons entre les ports d'Anvers, de Rotterdam et de l'ensemble de la région d'Ile-de-France.

Nous avons besoin aujourd'hui d'une politique active dans le domaine fluvial et fluvio-maritime. Il devient urgent de moderniser notre réseau et d'assurer des connexions avec les fleuves européens - Rhin, Main, Danube - mais aussi avec le Mittland Kanal, afin de valoriser les atouts économiques liés à une unification de l'Europe de l'ouest, centrale et orientale, et ce face aux perspectives de l'élargissement de l'Union européenne.

Nous sommes également favorables à la liaison Rhin-Rhône, via la Moselle, qui permettrait de désenclaver les régions Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon, en les ouvrant sur l'Europe du nord, centrale et orientale. Il s'agit là d'impératifs économiques si nous ne voulons pas rester à l'écart de la dynamique européenne.

Certes, le financement d'un tel projet, dont le coût est estimé à 23 milliards d'euros, ne sera pas assuré si nous ne bénéficions pas de contributions européennes conséquentes et si nous ne mobilisons pas des fonds autour d'un pôle public de financement associant la Caisse des dépôts et consignations, la Compagnie nationale du Rhône - ce qui serait plus efficace que de la privatiser - , les chambres de commerce et d'industrie et les collectivités territoriales dans la mesure de leurs possibilités. Il va de soi que cette liaison fluviale n'a d'intérêt et ne sera efficace que si elle est complétée par un axe ferroviaire Rhin-Rhône dédié au fret.

Dans la même optique, il est également nécessaire de développer le cabotage maritime. Ainsi, entre Marseille-Fos et les principaux ports de l'arc méditerranéen, ce mode alternatif offre une réelle solution à la saturation actuelle de l'axe Est-Ouest reliant la péninsule Ibérique, la France et l'Italie. Il permettrait aussi de valoriser les atouts économiques de ce grand port européen, dont les retombées bénéficieraient à toute la région sud.

Je n'ai guère le temps de développer mon propos sur d'autres projets. Je remarque que le mode de transport fluvial est véritablement marginalisé et que le Gouvernement ne semble lui accorder qu'un très faible intérêt.

C'est, une fois de plus, exclure la France des bénéfices du dynamisme de l'Europe, surtout dans la perspective de son élargissement à l'est, et la contraindre toujours plus à subir la pollution et les nuisances liées à l'hégémonie de la route. En ce domaine, comme dans d'autres, le manque de volontarisme politique risque de nous faire passer à côté des principaux enjeux d'avenir. Nous ne saurions donc approuver une telle politique, si peu ambitieuse, si peu consistante, compromettant l'aménagement harmonieux de notre territoire au prétexte d'insuffisants moyens financiers, sacrifiant des projets d'utilité publique et sociale au profit des normes de rentabilité dictées par les marchés financiers ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le ministre, je veux d'abord vous remercier d'avoir organisé ce débat à partir du rapport d'audit qui nous a été remis il y a quelque temps.

A partir de ce rapport, vous avez posé trois questions, auxquelles je vais tenter de répondre : Comment jugez-vous les infrastructures existantes ? Faut-il ralentir ou accélérer l'effort d'équipement ? Comment financer cet effort ?

Je dois dire que, contrairement à l'opinion de certains, ce rapport d'audit, il me plaît bien ! (Sourires.) C'est une oeuvre qui n'est pas dénuée d'humour.

L'un des auteurs de cet ouvrage était venu, il y a deux ans, passer quelques mois à Lyon avec pour tâche de convaincre l'ensemble des collectivités de signer une convention de financement pour un grand équipement. Dans le rapport d'audit, il a expliqué, bien entendu, que ce grand équipement était trop cher, mal ficelé et qu'il ne fallait surtout pas s'y engager.

Tout cela ne peut que nous conduire à faire preuve d'une certaine humilité face aux questions qui nous sont posées et à regarder les choses à deux fois avant de prendre une décision finale.

Pour moi, ce rapport d'audit a un second avantage : montrer, tout simplement, que, dans ce pays, quand on ne fait rien, on fait des projets.

A la fin, le projet tue le projet, parce que plus il y a de projets, moins on fait de choses.

D'abord, plus on en fait et plus on accumule les adversaires des projets (M. Guy Fischer sourit) ; ensuite, on a tellement de projets qu'on ne sait plus lequel mener à bien, qu'on ne fait rien et qu'on se trouve bloqué.

On décide alors de faire un grand débat public, qui occupe six mois. Les gens qui sont contre louent des cars pour aller aux diverses réunions, pour expliquer qu'ils sont contre ; ceux qui sont pour louent d'autres cars pour aller expliquer aux mêmes réunions qu'ils sont pour, et on occupe ainsi pendant quelques mois des hauts fonctionnaires.

De l'argent est investi dans les affaires et on achève le grand débat public en disant : ce ne serait pas mal si on passait à gauche, mais ce ne serait pas inintéressant non plus de passer à droite, enfin, on verra bien !

Le grand débat public est terminé et, bien entendu, on peut ensuite demander à un comité d'audit d'examiner tout cela.

Voilà ce que l'on a fait ces dernières années : on a accumulé les projets, on a soulevé des espoirs, on a suscité des adversaires aux projets, et on en est resté là.

Et aujourd'hui, nous voici devant un vaste problème de sous-équipement, qu'il nous faut, ensemble, prendre en considération.

M. Jean-Louis Carrère. Il ne faut pas exagérer !

M. Michel Mercier. Monsieur le ministre, pour ce qui me concerne, je ne vous demanderai pas de faire tout ce qui est prévu ou, en tout cas, ce dont on parle dans ce rapport.

Je vous demanderai d'abord, et avant tout, de faire des choix, de dire très clairement quels sont les équipements qui semblent prioritaires pour notre pays et quels sont les motifs qui nous conduisent à faire tel ou tel choix.

En tout cas, il faut opérer un certain nombre de ruptures car on ne pourra pas continuer comme par le passé.

Il faut admettre qu'on ne pourra pas tout faire : on ne pourra pas construire des aéroports partout, on ne pourra pas doubler partout les autoroutes, on ne pourra pas non plus réaliser partout de nouvelles lignes de chemin de fer, mais on peut faire des choix clairs.

Un choix s'impose d'emblée : il nous faut réévaluer le mode ferroviaire et consentir un effort en faveur du transport fluvial.

Je regrette beaucoup que la Compagnie nationale du Rhône n'ait pu mener à bien ses projets et achever la liaison entre Marseille, Lyon et l'Europe du Nord, au besoin en définissant un nouveau tracé. En tout état de cause, ces choix nouveaux doivent être guidés par le souci de promouvoir l'intermodalité.

Je vais maintenant associer à mon propos mon collègue Jean-Paul Amoudry, qui, comme tous nos collègues savoyards, est retenu dans sa région par le sommet du G8.

Je voudrais considérer les questions qui nous sont posées au travers du prisme de la rupture dont j'ai parlé et des choix qui doivent être faits en prenant pour exemple la région Rhône-Alpes et, particulièrement, le département du Rhône.

Il est bien évident, que de ce point de vue, la liaison ferroviaire Lyon-Turin a un caractère à la fois novateur et essentiel. Vous avez souligné à juste titre, monsieur le ministre, que la réalisation de cette liaison reposait sur un traité international et qu'il était normal que la France honore sa signature. Je peux vous donner acte de cette déclaration. C'est un point essentiel. Toutefois, la liaison Lyon-Turin ne se fera pas du jour au lendemain. Certaines conditions doivent être remplies et nous connaissons le coût de l'infrastructure.

Il me semble qu'en l'occurrence plusieurs objectifs doivent nous guider.

Sur l'infrastructure actuelle, la SNCF peut faire mieux en matière de transport de fret. L'objectif premier est en effet d'alléger le trafic routier dans les vallées et dans la région lyonnaise. Depuis qu'un certain nombre de tunnels ont été fermés pour des raisons de sécurité, la circulation des camions s'est beaucoup accrue, notamment sur les autoroutes de contournement de l'agglomération lyonnaise. La SNCF doit prouver que le fret peut être transporté autrement que par camion dans ce secteur.

Il faut, me semble-t-il, accélérer la réalisation de la liaison rapide entre Chambéry et Saint-Exupéry, pour rapprocher Lyon de Chambéry, certes, mais aussi pour donner tout son sens à l'aéroport Saint-Exupéry. Voilà un exemple clair et simple de la rupture qui peut être opérée par rapport aux choix qui n'ont pas été faits dans le passé.

J'évoquerai brièvement les liaisons autoroutières.

A l'ouest de Lyon, il n'y avait rien puisque la A 47 n'est pas forcément considérée comme une autoroute. Et tout d'un coup, il y en aurait trois ! En réalité, prétendre vouloir saucissonner le territoire tous les vingt kilomètres par une autoroute, c'est faire en sorte qu'il n'y en ait aucune en rassemblant tous les adversaires de ces équipements.

Habituellement, on construit généralement les autoroutes dans les vallées. Or le dernier Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire aurait décidé de construire une autoroute sur un plateau : il faudra y monter et en descendre. Rien n'est prévu de ce point de vue.

Il est pourtant urgent de relier correctement le bassin stéphanois et l'agglomération lyonnaise. Cela pourra être fait bien avant 2015 en améliorant les voieries autoroutières existantes.

A Givors, il faut refaire les ponts nécessaires pour franchir le Rhône ; il faut améliorer les voies à l'est de Lyon et celles qui mènent à l'aéroport Saint-Exupéry, améliorer la sécurité dans la vallée du Giers.

L'ensemble de ces travaux montreraient de façon tangible que la liaison entre Lyon et Saint-Etienne est considérée comme essentielle. Ils correspondent en tout cas au souhait qu'a exprimé la communauté de Saint-Etienne Métropole il y a quelques jours, même si d'autres équipements devront par la suite être mis à l'étude et réalisés.

S'agissant du financement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de formuler quelques brèves observations.

Il est bien certain qu'il faut trouver des ressources nouvelles, mais celles-ci ne doivent pas être trouvées auprès des collectivités territoriales, dans les sommes versées au titre de la décentrralisation.

Demander aux collectivités territoriales de financer ces grands équipements autoroutiers alors même que nous ignorons quelles seront les conditions de la décentralisation et des transferts dans le domaine des routes nationales secondaires serait en effet particulièrement difficile.

Nous sommes d'accord sur le fait qu'une ressource nouvelle tirée du transport, que ce soit la taxe intérieure sur les produits rétroliers, la TIPP, ou une autre taxe sur le transport, doit assurer ce financement : le coût du transport ne peut pas être toujours la variable d'ajustement des prix !

Il est bien normal de demander à la grande distribution, qui, avec ses modes d'approvisionnement des magasins et ses centres de logistique, induit un nombre extrêmement important de camions, de participer au paiement des infrastructures de transport.

On peut aussi demander aux usagers de payer. Cela a été fait, même en milieu urbain, dans notre région. Ce n'est jamais facile, mais c'est une question de courage politique : si l'on veut des infrastructures, il faut bien les payer !

Bref, monsieur le ministre, ce dont j'ai voulu vous faire part ce soir s'articule autour d'un seul thème : puisque nous ne pouvons pas tout faire, il nous faut opérer des choix tant sur les financements que sur les équipements qui seront retenus. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Je vous remercie, messieurs les ministres, d'avoir engagé ce débat, qui vient à son heure.

Lorsqu'on analyse, en effet, les atouts de la France dans le monde ouvert d'aujourd'hui, on cite bien sûr « la France où il fait bon vivre », la « qualité de nos formations » et l'« excellence de nos compétences », mais aussi, très vite, le fait que la France est extraordinairement bien située en Europe et qu'elle dispose d'un remarquable réseau de communications et de télécommunications lui permettant de valoriser son excellente situation.

Cet avantage, cependant, est éminemment fragile. Même si les temps sont difficiles - précisément parce que les temps sont difficiles - , notre effort d'investissement doit être poursuivi sans relâche.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nos principaux échanges se font avec nos partenaires de l'Union européenne. C'est donc bien à cette échelle et avec un souci constant d'harmonisation au niveau de notre continent que nous devons raisonner.

Sur la base de ces deux observations, liées d'une part à la compétitivité de la France dans l'Europe et de l'Europe dans le monde, d'autre part à la situation de la France dans l'Europe, je suggère d'adopter une démarche résolument européenne.

Le rapporteur spécial du budget européen de la commission des finances que je suis croit beaucoup, mes chers collègues, en l'idée des réseaux transeuropéens. J'ai été amené à vous le dire en présentant les budgets européens, année après année, mais j'insiste de nouveau sur ce point. Ces réseaux transeuropéens sont, en effet, à la fois créateurs d'emplois et constructeurs d'une Europe dont ils rapprochent les citoyens et dans laquelle ils favorisent les échanges.

Malheureusement, la ligne budgétaire spécifique excessivement banalisée apparaît toujours seulement comme un « guichet » parmi d'autres, ouvert pour saupoudrer des soutiens financiers à des projets présentés par les Etats.

De plus, les crédits de cette ligne budgétaire ne sont ni engagés ni consommés au rythme où ils devraient l'être. Cette bonne idée des réseaux transeuropéens n'a donc pas vraiment connu jusqu'ici le succès qu'elle méritait.

La Commission européenne s'en est rendu compte : elle vient de lancer un nouvel appel à projet, calé, cette fois, sur des critères plus stricts. Je crains cependant que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets ; à moins, monsieur le ministre, que nous ne parvenions à introduire une rupture radicale - une de ces ruptures qu'évoquait M. Mercier à l'instant - dans nos raisonnements, par exemple en cherchant à privilégier les opérations auxquelles l'Europe donnerait vraiment un sens et qui, de ce fait, donneraient une bonne image de l'Union européenne à l'ensemble de ses citoyens.

C'est dans cet esprit, vous le savez, monsieur le ministre, que nous nous sommes rapprochés de nos amis autrichiens. Les responsables des groupes d'amitié parlementaires respectifs, France-Autriche et Autriche-France, ont attiré l'attention du président de la Commission européenne, non pas selon des démarches nationales concurrentes visant à défendre, qui le Lyon-Turin, qui le Brenner, mais en posant conjointement l'ensemble du problème du transit à travers les Alpes. Il n'est plus question de soumettre à Bruxelles des projets nationaux concurrents, mais de relever un défi européen.

Cette démarche a été engagée dans un réel souci de complémentarité et de cohérence avec les initiatives très intéressantes à tous égards déjà lancées par nos voisins suisses. L'Italien Romano Prodi n'est évidemment pas insensible à ce type de démarche parlementaire franco-autrichienne puisque l'Italie est nécessairement impliquée.

Il s'agit là d'un sujet qui contribue à la construction de l'Europe puisqu'il rapproche son Nord et son Sud. Cela ne doit pas être oublié en un temps où l'élargissement conduit plutôt - et c'est très légitime - à mettre l'accent sur les relations Est-Ouest.

Le thème des percées alpines concerne au premier chef la France et l'Autriche, mais intéresse aussi de très près l'Italie, ainsi que je l'ai souligné, l'Allemagne, la Slovénie et, moins directement, le Benelux, les pays scandinaves, la Grèce. Le tunnel du Mont-Blanc se situe en fait sur une route Helsinki-Patras. Ce n'est pas une raison suffisante pour faire monter les poids lourds à 1 200 mètres d'altitude ! La Confédération helvétique est d'ailleurs en train de démontrer qu'il est possible de traverser le massif alpin pratiquement sans dépasser 500 mètres d'altitude.

L'Europe ne doit-elle pas, en effet, se consacrer en toute priorité à la protection du massif alpin, coeur de notre continent, dont nous connaissons à la fois les fragilités et tout le prix.

En faisant traiter par l'Europe, au titre des réseaux transeuropéens, un premier grand sujet emblématique, celui des percées alpines, nous saisirions une double opportunité.

S'agissant d'abord des infrastructures de transport, nous pourrions montrer que, comme chacun de ses Etats membres, l'Union européenne doit, à son échelle, se préoccuper de se doter d'infrastructures de transport qui servent sa compétitivité globale dans le monde, donc la compétitivité de chacun de ses membres. Serait-il absurde que certains ouvrages soient considérés comme étant de classe européenne et financés comme tels ? Cela, bien sûr, n'exclurait nullement les financements nationaux ou régionaux. Simplement, l'ordre des facteurs serait inversé : au lieu de venir en appoint, l'Union aurait un rôle pilote sur ces ouvrages réellement structurant pour l'Europe. Nous donnerions ainsi une nouvelle dimension à la politique européenne des transports.

Certes, il faut continuer à harmoniser les manières de faire des Etats, mais on doit faire plus et mieux en cherchant les voies et moyens d'un élan commun nouveau profitable à tous.

La seconde opportunité qu'offre la démarche proposée est au moins aussi intéressante. Elle concerne la nécessaire relance de la construction européenne, et j'interviens donc là de manière encore plus politique.

La relance de la construction européenne semble complètement en panne depuis la guerre en Irak. Nos futures institutions se cherchent et les Européens se sentent toujours bien peu concernés par une Union qui, bien ou mal, continue de se construire trop largement sans eux.

Reprenons notre idée : avec ses partenaires les plus directement concernés, la France pourrait proposer un grand projet européen identifiable, concret, qui montrerait que l'Europe, c'est utile, et que sa construction progresse. Si l'Europe élargie doit disposer de bonnes institutions, si l'Union doit acquérir toute sa dimension politique, elle doit aussi apparaître lisible et concrètement utile.

L'initiative proposée conjuguerait assez heureusement compétitivité économique et protection de la nature. Elle soulignerait symboliquement l'importance des réseaux de transport dans une Union qui entend d'abord rapprocher les hommes. Elle montrerait très simplement que, dépassant leurs points de vue respectifs et leurs concurrences, nos nations peuvent réellement s'unir autour d'objectifs communs et porteurs d'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur quelques travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà quelques années, en tant que rapporteur de la commission des affaires économiques, j'avais indiqué, concernant la réalisation de la ligne ferroviaire à grande vitesse sur la façade méditerranéenne, qu'on ne pouvait saisir dans toute sa dimension l'accord de Madrid si l'on n'avait pas présent à l'esprit que la section internationale de Figueras à Perpignan n'était que le premier élément d'une ligne nouvelle à grande vitese reliant Barcelone à Nîmes, et que c'était donc dans le cadre du projet global Perpignan-Nîmes qu'il fallait analyser l'ensemble des implications, selon une logique non seulement française mais aussi européenne.

Je réaffirme aujourd'hui que ce projet associant grande vitesse et fret constitue la meilleure des réponses à apporter à la croissance soutenue des échanges entre la France, l'Espagne, le reste de l'Europe et l'Afrique du Nord. C'est la garantie d'un véritable rééquilibrage intermodal rail-route et d'une réelle prise en compte de la préservation de l'environnement et du développement durable.

Monsieur le ministre, le trafic fret global transpyrénéen explose : 50 millions de tonnes en 1995 et, vraisemblablement, 153 millions en 2015. Or le Languedoc-Roussillon réalise les deux tiers du trafic franco-espagnol. Si rien n'est fait, les échanges vont se reporter sur la route, alors que celle-ci est déjà presque à saturation avec 59 000 véhicules par jour, dont 14 000 poids lourds, sur l'autoroute A 9.

Nous sommes près de l'asphyxie. Qu'en sera-t-il demain avec le doublement des échanges ?

Aujourd'hui, à la frontière espagnole, la part du rail est très faible : 4 % des 33 millions de voyageurs, dans les deux sens, et 4,5 % seulement des quelque 50 millions de tonnes transportées chaque année.

Si l'on veut assurer le rééquilibrage rail-route et décongestionner les réseaux routier et autoroutier sur cet axe, il faut en passer par le projet de ligne nouvelle à grande vitesse Perpignan-Nîmes, qui offrirait l'opportunité de créer une véritable autoroute ferroviaire entre l'Espagne, la France, l'Europe du Nord et l'Italie.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Roland Courteau. Après bien des vicissitudes, le « coup » est parti pour l'étape clef, c'est-à-dire la liaison internationale Figueras-Perpignan, par le franchissement pyrénéen.

Reste à faire sauter ce qui constituera deux goulets d'étranglement dès la mise en service du Barcelone-Perpignan : je veux parler des points durs de saturation entre Nîmes et Montpellier, d'une part, et entre Montpellier, Narbonne et Perpignan, d'autre part.

A défaut, les effets positifs de la levée du verrou pyrénéen pourraient se faire beaucoup moins sentir, car les contraintes de saturation brideront assurément la demande.

Au contraire, une nouvelle ligne à grande vitesse de Perpignan à Nîmes aurait un effet catalyseur.

Ainsi, le contournement de Nîmes et de Montpellier permettrait, lors de sa mise en service, un accroissement de 50 % du nombre de circulations ferroviaires sur l'arc languedocien et une augmentation du trafic fer de 4,5 millions de tonnes et, dans le cadre du projet global, de plus de 10 millions de tonnes, soit 3 000 poids lourds de moins par jour sur l'autoroute A 9.

Quant au « chaînon manquant » Montpellier-Perpignan, qui sera à saturation dès 2010, comme je le précisais dans mon rapport de 1997, sa réalisation aurait un impact certain puisque l'on estime que le nombre de voyageurs empruntant le train pourrait quasiment tripler, avec 3 millions de voyageurs, tandis que le tonnage serait porté à 12 millions de tonnes, contre 2,2 millions aujourd'hui.

Or, si le contournement de Nîmes-Montpellier est jugé prioritaire par l'audit - c'était le moins que l'on puisse en attendre - en revanche, le tronçon Montpellier-Perpignan, avec raccordement à Narbonne, sur la transversale vers Toulouse et Bordeaux, est totalement oublié. Cherchez l'erreur !

M. Jean-Pierre Plancade. En effet !

M. Roland Courteau. On ouvre une porte, et on en ferme une autre. C'est à n'y rien comprendre !

Au nom de quelle logique peut-on maintenir pendant un quart de siècle ce que l'on nomme déjà le « maillon faible » des deux plus grands axes européens de lignes nouvelles à grande vitesse : l'axe Londres-Séville par Montpellier et Perpignan, et l'axe Allemagne-Espagne, grâce, demain à la réalisation de Rhin-Rhône ? Bref, à ce stade, et dans un contexte de croissance exponentielle des échanges, de très forte augmentation du trafic routier et autoroutier et de saturation du ferroviaire entre Montpellier et Perpignan, persister dans l'erreur serait particulièrement grave et révélateur d'une politique à courte vue, bien loin d'être à la hauteur des enjeux.

Monsieur le ministre, il y a les grands projets d'infrastructures en matière d'aménagement du territoire national, et puis il y a les très grands projets transfrontaliers, qui participent, eux, à la construction européene et au développement durable - à l'instar de celui que j'évoque -, et sur lesquels l'Union européenne devrait, par le biais d'un grand emprunt, concentrer ses fonds en les triplant.

De plus, ce projet global de ligne nouvelle Perpignan-Nîmes sur l'axe Paris-Madrid paraît clairement lié au concept d'« arc méditerranéen », qui regroupe les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, PACA et Catalogne.

On peut même évoquer, comme n'ont pas manqué de le faire économistes ou aménageurs, un « arc latin » allant de l'Andalousie au Latium : « L'arc n'est pas seulement un espace de rattrapage, c'est un espace nouveau de caractère pionnier,... un espace d'avenir fragile et dur, prometteur et difficile, qui vend de la high tech et de la matière grise... et pas seulement son soleil et ses bras... »

Bref, une deuxième Europe est en voie d'apparition : l'Europe méditerranéenne.

La France est le seul Etat du « nord » à pouvoir afficher une politique méditerranéenne, et il est impératif d'orienter l'Europe dans cette direction.

Il faut donc construire sur les rives de la Méditerranée un grand espace économique, facteur de rééquilibrage du territoire français et susceptible de s'intégrer à un marché européen et mondial large et ouvert.

Un projet global de ligne nouvelle à grande vitesse prolongeant la ligne TGV Méditerranée de Nîmes au Perthus peut nous y aider. Il créerait, de surcroît, une synergie entre l'arc méditerranéen et la transversale Atlantique-Méditerranée, tout en constituant un outil majeur pour le Languedoc-Roussillon.

C'est là votre responsabilité, monsieur le ministre. Pour nous, l'enjeu est vital pour l'avenir. Or demain commence aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Jacques Blanc applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la saturation des infrastructures routières de la vallée du Rhône a atteint un niveau tellement critique qu'elle handicapera l'avenir économique de cette région si des solutions alternatives ne sont pas engagées dès aujourd'hui. Le projet Lyon-Turin est, en ce sens, vital.

Avant d'y revenir, je voudrais obtenir des précisions sur le projet concernant l'A 51, que le Gouvernement semble remettre en débat et qui suscite, parmi les populations riveraines, de vives oppositions. J'aurais besoin d'éclaircissements dans la mesure où les décisions se prennent en catimini et revêtent un caractère très confidentiel.

Les études et travaux engagés par le comité de concertation réunissant, autour des services de l'Etat, des élus locaux, des associations de défense de l'environnement et des riverains, des représentants du monde économique, comité dont la mission a d'ailleurs été suspendue par vos soins, montrent le caractère irréaliste d'un projet autoroutier compte tenu du surcoût qu'il représente par rapport au trafic journalier de cet axe et aux solutions alternatives.

Ainsi, la liaison Sisteron-Grenoble via Lus-la-Croix-Haute, par des aménagements de type « parcours mixte » de l'actuel RN 75, est techniquement et économiquement plus viable.

Enfin, la ligne ferroviaire Grenoble-Veynes, qui pourrait inclure le fret, serait susceptible de doubler, en parfaite complémentarité, une partie de ce tracé.

J'attends donc des précisions à ce sujet, car, en l'occurrence, le Gouvernement ne semble pas chercher à faire des économies !

Pour ce qui est du projet Lyon-Turin, votre rapport d'audit sur les grandes infrastructures a eu au moins un mérite : faire l'union sacrée des Rhône-Alpins autour de ce projet.

Il révèle également la méthode du Premier ministre : utiliser le rapport d'un petit groupe d'experts pour remettre en cause un projet qui a fait l'objet de nombreuses études, de multiples délibérations et concertations, notamment auprès des élus !

C'est votre prédécesseur, monsieur le ministre, qui a entrepris le rééquilibrage en faveur du fret ferroviaire,...

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Dans les discours !

Mme Annie David. ... ce que remet en cause l'audit, et c'est encore Jean-Claude Gayssot qui a dynamisé le projet Lyon-Turin, que vient également freiner le même audit.

Par ailleurs, personne ne nie l'impérieuse nécessité du Lyon-Turin, auquel est rattachée, je vous le rappelle, l'électrification du sillon alpin entre Montmélian et Valence.

Alors, où est le problème ? Il serait dans le financement du projet. Son coût global de 8 milliards d'euros, pour la partie française, est jugé excessif. Par comparaison, le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle aura dépassé les 6 milliards d'euros.

Que peut signifier « excessif » pour un projet de cette ampleur, qui constitue l'un des quatorze projets à dimension européenne arrêtés au Conseil européen d'Essen en 1994 ?

Comme l'a déjà dit ma collègue Odette Terrade, il est indispensable de rééquilibrer l'axe Rhin-Danube pour développer les échanges entre l'Europe latine et l'Europe de l'Est. La liaison Lyon-Turin-Ljubljana en est le pivot.

Le financement doit donc intégrer une participation de l'Union européenne à hauteur d'au moins 20 %. Lors de la réunion de travail du 10 octobre dernier, au Parlement européen, j'ai pu constater, avec mon collègue Guy Fisher, la forte mobilisation des parlementaires en faveur de ce projet.

En complément, un emprunt pourrait être contracté auprès de la Banque européenne d'investissement à taux d'intérêt très faible - M. Laffitte l'a déjà proposé -, voire nul, avec un retour d'investissement à très long terme dans la mesure où la Transalpine va couvrir plusieurs décennies, sinon un siècle.

Enfin, il faut une participation importante de l'Etat, à hauteur des retombées socio-économiques du projet, conforme aux engagements pris lors de l'accord bilatéral de Turin, le 29 janvier 2001, ainsi qu'au sommet de Périgueux du 27 novembre 2001, qui avait fixé un objectif de mise en service du Lyon-Turin en 2012.

A partir de ces engagements, un protocole d'accord a été signé à Lyon, le 19 mars 2002, entre l'Etat et les collectivités territoriales concernées, pour le financement de la ligne à grande vitesse Lyon-Sillon alpin et le tunnel sous Chartreuse. En effet, la complémentarité du transport de voyageurs à grande vitesse et du fret fait la force du Lyon-Turin, et c'est ce que remettrait en cause le Gouvernement en reniant ces engagements.

Le choix qui sera fait s'agissant du Lyon-Turin sera emblématique non seulement de la politique des infrastructures des transports, mais aussi, compte tenu de son importance, d'un choix de société.

L'attentisme, la fragmentation du projet pour satisfaire aux exigences de rentabilité immédiate et les intérêts privés, c'est le maintien du « tout routier », l'asphyxie de toute une région, la saturation à court terme de tous les moyens de transport, la fragilisation de l'environnement, les nuisances aggravées pour les agglomérations.

Le volontarisme en faveur du rail, le développement d'un véritable service public de transports, c'est l'assurance d'un rapide rééquilibrage rail-route, le respect de l'environnement, le support d'un développement économique à long terme, un aménagement du territoire répondant aux aspirations des collectivités territoriales et de leurs populations.

C'est, bien entendu, dans cette dernière perspective que je me situe, avec mon collègue Guy Fischer et les sénatrices et sénateurs de mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin.

M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, beaucoup l'ont déjà dit, ce débat vient à son heure. Nous l'attendions depuis longtemps, car l'insatisfaction est grande dans le secteur des transports : tous les discours que nous avons entendus et que nous entendrons sont allés et iront dans ce sens. Je l'ai moi-même constaté en tant que rapporteur spécial du budget des transports terrestres ou comme animateur de plusieurs associations qui se préoccupent des transports.

Partant des analyses effectuées tant par l'association TDIE - transports-développement-intermodalité-environnement - que par la commission des finances, quels constats pouvons-nous dresser et quelles propositions pourrons-nous formuler ? J'évoquerai d'abord cinq constats qui me paraissent incontestables.

Premier constat : les besoins en matière de transport augmentent régulièrement et à un rythme soutenu. Monsieur le ministre, vous l'avez dit et redit : rien n'indique un ralentissement notable dans les trente prochaines années.

Notre société est de plus en plus mobile et aspire à l'être encore davantage. C'est vrai pour les ménages. Il en est de même pour les entreprises, qui ont mis en place des systèmes productifs caractérisés par la rapidité des échanges.

Mondialisation, délocalisation et développement des régions périphériques ne font qu'accroître la demande de transport.

Deuxième constat : la pression de la demande en matière de transport va peser encore davantage sur la France pour une double raison : européenne et régionale.

Notre Europe continue de se construire et de se développer : nous avons commencé à six, nous sommes aujourd'hui quinze et, demain, nous serons vingt-cinq.

Ce vaste espace économique va accroître ses échanges et, donc, les besoins de transport.

La France est une des plaques tournantes des transports en Europe. Dix axes à vocation trans-européenne doivent être, en priorité, aménagés sur notre territoire, dans le sud, le nord, l'est. J'ai présenté, le 3 mai 2001, un rapport en ce sens à la délégation, pour l'Union européenne : Politique des transports : l'Europe en retard.

Le deuxième facteur, c'est l'accentuation de la décentralisation et l'affirmation plus soutenue des besoins régionaux.

Il était normal que, dans un premier temps, les régions les plus riches, ayant donc les trafics les plus importants, soient les mieux équipées.

Il convient, maintenant, de soutenir et de financer, d'une part, les régions les moins favorisées et, d'autre part, les liaisons transversales.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Jacques Oudin. C'est dans ces directions que la solidarité nationale doit s'exercer.

Le troisième constat, c'est que la croissance économique et le développement des transports sont étroitement liés. On ne peut pas vouloir l'un et refuser l'autre. Dans l'immédiat, penser pouvoir découpler la croissance économique de celle des transports est une utopie irréaliste.

A cela s'ajoute l'impact très positif de l'investissement des infrastructures de transport sur la croissance elle-même.

Tous les travaux récents le démontrent, la croissance du PIB est la plus forte là où les investissements en infrastructures de transport ont été les plus importants.

Le quatrième constat est celui de la baisse notable, en France, des investissements dans le domaine des infrastructures de transport, tous modes confondus. A cet égard, monsieur le ministre, vous avez cité des chiffres : je ne les conteste pas. Je rappelle simplement que nous avions eu quelques débats houleux avec votre prédécesseur sur ce sujet.

La décennie 1990-2000 a connu une décroissance dont nous supporterons longtemps les conséquences. Mes deux rapports sur ce sujet devant la commission des finances le démontrent amplement.

Surendetté par une politique financière déraisonnable, le système ferroviaire ne dispose plus des moyens suffisants pour assurer son développement.

Le système autoroutier, qui a connu une croissance soutenue liée à la réforme du gouvernement Balladur, a vu après 1997 son financement démantelé par la suppression de l'adossement et l'incapacité de l'Etat à financer les subventions pour les nouvelles liaisons. Dans ces conditions, un appel massif a été effectué auprès des collectivités territoriales, mais j'y reviendrai.

Quant à la suppression en 2001 du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN, elle a porté un coup très dur à la politique de financement et de péréquation des transports.

Il faut savoir - et vous l'avez dit en filigrane, monsieur le ministre - qu'une politique des transports passe d'abord par une politique financière.

Cinquième constat, dans ce domaine comme dans d'autres, la France est en retard d'une évolution par rapport à ses voisins.

Tous les grands pays développés, notamment les pays européens, ont engagé des réflexions approfondies sur leur politique des transports, ont affirmé leurs ambitions en ce qui concerne le développement de leurs réseaux, mis en place des organismes spécialisés et dégagé les moyens financiers correspondants.

Partant de ces constats, quelles sont les orientations qu'il convient de dégager pour l'avenir de notre pays et de notre politique des transports ?

Les orientations que nous serons amenés à déterminer doivent être guidées par trois grands principes : la clarté - savoir où l'on va - la simplicité - comment on va y aller - l'efficacité - avec la rapidité des décisions et des réalisations.

Sur ces bases, je suis conduit à proposer sept orientations majeures.

Premièrement, nous devons disposer de comptes clairs et exhaustifs dans le domaine des transports. C'est la mission de la commission nationale des comptes des transports.

Sur ma proposition, le Parlement a voté l'article 12 de la loi de finances rectificative du 6 août 2002 qui fixe les nouveaux objectifs et le contenu de ces comptes.

Certes, il existait déjà des comptes des transports. Mais nous souhaitons qu'ils soient améliorés et approfondis pour mieux connaître les ressources que dégage l'activité des transports et quels moyens peuvent être affectés à leur développement. Une réunion de la commission nationale des comptes aura lieu le 24 juin prochain. J'espère qu'elle pourra aboutir à des résultats positifs.

Je ne souhaite pas que nous votions de nouvelles taxes concernant les transports avant que la représentation nationale ait été clairement informée de l'utilisation des ressources des taxes anciennes. Nous pourrons peut-être demander davantage aux usagers, pour peu qu'ils aient l'assurance que leur contribution est bien utilisée pour l'amélioration du système des transports.

Enfin, je souligne, comme l'a indiqué le président de la commission des finances, que la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 nous impose cet effort de clarté pour tout le budget de l'Etat ; mais il me paraît opportun de le faire en priorité pour le prochain budget des transports.

Je souhaite que nous puissions disposer rapidement des programmes correspondants, avec leurs indicateurs d'efficacité et de rentabilité. Pour l'instant, votre ministère n'est pas prioritaire pour cet exercice prévu par la loi organique relative aux lois de finances.

Monsieur le ministre, il serait souhaitable que les nouveaux comptes des transports soient transmis au Parlement pour le mois de septembre 2003, avant le débat budgétaire.

La deuxième orientation est l'élaboration, la présentation et la discussion devant le Parlement d'une loi de programmation des transports.

La politique des transports est une politique de long terme qui doit nécessairement être intermodale. Notre horizon doit, au minimum, être à trente ans. C'est d'ailleurs en 2030 que devraient s'achever la plupart des concessions autoroutières. C'est pourquoi je trouve regrettable que tous les rapports administratifs sur ce sujet ne dépassent pas l'horizon 2020. C'est beaucoup trop court pour une politique des transports à long terme !

Cette loi de programmation doit intégrer les nouveaux contextes dans lesquels se développe la politique des transports : l'Europe et les implications de plus en plus fortes des régions.

Ce n'est pas parce que nous connaissons une crise momentanée de nos finances publiques que cela doit nous interdire d'afficher clairement nos ambitions à long terme.

La troisième orientation est de refonder notre politique financière des transports autour d'un fonds national de financement et de péréquation et d'un nouvel équilibre entre l'usager et le contribuable.

Je pense que cette proposition est maintenant largement admise au sein de la Haute Assemblée. Ce fonds doit être largement alimenté par le produit de toutes les redevances, taxes et impôts spécifiques - je dis bien « spécifiques » - qui pèsent sur les transports, hors TIPP, et être assuré d'une pérennité incontestable.

Le sort funeste qu'ont connu le Fonds spécial d'investissement routier, le Fonds spécial des grands travaux ou le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables nous rend particulièrement méfiants, en dépit des engagements formels du Gouvernement.

Dans ces conditions, je suggère la création d'un établissement public cogéré par l'Etat et par les régions.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Jacques Oudin. L'amenuisement de la part des investissements dans le budget de l'Etat a réduit considérablement ses capacités de péréquation. Le nouveau fonds que je préconise doit permettre d'engager une nouvelle impulsion pour une triple péréquation : une péréquation spatiale avec des régions mieux pourvues vers les régions les plus déshéritées ; une péréquation modale, car nous savons bien que le mode dominant, la route, doit aider davantage les autres modes, à condition toutefois qu'ils améliorent leurs modes de gestion, leur efficacité et leur rentabilité ; enfin, une péréquation temporelle, compte tenu du coût et de la durée de vie des infrastructures de transports qui ne peuvent être finalement rentables qu'à très long terme.

L'existence d'un tel fonds et l'assurance du maintien dans le secteur des transports des ressources spécifiques qui en seront issues nous permettraient de mettre en oeuvre une politique plus claire concernant les participations financières des usagers et des contribuables.

Quatrième orientation, il faudra clarifier rapidement, dans le nouveau cadre constitutionnel de la décentralisation, notamment des nouvelles dispositions de l'article 72-1 de la Constitution, les modalités de participation des collectivités territoriales au financement de certaines infrastructures autoroutières.

A ce jour, les sociétés d'autoroutes ont le monopole de la perception des péages. Depuis 1955, date de la mise en oeuvre du système de péage autoroutier, les organismes qui les perçoivent ont, en contrepartie, une obligation : celle de développer et d'aménager le réseau autoroutier. Dans un premier temps, la durée limitée des concessions ne permettait pas de dégager des bénéfices très importants. En revanche, l'allongement substantiel de la durée de concession décidé par le précédent gouvernement en 2001 a permis de dégager une rente autoroutière considérable.

Dans ces conditions, l'obligation nouvelle imposée aux collectivités territoriales de financer lourdement de nouvelles liaisons ainsi que certains aménagement tels que les échangeurs, qui sont tout à fait indispensables à l'irrigation et au développement économique de nos régions, est tout à fait inacceptable. Il s'agit d'un transfert de charges inéquitable de l'usager sur le contribuable local, de la société qui perçoit toutes les recettes sur les collectivités qui ne reçoivent aucune contrepartie financière.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Jacques Oudin. Ce système doit, à l'évidence, être clarifié par la loi.

La cinquième orientation concerne le bon usage de la « rente autoroutière ».

Elle doit être au coeur du nouveau dispositif financier de la politique des transports. Pour bien l'évaluer, il convient de ne pas fixer le terme des évaluations à 2020, comme l'ont fait les rapports administratifs, mais à 2030, c'est-à-dire à la date moyenne de la fin des concessions autoroutières.

Cette rente résulte de tout ce qui est payé par l'usager. A l'horizon 2030, c'est au bas mot une somme de près de 45 milliards d'euros qui peut être affectée au développement de la politique des transports.

La privatisation de 49 % du capital de la société Autoroute du sud de la France, ASF, a certes rapporté 1,8 milliard d'euros. Mais si ASF n'avait pas été privatisé, les dividendes cumulés se seraient élevés à 1,9 milliard d'euros en 2020, et entre 4 milliards et 6 milliards d'euros à l'horizon 2030. Le gain immédiat est largement compensé par la perte à venir !

A ce même terme, les privatisations éventuelles de la moitié du capital de la SANEF et de la SAPR priveraient l'Etat, au titre des dividendes, de recettes de l'ordre de 4,1 milliards à 6,4 milliards d'euros.

Face à ces pertes, la contrepartie n'est pas évidente et aucun argument ne nous a été présenté pour justifier, chiffres à l'appui, la pertinence de la poursuite de la privatisation du secteur autoroutier et l'apport supérieur de capitaux en faveur de ce secteur qu'une telle privatisation engendrerait.

Les difficultés budgétaires actuelles de l'Etat ne sauraient justifier à elles seules le démantèlement de notre système de financement autoroutier. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

La sixième orientation concerne la réforme ferroviaire, qui est une nécessité absolue si l'on souhaite satisfaire la demande très forte pour les lignes à grande vitesse, mais aussi le développement de certains axes privilégiés pour le fret ferroviaire.

La première urgence est de permettre la reprise de l'investissement de RFF, et cela passe nécessairement par le traitement de son endettement.

La seconde priorité est de poursuivre la réorganisation et la réforme de la SNCF pour limiter ses pertes et augmenter sa productivité, qui s'est considérablement dégradée au cours des dernières années : elle a été divisée par deux.

Le nouveau contexte régional et les impératifs d'une certaine concurrence découlant de nos engagements européens - notamment la liaison Lyon - Turin - doivent nous inciter à accélérer le rythme des réformes.

Enfin, la dernière orientation concerne la compatibilité entre les infrastructures de transport et l'environnement.

Au moment où les réflexions se poursuivent pour doter la France d'une charte de l'environnement adossée à notre Constitution, il est de notre devoir de veiller à ce que les infrastructures de transport respectent au mieux l'ensemble du cadre législatif dont nous nous sommes dotés : loi sur le paysage, sur le bruit, sur l'eau, sur les consultations des populations et sur le débat public.

Voilà, monsieur le ministre, la lourde tâche qui nous attend, qui vous attend, et pour la réalisation de laquelle vous pouvez compter, je le crois, sur le soutien du Sénat, et en tout cas sur celui du groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le ministre, je vous remercie de nous donner l'occasion de débattre au Sénat du devenir des infrastructures de transport, qui occupent une part essentielle parmi les activités économiques et constituent un élément structurant pour le développement d'une région.

Elu de Lorraine, et plus particulièrement du département de la Meuse, j'évoquerai principalement le devenir du doublement de l'axe nord-sud qui traverse notre région, à savoir l'autoroute A 31, qui relie Luxembourg à Nancy.

La mission d'audit sur les grands projets d'infrastructures de transport ainsi que l'étude prospective réalisée par la DATAR estiment que le seuil de saturation, voire de congestion, est d'ores et déjà dépassé sur cet axe qui accueille plus de 70 000 véhicules par jour, dont plus de 20 000 véhicules étrangers. Parmi ceux-ci, un nombre impressionnant de poids lourds et d'autocars de tourisme scandinaves, allemands, hollandais et belges se dirigent soit vers l'Italie, soit vers l'Espagne. La dangerosité de cet axe l'a fait surnommer « l'autoroute de la mort » : vous comprendrez dès lors qu'il y a urgence à trouver une solution équilibrée à ce problème.

Sur le diagnostic, c'est-à-dire sur la nécessité de décongestionner le sillon mosellan, tout le monde est d'accord ! En revanche, dès que l'on aborde les solutions alternatives, on sent poindre des crispations départementales doublées de défense d'intérêts particuliers, alors que, dans cette affaire, seul l'intérêt général devrait prédominer pour réussir un aménagement harmonieux du territoire, de tout le territoire.

Bien que navré, je comprends que l'Etat, prenant appui sur le désaccord persistant entre les élus de cette région, n'ait fait aucun effort pour avancer sur ce dossier pourtant plus que prioritaire.

La problématique est pourtant simple : l'autoroute A 31 qui relie Luxembourg à Nancy est à la fois une autoroute interurbaine et un axe international, qui est, en outre, entièrement gratuit.

L'une des solutions alternatives imaginées pour le doublement de cet axe consisterait à créer une nouvelle autoroute située à l'est de l'actuelle A 31 et qui serait payante.

L'autre solution, que je me permets de défendre, consisterait à créer un nouvel axe à l'ouest du sillon mosellan, en doublant la nationale 18 entre la frontière belge depuis Longwy en passant par Longuyon, Spincourt et Etain, et en la transformant simplement en voie rapide jusqu'à l'autoroute A 4, ce qui limiterait considérablement la dépense et détournerait de l'autoroute A 31 une très grande partie du trafic de transit international.

Au-delà de l'autoroute A 4, deux possibilités pourraient être explorées, soit vers Bar-le-Duc, soit en direction de Toul.

Quels seraient les avantages de cette solution par rapport à la précédente ?

En tout premier lieu, le doublement d'une voie existante coûte toujours beaucoup moins cher que la construction d'une nouvelle voie autoroutière : l'économie peut être estimée au minimum à 35 %.

En deuxième lieu, cet itinéraire de dégagement utiliserait une ligne presque droite entre la frontière belge et le secteur de Toul, ce qui serait plus économique pour les utilisateurs et faciliterait l'action transfrontalière. Cela permettrait également de doter le nord de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle d'un axe structurant. Or, croyez-moi, monsieur le ministre, ces régions, qui n'en finissent pas de payer un lourd tribut au démantèlement des mines et de la sidérurgie, en ont bien besoin !

En troisième et dernier lieu, doubler une route gratuite d'une autoroute à péage dans le sillon mosellan me paraît totalement irréaliste : qui peut croire que les poids lourds, notamment, utiliseront l'autoroute à péage ? La douloureuse expérience de l'autoroute A 4 et de la nationale 4 Paris-Strasbourg devrait faire réfléchir les décideurs politiques.

Alors, me direz-vous, tout cela est séduisant, mais une autoroute concédée à péage ne coûtera rien au budget de l'Etat, alors qu'il devra supporter la mise à quatre voies d'une route nationale.

Je crois que, de ce point de vue, le Gouvernement devrait s'inspirer des propositions qui ont été faites par la DATAR et par la mission d'audit, qui préconisent notamment l'instauration d'une redevance d'utilisation domaniale pour les poids lourds sur les routes nationales à caractéristiques autoroutières. J'y ajouterai les axes autoroutiers gratuits, à l'instar du dispositif prévu sur les autoroutes allemandes.

Je suis heureux que vous partagiez ce point de vue, monsieur le ministre, et je souhaite que cette redevance serve obligatoirement et exclusivement au financement des nouvelles infrastructures.

Elle constituerait une mesure de justice : en effet, les infrastructures de transport routier sont dimensionnées pour des véhicules lourds. A cet égard, j'ai été stupéfait d'apprendre que le coût d'une autoroute dédiée exclusivement aux voitures coûterait environ six fois moins cher qu'une autoroute destinée à la fois aux poids lourds et aux voitures.

Mais que dire ensuite du coût d'entretien de ces autoroutes ? Une étude américaine laisse entendre qu'un camion de trois essieux d'une masse totale de trente tonnes dégrade la chaussée autant que 240 000 voitures d'une tonne ! Or les péages qui sont pratiqués ne reflètent nullement cet impact sur la dégradation des réseaux puisque le coefficient muliplicateur est, en règle générale, inférieur à trois. Cela laisse supposer que ce sont les véhicules légers qui payent les frais de construction et d'entretien des autoroutes, subventionnant ainsi indirectement le transport routier.

Monsieur le ministre, vous avez compris que mon plaidoyer en faveur de la mise à quatre voies des RN 18 et voie sacrée Longwy-Toul par Longuyon ou RD 904 vers Bar-le-Duc - solutions alternatives pour l'indispensable doublement de l'autoroute A 31 - constituerait une solution plus économique et plus crédible que la construction d'une autoroute à péage finançable par l'instauration d'une redevance sur les poids lourds. Cela contribuerait également à un aménagement équilibré du territoire lorrain.

J'ose espérer que le Gouvernement sera sensible aux arguments de bon sens que je tente de développer et qu'il leur réservera une suite favorable, en prenant en compte le fait que ma proposition permettra, en résumé, une desserte plus courte, plus structurante, plus économique, plus favorable à un aménagement équilibré du territoire, plus orientée vers l'avenir.

Concernant le TGV Est dont les travaux d'aménagement sont en cours, je voudrais préciser que je demeure attentif à la mise en place de la gare « Meuse », sans perdre de vue que l'étendue de notre territoire départemental impose que les liaisons Est-Ouest traditionnelles, Paris-Metz ou Nancy avec arrêt à Bar-le-Duc, ne perdent pas de leur efficacité, que la ligne Paris-Luxembourg par Reims retrouve la qualité dont l'action transfrontalière a besoin, et qu'il soit permis à Verdun d'être relié, grâce à la modernisation de la ligne Conflans-Verdun jusqu'à Saint-Hilaire dans la Marne. Tout cela permettrait un rapprochement qualitatif et une durée moindre du transport ferroviaire en facilitant l'« approche TGV ».

S'agissant du fret SNCF, il convient, là encore, de désengorger le sillon mosellan. Je suggère d'utiliser le passage meusien avec l'implantation de gares multimodales à Baroncourt ou Lérouville.

Tels sont, monsieur le ministre, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance et qui, je l'espère, seront pris en considération car ils peuvent contribuer à un meilleur équilibre du territoire, souhait que nous partageons tous, je n'en doute pas. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Percheron.

M. Daniel Percheron. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, si attentifs, si disponibles, si patients, voici donc un débat supplémentaire sur les infrastructures. Un beau débat sénatorial, un vrai débat parlementaire où sénateur d'opposition peut vraisemblablement se conjuger avec sénateur de proposition, un débat où le nombre et la qualité des interventions indiquent que nous exprimons, les uns et les autres, les attentes fortes de l'opinion publique en matière de transports et de développement soutenable ou durable.

D'ailleurs, nous aurons bientôt rendez-vous avec nos électeurs pour les élections régionales nouvelle maniére.

Ces élections mettront en mouvement des millions d'électeurs. Elle seront sûrement les premières élections depuis longtemps où la politique des transports - bilan, perspectives et infrastructures pèseront lourd dans le choix des électeurs.

Permettez-moi aussi de féliciter la majorité sénatoriale pour cette entrée en mêlée dans le xxie siècle des infrastructures : quatre ministres, M. le président du Sénat lui-même, M. Larcher ainsi que des responsables. Bref, un véritable pack qui a occupé le terrain et qui nous projette jusqu'en 2020 ! C'est une véritable promesse.

M. Jean-Louis Carrère. Ne poussez pas trop fort !

M. Daniel Percheron. Mais j'ai perdu un peu de temps avec cette introduction et mes collègues socialistes s'impatientent. Il me faut respecter mon temps de parole et je vais aller à l'essentiel, sans caricaturer, sans schématiser, en évoquant trois points.

Premier point : si l'on décidait, ce soir, dans ce vrai débat parlementaire, de réaliser ce qui est aisément réalisable, ce qui l'est vraiment et immédiatement : la liaison fluviale Seine-Nord ?

Nous avons tous parlé de l'Europe, et nous voyons bien - M. Louis Gallois le disait encore devant une commission aujourd'hui - que le centre de l'Europe, son centre de gravité va se déplacer. L'axe médian, l'axe majeur de l'Europe, colonne vertébrale qui s'impose à nous, aujourd'hui et pour de longues années encore, c'est l'axe rhénan, la voie d'eau et d'abord le fleuve.

Or il nous manque les 105 kilomètres qui permettraient à la France de participer à l'axe majeur de l'Europe, c'est axe rhénan, par la voie naturelle, la France étant alors partie prenante de l'Europe fluviale.

De la même manière - et je m'adresse au ministre de la Picardie - l'autoroute A 1, l'artère routière vitale du Nord, le corridor nord de la France, incarne aujourd'hui jusqu'à la caricature la croissance, à moyen terme insoutenable, du trafic routier. Le trafic de poids lourds est dantesque par temps de pluie et colonise deux files menaçantes. La situation sur l'A 1 nous indique que nous devons bien entendu réaliser l'axe Seine-Nord rapidement. Développement durable et efficacité économique obligent !

Comme Jacques Oudin, je vous demande de ne pas toucher à la rente routière. Ne privatisez pas la SANEF, car, si vous la vendez, si vous en donnez l'usage confortable aux intérêts privés, vous ne ferez pas Seine-Nord. On peut même imaginer que des partenariats nouveaux soient inventés et mis en oeuvre.

Même si la France n'a pas eu de politique portuaire depuis quarante ans, le dernier contrat de plan a redonné une nouvelle chance au Havre. Or, dans le Nord-Pas-de-Calais, nous n'entendons pas ne pas jouer tous les atouts de Dunkerque. Pour Dunkerque et pour le Havre, la liaison Seine-Nord s'impose aussi.

Voilà pourquoi, ce soir, nous pourrions décider, voire exiger, que Seine-Nord soit à l'ordre du jour. Ce serait et la première grande décision après l'audit dont l'impasse est raisonnable - 11 milliards d'euros à l'horizon de 2020 - et le rapport de la DATAR, qui est au rendez-vous, elle, du développement soutenable.

Deuxième point : si l'on décidait de désendetter RFF.

Combien de temps nous faudra-t-il, dans les collectivités locales, mais surtout dans les régions après la décentralisation des TER, dont chacun souligne l'efficacité et les promesses, encore dialoguer avec un totalement voûté par ses 220 milliards de francs de dettes, avec un partenaire qui dit non, avec un partenaire qui ne peut pas désaturer le réseau - or le rendez-vous avec le réseau, c'est 2006, 2007 ou 2008, sinon les trains ne passeront plus - avec un partenaire qui ne peut pas électrifier le réseau, moderniser les quais des gares...

Ce partenaire, nous ne devons surtout pas lui permettre - mais il en est là - d'augmenter les péages : 2 milliards d'euros, 13 milliards de francs, de péage pour la SNCF. Cela veut dire que, si nous ne désendettons pas RFF, il n'y aura pas de politique ferroviaire durable dans ce pays...

M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !

M. Daniel Percheron. ... et toutes les ambitions s'essouffleront dans les prochaines années.

Troisième point : si l'on décidait une fois pour toutes de l'avenir de la TIPP et si l'on donnait aux collectivités locales, enfin, une véritable part de la TIPP, si l'on affectait aux grandes collectivités locales une part de ce gâteau de 160 milliards de francs, si l'on décidait de leur affecter des ressources.

Les régions, les départements pourraient ainsi faire face à leurs ambitions après les marchés de dupes progressivement mis au point - n'est ce pas Bernard Frimat ? - des plans Etat-région.

Si les grandes collectivités locales percevaient une part significative de la TIPP, même une petite part modulable, le paysage des infrastructures en France serait bouleversé en dix ans ou quinze ans. Elles feraient en effet exactement ce que, dans le cadre d'une décentralisation, même ric et rac, même habile, même perverse, elles ont déjà fait.

Croyez-vous que l'objectif de 80 % d'enfants d'une tranche d'âge dans les lycées aurait été atteint sans la décentralisation et sans la responsabilité des régions en matière de lycées ?

M. Bruno Sido. On va continuer !

M. Daniel Percheron. Croyez-vous donc que, demain, nous pourrons développer, à partir de l'audit et du rapport de la DATAR, une véritable politique d'infrastructure si les régions, que vous allez solliciter et qui vont accepter d'être sollicités, que les départements, que vous allez solliciter et qui, au fond, vont accepter d'être sollicités, ne bénéficient pas du versement transport, ne disposent pas des ressources qui leur assurent la maîtrise de leurs ambitions ?

Monsieur le ministre de la République et de Picardie (Sourires et exclamations sur les travées de l'UMP) vous n'avez pas obtenu de la SNCF un détour du TGV par Amiens en 1986, la société avait des oeillères. C'était la SNCF de M. Rouvillois. Elle ne voulait pas non plus passer par Lille et il a fallu tout le poids de Pierre Mauroy, toute son autorité pour que Lille bénéficie du miracle du passage et du croisement des TGV au coeur du centre-ville, et pour que Lille, à partir de l'«effet TGV», connaisse un nouvel avenir. Toutes les grandes villes françaises méritent l'effet TGV.

Monsieur le ministre, vous avez dit non au troisième aéroport pour le Nord Pas-de-Calais, pour le Nord-Ouest du pays. Vous l'avez dit hâtivement et, du point de vue du Pas-de-Calais, même si nous avons été silencieux, même si nous avons respecté la sensibilité de la Picardie, nous avons eu à un moment donné le sentiment - et nous l'avons encore - que cette décision avait été prise à la légère.

Mais aujourd'hui, avec Seine-Nord, l'endettement de RFF, l'effet TGV, et l'avenir ferroviaire et les moyens des collectivités locales vous avez l'occasion de dire oui. Je souhaite que vous la saisissiez. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Gilles de Robien, ministre. Nous sommes d'accord sur presque tout, sauf sur la fin !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, personne ne conteste plus la progression du transport aérien au cours des prochaines décennies. Les interrogations portent sur deux points : l'importance de la progression, les moyennes de progression avancées varient de 5 à 7 % chaque année, la place du transport aérien dans une politique ambitieuse de transport en général et les moyens de son développement.

La DATAR vient de nous faire connaître une étude prospective du plus haut intérêt. Les technocrates, cette fois, se montrent sérieux. Monsieur le secrétaire d'Etat, dans votre lettre d'accompagnement, vous parlez même de préparer « une réorientation de notre politique en la matière ».

La DATAR prétend, à juste raison, que le développement des aéroports français, pour être cohérent et durable, ne peut se concevoir que dans l'intermodalité air-rail, notamment pour le fret. Il est donc important d'évoquer celle-ci lorsque l'on examine les structures futures des moyens de transport en général.

La DATAR part de l'exemple de l'aéroport Charles-de-Gaulle. Bon exemple ! Elle constate que les vols de nuit sont mal ressentis par les riverains. Juste ! Dans ce contexte, les aéroports situés aux franges du Bassin parisien, à Vatry et Châteauroux, ont un rôle à jouer pour le fret classique plus que pour le fret express. Pour ce dernier, l'intermodalité est une solution.

Les anciens cargos représentent 25 000 mouvements entre 23 heures et 6 heures. Il existe un potentiel de report d'une partie du trafic sur le TGV vers des destinations européennes. Une étude plus fine conclut que 25 % des mouvements nocturnes par cargo de l'aéroport Charles-de-Gaulle portent sur cinq directions reliées au réseau TGV et à moins de 500 kilomètres : Lyon, Cologne, Londres, Bordeaux et Liège. Les chiffres sont là : 5 000 mouvements aériens pourraient être évités chaque nuit de 23 heures à 6 heures en assurant le trafic par rail.

Monsieur le ministre, n'est-ce pas aussi une solution pour réduire les nuisances nocturnes ? Elle conforte l'idée que leur développement n'est pas fatal et qu'il nous faudra bien accepter de les prendre en considération si l'on veut répondre aux besoins de l'aviation civile.

Un marché potentiel existe pour un service ferroviaire de fret. Aéroports de Paris serait prêt, ainsi que les opérateurs de fret express, à utiliser le rail plutôt que l'avion, également pour des raisons économiques.

Les volumes de fret aérien justifient à court terme, non pas une infrastructure spécifique mais une complémentarité avec le développement du fret régional non aérien. Le trafic postal express peut aussi se traiter grâce à l'intermodalité. Cela suppose évidemment un terminal ferroviaire à proximité de l'aéroport.

L'enjeu, selon la DATAR, est d'inventer un nouveau service ferroviaire qui serait entre le camion et l'avion. Coup double, pourrais-je dire ! Etes-vous prêt, monsieur le ministre, pour un tel système ?

Les liaisons Paris, Bruxelles, Liège et Cologne existent et ce sont aussi les hubs de FEDEX, DHL, TNT, UPS.

La desserte de l'aéroport de Roissy en transports collectifs est aussi une exigence de l'intermodalité qui ne peut se satisfaire de la route.

Actuellement, 17 % de la desserte est assurée par le RER B, 28 % par des voitures particulières, 34 % par taxis, 5,5 % par les cars d'Air France et 3,3 % par Roissy bus. Autour de l'aéroport, vous le savez, les voies connaissent un embouteillage permanent, et la situation s'aggrave.

Etes-vous prêt, monsieur le ministre, à vous engager dans cette intermodalité qui est valable aussi pour l'ensemble des aéroports de province et que le temps de parole dont je dispose ce soir ne me permet pas d'évoquer.

Mais avouez qu'il s'agirait d'une piste royale avec, de plus, une réduction des nuisances supportées par les riverains, le recul du « tout route » ou du « tout avion », mais bien entendu avec un effort de développement du rail. Il s'agit d'une solution d'avenir. Air France a renoncé à la ligne aérienne Bruxelles - Roissy après avoir perdu tous ses passagers qui préfèrent le Thalys.

De plus, vous n'en serez pas surpris, monsieur le ministre, une telle intermodalité plaide aussi pour l'implantation d'un troisième aéroport dans le Bassin parisien.

Le trafic aérien, avec 32 000 vols et plus de 11 millions de passagers, ne serait pas réduit, même avec l'intermodalité.

Ensuite, ce chiffre correspond à une réduction de moitié du nombre de vols de la province vers Roissy. Cela fragiliserait le hub d'Air France - Paris, ou placerait la compagnie ex-nationale en position difficile à l'égard des compagnies étrangères.

Enfin, la France est aujourd'hui la première destination touristique du monde. L'avion demeure un support au développement de cette politique.

Quelles sont les prévisions actuelles avancées par la direction générale de l'aviation civile ? La croissance annuelle est estimée d'ici à 2020 à 3,4 %, nous conduisant alors pour, Roissy et Orly, à 140 millions de passagers.

La capacité maximum de Roissy - Charles-de-Gaulle est déjà atteinte, puisque la croissance de Roissy est supérieure à celle de la moyenne mondiale. Le rail, même développé dans le sens évoqué par la DATAR, n'irait pas au-delà de 1/10 de la croissance prévisible de passagers d'ici à 2020 : 70 millions de personnes. Comme il est illusoire d'imaginer un transfert de la croissance à venir de Paris vers la Province, notamment à cause des hubs, même pour Lyon, et ce pour des raisons exclusivement commerciales, la création d'une plate-forme supplémentaire dans le Grand Bassin parisien s'impose.

Certains parlent d'envisager six pistes à Roissy. Je ne pense pas que ce soit actuellement la position du Gouvernement. Mais sans troisième aéroport, n'y sera-t-il pas contraint demain ?

Le précédent Gouvernement avait fait un bon choix en décidant la création du troisième aéroport. Il serait désastreux que cette orientation ne soit pas confirmée.

Le précédent Gouvernement avait peut-être commis une erreur stratégique en avançant le lieu à Chaulnes, occultant les données commerciales. Monsieur le ministre, ne commettez pas à votre tour une erreur bien plus grave car elle serait incompatible avec un aménagement du territoire à la mesure des besoins de l'aviation civile en France. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.

M. Philippe Leroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je souhaite à mon tour remercier le Gouvernement d'engager ce débat sur les grandes infrastructures non pas pour ajouter un peu de pagaille, mais pour essayer de mettre l'accent sur les ressources financières nécessaires à des réalisations sur les vingt ou trente ans à venir.

Je tiens également à dire au préalable que, étant Lorrain, je partage ce qui s'est dit et ce qui se dira sur les désirs des Lorrains et des Alsaciens en matière de grande liaison. A l'évidence, je souhaite la réalisation d'une grande liaison autoroutière nord-sud. Je souhaite aussi que le TGV Est soit un véritable TGV Paris-Allemagne : il faudrait obtenir de nos amis allemands qu'ils prolongent les efforts d'investissements qui seraient réalisés par la France jusqu'à Strasbourg par des investissements concomitants.

Je voudrais approfondir les réflexions qui ont été formulées depuis le début de ce débat sur la nécessaire complémentarité entre les réseaux longue distance, c'est-à-dire les réseaux « haut débit », de nature européenne, qui nous occupent aujourd'hui, et les réseaux de capillarité. Ces derniers sont souvent le fait, pour l'essentiel, des collectivités locales : régions, départements et communes. Ils assurent d'ailleurs la majorité des intermodalités actuelles et ils ont le potentiel d'intermodalité le plus important.

L'intermodalité est nécessaire au dégagement des villes. Elle est utile pour de nombreux modes de transport, notamment les transports collectifs. Les collectivités locales joueront un rôle déterminant s'agissant de ces réseaux de capillarité. Du reste, un réseau haut débit ne peut pas fonctionner sans un réseau de capillarité : les deux sont liés comme les doigts de la main !

Au moment où nous discutons d'une décentralisation de plus en plus avancée, nous devons réfléchir ensemble au rôle de ces réseaux de capillarité, qui assurent la continuité jusqu'au plus petit village comme jusqu'au centre des villes.

Le niveau d'engagement des collectivités est colossal. Bien sûr, je parlerai plutôt des départements, mais, d'une façon générale, en matière de réseau routier, les dépenses des collectivités, toutes collectivités confondues, sont beaucoup plus importantes que celles de l'Etat. Depuis quelques années, les dépenses des collectivités en matière d'infrastructures routières augmentent de l'ordre de 25 %, alors que les dépenses de l'Etat et des sociétés concessionnaires diminuent.

D'ailleurs, la tendance que nous observons en France est une tendance européenne puisque, aujourd'hui, les investissements sur les réseaux représentent, dans toute l'Europe, 63 % en moyenne. Pratiquement les deux tiers des investissements de transport sont réalisés par les collectivités, et c'est normal. Les collectivités agissent efficacement. Si je dis du bien des collectivités, c'est parce que je vais vous demander dans un instant de veiller à leurs intérêts financiers.

Voilà trente ans, on avait déjà transféré l'essentiel du réseau national au département. A l'époque, il s'agissait de 55 000 kilomètres. Ce que l'on envisage aujourd'hui est différent.

Si l'on regarde ce qui s'est fait en trente ans sur les réseaux départementaux, on constate que cela a été réalisé de façon correcte, efficace, relativement économique et en toute cohérence : les départements ont su procéder à des équipements routiers cohérents.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Philippe Leroy. Lorsqu'on nous dit que les collectivités auront des difficultés, dans le cadre de la décentralisation, à assurer la cohérence de leurs actions, je réponds que c'est une plaisanterie ! Les collectivités ont fait la preuve qu'elles étaient cohérentes, et quelquefois plus cohérentes que l'Etat ; un certain nombre d'exemples permettent de le vérifier au cours des trente dernières années.

Par ailleurs, si l'Etat réalisait, dans les années qui viennent, jusqu'en 2020, les 23 milliards d'euros d'investissements espérés sur les grandes infrastructures routières dont nous parlons en ce moment, les départements auront dépensé exactement la même somme, mais en huit ans !

Ces chiffres, ou plutôt ces ordres de grandeur - les chiffres, on peut toujours en discuter ! - démontrent que les collectivités jouent, avec l'Etat, un rôle fondamental dans le bon fonctionnement des systèmes de transport. Je souhaite que, s'agissant des financements, nous puissions avoir une vision suffisamment prospective pour que le savoir-faire des collectivités - régions, départements et communes - puisse être valorisé.

On peut s'interroger, aujourd'hui, sur l'avenir des contrats de plan. Bien entendu, quid du contrat de plan actuel ? C'est une interrogation immédiate à laquelle le Gouvernement devra répondre. Mais quid également des contrats de plan dans le cadre d'une décentralisation plus avancée ?

Les collectivités devront sans doute continuer de financer des investissements d'ordre national. On souhaiterait que tous les transferts de compétences aux collectivités soient assortis de moyens financiers ad hoc suffisants pour assurer leurs ambitions et permettre le bon fonctionnement du système de transports.

Sur ce thème, monsieur le ministre, j'adhère totalement aux propositions qui ont été faites par les différents orateurs de diversifier les sources de financement pour l'Etat et de créer un établissement public, si nécessaire, pour assurer la pérennité de ces financements pour les grands réseaux. Je souhaite, en parallèle, que les collectivités puissent bénéficier de garanties de ressources suffisantes pour assurer leurs missions.

Nous devons en discuter de façon approfondie. Je sais, monsieur le ministre, que vous imaginez quelques ressources nouvelles liées aux péages. A l'avenir, les collectivités devront, d'une façon réfléchie et encadrée, car il ne faut pas faire n'importe quoi, être autorisées à s'assurer du financement par l'usager de certaines de leurs liaisons, les ouvrages comme les routes. En effet, l'effort des collectivités doit reposer sur des financements diversifiés. Ces financements devront être assurés en partie par l'Etat, dans la mesure où il faudra procéder à une péréquation entre les régions riches et les régions pauvres. C'est l'Etat qui, me semble-t-il, devra assurer une partie de ces solidarités spatiales. Ces financements devront également être assurés par le contribuable local. Et il faudra aussi imaginer qu'ils puissent être assurés par l'usager local, en espérant que les lois à venir nous permettront ce genre d'évolution.

En définitive, monsieur le ministre, je vous remercie d'apporter une grande attention au partenaire indispensable que sont pour vous les collectivités, afin de disposer dans l'avenir d'un système de transport qui fonctionne bien et qui soit véritablement ouvert à l'intermodalité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centirste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gilles de Robien, ministre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le ministre, comme beaucoup d'autres avant moi, je vous remercie tout d'abord de l'organisation de ce débat. Votre volonté d'écoute de la France et de ses élus, à la veille de décisions capitales pour l'avenir de notre pays, doit être saluée.

Pour ma part, je souhaite insister sur deux points qui me paraissent prépondérants : la nécessité pour la France de poursuivre son équipement en infrastructures, dans une Union européenne élargie, et le financement à mettre en place.

Comme l'excellent rapport de la DATAR le rappelle, la politique d'équipement en matière d'infrastructures de transport doit être pensée non seulement dans un cadre national, mais aussi - et peut-être surtout - dans un cadre européen.

Après l'élargissement, la France ne sera plus au coeur de l'Union européenne et, pour garder son attractivité économique, elle devra améliorer ses infrastructures. Certes, notre pays ne souffre pas d'un retard d'équipement routier, mais il doit améliorer celui-ci, comme il doit améliorer l'efficacité de son réseau ferré, notamment en matière de TGV, et se mobiliser pour parvenir à une Europe intégrée des transports.

L'attractivité internationale de notre pays exige aussi de rendre plus performants ses ports et ses aéroports ; je pense, notamment, aux trois ports du nord de la France, Dunkerque, Calais et Boulogne, en favorisant leur intégration aux réseaux de transport existants.

Le multimodal est la voie de l'avenir, me semble-t-il, et je crains qu'on ne condamne trop vite le ferroutage, que nos voisins ont mieux su développer. Des solutions rapides et souples existent, comme le système de navettes de l'Eurotunnel, qui offrent des perspectives nouvelles.

Il y a un véritable potentiel de développement du fret ferroviaire en France : n'oublions pas qu'à côté des grands investissements subsistent d'importantes possibilités d'optimisation dans les infrastructures actuelles. Je pense à la « magistrale éco-fret » qui relierait le Nord au Midi, d'Anvers à Paris, puis dans la vallée du Rhône. Une succession de petits investissements peut changer bien des choses dans l'organisation du fret.

Mais, monsieur le ministre, la vraie question reste celle des moyens. Avons-nous réellement la volonté de trouver les financements nécessaires pour doter la France d'un réseau de transport intermodal fret-voyageurs à la hauteur d'une Europe à vingt-cinq ? Si tel n'est pas le cas, nous serons réduits au rôle de pays du bout du continent.

Dans les rapports commandés par le Gouvernement, il est proposé plusieurs voies à explorer pour créer de nouvelles ressources ; j'en retiendrai deux.

La première voie réside dans le rapprochement de la TIPP du gazole de celle de l'essence pour les véhicules légers, ce qui va dans le sens des directives européennes. Comme le rappelle la DATAR, un centime d'euro de TIPP sur le diesel des véhicules légers conduit à une recette nette de l'ordre de 200 millions d'euros par an. Cette mesure, pour intéressante qu'elle soit, ne suffirait donc pas, à elle seule, à sortir le Gouvernement de l'impasse financière dans laquelle il se trouve. De plus, il ne faut pas sous-estimer l'effet que pourrait avoir une telle mesure sur l'opinion publique, même s'il semble néanmoins indispensable de la mettre en place.

La seconde voie possible consiste à instaurer une redevance sur les poids lourds, à l'exemple du système allemand. Cette mesure semble d'autant plus opportune que des routiers étrangers, de plus en plus nombreux, traversent notre territoire, utilisent nos infrastructures, sans faire de plein de carburant et donc sans acquitter la TIPP. La région Nord - Pas-de-Calais est très bien placée pour le savoir.

Je suis tout à fait conscient de la difficulté de mettre en place une telle taxe, qui pourrait être gravement préjudiciable à de nombreuses petites sociétés de transport qui empruntent les routes nationales, précisément afin de faire des économies. Mais une telle taxe pourrait également permettre de réorienter une partie du trafic routier vers des modes de transports différents et favoriser ainsi l'aménagement durable du territoire.

Enfin, le renforcement des partenariats privé-public est certainement une voie à explorer pour soulager la dette publique, même si elle ne permet pas de résoudre totalement le problème du financement des infrastructures et même si ce sont les usagers ou les contribuables qui paieront, et probablement les deux à la fois.

Je conclurai en évoquant trois projets particuliers d'infrastructures. Le premier est le canal Seine-Nord, chaînon manquant pour relier le bassin de la Seine aux canaux du nord de la France et du Benelux par une voie navigable à grand gabarit. L'investissement - et c'est bien là que le bât blesse - s'élève à 2,6 milliards d'euros, mais il faut apprécier la rentabilité - si l'on peut parler ainsi - de l'équipement sur une période beaucoup plus longue que pour d'autres modes de transport. Celui-ci s'inscrit dans une logique de transports de marchandises depuis le Bassin parisien vers l'Europe du Nord. Le canal Seine-Nord desservirait d'abord deux régions urbaines françaises parmi les plus peuplées - la Picardie et le Nord - Pas-de-Calais - avec une congestion des réseaux routiers qui risque de virer à l'apoplexie.

Ce canal constitue donc une alternance. Il offrira, en outre, aux ports du Havre-Rouen et de Dunkerque un Hinterland beaucoup plus important, tout en permettant une connexion entre les ports maritimes et le réseau fluvial de la Belgique et de l'Europe centrale. Il donnera aussi toutes ses chances à la plate-forme multimodale de Dourges que vient de créer le conseil régional du Nord - Pas-de-Calais.

Le second projet concerne l'autoroute A 24 qui relie Amiens - ville que vous connaissez bien, monsieur le ministre - à la frontière belge et qui, en prolongement de l'autoroute A 16, viendrait doubler l'autoroute A 1. Le rapport d'audit du conseil général des ponts et chaussées précise que ce projet, qui s'inscrit par ailleurs dans une logique européenne des réseaux de transports, doit être concrétisé à l'horizon 2020. Cet horizon est trop lointain à mes yeux, car une telle autoroute est nécessaire - M. Percheron l'a souligné tout à l'heure - pour fluidifier le trafic et renforcer ainsi la sécurité tant sur l'autoroute A 1 que sur la route nationale Amiens - Arras : en quatre ans, on compte vingt-sept tués et quarante-quatre blessés graves.

En conclusion, j'évoquerai brièvement une aberration historique : la ligne SNCF reliant Calais à Amiens n'est toujours pas électrifiée. Aujourd'hui, on met beaucoup plus de temps que voilà dix ou vingt ans pour se rendre de Calais à Paris. Il est nécessaire de procéder à cette électrification, afin d'offrir une alternative sérieuse à la route et permettre une liaison plus rapide de la Côte d'Opale avec la capitale, bien sûr, Amiens, et aussi avec le chef-lieu du département du Pas-de-Calais, Arras.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de ce débat, mais surtout de la détermination dont vous avez fait preuve pour financer la création et la modernisation de nos infrastructures, au lieu d'agiter de simples promesses, comme beaucoup d'autres l'ont fait avant vous. (Protestations sur les travées socialistes.) C'est à ce prix que ce débat aura un sens et une utilité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Serge Vinçon remplace M. Daniel Hoeffel au fauteuil de la présidence.)