SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
1. Procès-verbal (p. 1).
2. Respect des engagements internationaux en matière de droits de l'homme. - Discussion d'une question orale avec débat. (Ordre du jour réservé.) (p. 2).
M. Jacques Pelletier, auteur de la question ; Mme Jacqueline Gourault, M. Fernand Demilly, Mmes Yolande Boyer, Nicole Borvo, M. Alain Vasselle, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Legendre, Jean Faure, Robert Del Picchia.
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance (p. 3)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
3. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 4).
4. Politique de la montagne. - Discussion d'une question orale avec débat. (Ordre du jour réservé.) (p. 5).
M. le président.
MM. Jean-Paul Amoudry, auteur de la question ; Jacques Blanc, président de la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne ; Mmes Michèle André, Annie David, M. Pierre Jarlier, Mme Anne-Marie Payet, MM. René-Pierre Signé, Pierre Hérisson.
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
MM. Jean Boyer, Claude Domeizel, Jean-Claude Carle, Auguste Cazalet.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
Clôture du débat.
5. Infractions à caractère raciste. - Adoption définitive d'une proposition de loi. (Ordre du jour réservé.) (p. 6).
Discussion générale : MM. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice ; Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Mme Michèle André, M. Robert Bret.
M. le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l'article 1er (p. 7)
Amendement n° 2 de M. Robert Bret. - MM. Robert Bret, le rapporteur, le garde des sceaux. - Rejet.
Article 1er (p. 8)
Amendement n° 3 de M. Robert Bret. - MM. Robert Bret, le rapporteur, le garde des sceaux. - Rejet.
Amendement n° 4 de M. Robert Bret. - MM. Robert Bret, le rapporteur, le garde des sceaux. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article 2 (p. 9)
Amendement n° 5 de M. Robert Bret. - Devenu sans objet.
Adoption de l'article.
Articles 3 à 10. -
Adoption (p. 10)
Intitulé de la proposition de loi (p. 11)
Amendement n° 21 de M. Robert Bret. - Devenu sans objet.
Vote sur l'ensemble (p. 12)
Mmes Nicole Borvo, Anne-Marie Payet, M. Laurent Béteille.
Adoption définitive de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance (p. 13)
6. Services de proximité en zone rurale. - Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.) (p. 14).
Discussion générale : MM. Gérard Le Cam, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Paul Raoult, Mmes Odette Terrade, Anne-Marie Payet.
MM. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques ; le rapporteur.
Clôture de la discussion générale.
Explications de vote (p. 15)
M. Robert Del Picchia, Mme Nicole Borvo.
Adoption des conclusions négatives de la commission entraînant le rejet de la proposition de loi.
7. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 16).
8. Dépôt d'un rapport (p. 17).
9. Ordre du jour (p. 18).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
RESPECT DES ENGAGEMENTS
INTERNATIONAUX EN MATIÈRE DE DROITS DE L'HOMME
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 5.
M. Jacques Pelletier attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la situation particulièrement difficile d'un grand nombre d'Etats du monde où des centaines de milliers de personnes sont persécutées en raison de leurs opinions politiques, de leurs croyances ou de leur appartenance à un groupe ethnique. En dépit de l'engagement répété de nombreux Etats en faveur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, nous dénombrons toujours des violations graves et systématiques de ces droits, de façon ouverte ou camouflée.
Il lui demande comment le gouvernement français peut, en liaison avec nos partenaires européens, user de son influence pour faire cesser ces pratiques et promouvoir un respect effectif des engagements internationaux pris par les Etats en matière de droits de l'homme.
La parole est à M. Jacques Pelletier, auteur de la question.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est une très grande satisfaction pour le groupe d'études des droits de l'homme, que j'ai l'honneur de présider, que les problèmes liés aux droits de l'homme fassent aujourd'hui l'objet d'un débat au Sénat.
Le groupe d'études des droits de l'homme du Sénat rassemble des parlementaires de toutes tendances qui souhaitent réfléchir à l'approfondissement et à la diffusion des valeurs fondamentales et universelles qui sont à la base de toutes les démocraties et de tous les Etats de droit.
Il n'est bien sûr pas possible d'aborder dans le temps imparti à ce débat les nombreux aspects du sujet. C'est pourquoi nous avons choisi de parler ce matin des questions internationales.
Nous espérons vivement, monsieur le président, que la conférence des présidents décidera, d'ici à la fin de l'année, d'organiser une autre séance consacrée à la discussion d'une question orale en présence de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre de la justice, qui portera sur les problèmes rencontrés en France.
Incontestablement, les droits de l'homme sont universellement reconnus : de nombreuses conventions internationales les proclament solennellement et prévoient leur mise en application. Mais, si peu d'Etats refusent ces principes, peu d'Etats les respectent complètement.
La vigilance est plus que jamais justifiée. Sans prétendre à l'exhaustivité dans un domaine où, malheureusement, les manifestations sont d'une diversité inouïe, on peut relever qu'aux formes anciennes connues de détentions arbitraires, de tortures, d'assassinats, de traitements dégradants, de privation des droits politiques ou des libertés fondamentales se sont ajoutées des formes particulièrement inquiétantes par leur caractère systématique et délibéré, comme la disparition forcée des personnes, les déplacements massifs de populations ou les tortures médicalisées.
Nombreux - trop nombreux ! - sont encore les Etats pour lesquels la torture est un élément naturel du pouvoir. Des milliers de prisonniers sont placés en détention sans inculpation ni procès. Ils se voient refuser tout moyen de se justifier, voire de connaître ce qu'on leur reproche.
Dans nombre d'Etats, des hommes et des femmes sont ainsi privés de liberté du seul fait de leur origine, de leurs convictions, de leur race, de leur couleur ou de leur préférence sexuelle, comme ce fut le cas récemment en Egypte.
La question, monsieur le ministre, est de savoir comment le Gouvernement, avec l'appui unanime du Parlement, peut agir pour que la France, conformément à sa vocation historique - rappelons-nous la Déclaration de 1789 ou l'oeuvre de René Cassin ! - contribue à ce que les droits de l'homme soient plus respectés dans les relations internationales et que les bienfaits de ces droits fondamentaux profitent à plus d'hommes et de femmes dans le monde.
Malgré le nombre et la qualité des orateurs qui me suivront, il ne nous sera pas possible de dénoncer ici toutes les atteintes aux droits de l'homme, car ce serait, hélas ! beaucoup trop long.
Mme Danielle Bidard-Reydet parlera entre autres de la Palestine, Mme Nicole Borvo des méthodes employées dans la lutte contre le terrorisme, Mme Yolande Boyer de la situation des femmes, qui sont souvent les premières victimes de la violation des droits de l'homme, M. Fernand Demilly des droits de l'homme dans les pays de l'Est, Mme Jacqueline Gourault du trafic des êtres humains, M. Jean Faure de la situation en Afrique et dans l'océan Indien, et M. Jacques Legendre s'exprimera sur l'Afrique et formulera des propositions à propos du problème des enfants soldats, enfin, M. Robert Del Picchia parlera des droits élémentaires des parlementaires, qui sont parfois je dirais même assez souvent violés, et M. Alain Vasselle de la situation très difficile qui prévaut au Tibet.
Bien évidemment, mes collègues ne se cantonneront pas aux sujets que je viens d'évoquer.
Il aurait été nécessaire de parler également du Soudan, qui continue à être dévasté par une effroyable guerre civile dans l'indifférence générale, du sous-continent indien, où tous les prémices d'une guerre de religion sont présents, de l'Algérie, où depuis de trop nombreuses années des massacres injustifiables et impunis sont perpétrés, mais aussi des « narco-pays », où une part importante du territoire, et donc de la population, est soumise à la seule autorité brutale des trafiquants de drogue.
Je pense à cet égard à la Colombie, où tous les ans des milliers de personnes kidnappées disparaissent. Permettez-moi d'avoir une pensée particulière pour Ingrid Betancourt, dont on est sans nouvelles depuis trop longtemps. Nous formons tous des voeux pour que cette femme courageuse retrouve le plus rapidement possible la liberté.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Jacques Pelletier. En ce qui concerne l'Irak, monsieur le ministre, nous sommes en plein accord avec la position française. Il n'est pas possible en effet d'envisager une guerre sans l'aval de l'ONU, conduite unilatéralement par les Etats-Unis contre ce pays. Qui souffrirait d'une telle guerre ? Evidemment, les populations civiles. Nous devons donc faire tout notre possible - ce à quoi s'adonne le Gouvernement, et je l'en félicite - pour que cette position soit respectée.
La situation en Tchétchénie est également très préoccupante car tous les Tchétchènes ne sont pas des terroristes. Ce malheureux pays est victime d'une répression aveugle et brutale conduite par des soldats qui me semblent mal formés, mal payés et mal encadrés. Le comité des Nations unies contre la torture a violemment dénoncé les violations des droits de l'homme dans ce pays.
Il faut que les autorités russes facilitent le travail des organismes internationaux chargés d'enquêter sur le respect des droits de l'homme. Elles doivent aussi faciliter l'accès aux populations civiles des organisations humanitaires qui sont présentes sur place et qui ont beaucoup de difficultés à accomplir leur mission.
Par ailleurs, il faut que la population tchétchène, qui a cherché refuge en Ingouchie, soit près de 150 000 personnes, soit protégée et aidée et que, conformément à l'article 3 de la convention de Genève de 1949, il n'y ait aucun déplacement forcé de population.
Et que dire de la peine de mort, encore en vigueur dans de nombreux pays ! Je pense à la Chine, où ont lieu des exécutions publiques - comme cela se faisait chez nous il y a un peu plus de deux siècles -, à l'Arabie saoudite ou aux Etats-Unis. A ce propos, je tiens à saluer l'attitude courageuse de George Bryan, gouverneur de l'Illinois, qui a commué en peines de prison à vie toutes les condamnations à mort en attente d'exécution dans son Etat. Je crois qu'une telle attitude peut faire avancer le problème aux Etats-Unis. En tout cas, monsieur le ministre, nous devons faire pression toujours et partout en faveur de l'abolition de la peine de mort.
L'actualité, que vous me permettrez de qualifier de « tragi-comique », m'amène aussi à vous interroger, monsieur le ministre, sur la crédibilité de la commission des droits de l'homme de l'ONU à partir du moment où celle-ci est présidée par la représentante de la Libye, pays qui n'est pas spécialement connu pour être un ardent défenseur des droits de l'homme.
Ne pouvant pas énumérer et décrire toutes les violations des droits fondamentaux des êtres humains qui existent actuellement dans le monde, je voudrais, si vous me le permettez, réfléchir avec vous sur les fondements et les moyens d'une politique vigoureuse et efficace de la France en faveur des droits de l'homme.
L'équilibre est en effet difficile à trouver entre une incantation théorique, souvent inutile ou hypocrite, et l'efficacité.
La souveraineté nationale reste encore le fondement des rapports entre Etats. S'il est indispensable que la France rappelle toujours et partout l'absolue nécessité du respect des droits de l'homme, il faut aussi s'éloigner des méthodes trop directives que les pays dominants ont parfois eu tendance à employer.
L'Occident, qui pense avoir gagné la guerre froide, ne voit plus de limite à son ascendant et, à cause de sa supériorité technique, a tendance à vouloir imposer partout sa vision des choses.
Or l'époque où beaucoup d'Européens étaient persuadés de leur « devoir de civilisation » est révolue. Il n'est plus possible - ce n'est ni souhaitable ni efficace - de plaquer, dans tous les pays, un schéma unique d'organisation politique perçu par nous comme parfait.
Il ne s'agit, bien entendu, ni de dire que certaines populations ne sont pas faites pour la démocratie ni de justifier des régimes autoritaires qui essaient d'étouffer les aspirations à la démocratie de leur peuple. Mais rappelons-nous notre histoire : notre démocratie ne s'est pas faite en un jour ; nous l'avons construite pierre après pierre.
M. Pierre Fauchon. Et ce n'est pas fini !
M. Jacques Pelletier. Il y a eu des progrès, des retours en arrière ; ce n'est pas un processus linéaire.
Comme le président Mitterrand l'avait proclamé en 1990, lors de la conférence France-Afrique qui eut lieu à La Baule, l'important est que chaque gouvernement soit déterminé à progresser vers un Etat plus démocratique en empruntant ses propres voies pour y accéder.
Plutôt qu'imposer un schéma de l'extérieur, il faut identifier les forces internes des pays qui se battent pour instaurer l'Etat de droit et les aider à développer leur influence. Rappelons-nous la belle phrase d'Albert Camus : « Un peuple qui veut vivre n'attend pas qu'on lui apporte la liberté, il la prend. »
Il faut savoir accompagner les processus si on veut les accélérer sans les faire « capoter ». Pour cela, il existe des techniques, que votre ministère, monsieur le ministre, met en oeuvre.
Prenons deux exemples.
Les collectivités locales sont des espaces où la démocratie s'apprend et s'exprime naturellement et facilement. La coopération française doit donc multiplier les projets d'aide à la création et au soutien des collectivités locales.
De même, au lieu de critiquer de l'extérieur les mauvaises conditions dans lesquelles se déroulent parfois les élections dans certains pays, aidons-les à se doter des outils techniques nécessaires.
C'est ainsi que la France a contribué, en Mauritanie, à l'élaboration d'un service d'état civil efficace, indispensable à l'établissement de listes électorales fiables. Développons ce type de projets qui permettent à la démocratie de s'épanouir.
Dans ses rapports avec les pays étrangers et dans les accords internationaux, la France doit donc manier avec prudence les clauses de conditionnalité ou les sanctions : elle doit encourager et inciter sans bloquer, exiger des avancées réalisables sans provoquer d'explosion.
Disposer d'une administration, d'une justice, d'une police, d'une armée formées et efficaces est évidemment un préalable indispensable à l'existence d'un Etat de droit, seul capable de protéger les droits de l'homme, en particulier pour les plus faibles. A ce titre, la restauration des fonctions régaliennes de l'Etat devrait être une priorité absolue de la coopération française et européenne.
Il est également important de veiller à ce que les nécessaires efforts d'ajustements financiers demandés par les organisations internationales ne conduisent pas à un effondrement des structures étatiques. Empêchons la répétition du mauvais scénario argentin !
Par ailleurs, j'espère très sincèrement que les Ivoiriens vont très rapidement trouver, au cours de la conférence qui se tient actuellement, les voies et les moyens permettant de recréer un Etat dans lequel l'ensemble de la population se reconnaîtra, de façon que ce pays connaisse de nouveau la paix et le développement.
Si l'établissement de l'Etat de droit est un préalable indispensable, force est aussi d'admettre qu'il existe une interdépendance étroite entre droits de l'homme et développement.
Comme le proclame l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le premier droit de tout individu est le « droit à la vie ».
Les nombreuses populations qui disposent à peine de deux dollars de revenu par jour, qui sont ravagées par des épidémies, qui ne peuvent accéder à l'eau potable, qui sont éloignées de toute structure médicale et qui souffrent de famine ou de malnutrition ne jouissent pas des droits de l'homme, quelles que soient les structures politiques qui les encadrent.
L'illettrisme, le manque de formation, l'insalubrité de l'habitat sont autant d'atteintes inadmissibles à la dignité humaine.
Le développement économique et social demeure le facteur essentiel de transformation des sociétés. Nous nous réjouissons donc que notre aide publique au développement se remette à croître et nous espérons que, rapidement, conformément aux engagements du Président de la République, elle atteindra 0,7 % du PNB.
Le droit d'avoir un environnement sain est bien sûr aussi un droit fondamental pour tout être humain. Il faut donc violemment dénoncer les grandes entreprises qui, au mépris des conventions internationales, se débarrassent de leurs déchets polluants et dangereux dans des pays pauvres, où l'ignorance des populations ou la corruption des administrations rendent possible un stockage à bas coût, qui compromettra pour de nombreuses années leur environnement et leur développement.
La France doit se doter de moyens pour que ses entreprises ne participent pas à ce commerce honteux et pour pouvoir dénoncer ceux qui le pratiquent.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sans saluer les personnes bénévoles, souvent de modestes citoyens animés par leur foi dans le perfectionnement de l'homme, qui agissent au jour le jour, parfois en prenant de grands risques, pour faire progresser les droits de l'homme au sein de grandes organisations telles que Amnesty International, la LICRA - la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme -, la Ligue des droits de l'homme et bien d'autres. Je tiens à ce que ces hommes et ces femmes sachent combien nous apprécions et soutenons leur combat.
La démocratie et le respect des droits de l'homme sont des processus au démarrage difficile et au développement plus ou moins rapide, mettant en jeu tous les facteurs de changement, qu'ils soient économiques, sociaux ou culturels.
Même si nous savons que ce combat est sans fin, il est de notre dignité de parlementaires de faire progresser les choses.
Sans être péremptoires dans nos jugements ni dogmatiques dans nos prescriptions, nous devons être clairs dans nos mises en garde, pressants dans nos demandes et constructifs dans nos coopérations.
M. Robert Badinter rappelait hier, avec son grand talent, que la haine n'est pas une constante de l'histoire. Nous pouvons montrer aux nombreux pays qui se déchirent aujourd'hui à travers le monde l'exemple de la réconciliation franco-allemande, ravivée en ce moment même par la célébration du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée.
Depuis 1789, la promotion et la défense des droits de l'homme sont au coeur de la politique étrangère de la France.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, indiquer au Sénat comment vous comptez apporter, avec le soutien unanime de la représentation nationale, votre pierre à cet édifice qui vise, comme le rappelle le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, « à l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère » ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à féliciter notre ami le président Jacques Pelletier pour son excellente initiative.
On peut dire en ce début de siècle, que les libertés fondamentales d'expression et de déplacement ont sans aucun doute progressé. Le rideau de fer a disparu ; le système démocratique s'est imposé dans le plus grand nombre de pays, les tentatives d'hégémonie raciale ou ethnique ont été jugulées ou vaincues par la communauté internationale dans certains pays, par exemple en Afrique du Sud et en ex-Yougoslavie.
Cependant, paradoxalement, certaines atteintes aux droits de l'homme ont connu une dramatique expansion. L'apparition de nouveaux réseaux mafieux en Europe, favorisée par l'ouverture des frontières, est à l'origine de l'exploitation de milliers de femmes et d'enfants. Le développement des moyens modernes de communication favorise la criminalité pédophile. Le travail des enfants, que l'on croyait révolu dans le monde développé, réapparaît dans un pays comme l'Argentine, touchée de plein fouet par la crise économique.
Vous l'aurez compris, mon propos sera axé sur les droits de l'enfant et de la femme.
En raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, l'enfant a besoin d'une protection juridique appropriée, avant comme après sa naissance. Cette nécessité a été énoncée dès 1924 dans la déclaration de Genève sur les droits de l'enfant, puis confirmée par la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Le 10 novembre 1989, l'assemblée générale de l'ONU approuvait à l'unanimité la convention sur les droits de l'enfant, donnant ainsi un nouveau départ à l'action, pour le respect et la protection des mineurs, en vue d'un développement intégral des potentialités de l'homme, dès l'aube de son existence, dans un climat de dignité, de liberté et de justice.
En effet, cette convention ne se contente pas d'énoncer des principes : elle constitue un lien juridique pour les pays qui l'ont ratifiée. Elle tend à répertorier, d'une manière plus complète que par le passé, toute la gamme des droits qui doivent être reconnus aux enfants et, en même temps, elle désigne les instruments propres à les protéger et à les promouvoir.
Deux types de droits sont reconnus aux enfants : le droit à une éducation gratuite et obligatoire, au moins au niveau des classes élémentaires, et la protection contre toute forme d'exploitation.
Par ailleurs, la commission des droits de l'homme de l'ONU est à l'origine de deux protocoles facultatifs concernant l'engagement d'enfants dans les conflits armés et la vente, la prostitution et la pornographie impliquant des enfants, ainsi que les mesures de base nécessaires pour prévenir et éliminer ces pratiques.
Le fait d'abuser d'enfants ou de les exploiter sexuellement à des fins commerciales est un crime grave, et il est ressenti comme tel par l'opinion publique parce qu'un être est saccagé dans ce qu'il a de plus authentique : son innocence.
Dans le monde, on compte en outre par dizaines de milliers les enfants qui sont utilisés comme soldats dans les conflits armés. Les structures politiques et sociales de pays ravagés par des conflits internes ont éclaté. Les familles sont démembrées et les enfants se retrouvent souvent orphelins ou abandonnés.
Dans ces situations, ils deviennent particulièrement vulnérables et leur recrutement pour les combats n'en est que plus facile. S'il est vrai que certains d'entre eux sont enrôlés de force ou contraints par des menaces contre leurs proches ou leurs parents, il est non moins vrai que d'autres adhèrent « volontairement », parce qu'ils croient qu'ils seront protégés, qu'ils auront la nourriture nécessaire ou encore parce qu'ils sont alléchés par des promesses d'éducation, d'argent ou d'un futur meilleur.
Les conséquences sont dramatiques : ces jeunes êtres sont privés de l'enfance et de l'éducation normales auxquelles ils auraient droit. Ils apprennent à tuer, ils sont dressés à l'agressivité, sont confrontés tous les jours à une violence qu'ils sont obligés de subir. Ils n'ont ni relations affectives, ni lieux pour se réfugier.
L'adoption de deux protocoles facultatifs est avant tout une réponse adéquate aux exigences de clarté et de justice en faveur de toutes ces victimes, mais aussi un geste de solidarité et de sympathie, un sursaut éthique rappelant à la société qu'elle doit protéger et soutenir par tous les moyens la personnalité encore fragile de l'enfant, au lieu de le maltraiter, de le violenter ou d'abuser de sa vulnérabilité.
Il faut sans doute aller plus loin. Ainsi, s'agissant de la pédophilie, une meilleure coopération entre la police et la justice de certains Etats - je pense en particulier aux Etats-Unis, à la France et à la Grande-Bretagne - a permis le démantèlement d'un certain nombre de réseaux diffusant des documents à caractère pornographique sur Internet mettant en scène des enfants : preuve que, au-delà des mots et des engagements, des actions concrètes à l'échelon international peuvent être efficaces. Il faut absolument les renforcer.
Pour ce qui est des femmes, je centrerai mon propos sur la prostitution.
Le constat est lourd en ce domaine. Parce que la prostitution constitue une atteinte faite à la dignité et, plus profondément, à la liberté des femmes, les engagements internationaux en ce domaine me semblent devoir être étudiés avec attention.
La prostitution, qui relevait autrefois d'une problématique strictement nationale, a changé de nature en changeant d'échelle. En effet, sans entrer dans le débat général sur la prostitution, on peut dire sans se tromper que, désormais, cette activité est de plus en plus aux mains de réseaux mafieux et se transforme en une nouvelle forme d'esclavage.
Elle s'inscrit désormais dans le cadre des flux et réseaux qui traversent nos sociétés et qui sont devenus transnationaux.
Un seul chiffre est déjà révélateur : depuis 1999, les jeunes femmes étrangères offrant des services sexuels représentent plus de la moitié du nombre total de prostituées, alors que leur proportion était inférieure à 30 % il y a quelques années.
Ces réseaux fondent souvent leur développement sur la violence pour s'assurer d'une obéissance sans faille des prostituées : viols, menaces sur la famille, confiscation des papiers d'identité. On assiste parfois même à des systèmes de « vente » de certaines femmes et, donc, à la résurgence d'une véritable filière de traite d'êtres humains.
Ce recrutement souvent violent, tant physiquement que moralement, explique pour une large part le faible taux de « sortie » des victimes de ces filières.
Le caractère esclavagiste et international de ces organisations n'est donc plus à prouver.
Le nombre de ses victimes dans le monde dépasserait les quatre millions de personnes et 300 000 femmes venues de l'Est se prostitueraient actuellement au sein de l'Europe occidentale.
Enfin, les réseaux de prostitution sont devenus de gigantesques organisations criminelles internationales qui mêlent trafic de drogue, trafic d'armes et blanchiment d'argent sale.
Fort heureusement, le développement sans précédent et particulièrement alarmant des trafics à fins d'exploitation sexuelle a conduit les organisations internationales - ONU, Union européenne, Conseil de l'Europe - à prendre des initiatives pour lutter contre ce type de traitement fait aux humains.
Au sein de l'Union européenne, la lutte contre les réseaux de proxénétisme est menée dans le cadre du pilier « justice et affaires intérieures ».
Une action commune relative à la lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants a été adoptée en février 1997 par le Conseil européen. Les Etats membres ont accepté à cette occasion de revoir leur droit pénal de manière à ériger certains comportements en infractions pénales et à favoriser la coopération judiciaire.
A la suite du traité d'Amsterdam, dont l'article 29 fait expressément référence à la traite des êtres humains et aux crimes commis sur des enfants, Europol a vu son champ de compétence étendu et devrait voir, à l'avenir, son rôle renforcé.
Son pouvoir de coordination sera accru et cet organisme pourra participer aux équipes d'enquête conjointe prévues par la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale. Il sera, par exemple, possible à des enquêteurs français de travailler en utilisant la procédure allemande en coopération avec des experts d'Europol dans le cadre d'une enquête globale menée dans l'espace européen.
A l'échelon international, les premiers grands textes internationaux sur la traite des femmes datent du début du xxe siècle : l'arrangement international de 1904 en vue d'assurer une protection efficace contre le trafic criminel, connu sous le nom de traite des blanches, la convention internationale de 1910 relative à la répression de la traite des blanches la convention internationale de 1921 pour la répression de la traite des femmes et des enfants et, enfin, la convention de 1933, pour la répression de la traite des femmes majeures.
Mais le texte fondateur en ce domaine date de la convention de l'Organisation des Nations unies du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui.
Cette convention internationale, qui fait partie des grands textes de l'après-guerre sur les droits de l'homme et qui a d'ailleurs été signée un an seulement après la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, aura été la première à porter dans son préambule un jugement de valeur négatif sur la prostitution : « la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté ».
Elle considère la traite comme une conséquence de la prostitution et pénalise, dans ses articles 1er à 4, le proxénétisme.
Elle n'a été ratifiée que par soixante-douze pays, mais l'article 6 de la convention de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui a obtenu la ratification de cent cinquante Etats, a repris sa philosophie.
Plus récemment, lors des négociations de Vienne sur la convention relative à la criminalité transnationale organisée, qui ont eu lieu entre les mois de janvier 1999 et de décembre 2000, la France a de nouveau refusé que soient introduits, dans le protocole sur la traite des personnes, en particulier des femmes, de nouveaux termes qui auraient pu faire régresser les normes universelles des droits humains.
Pour autant, en l'absence de protocoles contraignants, la convention de 1949 a progressivement été attaquée sur la scène internationale. Des pays ont en effet cherché, dans la période récente, à faire admettre par la communauté internationale que la prostitution était acceptable dans certains cas.
A l'échelon européen, si l'on peut se féliciter de la volonté commune de lutter contre ces formes renouvelées d'atteinte aux droits de l'homme, ont doit constater que les politiques actuellement à l'oeuvre ne semblent pas suffisamment efficaces.
Ainsi, la lutte contre la prostitution, parce qu'elle nécessite une coordination de différentes politiques - l'immigration, la protection des victimes ou encore la lutte contre la criminalité - est une politique difficile. De même, les approches différentes entre les Etats sur les activités de prostitution constituent des éléments de blocage vis-à-vis de nouvelles avancées.
Il me semble que, compte tenu de conceptions très différentes d'un Etat à l'autre sur le statut à accorder aux enfants ou sur la prostitution, l'adoption de mesures concrètes en ces domaines reste un véritable défi.
C'est à l'objectif de convergence dans nos approches que nous devons désormais nous attacher pour mieux faire partager notre préoccupation constante s'agissant du respect des droits de l'homme. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Fernand Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, mon propos concerne les droits de l'homme en Europe de l'Est.
Tout a déjà été dit sur l'attachement de notre pays et de nos partenaires de l'Union européenne aux valeurs fondamentales exprimées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen. Je ne reviendrai donc pas sur la légitimité de nos grands principes humanistes, que nous voulons universels.
Si la notion de respect des droits de l'homme est largement acquise dans les différents Etats d'Europe de l'Ouest, il en va différemment dans certains pays autrefois « soviétiformes » et aujourd'hui candidats à l'adhésion à l'Union européenne.
Ce débat est donc pour nous l'occasion privilégiée de renouer avec les valeurs morales et politiques de l'esprit et de la philosophie de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen.
L'échec historique de la doctrine collectiviste et de sa mise en application n'est pas dû uniquement à l'épuisement de ses ressources économiques et politiques, il est aussi dû au système, qui voulait faire coexister le progrès social et la violence et qui imposa l'oppression comme mode de vie.
Face à l'histoire tragique ces quarante dernières années dans les Balkans, la Déclaration universelle des droits de l'homme reste un des repères moraux les plus importants. Depuis quinze ans, elle est même devenue la référence incontournable en matière de droits et de dignité de l'homme.
En dehors de quelques pays de l'ancien système reconvertis en néo-démocraties - je pense à l'ex-fédération yougoslave, à l'Albanie et à la Roumanie - les hommes politiques d'Europe de l'Est ont progressivement entraîné leurs pays vers une normalisation des rapports internationaux par la signature et la ratification de toutes les conventions internationales et de tous les accords régionaux relatifs au respect des droits de l'homme et des grands principes fondamentaux. Cependant, tous ces efforts seraient vains si le cloisonnement des personnes à l'intérieur de barrières arbitraire, limitait le droit de communiquer avec le reste du monde, en particulier avec l'Occident.
Ainsi, en matière de droit à la libre circulation des personnes, la chute du mur de Berlin n'a pas toujours changé les restrictions subies par certains ressortissants d'Europe de l'Est. Certes, les droits d'un individu s'arrêtent là où commencent ceux de l'autre et chaque Etat doit défendre ses propres citoyens. Pourtant, les régimes restrictifs des visas n'entravent pas réellement les agissements mafieux du crime organisé, surtout ceux qui portent atteinte au respect de la femme et aux droits de l'enfant. En fait, ces régimes ne portent atteinte qu'aux libertés des personnes hautement qualifiées : scientifiques, artistes et étudiants.
Un haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme déclarait récemment : « Un monde dans lequel les droits économiques, sociaux et culturels sont négligés ne saurait demeurer longtemps un monde où s'épanouissent les droits civils et politiques. Les hypothèses fondamentales qui servent d'assise au régime international des droits de l'homme risquent donc de s'effondrer si l'on n'adopte pas une ligne de conduite équilibrée. » Je suis pour ma part convaincu qu'il existe une étroite corrélation entre la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels et le droit au développement et au respect des droits civils et politiques.
Mes chers collègues, la communauté internationale sait que, dans le cadre du maintien de l'ordre et de la lutte contre la grande délinquance, les pays d'Europe de l'Est sont régulièrement entachés par des actes constituant des violations des droits de l'homme. Il peut s'agir de déplacements de populations, de non-respect des minorités, d'actes de torture pratiqués sur des personnes physiques. Ces pratiques, désormais condamnées par le droit international, sont généralement dues à l'héritage de régimes autoritaires où les services de police et les méthodes utilisées pour faire appliquer la loi ne rencontraient aucune limite.
C'est pourquoi je me félicite que, ces dernières années, des séminaires aient été organisés en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie pour former les officiers de police au respect des principes fondamentaux des droits de l'homme.
Ainsi, en 1998, en Roumanie, un projet a été mis en place afin d'améliorer la prévention et la protection des victimes, de rédiger une nouvelle législation destinée à réformer le système carcéral roumain, d'octroyer des cours de formation pour la direction et le personnel des prisons, d'améliorer la formation des magistrats et du personnel auxiliaire des tribunaux, de modifier le code de procédure pénale roumain et d'établir une nouvelle législation visant à éliminer toutes les formes de discrimination.
De même, en Bulgarie, un centre d'assistance aux victimes de la torture est parvenu, dès 1995, à faire modifier la législation et le comportement de certains agents de l'Etat en prévenant la pratique de la torture et les agissements abusifs de ces agents et en fournissant une réhabilitation médicale aux personnes ayant effectivement subi la torture.
Enfin, mes chers collègues, permettez-moi d'attirer votre attention sur un problème complexe, celui des droits de l'environnement, qui sont maintenant aussi essentiels que les droits politiques et sociaux. La crise écologique que connaît le bloc de l'Est, y compris la Russie, est le théâtre de la dégradation des conditions naturelles de la vie de millions de personnes.
Durant les années du totalitarisme, peu de gens connaissaient l'état réel de l'équilibre écologique. Or les gouvernements actuels ont hérité de rivières et de lacs pollués, de mers mortes, de terres infestées par les déchets miniers et d'un air vicié par la radioactivité. La fin de ces régimes a permis la création de mouvements et d'organisations écologiques. Souvent, ces organisations ont stimulé le processus démocratique dans toute l'Europe orientale.
Une conséquence bien palpable de cette démarche est l'adoption, en 1990, au sein de la Constitution bulgare, de dispositions visant à assurer un environnement sain et à reconnaître le droit à l'information en matière d'environnement. Tenter de résoudre les problèmes environnementaux en Europe de l'Est participe ainsi et aussi au cheminement vers la démocratie.
Mais, malgré les progrès d'ensemble observés depuis quelques années en Europe de l'Est, nous devons rester lucides. Là où la communauté internationale n'a pas su ou pu trouver de solutions durables aux différents conflits interethniques et aux atteintes portées à l'intégrité de certaines minorités, dans les Balkans, en Russie même, là où la liberté d'expression et l'économie nationale sont menacées par la corruption et le crime organisé, les principes proclamés par la Déclaration des droits de l'homme sont encore bafoués.
Certes, la torture est en nette régression, mais la liberté d'expression est souvent maltraitée, des opposants sont parfois réduits au silence et, dans certains de ces pays, l'égalité entre les hommes et les femmes n'est qu'une façade.
Partout dans le monde, là où le totalitarisme survit, il est synonyme d'atteintes graves au respect de la personne humaine. Le combat pour les droits de l'être humain y est toujours d'une violente actualité.
Ce combat est aussi un combat économique, tout simplement parce que les droits civils, politiques, sociaux et économiques forment un tout indivisible.
Chacun sait que la guerre, la misère et le manque de développement sont de mauvais terreaux pour les libertés essentielles. C'est pourquoi, monsieur le ministre, notre pays aura a coeur d'aider ces pays, bien souvent de culture commune, à participer à leur épanouissement et, à terme, à leut intégration au sein de l'Union européenne. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier notre collègue Jacques Pelletier pour l'opportunité qu'il nous donne aujourd'hui de nous exprimer sur la question des droits humains. Son action continue, notamment au sein du groupe « droits de l'homme » du Sénat, est précieuse.
En préalable à mon intervention générale, je souhaite, au nom du groupe socialiste, revenir sur une question qui a surgi au coeur de l'actualité des institutions internationales ces derniers jours et que vous avez évoquée dans votre propos, monsieur Pelletier. Je veux parler de l'accession de la Libye à la présidence de la prochaine session de la commission des droits de l'homme qui se déroulera à Genève, du 17 mars au 25 avril prochains.
Pourrions-nous avoir des indications sur l'attitude que compte adopter la France lors de la prochaine session de la commission, notamment sur la stratégie concertée avec ses partenaires européens ?
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Yolande Boyer. En effet, les pays européens membres de la commission des droits de l'homme en 2003 - Autriche, Belgique, Allemagne, Irlande, Suède et Grande-Bretagne - se sont abstenus lors du vote du 20 janvier pour l'élection du président. Cette attitude nous choque. La France et ses partenaires européens comptent-ils, à cette occasion, inviter la Libye à prendre des engagements fermes en matière de droits de l'homme ? Cette commission, mécanisme important des Nations unies, reste, à ce jour, la principale instance intergouvernementale accessible aux victimes de violations de droits de l'homme. Nous devons soutenir son travail, nous devons inviter le plus grand nombre de pays qui le souhaitent à faire entendre la voix des victimes en cette occasion. La façon dont les choses se présentent est malheureusement bien inquiétante. C'est la crédibilité de l'ONU qui est en jeu.
J'en viens maintenant à l'essentiel de mon propos. Notre collègue Jacques Pelletier a ouvert par cette question un vaste champ recouvrant de nombreux textes concernant la défense et le respect des droits de l'homme. Pour ma part, je préfère d'ailleurs utiliser l'expression « droits humains », qui me semble mieux répondre à la volonté d'exprimer ces droits pour les hommes et les femmes.
Au nom du groupe socialiste je parlerai exclusivement des droits des femmes.
Parmi les atteintes majeures aux droits humains constatées de par le monde, la situation des femmes est très souvent effrayante. L'avancée des droits, parfois constatée dans certains pays, ne commence jamais par l'examen de la situation des femmes.
La plupart du temps, elles sont malheureusement les dernières à bénéficier du progrès, et ce dans tous les domaines : accès à l'école, travaux difficiles, non-accès au marché du travail, exploitation, subordination permanente, violences domestiques, non-accès aux soins. La liste est, hélas ! bien trop longue.
Les thèmes d'inquiétudes ne manquent pas. L'action menée par l'ONU pour donner une idée exacte de la situation réelle des femmes dans le monde a permis d'établir certaines statistiques, qui sont alarmantes, sur les inégalités économiques et sociales entre les femmes et les hommes. Sur 1,3 milliard d'êtres humains vivant dans la pauvreté, 70 % sont des femmes !
« L'égalité entre la femme et l'homme est une question de droits de la personne et une condition de la justice sociale, elle est aussi une condition préalable, nécessaire et fondamentale de l'égalité, du développement et de la paix. » Ces propos, tenus lors de la Conférence internationale sur la population et le développement en 1994, posent bien la problématique et l'enjeu.
J'en viens à l'état de la législation internationale. Permettez-moi de rappeler deux dates importantes.
Tout d'abord, 1945, avec l'adoption générale de la charte des Nations unies. L'égalité des femmes et des hommes est admise en tant que principe fondamental de la personne.
Ensuite, 1979 : la communauté internationale décide de tenter d'éliminer la discrimination sexuelle qui s'exerce contre les femmes en adoptant la CEDEF, la convention pour l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes.
Il s'agit du traité international le plus complet en matière de droits fondamentaux des femmes. Il établit l'obligation, légalement contraignante, de mettre fin à la discrimination. Il comptait 168 parties contractantes en 2000.
La CEDEF est considérée comme la charte internationale des droits des femmes ; elle prévoit l'égalité dans l'exercice de tous les droits : civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. La discrimination à l'égard des femmes doit être éliminée par des mesures législatives, par des politiques et des programmes et par des mesures temporaires spéciales propres à accélérer l'avènement de l'égalité entre les sexes, mesures qui sont définies comme non discriminatoires et que l'on qualifie habituellement de discriminations positives.
Les dispositions principales de cette convention sont les suivantes.
Premièrement, les Etats parties sont tenus d'éliminer toutes les formes de discrimination et d'assurer l'égalité avec les hommes dans la vie politique et dans tous les autres domaines : nationalité, éducation, emploi, santé, vie économique et sociale.
Deuxièmement, les Etats sont également tenus d'éliminer la discrimination dans le mariage et la vie familiale, et de s'assurer que la femme est l'égale de l'homme devant la loi.
Troisièmement, les Etats parties doivent également tenir compte des problèmes particuliers qui se posent aux femmes en milieu rural.
La convention est également le seul traité relatif aux droits humains à affirmer les droits des femmes en matière de procréation. En outre, elle fait obligation aux Etats parties de modifier les comportements sociaux et culturels ainsi que les conceptions stéréotypées des rôles de l'homme et de la femme, afin d'éliminer préjugés, coutumes et toutes autres pratiques fondées sur l'idée d'une supériorité ou d'une infériorité de l'un ou l'autre sexe.
Elle institue par ailleurs un organe de contrôle, le comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, qui est composé de vingt-trois experts indépendants. Le comité a pour mandat d'examiner les rapports que lui remettent les Etats parties et de faire des propositions et des recommandations d'ordre général sur la base de ces rapports. Il adresse ses suggestions à l'ensemble du système des Nations unies et ses recommandations générales aux Etats parties.
Je citerai un autre exemple de l'évolution du droit international en la matière. La Cour pénale internationale, lors d'une conférence en 1998, a ajouté à sa définition de crime de guerre un statut contre les auteurs de crimes sexuels, aux termes duquel le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée et d'autres formes de violence sexuelle constituent de « graves violations », selon les termes des conventions de Genève contre les crimes de guerre.
Ainsi, à l'heure actuelle, de nombreux textes, conventions et protocoles existent. Les principes sont très clairs, mais, du principe à la réalité, de conférence en protocole, où en est-on ?
Monsieur le ministre, quel est l'état actuel la de ratification de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ? Quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement français pour amener les pays « récalcitrants » vers une ratification prochaine ? Les conflits entraînant souvent pour les femmes des situations particulières de violation de leurs droits, quelles sont les actions envisagées par le Gouvernement pour faire progresser le droit international ? Enfin, quelle peut-être l'action de l'Union européenne ?
J'ajouterai que la France peut jouer une rôle fondamental dans le cadre de la francophonie. Plusieurs organismes, soutenus par notre pays, proposent différents programmes d'action. Les objectifs sont principalement l'amélioration du statut de la femme, la lutte contre les mutilations génitales féminines, l'intégration des femmes aux processus de développemment socio-économique.
Un objectif particulier est également poursuivi : la santé des femmes et la lutte contre le sida.
Ces actions doivent être évaluées et leur impact analysé. Quels sont les résultats de l'appel public à propositions lancé par l'Agence intergouvernementale de la francophonie en 2002 ? Quel est le montant des subventions ? Quel type de programmes et d'actions ont été choisis et quels sont les pays concernés par ces programmes ?
Au-delà des idées, au-delà des textes, au-delà des manifestations volontaristes, il y a des faits. Je souhaite ici évoquer quelques-uns de ces faits qui illustrent une situation grave.
Pour donner une note positive, je veux tout d'abord rappeler qu'au cours de cette dernières décennie la violence à l'égard des femmes a été reconnue comme une violation des droits humains. C'est un progrès, car, auparavant, la communauté internationale considérait la violence à l'égard des femmes comme une affaire privée entre individus, et non comme un problème relevant des humains et donc du domaine public, nécessitant des réponses de la part des gouvernements et de la communauté internationale. L'élimination de la violence à l'égard des femmes a d'ailleurs constitué l'un des thèmes les plus importants de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue à Pékin en 1995.
Dans de nombreux pays, les droits des femmes à disposer de leur vie sont totalement niés. Certains pays sont coutumiers d'atteintes manifestes au droit des femmes à disposer de leur corps : atteintes corporelles, mutilations y sont monnaie courante, et le contrôle de la natalité y est proscrit. Rares sont ceux qui permettent aux femmes de s'exprimer dans la société, notamment dans la vie politique.
J'ai choisi trois exemples concrets pour illustrer ces propos.
Le premier exemple concerne le droit des femmes à disposer de leur vie et à jouir de leur liberté.
Human Rights Watch, dans un récent rapport intitulé : « Nous voulons vivre comme des être humains : répression des femmes et des filles dans l'ouest de l'Afghanistan », insiste sur les mesures de restriction de plus en plus sévères imposées aux femmes et aux jeunes filles par un gouverneur local de l'ouest de l'Afghanistan qui a pourtant bénéficié d'une assistance militaire et financière des Etats-Unis.
Human Rights Watch rapporte que la situation est symptomatique de ce qui se passe à travers le pays, que les femmes et les filles sont victimes de nouvelles limitations dans plusieurs autres régions du pays, et affirme : « Beaucoup de gens en dehors du pays pensent que les femmes et les filles ont recouvré leurs droits. C'est tout simplement faux. » Et ce n'est là qu'une source parmi d'autres.
Face à ces constats, monsieur le ministre, quelles peuvent être les contributions de la France et de l'Europe à l'administration de transition afghane à Kaboul et aux institutions naissantes qui pourraient permettre de prendre des mesures urgentes en faveur de femmes d'Af-ghanistan ?
Le deuxième exemple concerne le droit des femmes à disposer de leur corps. Les mutilations génitales féminines, communément appelées excisions, qui perdurent aujourd'hui à grande échelle dans plus de vingt-cinq pays sont intolérables. Selon les chiffres de l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, plus de 130 millions de femmes et d'enfants sont victimes dans le monde de tels sévices. La plupart des pays dans lesquels ils se produisent ont pourtant ratifié les instruments internationaux existants en matière de droits humains. Monsieur le ministre, quelles sont les actions menées par la France en la matière et comment pensez-vous faire avancer ce sujet sur le plan européen ? N'oublions pas non plus qu'un certain nombre de femmes et d'enfants subissent également de telles mutilations en France !
Certaines régions du Nigeria sont malheureusement exemplaires en matière de non-respect du droit des femmes à disposer de leur corps. Je vous avais interrogé, monsieur le ministre, sur le cas d'Amina Lawal, condamnée à être lapidée. La cour a prononcé cette sentence après avoir déclaré la jeune femme coupable d'avoir eu des relations sexuelles avant le mariage, déniant ainsi aux femmes le moindre droit à contrôler leur autonomie sexuelle. Vous m'avez répondu dans le courant du mois de décembre, ce dont je vous remercie, mais je souhaiterais, à l'occasion de cette discussion, savoir si vous êtes en possession d'éléments nouveaux sur ce dossier.
La contraception et le contrôle des naissances sont également un combat sans cesse à recommencer à l'échelon international. J'appelle votre attention, monsieur le ministre, sur l'attitude adoptée par les Etats-Unis en matière d'octroi d'aides aux plannings familiaux. Le président Bush impose en effet ses propres convictions aux femmes des pays en voie de développement en interdisant l'aide du gouvernement américain aux organisations de planification familiale appuyant l'avortement. Pourtant, dans nombre de pays, les plannings aident justement à prévenir les avortements par des politiques adaptées et préservent ainsi la santé des femmes. De telles politiques obscurantistes et aveugles condamnent malheureusement un grand nombre de ces femmes.
Le troisième exemple concerne le droit des femmes à exister dans la vie publique et politique.
Je souhaite aborder un cas que vous avez vous-même évoqué, monsieur le président, et qui me tient particulièrement à coeur, celui de la sénatrice colombienne Ingrid Betancourt. C'est un témoignage très personnel, puisque je connais Ingrid Betancourt et que son combat me touche.
Jeune femme de courage dans un pays de violence en proie à la guérilla, à la corruption et au trafic de drogue, elle a osé dire, elle a osé s'opposer, elle a osé dénoncer. Elle s'est lancée dans la campagne présidentielle.
Depuis qu'elle a été enlevée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, en pleine campagne électorale, le 23 février 2002, ses proches sont sans nouvelles d'elle.
A l'occasion d'un séjour du groupe d'amitié France-Amérique du Sud du Sénat, nous avons eu l'occasion de rencontrer sa mère et sa soeur. Puis, au nom du groupe socialiste, j'ai rencontré son mari à Paris.
Les pressions internationales se multiplient. Elles ne doivent pas faiblir, car Ingrid Betancourt est devenue un symbole : elle représente les milliers d'otages de ce pays, les nombreux élus qui sont enlevés et parfois sauvagement assassinés.
S'émouvoir et dénoncer l'absence ou la carence dans la reconnaissance des droits des hommes et des femmes dans le monde met aussi inévitablement en exergue les décalages entre le droit français et le droit de certains pays auquel nos concitoyens se rendant à l'étranger peuvent se trouver confrontés, voire dont ils peuvent être les victimes.
La question du soutien de la nation à ces personnes est récurrente. Si l'information faite aux voyageurs et aux personnes résidant à l'étranger par les services du ministère des affaires étrangères est une réalité, l'assistance à ces personnes peut parfois poser question.
A titre d'exemple, ma collègue Mme Monique Cerisier-ben Guiga, sénatrice représentant les Français établis hors de France, manifestait récemment sa très vive préoccupation à l'égard de Mme Touria Tiouli, actuellement détenue à Dubaï.
Effectivement, si le respect et la préservation des relations s'imposent à notre diplomatie, il n'en demeure pas moins que l'assistance à porter à toute concitoyenne et à tout concitoyen en difficulté ne semble pas faire l'objet d'une procédure automatique. Certes, les autorités françaises ont effectué plusieurs interventions ayant abouti à la remise en liberté de l'intéressé, mais de nombreuses questions restent en suspens.
Enfin, je tiens particulièrement à ce que nous n'oubliions jamais que la possibilité de faire des remarques à nombre de pays concernant les droits humains, spécialement les droits des femmes, appelle de notre part à une action nationale exemplaire. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas.
Je m'interroge notamment sur les mesures qui sont en discussion concernant les prostituées, particulièrement étrangères. Je souhaite aussi attirer l'attention sur la situation de nombreuses femmes issues des banlieues, pour qui la liberté n'est pas toujours une réalité. Enfin, je n'oublie pas non plus les statistiques sur les violences domestiques. La France a encore des progrès à faire !
Pour conclure, je vais citer l'un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo - nous venons de célébrer le bicentenaire de sa naissance -, qui a été l'un des plus farouches défenseurs des droits humains. Ecoutons ce qu'il écrivait en 1872 à Léon Richer, rédacteur en chef de L'Avenir des femmes.
« Nous philosophes, nous contemplateurs de l'idéal social, ne nous lassons pas, continuons notre oeuvre. Etudions toutes ses faces et, avec une bonne volonté croissante, ce pathétique problème de la femme dont la solution résoudrait presque la question sociale tout entière.
« L'homme à lui seul n'est pas l'homme, l'homme plus la femme, plus l'enfant, cette créature une et triple constitue la vraie unité humaine. Toute l'organisation sociale doit découler de là. Assurer le droit de l'homme sous cette triple forme, tel doit être le but de cette providence d'en bas que nous appelons la loi. » (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je voudrais, moi aussi, remercier M. Jacques Pelletier d'avoir persévéré, il faut le dire, pour que nous puissions avoir ce débat sur les droits de l'homme.
Je centrerai mon propos sur le terrorisme et le respect de ces droits.
L'horreur perpétrée le 11 septembre 2001 a profondément marqué le monde et confirmé combien le terrorisme, apparu ce jour-là dans son expression extrême, nie la civilisation, l'humanité. Il faut absolument le combattre sans la moindre ambiguïté. Aucune cause, aucun désespoir ne peut justifier le massacre d'innocents, l'atteinte absolue à l'être humain !
Cela ne saurait cependant nous faire oublier le terreau qu'offre ce monde, où existent les potentialités pour chaque être humain de vivre décemment, mais où la majeure partie de l'humanité subit les pires souffrances, un monde de plus en plus militarisé, unipolaire, dominé par une superpuissance économique et militaire.
Face à des actes aussi ignobles que les actes terroristes - dont les auteurs, je le rappelle, ont souvent été abrités par ces mêmes pays qui les condamnent -, la force des démocraties réside dans le respect des valeurs fondamentales qu'elles se sont forgées, dans celui du droit. Elle est dans le regard qu'elles portent, en toute transparence, sur elles-mêmes et sur la marche du monde.
De nombreux textes - tant les principes fondateurs de l'ONU, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ; que les nombreuses dispositions ultérieures, comme la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discriminations raciales de 1965, le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ou encore les textes adoptés par le Conseil de l'Europe, comme la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, ou encore les nombreux protocoles additionnels ultérieurs, comme la charte des droits fondamentaux de Nice - tous ces textes demeurent des fondements sur lesquels la communauté internationale doit continuer à se reconnaître pour contribuer à bâtir un monde capable d'opposer à la barbarie non pas la vengeance, mais la justice. Sans cela, il ne peut y avoir ni stabilité politique ni progrès économique et social.
Or, sous couvert de lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis légitiment aujourd'hui pour le monde la mise en cause de pans entiers de liberté, de démocraties et de citoyenneté. Ils le font non seulement en Tchétchénie, avec la violence que l'on connaît, mais aussi partout, insidieusement. Les militants interpellés à Gênes ne sont-ils pas passibles d'être jugés pour terrorisme dans l'Italie de Berlusconi ?
La superpuissance américaine se comporte en gendarme du monde, cherche à imposer partout sa domination, « aidant » ici un pays, favorisant ailleurs tensions et conflits.
Elle s'arroge le droit de décider seule du sort des peuples, de qui peut ou non détenir des armes. Mais, quand l'amitié change de camp, elle fait la guerre aux ex-amis devenus, pour la circonstance, « Etats voyous ». C'est ainsi qu'elle a décidé de bombarder l'Afghanistan, faisant de nombreuses victimes.
En n'exigeant pas du Gouvernement israélien l'application des décisions de l'ONU, elle accroît l'humiliation, les souffrances du peuple palestinien. Ma collègue Mme Danielle Bidard-Reydet en parlera.
Aujourd'hui, les Etats-Unis veulent attaquer à nouveau l'Irak, alors que, sous la dictature sanglante de Saddam Hussein, l'embargo a aggravé la situation de plus de 20 millions d'Irakiens et que la guerre du Golfe a tué de 170 000 à 250 000 personnes.
Et 150 000 soldats sont sur le pied de guerre, prêts à déclencher un engrenage dont personne ne peut aujourd'hui prévoir les conséquences, tant pour la région que pour le monde entier.
En réalité, chacun le sait, l'enjeu véritable, c'est l'accès au deuxième plus grand champ pétrolifère du monde.
L'écrivain John Le Carré évoque un « accès de folie ». Il écrit ceci : « La réaction au 11 septembre doit dépasser les espoirs les plus fous d'Oussama : comme à l'époque de McCarthy, les droits et les libertés publiques que le monde entier envie à l'Amérique se voient systématiquement grignotés. »
Car, si les droits des peuples sont bafoués, ceux des individus le sont aussi, surtout s'ils ont le malheur d'être d'origine étrangère, donc a priori complices de « l'Axe du mal ». Le Patriot Act fait des victimes.
Les coupables des atrocités du 11 septembre doivent être recherchés, jugés, condamnés. Mais c'est le respect du droit qui donnera force et légitimité aux jugements.
C'est pourquoi j'ai soutenu les parlementaires américains engagés contre la création de tribunaux militaires d'exception pour juger les ressortissants étrangers.
Quant aux prisonniers de Guantanamo, qui comptent parmi eux un journaliste de la chaîne du Qatar, Al-Jazira, leurs conditions de détention ont provoqué une grande émotion.
Au mépris des dispositions de la convention de Genève, les Etats-Unis ont inventé pour eux seuls un nouveau statut : ni prisonniers de guerre ni prisonniers de droit commun, mais combattants illégaux. Où est alors leur droit à un procès équitable ? Et je ne compte pas les quelques centaines de détenus par l'armée américaine sur le sol afghan.
Il y aussi Zacarias Moussaoui, à propos duquel, revenant sur la décision de son prédécesseur, le gouvernement français collabore avec les autorités américaines. Pourtant, Zacarias Moussaoui risque la peine de mort, qui plus est sur le fondement d'une intention de tuer et non d'un passage à l'acte. Le condamner à mort dans ces conditions constituerait un dangereux précédent. D'autant qu'il est aujourd'hui question qu'il soit jugé par un tribunal militaire, à huis clos.
Ainsi, le combat pour les droits de l'homme est partout plus actuel que jamais.
Alors, quand, ici même en France, de bons esprits, et jusqu'à un ministre de la République, fustigent le « droit-de-l'hommisme », expression créée par l'extrême droite, permettez-moi d'être inquiète.
Il est plus que jamais nécessaire de favoriser le « vivre ensemble », dans le monde comme dans nos villes ou dans nos quartiers. Tout ce qui divise le rejet de l'étranger ou de l'autre, ne peut qu'alimenter les tensions.
C'est pourquoi les dispositions stigmatisantes du projet de loi pour la sécurité intérieure sont inquiétantes, comme le sont les annonces faites par M. Sarkozy en matière de droit d'asile. Les autorités rendront-elles compte des deux morts de Roissy ? La logique à l'oeuvre ne manquera pas de peser sur notre rapport avec les citoyens issus de l'immigration.
Il est pourtant dans les valeurs, dans les traditions de notre pays d'être une terre de dialogue entre les peuples.
Permettez-moi, pour finir, de citer Irène Khan, secrétaire générale d'Amnesty International : « Les droits humains ne doivent pas être sacrifiés sur l'autel de la sécurité. »
Notre pays se réclame souvent de son histoire de patrie des droits de l'homme. Nombreux sont ceux qui, dans le monde, veulent continuer à compter sur la France pour faire prévaloir le droit sur la force et pour défendre leurs libertés.
Pour assumer et mériter cette confiance, il est de notre devoir de faire prévaloir la logique du droit dans notre propre pays. C'est la raison pour laquelle le groupe CRC s'oppose avec détermination à l'orientation de plus en plus sécuritaire de la politique actuelle. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier M. Jacques Pelletier d'avoir pris cette heureuse initiative. Je sais combien il est sensible à toutes ces questions relatives aux droits de l'homme, une sensibilité que partagent tous les membres de la Haute Assemblée ; les propos tenus par les orateurs qui m'ont précédé en portent témoignage.
Je tiens également à vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir accepté que cette question orale avec débat soit inscrite à l'ordre du jour de nos travaux de ce matin.
Intervenant notamment au nom de mon collègue Louis de Broissia, président du groupe d'amitié France-Tibet, je vous rappelle que le Tibet connaît, depuis des décennies, une situation particulièrement difficile.
Le groupe sénatorial d'information sur le Tibet, que je représente aujourd'hui en tant que vice-président, est ravi de pouvoir interroger aujourd'hui le Gouvernement sur la situation actuelle du Tibet, en particulier sur la politique que conduit la France à l'égard de ce pays et de ce peuple.
Avant de vous interroger, monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler à la Haute Assemblée la situation du Tibet et de son peuple.
Depuis l'invasion chinoise de 1950, c'est-à-dire depuis plus de cinquante ans, le Tibet vit sous l'oppression visible de la Chine, qui mène une politique de sinisation particulièrement violente à l'égard des Tibétains, sous le couvert d'une lutte contre des forces féodales ou religieuses.
La répression chinoise s'est accentuée en 1959 consécutivement au soulèvement national du peuple tibétain et au départ en exil du Dalaï Lama. Depuis cette date, le gouvernement tibétain en exil estime à plus de 1 million - sur un total de 6 millions - le nombre de Tibétains morts directement ou indirectement des suites de l'occupation chinoise.
La politique chinoise au Tibet, consiste à faire disparaître une culture, une religion, une nation tout entière. Les violations constantes des droits fondamentaux de la personne humaine, la migration massive de colons chinois - qui sont majoritaires au Tibet, puisqu'ils sont aujourd'hui entre 8 et 9 millions -, les politiques coercitives de contrôle démographiques - l'avortement et la stérilisation forcées -, la sinisation de l'enseignement, la destruction du patrimoine culturel, l'interdiction de pratiquer la religion bouddhique, les attaques répétées à l'encontre de l'autorité spirituelle du Dalaï Lama - prix Nobel de la paix en 1989, je le rappelle -, les atteintes contre l'environnement, sont autant de griefs que l'on peut opposer aux autorités chinoises.
A cet égard, la commission internationale de juristes, organisation non gouvernementale basée à Genève, a publié trois rapports sur le Tibet. Dans le dernier, elle constate que la répression a augmenté tout particulièrement depuis les années quatre-vingt-dix, que la torture des détenus s'est généralisée et que la liberté d'expression est sévèrement limitée.
Combien de prisonniers politiques, en grande majorité des moines et des nonnes, condamnés lourdement et torturés, sont-ils emprisonnés dans les prisons chinoises au Tibet pour avoir voulu pratiquer leur religion et refuser de dénigrer leur chef spirituel ?
La violation des droits de l'homme et l'aggravation inquiétante de la situation sont telles que les Tibétains comparent cette période à une seconde « révolution culturelle ».
Nous respectons la République populaire de Chine. C'est pourquoi, au sein des groupes parlementaires consacrés au Tibet, nous lui demandons d'agir en tant que telle et de cesser cette politique inacceptable à l'égard d'un peuple éminemment pacifique, politique qui n'est pas digne de ce grand pays. Telle est la mission des parlementaires engagés en faveur de cette cause.
Ainsi souhaitons-nous contribuer à faire connaître la cause tibétaine au Parlement - dans ses aspects tant territorial et national qu'humain et spirituel trop souvent occultés en raison d'impératifs économiques, il faut bien l'avouer, monsieur le ministre -, mais aussi à alerter les pouvoirs publics chaque fois que les intérêts et les libertés du Tibet sont visiblement menacés, à soutenir les projets qui oeuvrent réellement en faveur du développement économique et culturel et du respect de la liberté religieuse et politique du Tibet.
Notre engagement en faveur du peuple tibétain est marqué par notre volonté que se noue rapidement un dialogue ouvert entre les autorités chinoises et les représentants du Dalaï Lama.
L'action des parlementaires français est accompagnée, sur le plan européen, par nombre de groupes parlementaires, notamment par l'intergroupe Tibet constitué au sein du Parlement européen, avec lequel nous partageons une communauté de vues sur les actions à mener auprès des autorités de nos pays respectifs, des institutions européennes et de la communauté internationale.
L'intergroupe Tibet a permis l'adoption au Parlement européen de plusieurs résolutions, dont celle du 11 avril 2002 qui, après l'instauration du poste de coordinateur spécial pour le Tibet aux Etats-Unis, a pour objet la désignation spécifique d'un représentant de l'Union européenne, et celle du 6 juillet 2002 exprimant notre voeu que, si des négociations n'étaient pas ouvertes rapidement entre les autorités chinoises et les représentants du Dalaï Lama, le gouvernement tibétain en exil soit officiellement reconnu par les gouvernements de l'Union européenne.
Permettez-moi de vous rappeler que ce gouvernement, élu par les représentants de l'Assemblée des députés du peuple tibétain a été voulu par le Dalaï Lama, qui souhaite poursuivre la démocratisation de la politique tibétaine.
Monsieur le ministre, nous voulons non seulement incriminer la Chine, mais également mettre en cause le silence des nations à ce sujet. Cependant, notre message est clair : la République populaire de Chine doit cesser ces violations répétées aux droits de l'homme si elle veut tenir sa place au sein de la communauté internationale. Nous ne demandons pas l'indépendance pour le Tibet, mais nous soutenons les demandes du Dalaï Lama qui, conformément au principe fondamental du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, prône le droit à l'autodétermination pour les Tibétains et réclame l'autonomie du Tibet.
La Chine doit faire des gestes pour prouver à la communauté internationale sa volonté de faire évoluer sa politique au Tibet. La visite d'une délégation de représentants du Dalaï Lama en Chine, la récente libération de cette jeune nonne, Ngawang Sangdrol, torturée pendant de nombreuses années dans les geôles chinoises au Tibet et qui se trouve aujourd'hui dans un état de santé préoccupant, étaient encore récemment, sans aucun doute, des signes, timides mais encourageants.
Saluant ces avancées, le gouvernement tibétain en exil avait demandé aux associations qui militent à travers le monde de ne plus prendre à partie la Chine, afin de contribuer à détendre le climat politique.
Malheureusement, la Chine n'a pas poursuivi dans cette voie. En effet, nous avons appris, à la fin de l'année 2002, la condamnation à mort de deux religieux tibétains en faveur desquels les groupes parlementaires européens sont intervenus. Nous attendons,, d'ailleurs avec impatience des informations sur leur situation. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous en donner.
Ainsi, les différents témoignages que nous avons obtenus dans nos enceintes parlementaires et les documentaires que nous avons visionnés sont concordants pour dénoncer l'attitude coercitive de la politique chinoise au Tibet : détentions abusives - permettez-moi d'avoir ici une pensée pour ce jeune dignitaire de treize ans, le Panchen Lama, retenu depuis près de sept ans avec sa famille dans un lieu tenu secret -, tortures, interdiction de s'exprimer librement, interdiction d'exercer une pratique religieuse, destruction quasi systématique des monastères, et j'en passe.
La France et la communauté internationale ne peuvent accepter qu'un partenaire incontournable comme la Chine persiste dans une politique qu'elles ne cessent de dénoncer avec force.
Face à cette situation dramatique, la France et l'Union européenne privilégient la voie dite du « dialogue critique » avec Pékin, méthode qui, aujourd'hui, a montré ses limites en ne donnant que peu de résultats.
Si, à l'évidence, cette politique ne doit pas être abandonnée, il convient d'examiner d'autres voies. Dans ce domaine, la France a un rôle important à jouer au sein même des instances internationales pour mettre la Chine devant ses responsabilités au regard du respect des droits de l'homme au Tibet.
La France et l'Union européenne doivent continuer à apporter leur soutien, afin de faciliter l'ouverture de négociations entre les autorités chinoises et le Dalaï Lama.
Je sais, monsieur le ministre, que notre pays est attentif à la situation du Tibet et de son peuple. Aussi pourriez-vous nous indiquer la position française sur la question tibétaine et les intentions du Gouvernement pour qu'enfin un véritable dialogue puisse s'établir entre les parties en présence.
Quelles initiatives avez-vous l'intention de prendre, au niveau tant européen qu'international, afin de sensibiliser nos partenaires à agir au-delà d'un dialogue critique sans lendemain avec la Chine ?
Le peuple tibétain devra-t-il encore, et pour combien de temps, rester un peuple sacrifié ? A quand la reconnaissance du gouvernement tibétain en exil par l'Union européenne ?
Monsieur le ministre, la France et les Tibétains vous écoutent. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la Seconde Guerre mondiale et les atrocités subies par des millions d'êtres humains, la communauté internationale a voulu empêcher à tout jamais le renouvellement d'une telle barbarie. Elle a fait sienne l'analyse visionnaire de Henri Lacordaire, prédicateur à Notre-Dame, qui déclarait, dans les années 1830 : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »
Une série de textes a complété la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclamée au xviiie siècle. Aujourd'hui, le problème réside dans leur non-application, et la situation au Moyen-Orient en est l'illustration.
En novembre 1947, la résolution 181 de l'ONU disposait : « Le mandat pour la Palestine prendra fin le 1er août 1948 au plus tard (...). Les Etats indépendants arabe et juif commenceront d'exister. » L'Etat d'Israël a été proclamé dès mai 1948 ; l'Etat palestinien n'existe toujours pas.
En décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme était adoptée et définissait, dans ses trente articles, les droits civiques, politiques et sociaux.
En août 1949, dans ses 159 articles, la IVe Convention de Genève s'attachait à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
En novembre 1967, la résolution 242 de l'ONU exigeait « le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ». Après l'espoir d'un règlement politique défini à Oslo en 1993, la situation s'est considérablement détériorée. L'armée israélienne continue d'occuper les territoires palestiniens, l'extension des colonies n'a jamais cessé et, depuis peu, un mur de séparation entre Israéliens et Palestiniens est en cours de construction. Le président de l'Autorité palestinienne est prisonnier dans son propre pays.
Une mission de la commission des affaires étrangères du Sénat s'est rendue sur place en mars 2002 et a constaté que les droits de l'homme ne sont plus respectés.
Le droit de circulation est annulé par les bouclages systématiques, les check-points, les couvre-feux.
Le droit de propriété est bafoué par les expropriations, les destructions de maisons, l'arrachage des agrumes et des oliviers.
Les droits à l'éducation, à la santé et au travail sont devenus quasi inexistants. Le chômage frappe de 50 % à 80 % des Palestiniens ; la moitié d'entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté ; beaucoup d'enfants sont atteints de malnutrition.
Devant ce constat, où toute reprise du dialogue direct semblait plus éloignée que jamais, la commission concluait à l'urgence d'un engagement international pour dépasser ce blocage. Elle proposait la convocation d'une conférence internationale, ainsi qu'une présence d'observation, d'interposition ou de sécurisation. Rien n'a été concrétisé.
Aujourd'hui, la spirale des violences quotidiennes touche toutes les familles israéliennes et palestiniennes.
Si le peuple palestinien, spolié, meurtri, continue, dans sa majorité, à espérer l'application du droit international, le peuple israélien vit dans la crainte et la peur d'attentats imprévisibles. Le peuple israélien est conscient que son système politique, en se militarisant à l'extrême, risque de fragiliser ses valeurs sociales et démocratiques et de mettre en cause sa démarche d'humanité ; dans sa majorité, il aspire à un règlement politique.
L'avenir d'Israël ne peut être sécurisé et conforté que dans un environnement apaisé et moyennant l'établissement de rapports de partenariat avec ses voisins, notamment l'Etat palestinien. La communauté internationale a l'ardente obligation d'inciter à ce dénouement, en faisant respecter les engagements qui ont été souscrits.
L'Union européenne, par son histoire et les liens qui l'attachent au Moyen-Orient, peut jouer un rôle essentiel. Pour cela, il lui faut être crédible en se faisant respecter. Ayant des devoirs de solidarité et de coopération avec les peuples de la région, l'Union a aussi des droits : droit de vérifier l'utilisation des fonds versés, droit de réagir quand les infrastructures qu'elle a financées sont systématiquement détruites, droit pour ses délégations d'être traitées avec considération, droit de faire appliquer toutes les clauses des accords qu'elle a conclus.
Dans une résolution adoptée le 10 avril 2002, le Parlement européen, constatant la tragédie humaine vécue par les Israéliens et par les Palestiniens, appuyant les résolutions du Conseil de sécurité, a demandé à la Commission et au Conseil européens de suspendre l'accord d'association entre l'Union et Israël.
Ce vote majoritaire était un signal d'alarme devant le non-respect, par le gouvernement israélien, des engagements internationaux pris en matière de droits de l'homme. A ce jour, rien n'est encore décidé.
Pour se faire respecter et arrêter l'engrenage infernal, l'Union européenne ne peut plus rester silencieuse. Elle doit avoir le courage politique d'appliquer ses propres décisions. C'est une question de morale, une question de justice. Nous souhaitons que le Gouvernement fasse sienne cette démarche.
Aujourd'hui, on assiste, sur le plan international, à un véritable bras de fer historique opposant deux conceptions : l'une repose sur le respect des règles établies par l'ensemble de la communauté internationale sur la valeur des droits des êtres humains ; l'autre repose sur l'emploi de la force au service des intérêts particuliers d'un pays qui se veut hégémonique. Cela concerne l'Irak, mais aussi le Proche-Orient.
Les communistes veulent soutenir de toutes leurs forces le respect du droit international, seule voie pour établir des relations civilisées entre les pays, seule voie pour construire la paix, le développement et la coopération. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut en effet féliciter notre collègue Jacques Pelletier de son heureuse initiative. Cependant, en organisant la discussion de cette question orale, nous prenons aujourd'hui collectivement le risque de nous livrer ici à un débat sans portée concrète, sur des valeurs auxquelles nous sommes pourtant profondément attachés et alors même que l'actualité des problèmes évoqués est brûlante. Nous pourrions donner l'impression ainsi de nous exonérer un peu facilement, au nom des grands principes, d'une action qui est finalement de la responsabilité et des parlementaires et du Gouvernement. Or notre pays est l'un des grands acteurs de la vie internationale.
L'exercice présent nous conduira évidemment à passer en revue les situations respectives de toute une série d'Etats de la planète. Cela ne doit pas pour autant nous pousser au scepticisme ou à la démission, et nous devons, au contraire, y trouver l'occasion d'exprimer la volonté farouche de voir notre pays intervenir concrètement pour mettre un terme à des abus.
J'évoquerai maintenant un sujet qui m'est cher, et je sais, monsieur le ministre, que vous partagez ma préoccupation.
Il y a moins de deux ans, l'assemblée parlementaire de la francophonie avait organisé, à Québec, le premier « Parlement des jeunes de la francophonie ». Nous avions tenu, à cette occasion, à avoir parmi nous un invité exceptionnel, un témoin, un grand écrivain ivoirien : je veux parler de M. Ahmadou Kourouma.
Dans son dernier livre, Allah n'est pas obligé, qui est une dénonciation du recours aux enfants soldats, l'auteur décrit, sans les nommer, la situation dans deux pays d'Afrique qui venaient alors d'être ravagés par une guerre civile inexpiable : la Sierra Leone et le Liberia. M. Ahmadou Kourouma n'avait pas imaginé que ces horreurs, ce recours à des enfants soldats, risquait, quelque temps plus tard, d'affecter son propre pays.
Certaines informations laissent en effet à penser que les parties en présence dans le drame ivoirien sont tentées également de mobiliser des enfants au service de leur cause.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il doit être, dit, en ce moment et ici, que de telles pratiques sont intolérables. La France, qui fait actuellement un effort exemplaire - et nécessaire - pour aider à la résolution du conflit ivoirien, ne pourrait pas considérer comme partenaires ou comme susceptibles de participer au rétablissement d'un Etat de droit en Côte d'Ivoire des acteurs politiques qui se seraient laisser aller à mobiliser les enfants de leur propre pays au service de leur cause.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jacques Legendre. Il n'y a sans doute pas de crime plus grand que celui de salir l'enfance en la mettant au service des armes. On sait comment cela se passe ; on sait que cet embrigadement s'accompagne du recours à la drogue, du recours au meurtre auquel on pousse ces enfants pour rendre leur engagement irréversible et inéluctable. Voilà qui est totalement insupportable et qui doit être considéré comme un crime de guerre.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez nous rappeler la position de la France sur ce point et nous préciser de quelles inculpations relèveraient éventuellement ceux qui recourraient à de telles méthodes.
Je m'inquiétais à l'instant de la situation en Côte d'Ivoire, mais on sait malheureusement que de telles méthodes ont eu cours et ont cours encore dans d'autres pays, et pas seulement sur le continent africain.
Alors, pensons plutôt à ce que signifient les droits des enfants, non seulement leur protection concrète contre l'embrigadement dans des forces militaires ou paramilitaires, bien sûr, mais aussi, plus simplement, leur droit à la santé, leur droit à l'éducation, autrement dit leur droit à la vie.
Des assises consacrées précisément à la situation des systèmes éducatifs africains devaient se tenir en Côte d'Ivoire. Les événements ont fait - on le comprend - qu'elles n'ont pas pu avoir lieu à Abidjan comme prévu. Il faut souhaiter que, sur ce point, notre pays puisse participer avec les pays africains à la restauration de systèmes éducatifs qui connaissent actuellement de graves difficultés. Qu'y a-t-il, en effet, de plus important que de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer aux jeunes de la planète la possibilité d'accéder au moins à une éducation de base ? On sait l'importance que, pour ma part, j'attache à la francophonie, et nous sommes ici nombreux à partager cet attachement. Mais qu'est-ce que la francophonie sinon la possibilité d'apprendre non seulement le français, mais également sa langue maternelle, de recevoir une éducation dans la langue de son pays, dans chaque pays du monde ? Qu'est-ce que la francophonie sinon le respect des valeurs humanistes fondamentales auxquelles la France a attaché son nom et auxquelles elle tient.
Si nous voulons éviter l'accusation d'hypocrisie, il nous faut veiller à ce que, dans cet univers francophone, notre pays soit engagé, et très concrètement, au service de ces valeurs auxquelles nous tenons pour nos propres enfants, dans notre propre pays.
J'ajoute après d'autres, monsieur le ministre, que nous attachons également beaucoup d'importance à une action concrète au service de la promotion de la femme. Au sein de l'assemblée parlementaire de la francophonie vient de se constituer un réseau des femmes parlementaires leur permettant de se concerter. Il s'agit, bien sûr, pour elles de faire progresser la participation des femmes aux décisions et au pouvoir dans leur pays, ce qui est, certes, très important, mais aussi, et surtout, de promouvoir, avant même cette participation au pouvoir, la simple possibilité pour de nombreuses femmes de par le monde de faire respecter leurs droits de citoyennes.
J'espère que ce réseau de femmes parlementaires pourra pleinement jouer son rôle. Sa première réunion se tiendra au début du mois de mars à Ouagadougou, au Burkina Faso. Nous savons que cette initiative a rencontré un écho très favorable en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest.
Je pourrais bien sûr évoquer d'autres sujets. Qu'il me suffise d'espérer que ce débat, aujourd'hui, aura montré combien nous sommes résolus à prendre une part active à la concrétisation des idéaux qui sont les nôtres. C'est ainsi que notre discussion aura connu toute son utilité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean Faure.
M. Jean Faure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, permettez-moi d'adresser des remerciements et des félicitations et de formuler un regret.
Je remercie notre ami Jacques Pelletier d'avoir permis la discussion de cette question orale avec débat, sur un sujet si important. Quant à vous, monsieur le ministre, je vous félicite : vous savez quelle estime je vous porte et quelles qualités vous avez, à mes yeux, pour occuper les fonctions que le Gouvernement vous a confiées. Enfin, je regrette de constater que, même si nos rangs se sont un peu étoffés au cours de la matinée, un sujet aussi important n'ait pu intéresser que si peu de participants.
En effet, notre assemblée a trop rarement l'occasion d'aborder de façon approfondie ces questions essentielles des droits de l'homme, des droits des femmes, et des enfants, bien sûr, du droit au développement, du droit à l'éducation, du droit à l'environnement, des droits politiques démocratiques, du droit à une justice impartiale, de la peine de mort, de la torture, de la condition des prisonniers.
Il est vrai que, l'actualité nationale et internationale étant très chargée, nous n'avons que peu de temps pour évoquer la situation de certains pays du monde et pour nous interroger sur ce que pourrait faire la France pour y faire progresser le respect des droits de l'homme.
Ce débat en est aujourd'hui l'occasion et, personnellement, je m'en réjouis, car il s'agit là de sujets qui me tiennent, comme à vous tous, particulièrement à coeur.
J'interviens avant tout en tant que président du groupe interparlementaire France-Madagascar et pays de l'océan Indien. Ce groupe, que j'ai fondé au sein de notre assemblée il y a près de dix-huit ans, rassemble un nombre important de nos collègues qui suivent, comme moi, avec beaucoup d'attention l'évolution des pays de la zone.
Or l'année 2002 a été fertile en événements, là-bas comme dans beaucoup d'autres zones d'Afrique. Cependant, à l'inverse d'autres régions, on peut dire que, globalement, les choses y évoluent bien. Je voudrais donc, monsieur le ministre, faire le point avec vous sur la situation de ces pays au regard de la démocratie et des droits de l'homme, puis évoquer un thème qui me paraît très important aujourd'hui, celui de l'implantation et du respect de l'Etat de droit.
Je sais, monsieur le ministre, que vous étiez au Kenya au début de la semaine. Ce pays vient de porter à sa tête un nouveau président, M. Mwai Kibaki, dans des conditions exemplaires. Tous les observateurs présents sur place ont souligné le caractère pacifique, libre et équitable des élections présidentielles et législatives qui ont eu lieu il y a quelques semaines.
Cette alternance politique réussie par le Kenya, qui est la condition d'une démocratie solide et durable, doit être soulignée comme un point très positif dans l'évolution actuelle du continent africain. Il faut notamment évoquer le sens des responsabilités dont ont fait preuve tant le peuple kenyan que les autres acteurs de la vie politique locale, faisant taire, une fois de plus, les commentaires et démentant les prévisions pessimistes de nombreux analystes de nos pays, qui semblent se complaire dans la description d'une Afrique condamnée à avancer sur la voie d'échecs inéluctables. Or, bien au contraire, cette réussite kenyane va renforcer le poids de ce pays dans la région et lui permettre, plus que jamais, d'apporter son appui aux forces de paix et de réconciliation, si nécessaires dans cette partie du monde. Elle va également nous inciter à accroître notre coopération, pour le bénéfice de tous.
Je pense en particulier au rôle important qu'ont joué le président sortant, M. Daniel Arap Moi, et son candidat malheureux de la KANU, la Kenya african national union, le parti dominant depuis l'indépendance du Kenya.
Au Mozambique, un pays résolument entré sur le chemin de la réconciliation, la volonté de démocratisation et d'ouverture permet de préparer dans un bon esprit les prochaines échéances électorales, les municipales en 2003 et les élections générales - présidentielle et législatives - en 2004. La volonté exprimée par le président Chissano de se retirer en 2004 témoigne du souci de préparer dans de bonnes conditions l'alternance politique ; il y a là une décision sage et courageuse, marquée par l'expérience qui est celle du président Chissano au service de son pays.
En Tanzanie aussi, les échéances électorales de l'année 2003 devraient voir le processus de démocratisation progresser.
Aux Comores, après des années très agitées, l'année 2002 a vu le processus de réconciliation nationale franchir une importante étape avec l'élection du président de l'Union des Comores. La situation n'est certes pas encore totalement acquise, mais les élections législatives devraient suivre. Elles seront essentielles pour tourner la page et permettre à l'archipel de revenir sur la voie du développement économique et social.
A Madagascar, enfin, 2002 aura également été une année d'alternance, une alternance, au final, réussie, mais non sans mal, comme je voudrais le rappeler en quelques mots.
Si le peuple malgache a montré une grande maturité lors de l'élection présidentielle de décembre 2001 - je rappelle que des millions de personnes ont défilé dans les rues de Tananarive sans incident notoire, pendant des mois -, il n'en a pas été de même de la part du pouvoir sortant et des diverses autorités alors en place. Toutes les vieilles « recettes » ont été utilisées : intimidations, menaces, manipulations, corruption, fausse propagande, campagnes de diffamation, utilisation indue de la force, mobilisation de réseaux à l'étranger, jusqu'au recours à une bande de mercenaires, qui sévissent, hélas ! aujourd'hui encore, ailleurs sur le continent.
Je tiens à préciser que, si de nombreuses victimes ont été à déplorer dans cette période, c'est uniquement en raison de la famine consécutive au blocus imposé à la capitale, et non à cause d'affrontements intervenus entre la population et l'armée.
Fort heureusement, le calme, la patience et la responsabilité de l'immense majorité du peuple malgache et de la nouvelle classe dirigeante ont permis une résolution pacifique mais au terme d'une crise de huit mois qui a dévasté une économie tout juste renaissante et enfoncé encore plus loin dans la misère un pays qui, plus que tout, espérait le changement.
Les élections législatives du 15 décembre dernier ont permis d'asseoir définitivement et sans aucune ambiguïté le pouvoir du président Marc Ravalomanana et de son gouvernement, mené par le Premier ministre Jacques Sylla. Il me semble que c'est une grande leçon pour nous, qui sommes enclins à en donner et je rappelle à ce propos la formule de Léopold Senghor : « La France, si prompte à dire le droit chemin, mais si habile à emprunter les sentiers tortueux ! »(Sourires.)
M. Emmanuel Hamel. Choisissez d'autres citations !
M. Jean Faure. C'est une phrase dure pour nous,...
M. Robert Bret. Mais elle est réaliste !
M. Jean Faure. ... mais la sagesse qu'a manifestée le peuple malgache dans ses choix et dans sa compréhension de la démocratie mérite d'être soulignée. (M. Jacques Peyrat marque son approbation.)
Après des décennies de mauvaise gouvernance, Madagascar est désormais confronté à une tâche immense : reconstruire un véritable Etat de droit. En effet, au-delà de la mise en place de programmes prioritaires en faveur de l'éducation et de la santé ou de la remise en état de nombreuses infrastructures de base, il s'agit aujourd'hui de lever tous les obstacles au redémarrage durable de l'activité économique, à l'arrivée d'investisseurs - je souligne à cet égard l'organisation, le 27 février prochain, au Sénat, d'une journée destinée aux investisseurs français - et à l'amorce - enfin ! - d'un véritable développement économique et social de l'île.
Comme vous le savez, les richesses naturelles et humaines de Madagascar sont grandes. Elles ont d'ailleurs fait l'objet de nombreuses convoitises au cours de ces dernières années, mais elles ont été plutôt pillées ou indûment exploitées que valorisées et développées : il faut inverser cette tendance. Beaucoup sont prêts à y contribuer, à commencer par nos 25 000 compatriotes qui habitent la Grande Ile, mais aussi de très nombreux Malgaches. Ils ont néanmoins tous besoin d'un cadre juridique solide, ce qui suppose l'existence de lois claires et stables, applicables à tous dans les mêmes conditions et appliquées de façon juste, égale et impartiale.
Le slogan adopté il y a un mois par la commission nationale malgache des droits de l'homme, à l'occasion du cinquante-quatrième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme - « le bon citoyen et le droit pour tous » -, traduit parfaitement cette préoccupation.
Pour atteindre cet objectif, il faut instaurer une plus grande transparence dans les procédures institutionnelles et administratives, entamer une lutte sans merci contre la corruption, favoriser une revalorisation de la justice, qui doit devenir réellement indépendante. Je rappelle que la corruption et le manque de justice sont aujourd'hui de véritables gangrènes pour l'appareil administratif de l'Etat malgache.
Il faut s'engager dans une remise à plat de tous les textes, notamment de ceux qui concernent le droit des affaires. Il faut rétablir la confiance du peuple, des acteurs économiques et des investisseurs dans l'Etat malgache et dans ses divers intervenants, à tous les échelons du pouvoir.
Cela suppose bien évidemment une très forte volonté politique, mais également des moyens matériels et financiers.
Tant le président, Marc Ravalomanana, que le Premier ministre, Jacques Sylla, ont manifesté leur profond désir de susciter ces changements à Madagascar, et ce rapidement.
Les institutions internationales ont entendu cet appel ; mais nous, Français, avons une responsabilité particulière, d'abord pour des raisons historiques, mais aussi dans la mesure où nous sommes, depuis longtemps, le premier bailleur de fonds de la Grande Ile. Il est donc essentiel que nous, parlementaires, mais vous aussi, monsieur le ministre, et le Gouvernement tout entier, soyons très présents pour encourager ce processus d'établissement de l'Etat de droit et que nous y consacrions les moyens nécessaires.
Madagascar est l'exemple que je choisis pour illustrer cette dimension particulière des droits de l'homme qu'est le respect de la primauté du droit. Mais il s'agit naturellement d'une priorité à mettre en oeuvre dans tous les pays, notamment sur le continent africain, car seul l'établissement d'un véritable Etat de droit, avec un ordre juridique clair et stable, une justice indépendante et impartiale, des forces de l'ordre compétentes et loyales, une administration honnête et transparente, peut permettre tant un développement économique durable que la défense de tous les autres droits de l'homme.
Monsieur le ministre, je sais que vous partagez avec moi cette idée que la construction d'un Etat de droit est une priorité dans le combat pour les droits de l'homme. Il me semble en effet que c'est le seul moyen d'asseoir véritablement la démocratie dans un pays, objectif dont nous nous réclamons tous depuis maintenant de nombreuses années mais qui manque encore souvent de traductions ou d'engagements concrets.
Pouvez-vous nous indiquer dans quelle mesure cette question est également une priorité pour votre ministère et quels sont les moyens que vous y consacrerez ? Pouvez-vous nous donner des exemples de projets concrets et de réussites ? Quels efforts consentons-nous pour défendre cet objectif dans les enceintes internationales ? Quelle y est notre position ? Comment nous situons-nous par rapport à nos partenaires européens ?
La France, je le rappelle, est le premier contributeur européen en termes d'aide et de coopération ; sommes-nous aussi influents que notre générosité financière nous permettrait de l'être, notamment sur ces questions ?
Enfin, qu'envisagez-vous plus spécifiquement pour Madagascar, monsieur le ministre ? Il y a urgence à aider la Grande Ile !
Vous connaissez, mes chers collègues, mon engagement en faveur de ce pays : j'y assure une présence constante depuis dix-huit ans, et j'apporte un appui sans faille au nouveau pouvoir, en particulier au président Ravalomanana, porteur d'un immense espoir pour les populations.
Nous ne pouvons plus perdre de temps. Allons-nous apporter un soutien significatif et rapide à la remise en ordre de la justice et de la police de ce pays, à la remise à plat de ses textes, seuls moyens d'encourager son développement durable et de montrer à nos compatriotes installés là-bas que nous ne les oublions pas ?
Pour sa part, le Sénat est prêt à apporter sa contribution, dans le cadre de ses compétences. En tant que président de la délégation à la coopération décentralisée, j'y veillerai personnellement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviendrai en tant que sénateur, mais aussi en tant que président exécutif du groupe français de l'Union interparlementaire - mon autre casquette - c'est-à-dire en votre nom, mes chers collègues.
La question des droits de l'homme est aussi au coeur de l'activité parlementaire : le Parlement incarne ce droit fondamental de chacun de participer à la conduite des affaires politiques. L'existence même du Parlement représente l'exercice par excellence d'un des droits de l'homme.
Notre responsabilité est grande puisque, en tant que législateurs, nous sommes les garants des droits de ceux qui nous ont élus. Par les lois que nous élaborons, mais aussi par le contrôle que nous exerçons, nous avons le devoir de les promouvoir et de les protéger.
S'agissant de la défense des droits de l'homme dans une perspective internationale, le Sénat, de par la mission que lui impartit l'article 24 de la Constitution de représentant des Français établis hors de France, a un champ d'action naturel ; mais, au-delà de la représentation de nos compatriotes qui portent l'image de la France à l'étranger, je tiens à souligner d'autres dimensions de l'action internationale de notre Parlement pour la défense des droits de l'homme.
Je citerai tout d'abord notre engagement au sein de l'Union interparlementaire, l'UIP, dont il faut rappeler qu'elle est la doyenne des organisations internationales puisqu'elle fut cofondée en 1889, par un parlementaire français - certains l'ont oublié -, Frédéric Passy, qui reçut le prix Nobel de la paix.
L'article 1er des statuts de l'Union interparlementaire dispose qu'elle doit contribuer « à la défense et à la promotion des droits de la personne, qui ont une portée universelle et dont le respect est un facteur essentiel de la démocratie parlementaire et du développement ». C'était prémonitoire !
C'est dans cette perspective que le groupe français de l'UIP, fort de cent parlementaires - députés et sénateurs -, participe activement aux travaux de l'Union.
Cette dernière a une gamme d'activités très large, à la mesure des préoccupations de ses membres, les parlements. Ayant, bien entendu, tendance à privilégier les questions qui préoccupent davantage les élus du peuple ou qui leur sont familières, elle a ainsi porté un intérêt soutenu à de nombreux aspects des droits civils et politiques, qui sont des éléments essentiels de la démocratie.
Tout en indiquant que, loin de nous borner à veiller au respect des droits civils et politiques, nous portons un intérêt naturel et particulier aux droits économiques, sociaux et culturels, je mettrai l'accent sur deux sujets fondamentaux : le droit des minorités et l'égalité entre les hommes et les femmes.
Le respect du droit des minorités, c'est bien évidemment, tout d'abord, le droit de l'opposition au sein de nos assemblées ; mais c'est surtout la question de la représentation institutionnelle de la diversité nationale.
Dans un certain nombre de pays à l'histoire récente, qui peinent à se constituer en nations, où les frontières ont été définies de manière artificielle, ou encore dans lesquels les populations d'origine ne se sont vu reconnaître des droits que de manière récente, le respect des minorités est une question vitale dont l'occultation entraîne fréquemment des conflits sanglants ou des guérillas interminables.
La représentation des minorités donne bien évidemment la possibilité d'exprimer pacifiquement les oppositions et de contribuer à résoudre les conflits. Dans cette perspective, le bicamérisme offre une solution institutionnelle efficace. Nous savons combien le président du Sénat et, avec lui, toute notre assemblée sont attachés à promouvoir les secondes chambres dans le monde.
Depuis la réunion des Sénats du monde, en mars 2000, des associations régionales se sont constituées en Europe, dont celle qui réunit les secondes chambres des pays membres et de ceux qui vont rejoindre l'Union européenne. On peut également citer l'Association des Sénats d'Afrique et des pays arabes, qui va prochainement tenir sa troisième réunion au Yémen.
En permettant la représentation et l'expression de la diversité nationale quelle qu'elle soit - ethnique, socio-professionnelle, politique, etc. -, les secondes chambres, pourvu qu'elles se différencient clairement des premières par leur mode d'élection ou par leur mission constitutionnelle, sont de puissants instruments de démocratie et contribuent fortement à l'amélioration du travail parlementaire.
Ces questions seront abordées au cours des débats qui se dérouleront à l'occasion de la prochaine réunion de l'Union interparlementaire à Santiago du Chili ; l'un des thèmes en sera « le rôle et la place des Parlements dans le renforcement des institutions démocratiques et le développement humain dans un monde fragmenté ».
Le groupe français de l'UIP, dont la motion est à l'origine de ce thème, prendra naturellement une part active à ce débat, qui est au coeur de la défense des droits de l'homme.
L'union interparlementaire joue également un rôle de pionnier en ce qui concerne la promotion des droits de la femme en tant qu'élément des droits de l'homme en général.
Elle a principalement axé ses efforts sur le rôle de la femme en politique. C'est ainsi qu'elle a institué la réunion des femmes parlementaires, qui siège lors de chacune des assemblées plénières. Un comité de coordination assure tout au long de l'année la poursuite et le suivi des actions pour l'égalité des sexes en politique. Il existe également un groupe du partenariat hommes-femmes.
Les débats qui ont eu lieu lors de la réunion parlementaire qui s'est tenue à l'occasion de la dernière session de l'ONU, au cours de laquelle l'UIP a obtenu le statut d'observateur, ont montré le rôle central des femmes en matière de sécurité humaine.
De ce point de vue, l'UIP attache une importance particulière à la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, qui met en lumière l'importance du rôle des femmes dans le traitement des conflits, mais aussi, malheureusement, le changement de nature de la guerre, qui fait aujourd'hui de la violence sexuelle une arme de guerre.
La participation des femmes à la vie politique de leur pays est ainsi un des axes fondamentaux du travail de l'Union interparlementaire.
D'une manière générale, l'action de l'UIP pour la défense des droits de l'homme contribue à créer des normes internationales et à encourager l'action normative des Parlements nationaux en les incitant à mettre en oeuvre dans les législations nationales les instruments internationaux et à s'assurer de leur application effective, ce qui n'est pas toujours le plus facile.
Enfin, l'Union a mis en place depuis 1976 une procédure plus spécialisée d'examen et de traitement des violations des droits de l'homme dont sont victimes les parlementaires.
En effet, nous le lisons fréquemment dans la presse, les parlementaires, précisément parce qu'ils sont les garants des droits des citoyens dont ils sont les représentants, sont souvent les victimes de leur engagement. Les assassinats, les privations de liberté, les disparitions, les accusations diverses, les procès ou les pressions exercées sur les personnes et sur les familles constituent les instruments de ces persécutions.
M. Robert Bret. Eh oui !
M. Robert Del Picchia. Le comité des droits de l'homme des parlementaires, auquel notre collègue François Autain a longuement participé, est l'instance chargée d'instruire les dossiers reçus. Au travers d'une procédure écrite que viennent compléter des auditions ou des missions, ce comité traite chaque année de nombreux dossiers. Un certain nombre de cas peuvent être résolus sans être rendus publics, dans le cadre d'une action diplomatique efficace. D'autres font l'objet d'interventions publiques à chacune des réunions de l'Union. Le groupe français est naturellement très actif et très attentif en ce domaine.
En 2002, à l'occasion d'une session de la commission des droits de l'homme des Nations unies, l'UIP a organisé pour la première fois une journée parlementaire. Elle a prévu d'organiser systématiquement de telles réunions, afin de mieux impliquer les Parlements et leurs membres dans le travail sur les droits de l'homme effectué par les Nations unies.
Enfin, je mentionnerai le répertoire mondial des instances parlementaires pour les droits de l'homme, qui n'est pas toujours connu, dont l'UIP est en train de mettre à jour la dernière édition.
Tels sont, mes chers collègues, les quelques mots que je voulais vous adresser sur ce sujet si sensible et si important.
Je peux vous assurer, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le groupe français, que j'ai l'honneur de diriger, attache une importance toute particulière à ces questions des droits de l'homme et qu'il s'investit au sein de l'Union interparlementaire, mais aussi avec elle, pour promouvoir et défendre les droits de l'homme dans ses dimensions nationale et internationale. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord d'excuser le ministre des affaires étrangères, M. Dominique de Villepin. Vous le savez certainement, puisque certains membres du Parlement, notamment des sénateurs, sont également concernés, la célébration du quarantième anniversaire du traité sur la coopération franco-allemande, le traité de l'Elysée, a imposé aujourd'hui à un certain nombre de ministres et de parlementaires, en particulier aux membres des commissions des affaires étrangères, un déplacement à Berlin, ce qui me vaut l'honneur de participer à ce très important débat introduit par la question orale de M. Jacques Pelletier, président de l'intergroupe parlementaire des droits de l'homme, que je salue.
Je remercie les oratrices et les orateurs qui se sont exprimés et que j'ai écoutés avec une grande attention. De nombreux sujets ont été abordés, ce qui est bien naturel sur un tel thème. Je ne suis pas certain de pouvoir répondre ce matin à la totalité des questions posées. Je m'y efforcerai, mais je suis bien entendu prêt à poursuivre la discussion et à apporter les compléments d'information que vous avez souhaités.
Si le thème de ce débat est très important, il est aussi très difficile. Le respect des droits de l'homme est une quête sans fin, un combat permanent : aucune situation n'est jamais assurée pour toujours, même dans des pays aux traditions démocratiques établies de longue date. Notre pays, pour ne citer que nous-mêmes, en a fait la douloureuse expérience voilà à peine plus de soixante ans, beaucoup d'entre nous s'en souviennent très précisément.
Les mutations des sociétés, comme les événements font apparaître de nouvelles formes d'atteintes aux droits individuels et collectifs. La pauvreté, l'analphabétisme, la destruction des structures sociales créent un terreau favorable au développement de la violence, qui devient la seule référence, le seul mode de fonctionnement de la vie collective.
C'est le retour à la loi de la jungle, et nous en avons, hélas ! quotidiennement la démonstration.
Cependant, comme l'a souligné à juste titre M. Jean Faure, aucune situation n'est désespérée, et nombre de pays progressent. Il ne faut donc jamais baisser les bras.
Lorsque je parlais de la loi de la jungle et de la destructuration de la vie sociale, je pensais, comme vous, monsieur Faure, à certaines parties du continent africain, mais aussi à l'Amérique latine, dans certains cas, et même à l'Europe puisque nous avons connu, dans les Balkans, des situations comparables.
Pour nous en tenir au continent africain, qui m'est, comme à vous, cher, reconnaissons en effet qu'il y a aussi des situations encourageantes. Le Kenya, pays dans lequel je me suis rendu il y a trois jours, vient de connaître, dans des conditions démocratiques tout à fait satisfaisantes, une véritable transition. D'autres Etats africains ont des atouts comparables et nous devons les aider.
Je connais par ailleurs l'attachement de M. Jean Faure à Madagascar. Je peux lui confirmer que l'intention du Gouvernement - la mienne en particulier - est bien de donner le plus d'appuis possible à ce pays, où je compte d'ailleurs me rendre, pour l'aider à se reconstruire et à restructurer ses institutions. J'espère que M. Faure pourra m'accompagner afin que nous puissions ensemble contribuer à cet effort.
Les progrès font moins de bruit que les guerres civiles, mais ils n'en sont pas moins réels et ils nous encouragent à poursuivre notre tâche en faveur de l'amélioration du respect des droits de l'homme, tâche ô combien difficile et qui exige de la détermination.
Sur un autre plan, se pose le problème du choix des moyens les plus efficaces pour concourir à la défense et au progrès des droits de l'homme : dénonciation et sanction, voire embargo, ou discussion et négociation ?
En réalité, nous le savons tous, il faut combiner les deux approches, mais le dosage - et là réside toute la difficulté - doit varier selon les situations à traiter. C'est ce qui rend, j'en conviens avec vous, monsieur Vasselle, la pratique si délicate, notamment dans des cas aussi complexes, et aussi anciens, que celui du Tibet et de la Chine.
Lorsqu'il s'est exprimé, le 31 mars 2001, devant la commission des droits de l'homme des Nations unies, le Président de la République française a rappelé que « les droits de l'homme, le souci de l'homme et de sa dignité, sont depuis bien longtemps une passion de la France ».
Notre pays a, il est vrai, de par son histoire, ou, plus exactement, de par les meilleurs moments de son histoire, de par les valeurs philosophiques et morales auxquelles il est attaché, une responsabilité particulière en matière de défense des droits universels de la personne humaine.
Cette responsabilité occupe une part importante de notre action diplomatique et de notre politique de coopération, comme l'atteste la nomination d'un ambassadeur chargé des droits de l'homme au ministère des affaires étrangères.
Je veux brièvement rappeler les principes qui nous inspirent avant de vous exposer la démarche du Gouvernement et la façon dont elle est mise en oeuvre, en concertation avec nos partenaires européens.
Je tiens d'abord à souligner notre attachement à l'universalité des droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
Ces droits reflètent les valeurs dont s'inspire notre République ; ils sont au coeur des principes de la nation. Même si chaque pays ou chaque peuple porte en lui une culture singulière dont la dignité doit être reconnue, nous ne devons pas pour autant transiger sur le respect de ces droits universels, qui doivent être le socle commun de toute l'humanité.
Nous avons en même temps la conviction que tous les droits sont indissociables, qu'ils soient civils et politiques ou économiques, sociaux et culturels.
Quelle démocratie en effet sans accès à l'éducation ou à la santé ? Quel développement économique sans la liberté de penser, de créer et de s'exprimer, sans un Etat de droit, sans une justice réelle ?
Aussi est-il de notre devoir de promouvoir le respect des droits et des libertés dans le monde, par-delà les frontières.
La conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme, dont nous fêterons, au mois de juin prochain, le dixième anniversaire, n'a-t-elle pas reconnu que les droits de l'homme sont une préoccupation légitime de la communauté internationale ?
Comment mettre en oeuvre ces principes ?
D'une part, nous veillons à élaborer des normes plus fortes et à les diffuser le plus largement possible. D'autre part, nous nous efforcerons de faire respecter ces normes par les Etats qui les ont acceptées.
A ces deux stades, la concertation avec nos partenaires européens joue un rôle important, car elle donne plus d'efficacité à notre démarche.
La première nécessité est, à notre sens, de renforcer les normes internationales visant à garantir le respect des droits de l'homme.
Les Etats sont, de cette façon, amenés à préciser leurs obligations, de même que les limites de leur intervention dans la vie des citoyens. Par la formulation de règles écrites, ils sont incités à prendre des engagements dont ils sont ensuite redevables. En cas de manquement, ces engagements peuvent leur être rappelés soit par d'autres Etats, soit par les organes internationaux compétents, soit par leurs ressortissants, soit par la société civile.
Le renforcement de la norme contribue dont à l'édification progressive d'un ordre international fondé sur le droit.
Le régime de protection des droits de l'homme doit tenir compte de l'évolution des sociétés et des moeurs en même temps que traduire l'exigence croissante, sur tous les continents, de liberté et de dignité.
Dans ce combat, la France occupe une place éminente dans toutes les grandes instances internationales chargées de défendre et de promouvoir les droits de l'homme. Son souci de respecter ses obligations internationales n'en est que plus affirmé.
Les Nations unies, organisation universelle, jouent, naturellement, le premier rôle dans la consécration et la protection des droits de l'individu.
La France attache la plus grande importance à leur action et contribue activement à leurs travaux. Le Président de la République recevra d'ailleurs, le 6 février prochain, le nouveau Haut commissaire aux droits de l'homme, M. Vieira de Mello.
La France oeuvre aux Nations unies en faveur du renforcement du droit. Ainsi, notre ambassadeur à Genève préside à l'élaboration d'un instrument juridique contraignant qui vise à protéger les personnes contre les disparitions forcées, pratique criminelle qui a marqué et qui marque encore si durement et si tratégiquement le continent latino-américain - le cas d'Ingrid Betancourt a été cité plusieurs fois ce matin - et d'autres régions du monde.
A l'Assemblée générale des Nations unies, nous avons aussi activement contribué à l'adoption, il y a un mois, d'un protocole additionnel à la convention contre la torture.
Ce protocole, qui s'inspire d'un système prôné par le Conseil européen de prévention de la torture, organe du Conseil de l'Europe, prévoit en particulier la visite des lieux de détention afin de prévenir les mauvais traitements et les sévices que peuvent subir, dans de trop nombreux pays, les prisonniers.
Les normes adoptées au sein du Conseil de l'Europe, à commencer par la première d'entre elles, la convention européenne des droits de l'homme, sont en effet souvent des « pionnières » : de nombreux pays s'en inspirent par la suite.
Le Conseil de l'Europe représente également pour la France un relais, à l'échelle tant européenne que mondiale, de son combat contre les nouvelles formes de violation des droits de l'homme. Ainsi, c'est sur l'initiative de la France, de la Belgique et de l'Allemagne que le Conseil de l'Europe a adopté en novembre dernier un protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité, qui vise notamment les actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais des réseaux informatiques ou à l'occasion de leur utilisation.
Les nouveaux défis, par exemple ceux de la bioéthique, doivent tout autant nous mobiliser. Aussi la France et l'Allemagne ont-elles pris l'initiative de proposer aux Nations unies d'élaborer une convention internationale interdisant le clonage humain à des fins reproductives.
Au sein des Nations unies, la France a été membre de la commission des droits de l'homme de manière presque continue depuis la création de celle-ci, en 1947.
Vous connaissez les règles de fonctionnement de cette commission, qui est le principal organe des Nations unies dans le domaine des droits de l'homme : elle est renouvelée chaque année, par tiers et par groupe géographique, selon un système de rotation de nature mécanique qui n'avait pas, jusqu'à présent, particulièrement retenu l'attention. Notons toutefois que, du fait de ce système, des Etats qui n'étaient pas forcément exemplaires - c'est un euphémisme - en matière de respect des droits de l'homme y étaient représentés.
Or, et je vais maintenant me faire l'écho des propos tenus tant par Mme Boyer que par M. Pelletier, le groupe des Etats africains, auquel revenait d'assurer la présidence tournante, a choisi de faire élire l'ambassadrice de Libye auprès des Nations unies pour occuper cette fonction, ce qui a bouleversé les habitudes de fonctionnement de la commission : la désignation à la présidence ne se fait pas d'ordinaire par la voie d'une élection, mais de façon consensuelle, les membres de la commission prenant tout simplement acte de la désignation, par le groupe géographique à qui revient la présidence, du pays de son choix.
En l'occurrence, le choix de la Libye a, évidemment, « interpellé » plusieurs Etats membres de la commission, dont la France et ses partenaires européens. Lors du vote qui, contrairement aux habitudes, a donc eu lieu, ces derniers ont décidé, comme un certain nombre d'autres pays, de s'abstenir.
Cette abstention n'est pas anodine. Elle a un sens : constat d'une situation, entre majorité et minorité, et d'une pratique, c'est en même temps une mise en garde adressée au pays qui a été choisi pour assurer la présidence de la commission pendant un an.
La France est déterminée à faire montre, durant cette période, de la plus grande vigilance. Nous veillerons avec nos partenaires européens et africains à ce que la Libye anime les travaux de la 59e session dans le strict et fidèle respect des principes et des règles de fonctionnement de la commission des droits de l'homme des Nations unies, afin de garantir la crédibilité de cette dernière.
J'ajoute que la Libye a vivement souhaité assurer cette présidence. Elle s'expose ainsi à répondre devant la communauté internationale de la façon dont elle appliquera elle-même les règles concernant les droits de l'homme.
J'en reviens à l'élaboration des nouvelles normes que j'évoquais. Ces normes n'auront de sens que si leur diffusion est assurée. Nous encourageons ainsi la ratification par le plus grand nombre possible d'Etats des principales conventions internationales afin que celles-ci puissent entrer effectivement en vigueur.
De grands progrès ont été accomplis au cours des dernières années dans ce domaine, mais il nous faut continuer sur cette voie.
Cette démarche est également liée au processus d'élargissement de l'Union européenne. La France a joué un rôle actif dans l'extension des normes de protection des droits de l'homme à de nouveaux pays, en particulier en Europe de l'Est, dans le cadre de l'élargissement de l'Europe. Le respect de ces droits est en effet un des critères définis lors du Conseil européen de Copenhague : tout pays désireux d'entrer dans l'Union européenne se doit bien évidemment d'y satisfaire.
Je veux maintenant souligner le rôle important que joue l'Organisation internationale de la francophonie dans la diffusion des droits de l'homme, en réponse à l'intervention de M. Legendre, qui est aussi secrétaire général parlementaire de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, et que je salue tout particulièrement.
La déclaration de Bamako a incontestablement donné naissance à une nouvelle dynamique de l'enracinement des droits de l'homme dans l'espace francophone. Grâce à l'action déterminée et assidue de l'Assemblée parlementaire de la francophonie et de sa section française, les pays de l'Organisation internationale de la francophonie ont été et restent à l'avant-garde s'agissant, par exemple, de la ratification du statut de Rome, qui institue la Cour pénale internationale.
Il est satisfaisant de constater que, grâce à la mobilisation des pays francophones, le nombre de ratifications nécessaires pour l'entrée en vigueur de la Cour pénale internationale a pu être atteint dans des délais extrêmement brefs.
Voilà un domaine dans lequel la francophonie a concrètement démontré sa capacité et sa force sur le plan international, et elle l'a fait au service d'une très belle cause.
J'ajoute que l'Organisation de la francophonie a vu les moyens dont elle dispose pour le volet « paix, démocratie et justice » augmentés en 2003 de 28 %, ce qui permet d'espérer qu'elle développera ses actions dans ce domaine.
Il faut donc agir en faveur de l'élaboration et de la diffusion de normes juridiques internationales pour garantir les droits de la personne, mais il faut ensuite faire en sorte que ces normes soient respectées par les pays.
A cet égard, nous avons à coeur de réaliser des projets concrets. Nous nous refusons à nous donner occasionnellement bonne conscience par de simples déclarations vertueuses ou par des condamnations purement verbales. Notre souci d'efficacité nous conduit à moduler nos actions selon chaque situation et à agir aussi bien sur le court que sur le long terme, avec la même constance et la même détermination.
Le respect du droit passe, bien sûr, par la dénonciation des violations. Il revient à la communauté internationale de réagir face à des violations graves et systématiques des droits de l'homme. C'est essentiel.
La France, dans certains cas en son propre nom, dans d'autres cas avec ses partenaires, prend position sur les violations et les condamne officiellement. Elle entreprend également les démarches les plus insistantes auprès des autorités des pays en cause afin d'obtenir qu'il soit mis un terme à ces comportements.
Ce fut le cas à l'égard du Nigeria, exemple cité par Mme Boyer, où une femme accusée d'adultère avait été condamnée à la lapidation. Nous avons également dénoncé l'attentat qui, au Zimbabwe, a frappé la radio indépendante Voice of the people en août 2002. Par ailleurs, depuis le début de la crise ivoirienne, la France a été amenée à dénoncer sans ambiguïté les graves violations des droits de l'homme commises dans ce pays.
Dans d'autres cas, la dénonciation est collective : elle émane de l'Union européenne ou des Nations unies, mais notre pays joue toujours un rôle actif dans ces initiatives, par exemple pour que le Conseil de sécurité prenne en considération les droits de la personne et de l'individu dans ses résolutions ou dans ses décisions comme dans le règlement des conflits.
Cette exigence de l'ONU s'est manifestée récemment, sur notre initiative, s'agissant de la Côte d'Ivoire, j'en parlais à l'instant : c'est en effet la France qui a saisi le Haut commissaire aux droits de l'homme d'une demande d'enquête sur les exactions commises par les parties depuis le début de la crise.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. Le haut commissaire a envoyé son adjoint en mission sur le terrain. Son rapport doit être présenté au Conseil de sécurité le 28 janvier prochain.
Je voudrais maintenant évoquer, à la suite de M. Jacques Legendre, qui s'est exprimé avec force et émotion, le drame des enfants soldats. Notre pays a organisé dernièrement au Conseil de sécurité des Nations unies, dont il assure la présidence au mois de janvier, un débat sur la situation et l'utilisation des enfants dans les conflits armés. Le secrétaire général des Nations unies, la directrice de l'UNICEF et les représentants de quarante-deux pays y ont participé, ce qui montre bien que le sort des enfants soldats préoccupe la communauté internationale.
La résolution préparée par la France, qui prend en considération les avis des organisations non gouvernementales les plus mobilisées sur ce sujet, devrait être adoptée dans les jours qui viennent. Elle vise notamment à mettre fin à l'enrôlement des enfants soldats, dont le nombre est évalué à quelque 300 000, et à poursuivre les auteurs de ces enrôlements devant la justice internationale.
Enfin, pour souligner l'attachement de la France au respect des droits de l'enfant, je voudrais rappeler que c'est le Président de la République lui-même qui a signé, à New York, les deux protocoles ajoutés à la convention sur les droits de l'enfant, que nous avons récemment ratifiée. La France est également l'auteur, avec ses partenaires européens, des résolutions sur les droits de l'enfant que les Nations unies adoptent régulièrement.
Le rapport sur cette question soumis par le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, au Conseil de sécurité dresse pour la première fois, sur notre initiative, la liste des belligérants ayant recours à l'enrôlement d'enfants soldats. Sur cette liste figurent des mouvements armés en Afghanistan, au Burundi, en République démocratique du Congo, au Liberia, en Somalie, mais aussi, malheureusement, les forces armées officielles de ces quatre derniers pays africains.
Le rapport et la résolution évoquent en outre les autres répercussions des conflits sur la vie des enfants : l'exploitation sexuelle, la contamination par le sida, les déplacement forcés. Ils préconisent des mesures pour les protéger et les réinsérer dans la société.
La France est enfin à l'origine de la déclaration du Conseil de sécurité du 15 janvier dernier dénonçant les graves violations des droits de l'homme commises dans l'est de la République démocratique du Congo.
Notre pays veille par ailleurs à ce que toutes les formes d'atteintes aux droits de la personne soient prises en compte. Nous présentons notamment, dans le cadre des Nations unies, des propositions visant à combattre l'extrême pauvreté, véritable négation de la dignité de l'individu, mais aussi la détention arbitraire.
Nous sommes également très soucieux de renforcer la lutte contre le racisme - les racismes -, la xénophobie, l'intolérance et la discrimination en général.
Notre vigilance s'exerce tout particulièrement à l'égard des droits des femmes, premières victimes de la violence, du fanatisme et de la pauvreté, thème qui a été évoqué par Mme Yolande Boyer. Le régime des talibans a montré que l'obscurantisme pouvait conduire à dénier aux femmes les droits les plus élémentaires. Cependant, nous savons bien que la chute de ce régime est loin d'avoir tout résolu et qu'il existe, hélas ! bien d'autres exemples du même ordre, moins connus que celui que je viens de citer. Dans bien des régions du monde, les droits des femmes à l'éducation et à l'intégrité physique, ainsi que leurs droits politiques, ne sont pas encore respectés.
J'ajouterai brièvement à l'adresse de Mme Boyer, qui m'a interrogé sur la position de la France au regard de plusieurs conventions internationales relatives à la situation des femmes, que la France est très attachée à la défense des acquis des conférences de Pékin et du Caire, notamment de ceux qui ont trait à la ratification universelle de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, à la protection de leur intégrité physique et à leurs droits en matière de reproduction.
Les femmes sont souvent les victimes de violences spécifiques à l'occasion de conflits. L'usage du viol comme arme de guerre, sujet évoqué par M. Del Picchia, dont on connaît l'action dans le cadre de l'Union interparlementaire, a été dénoncé, en particulier, durant la guerre de Yougoslavie. Il est puni par le statut de la Cour pénale internationale ; néanmoins, il perdure, comme nous le prouvent les conflits actuels en Afrique.
Les femmes sont également victimes de la traite des êtres humains, que les réseaux criminels jugent plus fructueuse que d'autres trafics. Mme Jacqueline Gourault a fort justement et très complètement décrit ce fléau, et j'approuve les propos qu'elle a tenus.
Grâce à la coopération internationale, grâce notamment à la convention contre la criminalité transnationale organisée et à ses protocoles relatifs à la traite et au trafic d'êtres humains, nous avons les moyens de lutter contre ce phénomène en expansion.
Notre vigilance s'exerce aussi à l'égard des mesures mises en place à la suite des attentats du 11 septembre 2001. La lutte contre le terrorisme, largement évoquée par Mme Nicole Borvo, est essentielle. Pour autant, cette lutte ne saurait aller au-delà des besoins légitimes en matière de sécurité. Nous nous sommes donc félicités de ce que l'Assemblée générale des Nations unies ait adopté de manière consensuelle, au mois de décembre dernier, une résolution rappelant l'obligation de respecter les droits de l'homme dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme. Une résolution allant dans le même sens a été adoptée lundi dernier par le Conseil de sécurité, sous présidence française.
Au sein de la commission des droits de l'homme des Nations unies, notre pays est amené, avec ses partenaires de l'Union européenne, à s'exprimer sur bien des cas de violation des droits de l'homme dans le monde. L'Union européenne et ses Etats membres sont ainsi à l'origine de près d'un tiers des textes adoptés par la commission des droits de l'homme, en particulier de résolutions sur l'Irak, la République démocratique du Congo, le Soudan, la Tchétchénie, les colonies israéliennes, la Birmanie.
Le renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit, la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales font partie des priorités de la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union européenne. La France tient, naturellement, à jouer un rôle très actif dans la définition et dans la mise en oeuvre de la politique européenne en la matière.
Au-delà de la dénonciation, il faut parfois recourir à la sanction.
Il est essentiel de faire en sorte que les violations graves des droits de l'homme ne restent pas impunies. L'impunité favorise en effet l'instabilité des relations internationales et l'enchaînement des cycles de violence. Il ne peut y avoir de règlement de paix ou de réconciliation durable fondés sur l'oubli, voire sur la négation des faits historiques, ni de processus de règlement viable méconnaissant le droit des victimes à la mémoire, le droit de savoir, le droit à la justice.
La France peut se réjouir d'avoir été le premier membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU à ratifier le statut de la Cour pénale internationale, qui est entré en vigueur l'été dernier. Cette dernière sera, si nous le voulons, un instrument déterminant pour lutter contre l'impunité des auteurs de violations graves des droits de l'homme dans le monde, violations qui heurtent la conscience même de l'humanité et qui, par leur ampleur et leur atrocité, concernent non seulement les régions déchirées par les conflits, mais aussi les démocraties, qu'elles menacent par la négation des fondements de l'Etat de droit.
Outre la dénonciation et la sanction, la France et ses partenaires européens s'efforcent de défendre les droits de l'homme par le dialogue, approche qui ne manque pas de susciter régulièrement des débats. Cette réaction est compréhensible, car l'indignation soulevée par les violations des droits de l'homme pousse tout naturellement à la dénonciation et à la condamnation.
Toutefois, dialogue n'est pas synonyme de compromission, et encore moins d'acceptation. L'expérience prouve que le dialogue, s'il est clair et franc, peut souvent être un facteur d'évolution positive pour certains pays.
L'Union européenne s'est donc engagée, ces dernières années, dans des exercices dits de « dialogue droits de l'homme », l'objectif étant d'encourager certains Etats à progresser dans cette voie.
Dans le cadre d'un tel dialogue semestriel avec la Chine, par exemple, sont notamment évoquées la peine de mort, la torture, ou encore la situation au Tibet, sur laquelle M. Alain Vasselle a attiré notre attention avec conviction et de façon très précise. Des libérations de prisonniers, de militants politiques, de représentants de minorités culturelles ou religieuses sont réclamées à l'occasion de chaque rencontre. Nous suivons très attentivement l'évolution de la situation, et je puis vous indiquer, monsieur Vasselle, que nous avons pris acte de la visite à Pékin d'émissaires du Dalaï Lama, au mois de septembre 2002, et que nous encourageons la reprise d'un dialogue entre ce dernier et le gouvernement chinois.
Nous avons en outre effectué avec l'Union européenne, les 11 décembre et 17 janvier derniers, des démarches à propos de la condamnation de deux moines tibétains, afin que les accusés puissent bénéficier de toutes les garanties d'un procès équitable - il a été interjeté appel - et qu'en aucun cas une sentence de mort ne puisse être prononcée et exécutée. Nous suivons, bien entendu, cette affaire de très près.
Grâce à ce dialogue, la Chine a accepté d'adhérer au pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. Elle s'est également engagée à coopérer avec les rapporteurs de la commission des droits de l'homme des Nations unies et à donner des informations sur des prisonniers.
Tout récemment a été instauré un dialogue avec l'Iran, dont la première session, qui s'est tenue en décembre, s'est déroulée de manière satisfaisante. Téhéran a annoncé, à cette occasion, des mesures dont il conviendra de vérifier l'application : coopération avec la commission des droits de l'homme, moratoire sur les lapidations, rétablissement de la distinction entre la justice du siège et du parquet.
Nous avons à coeur que ces dialogues amènent d'autres résultats concrets.
Par ailleurs, je me dois de rappeler que le dialogue politique sur les questions relatives aux droits de l'homme, à la démocratie et à l'Etat de droit est une dimension essentielle de la politique d'aide au développement de l'Union européenne, notamment dans le cadre de l'accord de partenariat de Cotonou, qui lie l'Union européenne aux soixante-dix-sept pays du groupe Asie-Caraïbes-Pacifique. La mise en oeuvre de cet accord est, en effet, subordonnée au respect des engagements pris en matière de respect des droits de l'homme, dont le défaut entraîne la suspension de l'aide.
Dans la mesure du possible, nous nous efforçons cependant d'aller au-delà de ce dialogue, en pratiquant une véritable politique d'intervention.
Ainsi, en 1998, l'Union européenne a érigé en priorité l'abolition universelle de la peine de mort, ce qui a conduit les Européens à engager de nombreuses démarches dans le monde en vue d'obtenir des moratoires ou de les consolider, d'inciter à l'abolition, de faire commuer des sentences.
C'est sur l'initiative de la France que l'Union européenne s'est portée amicus curiae devant la Cour suprême des Etats-Unis, dans une affaire concernant un aliéné mental. L'Union européenne fait, en outre, adopter chaque année par la commission des droits de l'homme une résolution sur la peine de mort, afin de renforcer sans trêve le mouvement international d'abolition de ce châtiment.
J'évoquerai enfin les efforts que la France accomplit en faveur des droits de l'homme par le biais de sa coopération au développement, qui, dans son ensemble, concourt à la mise en oeuvre effective des droits fondamentaux de la personne, en contribuant notamment à la lutte contre la pauvreté ainsi qu'à la création ou au renforcement d'institutions chargées de garantir l'existence d'un Etat de droit dans des pays auxquels nous apportons notre aide.
Bien souvent, en effet, un pays qui enfreint les droits de l'homme souffre d'un Etat trop faible pour les faire respecter. Cette carence se traduit par une justice inefficace et corrompue, une police mal formée, notamment dans le domaine des droits et des libertés individuels. La pauvreté et le faible niveau d'alphabétisation des populations sont, en même temps, un frein à la progression de ces droits. Aussi notre coopération au développement vise-t-elle à mener des actions dans ces deux domaines.
Ces actions tendent à favoriser la démocratisation des institutions et l'élaboration de cadres juridiques garantissant les libertés fondamentales. Des projets financés par le Fonds de solidarité prioritaire ont notamment pour objet le renforcement des institutions judiciaires, ainsi que la formation de forces de police et d'administration pénitentiaire respectueuses des règles de droit.
L'appui à l'Etat s'accompagne d'un soutien simultané aux acteurs de la société civile.
Depuis 2001, le ministère des affaires étrangères a engagé une nouvelle coopération en matière de droits de l'homme, dotée d'une enveloppe globale de 5,5 millions d'euros. Cette coopération se déroule avec des partenaires à vocation internationale, particulièrement le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'homme et des organisations non gouvernementales spécialisées telles que Penal Reform International et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. Nous attachons le plus grand prix à leur action et maintenons un dialogue permanent avec elles, notamment au sein de la commission nationale consultative des droits de l'homme, dont les avis retiennent toute notre attention.
Les droits de l'homme sont donc un souci constant de notre pays et un thème prioritaire de notre politique internationale : nous contribuons, selon les voies les plus appropriées, à rendre leur respect chaque jour plus général.
M. Jacques Pelletier, en ouvrant ce débat, a cité Albert Camus ; c'est à ce même grand écrivain, qui se voulait aussi un grand témoin s'agissant du respect de l'individu, que j'emprunterai ma conclusion, et ses mots devraient stimuler notre vigilance : « La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre. » (Applaudissements.)
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport d'activité pour 2002 de la commission nationale d'évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, établi en application de l'article L. 542-3 du code de l'environnement.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
POLITIQUE DE LA MONTAGNE
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 6.
M. Jean-Paul Amoudry appelle l'attention de M. le Premier ministre sur les conclusions et propositions formulées par la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne dans son rapport rendu public le 16 octobre 2002.
En effet, si les travaux conduits par la mission depuis le mois de février dernier ont souligné l'infinie diversité des territoires des montagnes de France, qui couvrent 28 % du territoire et regroupent 13,5 % de la population de notre pays, ils ont également mis en évidence de très nombreuses caractéristiques communes aux terres d'altitude.
Ces points communs et les préoccupations qui en découlent apparaissent comme autant de questions urgentes posées aux responsables politiques dans des domaines déterminants pour l'avenir des zones de montagne françaises :
- le niveau des soutiens publics à l'agriculture, inférieur à la moyenne nationale, et donc en totale contradiction avec les principes de légitime compensation du « handicap montagne » affirmés depuis plusieurs décennies par le législateur ;
- la préservation d'une activité industrielle, souvent fortement enracinée, qui aspire à continuer à vivre dans des territoires incapables de surmonter sans aide extérieure le handicap de l'enclavement, et qui ressentent un fort déficit de solidarité nationale ;
- la poursuite du développement touristique, freiné par l'absence des politiques fiscales et sociales adaptées à la saisonnalité et d'un véritable régime de la pluriactivité ;
- la quasi-inexistence de politiques nationales et européennes pour régler la question de la traversée des massifs frontaliers, ce qui inflige aux populations sédentaires les nuisances induites par la croissance du trafic routier sans perspective d'amélioration ;
- l'absence de concertation avec les responsables locaux, constatée dans certaines initiatives environnementalistes, telle la réintroduction du loup, au mépris d'activités ancestrales, comme le pastoralisme, entretenant ainsi le sentiment que les « grandes » décisions concernant la montagne relèvent d'un processus centralisé ;
- la lente, mais apparemment inéluctable, disparition de services - publics, médicaux et privés - qui, dans beaucoup de massifs, entraîne puis accroît la dévitalisation démographique ;
- l'excès de rigueur, enfin, dans l'application des dispositions d'urbanisme de la loi « montagne », devenue la pomme de discorde permanente entre élus locaux et représentants de l'Etat.
Aussi, il demande à M. le Premier ministre de bien vouloir lui faire connaître les initiatives et les mesures que le Gouvernement qu'il dirige entend engager, pour répondre aux interrogations et aux légitimes inquiétudes des élus, responsables et populations des départements de montagne, et pour leur apporter l'aide et le soutien qu'ils attendent afin de relever les défis auxquels ces territoires sont confrontés.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Jean-Paul Amoudry, permettez-moi de me féliciter du fait que la conférence des présidents ait inscrit, sur mon initiative, cette question orale à l'ordre du jour de notre séance mensuelle réservée.
Ce débat nous donnera l'occasion d'un échange fructueux, du moins je l'espère, entre le Sénat et le Gouvernement sur la politique de la montagne, qui, ne l'oublions pas, est l'un des piliers de la politique d'aménagement du territoire, laquelle fera bien sûr l'objet d'un prochain débat.
Avec cette question orale, chacun d'entre nous et vous-même, monsieur le ministre, aurons la possibilité de prendre position sur les propositions de la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne, conduite par nos collègues M. Jacques Blanc, président,...
M. Jean Chérioux. Bravo !
M. le président. ... et M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. le président. Une fois de plus, notre assemblée affirme son rôle de contrôle, d'évaluation et de prospective, qui est et doit être la seconde nature du Sénat, comme j'aime à le rappeler très souvent.
La recherche d'une meilleure articulation entre les travaux d'information des commissions et des missions d'information et la séance plénière doit être notre préoccupation constante. La séance publique, permettant à tous les groupes d'intervenir, donne une résonance particulière aux rapports d'information, fruit d'un travail de terrain - j'en ai été le témoin - dont la qualité honore l'ensemble des membres de notre assemblée.
Au vu de ce débat, il appartiendra aux auteurs du rapport d'information de concrétiser leurs réflexions dans une proposition de loi, qui serait le dernier volet du « triptyque » de la méthode sénatoriale : réflexion en amont, débat en séance - ce que nous faisons aujourd'hui - et discussion législative, avec le dépôt, que j'espère prochain, d'une proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry, auteur de la question.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez et ainsi que cela vient d'être rappelé, le Sénat a entrepris, l'an dernier, un travail de réflexion en profondeur sur la montagne.
Partant du constat que, depuis une vingtaine d'années, sont intervenus tant d'événements nouveaux d'ordre climatique, sociologique ou politique, sur le plan européen en particulier, les promoteurs de cette initiative sénatoriale ont voulu, d'une part, mettre en débat l'actualité de la loi du 9 janvier 1985 et, d'autre part, dresser le bilan de son application, et plus généralement de l'ensemble des politiques de la montagne.
C'est ainsi que notre Haute Assemblée a institué une mission d'information, présidée par notre collègue Jacques Blanc et dont j'ai eu l'honneur de rapporter les travaux.
Anticipant le voeu de notre mission, le président Poncelet a exprimé très tôt, lors de la venue de notre mission dans les Vosges, son intention d'organiser le débat qui nous réunit aujourd'hui. Je veux donc vous remercier très vivement, monsieur le président Poncelet, de cette initiative, ainsi que les ministres - tout particulièrement vous-même, monsieur Hervé Gaymard - qui, autour du chef du Gouvernement, veulent bien porter une attention particulière à nos travaux et, plus largement, aux dossiers relatifs à la montagne.
La question que, au nom du groupe « montagne » du Sénat, j'ai adressée à M. le Premier ministre et que je souhaite développer ici s'inscrit naturellement dans la continuité et l'esprit du rapport de la mission.
Cette question rappelle que, par-delà leur extrême diversité géographique, climatique, naturelle et humaine, nos massifs présentent de nombreux points communs et partagent des problématiques qui constituent autant de questions posées aux responsables politiques, dans trois grands domaines : le patrimoine naturel, l'économie et l'aménagement du territoire.
J'aborderai, tout d'abord, le patrimoine naturel. Il comporte, à nos yeux, trois dimensions : sa mise en valeur, sa protection et la prévention contre les risques naturels.
S'agissant de la valorisation de cette inestimable richesse, la mission d'information a illustré sa position par les exemples de l'eau et de la forêt.
En ce qui concerne l'eau, il lui paraît urgent de mettre en place des schémas de gestion pour les hauts bassins versants fondés sur le dialogue et la solidarité des riverains à tous les niveaux du bassin. Les questions liées aux conflits d'usage de l'eau trouveront ainsi plus facilement et plus naturellement des solutions.
A cet égard, il serait opportun qu'à l'heure du développement durable et de la diversification des ressources énergétiques soit reconsidérée la fiscalité pesant sur l'hydroélectricité. Cette dernière fournit 14 % de la production électrique nationale, mais ses perspectives sont freinées par le poids des taxes, qui représentent environ 40 % du coût de la production.
S'agissant de la forêt de montagne, dont la multifonctionnalité doit être garantie, la mission préconise notamment l'accroissement des moyens d'intervention foncière des communes et associations forestières, l'amélioration des conditions d'exploitation et la mise en place d'un véritable soutien à la filière bois.
Pour ce qui est de la protection des espaces naturels, notre mission affirme la nécessité de substituer aux procédures d'interdit et de zonage des démarches concertées avec les élus locaux, se traduisant par des objectifs de gestion contractualisés.
Trop souvent, en effet, les décisions prises en matière d'environnement relèvent de centres de décisions anonymes, centralisés, et donnent aux montagnards le sentiment qu'ils ne sont concernés par ces mesures que pour les appliquer. On comprend donc aisément que la protection des milieux naturels ait entraîné tant d'affrontements.
C'est pourquoi, et à titre d'exemple, les parcs nationaux gagneraient à être gérés par les collectivités, sur la base de conventions passées avec l'Etat.
S'agissant de Natura 2000, dont le manque de transparence des procédures est souvent fortement critiqué, la mission demande la mise en oeuvre de règles et pratiques conventionnelles, associant les acteurs locaux à la gestion d'un environnement qui les concerne.
Ainsi pouvons-nous espérer tourner enfin la page de ces affrontements pour ouvrir celle du dialogue et de la responsabilité partagée, dans le cadre de politiques partenariales.
La prévention et la maîtrise des risques naturels est une autre question particulièrement sensible en montagne.
Dans ce domaine, il apparaît nécessaire de renforcer les moyens du service de restauration des terrains en montagne, dont la dimension interministérielle devrait être reconnue, et d'associer plus largement les responsables locaux à des plans de prévention des risques plus fréquemment établis sur le territoire.
J'en viens à l'économie.
Depuis toujours, en ce domaine, les montagnards doivent surmonter des handicaps particulièrement lourds, qu'avait bien identifiés la loi de 1985.
S'agissant de l'agriculture, activité la plus ancienne, intimement liée à la culture et aux valeurs de la montagne, force est de constater que le principe de compensation des handicaps n'a pas été appliqué.
Rappelons simplement, pour illustrer ce constat, que les aides à l'hectare en montagne sont inférieures à celles qui sont accordées ailleurs, et qu'à une époque où les politiques agricoles sont plus que jamais soucieuses de santé, de qualité des produits et de respect du milieu naturel les agriculteurs de montagne, qui satisfont le plus souvent à ces préoccupations, perçoivent néanmoins des revenus de 20 % à 30 % inférieurs à la moyenne nationale.
Ces écarts devraient néanmoins être réduits grâce aux mesures que vous avez récemment prises, monsieur le ministre, et dont, avec les agriculteurs de montagne, nous vous savons gré.
De ce dossier essentiel, que d'autres orateurs après moi ne manqueront pas de traiter de manière experte et plus approfondie, je voudrais relever simplement trois questions qui, parmi d'autres, conditionnent l'avenir de l'agriculture de montagne.
Tout d'abord, des assurances sont attendues quant à la pérennité des quotas laitiers, avec un dispositif d'affectation prioritaire à l'installation des jeunes agriculteurs.
Ensuite, une clarification dans l'application du décret « montagne » du 15 décembre 2000 est ardemment souhaitée, en même temps qu'un soutien à la politique des filières de production.
Enfin, il apparaît injuste que l'agriculture de montagne, caractérisée par une grande majorité d'élevages de taille petite ou moyenne, ayant réalisé d'importants efforts de qualité, n'ait pu, à de rares exceptions près, bénéficier des financements d'Etat prévus au titre de la maîtrise des pollutions d'origine agricole. Une plus grande équité est légitimement réclamée en ce domaine.
Le tourisme constitue le deuxième grand secteur d'activité en montagne.
Activité économique essentielle, il a permis de fixer des populations qui, sans lui, étaient vouées à un exode que la politique de rénovation rurale menée entre 1960 et 1970 a permis d'endiguer.
Or, après une période de forte croissance au cours des décennies soixante-dix et quatre-vingt, des courbes de développement plus irrégulières apparaissent.
En effet, alors qu'au milieu de la décennie quatre-vingt-dix la montagne était au second rang des destinations touristiques, toutes saisons confondues, elles est devenue, en 2000, la quatrième destination derrière la mer, la campagne et la ville.
Les raisons avancées le plus souvent pour expliquer cette préoccupante évolution sont : une concurrence plus âpre due à la mondialisation du tourisme ; l'évolution rapide et profonde des attentes de la clientèle ; l'accessibilité de la montagne ; l'aléa climatique et ses effets sur l'enneigement ; le coût des séjours ; enfin, une forte diminution du nombre de classes de neige, qui jouaient anciennement un rôle fondamental pour développer le tourisme d'hiver auprès des jeunes générations.
Pour relever tous ces défis, collectivités et professionnels du tourisme doivent - et je pense qu'ils y sont prêts - déployer de nouveaux efforts, mais ceux-ci ne produiront leur plein effet que s'ils sont accompagnés d'une adaptation du cadre juridique du tourisme en montagne et de mesures appropriées.
Ainsi la mission préconise-t-elle l'élaboration de plans de réorganisation, ou de reconversion des centres touristiques de moyenne montagne, associant l'Etat et les collectivités locales. Cette démarche est nécessaire pour sauvegarder l'offre de formation destinée aux skieurs, mais aussi pour préserver la fonction d'aménagement du territoire et le rôle économique et social de ces sites touristiques. Dans cette perspective, il serait utile que l'Etat consente un effort financier particulier de recherche et d'ingénierie pour la montagne.
Par ailleurs, nous avons suggéré que les contraintes juridiques puissent être réformées et allégées. Je pense en particulier à la procédure des unités touristiques nouvelles, les UTN, dont les modalités sont inadaptées à des opérations modestes par leur ampleur, mais pourtant indispensables pour la vie au pays.
Il apparaît également nécessaire de réviser la législation applicable aux conventions de délégation de service public dans le domaine des remontées mécaniques, où se heurtent les principes de maîtrise publique issus de la loi « montagne » et ceux de libre concurrence tirés de la loi dite « Sapin ».
De même, il serait opportun de réformer l'article 53 de la loi du 9 janvier 1985, relatif aux servitudes applicables aux propriétés privées situées sur les domaines skiables, pour résoudre les difficultés rencontrées par les activités de ski nordique et de ski alpin.
S'agissant du coût des séjours, de meilleures conditions pourraient être proposées en exploitant mieux les potentiels touristiques, ce qui nécessite un meilleur étalement des vacances par un aménagement du calendrier scolaire, y compris à l'échelle européenne.
En outre, la mission estime que la neige de culture est une solution utile pour limiter les effets des aléas climatiques, notamment en début et en fin de saison, et pour sécuriser le domaine skiable. Naturellement, cette pratique, largement en usage dans les stations concurrentes des pays européens voisins, doit veiller à respecter les équilibres naturels.
Enfin, il apparaît que l'activité touristique est fortement pénalisée par l'absence d'une politique fiscale adaptée, en particulier dans le domaine de la transmission des entreprises hôtelières saisonnières, comme par les difficultés à mettre en oeuvre un véritable régime de la pluriactivité. Nous savons d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous êtes familier de ces questions et que vous connaissez mieux que quiconque la pluriactivité, et sa particulière complexité.
J'en arrive au troisième grand secteur d'activité économique : l'artisanat et l'industrie.
On a trop tendance à oublier que nos montagnes recèlent de fortes traditions artisanales et industrielles, qui ont contribué à la prospérité de notre pays.
Or, plus qu'ailleurs, ce secteur souffre, en montagne, de l'éloignement et de l'enclavement, ces handicaps étant aujourd'hui plus pénalisants que jamais en raison des impératifs liés à l'ouverture des marchés et à la concurrence.
Réclamé très fréquemment sur le terrain et traduisant un sentiment de déficit de solidarité nationale, le désenclavement est devenu la condition sine qua non de nombre d'activités économiques. Celles-ci conditionnant le maintien de la présence humaine dans les vallées et sur les massifs, on mesure l'importance d'une véritable politique de desserte par le rail, la route, les liaisons aériennes et les réseaux d'information.
En résumé, l'avenir économique et social en montagne repose sur une réelle politique d'aménagement du territoire.
Définir une telle politique nécessite à nos yeux la définition d'objectifs clairs dans cinq domaines, en particulier : les communications, la situation des collectivités locales, les services publics et privés, l'urbanisme, et les institutions.
S'agissant des communications, je ne reviendrai pas sur l'enjeu fondamental que représente leur qualité pour nos activités économiques comme pour l'équilibre des territoires montagnards.
Puis-je demander que soit portée une attention toute particulière à tous les dossiers de désenclavement routier et autoroutier, et que les freins multiples qui les paralysent soient levés ?
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jean-Paul Amoudry. Ce qui est vrai de l'accessibilité de nos massifs l'est aussi de la politique de transport et de traversée des massifs proches de nos frontières où sont ressentis, d'une part, l'insuffisance, voire l'absence de réelle politique des transports ainsi qu'un défaut de vision à la dimension des massifs, et, d'autre part, une absence de recherche d'équilibre entre le ferroviaire et le routier.
Cette carence inflige aux populations sédentaires des nuisances causées par une forte croissance du trafic routier sans laisser entrevoir, à échéance raisonnable, des perspectives de solutions alternatives susceptibles d'apaiser les tensions locales.
De grandes infrastructures, telles les liaisons par TGV Lyon - Turin et Perpignan - Figueiras, s'imposent.
J'illustrerai mon propos par l'exemple du projet Lyon - Turin. Comme l'a souligné la déclaration commune des huit départements et des villes-centres de la région Rhône-Alpes, le projet de ligne TGV Lyon - Turin « représente, par ses capacités structurantes, un aménagement majeur pour l'Europe, la France et l'Italie ». En effet, la construction de ce « maillon manquant » du réseau à grande vitesse européen nord-sud et est-ouest permettra d'améliorer très sensiblement l'accessibilité des principaux pôles économiques et de structurer les territoires français et sud-européen. Au-delà, cette réalisation constitue une urgente nécessité pour sécuriser le transport de marchandises dans les Alpes et protéger l'environnement.
Le drame du tunnel du Mont-Blanc et les difficultés rencontrées depuis lors ont démontré la nécessité de ré-équilibrer les transports entre la France et l'Italie au bénéfice du rail. Or la future ligne TGV permettra d'acheminer entre 40 et 60 millions de tonnes de fret par an dans un contexte de forte croissance du trafic poids lourds transalpins et de saturation, dès 2015, de la ligne ferroviaire existante.
En outre, cette liaison permettra de protéger les sites exceptionnels que sont les vallées alpines françaises et italiennes, aujourd'hui saturées par le trafic routier.
Enfin, ce projet présente un intérêt majeur pour le transport de voyageurs, à la fois par la desserte du pôle intermodal de Lyon-Saint-Exupéry et pour la fréquentation touristique dans les Alpes du Nord.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous souhaitons que les engagements pris lors du sommet du Turin, en novembre 2001, soient confirmés et qu'une solution de financement puisse être mise en place dès cette année.
Pour clore ce chapitre des communications, je veux souligner les handicaps que connaît la montagne, encore trop souvent privée de connexion au réseau Internet à haut débit et de desserte par la téléphonie mobile. Celles-ci apparaissent comme le bon moyen, pour les activités existantes, de s'affranchir des contraintes géographiques et, pour les activités nouvelles utilisant ces technologies, de s'implanter en montagne. Là encore, la montagne a un retard à rattraper !
J'évoquerai maintenant la situation des collectivités locales. Avec l'appui des départements, les communes de montagne remplissent une fonction irremplaçable de service de proximité et de maintien du lien humain et social. Or, confrontées aux lourdes charges de gestion de territoires ouverts, à titre exclusif ou accessoire, aux populations citadines, ces collectivités manquent des moyens suffisants.
Pour que soit réellement pris en compte l'engagement de ces collectivités dans la conservation d'un patrimoine naturel considérable, les collectivités de montagne pourraient bénéficier, en particulier, d'une réforme des critères d'attribution des dotations de l'Etat, par exemple en retenant des références superficiaires.
J'en viens au maintien des services, lesquels - nous en avons tous conscience - conditionnent la survie des communautés de montagne.
S'agissant des services publics fondamentaux, tels que l'école ou La Poste, notre mission plaide pour une prise de conscience de la nécessité d'assurer leur maintien, le cas échéant par des solutions innovantes. A cet effet, elle propose d'améliorer le cadre de définition des besoins de service public, ce qui pourrait se traduire par l'élaboration de contrats d'objectifs entre l'Etat et les collectivités.
Les services privés, qu'ils soient médicaux, commerciaux ou artisanaux, méritent, dans les régions les plus menacées de dévitalisation, des mesures courageuses et innovantes, peut-être de type zones franches, et une adaptation de la loi d'urbanisme, dont la traduction rigoureuse, notamment du fait des décisions de la juridiction administrative, peut contribuer au déclin de certains secteurs.
Il est d'ailleurs symptomatique que bien souvent, dans l'esprit de nos concitoyens, la loi « montagne » soit exclusivement associée à la problématique de l'urbanisme et synonyme d'interdits. Cela tend à prouver que les leviers qu'elle avait instaurés pour favoriser l'auto développement, pour compenser les handicaps, pour promouvoir une politique d'équilibre entre développement et environnement, ont peu ou insuffisamment fonctionné.
M. Raymond Courrière. C'est clair !
M. Jean-Paul Amoudry. En revanche, les règles d'encadrement de la construction n'ont pas permis une gestion sereine du droit de l'urbanisme. Un contentieux extrêmement abondant, de nombreuses incompréhensions et la remise en cause de droits acquis nous incitent à proposer des aménagements et des assouplissements dans ce domaine.
M. Raymond Courrière. Oui !
M. Jean-Paul Amoudry. Ces propositions seront développées dans quelques instants, en particulier par M. Pierre Jarlier. En citant ainsi notre collègue élu du Cantal, membre de notre mission d'information et nouveau président de l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM, l'occasion m'est donnée de saluer l'engagement assidu et le travail de qualité accompli par tous les membres de la mission d'information et de les en remercier chaleureusement, ainsi que les conseillers et les administrateurs du Sénat qui ont apporté un précieux concours à nos travaux.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous le bénéfice des développements attendus de M. Jacques Blanc, président de la mission d'information, et de nos collègues, les principales questions recensées par notre mission et quelques-unes de nos propositions pour rénover notre politique en faveur de la montagne et pour favoriser un « développement équilibré dans un environnement préservé ».
Cette nouvelle dynamique, monsieur le ministre, est conditionnée par un préalable et suppose de prendre en compte trois grandes dimensions.
En préalable, la France doit reconnaître officiellement la spécificité de la montagne et, ainsi, le bien-fondé d'une politique adaptée.
Les trois dimensions qui déterminent cette nouvelle dynamique sont les suivantes : tout d'abord, la recherche et la formation, pour faire de la montagne le terrain d'expériences novatrices et tendre aussi souvent que possible vers un niveau d'excellence ; ensuite, la décentralisation, en souhaitant que les travaux du Sénat prennent place dans le processus engagé par le Gouvernement et l'enrichissent ; enfin, la dimension européenne, pour obtenir la reconnaissance de la spécificité de la montagne dans l'Union ; Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute aux attentes ainsi exprimées et, d'avance, de votre réponse, que nous attendons avec le plus grand intérêt. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est au président de la mission d'information.
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'excellente intervention de M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la mission, je souhaite, en tant que président non seulement de cette mission mais aussi du groupe d'études sur le développement de la montagne, témoigner de l'important travail accompli par l'ensemble des membres de la mission, qui se sont rendus dans tous les massifs. Je citerai tout d'abord M. Amoudry auquel je tiens à rendre hommage, mais aussi notre collègue président de l'ANEM, M. Pierre Jarlier, qui a été en partie à l'origine de cette idée, nos collègues des Pyrénées, notamment M. Cazalet, qui nous ont montré les ours, ou presque (Sourires), Mme André, qui nous a accompagnés, et M. Hérisson, qui nous a apporté le fruit de son expérience dans les télécommunications.
Nos collègues ont donc beaucoup travaillé. Et je dois dire, pour être tout à fait honnête, que le président de cette mission d'information a été très impressionné par la qualité de ce travail, lequel a été grandement facilité par les administrateurs du Sénat, auxquels je tiens ici à rendre hommage. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe CRC.)
M. le président. Je m'associe à ces compliments, mon cher collègue.
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Lors de nos visites dans les massifs, nous avons tous beaucoup appris et avons eu le grand bonheur d'être toujours accueillis de manière très chaleureuse, en particulier par le président du conseil général des Vosges (Exclamations et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE), qui nous a consacré toute une journée et nous a permis de découvrir ce merveilleux département qu'il aime et pour lequel il se mobilise.
M. Jean-Claude Carle. Bravo ! (Sourires.)
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Il nous avait assuré que tout serait fait pour qu'un débat soit organisé ; ce débat a lieu, et je l'en remercie donc.
M. le président. Merci, monsieur le président !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Voyez-vous, en montagne, on dit ce que l'on pense et ce que l'on ressent. Pour ma part, j'ai vraiment ressenti un grand bonheur. Et permettez-moi d'avoir une pensée pour celle qui fut avant moi présidente du groupe d'études sur le développement de la montagne, Mme Bardou, sénateur de la Lozère, et qui, pour des raisons de santé, ne s'est pas représentée. Cela m'a permis de siéger au Sénat et d'y découvrir un rythme de travail n'ayant rien à envier à celui de l'Assemblée nationale : pour avoir été député pendant vingt-huit ans, je puis dire que l'on travaille ici dans des conditions plus sereines mais à un rythme parfois accéléré, et c'est ce que nous avons vécu au sein de cette mission d'information.
M. Adrien Gouteyron. Moins d'agitation et plus de détermination !
M. le président. Vous allez améliorer nos relations avec l'Assemblée nationale ! (Sourires.)
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Nous faisons un travail sérieux, avec la volonté qu'il débouche. Et dans le domaine qui nous intéresse pour l'instant, nous avons une immense chance, monsieur le ministre, celle de vous avoir !
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Merci !
M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Auditionné par la mission d'information, vous avez tenu à cette dernière non pas des propos artificiels, mais un message fait de tout ce que vous portez en vous-même, de votre expérience riche et forte de président de conseil général - et c'est un président de région qui le dit ! Je tiens ici à vous rendre hommage, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. En effet, se voyant remettre par nos soins, à Gap, ce rapport, qui est épais,...
M. Adrien Gouteyron. Oui !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... M. le Premier ministre a mesuré l'ambition qu'il porte - et j'ai quelques raisons de pouvoir affirmer ici que ce n'était pas dans sa bouche des paroles artificielles - d'une politique nouvelle de la montagne, non pas une politique dictée par une vision étroite tendant à répondre simplement aux attentes des montagnards - et Dieu sait si elles sont légitimes ! -, mais une politique tendant à répondre au besoin d'un équilibre nouveau en France,...
M. Raymond Courrière. On verra !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... dans un monde où la perte des valeurs spirituelles engendre des angoisses existentielles.
Le besoin pour les hommes de se réconcilier avec eux-mêmes en retrouvant un environnement naturel de qualité, en harmonie avec ce qu'ils ont au fond d'eux-mêmes, me paraît essentiel. La politique de la montagne doit répondre à notre détermination de maintenir la vie dans ces zones de montagnes, dans le respect de l'environnement, et de garantir un développement durable. Elle doit viser à l'équilibre dans l'aménagement de notre territoire. Il y a là - cela ressort des travaux de la mission d'information - une véritable exigence, presque un impératif national, au moment où - et c'est une chance extraordinaire - le Gouvernement lance la décentralisation afin que puisse s'exprimer « la France d'en bas », expression aucunement péjorative, car il y a des élites, des acteurs économiques, sociaux, culturels, partout et pas seulement à Paris - je tiens d'ailleurs à saluer les sénateurs parisiens, pensant à Montmartre qui est un peu une montagne parisienne (Sourires) -, cette France d'en bas que l'on entend rarement et à qui il faut permettre d'apporter une contribution à la construction de notre pays en répondant au besoin de proximité. Hier, d'ailleurs, lors d'une journée exceptionnelle, nous avons entendu M. le président du Bundesrat et M. le président du Bade-Wurtemberg rappeler l'exigence de la subsidiarité : or cette subsidiarité est importante non seulement entre l'Europe et les différents Etats mais aussi à l'intérieur de notre pays.
Nous avons l'immense chance que M. le Premier ministre et son gouvernement, sous l'impulsion et selon la volonté de M. le Président de la République, ait lancé la décentralisation. Celle-ci nous conduira naturellement, monsieur le ministre, à positionner la montagne.
Je prendrai un seul exemple : les comités de massif qui sont aujourd'hui présidés par des préfets -, soyez assurés que je les respecte -, ne répondent pas à l'attente et aux besoins qui sont ressentis partout. En revanche, si on les transforme en instruments de coopération interrégionale ouverts aux départements et ouverts au secteur socio-économique, on pourra leur donner la dimension naturelle de moteur dans le développement de nos massifs et même leur assigner - mais mon collègue Pierre Jarlier y reviendra sans doute - un rôle dans les grandes directives d'urbanisme.
Nous sommes donc à un moment où la France s'engage résolument dans la décentralisation. Or, parallèlement, l'empilement des décisions, la complication des mécanismes, l'inadaptation des évolutions législatives aux réalités de la montagne aboutissent à un blocage et à une attente.
Aussi, face à cette situation, nous qui voulons la réforme dans ce pays - et je sais que vous la souhaitez aussi, monsieur le ministre -, nous pensons qu'il y a plusieurs voies pour progresser et pour créer une nouvelle dynamique par rapport à la montagne.
La première voie consisterait à vous demander le dépôt d'un projet de loi global que nous soutiendrions si nous y retrouvions les éléments fondamentaux de notre rapport et qui serait susceptible de répondre à la forte attente que suscite la question. Ce n'est pas forcément la solution la plus rapide.
La seconde voie consisterait, dans la mesure où le Gouvernement nous a annoncé une série de projets de loi, à ce que ces derniers reconnaissent tous la spécificité de la montagne, de façon à satisfaire nos demandes.
Vous avez annoncé - et je connais votre détermination sur ce point, monsieur le ministre - un projet de loi sur la ruralité. Si ce dernier prenait en compte la spécificité de la montagne - la ruralité, ce n'est pas la montagne, mais la montagne est un élément de la ruralité -, il pourrait alors constituer une réponse rapide.
De même, les textes sur la décentralisation peuvent, à l'évidence - je l'évoquais à propos des comités de massif -, traduire, eux aussi, la reconnaissance de cette spécificité. Ce peut être également le cas des textes sur l'urbanisme, qui sont déjà presque prêts, ou de textes sur l'environnement, sur lesquels nous fondons beaucoup d'espoir.
Le Gouvernement a donc le choix - et nous respectons sa liberté - entre deux voies : soit déposer un projet de loi global, soit prendre en compte, sans la banaliser, la réalité de la montagne à travers différents textes.
Pour ma part, j'estime, en accord avec le groupe d'études du Sénat sur le développement de la montagne que j'ai l'honneur de présider, que si votre choix, monsieur le ministre, se porte sur le dépôt de projets de loi multiples comportant des mesures spécifiques pour agir plus vite et mieux, cette solution serait compatible avec la préparation d'une proposition de loi qui donnerait une cohérence à l'ensemble. Seraient ainsi manifestement exprimées la volonté politique - elle est noble - qui nous anime et notre détermination à agir dans les trois grands secteurs qui viennent d'être évoqués.
En fonction des réponses que vous nous donnerez, monsieur le ministre, et que nous respecterons, notre mission d'information adoptera la démarche la plus adaptée, faisant comprendre à chacun que le rapport qu'elle a déposé n'est pas destiné à rester dans les bibliothèques, mais qu'il nous engage dans une voie nouvelle pour redonner du sens à une politique globale de la montagne.
J'en viens au volet européen de la politique de la montagne.
Tout d'abord, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous féliciter de votre capacité à vous battre sur les dossiers européens et, en particulier, à résister au mouvement que certains voudraient peut-être induire en Europe, mouvement consistant à abandonner petit à petit une vraie politique agricole commune.
Hier, la Commission a sorti - ou ressorti - un certain nombre de ses propositions. Nous sommes au coeur d'un grand débat européen. Mais nous vous faisons confiance pour défendre notre agriculture.
La célébration du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée nous a conduits, bien entendu, à nous projeter vers cette nouvelle Europe que nous attendons et dont nous avons besoin. Mais elle ne peut pas se faire par l'abandon de ce qui a été le ciment de l'Europe, de ce qui a été la première des politiques européennes communes, je veux parler de la politique agricole commune. (M. Adrien Gouteyron applaudit.)
J'affirme, pour ceux qui l'auraient oublié, que c'est grâce à cette politique agricole commune que l'Europe a cessé de paraître lointaine, que c'est grâce à elle que l'Europe est parvenue à l'autosuffisance et que de véritables atouts ont été donnés à l'aménagement du territoire.
Le « pétrole vert » de la France - pour employer les termes utilisés par le président Giscard d'Estaing à Vassy - est une réalité qui doit rester vivante. A l'époque, on avait expérimenté une première monnaie européenne, on l'a oublié, comme on a oublié que l'euro est une réussite. A ce propos, si l'on reprenait les discours que certains ont prononcé, voilà seulement quinze ou seize mois, on serait un peu surpris !
On avait donc expérimenté des mécanismes de monnaie avec la monnaie verte. Ce fut l'époque difficile des montants compensatoires monétaires, qu'il nous a fallu démanteler à un moment où le mark montait et où le franc baissait un peu. J'en ai passé, des nuits, aux côtés de Pierre Méhaignerie, à discuter avec M. Hertel, ministre allemand, sur ce démantèlement des montants compensatoires monétaires !
La politique agricole a enraciné l'Europe. Vous la défendez, et nous vous faisons confiance.
L'élargissement de l'Union européenne, qui constitue un atout, va conduire, dans des délais rapides, à une refonte des politiques européennes : politique agricole et politiques régionales.
Or, monsieur le ministre, il semble que l'Europe s'oriente vers une concentration de ses crédits sur ce que l'on appelle des régions, des zones ou des territoires à handicaps naturels permanents. Il est donc indispensable que la spécificité de la montagne soit reconnue au niveau européen.
N'oublions pas, d'ailleurs, qu'il revient à l'Europe d'avoir mis en place, pour la première fois, sur l'initiative d'un ministre de l'agriculture qui a marqué notre pays, puisque c'était Jacques Chirac, la prime à la vache tondeuse. Il s'agissait en fait d'une mesure agri-environnementale. Les pseudo-intellectuels un peu fatigués qui voudraient nous donner des leçons d'écologie, qui oublient que les agriculteurs sont les premiers gardiens de l'environnement, devraient s'en souvenir.
On a commencé à aider l'élevage en montagne pour empêcher que les sols ne se dégradent. C'est ainsi qu'est née l'indemnité spéciale montagne, devenue l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, l'ICHN. Vous vous êtes d'ailleurs engagé, monsieur le ministre, à vous mobiliser pour que cette indemnité soit revalorisée et nous sommes très sensibles à cet engagement.
Ainsi, à l'échelon européen, en jouant à la fois sur la politique agricole, sur le deuxième pilier, ainsi que sur l'évolution de la politique régionale, la France pourra faire reconnaître la spécificité de la montagne si elle-même a reconnu cette spécificité.
Vous permettrez au président du conseil régional du Languedoc-Roussillon, sénateur de la Lozère, c'est-à-dire du seul département a être exclusivement classé en zone de montagne, de regretter que ce département ait été quelque peu maltraité. Il faudra veiller à l'avenir à ce que la montagne ne soit pas écartée des primes d'aménagement du territoire.
M. le président. Très bien !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Il faudra concevoir des processus adaptés. En effet, quand on enlève la Lozère de certains mécanismes pour mettre à la place des grandes villes, on ne peut plus parler de politique d'aménagement du territoire ! Mais ce reproche ne s'adresse pas à vous, monsieur le ministre.
Par ailleurs, si 60 % du territoire du Languedoc-Roussillon est en zone de montagne, il ne faut pas oublier son rivage littoral. Je pense qu'un combat doit être mené pour que, dans la nouvelle politique régionale, la montagne d'un côté, les zones périphériques et maritimes de l'autre, soient reconnues comme zones prioritaires et bénéficient des fonds européens !
Soyons clairs en la matière ! L'objectif 5 B concernait la montagne. Le transformer pour y inclure un peu tout a été un coup terrible pour les zones de montagne. Nous fûmes peu nombreux à dénoncer le procédé. Il est tellement plus facile de dire que l'on va accorder des crédits importants à une ville pour réaliser un grand projet que de parler du « saupoudrage » de la politique de la montagne !
On le sait très bien, en montagne, ce sont de multiples opérations qui permettent de maintenir la vie ; je pense aux actions de défense du patrimoine naturel, de développement économique, de développement agricole ou touristique, de soutien aux petites et moyennes entreprises, d'entretien des équipements de base.
M. Amoudry a certes bien fait de rappeler les grands besoins de communication et d'évoquer le TGV reliant Turin à Barcelone. Mais je dirai pour ma part que les problèmes d'adduction d'eau ou d'assainissement sont parfois tout aussi majeurs. Il n'est pas de bon ton d'en parler, parce que cela fait un peu rural, mais ce sont de vrais problèmes. Vous les connaissez d'ailleurs, monsieur le ministre, parce que vous les avez traités.
A cet égard, permettez-moi, en cet instant, d'aborder un sujet dont on parle peu mais qui a été cité dans le rapport. Le premier concerne la santé.
Au cours des visites que j'ai effectuées dans les différents massifs, j'ai pris conscience du risque qu'il y avait pour les populations de montagne d'être privées de médecins,...
M. Adrien Gouteyron. Eh oui !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... voire d'infirmières. Il en va ainsi dans le Cantal, monsieur Jarlier,...
M. Adrien Gouteyron. Dans la Haute-Loire !
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... dans la Haute-Loire, effectivement, en Lozère, dans chaque massif montagneux.
Une nouvelle approche des besoins des services de santé est donc indispensable pour résoudre les problèmes de réseau, les problèmes d'entente entre les cliniques privées et les hôpitaux.
Par ailleurs, la vocation climatique de la montagne, sa vocation d'accueil des personnes les plus lourdement handicapées doivent être reconnues.
Ne prendre en compte que les pourcentages entre le nombre de lits et la population revient à nier cette vocation d'accueil sanitaire et social. Or la montagne a un effet bénéfique sur ceux qui y viennent.
Cette vocation d'accueil crée - c'est vrai - de la vie et de l'emploi, mais quand, à Font-Romeu, on voit les jeunes enfants retrouver une respiration normale, quand on visite les établissements qui accueillent les multi-handicapés, comme celui qui existe en Lozère, on mesure l'ampleur de la générosité des femmes et des hommes de la montagne, qui, les premiers, se sont mobilisés au service de ces handicapés, et on se dit qu'on n'a pas le droit, au nom de ratios, de remettre en cause cette mission d'accueil sanitaire et social.
Nous demandons donc la mise en oeuvre d'une politique nationale en faveur de la montagne, la reconnaissance de la montagne dans les politiques européennes et que soit donnée une réponse aux attentes des femmes et des hommes qui ont besoin de garder cette montagne non pas seulement intacte, mais protégée.
Je terminerai mon intervention par ce voeu : faisons de la montagne un modèle de développement durable !
Cela signifie qu'il ne faut pas accumuler les interdictions permanentes et qu'il faut faire confiance aux élus de la montagne. Pourquoi les maires de montagne seraient-ils plus suspects que d'autres ? Pourquoi ne pas admettre qu'ils sont suffisamment sensibilisés aux questions environnementales pour ne pas faire n'importe quoi, conscients qu'ils sont de posséder un capital naturel qu'il leur appartient de protéger ?
Car c'est cela la richesse de la montagne ou, plutôt, des montagnes, parce qu'elle sont diverses, vous le savez bien, et nous avons essayé, dans nos travaux, de refléter cette diversité. Mais elles ont aussi des points communs, et c'est sur eux que nous avons voulu, monsieur le ministre, non pas attirer votre attention, car elle était déjà forte, mais accroître votre détermination.
La mission d'information sur la montagne, consciente de ses responsabilités, a donc fait preuve d'initiative. M. le président a parlé, lui, tout à l'heure de « prospective ».
Notre assemblée est vigilante sur tout ce qui se déroule autour d'elle. Elle est capable de porter des idées et de répondre aux préoccupations du monde moderne. Or le monde moderne a besoin de la montagne. A cet égard, je sais, monsieur le ministre, que l'on peut compter sur vous et sur le Gouvernement. Sachez qu'une volonté forte anime également le Sénat ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport qui a été déposé par la mission d'information mérite d'être reconnu comme un document de grande qualité, en raison tant des constats établis que des nombreuses pistes proposées. Certes, celles-ci doivent être approfondies, et c'est dans ce sens que les groupes de travail qui se mettent actuellement en place vont engager leur réflexion.
Je tiens tout d'abord à saluer l'excellente ambiance qui a régné au sein de la mission et à relever la disponibilité, l'écoute dont a fait preuve notre rapporteur, M. Jean-Paul Amoudry.
Je n'ai pas la prétention, dans le temps qui nous est imparti aujourd'hui, d'aborder tous les problèmes ni d'entrer dans le détail de ceux que je vais développer. Je m'exprimerai donc sur des sujets plus spécifiques au Massif central et, plus particulièrement, au Puy-de-Dôme, département dont je suis l'élue.
Faut-il se réjouir de lire dans le rapport que le Massif central et le massif corse sont les moins favorisés des massifs français ? Non, bien sûr, mais nous savons tous que de nombreux Auvergnats, Creusois, Ardéchois, Aveyronnais et autres montagnards du Massif central se sont résignés à partir ailleurs gagner une vie que la dureté des saisons et de la terre rendait âpre.
Etre maçons, marchands de bois et charbon, patrons de bistrots à Paris, certains d'entre eux l'avaient bien sûr choisi. Mais le monde paysan a grandement subi la saignée de la Grande Guerre, comme en témoignent aujourd'hui les monuments aux morts de nos villages. Les femmes ont alors tenté d'assurer au mieux, souvent seules, les travaux de la ferme.
Qui mieux que moi peut comprendre les générations de femmes qui ont choisi ensuite de quitter cette terre pour les villes, même si, comme le chante Jean Ferrat, c'était parfois seulement pour « du formica et du ciné » ? En fait, c'était déjà pour l'emploi. Lorsque des jeunes femmes quittent le pays pour trouver mieux ailleurs, un meilleur confort, des mentalités plus évoluées, il est bien facile de comprendre que l'hémorragie ne pourra que s'amplifier, qu'en tout cas elle ne s'arrêtera pas toute seule.
Le Massif central s'est désertifié ; il est peuplé de personnes plus âgées, souvent de femmes seules. Il suffit de constater les difficultés que connaissent certains conseils généraux, notamment ceux de la Creuse ou du Cantal, devant l'impossible bouclage de leur budget en raison de la forte demande d'APA, d'allocation personnalisée d'autonomie, pour en avoir la preuve.
Y avait-il moyen de faire autrement ? Y a-t-il encore aujourd'hui moyen de faire autrement ? Je prétends que oui si, ensemble, décideurs économiques et politiques, nous savons faire les bons constats et regarder les problèmes avec réalisme.
L'emploi féminin est une question pertinente : il s'agit de l'appréhender non pas comme une mode dont certains avaient espéré qu'elle passerait, pas plus qu'en tant que salaire d'appoint, comme certains le considèrent avec un brin de dédain ou de distance, mais comme un élément central, dynamique et favorable au secteur tertiaire, dans les domaines notamment du tourisme, de la santé et de l'action sociale.
Il arrive que des cadres d'entreprise ou de la fonction publique reçoivent comme une punition ou une catastrophe une affectation en zone de montagne. Je me souviens des réactions qui se sont manifestées lorsque le CEMAGREF, le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, fut délocalisé à Clermont-Ferrand, dont l'agglomération compte pourtant 250 000 habitants et est située en plaine.
Si l'on analyse au fond les raisons de ces refus ou au moins de ces réticences, on trouve l'emploi de l'épouse du cadre, parfois elle-même cadre dans une autre entreprise ou un autre secteur. J'ai vu de brillants universitaires quitter l'Auvergne devant l'impossibilité pour leur épouse de trouver un emploi. Voilà une piste sérieuse, de l'importance de laquelle je voudrais vous convaincre : il faut accorder une égale importance à l'emploi des femmes qu'à celui des hommes.
Je suis sûre que nous aborderons ainsi avec moins de résignation les questions de la démographie, de la carte scolaire et, d'une manière générale, les questions sur lesquelles je veux plus particulièrement réfléchir avec vous.
Sans négliger le devenir du thermalisme ou du tourisme, qu'il soit d'hiver ou d'été, dont, j'en suis sûre, nous reparlerons, je voudrais plus précisément aborder quelques points touchant à l'agriculture, aux services publics et privés d'offre commerciale et artisanale, d'urbanisme, de communications, en y associant la téléphonie mobile, le haut débit et, enfin, sujet typique du Massif central, les sections communales, au sujet desquelles je vous promets de ne pas tout dire parce que ce serait, pour le coup, beaucoup trop long.
En ce qui concerne l'agriculture, bien sûr, la montagne est cause de surcoût d'exploitation et de moindre rendement, mais elle est parfois le dernier moyen d'empêcher la désertification.
Il faut reconnaître que bien des agriculteurs trouvent peu motivant et parfois bien triste de vivre uniquement sur les aides publiques et qu'ils ne souhaitent pas devenir de simples « entreteneurs » de paysages, même si cela rend service au tourisme.
L'aide à l'installation des jeunes agriculteurs, qui fait souvent l'objet d'une politique volontaire des conseils généraux - en tout cas c'est le cas de celui du Puy-de-Dôme - mérite d'être évoquée.
J'insisterai d'abord sur la nécessité de revoir les taux bonifiés, pour les rendre encore plus incitatifs.
Une politique de gestion foncière permettant les installations doit être également envisagée. La vitalité dont sont aujourd'hui porteuses les communautés de communes peut être un puissant moteur en la matière.
Une véritable politique de la forêt doit en outre être entreprise. Le Massif central est la première réserve de bois en France. Or les trois millions de mètre cubes d'accroissement naturel ne sont pas exploités ; il y a pourtant là un gisement potentiel d'environ 10 000 emplois.
Il convient également de favoriser les produits agricoles de qualité. Ne l'oublions pas, les deux tiers des fromages d'appellation d'origine contrôlée sont produits en montagne. L'image des produits de montagne doit donc être encore mieux valorisée. La dégustation à laquelle certains d'entre nous ont participé hier soir dans vos salons, monsieur le président, est un bon exemple de ce qu'il faut faire à cet égard.
Les producteurs qui se regroupent pour atteindre un poids économique suffisant dans les négociations avec les distributeurs ou pour mettre au point des solutions de distribution directe méritent d'être soutenus. Je pense au lait qui est, en montagne, par définition, un produit de qualité mais qui a impérativement besoin du maintien des quotas.
J'en viens aux services publics et privés, à l'offre commerciale et artisanale.
C'est une banalité de dire que, du fait de déplacements plus importants, liés à un habitat dispersé, le commerce et l'artisanat supportent certains surcoûts. Cela est vrai dans toutes les zones rurales, mais, en montagne, les conditions climatiques et l'enclavement rendent les contraintes à cet égard encore plus importantes. Dans certaines zones de certains départements, les déplacements s'évaluent plus en temps qu'en distance. Je pense au Cézallier, au Livradois-Forez ou aux Combrailles, mais nous avons tous des exemples en tête.
Le petit commerce est fragile. Or le consommateur automobiliste n'est pas toujours conscient qu'il ne peut exiger la présence d'une épicerie à côté de chez lui pour le dépanner s'il va faire habituellement ses courses dans la moyenne ou la grande surface du chef-lieu de canton ou de la sous-préfecture, où il pense trouver des produits moins chers !
Je crois qu'il faut décentraliser la gestion du FISAC, le Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, pour accélérer et mieux adapter les procédures.
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Très bien !
Mme Michèle André. Lorsque l'épicerie de Miremont, commerce multiple de la commune, veut étendre sa surface de quelques mètres carrés pour mieux servir de point Poste - il n'y en a plus à dix kilomètres à la ronde - et de dépôt de pressing, la question pourrait être plus rapidement traitée au niveau local.
M. Adrien Gouteyron. Certes !
Mme Michèle André. Nous le savons bien, ces points multiservices, pour peu que les gérants soient dynamiques et s'adaptent au pays, deviennent un des derniers lieux de rencontre pour les habitants.
La question de la transmission des commerces, et surtout des entreprises artisanales, est tout à fait préoccupante.
Le département du Puy-de-Dome a mené, en collaboration avec la chambre des métiers, une étude cartographique qui montre le bien-fondé de cette préoccupation et prouve la plus grande fragilité des zones d'altitude. Des mesures ont certes été prises, mais elles méritent d'être accompagnées. Pourquoi ne pas envisager une dotation à l'installation des jeunes commerçants, comparable à la prime à l'installation des jeunes agriculteurs ?
Les départements aident souvent à l'investissement pour l'acquisition ou la rénovation de camions adaptés aux tournées. En effet, l'institution de normes, même si l'on en comprend la justification, a accéléré l'abandon de cette pratique commerciale par certains commerçants proches de l'âge de la retraite.
Je ne dirai que quelques mots des services publics, sachant que d'autres collègues y reviendront plus amplement.
Nous sommes là devant un cercle vicieux : on ferme le bureau de poste faute de clients suffisamment nombreux, ce qui dissuade l'installation de nouveaux habitants ou encourage le départ des anciens résidents. La polyvalence est une réponse qu'ont déjà utilisée nombre de maires ruraux des départements de montagne avec, il faut le reconnaître, plus ou moins de succès. Je pense qu'il faut malgré tout persévérer dans ce sens.
Ce dont nous entendons le plus souvent parler, c'est de règles d'urbanisme, de complications, de tracasseries et d'incompréhension entre les services de l'Etat et les maires. Les communes ont plus ou moins publié leurs documents d'urbanisme, mais elles font état de situations parfois ubuesques. Je suis sûre, monsieur le ministre, que vous connaissez des exemples de telles situations. Les nouvelles dispositions ne sont pas toujours adaptées à la spécificité de la montagne. Elles placent les futurs habitants dans l'insécurité juridique.
J'évoquerai le cas d'un jeune couple ayant deux enfants qui a déposé une demande de permis de construire dans le village natal d'un des parents. La commune en question perd progressivement ses habitants permanents, qui ne sont plus aujourd'hui qu'au nombre de 260. Les deux parents ont une activité professionnelle à proximité et les deux enfants sont en âge d'aller à l'école. Perdant l'espoir de voir leur demande traitée, ils s'apprêtent aujourd'hui à partir pour la ville la plus proche, ce qui risque de précipiter la fermeture d'une classe.
Il est temps de préciser et d'harmoniser, par la voie de règlements et de circulaires, un certain nombre de notions - continuité, adaptation, réfection, extension limitée, patrimoine naturel, hameaux, etc. - utilisées dans la loi « montagne » et qui ne sont pas adaptées à la moyenne montagne. La loi « montagne » était destinée à protéger les zones naturelles de haute montagne. Je me demande parfois s'il ne nous faudra pas envisager de légiférer pour protéger la vie humaine dans les zones de moyenne montagne.
MM. Raymond Courrière et Claude Domeizel. Très bien !
Mme Michèle André. Ainsi, le principe de continuité n'est guère adapté au Massif central, où certains secteurs ne sont pas exploités par l'agriculture. Il faudrait nuancer et permettre aux conseils municipaux d'autoriser les constructions pour lutter contre le dépeuplement, comme nous l'avons proposé récemment dans un amendement tendant à modifier l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme.
J'aborderai maintenant la question des communications.
Certes, la situation du Massif central en matière de liaisons routières et aériennes a évolué dans un sens favorable. Mais faut-il se satisfaire des trois heures quinze de train encore nécessaires aujourd'hui pour aller de Paris à Clermont-Ferrand ou des deux heures trente que représente le trajet entre Clermont-Ferrand et Lyon ? Assurément non !
L'aéroport d'Aulnat, quant à lui, a prospéré. Nous avons salué, il y a quelques jours, son millionième passager, mais des rumeurs persistantes, non démenties par les faits, font craindre la perte du hub qu'avait bâti Regional Airlines, avant sa reprise par Air France, alors qu'il permet de relier entre elles un certain nombre de villes moyennes, qui l'apprécient beaucoup.
Par ailleurs, si une certaine impatience se manifeste quant à l'ouverture de l'autoroute A 89 vers Bordeaux et, au sud, s'agissant de la mise en service du viaduc de Millau, on peut dire aujourd'hui que le Massif central n'est plus isolé. Cela dit, aller de Clermont-Ferrand à Limoges, c'est encore « faire un voyage » !
Reste un défi de taille : l'accès au haut débit pour les entreprises déjà présentes ou pour celles qui pourraient s'implanter à l'avenir. Il y a là un véritable enjeu pour nos zones de montagne.
L'exemple du CETIR, le centre européen des technologies de l'information en milieu rural, lancé par notre collègue Josette Durrieu dans les Hautes-Pyrénées, est à méditer pour des zones de piémont et de moyenne montagne : conseils, pépinières et incubateurs d'entreprises pourront ainsi trouver leur place dans nos zones.
Il faut inciter au développement des réseaux, tenir l'objectif du précédent gouvernement d'équiper toute la France en haut débit en 2005 et, bien sûr, achever l'équipement en téléphonie mobile. On ne peut se contenter de la couverture annoncée de 80 % des habitants : il faut arriver à 100 % des territoires.
J'en viens au problème des sections communales, casse-tête qui concerne particulièrement le Massif central. Il y a ainsi plus de mille sections communales dans le Puy-de-Dôme.
Deux types de biens sectionnaux doivent être distingués : ceux qui procurent des revenus - estives, forêts, carrières - et les autres. Il faut clarifier la nature juridique de la section, définie précisément l'habitant et l'ayant droit. Devant la masse des problèmes à résoudre, il semble évident que ces sections n'ont plus aujourd'hui leur raison d'être et que leurs patrimoines devraient être transférés aux communes.
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Très bien !
Mme Michèle André. Le groupe de travail départemental du Puy-de-Dôme a déposé, à ce sujet, de très intéressantes conclusions que je ne peux énumérer ici mais que je tiens à votre disposition.
Je conclurai en évoquant quelques points qui méritent de retenir l'attention, à notre niveau et à d'autres.
Quid de la fin des fonds européens de soutien spécifique à la montagne, prévue pour 2006 ?
Il est impératif d'étudier les problèmes de la moyenne montagne dans leur réalité et, à ce titre, de considérer le Massif central avec ses atouts et ses handicaps.
Notre comité de massif a besoin de véritables moyens humains et financiers. A défaut, cet outil, qui pourrait être intéressant, n'est qu'une coquille vide, car il ne rencontre aucune réalité concrète.
Au moment où les régions signent les contrats de plan, il est indispensable de bâtir, pour le Massif central, un projet qui ne soit plus l'addition de contrats de région, mais bien un programme où les aspects sociaux, économiques et culturels seront pris en compte de manière plus globale. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je m'associe à l'hommage qui a été rendu devant l'ampleur du travail effectué et les perspectives d'une amélioration de la politique de gestion de la montagne. Cependant, je n'approuve pas la totalité des propositions issues de ce travail.
La montagne, avec ses sommets et ses paysages de toute beauté, est un endroit privilégié pour des milliers de personnes, qui y trouvent un lieu de détente et d'évasion. Elle est un espace propice à la contemplation esthétique et au partage. Toutefois, si la richesse de ses milieux naturels est irremplaçable, elle est aussi et surtout un lieu de vie pour une partie de notre population.
La politique de la montagne se doit donc de prendre en considération ces différents aspects et de reconnaître ainsi la spécificité des zones de montagne.
La notion de développement durable peut nous aider à mieux appréhender cette spécificité, qui comporte trois volets : économique, social et environnemental. Aujourd'hui il ne tient qu'à nous de considérer la montagne d'un point de vue global, pour en faire à la fois un lieu de vie et un espace naturel. Je rejoins ainsi les conclusions de la mission, qui préconise « un aménagement équilibré et harmonieux du territoire, dépassant l'affrontement stérile opposant les défenseurs exclusifs de l'environnement aux partisans acharnés d'un développement exponentiel, afin de prendre en compte les besoins des générations futures ».
Pour autant, je n'adhère pas à certaines propositions qui tendraient, à mon avis, à réduire l'équilibre entre les espaces naturels et les espaces aménagés et à favoriser un développement exagéré de l'urbanisation et du tourisme. Ces propositions laissent penser que chaque décision peut s'appliquer uniformément à toutes les situations. Elles remettent en cause le fondement même de la loi « montagne » de 1985.
Je préconise pour ma part, un assouplissement de cette loi. Il faut rappeler qu'elle avait été votée dans un contexte particulier, caractérisé par une urbanisation à outrance, irrespectueuse de l'environnement. Si la loi s'avère rigide et qu'elle s'applique de manière stricte pour certains aspects, elle reste sans effet pour d'autres.
Aujourd'hui, la prise de conscience collective du caractère vital de notre environnement devient compatible avec l'activité économique et permet d'envisager une révision de cette loi « montagne ».
Je vous rejoins, monsieur Amoudry, lorsque vous proposez de soutenir le tourisme comme vecteur du développement local, permettant de donner un second souffle à de nombreuses communes isolées de montagne.
Cependant, une importance excessive donnée au tourisme se révèle néfaste pour l'ensemble des populations et pour l'environnement. Les UTN, les unités touristiques nouvelles, ont joué jusqu'à présent leur rôle de régulateur, mais on peut envisager aujourd'hui, dans certains cas, un assouplissement à cet égard. Toutefois, l'assouplissement des procédures ne doit pas vider de sa substance la philosophie des UTN, à savoir la préservation de l'environnement alliée à la rentabilité économique du site concerné. Dans cette perspective, je proposerai un soutien actif aux stations de moyenne altitude, qui sont confrontées à une pénurie de neige.
Il serait vain, et contraire à l'objectif de développement durable, de continuer à soutenir les seules activités de neige : le réchauffement climatique et la remontée de l'altitude moyenne de l'enneigement qui en découle, l'extension des domaines skiables et, en France, une offre supérieure à la demande ont entraîné une utilisation de plus en plus importante des canons à neige.
Je rappelle que l'Organisation des Nations unies a proclamé l'année 2003 « année internationale de l'eau douce ». L'ONU, les gouvernements et tous les autres acteurs s'engagent ainsi, cette année, à améliorer la prise de conscience de l'importance de l'utilisation durable, de la gestion et de la protection de l'eau douce. Or l'utilisation trop fréquente des canons à neige va à l'encontre de cette orientation.
La France se doit de favoriser et de promouvoir une meilleure gestion intégrée des ressources en eau, en développant, entre autres, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE.
Néanmoins, il est impératif de soutenir ces stations, dans un objectif de diversification de leur offre d'activités, ce qui correspond d'ailleurs aussi à une demande croissante du public. Pour cela, il faut, dans un premier temps, réaliser un bilan de l'existant, massif par massif. Il convient de prendre en compte leurs spécificités et les structures déjà présentes. Dans un second temps, il faut évaluer la demande potentielle pour réaliser les structures manquant à chacun des sites, afin qu'ils deviennent complémentaires. Cela nécessite une organisation à l'échelle du territoire, qui permettrait à ces stations non pas de survivre mais de se développer, et répondrait également au besoin d'implanter des activités nouvelles, enjeu réel pour le développement de la montagne.
Par ailleurs, vous proposez de lever l'obligation de construire en continuité et à une certaine distance des berges des lacs de montagne. Or il me semble que de telles mesures ne peuvent s'appliquer systématiquement à tous les sites : chaque situation doit être étudiée dans une perspective de développement durable et d'intérêt général. C'est pourquoi, plutôt que de lever cette obligation, il me semblerait plus judicieux de l'aménager en intégrant une clause d'exception. Elle autoriserait certaines constructions qui répond à des critères permettant une préservation des espaces et milieux naturels ; une valorisation des ressources naturelles, tout en prenant en compte les risques naturels, fréquents en zone de montagne. Cette proposition fait simplement écho à l'introduction de votre rapport, monsieur Amoudry.
Je voudrais aborder maintenant la gestion forestière.
Vous le savez, les forêts ont deux fonctions : de production, d'une part, et de protection, d'autre part.
La forêt de protection joue un rôle majeur sur le plan écologique : contention ou limitation de différents phénomènes naturels, préservation d'espèces végétales et animales très variées, ce qui lui confère également une fonction culturelle. Il faut reconnaître cette utilité ; pourquoi pas par la mise en oeuvre d'une aide aux propriétaires ? Ce geste permettrait d'ailleurs d'être plus exigeant quant à l'entretien de la forêt.
Pour ce qui est de la fonction productive, la prise en compte du handicap « montagne » dans la gestion de la forêt est une étape nécessaire pour rentabiliser les activités concernées. Pourquoi ne pas envisager de relancer des programmes prenant en compte la difficulté des zones de montagne, tels les programmes « compétitivité plus » ?
En outre, l'une des résolutions prises à Johannesburg met l'accent sur le développement des énergies renouvelables. A ce titre, la forêt de montagne ouvre des perspectives intéressantes. Il faut donc non seulement conforter les financements de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, en faveur de projets soutenant le bois-énergie, comme vous le proposez, mais également organiser un réel partenariat entre l'ADEME et les différents acteurs de cette filière, favorisant ainsi une meilleure gouvernance locale.
Vos propositions, dans leur ensemble, me paraissent répondre à cette volonté. J'émettrai toutefois une réserve sur l'une d'entre elles : le droit de préemption au profit des communes, compte tenu de la charge financière que cela représente. La commune qui ferait jouer ce droit doit pouvoir s'appuyer sur l'aide de l'Etat, quels que soient les développements de la décentralisation.
S'agissant maintenant de la protection du patrimoine naturel, vous proposez de déléguer, par voie de convention, la gestion des parcs nationaux aux collectivités territoriales. Cette proposition, qui s'inscrit dans le cadre de la décentralisation, doit être mise en oeuvre avec prudence.
En effet, même si cette mesure correspond à une volonté de gestion des parcs au plus près de leurs activités, cela ne doit pas se faire à leur détriment. Les collectivités territoriales et les régions qui deviendraient ainsi les délégataires, effectivement plus proches des réalités du terrain, mais également soumises à certaines pressions, risqueraient alors de rendre des arbitrages allant à l'encontre de l'intérêt général.
Par ailleurs, à travers son engagement, pris également lors du sommet de Johannesburg, de préserver la diversité biologique, la France a une obligation, au regard de la planète, de développer et de préserver ses parcs nationaux naturels. Il ne faut pas occulter le fait que les parcs nationaux sont un bien public et qu'ils doivent le rester, ils contribuent au rayonnement international de la France.
C'est pourquoi l'Etat se soit d'être le garant de l'unité nationale afin d'être au-dessus d'arbitrages régionaux, tout en menant une action différenciée pour prendre en compte l'hétérogénéité des territoires. Les parcs nationaux doivent donc demeurer dans le domaine de compétence de l'Etat, l'enjeu étant d'y associer plus étroitement les collectivités et les régions.
Concernant les propositions relatives à l'agriculture, vous dénoncez le niveau insuffisant des soutiens publics à ce secteur, dérogeant ainsi aux principes mêmes de légitime compensation du handicap « montagne » ; or c'est à ce titre que l'agriculture de montagne doit bénéficier d'un droit spécifique, afin qu'elle puisse se développer. En effet, l'agriculture de montagne, tout en fournissant des produits de qualité, assure la pérennité des espaces naturels et des paysages remarquables.
Je rappelle que l'agriculture de montagne doit pouvoir s'appuyer sur une agriculture de plaine en parfaite santé et qu'il faut lier, tout en les différenciant, ces deux activités.
Ainsi le soutien à l'agriculture doit-il passer, en premier lieu, par la préservation des terres agricoles et par la reconquête de nouvelles zones face à l'urbanisation croissante. Bien que je sois d'accord avec vous, vos propositions, devront intégrer les modifications relatives à la transformation des contrats territoriaux d'exploitation en contrats d'agriculture durable. En outre, elles n'auront de valeur que si des moyens financiers suffisants sont dégagés pour permettre leur réalisation. Pourquoi ne pas envisager la mise en oeuvre d'une « charte d'engagement », énonçant clairement les objectifs et les moyens consentis par l'Etat ?
Mais l'urbanisation croissante n'est pas la seule source d'inquiétude pour les agriculteurs de montagne : le retour naturel du loup en est une autre. Il faut impérativement trouver un compromis entre l'intérêt des éleveurs et la préservation de cette espèce animale. Autrement dit, il serait souhaitable de réguler la reproduction du loup, ainsi que le préconise la convention de Berne. Dans le même temps, il conviendrait de redéfinir le mode de pâturage en intégrant cette nouvelle réalité, la présence du loup, et en promouvant un nouveau système pastoral, fondé sur un encadrement plus important du troupeau. La mise en oeuvre de ce nouveau système doit, bien entendu, s'accompagner, pour les éleveurs, d'une aide financière et technique.
J'aborderai maintenant les propositions relatives à la pluriactivité.
Je me félicite des propositions émises dans ce rapport, notamment en termes de formation, de possibilités de multi-affiliation et de développement des groupements d'employeurs, qui profitent tant à l'employeur qu'aux saisonniers.
Par ailleurs, en matière de logement, j'approuve les propositions du rapport de M. Anicet Le Pors et le programme d'actions qui en découle, notamment la création de 6 000 logements ou places. En effet, l'une des grandes difficultés que rencontrent les saisonniers itinérants est le logement.
Ce nouveau prolétariat du tourisme, composé pour la plupart d'une population jeune et peu qualifiée, loue souvent chez son employeur ou connaît des conditions d'accueil précaires, paie des loyers très élevés tandis que son droit au logement est souvent bafoué. L'activité touristique étant particulièrement rentable, il est normal que tous ceux qui produisent cette richesse soient logés dans des conditions dignes.
En outre, faciliter l'accès au logement pour les saisonniers permettrait de pallier les difficultés de recrutement auxquels les employeurs sont confrontés.
A la difficulté d'obtenir un logement s'ajoutent les problèmes liés au salariat et à la protection sociale.
Vous proposez de rétablir le temps partiel annualisé, le TPA or ce type de contrat, supprimé par la loi Aubry, est contraire à l'intérêt des saisonniers. D'une part, il ne donne pas plus droit à l'indemnisation au titre du chômage que les contrats de travail intermittent et, d'autre part, il crée une grande dépendance des employés à l'égard de leurs employeurs. Je regrette le déficit de réflexion sur ce point.
Il faudrait permettre l'amélioration de l'indemnisation du chômage en prévoyant une indemnité de fin de contrat accompagnée d'une formation, afin de professionnaliser et de valoriser ce type d'emplois.
Enfin, la question de l'encadrement médical des saisonniers se pose de façon aiguë et suppose son renforcement. En effet, la majeure partie des employés ne bénéficie d'aucun suivi médical du fait de la multiplicité des employeurs. De par leurs conditions de vie, ces personnes sont fragilisées et, comme le montrent certaines enquêtes, souvent touchées par la drogue ou par l'alcool.
J'aimerais aussi évoquer la question du statut des médecins de montagne. Leurs conditions d'exercice sont difficiles et ils sont confrontés à la diversité des actes médicaux.
Lors de son passage à Gap, le 17 janvier dernier, M. Mattei a indiqué, en réponse aux revendications des médecins de montagne, qu'il fallait mettre en oeuvre une structure médicale appropriée qui serait à la charge financière des communes, des communautés de communes et des collectivités.
Dans le domaine primordial de la santé, la spécificité de la montagne et les liaisons difficiles compliquent l'exercice de la médecine. Mais, là comme ailleurs, l'Etat se doit de répondre aux exigences de la santé publique.
En ce qui concerne le soutien à l'artisanat, à l'industrie et au commerce, les propositions ne sont pas, me semble-t-il, à la hauteur du défi à relever. Le problème de l'infrastructure n'est pas suffisamment abordé alors que le développement économique passe obligatoirement par une bonne desserte locale, comme l'a d'ailleurs dit M. Amoudry.
En outre, le développement économique dépend étroitement de l'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication C'est un enjeu vital pour l'avenir du territoire lui-même. L'Etat doit prendre en compte, là encore, la spécificité de la montagne en assurant l'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication dont ces territoires sont exclus.
La réflexion sur l'artisanat de montagne n'est pas développée. A ce titre, il me semble que l'activité du bâtiment, notamment, devrait être soutenue, car elle offre de nombreuses perspectives de développement.
Le cas du commerce de proximité n'est pas non plus abordé.
Vous avez souligné la lente disparition des services publics dans ces territoires. Souvent, du fait du désengagement de l'Etat, les communes en sont réduites à assumer financièrement le surcoût d'un service relatif à l'éducation à la santé ou à La Poste. Si on empêche la population de montagne d'avoir accès aux services publics, on risque d'assister à une désertification de ces régions. Pourquoi développer le tourisme, l'artisanat, l'agriculture,... si aucun effort n'est engagé pour maintenir la population ?
Je vous rejoins sur ce constat et sur certaines de vos propositions, notamment celles qui portent sur les dotations de l'Etat. Mais il me semble que l'on peut pousser plus loin la réflexion en proposant des « régies de territoire ».
Cet outil, inspiré du fonctionnement des régies de quartier, a pour objet de répondre aux besoins de ceux qui tentent de construire des dispositifs de gestion concertée.
Cette régie est un réel dispositif partenarial qui s'inscrit dans la construction d'un développement local durable et dans l'économie solidaire en associant les trois démarches suivantes : une démarche de coordination tendant à articuler différents partenaires en coopération et en compétition pour rendre des services d'intérêt général, une démarche d'entreprise visant à compléter l'offre de services sur le territoire et, enfin, une démarche de solidarité afin de stimuler les partenaires et le lien social, notamment à faire une place aux personnes en difficulté.
La mise en place de régies de territoire peut permettre le maintien de certains services publics dans des lieux où ils sont aujourd'hui en recul. Il faudrait alors s'interroger sur les modalités de leur mise en oeuvre à travers, peut-être, une Maison des services publics.
En conclusion, vous l'aurez compris, mon intervention va dans le sens d'un assouplissement de la loi « montagne » de 1985, qui est trop rigide sous certains aspects, mais qui doit continuer à jouer son rôle de régulateur.
Il ne faut pas perdre de vue que tous les volets de la loi « montagne » sont en étroite corrélation entre eux.
Nous devons donc adopter une vision globale et procéder à une analyse cohérente pour réaliser un aménagement des territoires de montagne harmonieux et viable.
Cette démarche implique impérativement la prise en compte de la spécificité des massifs dans le respect de l'hétérogénéité des populations et des territoires.
Cette reconnaissance nationale d'un droit différencié doit aboutir à une reconnaissance européenne des zones de montagne.
Dans une perspective de développement durable, la montagne doit rester un lieu de vie, de partage et de détente pour notre génération, mais aussi pour les générations futures.
A mon sens, les élus locaux et les collectivités locales constituent bien évidemment le vecteur le plus approprié pour mettre en oeuvre cette loi de façon cohérente et rationnelle. Je ne saurais terminer mon intervention sans souligner leur importance.
Toujours en prise directe avec la réalité quotidienne de la population, ils sont le relais permanent entre les instances de l'Etat et leur territoire. Les femmes et les hommes de nos montagnes ont une expérience et ils ont engagé des réflexions qu'il faudra intégrer dans les orientations politiques futures qui présideront à l'avenir de la montagne.
Il s'agit d'un patrimoine national dont la préservation et le développement sont devenus un enjeu de civilisation supranational : l'Etat doit prendre ses responsabilités face aux enjeux de ces territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l'avenir de la montagne est particulièrement d'actualité et il est opportun au terme de l'année internationale de la montagne et dans le prolongement des initiatives prises par le Sénat.
L'année 2002 aura permis, un peu partout dans le monde, de franchir une étape décisive dans une prise de conscience universelle des enjeux que représente la montagne pour notre société.
Mais, dans notre pays, c'est le Sénat qui a été au tout premier plan de cette reconnaissance, grâce à votre volonté, monsieur le président, grâce à la mobilisation de la mission d'information de la Haute Assemblée autour du président Jacques Blanc, de notre rapporteur Jean-Paul Amoudry et de tous les sénateurs qui s'y sont associés, mais aussi de tous les élus de la montagne rassemblés au sein de l'ANEM, l'Association nationale des élus de la montagne.
Le rapport qui nous a été présenté se fait l'écho des attentes et des réflexions attendues par l'ensemble des élus locaux et des acteurs de terrain.
Cette mobilisation collective a été d'autant plus forte que ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est l'identité même de la montagne, la pérennité de son économie et de sa tradition agricole ainsi que sa capacité à s'ouvrir à de nouvelles perspectives de développement. Car la montagne n'est pas seulement une réserve naturelle dans laquelle la notion de développement durable serait associée à un immobilisme dicté par la seule loi de la protection.
Les massifs de montagne sont, d'abord, des territoires habités, riches de leurs cultures et des savoir-faire des hommes et des femmes qui ont choisi d'y vivre et qui ont droit - comme ceux qui habitent ailleurs - à un développement équitable résolument inscrit dans la modernité.
L'enjeu est donc clair pour nous les montagnards : c'est la conception d'une nouvelle notion du développement durable fondée sur l'équité et sur l'égalité des chances, un développement certes durable mais aussi équitable de nos massifs.
Ce nouveau projet, dont les montagnards doivent incarner l'ambition et conserver la maîtrise, est fondé non seulement sur un renforcement du rôle des collectivités locales et des acteurs locaux, mais aussi sur un partenariat renforcé avec l'Etat, dans un cadre décentralisé et contractualisé.
Pour donner cette nouvelle chance à la montagne, une relance de la politique de la montagne est devenue urgente, grâce à un nouveau cadre législatif, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, la situation de certains massifs est très préoccupante. C'est le cas de la moyenne montagne, qui est confrontée à un risque de fracture territoriale avec le déclin démographique, le retrait des services, la faiblesse des revenus, le poids de charges territoriales insupportables pour les collectivités.
Ensuite, il convient de remédier au déséquilibre entre la protection et le développement.
La loi « montagne » de 1985 était considérée comme une loi de développement. Mais, au fil des ans, la protection a pris le pas sur l'incitation au projet et nous sommes parvenus le plus souvent à une opposition génératrice de nombreux conflits entre promouvoir et contrôler, entre protéger et développer.
Les collectivités ont perdu peu à peu la maîtrise de l'aménagement de leur territoire alors même qu'elles disposent souvent des compétences nécessaires en matière d'urbanisme et de gestion de l'espace.
Enfin, la troisième raison qui justifie une relance de la politique en faveur de la montagne est le désengagement progressif de l'Etat.
Dans le passé, la montagne bénéficiait de fonds d'intervention spécifiques. Mais ces fonds ont été dilués peu à peu dans les fonds d'aménagement du territoire ouverts aussi - malheureusement - à d'autres secteurs.
Relancer la politique de la montagne, c'est aussi remettre en chantier la loi « montagne » de 1985. Nous attendons beaucoup de vous sur ce point, monsieur le ministre, d'autant que le projet de loi sur le développement rural que vous proposez est déjà un signe fort.
Mais, si la montagne et la ruralité appartiennent à la même famille, la nature, elle, n'offre pas les mêmes conditions de vie dans le secteur rural et à la montagne.
Les attentes des populations, à la ville comme à la montagne, ont considérablement évolué et, dans le même temps, les exigences légitimes des montagnards en faveur d'un égal accès à la modernité sont aujourd'hui de plus en plus fortes et conditionnent désormais leur volonté de rester au pays au-delà même des opportunités d'emploi.
Enfin, l'environnement institutionnel de notre politique de montagne a aussi profondément évolué.
Sur ce point, les lois sur l'intercommunalité et sur l'aménagement du territoire ou la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains ont bouleversé l'organisation des territoires en suscitant de nouvelles logiques de projet territorial.
Il faut cependant que les collectivités bénéficient des marges d'action indispensables dans cette nouvelle logique, d'autant plus que la montagne est soumise à une forme de tutelle de l'Etat dans de nombreux domaines.
Nous savons que le Savoyard que vous êtes, monsieur le ministre, est déjà convaincu de ces attentes fortes. Nous comptons sur vous pour que, dans ce nouveau texte, la montagne soit identifiée comme un territoire spécifique de la ruralité.
Bien entendu, nous souhaitons que les acquis fondamentaux de la loi de 1985 soient maintenus, notamment, bien sûr, le droit à la différence.
Mais plusieurs priorités qui conditionnement une nouvelle chance pour la montagne se dégagent de nos débats.
J'en retiendrai six, qui rejoignent les conclusions de l'excellent rapport de Jean-Paul Amoudry. Il s'agit de l'accompagnement indispensable des grands défis économiques auxquels doit faire face la montagne ; de l'augmentation des responsabilités des collectivités et de la concertation avec les acteurs locaux pour la gestion des ressources de l'espace montagnard ; de l'égal accès aux services publics pour les populations de montagne ; de l'indispensable désenclavement de la montagne, qu'il soit routier, ferroviaire ou numérique, notamment en matière de téléphonie mobile et de lignes à haut débit, qui conditionnent souvent maintenant l'installation d'entreprises en montagne ; il s'agit encore de l'adaptation des ressources affectées par l'Etat aux collectivités de montagne pour tenir compte des charges territoriales auxquelles ces dernières ont à faire face ; il s'agit, enfin, du renforcement des politiques de massif, considérées comme de véritables outils de coordination interrégionale au service des collectivités, notamment des régions.
Pour compléter utilement le propos de notre rapporteur et en accord avec lui, je me limiterai à quelques précisions sur deux points particuliers : l'économie et l'urbanisme.
Au premier rang des grands défis économiques figure l'agriculture de montagne, dans le contexte de la mondialisation. L'enjeu est majeur, car il s'agit d'un pilier de notre économie, surtout en moyenne montagne. Le handicap de l'agriculture de montagne doit être reconnu et l'agriculture dans cette zone doit bénéficier d'un rééquilibrage des aides en sa faveur.
Je rappelle à cet égard que, en 1992, un agriculteur de montagne percevait une prime à l'hectare supérieure de 50 % à celle que percevait un agriculteur de la région parisienne. En 1999, il percevait une prime inférieure de 30 %.
L'ICHN, l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, est un outil parfaitement adapté pour pallier ce déséquilibre, mais son mode d'attribution ne doit pas susciter de surenchère à l'agrandissement. Sur ce point, la revalorisation significative des 25 premiers hectares que vous avez engagée, monsieur le ministre, contribuera à favoriser le maintien des petites exploitations, qui sont les plus nombreuses chez nous.
De la même façon, la reconduction de la réévaluation cette année de la prime herbagère agri-environnementale de plus de 50 % a rassuré nos producteurs et sera de nature à réduire l'écart, encore trop important, entre les subventions aux différentes formes d'alimentation du bétail.
Mais, au-delà des nécessaires aides directes pour accompagner notre agriculture de montagne, la notion de projet d'exploitation contractualisé répond aujourd'hui parfaitement bien à la nécessaire adaptation de nos exploitations agricoles aux nouvelles attentes de la société. De très nombreux agriculteurs se sont engagés dans cette voie, tout en revendiquant un dispositif plus simple et moins contraignant.
Le nouveau contrat d'agriculture durable que vous proposez, monsieur le ministre, répond bien à ces attentes. Néanmoins, les surcoûts des investissements en montagne par rapport à la plaine justifient pleinement un plafond différencié du volet économique.
En bref, c'est un contrat d'agriculture durable adapté à la montagne que nous souhaitons.
Quant au PMPOA, le programme de maîtrise des productions agricoles, auquel a fait référence à l'instant M. Amoudry, il est paradoxal et incompréhensible. Alors que nos agriculteurs de montagne sont reconnus pour leur mode d'exploitation respectueux de l'environnement, ils sont exclus du champ du PMPOA 2 lorsqu'ils souhaitent mettre aux normes leurs bâtiments, notamment pour s'intégrer dans les filières de qualité qui aujourd'hui l'exigent.
J'en viens à l'installation des jeunes agriculteurs, qui reste le socle de la pérennité de notre agriculture de montagne.
La mise en place de prêts bonifiés associés à des démarches simplifiées et à de nouvelles conditions de transmission des exploitations aux jeunes agriculteurs serait de nature à favoriser les installations.
En effet, le nombre des installations diminue fortement et la surenchère sur les territoires primables empêche souvent le démarrage de nouvelles exploitations.
Enfin, et j'en terminerai par là au sujet de notre agriculture, le développpement des filières de qualité est une voie d'avenir pour que la valeur ajoutée sur les productions permette à nos agriculteurs de vivre de leur travail.
Cette démarche est capitale alors que les aides directes risquent d'être moins déterminantes lorsque vingt-cinq pays d'Europe en disposeront.
Dans le même sens, la reconnaissance du décret « montagne » par l'Europe et son adossement à des certifications de qualité permettront aux consommateurs d'identifier la différence positive de ces produits et d'accepter d'en payer le prix à l'étal.
Enfin, les agriculteurs, même organisés en coopératives, ont beaucoup de mal à développer ces filières, car les outils de transformation coûtent cher et nécessitent un appui très lourd en termes d'ingénierie, y compris pour le suivi des productions.
Dans ce domaine, de nouveaux partenariats entre les acteurs locaux pourraient être développés : les collectivités et l'Etat pourraient, dans un cadre contractuel, être associés aux projets de territoires locaux.
Pour terminer sur ce point, je voudrais souligner que les défis économiques à relever en montagne sont aussi d'ordre industriel et commercial.
Certains secteurs en grande difficulté, notamment en moyenne montagne, nécessitent que soient prises des mesures urgentes pour arrêter la désertification.
La mise en place des zones franches, à l'image des zones franches urbaines, ou de mesures fiscales spécifiques pourrait favoriser la création d'emplois et faciliter la transmission des entreprises, qui sont souvent fermées en raison de l'absence de repreneurs.
Cette démarche devrait s'accompagner - comme l'a souligné tout à l'heure M. le président de la mission d'information - d'une remise à plat du zonage pour la prime d'aménagement du territoire, la PAT, ou des aides en faveur de la revitalisation rurale. Ce zonage n'est absolument pas adapté aux réalités du terrain. C'est le cas en Haute-Loire, en Lozère et dans le Cantal.
Je voudrais également dire quelques mots d'une autre priorité : la gestion des ressources de l'espace montagnard.
La gestion des ressources doit pouvoir être assurée pleinement par les acteurs locaux dans un cadre décentralisé et concerté. C'est tout l'équilibre entre protection et développement qui en dépend.
Si la loi de 1985 tendait légitimement à maîtriser l'urbanisation pour empêcher le bétonnage sauvage des stations, son application uniforme et extrêmement restrictive provoque de nombreux blocages, notamment dans les massifs qui ne sont soumis à aucune pression foncière.
La notion de continuité des constructions ainsi que les distances à respecter par rapport aux rivages et aux lacs, qui sont appliquées de façon arbitraire, ne correspondent pas à la réalité du terrain et méritent d'être appréciées de façon beaucoup plus qualitative lors de la préparation des documents d'urbanisme.
Un secteur sensible qui aurait vocation à être aménagé pourrait faire l'objet d'une approche paysagère spécifique qui permettrait de définir précisément l'adaptation du projet aux contraintes environnementales du site. Après concertation et enquête publique, les dispositions applicables à ces secteurs seraient intégrées aux documents d'urbanisme et deviendraient opposables au tiers.
Il s'agit là d'appliquer le même principe que celui qui a été retenu pour l'urbanisation en respectant des distances par rapport aux routes avec l'amendement Dupont, ce qui signifie que la règle générale reste, mais que l'exception existe. En disant cela, je veux rassurer Mme Annie David.
La mise en oeuvre des prescriptions de massif pourrait aussi contribuer à fixer des règles mieux adaptées à l'identité de chaque massif et à donner une définition juridique sûre des hameaux, dans lesquels, souvent, nous ne pouvons pas construire du fait de l'impossibilité de trouver une formule juridique fiable.
Dans les communes qui ne sont pas dotées de documents d'urbanisme - et ce sont les plus nombreuses en montagne -, la situation est encore plus caricaturale, car les possibilités de construction y sont extrêmement restreintes. Nous sommes, là aussi, confrontés à un paradoxe inacceptable : celui d'une commune qui voit sa population baisser et qui ne peut accueillir de nouvelles familles faute de pouvoir construire !
La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, a réglé cette question en zone rurale : dans les communes en perte de population, après délibération du conseil municipal et lorsque l'intérêt de la commune le justifie, une autorisation de construire peut être délivrée en dehors des zones urbanisées. Toutefois, cette disposition, qui suscitait de réels espoirs, ne s'applique pas en montagne parce que l'administration oppose la loi « montagne » aux règles générales d'urbanisme.
Les chalets d'alpage, les burons d'estive font partie de notre patrimoine culturel et, à ce titre, ils méritent une attention particulière, d'autant qu'ils sont bien souvent aujourd'hui en ruine. Malheureusement, leur restauration est très difficile, car les impératifs de viabilité qui y sont associés et qui sont aussi inadaptés au terrain rendent difficile l'obtention d'un permis de construire.
L'instauration d'une servitude administrative d'utilisation, publiée aux hypothèques, pourrait favoriser leur restauration et éviter d'engager la responsabilité des élus en cas de contentieux.
Enfin, j'en viens aux procédures UTN, les unités touristiques nouvelles. Au moment où nous parlons de simplification administrative, je dirai qu'elles offrent un beau contre-exemple !
Certes, les UTN sont indispensables à la qualité des aménagements en montagne, et nous souscrivons à cette démarche. Mais est-il normal que les dossiers à constituer et les modalités d'instruction soient les mêmes pour la création d'une nouvelle station que pour la modification d'une remontée mécanique ou, encore mieux, pour l'aménagement d'un petit centre d'accueil ? Nous proposons donc un dispositif simplifié pour les petites opérations.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le voyez - mais vous le savez aussi -, nos attentes, à nous, montagnards, sont fortes car, même si nous sommes persévérants et mobilisés, notre différence mérite d'être soutenue.
Le Premier ministre lui-même, M. Jean-Pierre Raffarin, l'a affirmé lors du congrès de Gap, devant les élus de la montagne : « La montagne peut être une chance pour la France. » Cette reconnaissance peut être, aujourd'hui, un message fort en direction de l'Europe, qui réfléchit déjà à de nouveaux modes d'intervention pour l'après-2006.
Cette reconnaissance - dans une nouvelle loi - sera surtout une nouvelle chance pour la montagne. Les élus que nous sommes veulent y contribuer fortement, mais nous attendons maintenant du Gouvernement des propositions concrètes dans ce sens. Nous savons que nous pouvons compter sur vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Jean-Paul Amoudry. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Très bonne intervention, monsieur Jarlier !
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été heureuse, avec les experts réunionnais auditionnés, de participer, en juillet dernier, à la mission commune d'information chargée de dresser un bilan de la politique de la montagne. Le rapport qu'elle a rédigé souligne avec clarté et précision les défis auxquels la montagne est confrontée. Comme nous le rappelait tout à l'heure notre collègue M. Jean-Paul Amoudry, ces défis méritent d'être pris en compte et relevés sans tarder, à l'échelle tant nationale que communautaire.
En tant qu'élue de la Réunion, je veux ici témoigner de la réalité économique et sociale de cette île, qui correspond plus généralement à celle de la France insulaire.
La Réunion offre aux touristes et à ses habitants autant les plaisirs de la mer que ceux de la montagne : 30 kilomètres à peine séparent l'océan Indien du piton des Neiges, qui culmine à 3 069 mètres. L'originalité de la Réunion tient à l'existence de ses zones de montagne, aussi vastes que diverses. Ce sont à la fois de vastes espaces naturels, un espace de vie et un lieu de travail.
La loi « montagne » de 1985 énonce, dans son article 4, que « les zones de montagne comprennent les communes et les parties de communes situées à une altitude supérieure à 500 mètres ». Par décret du 26 décembre 1994, de nouvelles limites pour les zones de montagne ont été fixées pour tenir compte de la présence de handicaps structurels - relief, enclavement -, et de nouveaux enjeux de développement pour la mise en valeur de l'espace montagnard.
Ainsi, parler des collectivités locales en zone de montagne à la Réunion revient à parler de presque toutes les collectivités locales, puisque vingt-trois communes sur vingt-quatre sont concernées.
Les zones de montagne, que l'on appelle chez nous « les Hauts » par opposition aux zones littorales appelées « les Bas », représentent un potentiel important qu'il faut valoriser : un potentiel d'espace - 2 000 kilomètres carrés, quatre cinquièmes de la superficie de l'île pour un cinquième de la population -, un potentiel humain - 139 790 habitants, soit 20 % de la population jeune, dont 50 % a moins de vingt-cinq ans et dont le niveau de formation s'accroît -, enfin un potentiel économique, avec 60 % de la surface agricole utile, 90 % du potentiel forestier, 90 % du potentiel d'élevage, 60 % des exploitations agricoles et aussi des zones de productions vivrières, maraîchères, horticoles et arboricoles, complémentaires à celles des Bas.
Mais ce potentiel est fragile : le mitage des terres agricoles s'accentue ; l'agriculture traverse une crise grave, conduisant à la disparition de nombreux emplois agricoles, et, même si globalement la population augmente, une partie des jeunes continue à quitter les Hauts.
Il faut, ici plus qu'ailleurs, renforcer le tissu économique et social : 10 % seulement des entreprises sont implantées dans les Hauts. Le taux de chômage est préoccupant : 49 % pour l'ensemble des zones de montagne, 55 % dans ma commune de Cilaos et 34 % pour l'ensemble du département.
La Réunion compte aujourd'hui plus de 700 000 habitants, et des études récentes prévoient qu'en 2020 la population réunnionnaise atteindra près d'un million d'habitants. Face à une zone littorale saturée, l'espace rural représente une alternative pour un développement harmonieux et équilibré du territoire, qui doit se traduire par des orientations politiques fortes : une politique de rattrapage en équipements structurants pour réduire le déséquilibre entre les Hauts et les Bas, et une dynamique économique performante qui diversifie et conforte les activités.
Comme dans les autres zones de montagne, le rapport de la mission l'a montré, les Hauts de la Réunion présentent donc des atouts, mais aussi des handicaps, que des mesures politiques peuvent relever.
Je souhaiterais maintenant vous exposer les difficultés que rencontrent les communes les plus éloignées du littoral et qui se situent, dans l'ensemble, à plus de mille mètres d'altitude : La Plaine-de-Palmistes, Salazie et Cilaos sont les plus enclavées et souffrent des mêmes handicaps.
Elles trouvent leur origine dans une accumulation de facteurs communs.
L'absence ou l'insuffisance d'industrie entraîne une faible ressource fiscale pour les communes et une inactivité pour les populations concernées.
Le fort taux de chômage confronte la municipalité à une forte demande de contrats aidés. Les charges de personnel représentent 60 % des charges de fonctionnement dans nos communes, contre 40 % pour la moyenne nationale.
Le relief et le climat particulier sont un autre facteur, car les fortes pentes entraînent des frais supplémentaires pour la réalisation d'infrastructures, notamment la voirie et les adductions d'eau potable, en raison des dégâts fréquents dus aux glissements de terrains dans des secteurs difficilement accessibles, lors des périodes cycloniques ou pluviales. Enfin, la protection contre les crues des ravines met en évidence un important programme de travaux à réaliser.
L'enclavement constitue également un frein au développement économique. L'année dernière, la commune de Cilaos s'est trouvée coupée du monde pendant plus de deux semaines après que le cyclone Dina a emporté une partie de la route nationale. Monsieur le président, vous avez pu le constater vous-même, puisque vous étiez sur place à cette époque.
M. le président. Je confirme, madame !
M. Jean-Claude Carle. Vous prenez des risques, monsieur le président !(Sourires.)
Mme Anne-Marie Payet. Les travaux nécessaires à la consolidation et à la sécurisation de cette unique voie d'accès n'ont été que partiellement réalisés, faute de crédits suffisants, alors que nous sommes à nouveau en pleine saison des pluies.
L'absence ou l'insuffisance de structures de loisirs favorisent, par ailleurs, des séjours touristiques plus longs.
En outre, des difficultés d'aménagement sont à prendre en compte. Les politiques d'aménagement et d'équipement des zones des Hauts sont confrontées à de nombreuses contraintes physiques, techniques et financières qui rendent leur mise en oeuvre complexe.
Le problème foncier est d'abord d'ordre spatial et s'exprime à travers la difficulté de dégager du terrain pour répondre aux besoins d'équipement sans nuire aux surfaces agricoles utiles. Il est également financier, puisqu'on note ces dernières années une augmentation significative des coûts des terrains dans les Hauts, qui influe fortement sur l'équilibre budgétaire des opérations de logement ou d'équipement.
La question du surcoût de l'aménagement est liée aux caractéristiques topographiques désavantageuses lorsqu'il s'agit d'aménager ou de construire. L'utilisation des surfaces pentues exige d'importants investissements en termes d'adaptation et de sécurisation. Dans les Hauts, la construction a un coût bien supérieur que dans les Bas.
Le problème crucial des réseaux se pose aussi avec une acuité certaine. L'absence d'assainissement collectif pèse aujourd'hui sur la faisabilité de projets d'aménagements structurants. Ce déficit de réseaux et d'équipements entraîne la mise en place de systèmes individuels d'épandage.
En matière d'alimentation en eau potable et en électrification, la prise en compte des besoins nouveaux des populations nécessite, pour les communes qui rentrent progressivement dans un mouvement d'urbanisation, d'importants travaux de renforcement et d'extension de réseaux.
A ces difficultés d'aménagement s'ajoute la question du logement social dans les Hauts. La prise en compte de cet enjeu s'inscrit dans le cadre des propositions formulées par la mission pour « adapter les contraintes en matière d'urbanisme ».
La construction de logements sociaux en milieu rural nécessite au préalable des sols disponibles, et souvent de lourds travaux d'aménagement et de viabilisation.
La mise en oeuvre de projets de cet ordre appelle une prise en compte de multiples enjeux : la préservation des terrains agricoles et des milieux naturels sensibles en évitant le mitage, quels que soient l'importance et le caractère prioritaire des projets d'équipement ; la satisfaction d'une demande en habitat social ; l'éradication des constructions sauvages ; le développement structuré des quartiers et bourgs à mi-hauteur et des Hauts.
En raison des contraintes évoquées précédemment, les communes et les opérateurs doivent faire face à un coût du logement social de plus en plus important.
J'en viens à la question cruciale du financement et au nécessaire renforcement des mesures d'intervention des collectivités.
Concernant la région, le fonds régional d'aménagement foncier et urbain, le FRAFU, crée en 1994 dans une optique de rattrapage des retards constatés en matière d'aménagement, d'équipement de base ainsi que de constitution de réserves foncières, s'élève, pour la période 2000-2006, à 115,87 millions d'euros. Or les besoins, qui doivent également tenir compte de l'évolution démographique, ont été estimés à plus de 533 millions d'euros.
Le conseil général de la Réunion favorise lui aussi le développement des Hauts : d'abord par la mise en valeur du domaine « départemento-domanial » - 40 % de la superficie de l'île -, géré par l'ONF, puis par le soutien aux initiatives privées souhaitant exploiter ce potentiel touristique et, enfin, par l'encouragement à la pluriactivité, fondée sur l'agriculture mais de plus en plus tournée vers le tourisme.
Toutefois, l'ensemble de ces mesures peine à couvrir les nombreux et coûteux besoins, et la mise en place de mesures spécifiques ainsi qu'une reconnaissance communautaire sont nécessaires.
En fait, bien qu'aidées par des dispositifs financiers, nos collectivités sont confrontées à des investissements si lourds que beaucoup d'entre elles ne peuvent mettre en place dans les délais souhaités les équipements et infrastructures nécessaires à la protection de la population et au développement économique.
Les collectivités réunionnaises ont su prévoir le développement de notre département, mais cela nécessite des moyens financiers très importants. Une aide plus importante de la part de l'Europe en faveur des zones de montagne est souhaitable.
Je conclurai mon propos en insistant sur l'opportunité que présenterait, pour les zones de montagne, d'une part, l'émergence d'une nouvelle génération de parcs nationaux, conciliant développement et protection de territoires spécifiques, et, d'autre part, une meilleure assistance de la population locale dans la protection contre les risques naturels.
Comme cela a été mis en lumière lors de la récente réunion sur le projet de parc national des Hauts autour de Mme Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, le projet réunionnais doit préfigurer une évolution de la politique des parcs nationaux telle que le Gouvernement l'envisage.
S'inspirant de l'expérience des parcs régionaux, le parc national pourrait répondre aux enjeux multiples que nous avons soulevés : une participation plus active au développement local, protégeant à la fois le centre et sa périphérie ; la reconnaissance conférée par le label et son impact sur l'emploi, sur le tourisme et sur les aides, notamment communautaires ; une association plus étroite et plus efficace des différents acteurs, Etat, région, département.
S'agissant des risques naturels, nous souhaitons la création d'une antenne de restauration des terrains en montagne, comme il en existe dans d'autres zones de montagne.
J'espère vous en avoir convaincus, la Réunion constitue un exemple éminent des zones de montagne qui, si elles présentent des atouts inestimables, n'en restent pas moins des zones en difficulté nécessitant une attention et des mesures particulières. En effet, les spécificités et les contraintes de la montagne qui peuvent justifier une politique nationale, ajoutées aux réalités climatiques et cycloniques, y sont exacerbées.
Je forme le voeu sincère que les légitimes attentes des territoires et des populations de montagne seront satisfaites, que ce soit par la création de nouveaux parcs nationaux, par le vote d'une loi ou par toute autre mesure que le Gouvernement entendra mettre en place.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de l'attention que vous porterez à chacune des remarques dont vous font part aujourd'hui, au nom de leur population et de leur collectivité, les élus des zones de montagne. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, M. Jean-Paul Amoudry appelle l'attention de M. le Premier ministre sur le rapport rendu public le 16 octobre 2002.
Si les travaux conduits par la mission depuis le mois de février dernier ont souligné l'infinie diversité des territoires de montagne, qui couvrent 28 % du territoire et regroupent 13,5 % de la population de notre pays, ils ont également mis en évidence de très nombreuses caractéristiques communes aux terres d'altitude.
Ces points communs et les préoccupations qui en découlent apparaissent comme autant de questions urgentes posées aux responsables politiques dans des domaines déterminants pour l'avenir des zones de montagne : le niveau des soutiens publics à l'agriculture, inférieur à la moyenne nationale, et donc en totale contradiction avec les principes de légitime compensation du handicap « montagne » affirmés depuis plusieurs décennies ; la préservation d'une activité industrielle, souvent fortement enracinée ; la poursuite du développement touristique, freiné par l'absence de politiques fiscales et sociales adaptées à la saisonnalité et d'un véritable régime de pluriactivité ; les nuisances infligées aux populations sédentaires par la traversée des massifs frontaliers et la croissance du trafic routier ; l'absence de concertation avec les responsables locaux, constatée dans certaines initiatives environnementalistes ; la lente, mais apparemment inéluctable disparition de services publics, médicaux et privés qui, dans beaucoup de massifs, entraîne puis accroît la dévitalisation démographique ; l'excès de rigueur, enfin, dans l'application des dispositions d'urbanisme de la loi « montagne », devenue la pomme de discorde permanente entre élus locaux et représentants de l'Etat, d'où les interrogations et les légitimes inquiétudes des élus.
Personnellement, je regrette beaucoup que les élus des parcs régionaux dont le territoire est tracé en montagne ou en demi-montagne ne puissent s'opposer à certaines décisions créant des nuisances - il faudrait revoir ce point - en raison de leur pouvoir, qui est faible et limité. Il s'arrête en effet à l'identification, à la promotion, à la valorisation, à la protection de leur patrimoine naturel, bâti, culturel, etc. Il est en réalité plus pédagogique que contraignant. Je le constate tous les jours, il ne permet même pas de s'opposer à l'enracinement intensif qui transforme le Morvan en une vaste sapinière, laquelle modifie le climat, le régime des eaux et porte atteinte à la flore et à la faune !
En ce qui concerne l'agriculture, les difficultés rencontrées par les exploitants agricoles en zone de montagne sont importantes. Les multiples handicaps naturels liés à l'exercice de l'agriculture entraînent en effet de grandes disparités entre les revenus des exploitants agricoles de montagne et ceux des plaines.
L'agriculture de montagne présente deux caractéristiques essentielles : en premier lieu, le relief et le climat dessinent depuis longtemps une agriculture extensive et orientée vers les productions de qualité, je crois que cela a déjà été dit. En même temps, du point de vue technique et financier, les exploitants agricoles ne luttent pas à armes égales. Le climat et la pente sont générateurs de surcoûts importants qui demeurent imparfaitement compensés et, conséquence logique, freinent la modernisation de l'équipement et ne rémunèrent pas les services rendus.
Le revenu des exploitations agricoles de montagne est de 30 % inférieur à la moyenne nationale. On ne peut donc parler ni de véritable compensation des handicaps ni de respect de la « parité des revenus et des conditions de vie entre la montagne et les autres régions ». Il faudrait pourtant bien se garder, monsieur le ministre, de mettre uniquement en avant des solutions extra-agricoles pour tenter de renverser la tendance. En effet, l'idée de devenir des agents rémunérés sur fonds publics pour entretenir le territoire suscite peu d'enthousiasme chez les exploitants agricoles. La présence des agriculteurs reste le dernier rempart, dans bien des cas, contre une totale désertification.
J'en viens aux aides dont ils bénéficient.
Les indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, sont considérées, depuis leur création, comme la mesure essentielle de la politique de soutien à l'agriculture. Le principe de ces indemnités est de compenser financièrement les surcoûts de production des exploitations liés aux handicaps naturels permanents qu'elles subissent par rapport aux régions de plaine. L'objectif est donc de placer les exploitations agricoles de montagne sur un pied d'égalité avec les autres exploitations, tout au moins en matière des conditions de production. Nous sommes loin du compte, et la disparition des exploitations est patente.
Cette diminution a été particulièrement notable dans les zones les plus élevées, où elle a atteint 30 %. Elle entraîne une concentration spatiale du cheptel et une dégradation inquiétante de la gestion de l'espace.
Des modifications sont intervenues quant au paiement des indemnités, qui s'effectue désormais selon le nombre d'hectares de surface fourragère et non plus en fonction des têtes de bétail et qui recentre ces indemnités sur les zones de montagne au détriment d'autres zones défavorisées, comme les zones de piémont.
Ces modifications réduisent les aides aux éleveurs de bovins laitiers purs et provoquent la course à l'agrandissement. En outre, elles excluent certains éleveurs pour des raisons diverses, comme le fait de ne pas satisfaire aux seuils de chargement ou aux bonnes pratiques agricoles.
J'en viens aux aides à l'installation et aux propositions en faveur des jeunes agriculteurs.
Conformément à une logique de projet et d'entreprise agricole, le rapport - et on ne peut qu'y adhérer - a souhaité mettre l'accent sur les aides à l'installation des jeunes agriculteurs sous forme de prêts à taux réduits, en complément des dotations actuelles dont le montant est nécessairement limité. Un effort particulier doit être accompli en leur faveur. Ils ont quelque mérite, actuellement, à rester sur leur terre, tout le monde doit en convenir.
Par ailleurs, les aides à la modernisation des exploitations en zone de montagne concernent les bâtiments d'élevage et la mécanisation. Ces subventions sont réservées aux seules zones de montagne. La mission commune d'information, prenant acte de ce chiffrage sur l'évolution des crédits, a cependant constaté sur le terrain que les besoins subsistent, en particulier quant à la modernisation et à la constitution de filières de production et de commercialisation, élément essentiel pour cet élevage de qualité. A quoi servirait-il de produire si l'on ne peut vendre dans de bonnes conditions ?
Le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le PMPOA, vise à éviter les pollutions des effluents d'élevage et il bénéficie d'un nouveau programme. Ce nouveau programme, dans son classement, exclut un grand nombre de zones de montagne du bénéfice des aides prévues et, par là même, de l'accès aux aides publiques des exploitations.
Paradoxalement, le caractère non polluant de l'agriculture de montagne - c'est en effet une agriculture non pas céréalière mais d'élevage - risque d'entraver le financement de sa modernisation. Les agriculteurs ont la sensation d'être des « non-pollueurs-payeurs », d'où la pertinence du rapport qui suggère de soutenir la mise aux normes des exploitations de montagne ne bénéficiant pas du PMPOA pour ne pas entraver leur modernisation et leur éligibilité aux aides européennes.
La prime à l'herbe cessera d'exister au 1er avril 2003 en raison de son caractère national et peu environnemental. On ne peut pourtant qu'approuver à la réaffirmation de la nécessité de conduire une politique de l'herbe généreuse et, surtout, proposer aux éleveurs de souscrire des engagements agri-environnementaux en dehors du contrat territorial d'exploitation. Le remplacement de la prime à l'herbe par la prime herbagère agri-environnementale sera bienvenu. Mais il convient de voir comment cette dernière sera appliquée.
S'agissant des perspectives des contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, après avoir suscité l'inquiétude concernant leur éventuelle remise en question, récemment, vous avez indiqué, monsieur le ministre, que les contrats seraient maintenus sous une autre forme et sous une autre appellation, ce qui nous satisfait. Ils consacrent la pluriactivité de l'agriculture.
Si le principe d'un plafonnement du montant global des aides perçues se justifie pleinement, il convient de prendre en compte, dans le volet économique, le surcoût des investissements en zone de montagne tel qu'il a été démontré de manière incontestable.
La montagne a, par nature, anticipé les évolutions de l'économie agricole de ce début du xxe siècle. Ses pratiques respectueuses de l'environnement et synonymes de qualité constituent des atouts indéniables. Encore faut-il que les pouvoirs publics soutiennent le maintien de ces pratiques ! Les aides du deuxième pilier, à commencer par l'ICHN, doivent donc être garanties, et bien garanties.
En terminant ce chapitre agricole, je souhaite dire un mot sur la forêt. J'ai assisté lundi dernier, à Dijon, à une conférence concernant le Morvan et dont les conclusions peuvent être intéressantes sur le plan culturel et touristique - je ne les développerai pas - mais aussi quant à la forêt de résineux et de feuillus, ou ce qu'il en reste.
Une charte forestière sera élaborée en cohérence avec la révision du contrat de plan pour définir un soutien coordonné à la politique forestière pour l'organisation de la filière bois. Il y aurait beaucoup à dire sur ce bois exploité dans le Morvan, mais non transformé sur place, non travaillé, et dont la valeur ajoutée nous échappe.
J'en viens aux services publics. L'évolution de l'implantation des services de proximité est un facteur essentiel de maintien ou de départ des personnes installées en montagne. On se trouve en effet trop souvent prisonnier d'une spirale implacable.
La faible densité de population en montagne est invoquée pour y légitimer l'insuffisance des services de proximité. Ainsi s'accentuent encore les départs de personnes résidentes. Si l'implantation des services publics administratifs est relativement stable, tel n'est pas le cas des services publics industriels et commerciaux. En particulier, dans le cas de La Poste, on peut s'inquiéter des conséquences de la libéralisation progressive du marché du courrier. Nous y reviendrons, car la situation locale face à la restructuration de La Poste résume bien la problématique des services publics dans nos massifs.
Le rapport, dans sa proposition n° 52, souhaite améliorer le cadre de la coopération en matière de services publics, en passant, à l'échelon national, par l'adoption de dispositions législatives ou la conclusion d'un accord-cadre. Je crois que ce sont là de bonnes idées.
On connaît déjà trop bien, hélas ! les résultats concrets de ces voeux de maintien des services publics dans leur intégralité. Par ailleurs, le maintien des services publics n'est que l'un des aspects de la question plus globale des services de proximité. Il convient ainsi, comme il est indiqué dans le rapport, de souligner le rôle essentiel des services de santé pour le maintien de la population sur le territoire. Force est de constater que celui-ci est trop souvent insuffisant : manque de médecins en zone rurale, alors qu'ils sont trop entassés dans les villes, pénibilité du métier, isolement, bref autant de repoussoirs.
Il convient également d'insister sur le fait que le renforcement des moyens de la politique de développement des services de proximité passe aussi par le soutien à l'artisanat et au petit commerce traditionnel, et non pas uniquement à la grande distribution, comme la tendance actuelle semble le montrer.
Je dirai un mot également sur les nouvelles technologies.
Les handicaps naturels sont connus, mais qu'en est-il des handicaps technologiques ? Je parle non pas uniquement de la téléphonie mobile, dont on attend toujours la véritable généralisation, mais également de ce qu'il est convenu d'appeler la société de l'information. Cette dernière peut constituer, pour les territoires de montagne, un facteur de développement ou de déclin selon qu'ils y ont ou non accès. Il est aujourd'hui essentiel pour une entreprise de disposer de l'accès aux réseaux de télécommunications modernes, donc que les zones rurales en soient dotées.
D'une manière plus générale, la sauvegarde du service public est aujourd'hui fortement menacée. Les services publics sont pourtant au coeur du combat pour l'égalité et contre l'exclusion. Ils représentent un atout pour la cohésion sociale et territoriale et sont seuls capables de garantir l'accès de tous aux droits fondamentaux. Ils contribuent à un environnement favorable et au développement de notre pays. Les Français veulent que leurs enfants puissent s'instruire, que leurs malades soient bien soignés, que leur sécurité soit assurée, que chacun ait accès au sport, à la culture, etc.
L'Etat est seul à même de financer, pour tous, des investissements à long terme, d'où notre refus de toute privatisation des services publics.
M. le président. Monsieur Signé, vous avez épuisé votre temps de praole, mais je vous accorde quelques minutes supplémentaires...
M. René-Pierre Signé. Je n'en abuserais pas, monsieur le président.
Avant de conclure, je reviens sur un acteur important de l'aménagement du territoire, à savoir La Poste. La Poste est souvent le dernier service public, et parfois même le dernier commerce en activité dans de nombreuses zones rurales. Nous sommes très attachés à sa présence.
Malheureusement, la démographie décroissante en milieu rural et en montagne, les habitudes de consommation et la dématérialisation des opérations postales paraissent condamner, à moyen terme, le réseau postal dans son ossature actuelle. Il est donc primordial, effectivement, d'anticiper, d'imaginer un service postal tel qu'il pourrait être plus diversifié, intégré dans des maisons de service public - et non pas de défendre le service postal tel qu'il est aujourd'hui. Il est également primordial que ce ne soient pas les collectivités les plus pauvres qui paient le prix de la présence postale.
L'ouverture européenne de La Poste à la concurrence entraîne, dans les différents pays, des restructurations profondes qui s'accordent mal avec les missions de service public et avec l'aménagement du territoire. Il faudra donc rester vigilant.
A entendre le Gouvernement, monsieur le ministre, la décentralisation serait en train de devenir la panacée Sans entrer dans ce débat, je dirai que le problème de la montagne et des zones rurales est tout de même lié à l'aménagement du territoire, donc à la décentralisation. On se doit de souligner l'importance de l'égalité territoriale quand on aborde ces questions. Il faut donc faire attention à l'expérimentation en montagne, et surtout veiller à traiter équitablement les différents massifs. D'une manière générale, il serait irresponsable de laisser des handicaps financiers aggraver les handicaps naturels. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Vous l'avez constaté, monsieur Signé, personne ne vous a interrompu ! (Sourires.) La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue tout d'abord notre collègue de Haute-Savoie Jean-Paul Amoudry et je le fécilite pour les propositions qu'il vient de formuler.
Mon collègue Jean-Claude Carle et moi-même souhaitons apporter notre contribution au débat, car ce sujet relève un peu de notre spécialité.
Pour ma part, j'interviens à la fois en tant que nouveau président de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, la CSSPPT, et comme président du groupe d'étude sur l'avenir de La Poste et des télécommunications du Sénat.
A l'heure où nous discutons de la compensation des handicaps, de la réduction des différentes fractures et de la nécessité de procéder à un rééquilibrage, il faut accorder une attention particulière aux populations de montagne en ce qui concerne non seulement la téléphonie mobile, le haut débit, mais aussi, globalement, les nouvelles technologies, car, en ce domaine, le handicap est important. Il est dû, à l'évidence, au relief, à la dispersion des habitations sur le territoire et à l'impossibilité, ne serait-ce que pour des raisons économiques et financières, d'assurer la couverture de certains endroits, s'agissant du haut débit, avec de la fibre optique.
En revanche, nous avons la possibilité d'utiliser toutes les technologies adaptées pour desservir l'ensemble du territoire montagnard. A ce sujet, je dresserai d'abord un constat et je formulerai ensuite quelques propositions.
Bien sûr, des zones blanches existent en montagne pour la téléphonie mobile. Les populations mais aussi nombre d'élus s'interrogent sur l'arrivée du haut débit, sur la couverture totale pour ce qui est de la télévision, sur l'évolution de la diffusion des télévisions locales, dans la mesure où le législateur va favoriser cette possibilité d'information et de communication entre les gens en zone de montagne.
Sur ce point précis, nous devons à la fois faire preuve de plus de cohérence et prendre en compte un certain nombre de verrous qui, pour certains, sont plus idéologiques que techniques ou financiers.
Aujourd'hui, les zones de montagne disposent de supports qui permettent d'assurer la distribution de l'énergie. Nous avons donc la possibilité d'y régler quasiment en totalité le problème de l'implantation des pylônes et de la couverture en matière de téléphonie mobile, de haut débit et de télévision.
A l'heure actuelle, les experts s'accordent à reconnaître qu'il n'existe plus ni interférences - il n'y en a peut-être jamais eu, d'ailleurs - ni contraintes, ni difficultés à utiliser un même pylône pour le transport de l'énergie, y compris la haute et la très haute tension, et pour la diffusion hertzienne terrestre, dans de bonnes conditions de sécurité.
Au-delà du problème de la montagne, je ne souhaite pas que la France soit le dernier pays de l'Union européenne à rester bloqué pour des raisons idéologiques. Car, lorsque nous avons discuté de la gestion du transport de l'énergie, nous avons quasiment interdit, à l'époque à Electricité de France - aujourd'hui, il s'agit du Réseau de transport d'électricité, le RTE -, d'assurer la couverture de la diffusion hertzienne.
Une simple modification législative permettrait, me semble-t-il, d'utiliser les huit cent mille pylônes du territoire national. Ainsi serait réglée la question du coût : cela représenterait à chaque fois une économie de 150 000 euros, soit plus de la moitié du coût actuel de l'implantation d'une antenne de téléphonie mobile. En outre, nous éviterions les polémiques sur la forêt de pylônes qu'il faudrait construire pour assurer une bonne couverture du territoire, plus particulièrement en zone de montagne où, compte tenu du relief, la densité des pylônes au kilomètre carré est nettement supérieure à celle des autres secteurs. L'ensemble des pylônes du réseau des remontées mécaniques pourrait également servir de support.
J'en arrive à la conclusion que tous les supports nécessaires existent en zone de montagne. Il suffit de les équiper d'antennes et de trouver l'autorité qui sera chargée d'en assurer la bonne répartition et la coordination.
Au préalable, il faudra, bien entendu, je le répète, procéder à une modification législative. A cet égard, je précise que l'article 16 de la loi « montagne » de 1985 permet déjà d'apporter des aménagements techniques particuliers en matière de radiodiffusion ou de télévision par voie hertzienne, afin d'assurer une bonne réception des émissions en zone de montagne, sous réserve, bien entendu, du respect des conventions internationales.
Il suffirait d'adapter cet article 16 et d'en élargir le champ d'application pour régler le problème de la couverture complète de la zone de montagne : cela concerne non seulement la téléphonie mobile, mais aussi le satellite et le numérique hertzien terrestre. Pour une fois, la montagne serait en avance sur le reste du territoire dans ce domaine.
Ce serait l'occasion de traiter globalement la question de la téléphonie mobile et du haut débit. Il faut arrêter d'imaginer que l'on peut utiliser la fibre optique dans certains secteurs ! C'est comme si l'on proposait, pour les déplacements en haute montagne, de remplacer le transport routier par le transport fluvial. Il y a des limites à ne pas dépasser ! Parfois, certains arrivent à faire croire que le transport ferroviaire constitue la panacée pour remplacer le transport routier. Or on s'aperçoit aujourd'hui que peu de gens nous parlent de la nécessité d'augmenter les réseaux, de doubler les voies. Nous nous sommes tous intéressés à l'idée et au caractère politique de cette innovation sans prendre suffisamment en compte les capacités techniques
En zone de montagne, monsieur le ministre, nous disposons de tous les moyens pour réaliser rapidement les aménagements nécessaires, à une condition : modifier l'article 16 de la loi « montagne » et en élargir le champ d'application.
Bien entendu, parallèlement, il faudrait donner aux collectivités territoriales la possibilité de définir l'autorité d'une intercommunalité ainsi que d'une interrégionalité. Or, à ce point de mon propos, je ne suis pas sûr que la région soit l'échelon idéal pour régler les problèmes de massifs. Nous avons plus besoin d'une interrégionalité cohérente avec les espaces à couvrir que d'un découpage régional, fût-il intéressant sur le plan politique, administratif, ou en termes de découpage électoral !
Je voudrais également dire quelques mots en ce qui concerne la couverture postale du territoire. Nous devons communiquer clairement sur ce que sera le prochain contrat de plan entre l'Etat et La Poste, indiquer les conditions dans lesquelles il pourra s'appliquer à nos zones de montagne, préciser les intervenants et les différents interlocuteurs financiers.
Nous devons également sortir nos collègues élus des communes de montagne et des communes rurales du piège dans lequel ils sont pris : les populations réclament le maintien du bureau de poste, mais elles ne jouent pas nécessairement complètement le jeu de la présence postale sur le territoire.
Il nous faut tenir un discours peut-être un peu tranché sur le sujet, mais nous ne pouvons pas laisser les élus locaux impuissants, comme ils le sont depuis plusieurs années, ou n'avoir d'autre alternative que de payer, dans un domaine qui est probablement le dernier service public.
Encore faut-il que les usagers qui réclament le maintien de ce service public l'utilisent dans des conditions satisfaisantes pour que, au terme d'un légitime rééquilibrage financier, il corresponde à la réalité des besoins exprimés par les populations.
Je terminerai par quelques réflexions sur la logique interrégionale.
J'ai rappelé que l'intercommunalité me paraissait être le bon interlocuteur, y compris financier.
Cependant, la logique interrégionale prime en matière de téléphonie mobile et de haut débit dans les zones de montagne. Elle constitue, en effet, le seul moyen de reprendre l'initiative sur les trois opérateurs qui, si nous n'y prenons pas garde, ne manqueront pas, dans les secteurs où ils étaient prêts à investir sans aide des collectivités locales ou de l'Etat, d'abandonner toute initiative et de faire supporter le poids des équipements envisagés par les collectivités locales et territoriales.
Cette approche est actuellement défendue par les SGAR, les secrétariats généraux aux affaires régionales. Il est impératif de reprendre la main activement à l'échelon interrégional.
La deuxième enveloppe de 30 millions d'euros, qui doit être distribuée prochainement, je l'espère, doit être ventilée non pas par régions, mais à l'échelon cohérent d'une interrégionalité par massifs. Il est, en effet, dans la logique de notre spécificité de traiter des massifs et non pas des régions. Il faut à cette fin, d'une part, renforcer le poids des comités de massif - les moyens dont disposent les commissariats, en ce domaine, sont insuffisants - d'autre part, les décharger de l'ensemble des tâches de gestion qui consomment l'essentiel du temps qu'ils pourraient valablement consacrer à vous faire des propositions, monsieur le ministre, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement.
Vous le voyez, au terme de nos réflexions, nous ne réclamons aucune modification législative ou réglementaire, mais simplement une volonté politique affirmée d'utiliser avec plus d'efficacité les moyens dont nous disposons ainsi que ceux de l'Etat. En effet, il nous faut rétablir une capacité d'impulsion et d'innovation en réduisant les charges de gestion, que nous pouvons peut-être envisager de transférer aux SGAR ou à d'autres structures.
Quoi qu'il en soit, une évolution s'impose !
Outre cette contribution, modeste, que je tenais à apporter au débat, je rejoins, bien sûr, les propositions de mes collègues de la majorité sénatoriale. Il est vrai que les zones de montagne souffrent de tout un ensemble de handicaps, mais nous jouissons au moins d'un avantage : nous sommes, par définition, du fait de l'altitude, plus près des étoiles, et nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les parlementaires qui ont voté à l'unanimité la loi dite « montagne » du 9 janvier 1985 avaient mis beaucoup d'espoirs dans ce texte.
Aujourd'hui, notre débat s'impose au regard de l'actualité immédiate et du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. Au moment où nous nous apprêtons à inscrire dans la Constitution une démarche décentralisatrice plus ouverte, plus approfondie, il nous appartient également d'offrir de réelles perspectives aux zones de montagne, dont l'ambition doit leur permettre de jouer pleinement leur rôle dans l'aménagement du territoire.
Comme cela a été dit, 2002, année internationale des montagnes, a permis d'appréhender les difficultés inhérentes aux spécificités des diverses zones de montagne. L'année 2003 devra être celle de l'espoir, de la volonté, de la compréhension, et apporter une réponse à ceux qui veulent vivre, travailler ou venir vivre et travailler dans l'un des six massifs français qui couvrent 28 % de notre territoire et où vivent 14 % de la population nationale.
A plusieurs égards, ces zones offrent de très nombreux points communs sur lesquels la mission commune d'information, sous l'égide de Jean-Paul Amoudry, a conduit plusieurs auditions, échangé et rencontré de nombreux élus locaux.
Dans mon propos, je souhaite traiter de deux sujets qui me tiennent à coeur et qui constituent autant de sources de disparités. Je souhaite en effet, d'une part, que l'on confirme la montagne dans sa vocation première de production, d'autre part, que l'on définisse une politique plus courageuse en faveur de l'espace rural.
Il faut confirmer la montagne dans sa vocation première de production.
Oui, la montagne peut apporter des réponses concrètes, car elle porte en elle les germes d'un environnement de qualité, d'une nature préservée, d'une méthode de travail reposant sur une agriculture extensive. Donnons-lui les moyens d'apporter sa pleine participation à cette évolution !
De même, encourager l'installation des jeunes est une condition essentielle du développement de notre agriculture, de sa pérennisation et de l'aménagement du territoire tout entier, y compris dans ses zones les plus fragiles. A cet effet, la dotation d'installation doit être améliorée et ouverte à d'autres productions, que les zones de montagne sont susceptibles d'accueillir.
Dans son remarquable rapport, Jean-Paul Amoudry a très bien présenté la situation. Moi-même membre de la mission commune d'information sur la montagne, j'ai pu, avec certains de mes collègues, présents ou non ce soir, mesurer l'importance de cette activité traditionnelle qui, malheureusement, bénéficie aujourd'hui d'un niveau de soutien public inférieur à la moyenne nationale. M. Pierre Jarlier l'a parfaitement mis en lumière tout à l'heure.
Cette réalité est en totale contradiction avec le principe de légitime compensation du handicap naturel affirmé depuis plusieurs décennies par la législation française.
Monsieur le ministre, votre présence à la tête d'un grand ministère suscite, vous le savez, pour de nombreux Français, beaucoup d'espoir et de confiance. Mais le temps de l'action est venu.
Il ne faudrait pas, par exemple, que les agriculteurs de montagne soient une nouvelle fois pénalisés, notamment par le programme de maîtrise des pollutions d'origine animale tel qu'il a été arrêté en 2001. Victimes en quelque sorte de leur bonne conduite, d'un espace plus harmonieux et d'une densité plus forte du cheptel, les agriculteurs de montagne ne peuvent bénéficier de ces crédits.
Permettez-moi de saluer votre décision, monsieur le ministre, d'évaluer la pratique des contrats territoriaux d'exploitation. Il était nécessaire d'en tirer les enseignements, puis de bien cibler, comme vous le faites actuellement, les objectifs. Sans vouloir créer de disparités, il me paraît indispensable que la montagne puisse bénéficier d'un traitement spécifique et que le volet économique des contrats territoriaux d'exploitation d'hier soit déplafonné en zone de montagne afin que soit pris en compte le surcoût des investissements.
Compte tenu de la spécificité des productions et de leur nécessaire limitation, il importe que l'ensemble des éleveurs de montagne aient la possibilité de contractualiser avec le maximum de souplesse, car, en zone de montagne, vous le savez, mes chers collègues, on ne peut pas faire n'importe quoi. Il est impératif que tous ceux qui le souhaitent puissent s'engager dans cette pratique contractuelle. Il faut que les nouveaux contrats d'agriculture durable permettent à nos agriculteurs de montagne d'y être pleinement associés.
Comme je viens de l'évoquer, au mois de juin dernier, un audit sur le contrat territorial d'exploitation a montré de graves lacunes dans le dispositif existant : problèmes de complexité dans les procédures, dérives financières, inégalités de traitement entre les régions et, à l'intérieur d'une même région, entre différents demandeurs. J'ajouterai que cette situation a permis de recentrer le débat sur l'essentiel, c'est-à-dire la mise en oeuvre en France de la politique européenne de développement rural qui permettra à nos agriculteurs de répondre à la demande environnementale des Français.
M. René-Pierre Signé. Le CTE était tout de même une bonne idée !
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, vous venez d'annoncer la mise en place d'un nouveau dispositif, le contrat d'agriculture durable. Nous souhaitons qu'il réponde mieux encore aux attentes nourries par ceux qui habitent dans nos montagnes.
M. Raymond Courrière. Et vous étiez contre le CTE !
M. Jean Boyer. Il importe que ce contrat soit enfin adapté au terrain, et donc déconcentré au maximum dans les départements, afin de répondre concrètement aux problèmes qui se posent localement dans nos territoires. Ce n'est pas au ministère de décider seul ce qui doit être utile dans ce contrat : il faut consulter les paysans, et je sais, monsieur le ministre, que telle est bien votre conception du dialogue.
Malgré la grande volonté du Gouvernement, bien d'autres améliorations s'imposent encore. J'évoquerai, pour terminer, la nécessité d'une actualisation des aides publiques. Je pense principalement aux aides à la qualité relatives à la collecte du lait en zone de montagne, à l'aide aux bâtiments d'élevage, à la revalorisation indispensable de l'indemnité compensatoire des handicaps naturels, liée, vous le savez, mes chers collègues, que vous siégiez à droite ou à gauche de l'hémicycle, au surcoût dû à l'altitude et à une topographie difficile.
M. René-Pierre Signé. Nous ne critiquons pas systématiquement !
M. Jean Boyer. Je ne prendrai qu'un seul exemple, monsieur le ministre. Aujourd'hui, le montant maximum de l'aide aux bâtiments d'élevage s'élève à près de 10 000 euros. C'est peu, lorsque l'on sait que le coût d'un bâtiment est de 250 000 euros. L'accompagnement financier de l'Etat est vraiment, sans aucun esprit polémique, insuffisant !
Par ailleurs, il importe aussi d'élaborer une véritable appellation « montagne » qui serait réservée à des productions produites et transformées en montagne.
Dans le prolongement de cet objectif, une démarche globale doit s'apprécier à l'échelon national, voire européen, et reposer sur une vraie politique européenne de la montagne. Cette condition essentielle est impérative si l'on considère aujourd'hui l'engouement avec lequel les consommateurs et les producteurs s'attachent à rechercher les signes de qualité. Il n'existe pas de référence qualitative particulière pour nos produits de montagne, et c'est bien dommage !
M. Pierre Jarlier. Eh oui !
M. Jean Boyer. Nous donnerions ainsi les moyens à notre agriculture de montagne d'exister pleinement et nos productions locales gagneraient une véritable valeur ajoutée.
L'agriculture est également un élément d'identification de nos terroirs : la tomme de Savoie - et je prends ici à témoin des élus de Savoie, et non des moindres -,...
M. Jean-Claude Carle. Bonne référence !
M. Jean Boyer. ... le reblochon, le beaufort, le cantal, le mont-d'or, le bleu d'auvergne.
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Ah !
M. Jean Boyer. Je ne l'oubliais pas, mon cher collègue ! (Sourires.) ... mais aussi la lentille verte du Puy - et vous savez pourquoi j'y pense, monsieur le président -,...
M. le président. Tout à fait, mon cher collègue ! (Rires.)
Mme Anne-Marie Payet. Et celle de la Réunion ?
M. Jean-Claude Carle. Oui, la lentille de Cilaos. (Sourires.)
M. René-Pierre Signé. Et la dentelle du Puy ? (Nouveaux sourires.)
M. Jean Boyer. ... tous ces produits ont bien besoin d'une véritable reconnaissance.
M. René-Pierre Signé. Il veut faire plaisir à tout le monde !
M. Jean Boyer. La compensation des handicaps n'est pas un privilège, elle exige simplement la compréhension, la parité nécessaires.
Je souhaite également consacrer mon propos à la situation particulière de nos communes de montagne. Elles constituent, dans bien des cas, le dernier rempart contre la disparition des services publics locaux.
Il convient de définir une politique plus courageuse en faveur de l'espace rural.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le Gouvernement présenterait un projet de loi dans ce sens. Nous l'approuvons d'ores et déjà, inutile de vous le dire.
En effet, l'espace rural a subi un fort recul au cours du xxe siècle. Les agglomérations urbaines concentrent aujourd'hui 80 % de la population.
Toutefois, l'évolution démographique favorable, dans un nombre croissant de communes rurales, constitue une occasion importante pour le renouveau et le développement des territoires ruraux.
Nos pays de montagne ont besoin qu'on les accompagne dans cette évolution, mais l'espace rural est confronté à des évolutions contrastées, selon que l'on se situe en zone périurbaine, rurale en développement, rurale isolée ou intermédiaire.
M. René-Pierre Signé. Encore quelques instants, et il va critiquer le Gouvernement !
M. Jean Boyer. Par ailleurs, il convient de préserver le patrimoine naturel agricole et forestier et de rénover l'habitat ancien de nos villages. Les risques naturels devront être mieux pris en compte.
Afin d'éviter le phénomène de friches agricoles, il faut une action plus volontariste en ce qui concerne la reconversion des anciennes exploitations, dont certaines ont une valeur locative élevée.
Rendons hommage aux élus responsables, qui assurent leur mission avec courage, détermination et abnégation, et ce - reconnaissons-le - malgré des moyens limités.
L'espace à gérer, ce que l'on appelle le « coefficient territorial », n'est pas assez pris en compte dans les dotations nationales et européennes. On doit encore donner aux élus les moyens d'exprimer les ambitions et les espoirs de leurs collectivités. C'est à ce prix que notre montagne vivra. Il sera toujours nécessaire d'aménager une école, une bibliothèque, une salle des fêtes, de valoriser un centre-bourg, d'entretenir la voirie rurale et communale, d'assurer la qualité du réseau d'eau et d'assainissement. Qui d'autre que la commune, demain, pourra réaliser ces travaux dans les mêmes conditions et avec le même souci de servir les hommes qui vivent dans cet espace de proximité ?
Monsieur le ministre, je vous remercie de tout ce que vous ferez en faveur de ces zones de montagne, et je sais que vous allez faire beaucoup. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèques, compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne reviendrai pas sur les grands thèmes évoqués dans le rapport de la mission commune chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne. La plupart des thèmes ont d'ailleurs été longuement développés par les orateurs qui m'ont précédé.
Ce rapport, dont je reconnais la qualité, a pour autre mérite d'être exhaustif. Il met en évidence les mesures qui sont indispensables à prendre pour que les territoires ruraux puissent occuper une place honorable dans le monde productif et mobile qui est le nôtre aujourd'hui.
Lorsqu'on leur parle de la montagne, nos interlocuteurs pensent aux grands sommets ou aux stations de sports d'hiver, oubliant souvent la moyenne montagne. Et pourtant, on n'insistera jamais assez sur les difficultés et les handicaps de cette moyenne montagne.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Claude Domeizel. Je m'attacherai à démontrer, à l'aide d'exemples concrets, la nécessité de relever le véritable défi que constitue le monde rural pour la société tout entière.
En effet, je rencontre régulièrement les élus des communes rurales de mon département ; ils me confient les difficultés qu'ils éprouvent à surmonter certains obstacles, et je dois faire face à leur découragement, parfois même à leur exaspération. Inévitablement, ils me font part de leurs inquiétudes quant au maintien des services publics en zone rurale.
Comme bon nombre d'entre vous, mes chers collègues, je suis conduit tous les ans à défendre les intérêts de telle ou telle école rurale menacée de fermeture à la suite d'une réduction d'effectif. Et, même si le ministère de l'éducation nationale affirme vouloir donner la priorité à l'école en milieur rural, il opère - avec dextérité, il faut bien le reconnaître - des regroupements d'écoles.
Il arrive que ces solutions posent de gros problèmes d'organisation, de transport scolaire et de qualité de vie, tant pour les enfants que pour les familles concernés.
La politique et l'arithmétique ne peuvent prévaloir en pays de montagne. Une école qui ferme, même une école en sous-effectif, c'est tout un pan de la vie sociale et économique qui s'effondre.
Si nous voulons repeupler la montagne, qui occupe le quart du territoire national et abrite 13,5 % de la population seulement, nous devons attirer les familles et les séduire avec un confort de vie particulier et des équipements. Une commune rurale dont l'école est fermée, cela décourage évidement l'installation de jeunes ménages.
J'évoquais précédemment le transport scolaire. Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai rencontré le président d'un syndicat intercommunal de transports scolaires qui m'a dit la lourde dépense, pour le conseil général, les parents et la collectivité locale, que représentent les transports scolaires. C'est une dépense d'autant plus lourde que les distances sont longues et que le nombre d'enfants transportés est faible.
Par-delà le principe général de la gratuité des transports scolaires pour les familles, mon interlocuteur me faisait remarquer à juste titre que, compte tenu de leurs charges financières spécifiques, les communes de montagne pourraient être compensées pour la part qui leur incombe en matière de transport scolaire. Cette question mérite donc d'être étudiée.
Un autre service public suscite maintes craintes chez nos élus ruraux : La Poste. Notre collègue Pierre Hérisson en a longuement traité, mais je voudrais y revenir.
La Poste, avec la mairie, a toujours joué un rôle essentiel pour l'équité sociale et territoriale de notre pays. Actuellement, de nombreuses communes de notre région ne comptent comme service public que la mairie, incarnée par le secrétaire de mairie, le maire ou ses adjoints, ...
M. Raymond Courrière. C'est exact !
M. Claude Domeizel. ... et La Poste, en la personne du facteur qui vient tous les matins apporter le courrier : c'est le seul service qui se déplace encore jusqu'à la porte du citoyen. Et, si cela est appréciable en zone urbaine, je ne vous ferai pas l'affront de vous en démontrer l'intérêt dans les petits villages ou dans les fermes les plus reculées de la montagne.
Or, aujourd'hui, je suis inquiet de constater que l'on demande à La Poste d'être compétitive, au sens libéral du terme. Pourra-t-elle continuer, dans ces conditions, d'assurer sa mission sur l'ensemble du territoire ? Je crains que les communes rurales, de montagne en particulier, n'en fassent les frais si les élus que nous sommes ne font pas preuve d'une vigilance de tous les instants.
Que dire, monsieur le ministre, de l'intérêt distrait des opérateurs pour une couverture de téléphonie mobile dans les zones rurales non touristiques ? Que dire du haut débit, qui a déjà été évoqué ? Que dire de la vulnérabilité du réseau EDF aux incidents climatiques dans ces mêmes zones ? Cela me rappelle le combat, auquel j'avais pris part, pour la résorption des zones d'ombre pour la télévision ; la parabole, heureusement, y a partiellement mis fin.
Outre les réseaux de télécommunications, les réseaux de communication - les routes, le chemin de fer -, dont le maintien, voire le développement, est indispensable pour faciliter non seulement les déplacements locaux, mais aussi les échanges commerciaux nationaux et, dans le cadre communautaire - on l'oublie quelquefois -, avec les autres pays, sont également importants, car la montagne est souvent synonyme de frontières nationales !
Les élus me font également part de ce souci d'actualité, bien légitime, qu'est la santé. Ils sont souvent aux premières loges des difficultés, qui s'annoncent croissantes pour les années à venir du fait du vieillissement de la population, des avancées techniques et de la forte demande de bien-être et de sécurité. Notre collègue Jean-Marc Pastor, auquel, avec d'autres sénateurs socialistes, je me suis associé, a déposé une proposition de loi qui tend à apporter des solutions à ce qu'il qualifie très justement de véritable « insécurité sanitaire ».
Dois-je souligner - c'est vrai au moins dans mon département - que des cantons entiers ne disposent d'aucun médecin, encore moins d'une pharmacie ? Dans ces secteurs, il faut saluer le courage et le dévouement des rares infirmières et infirmiers en exercice.
Je regrette que la commission des affaires sociales n'ait pas été partie prenante de cette mission d'information et que le rapport, globablement de bonne qualité, ne consacre pas suffisamment de place à la dimension sociale des conditions de vie en zone de montagne : je pense aussi aux services d'aide à domicile, notamment auprès des personnes âgées.
Face à une carence de soins dits de « nursing » à domicile, assurés habituellement par des infirmiers, les services d'aide à domicile se trouvent confrontés à des problèmes d'éthique : doivent-ils assurer l'aide à domicile dans le strict cadre de la légalité, c'est-à-dire se limiter au ménage et aux courses, alors que, sur le plan humain, cette attitude est insupportable ? Le nombre de tels cas, autrefois peu élevé, s'accroît aujourd'hui de façon importante.
Pour finir, mes propos se verront étayés de deux exemples précis.
Tout d'abord, je reviendrai sur les contraintes supportées en matière d'urbanisme, qui ont déjà été évoquées.
M. Raymond Courrière. C'est important !
M. Claude Domeizel. La loi « montagne » précise que « l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants ».
L'esprit de cette loi est louable, dans la mesure où son application permet de protéger des zones naturelles ainsi que des terrains agricoles. Elle est toutefois inadaptée à certaines situations.
Pour ne citer qu'un exemple, une commune située au bord d'un lac de retenue dans les basses gorges du Verdon voit son développement entravé par une législation contraignante. Les infrastructures indispensables existant, la construction d'une cinquantaine, voire d'une centaine d'habitations est envisagée, or, tout nouveau permis de construire est systématiquement remis en cause en vertu du principe de continuité. La situation est regrettable pour cette commune touristique de 300 habitants - j'ai cité ce cas, mais il en est bien d'autres, que mes collègues ont évoqués -, ...
M. Raymond Courrière. Oui, il y en a partout !
M. Claude Domeizel. ... dont les élus s'évertuent à assurer le développement économique.
Je ne fais là qu'appuyer les conclusions et propositions formulées par la mission « montagne » du Sénat, dont nous débattons aujourd'hui, qui évoquent l'excès de rigueur dans l'application de la loi « montagne », « devenue la pomme de discorde permanente entre tant d'élus locaux et de représentants de l'Etat ».
Je ne peux clore mon intervention sans aborder, toujours par le biais d'un exemple, le déséquilibre du mécanisme des dotations, qui pénalise les communes rurales par rapport au monde urbain.
Certes, la plupart des dotations prennent en compte les spécificités de la montagne. Mais le coup de pouce n'est manifestement pas suffisant ! Je pense en particulier à l'entretien des voies communales, qui représente une charge trop lourde pour les communes situées en zone de montagne. Celles-ci sont en effet confrontées à l'entretien de nombreux ouvrages d'art, les routes étant des successions de ponts et de tunnels, ainsi qu'aux aléas climatiques, parmi lesquels le gel et l'enneigement provoquent sur les chaussées des détériorations constantes et importantes. Au cours de mes visites, je n'ai pas rencontré un maire, pas un conseiller municipal qui n'aient soulevé cette question.
Ainsi - et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres - une commune de la vallée de l'Ubaye consacre-t-elle plus de 50 % de son budget de fonctionnement à l'entretien des voies communales. Il faut savoir que cette collectivité locale, qui compte 300 habitants, assume l'entretien de soixante kilomètres d'un réseau routier soumis à l'action de rudes intempéries. Mais je sais que vous êtes conscient de cette situation, monsieur le ministre.
Le budget du conseil général de mon département n'est pas épargné. Certes, tout le monde a ses difficultés ; mais, en montagne, les routes, je l'ai dit, sont une suite de ponts - 1 300 pour mon seul département - et de tunnels. Il en résulte un prix du kilomètre quatre fois plus élevé en montagne qu'en plaine.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, dans mon département je le cite parce que je le connais bien 809 francs par habitant sont consacrés à l'entretien des routes, contre 330 francs dans un département voisin, qui est en plaine. Cela se passe de commentaires.
Le vice-président du conseil général chargé des routes se plaît à le rappeler à chaque inauguration et à souligner que, si la durée de vie d'un pont est bien de cent ans, il lui faudrait en reconstruire ou en rafistoler treize chaque année.
Les mouvements de terrain aussi peuvent avoir des conséquences financières redoutables : dans la vallée de l'Ubaye, sur la route départementale 900 qui relie la France à l'Italie, le coût des travaux rendus nécessaires par l'éboulement de la Rochaille s'est élevé à 35 millions de francs, soit l'équivalent d'un collège ! A quelques kilomètres de là, le réaménagement de la route des gorges de la Reyssolle a également coûté 35 millions de francs, soit le coût d'un second collège !
Il faut absolument que soit mieux pris en compte le coût réel - et exorbitant - de l'entretien de la voirie, et le handicap « routes », en montagne, devrait à mon sens être plus marqué encore dans les critères de calcul de la dotation globale de fonctionnement.
En conclusion, monsieur le ministre, je soulignerai que la montagne n'est pas seulement un jardin où viennent se ressourcer, physiquement et psychologiquement, les citadins : c'est un espace de vie pour une partie de la population, espace de vie qui sera en danger si les mesures nécessaires ne sont pas prises.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, il est temps de faire un choix politique : le choix de l'équité territoriale, grâce à des objectifs précis et à des moyens adaptés et proportionnés aux handicaps.
« Pourtant, que la montagne est belle ! », chante Jean Ferrat. C'est vrai qu'elle est belle !
M. Gérard Le Cam. Très belle !
M. Claude Domeizel. C'est une raison de plus pour la préserver, pour y maintenir la vie, mais avec une présence humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe C.R.C.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d'abord remercier M. Jean-Paul Amoudry, d'une part, d'être à l'origine de ce débat et, d'autre part, d'avoir rapporté le travail important effectué par la mission d'information présidée par notre collègue Jacques Blanc.
Les auditions, les visites sur le terrain montrent combien il est urgent de mettre en place une véritable politique de la montagne : une politique qui s'intègre dans une vision globale de l'aménagement de notre territoire, une politique qui n'oppose pas la ville à la campagne, la plaine à la montagne, le rural à l'urbain - notre collègue Jacques Blanc l'a très bien exprimé il y a quelques instants -, une politique qui, au contraire, croise deux critères incontournables, populations et territoire.
Durant cinq ans, les socialistes, plus soucieux de conforter leur base électrorale que d'engager un aménagement équilibré du territoire, n'ont pris en compte que le critère de la population. Les lois Voynet, Chevènement et SRU - solidarité et renouvellement urbains - visaient à renforcer les zones urbaines. Le moins que l'on puisse dire, c'est que, en la matière, Mme Voynet comme M. Chevènement n'ont guère aidé le candidat Jospin !
Monsieur le ministre, il est urgent de redonner un peu d'oxygène à la montagne afin qu'elle redevienne un espace de liberté. Autant que d'aides, monsieur le ministre, c'est d'un peu de confiance que nous avons besoin. Les élus, les acteurs économiques, n'en peuvent plus d'être les otages de lobbies, voire d'ayatollahs qui se veulent les seuls défenseurs de notre fabuleux patrimoine naturel et qui n'hésitent pas à contester, à attaquer toute initiative qui n'entre pas dans leur vision du développement durable, privilégiant souvent un égoïsme personnel sur l'intérêt général, et ce quelquefois avec l'aide bienveillante de certaines administrations.
Monsieur le ministre, les maires, les élus locaux, sont aussi soucieux que quiconque de protéger leur territoire.
Dans mon département, que vous connaissez bien, il y a plus de quarante ans que, sous l'impulsion de Charles Bosson, les élus du bassin annecien se sont regroupés pour protéger ce joyau qu'est le lac d'Annecy. Des millions, voire des milliards de francs ont été investis pour qu'aucun déchet ne vienne le polluer. Sous la présidence de notre collègue Pierre Hérisson, ce sont aujourd'hui plus de cent communes qui se sont regroupées dans le syndicat intercommunal du lac, afin que celui-ci reste le plus pur d'Europe, pour le plus grand bien de milliers de touristes et de l'activité économique locale.
Depuis vingt ans, Michel Charlet et les élus de la vallée de Chamonix ont compris que l'espace du Mont-Blanc était un patrimoine qui dépasse le territoire concerné et appartient au patrimoine de l'humanité.
Depuis vingt ans, la région Rhône-Alpes s'est engagée fortement en faveur des parcs régionaux et des contrats de rivière.
Tous ont compris, bien avant que le développement durable ne figure dans toutes les conversations, que le couple économie-écologie était indissociable et qu'il est indispensable de préserver les équilibres. Les problèmes naissent en effet lorsque les équilibres sont rompus, soit par excès, soit par défaut.
Tous ont compris que ces actions ne peuvent être engagées et inscrites dans la durée qu'à la condition d'être acceptées et menées par les acteurs locaux.
Monsieur le ministre, nous aimons autant que quiconque les edelweiss, le génépi, les marmottes ou les crapauds sonneurs à ventre jaune. Mais nous avons aussi, et d'abord, le souci de nos compatriotes qui vivent sur nos territoires de montagne et qui les font vivre, qu'il s'agisse des agriculteurs ou des acteurs du tourisme ou de l'économie au sens le plus large.
Or, aujourd'hui, le cadre législatif et réglementaire met en péril le devenir de certaines activités.
Permettez-moi de prendre un seul exemple, que vous connaissez bien, monsieur le ministre : celui des stations de sport d'hiver.
Le ski reste et restera, qu'on le veuille ou non, un produit d'appel. Or les caprices de la météo sont tels que la neige fait parfois défaut. Nombre des sportifs n'ayant pu s'adonner à leur activité favorite ne reviendront chez nous que s'ils sont assurés de pouvoir skier. Il faut donc compenser ce handicap de la nature par la production de neige de culture, donc investir dans des canons à neige. Or je crains, monsieur le ministre, que, sous la pression de certains, qui considèrent que les canons à neige sont aussi dangereux qu'un canon de 155, la réglementation, déjà très contraignante, ne le devienne davantage encore.
Monsieur le ministre, plutôt que de vouloir réglementer encore en fonction de je ne sais quel critère d'altitude ou de nature des sols, faites confiance aux élus locaux ! Soyez rassuré, aucun d'entre eux n'installera d'équipement coûteux qui ne produirait pas de neige ou agresserait le site.
Je souhaite d'ailleurs que ces équipements puissent être contractualisés dans le plan Etat-région, aujourd'hui à mi-parcours, et que leur installation soit facilitée.
De même, notre réglementation sur l'usage des motoneiges est la plus contraignante d'Europe : aucun maire, aucun responsable de station ne veut voir cette activité proliférer de façon incontrôlée. En revanche, qu'elle puisse s'exercer dans un cadre adapté ou servir à maintenir l'activité des restaurants d'altitude lorsque les remontées mécaniques sont fermées ne me semble pas de nature à compromettre la tranquillité ou la sécurité des citoyens ni à augmenter le taux de stérilité du tétras-lyre.
Enfin, monsieur le ministre, personne ne songe à installer des remontées mécaniques dans toutes les combes ! Faut-il pour autant décourager tout investissement en demandant étude sur étude, dossier sur dossier, lorsque l'on sait que 3 % des massifs sont équipés ? Les maires, monsieur le ministre, sont découragés de voir l'administration leur demander entre 35 et 51 dossiers pour une procédure UTN. Ils ont véritablement le sentiment qu'un seul courrier signé par telle association ou par tel organisme pèse beaucoup plus lourd dans la décision que leur propre proposition ou position.
M. Ladislas Poniatowski. C'est bien vu !
M. Jean-Claude Carle. Pourtant, monsieur le ministre, ne sont-ils pas l'expression directe de la démocratie, les porteurs du pouvoir que leur a donné le peuple ?
Il est temps de laisser respirer ceux qui font vivre la montagne. Ils partagent la vision du devenir de notre Terre que le Président de la République a exprimée à Johannesburg et dont ils sont les garants autant que quiconque. Ils attendent de la nouvelle majorité une autre politique, fondée sur la confiance,sur le partenariat, sur la proximité, une politique qui privilégie le contrat sur la contrainte.
Cela est vrai en matière d'équipement touristique comme en matière agricole. Dans ce dernier domaine, aussi bien que dans celui de la forêt, nous souhaitons voir se développer des politiques de filières.
Notre climat, notre relief, nous interdisent la course à l'hectolitre, au quintal ou au mètre cube. Ils nous imposent de mettre en place des politiques s'appuyant sur des produits de qualité à forte valeur ajoutée qui valorisent la matière première et permettent aux agriculteurs de dégager un revenu décent et de vivre en premier lieu de leur fonction économique.
Aujourd'hui, ces politiques de filières, lancées par la région et par le département, permettent par exemple aux producteurs fermiers de reblochon de valoriser fortement leur lait. Cela exige que l'on soit extrêmement vigilant, en particulier sur la notion de territoire : c'est en effet le seul critère qui ne sera jamais délocalisé !
Enfin, je souhaite évoquer les problèmes liés au droit de l'urbanisme.
En la matière, les procédures que la loi « montagne » a induites se sont ajoutées au droit commun. Par conséquent, les démarches visant à établir des documents d'urbanisme sont devenues sensiblement plus complexes pour les communes de montagne. A titre d'exemple, la loi « montagne » a créé l'obligation de construire en continuité des hameaux, tandis que le droit commun imposait à toute construction le respect d'une distance minimale par rapport aux exploitations agricoles existantes, classées ou non.
Il convient de rappeler que l'urbanisme se décide non pas à partir de plans, mais sur le terrain, en fonction d'une lecture paysagère. Or les règles inscrites se sont souvent avérées inadaptées à la réalité, comme l'illustre celle des 300 mètres en bordure des lacs, qui conduit à une impossibilité pure et simple de construction nouvelle dans certains villages montagnards.
Parallèlement, la complexité des procédures semble avoir renforcé le pouvoir des administrations. En effet, pour les communes peu importantes ne disposant pas de leurs propres services techniques, édifier, lire et appliquer un plan d'occupation des sols peut s'avérer si complexe qu'il est devenu nécessaire qu'elles fassent instruire les dossiers afférents par des services de l'Etat, notamment par la direction départementale de l'équipement. Or, la lecture que fait celle-ci de la loi apparaît souvent très restrictive en matière de droit à construire. Une telle procédure revient à concéder à cette administration l'exercice d'un droit réel. La tâche des élus ne s'en trouve pas facilitée !
La mission d'information sur la politique de la montagne a proposé d'adapter les contraintes en matière d'urbanisme et d'améliorer la sécurité juridique. Cette dernière ne pourra être pleinement satisfaisante tant que l'on n'aura pas donné à la juridiction administrative les moyens nécessaires pour traiter les recours pour excès de pouvoir dans un délai convenable. En effet, la longueur intolérable des délais aboutit au blocage de fait de nombreux projets.
Il faut donc adapter les règles d'urbanisme aux situations locales par une logique de programmation des territoires fondée sur un partenariat entre les collectivités locales et l'Etat. En effet, si des normes fortes élaborées à l'échelon national sont nécessaires pour protéger les paysages, leur application mécanique peut entraîner des résultats absurdes, voire contraires au but recherché ou remettant gravement en cause le légitime développement local.
Enfin, je me permettrai de rappeler que la mission d'information préconise d'étendre à la montagne le bénéfice des mesures d'assouplissement de la loi SRU.
Avec mes collègues, je compte donc sur le Gouvernement pour reprendre ces recommandations, c'est-à-dire pour oxygéner le droit de l'urbanisme, dégonfler le contentieux qui en découle et mettre enfin un terme à certaines situations absurdes. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner des assurances sur ce point ?
Je souhaite que le nouvel élan de décentralisation, voulu par le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin - chacun sait qu'il a été gagné par la montagne - permette l'expérimentation et le développement de ce type d'action, plus efficace, que les politiques réglementaires de quelque origine que ce soit.
D'une manière générale, je souhaite, monsieur le ministre, que le Gouvernement mette tout en oeuvre pour que cesse ce climat de méfiance vis-à-vis des entrepreneurs locaux et pour passer à de véritables relations de confiance.
Les montagnards, et vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre, sont des gens de parole. Ils méritent votre confiance, ils méritent notre confiance.
Permettez-moi monsieur le ministre, mes chers collègues, de conclure en citant non pas Jean Ferrat, mais, une fois n'est pas coutume, Mao Tsé Toung, qui, parlant de la montagne, disait :
« Montagnes !
« Poignards dans le ciel bleu
« Qui n'émousse pas la pointe
« Le ciel s'écroulerait
« S'il ne reposait pas sur elles. » (Applaudissements sur les travées de l'U.M.P. et de l'Union centriste.)
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Bravo !
M. Ladislas Poniatowski. Chacun ses références !
M. le président. La parole est à M. Auguste Cazalet.
M. Auguste Cazalet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'adresser un salut amical aux membres de la mission commune d'information sur la politique de la montagne. Je tiens à dire combien j'ai apprécié leur enthousiame, leur disponisiblité et leur compétence.
Auditions et déplacements nous ont permis de constater, pour le déplorer, une certaine discordance entre vision locale et vision centralisée sur les problèmes des zones de montagne.
La montagne mérite une approche spécifique, et non pas un regard condescendant. Je souhaite à cet égard que le rapport de la mission contribue à changer les choses, car il est temps !
Notre mission préconise la promotion de la spécificité et de la solidarité dans les massifs, ce qui passe par la structuration de l'aménagement des territoires en montagne. Le maintien des services de proximité, la définition d'une véritable politique des transports, l'accès aux technologies de l'information et de la communication sont ainsi des enjeux vitaux.
J'ai choisi d'articuler mon propos autour du commerce de proximité et des réseaux de transports.
L'artisanat, qui apporte des services de proximité et des services aux personnes à travers ses 250 métiers, mais aussi le commerce sont, avec le tourisme, l'agriculture et les services publics, les piliers de l'activité en montagne. L'évolution de l'implantation des services de proximité sera un facteur essentiel du maintien ou du départ des personnes installées en montagne.
Nous autres, élus de petites communes, savons que ces derniers force de conviction dont il faut faire preuve en ce domaine et nous ne ménageons pas nos efforts pour installer un commerce, par exemple un « multiple » rural, ou pour garder un artisan. Nous savons que ces derniers sont source de revitalisation et que les cessations d'activité ont des conséquences parfois dramatiques sur un environnement économiquement fragile.
Ces questions ne sont pas au coeur des préoccupations de l'instance d'évaluation du Commissariat au Plan, qui, lorsqu'elle a examiné la politique de la montagne, a volontairement écarté de son champ d'analyse le commerce et l'artisanat, en soulignant que ces secteurs étaient « restés en marge du développement de la politique de la montagne ».
Les propos tenus devant la mission par le directeur de la DECAS, la direction des entreprises commerciales, artisanales et de services, qui représentait le secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, sont, de ce point de vue, culturellement assez significatifs. Le directeur de la DECAS nous a en effet indiqué que « la politique menée par son ministère ne consistait pas à maintenir quelques petites épiceries qui ne vendraient que des petites boîtes de conserves périmées et chères ou des commerces non alimentaires du type quincailleries, mais à favoriser la venue des jeunes, ainsi que l'implantation d'activités économiques, notamment touristiques ».
« Les préoccupations des citadins ne sont pas celles que certains films véhiculent », a-t-il encore ajouté. « Notre subconscient abrite le modèle de la France de Marcel Pagnol, caractérisé par un monde agricole peuplé, structuré autour de villages comprenant café, commerce traditionnel et artisans. Vouloir maintenir ou reconstituer ce modèle pour ce type de zones me semble être une erreur. Il est préférable de construire un modèle prenant en compte les attentes des populations susceptibles d'être intéressées par ces zones. »
« Enfin », nous a-t-il dit, « du fait des 35 heures et des départs en retraite, certaines populations sont susceptibles d'être attirées par ces zones qui évoquent les loisirs et l'inactivité. Dans les zones rurales, la démarche consiste à prendre en compte les besoins de ce type de population, sans chercher à recréer un modèle révolu du commerce d'antan ».
Quelle discordance entre ce qui se passe sur le terrain, ce que vivent les gens, ce qu'ils attendent et ce l'on pense dans les bureaux à Paris !
Que la montagne est belle pour les Parisiens, les Lyonnais, les Bordelais, les Toulousains, les bénéficiaires de la « RTT », et j'en passe ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Robert Bret. Ça fait du monde !
M. Auguste Cazalet. On nous explique que, sans demande, les commerces ne peuvent se pérenniser et qu'il convient de favoriser le développement du commerce dans les zones où la demande est déjà présente.
Malheureusement, l'absence de données nationales suffisamment fines ne permet ni de dresser un bilan statistique du commerce et de l'artisanat en zones de montagne, ni de dégager un quelconque diagnostic sur le déclin ou le renouveau de ces zones, ni d'identifier les atouts à valoriser.
Il faut lever le tabou, changer le regard que nos compatriotes portent sur nos territoires de montagne, sortir de ce cercle, non pas vertueux mais vicieux, dans lequel la faible densité de la population est invoquée pour légitimer l'insuffisance des services de proximité, insuffisance qui entraîne encore plus de départs ! Les zones en déclin démographique ne bénéficient donc pas de la politique menée, et le déclin s'accentue.
Les réseaux de transports constituent un autre facteur essentiel de la structuration des territoires de montagne.
Le développement du tissu industriel montagnard repose notamment sur un environnement favorable en termes d'infrastructures. L'effort des pouvoirs publics doit donc se concentrer prioritairement sur le perfectionnement des voies de communication sous toutes leurs formes.
Le franchissement des massifs frontaliers par les transports de marchandises est un problème que je connais bien, car la forte augmentation du trafic routier de marchandises transpyrénéen a été mal anticipée. Or, en dix ans, le volume des échanges de la péninsule ibérique avec les autres pays de l'Union européenne a progressé de plus de 65 %. Le fret est aujourd'hui à la limite de la rupture aux deux extrémités de la chaîne des Pyrénées : 96 % du trafic passent par Biriatou et le Perthus. Quinze mille camions traversent le massif tous les jours, soit deux fois plus que pour les Alpes françaises, et ce chiffre doublera avant vingt ans avec l'apport en croissance rapide des camions venus du Maroc, voire d'Algérie ou d'ailleurs.
Le chemin de fer est insuffisamment développé. La part du mode ferroviaire dans les transports terrestres de marchandises dans les Pyrénées ne représente que 6,5 % en fer-fer - taux qui s'élève à 10 % côté français si l'on compte le trafic rail-route - alors qu'elle atteint 20 % sur les Alpes françaises et 34 % sur l'arc Vintimille-Brenner.
Je le dis d'emblée, je suis favorable à la traversée centrale des Pyrénées. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Mme Loyola de Palacio, commissaire européen chargée des transports, mise sur une grande traversée ferroviaire. Point de passage obligé pour tout le transport par voie terrestre entre l'Espagne, le Portugal, l'Afrique du Nord et le reste du continent, l'espace pyrénéen représente un espace d'intégration, et donc une valeur stratégique au sein de l'Union européenne. Le projet de réalisation d'un tunnel ferroviaire à basse altitude doit donc être réactivé.
Je me réjouis de l'ouverture du tunnel du Somport, bol d'oxygène pour l'économie locale. Les secteurs agricole et agroalimentaire, dont les produits ne supportent ni manutention ni attente, doivent profiter de cette infrastructure pour réduire les temps de trajet : les lieux de production sont en Béarn, les usines en Espagne !
Par ailleurs, il est urgent de mettre aux normes la RN 134 à la sortie du tunnel.
Le ministre des transports, M. Gilles de Robien, a fait la promesse qu'un million d'euros seront consacrés en 2003 aux travaux d'aménagement et de sécurisation des traversées des différentes communes, et je m'en réjouis.
Notre mission et son président, M. Jacques Blanc, souhaitent que la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Perpignan et Figueras, accessible aux trains de fret, soit réalisée le plus rapidement possible.
Les conditions de franchissement des Alpes...
M. René-Pierre Signé. Il fait le Tour de France !
M. Auguste Cazalet. ... par les transports de marchandises sont, elles aussi, préoccupantes, et il ne nous paraît pas réaliste de suivre les évaluations du rapport Brossier de 1998, rapport selon lequel les infrastructures actuelles seraient suffisantes à moyen terme.
Cette hypothèse dépend en réalité de la volonté qu'aura la Suisse d'ouvrir ou non son territoire au trafic de l'Union européenne et de la réussite de cette politique.
Les contraintes liées à la sécurité, dramatiquement rappelées par la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc en 1999, et celles qui le sont à l'environnement pourraient conduire à limiter le trafic dans les tunnels en deçà du seuil envisagé par le rapport Brossier, d'où la nécessité d'améliorer le transport ferroviaire.
Le rapport Brossier estime que d'ici à 2010 le transport ferroviaire de marchandises pourrait représenter de 10 millions à 25 millions de tonnes par an. La réalisation de la ligne Lyon-Turin, décidée dans un accord franco-italien de janvier 2001, qui concernerait à la fois les voyageurs et les marchandises et dont la réalisation est prévue pour 2012, paraît indispensable !
Cette ligne fait partie des quatorze projets prioritaires européens et du réseau ferroviaire transeuropéen. Son coût est estimé à 10,7 milliards d'euros. Si 10 % de cette somme étaient investis sur le tronçon ferroviaire de fret Ambérieu-Turin, la capacité annuelle de la ligne pourrait être portée à 16 millions de tonnes.
Les besoins d'infrastructures en montagne doivent être mieux pris en compte, notamment lorsqu'ils concernent la traversée des massifs, dont j'ai déjà parlé, et le désenclavement des zones de montagne. Or la politique tant française que communautaire se focalise sur la traversée des massifs frontaliers.
En dépit de la reconnaissance par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire de la nécessité d'améliorer la desserte des pays isolés ou à faible densité, les schémas de services collectifs de transports de voyageurs et de marchandises sont exclusivement orientés vers l'écoulement du transit international franchissant les Alpes et les Pyrénées. Ils ne mentionnent même pas l'objectif de désenclavement des zones isolées de ces massifs.
Cette orientation est encore plus nettement exprimée par le Livre blanc de la Commission européenne sur les choix en matière de transport à l'horizon 2010.
Les deux projets d'infrastructures prioritaires, adoptés lors du Conseil européen d'Essen des 9 et 10 décembre 1994 concernant la montagne française, portent exclusivement sur le franchissement des Alpes et des Pyrénées.
L'exemple des Vosges, si cher au président Poncelet, est révélateur de l'insuffisance de la politique de traversée des massifs. Faute d'investissements, les réalisations indispensables à la traversée de ce massif se trouvent retardées. Je pense à la création d'un axe interrégional Alsace-Lorraine au centre du massif via la RN 59 et le tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, au contournement par le nord, avec l'autoroute A4, et par le sud, c'est-à-dire par Belfort, ainsi qu'au développement du ferroutage.
S'agissant du désenclavement de certaines parties de notre territoire, l'élu aquitain que je suis ne peut pas ne pas évoquer ses attentes, ses déceptions et son scepticisme face aux atermoiements des gouvernements qui se sont succédé.
En dépit de leur position excentrée par rapport aux grands carrefours d'échanges européens, en dépit aussi de l'élargissement vers l'est de l'Europe, qui suscite bien des inquiétudes, les Aquitains n'entendent pas demeurer à l'écart des grands courants d'activité économique, sociale et culturelle qui constituent, du nord au sud, l'épine dorsale de l'Europe. Ils savent que leur région peut devenir une alternative au sillon rhodanien.
Le destin de l'Aquitaine dépend, certes, de la capacité de ses femmes et de ses hommes à le bâtir ; mais il est aussi subordonné à l'indispensable amélioration de ses infrastructures de communication.
Malheureusement, faute de volonté politique, la liaison Pau-Bordeaux est, vous le savez, monsieur le ministre, en panne, et je ne parle pas des problèmes soulevés par le TGV dans l'ouest des Pyrénées.
Le projet Pau-Oléron a, quant à lui, été abandonné, mais il va falloir le remettre en chantier - je crois que M. de Robien l'a compris - avec l'ouverture du tunnel du Somport. Il faudra en effet coûte que coûte - ceux qui sont contre le Somport finiront sinon par avoir raison - d'autres passages dans les Pyrénées pour éviter un inéluctacle engorgement du tunnel.
Je remercie donc M. le président du Sénat, et ceux qui lui en ont suggéré l'idée, d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat.
Quant à vous, monsieur le ministre, vous êtes un montagnard et j'ai confiance en vous, mais, je vous le dis très franchement, vous avez du pain sur la planche ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec plaisir que je viens aujourd'hui m'exprimer devant vous à l'occasion de ce débat qui consacre l'important travail réalisé par la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne, que présidait Jacques Blanc et dont Jean-Paul Amoudry était le rapporteur.
Je présente d'abord mes excuses aux membres de la mission. Rendez-vous avait été pris, mais la campagne qui a précédé les élections législatives m'a empêché de les accueillir en Savoie. Je sais néanmoins que leur visite dans mon département n'en a pas été moins instructive quant aux problèmes que connaissent nos zones de montagne.
Trois mois après avoir rendu public votre rapport, le Sénat a souhaité connaître les suites qu'entend lui donner le Gouvernement. Votre travail rend compte des défis que la montagne doit relever, mais il souligne également la volonté des montagnards de progresser toujours et de s'ouvrir davantage aux autres. L'expérience m'a, en effet, appris que nous autres, montagnards, n'avons d'autre choix que de nous unir pour prospérer.
Mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai écouté avec beaucoup d'attention vos plaidoyers en faveur de la montagne, et je souhaite, en vous répondant, vous faire partager non seulement mes convictions, mais aussi celles du Gouvernement tout entier, et notamment celles de mon collègue et ami M. Jean-Paul Delevoye, qui, au titre de l'aménagement du territoire, suit ce dossier de très près.
Comme nombre d'entre vous l'ont dit, nous sommes dans une année importante. L'année 2002 fut l'année internationale de la montagne. La loi de 1985, qui, dans son esprit, visait à concilier les préocupations de protection et de déveleppement du territoire, a sans doute laissé la part trop belle au seul aspect de la protection, négligeant sans doute le développement de nos zones de montagne.
A la suite de ce rapport, et de plusieurs autres, notamment celui sur le pastoralisme, que M. Jean-Paul Amoudry connaît bien, ainsi que de nombreuses réflexions qui découleront des groupes de travail mis en place par le Conseil national de la montagne, nous avons l'occasion de faire oeuvre législative utile.
La montagne est le seul territoire national ayant bénéficié, depuis une trentaine d'années, d'une politique de développement et d'aménagement spécifique aussi constante et soutenue. Cette politique doit beaucoup à la volonté conjointe de l'Etat, des élus de la montagne - et je salue ici M. Pierre Jarlier, président de l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM - et des organisations socioprofessionnelles.
Maintenir les populations montagnardes, développer les activités économiques de façon maîtrisée, réduire les écarts de revenus et les différences de conditions de vie entre les zones de montagne et les zones de plaine, préserver l'environnement et les paysages montagnards, tels sont les objectifs que nous cherchons à atteindre avec ardeur.
Ces objectifs sont intimement liés au sein de la politique menée par le Gouvernement. A bien des égards, le maintien d'activités existantes est indispensable pour fixer les populations rurales et favorise le développement d'autres activités : le tourisme, mais aussi l'industrie, le commerce ou l'artisanat. C'est, par exemple, le cas des exploitations agricoles, dont le maintien demeure indispensable et indissociable du développement d'activités de production agroalimentaire de qualité. Aussi les résultats de notre politique de la montagne ne peuvent-ils être jugés, au fond, que dans leur globalité.
Aujourd'hui, il n'est plus pertinent de parler de la montagne : nous devons parler des montagnes, tant la géographie, l'économie ou la sociologie de nos massifs sont diverses. M. Pierre Jarlier, Mme Michèle André et M. Claude Domeizel ont rappelé que le terme générique de « montagne » recouvre en fait des montagnes d'altitudes différentes, ayant des problèmes spécifiques à régler. La spécificité de chacune de nos montagnes doit être prise en compte.
Cette année, nous sommes à la veille d'un rendez-vous important : l'élargissement de l'Union européenne. En effet, le continent européen s'apprête à vivre, le 1er mai 2004, une formidable évolution avec l'entrée dans l'Union européenne de dix nouveaux pays d'Europe centrale et orientale. L'espace montagnard, tout spécialement l'arc alpin, sera ainsi transformé en une véritable charpente du territoire européen. Devant les élus de la montagne réunis à Gap, dans les Hautes-Alpes, le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, a récemment rappelé combien le développement de la montagne - parce qu'il concourt puissamment à en rapprocher les peuples - devait être une cause européenne.
Les habitants de nos massifs ont su, depuis longtemps, surmonter l'obstacle naturel que constituent les massifs. Ils ont aujourd'hui vocation à participer pleinement à la réunion de notre continent.
Comme ministre de l'agriculture et des affaires rurales, mais également comme élu de nos massifs et natif d'une vallée alpine profonde et haute, je sais à quel point la montagne a besoin de soutien, mais aussi de reconnaissance.
Le deuxième rapport de cohésion économique et sociale de la Commission européenne a ouvert le débat sur la politique régionale au-delà de 2007. Le commissaire européen Michel Barnier a eu l'occasion de dire aux représentants de la montagne, lors des assises d'Euromontana à Trento, voilà deux ans, et à Inverness, plus récemment, que l'avenir de la politique régionale de l'Europe pour la période 2007-2013 devait être bâti autour de cinq priorités territoriales : les quartiers urbains, les zones en restructuration industrielle, les zones rurales, les zones à handicaps naturels durables et, enfin, la coopération entre régions, qu'elle soit transfrontalière, transnationale ou interrégionale.
La Commission européenne présentera, à la fin de cette année, ses propositions budgétaires pour l'après-2006. Il est en effet important que ces propositions soient sur la table avant les élections au Parlement européen et la nomination d'une nouvelle équipe de commissaires. Les modalités de réforme des politiques régionales en feront partie.
Le rapport d'étape sur la cohésion, que Michel Barnier s'apprête à rendre public, présentera les contributions au débat des Etats membres.
Dans ce débat, la France a choisi de faire entendre sa voix. C'est pourquoi, lors de la réunion du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, le CIADT, elle vient d'adopter un mémorandum, qu'elle a transmis à la Commission.
Compte tenu de la rupture qu'implique l'élargissement, le mémorandum français, transmis par Jean-Paul Delevoye, entend promouvoir trois principes.
Le premier, c'est la priorité aux pays et aux régions qui sont les plus en retard de développement, c'est-à-dire les pays d'Europe centrale et orientale, et ce que l'on appelle, dans le jargon bruxellois, les « territoires ultrapériphériques », c'est-à-dire nos départements et territoires d'outre-mer et nos collectivités territoriales, qui seront appelés à recevoir la majeure partie des fonds.
Le deuxième principe, c'est le renouvellement d'une politique communautaire pour les autres régions dans lesquelles les massifs auront une importance particulière, s'agissant de la répartitition des crédits.
Le troisième principe, c'est le soutien des actions de coopération et d'intégration. M. Jacques Blanc et Mmes Michèle André et Annie David se sont interrogés, à juste titre, sur l'évolution de ces fonds régionaux européens. La position de la France, sur ce sujet, est claire : nous souhaitons que la montagne soit reconnue en tant qu'entité spécifique pour la répartition des futurs crédits régionaux européens. Ce n'est pas une bataille gagnée d'avance, mais sachez que nous nous mobilisons, avec Jean-Paul Delevoye, pour faire admettre cette position à Bruxelles.
Mais au-delà de la question du financement - et Dieu sait qu'elle n'est pas mince - nous militons aussi pour plus de souplesse dans la mise en en oeuvre des politiques communautaires et pour une bonne prise en compte de l'objectif de cohésion dans les politiques sectorielles, notamment celles des transports, du développement rural et de la concurrence.
Lors d'un déplacement récent en Autriche, au cours d'un colloque sur la politique agricole de montagne, j'ai d'ailleurs, devant le commissaire Fischler, rappelé combien, de notre point de vue, il est important et vital pour l'Europe de véritablement reconnaître la montagne. Il est important que les pays concernés par la problématique si spécifique des zones de montagne puissent unir leurs efforts pour faire reconnaître ce que nous appelons en France « un droit à la différence ».
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage avec vous cette grande ambition d'un territoire équilibré, fort de ses diversités et de ses richesses. C'est pourquoi le Premier ministre souhaite que nous concevions, ensemble, une politique cohérente en faveur de nos zones rurales. Naturellement, une politique renouvelée en faveur de la montagne et du pastoralisme doit occuper une place spécifique dans le projet de loi.
Le 20 novembre dernier, à la demande du Premier ministre, j'ai présenté en conseil des ministres une communication sur notre politique en faveur du développement rural. Elle préfigure le projet de loi de modernisation et de dynamisation des territoires ruraux que j'aurai l'occasion de soumettre au Parlement cette année.
L'espace rural doit être analysé dans sa diversité. Plusieurs ruralités coexistent désormais, selon que l'on se trouve en zone périurbaine, en zone rurale en développement ou en zone rurale isolée. En montagne, cette diversité est encore plus prononcée et nécessite un traitement spécifique.
Comme l'a souligné le Président de la République à Ussel, le 13 avril dernier, la politique d'aménagement du territoire a trop longtemps délaissé le monde rural.
Les premières conclusions de l'instance interministérielle d'évaluation des politiques de développement rural, auxquelles Auguste Cazalet a fait référence tout à l'heure, montrent bien que ce qui subsiste de ces politiques obéit à des logiques sectorielles et cloisonnées qui trop souvent font appel à des mécanismes nombreux et insuffisamment articulés entre eux.
La politique de la montagne est, de ce point de vue, précurseur de l'approche globale qu'il faut sans cesse appuyer, revendiquer et soutenir pour que le rural soit intégré aux projets centrés sur l'urbain. Lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 13 décembre 2002, le Gouvernement a ainsi pris une décision qui pourrait paraître quelque peu technique pour les non-initiés, bien qu'elle touche à l'essentiel : la fongibilité totale des crédits des programmes interrégionaux. L'ambition de cette mesure est claire : une seule ligne de crédit pour l'Etat, un Etat qui parle enfin d'une seule voix, un Etat qui peut, comme les collectivités locales, s'adapter à la nécessaire transversalité des projets présentés. Les présidents de collectivité territoriale présents dans cet hémicycle, notamment M. Jacques Blanc, pourront apprécier l'avancée que constitue cette fongibilité.
Le dispositif prévu par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 en faveur de la création d'emplois dans les territoires ruraux de développement prioritaire et les zones de revitalisation rurale ne semble pas avoir produit tous les effets escomptés. Il est désormais temps de l'évaluer.
De même, les outils prévus par la loi « montagne » du 9 janvier 1985 n'ont pas produit tous leurs effets, tant s'en faut, car, comme cela a été dit tout à l'heure, les textes d'application ont progressivement remis en question l'équilibre entre développement économique et protection.
Comme beaucoup d'orateurs l'ont dit, le contexte administratif, économique et territorial de notre politique de la montagne a, par ailleurs, beaucoup évolué sans que le cadre de nos politiques ait été adapté entre-temps. Ainsi en est-il de l'évolution des politiques communautaires, qu'il s'agisse des fonds structurels, maintenant appelés fonds régionaux, de la politique agricole commune ou des politiques nationales. Je pense à la décentralisation, à la politique d'aménagement du territoire avec les lois Pasqua, Voynet et Chevènement, à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains ainsi qu'à la loi relative à la démocratie de proximité. Beaucoup de lois ont été adoptées ces dernières années, d'ailleurs sous des gouvernements différents, et l'on peut dire sans se tromper que, de ce fait, la politique de la montagne a peu à peu perdu force et sens.
Certains problèmes, souvent évoqués, n'ont pas encore trouvé de réponse adéquate. Il en va pourtant de l'accès aux services publics dans les communes les plus isolées, de la mise en oeuvre d'un véritable partenariat avec les agriculteurs et les forestiers - qui sont les principaux gestionnaires des espaces ruraux - pour un développement local équilibré.
Comme le Président de la République et le Premier ministre, je suis convaincu que notre espace rural et, spécifiquement, la montagne méritent une véritable ambition. L'heure est désormais venue de définir une nouvelle politique en faveur de ces espaces. A cet égard, je veux remercier le Sénat de son importante contribution non seulement écrite, mais aussi orale grâce à cette très riche séance.
Tout d'abord, je tiens à souligner que le Conseil national de la montagne a été réinstallé par le Premier ministre dès qu'a été finalisée la désignation de ses membres. Sa commission permanente a été désignée sans délai pour lui permettre d'engager le travail nécessaire au plus vite.
Six groupes de travail ont été constitués en son sein. Ces groupes réunissent les principaux acteurs de la montagne ; plusieurs d'entre vous en font partie ou ont accepté d'en assumer la présidence, et je les en remercie.
Le travail ainsi engagé dans la concertation, en particulier avec les élus que vous êtes, doit nous permettre d'aboutir, au printemps, à des propositions concrètes.
Un premier groupe sur l'évolution des institutions s'attache aux éventuelles modifications organisationnelles qu'implique le suivi de cette politique. Ce sujet est d'autant plus d'actualité que le Gouvernement entend approfondir la décentralisation.
Deux autres groupes, l'un sur les ressources et milieux, et l'autre sur l'urbanisme, devraient permettre de formaliser aussi des propositions d'évolution de la loi « montagne » de 1985. Ces propositions permettront de résoudre certaines des difficultés concrètes d'application que vous vivez sur le terrain. A titre d'exemple, nous pensons, avec Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Gilles de Robien et Léon Bertrand, que la procédure des unités touristiques nouvelles doit pouvoir être encore simplifiée. Une mission d'inspection « environnement, équipement et tourisme » rendra un rapport d'ici à quelques semaines. Les conclusions en seront tirées dans le futur projet de loi.
Trois autres groupes, sur le tourisme, sur l'emploi et sur les infrastructures et services à la population, apporteront des contributions utiles sur ces sujets majeurs pour la montagne, comme l'a souligné Auguste Cazalet. Pluriactivité et polyvalence me semblent être deux maîtres mots en la matière. Nous devrons avancer dans ce domaine.
De même, il faudra promouvoir un meilleur maillage du commerce et de l'artisanat dans le milieu rural. Je sais que, ce matin même, ce sujet a fait l'objet d'une réunion, qui s'est tenue sous la présidence de Pierre Hérisson.
Un deuxième sujet a été évoqué, notamment par M. Jacques Blanc et Mme Annie David : les questions sociales et la santé sont effectivement des sujets importants et variés.
S'agissant des médecins installés en zone de montagne, quels que soient les massifs, qu'il s'agisse ou non de zones où sont implantées des stations de ski, ils exercent un métier diversifié et doivent faire face à des problèmes spécifiques par rapport à leurs collègues de plaine. Ils sont les premiers recours lors des accidents et assurent la permanence des soins des résidents permanents. En liaison avec mon collègue Jean-François Mattei, cette spécificité d'exercice fait actuellement l'objet d'une analyse approfondie, qui pourrait donner lieu à des mesures d'accompagnement adaptées.
Par ailleurs, s'agissant des professions médicales ou paramédicales, le problème de la répartition géographique de leur implantation sur le territoire est un sujet complexe, et, en l'occurrence, c'est l'ancien secrétaire d'Etat à la santé qui s'exprime. Sur ces points, nous devons également avancer, compte tenu de la très grande désertification de trop nombreux cantons ruraux et de montagne. Les mêmes observations pourraient être formulées en ce qui concerne les hôpitaux de proximité. Sachez, en tout cas, que nous travaillons spécifiquement sur ce point avec M. Jean-François Mattei.
Mme David a évoqué, dans le domaine social, la question du logement saisonnier, sujet très important sur lequel un certain nombre de mesures ont été prises depuis une dizaine d'années sous différents gouvernements. La plupart des outils législatifs et fiscaux sont maintenant en place, et il faut désormais que, concrètement, station par station, les choses se fassent. Je constate, pour ce qui concerne les départements que je connais le moins mal, qu'il existe une véritable mobilisation de tous les acteurs, et il est vrai que nous avons encore énormément de retard à rattraper.
Je ne partage pas tout à fait son sentiment sur l'annualisation du temps de travail. La question du contrat saisonnier spécifique est extrêmement compliquée. Je ne veux pas en parler à la place de M. François Fillon, mais je crois que l'annualisation du temps de travail avec le cumul de deux contrats, un l'hiver et un l'été, n'est pas une mauvaise solution. Je pense aussi que la généralisation des groupements d'employeurs là où c'est possible - j'en ai fait l'expérience dans mon département - peut aussi être une solution adaptée. Sachez en tout cas que c'est un sujet sur lequel nous travaillons également.
Jean-Paul Amoudry connaît mieux que quiconque dans cette assemblée les problèmes du pastoralisme. Un rapport nous a été remis en juillet dernier, et sachez, monsieur le rapporteur, que des dispositions concernant le pastoralisme seront incluses dans ce projet de loi.
De même, dans chaque massif, les comités de massif doivent se mobiliser afin que le cadre législatif puisse mieux tenir compte des spécificités de chacun d'entre eux.
Il faut d'ailleurs, à mon avis, saluer le fait que les élus, et non plus les préfets, président désormais les comités de massif. Il s'agit d'une très bonne évolution qui permettra de mieux prendre en compte les problèmes.
Je crois donc très sincèrement que relever les défis économiques de la montagne, c'est non seulement valoriser ses puissants atouts sectoriels, mais aussi prendre en compte les interactions entre toutes ses composantes - économique, environnementale, sociale, culturelle et administrative - pour promouvoir une logique de cercle vertueux dans les bassins d'emplois montagnards.
Nous devons avant tout permettre aux montagnards de valoriser eux-mêmes ce formidable potentiel. Nous devons pour cela transformer les handicaps naturels en atouts, « transfigurer », selon la formule de Raymond Aron, « les contraintes en objectifs ». Nous devons également promouvoir les initiatives qui s'expriment, qu'elles soient individuelles ou collectives. M. le Premier ministre a indiqué que les besoins de cohérence nationale et de libertés locales ne doivent pas être confondus, précisant que « l'énergie locale, la société civile, les territoires, l'ensemble des acteurs locaux doivent avoir plus de responsabilités, plus d'initiatives ».
Or - je l'ai dit précédemment et vous l'avez vous-même rappelé -, la montagne est plurielle et l'espace montagnard ne peut être régi par une norme nationale. Il est donc utile de réfléchir ensemble à un corps de doctrine national qui pourrait ensuite faire l'objet de règles adaptées à chaque massif. Cela doit être le cas non seulement en matière d'urbanisme, mais également dans le domaine de l'agriculture et de l'environnement. De ce point de vue, je fais miennes les réflexions de Jean-Claude Carle tant sur l'enneigement artificiel que sur les motoneiges.
Une telle évolution suppose que les massifs trouvent une réalité de vie, d'expression, et soient capables de partager une véritable stratégie.
Voilà comment peut s'affirmer cette vocation d'un aménagement du territoire renouvelé qu'appelle de ses voeux le Premier ministre. Il faut naturellement reconnaître notre originalité administrative et géographique puisque, par définition, le massif n'est pas un espace administratif complètement identifié.
Le Gouvernement - soyez-en sûrs, mesdames, messieurs les sénateurs - a la volonté d'engager une démarche globale de progrès pour les territoires de montagne. Vous souhaitez une évolution législative de cette politique dont la globalité a fait ses preuves. Le Gouvernement a la volonté d'aller dans ce sens, puisque, en accord avec Jean-Paul Delevoye, nous nous appuierons sur les travaux du Conseil national de la montagne pour intégrer les dispositions spécifiques concernant la montagne dans la loi que je présenterai au Parlement en juin.
Jacques Blanc et Pierre Jarlier m'ont interrogé à cet égard. Nous devons être pragmatiques et efficaces. Bien sûr, je suis le premier à dire qu'il ne faut pas confondre ruralité et montagne. Ces deux notions sont complémentaires, leurs problèmes se recoupent, mais elles ne sont pas complètement identiques. En cette année 2003, nous avons la chance de disposer d'un vecteur législatif, à savoir la loi d'orientation pour le développement du monde rural. Le Premier ministre a décidé que cette loi d'orientation comporterait une partie montagne ayant sa logique propre.
Par ailleurs, s'agissant des autres lois qui seront en révision, rien n'empêchera évidemment, comme je l'ai dit, que les spécificités de la montagne soient prises en compte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Très bien !
M. Hervé Gaymard, ministre. Il est extrêmement important que nous puissions travailler dans cette perspective. Ce travail législatif aura lieu prochainement puisque mon ambition est que cette loi soit adoptée en conseil des ministres dans le courant du mois de mai. J'espère que le texte sera soumis en première lecture au Parlement avant l'été afin que la loi soit adoptée définitivement avant le 31 décembre de cette année.
Sans attendre ce travail législatif, diverses initiatives ont d'ores et déjà été prises pour répondre aux légitimes aspirations des populations de montagne.
Dans le domaine des transports, qu'a amplement développé Auguste Cazalet, je souhaite tout d'abord rappeler que les perspectives de croissance des trafics routiers transfrontaliers dans les Alpes françaises doivent prendre en compte l'ouverture de la Suisse à ces trafics, comme il l'a dit lui-même. Les trafics entre l'Italie et une partie de l'Allemagne étaient détournés par la France et par l'Autriche. Progressivement, ce mouvement devrait retirer des itinéraires français les trafics qui y sont actuellement déviés.
Des solutions non routières sont évidemment recherchées pour pallier l'augmentation de ces trafics routiers. C'est ainsi que démarrera, à l'été, l'expérimentation d'une autoroute ferroviaire entre Aiton, à l'entrée de la vallée de la Maurienne, et Orbasano, dans l'agglomération de Turin. Les résultats enregistrés éclaireront les perspectives offertes pour la future liaison ferroviaire à grande capacité Lyon-Turin.
En attendant ces perspectives de transfert entre modes de transport, il convient de noter que les performances environnementales des véhicules routiers - les voitures particulières et plus encore les camions - s'améliorent rapidement dans le domaine de la pollution aérienne de proximité et notamment de l'émission d'oxydes d'azote et de particules. C'est pour accélérer l'effet de ces réductions d'émission que le Gouvernement met en place des interdictions de circulation dans les tunnels transfrontaliers pour les véhicules lourds les plus polluants, construits avant 1993 - norme Euro 0. Ces interdictions, déjà en vigueur au tunnel du Mont-Blanc, sont étendues au tunnel du Fréjus depuis Noël.
Enfin, des rencontres sont organisées très régulièrement avec nos partenaires concernés par les traversées des massifs montagneux. Elles ont déjà abouti à la signature de la convention alpine et de son protocole relatif au transport associé, comme au projet de liaison ferroviaire Perpignan - Figueras qui a été évoqué à plusieurs reprises aussi bien par Jacques Blanc que par Auguste Cazalet.
Cette politique européenne relative à la protection des massifs montagneux frontaliers, notamment au regard des nuisances routières, existe bel et bien, et permet déjà des réalisations opérationnelles ; mais il faut évidemment aller plus loin et avoir une grande ambition dans ce domaine.
Dans mon propre secteur de compétences, l'agriculture - elle ne résume évidemment pas toute la politique de la montagne, comme je l'ai souligné, mais elle en est l'un des éléments majeurs puisque c'est une activité de base, comme nombre d'entre vous l'ont rappelé -, j'ai, dès mon arrivée au ministère, proposé au Premier ministre de majorer l'indemnité compensatoire de handicap naturel, l'ICHN, de 5 % pour les zones de montagne et de 20 % pour les zones de haute montagne. Comme vous le savez, cette mesure avait été annoncée par le précédent gouvernement, mais elle n'était pas financée. A l'occasion du collectif budgétaire de l'été, vous avez bien voulu nous donner les moyens de mettre en place cette disposition, dont l'utilité ne fait pas débat. Je tiens à vous en remercier.
S'agissant de l'ICHN, évoquée notamment par M. Signé, je veux progressivement dans les cinq années à venir augmenter les vingt-cinq premiers hectares. En effet, telle qu'elle est calculée aujourd'hui, elle entraîne en quelque sorte une course à l'agrandissement ; or, ce n'est pas l'objectif que nous retenons pour l'extensification. L'ICHN a en effet été réformée au mois de juillet 2000. A l'époque, une négociation directe a eu lieu entre le ministère de l'agriculture et Bruxelles, sans concertation avec les organisations agricoles. On est passé de l'unité de gros bétail à la surface. Cela pose un certain nombre de problèmes en provoquant, notamment, une course à l'agrandissement. Ce sont ces effets pervers que nous voudrions éviter.
J'ai par ailleurs engagé une réflexion, dans le cadre du groupe montagne constitué en 1998 à la suite des manifestations d'Aiton, sur la question des bâtiments d'élevage, sujet très important dans nos zones de moyenne et de haute montagne. J'espère que nous pourrons prendre, dans les semaines qui viennent, les dispositions nécessaires, lorsque les conclusions de cette étude m'auront été rendues. Ces dispositions ne seront d'ailleurs vraisemblablement pas législatives.
Enfin, dès cette année, nous avons revalorisé la prime herbagère agri-environnementale de 70 % en moyenne par rapport à l'ancienne prime au maintien des systèmes d'élevage extensifs. Cette mesure bénéficiera essentiellement aux zones de montagne, où l'herbe est bien souvent la base de la production agricole.
Un certain nombre de questions m'ont été posées sur ces différents sujets, et je voudrais brièvement y répondre.
Jean-Paul Amoudry a évoqué les quotas laitiers. Sur ce point, notre position est claire : le système des quotas laitiers doit être maintenu et il n'est pas question d'anticiper les baisses de prix comme nous le propose la Commission européenne. La réforme du lait n'est pas prévue dans le cadre de la revue à mi-parcours de la politique agricole commune. Il n'y a aucune raison d'accélérer le mouvement, et encore moins dans le contexte actuel de la filière laitière.
Le décret montagne de 2000 fait suite à la décision de la Cour de justice des Communautés européennes, et le texte en vigueur a été validé par la Commission européenne. Ce décret, qui indique seulement une origine géographique, sera appliqué strictement, avec la sévérité requise, pour qu'il n'y ait pas, si j'ose dire, de détournement d'appellation, comme cela se produit aujourd'hui. Les réglements techniques - j'en prends l'assurance ici - seront publiés dans les prochaines semaines pour les produits laitiers, la viande de porc et la viande bovine.
MM. Amoudry, Jarlier, Signé et Boyer ont évoqué notamment la question du PMPOA 2. Nous sommes confrontés à un véritable problème qu'il nous faut régler. Comme vous le savez, le PMPOA 1 était une mesure nationale et sa mise en oeuvre ne se passait pas si mal. Le PMPOA 2 a été négocié de telle façon qu'il est aujourd'hui en grande partie inapplicable. Dans les zones vulnérables - Mme Bachelot-Narquin et moi-même l'avons constaté au cours d'un déplacement en Bretagne, le 18 juillet dernier -, le système bloque parce qu'il est trop administratif et technocratique. Dans les zones qui ne sont pas vulnérables, on ne sait pas faire face. En effet, ce qui a été négocié à Bruxelles aboutit à mettre 80 % des crédits en zones vulnérables. Et ce ne sont pas les 20 % restants qui permettent de faire ce qu'il faut pour les mises aux normes, compte tenu notamment des incertitudes sur la notion d'effort public et du débat que vous connaissez sur les contributions des collectivités décentralisées.
Je souhaite que nous progressions rapidement. Comme vous le savez, nous avons eu des déclarations d'intentions de la part des agriculteurs français jusqu'au 31 décembre de l'année dernière. Nous sommes en train d'en faire le bilan. Une fois que ce dernier sera fait, je souhaite trouver les solutions au niveau tant national qu'européen. Sur ce sujet, le ministère de l'écologie et du développement durable et le ministère de l'agriculture, qui copilotent ce dossier, dépendent de Bruxelles. Je souhaite ardemment que les solutions soient trouvées rapidement parce que c'est un véritable sujet de préoccupation pour nous tous.
Pierre Jarlier, René-Pierre Signé et Jean Boyer ont évoqué la question du contrat d'agriculture durable, ou CAD. Je dirai simplement que nous avons souhaité le recentrage de ce contrat sur les mesures agro-environnementales utiles, pour ce qui concerne la partie environnement, qu'il y a un aspect économique avec le plafond à 15 000 euros par contrat d'agriculture durable, mais que nous souhaitons aussi le plus de souplesse possible dans les territoires.
Donc, nous ne souhaitons pas que les CAD soient établis dans le détail par le ministère de l'agriculture, à Paris, afin que les départements et les régions disposent de la plus grande autonomie et marge de manoeuvre possible dans le cadre de ces contrats. Telles sont les instructions qui seront données aux directions départementales de l'agriculture dans les toutes prochaines semaines, lors de la publication des textes d'application.
A cet égard, j'ai bien noté les observations que vous avez faites, notamment sur un déplafonnement possible du volet économique en faveur de certaines zones de montagne, et je vous indique que ce sujet est également à l'étude. S'agissant de l'installation des jeunes, là encore, le Gouvernement aura à coeur d'être pragmatique pour trouver les meilleures solutions possibles. Un travail est d'ailleurs en cours en ce moment avec les jeunes agriculteurs sur le plan national au sujet du renouvellement des générations pour établir un plan global qui comprendra sans nul doute des dispositions spécifiques consacrées à la montagne.
Je voudrais remercier Mme Payet pour son plaidoyer imagé et vivant de l'agriculture réunionnaise et plus généralement de la montagne réunionnaise que nous sommes quelques-uns à bien connaître et à aimer.
Sachez, madame la sénatrice, que, s'agissant de l'outre-mer, je travaille avec ma collègue Brigitte Girardin, tant pour ce qui concerne spécifiquement l'agriculture que la politique de la montagne et la politique de développement rural, pour mettre en place des mesures adaptées au regard des interventions nationales, bien sûr, mais aussi des interventions spécifiques de l'Union européenne. Je ne doute pas que nous pourrons tenir compte de vos propositions et de vos remarques pour aller dans le même sens.
J'indiquerai à M. Pierre Hérisson que j'ai bien entendu ses réflexions sur les services publics, qu'il s'agisse de la téléphonie mobile ou de La Poste. S'agissant de la téléphonie mobile, les modifications législatives du code général des collectivités territoriales qui pourraient se révéler nécessaires sont actuellement à l'étude.
Telles sont les réponses que je voulais vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je conclurai par deux observations : la première, pour dire que nous sommes effectivement à un tournant. Nous avons pu lire ces derniers mois beaucoup de rapports, dont - je le dis sans flagornerie - celui du Sénat constitue une synthèse utile et indispensable pour le sujet dont nous traitons.
Désormais, est venu le temps de l'action.
Nous allons utiliser un vecteur législatif principal et peut-être quelques vecteurs législatifs secondaires à l'occasion de l'examen de lois qui seront modifiées ou discutées dans les mois qui viennent. En tout cas, le souhait du Gouvernement, soyez-en sûrs, est d'avancer sur tous ces sujets.
Certes, c'est aujourd'hui le ministre de l'agriculture et des affaires rurales qui représente le Gouvernement, mais sachez que je parle au nom de tous mes collègues, de Jean-Paul Delevoye, bien sûr, pour l'aménagement du territoire, mais aussi de tous mes autres collègues concernés, qu'ils soient en charge de l'équipement, de l'urbanisme, du tourisme, de l'environnement ou des transports, et la liste n'est évidemment pas exhausive.
Nous souhaitons vraiment engager une approche interministérielle utile et efficace. Puis, le plus rapidement possible, une fois que les arbitrages gouvernementaux auront eu lieu, je vous soumettrai les propositions que nous aurons retenues avant que ne s'engage un débat parlementaire qui, je n'en doute pas, sera intéressant et nourri.
J'en viens à ma dernière observation.
Aujourd'hui, quand on parle de la montagne, on parle évidemment de lois, de décrets, de zonages, etc. Or tous les intervenants ont montré que la montagne, c'était bien autre chose. Je pense notamment à Mme André, qui a évoqué la sensibilité particulière des femmes et des hommes de la montagne. On sait bien ce que c'est que de l'avoir quittée un jour pour aller ailleurs ! M. Pierre Hérisson, quant à lui, nous a parlé des étoiles, Jean-Claude Carle de Mao Tsé-Toung et du poignard planté dans le ciel...
Bref, la montagne, c'est bien plus que des textes de loi ou que des moyens budgétaires, par ailleurs nécessaires, c'est une certaine manière d'être, ce sont des racines qui nous supportent et nous dépassent à la fois, c'est le rythme des saisons, le rythme des gestations, c'est l'habitude de vivre avec une nature qui n'est pas toujours facile, mais qui nous émerveille toujours autant. Compte tenu de tout cela, quelles que soient les fonctions que nous occupons, nous devons, tous ensemble, nous mobiliser pour définir et engager une politique globale de la montagne renouvelée.
Tels sont les quelques éléments de réponse que je souhaitais vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous remerciant de votre importante contribution à ce grand débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.) M. le président. Monsieur le ministre, je pense me faire l'interprète de tous en vous remerciant des informations que vous venez de nous communiquer et des intentions que vous avez affirmées.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
INFRACTIONS À CARACTÈRE RACISTE
Adoption définitive d'une proposition de loi
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 90, 2002 - 2003), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. [Rapport n° 139 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. »
Cette affirmation solennelle du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 justifie que, comme dans tout Etat de droit, notre code pénal réprime avec fermeté les différentes formes d'atteintes à la vie ou à l'intégrité physique des personnes ou à la propriété d'autrui.
Il est toutefois des cas dans lesquels la souffrance ou le préjudice des victimes est démultiplié par les circonstances de l'infraction, qui présente alors un caractére raciste ou xénophobe.
Comment notre droit se doit-il de réagir dans de telles hypothèses ?
Certes, depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et sans préjudice des dispositions conventionnelles ou légales adoptées après la Seconde Guerre mondiale, notre droit réprime les crimes contre l'humanité, qui constituent la forme paroxysmique de la mise en oeuvre d'une idéologie raciste.
De même, sont réprimés de façon spécifique les actes de terrorisme, qui sont souvent inspirés par le racisme, notamment par l'antisémitisme.
Mais les infractions de droit commun, commises pour des motifs racistes, antisémites ou xénophobes, ne sont pas, sauf exception, prises en compte en tant que telles par le code pénal. Il s'agit là d'une évidente lacune de notre droit.
Aussi, le Gouvernement ne peut que se féliciter du dépôt à l'Assemblée nationale, par M. le député PierreLellouche, d'une proposition de loi tendant à insérer dans notre code pénal, pour différentes infractions portant atteinte aux personnes ou aux biens, une circonstance aggravante de racisme.
Cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 10 décembre dernier, est aujourd'hui examinée par le Sénat et va bientôt devenir droit positif.
Votre commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, M. Patrice Gélard, vous demande en effet d'adopter en termes conformes le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Je ne peux que doublement me féliciter, d'une part, de la rapidité avec laquelle cette réforme d'ampleur aura pu être examinée par le Parlement et, d'autre part, de la proposition de votre commission. Je veux, à cet égard, souligner l'excellent travail de votre rapporteur et des services de votre commission des lois, qui ont pu, dans un délai particulièrement bref, étudier de façon très complète et très pertinente les questions que soulève, de façon générale, la problématique de la lutte contre le racisme.
Comme l'indique à très juste titre le rapport de votre commission des lois, l'amélioration de notre droit en cette matière justifierait d'autres réformes, concernant notamment les discriminations, dont la preuve est souvent difficile à établir, et les diffamations et injures raciales, dont la répression est souvent entravée par la brièveté de la prescription de trois mois posée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Pour autant, il y a urgence à légiférer sur la question, car l'actualité récente nous montre, malheureusement, une augmentation indéniable des actes de racisme commis à l'égard de la communauté israélite ou de la communauté musulmane.
Je pense ainsi qu'il convient d'adopter dès maintenant ce texte, comme le propose votre commission des lois.
Les différentes améliorations envisageables peuvent en effet être reportées dans le cadre d'un autre texte, en l'espèce le projet de loi portant adaptation de la justice pénale aux évolutions de la criminalité, dont la préparation est en cours d'achèvement à la chancellerie et que j'aurai prochainement l'honneur de défendre devant le Parlement.
Ce projet comportera notamment une série de dispositions permettant d'améliorer la répression des délits d'injure ou de diffamation raciales en écartant à leur égard l'application de la prescription de trois mois prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
En effet, le racisme ne participe pas de la liberté, il constitue, au contraire, l'atteinte la plus grave et la plus intolérable qui puisse être portée à la liberté essentielle de l'homme : être une personne humaine qui, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés.
C'est donc au regard de ces valeurs essentielles que je vous demande d'adopter la présente proposition de loi, qui constituera un signal fort de la volonté affirmée de l'ensemble des autorités publiques de lutter contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous avez sans doute tous lu un article paru il y a quelques jours dans un grand quotidien du soir, qui attirait l'attention sur la grave et inquiétante montée de l'antisémitisme dans nos campus universitaires. Vous avez tous pu constater ces derniers temps la multiplication des tentatives d'incendie ou de dégradation sur des mosquées ou des synagogues ainsi que des agressions et des injures à l'encontre de ceux qui pratiquent telle ou telle religion.
La xénophobie, le racisme, l'antisémitisme, malheureusement, ne sont pas morts. Ils resurgissent en fonction, parfois, de la situation internationale qui exacerbe les passions et fait renaître les vieux démons qui ont empoisonné, si souvent, nos démocraties. Ainsi, tout signe qui réaffirmera la volonté du Parlement et celle de l'Etat de faire respecter les droits de l'homme et les valeures républicaines qui sont les nôtres sera toujours une bonne chose. Une ferme condamnation de toute résurgence de la xénophobie, du racisme ou de l'antisémitisme est non seulement bienvenue, mais encore nécessaire.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la proposition de loi déposée par nos collègues députés, MM. Lellouche et Barrot, et adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 10 décembre 2002.
Je me félicite d'ailleurs de ce que cette proposition de loi vienne si rapidement en discussion devant notre assemblée. La conférence des présidents a en effet décidé de l'inscrire aujourd'hui à l'ordre du jour réservé et elle n'est arrivée sur le bureau de la commission des lois que mercredi dernier.
Cette loi, bien sûr, ne réglera pas tous les problèmes, loin s'en faut, que posent le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme.
Le dispositif en est un peu disparate. Nous devrons sans doute remettre l'ouvrage sur le métier, afin de disposer de tout l'arsenal nécessaire pour faire face à ces fléaux.
Par ailleurs, je rappelle que nous devrons intégrer prochainement dans notre système juridique deux directives européennes traitant de la discrimination.
En outre, nous devrons sans doute un jour nous atteler à une tâche qu'avait commencée votre prédécesseur, M. Jacques Toubon, à savoir toiletter la loi de 1881 sur la liberté de la presse et en inscrire certaines des dispositions dans le code pénal ; je pense notamment à celles qui sont relatives aux injures. Chacun sait qu'en la matière le montant de l'amende fixé est quasiment ridicule et que le délai de prescription de trois mois est beaucoup trop court. C'est ce qui explique que très peu d'affaires viennent en jugement.
Bien évidemment, certaines infractions telles que le génocide, la discrimination raciale ou encore la profanation de sépultures sont inscrites dans notre code pénal. Je n'en parlerai pas ; vous pourrez vous reporter à mon rapport écrit, mes chers collègues.
En tout cas, nous ne devrons pas nous arrêter au vote de cette proposition de loi, même si elle constitue une avancée certaine. Pour que nous disposions d'un arsenal plus complet, plus cohérent que celui dont nous disposons actuellement, il faudra aller plus loin.
La présente proposition de loi ne transforme pas notre code pénal. Elle vise simplement à donner la possibilité aux jurys des cours d'assises - puisque ce sont essentiellement les crimes qui sont visés ou certains délits d'une extrême gravité - d'aggraver les peines, en considérant que la xénophobie, le racisme, l'antisémitisme constituent des circonstances aggravantes aux crimes et délits les plus graves, c'est-à-dire ceux qui portent directement atteinte à la personne et ceux qui portent atteinte gravement aux biens.
Certes, d'autres dispositions auraient pu figurer dans ce texte. Il aurait sans doute été bon d'en étendre l'application à nos trois territoires d'outre-mer que sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, territoires à statut dérogatoire par rapport à notre droit commun.
Il faudra le prévoir prochainement dans un futur texte.
Notons que, si la réforme constitutionnelle avait été adoptée, nous aurions pu, par voie d'ordonnance, étendre le champ de cette proposition de loi, mais, dans l'état actuel des choses, nous serons obligés d'attendre un autre texte.
Par ailleurs, nous ne sommes pas munis d'outils juridiques suffisants pour lutter contre la discrimination. Nous devrons donc veiller, à l'occasion de la discussion de prochaines lois, à compléter notre arsenal actuel en intégrant des moyens nouveaux dans notre dispositif pénal.
Monsieur le garde des sceaux, nous n'avons pas voulu, dans le présent texte, bien que des arguments assez pertinents aient été avancés en ce sens, modifier le code de procédure pénale, car il nous faudra un jour nous atteler à une modernisation complète de ce code.
Nous procédons de temps en temps à des modernisations partielles. Mais ce n'est pas à l'occasion du renforcement des circonstances aggravantes pour huit infractions pénales que nous pouvions nous livrer à une réforme en profondeur, réforme qui, infraction après infraction, nous aurait emmenés beaucoup trop loin.
Nous n'avons pas non plus intégré dans le texte la proposition faite à l'Assemblée nationale d'assimiler l'homophobie à la xénophobie ou au racisme, puisque les députés ont, hier, intégré l'incrimination d'homophobie dans un dispositif complet.
Je souhaite très vivement que, dans la suite des débats, le Sénat se rallie aux propositions de l'Assemblée nationale sur ce point.
Nous devrons donc envisager, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, d'autres réformes, d'autres évolutions.
Permettez-moi de faire état maintenant d'un souhait émis en commission des lois. Nous aimerions qu'à l'instar du débat de quatre heures qui vient de se dérouler cet après-midi ait lieu, à partir d'une question orale, un débat sur l'antisémitisme, la xénophobie et le racisme.
Au demeurant, monsieur le ministre, malgré les imperfections que j'ai notées, ce texte constitue un signe fort que nous adressons à tous ceux qui sont à nouveau tentés par les « vieux démons » allant à l'encontre des valeurs républicaines et du respect des droits de l'homme. Nous devons tout faire pour que, dans notre pays, les plantes vénéneuses de la xénophobie, du racisme et de l'antisémitisme soient extirpées et que, à chaque fois qu'elles repoussent, nous manifestions tous ensemble notre total désaccord et notre profonde hostilité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui traduit la volonté, largement partagée, de lutter contre les violences racistes. Elle a pour objet d'aggraver les peines encourues par les auteurs d'atteintes à l'intégrité physique et aux biens lorsque ces actes ont un caractère raciste. C'est bien, mais je souhaite dire ici notre regret de voir les dispositions existantes si peu mises en application et les manquements si peu souvent sanctionnés.
La presse nous informe régulièrement de faits intolérables : en octobre dernier, c'est un jeune Français d'origine marocaine qui est assassiné dans le département du Nord ; en novembre, ce sont trois élèves qui sont agressés dans le XIIIe arrondissement de Paris ; ce sont aussi des synagogues et des mosquées incendiées ou dégradées.
L'aggravation des phénomènes racistes et xénophobes ainsi que le poids des idéologies d'extrême droite prennent en France une place inacceptable !
Dès la Révolution française, mais surtout après la Seconde Guerre mondiale, différents textes nationaux et internationaux, de portée essentiellement morale, ont posé le principe de l'égalité de tous les hommes dans l'accès aux droits. Le législateur français s'est efforcé de le traduire à la fois dans des textes de portée générale et dans des textes pénaux qui santionnent les manquements à ce principe fondamental, et donc tel ou tel type de discrimination.
Le nouveau code pénal a apporté, en matière de discrimination, un ordre formel. L'article 225-1 du code pénal donne une définition de la discrimination et l'article 225-2 punit la discrimination, ainsi définie, commise à l'égard d'une personne physique ou morale lorsqu'elle consiste à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service, à entraver l'exercice normal d'une activité économique, à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne. Lorsque ces infractions sont commises par une personne détentrice de l'autorité publique, ces peines sont aggravées.
Le code du travail comprend également des dispositions spécifiques destinées à sanctionner les comportements discriminatoires lors d'un recrutement, dans le cadre du pouvoir disciplinaire de l'employeur ou encore dans le cadre du règlement intérieur de l'entreprise ou d'une convention collective.
Toutefois, notre législation, si elle permet de réprimer les comportements racistes par nature, ne prend nullement en compte l'éventuel mobile raciste de l'auteur d'une atteinte contre les personnes ou les biens, sauf dans les cas de violation de sépulture. Actuellement, ces infractions à caractère raciste sont poursuivies comme des infractions ordinaires.
Le législateur a déjà commencé à procéder à différentes modifications, notamment dans le domaine du travail. Ainsi, en matière d'emploi, la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations a marqué une avancée significative dans la lutte contre le racisme et la xénophobie.
Parallèlement, de nombreuses structures ont été installées. Par exemple, dans chaque département, la CODAC, la commission départementale d'accès à la citoyenneté, est chargée d'assurer l'écoute, l'orientation et l'accompagnement des victimes de discrimination. Ces structures doivent absolument être renforcées et voir leurs moyens accrus.
La décision-cadre présentée le 28 novembre 2001 par la Commission européenne, concernant la lutte contre le racisme et la xénophobie, s'inscrit dans le droit-fil de la convention des Nations unies du 21 décembre 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, et la convention européenne des droits de l'homme est venue renforcer la nécessité de modifier notre législation.
En effet, par cette convention, il est demandé aux Etats membres de « faire en sorte que la motivation raciste et xénophobe puisse être considérée comme une circonstance aggravante dans la détermination de la sanction ».
Par ailleurs, commentant cet article, la Commission estime que « la lutte contre le racisme et la xénophobie est renforcée par la prise en considération de la motivation raciste ou xénophobe en tant que circonstance aggravante lors du prononcé de la sanction punissant une infraction ordinaire », ajoutant que « cette disposition peut exercer un effet dissuasif sur ceux qui envisageraient de commettre des infractions motivées par le racisme et la xénophobie ». Parmi les infractions dont la peine pourrait être aggravée lorsqu'elles présentent un caractère raciste, la Commission cite le meurtre et les atteintes à l'intégrité corporelle.
L'auteur de la proposition de loi, suivant ces recommandations et s'alignant sur les règles déjà adoptées en la matière dans de nombreux pays, fait du motif raciste de certains crimes et délits une circonstance aggravante conduisant à un alourdissement substantiel des peines encourues. Ce dispositif aura vocation à s'appliquer à l'ensemble des actes à caractère raciste, ce qui donne satisfaction au groupe socialiste.
Toutefois, ce dernier estime regrettable de ne pas étendre ce dispositif aux infractions à caractère homopobe. En effet, l'agression homophobe est une manifestation de racisme et d'intolérance qu'il est nécessaire de réprimer. L'Assemblée nationale, qui examine en ce moment le projet de loi pour la sécurité intérieure, a adopté, semble-t-il, hier, un amendement de Pierre Lellouche, repris par nos collègues socialistes, tendant à réprimer les crimes et délits commis par homophobie. Malheureusement, le compte rendu analytique de l'Assemblée nationale ne permet pas de connaître avec précision le dispositif qui a été voté. Il reste que, sur le fond, il répond à notre préoccupation. Je souhaite qu'il soit définitivement adopté par le Parlement. Si ce n'était pas le cas, nous déposerions prochainement une proposition de loi tendant à ajouter la référence aux moeurs à la liste des mobiles constituant une circonstance aggravante de l'infraction, comme c'est déjà le cas à l'article 225-1 du code pénal, qui définit la discrimination.
Par ailleurs, il nous paraît également souhaitable de compléter le dispositif actuel, amélioré par la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, par une modification de la loi sur la presse.
En effet, si le code pénal donne une définition très large des discriminations, la répression des discriminations commises par voie de presse prévue par la loi du 29 juillet 1881 reste à ce jour incomplète. Ainsi, les articles 24, 32, 33 et 48 ne visent que les discriminations commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à un ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Il résulte de cette énumération qu'une partie des discriminations prohibées par l'article 225-1 du code pénal sont exclues du champ d'application de la loi sur la liberté de la presse, la répression s'en trouvant donc affaiblie.
Nous déposerons également de nouveau la proposition de loi de notre regrettée collègue Dinah Derycke et de notre collègue Robert Badinter, en espérant qu'elle sera examinée rapidement par notre assemblée.
Sous le bénéfice de ces observations, j'indique que le groupe socialiste votera cette proposition de loi, qui complète utilement notre législation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il serait difficile de fermer les yeux sur le problème du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme qui existe dans notre pays, a fortiori depuis le 21 avril 2002.
Cette proposition de loi prévoit que les motivations racistes de l'auteur de certains crimes et délits, tels que le meurtre, les actes de torture, les violences, les destructions et dégradations dangereuses ou non contre les personnes, constituent une circonstance aggravante justifiant des peines plus sévères. Ce texte s'inscrit dans un contexte où les atteintes volontaires aux personnes ou aux biens perpétrées à raison de l'appartenance ethnique ou religieuse des victimes sont malheureusement de plus en plus fréquentes. Il répond ainsi à la nécessité de réprimer spécifiquement des actes dont personne ne niera le caractère intolérable mais qui ne faisaient pas, pour autant, jusqu'à présent, encourir à leurs auteurs une sanction spécifique.
Toutefois, le texte, dans sa rédaction initiale, comportait des dispositions contestables ; aussi, nous nous félicitons que l'Assemblée nationale ait retenu des éléments objectifs permettant de caractériser le mobile raciste à la base de l'infraction.
En effet, le texte initial prévoyait une circonstance aggravante « lorsque l'infraction a été commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Une telle formulation autorisait toutes les dérives et rendait le travail de qualification de l'infraction du juge quasiment impossible. Celui-ci n'aurait pu que s'appuyer sur l'appartenance de la victime à une ethnie ou à une religion.
Cette qualification permettait de retenir systématiquement la circonstance aggravante dès lors que la victime n'appartenait pas à la même ethnie ou communauté religieuse que celle de l'auteur de l'infraction. En d'autres termes, cette disposition était inapplicable.
Mais l'Assemblée nationale a heureusement paré à cette imperfection. Demeure néanmoins dans ce texte ce qui m'apparaît également comme une imperfection dans la mesure où continue d'y figurer le terme de « race » dans la qualification de la circonstance aggravante. Nos amendements tendent d'ailleurs à supprimer cette référence, et je présenterai nos arguments lors de l'examen des articles ; mais je me fais peu d'illusion sur le sort qui leur sera réservé.
Quoi qu'il en soit, il me semble qu'il est temps d'entreprendre une réflexion sur ce sujet et que la suppression de ce terme dans cette proposition de loi pourrait en constituer le point de départ. C'est la raison pour laquelle je souscris à la proposition de M. le rapporteur.
Toujours est-il que ce texte vient s'ajouter à un arsenal législatif à l'efficacité limitée.
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a institué, notamment, une sanction des propos et écrits à caractère raciste. La loi du 1er juillet 1972 a renforcé les dispositions de la loi de 1881 en créant l'incrimination de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale et en punissant sévèrement la diffamation et l'injure raciale. Le racisme était ainsi non plus une opinion, mais un délit. Enfin, la loi Gayssot de 1990 a créé une infraction spécifique de contestation de l'existence d'un ou plusieurs crime contre l'humanité : concrètement il s'agissait d'interdire et de sanctionner l'expression publique des discours négationnistes.
Toutefois, en matière de sanction des infractions à caractère raciste, il existe un vide juridique qu'il est nécessaire de combler.
Force est cependant de constater que ce texte se situe dans une période d'inflation législative, monsieur le garde des sceaux. Or, nous ne le répéterons jamais assez, il serait souhaitable de commencer par appliquer la législation qui existe déjà en matière de racisme et d'antisémitisme.
Je pense que les victimes d'actes et de propos racistes, antisémites ou xénophobes aimeraient déjà voir leurs droits reconnus et leurs plaintes ne pas rester sans suite. Il est vrai que la preuve est souvent difficile à rapporter pour les victimes, car ces propos sont parfois insidieux, ce qui rend difficile la réparation du préjudice subi. Mais il ne semble pas supportable que les victimes voient leurs souffrances niées.
C'est pourquoi il serait sans doute bon de réfléchir, en marge de ce texte, à la possibilité d'aménager la charge de la preuve, comme on l'a fait en matière de discriminations raciales à l'embauche. Cet aménagement permettrait au juge, sur la base d'un faisceau d'éléments apportés par la victime et tendant à établir la réalité de l'accusation, d'inviter l'employeur à prouver qu'il ne s'est pas rendu coupable de pratiques discriminatoires. On pourrait imaginer un tel aménagement en matière d'actes et de propos racistes, antisémites ou xénophobes. Cela pourrait faire reculer fortement le sentiment de fatalité qu'éprouvent les victimes, sans pour autant remettre en question le principe fondamental de la présomption d'innocence.
Néanmoins, il n'est pas certain que ce texte et les divers aménagements susceptibles d'être apportés à la législation déjà existante en matière de discriminations soient suffisants pour lutter contre le racisme.
La loi ne peut répondre systématiquement aux effets de l'ignorance et de l'intolérance. Le combat antiraciste ne doit pas se limiter à la sphère législative : il faut l'étendre à la dimension institutionnelle, économique, sociale et politique, impliquant l'intervention populaire.
De nombreux outils sont d'ailleurs mis en place : la création des CODAC dans chaque préfecture ou du GELD, le groupe d'études et de lutte contre les discriminations, mais aussi le 114, numéro d'appel gratuit pour les victimes de discriminations racistes, sont autant d'initiatives intéressantes qu'il convient de prolonger ; ces structures doivent être renforcées et voir leurs moyens accrus.
Mais la lutte contre le racisme doit aussi et d'abord passer par l'école. La prévention est notre préoccupation première. Punir de 75 000 euros d'amende et de cinq ans d'emprisonnement un jeune parce qu'il a tracé sur un mur un slogan, une phrase ou un dessin raciste ne semble pas être l'unique solution pour lui faire comprendre la gravité de son geste.
Inculquer aux enfants un esprit de tolérance, leur faire comprendre que le respect de soi implique le respect de l'autre, que la notion de race n'a aucun sens ni aucun fondement, biologique ou autre, voilà par quoi il faudrait commencer !
Je disais, au début de mon intervention, que cette proposition de loi se situait dans un contexte d'augmentation des infractions à caractère raciste, mais elle survient également dans un contexte de stigmatisation de l'autre.
En effet, nous voyons se déployer, depuis l'installation du gouvernement de M. Raffarin, une politique consistant à montrer du doigt de tous ceux qui ne sont pas « comme les autres », notamment ceux qui, par leur mode de vie, « dérangent ».
Ainsi, nous avons vu le ministre de l'intérieur s'attaquer, dans son projet de loi pour la sécurité intérieure, aux pauvres, aux prostituées, aux gens du voyage, ainsi qu'aux jeunes squattant les halls d'immeuble, et qui sont de préférence d'origine étrangère.
La priorité affichée est donnée à la répression au détriment de l'éducation, de la recherche et de la culture : mise en cause des droits de l'homme - qui régulièrement, de surcroît, sont tournés en dérision, au travers d'une terminologie empruntée à l'extrême droite - criminalisation des luttes sociales, appel à une prétendue volonté ou sagesse populaire pour justifier les atteintes aux libertés individuelles et la remise en cause des acquis sociaux. Le Gouvernement oppose les populations entre elles, la France d'en haut à celle d'en bas.
Comment peut-on instaurer un climat de tolérance et de respect de l'autre quand une déferlante de propositions répressives et ségrégationnistes s'abat, par exemple, sur les gens du voyage ? Ces propositions sont d'autant plus mal venues que les gens du voyage sont, en grande majorité, de nationalité française.
C'est la stigmatisation de l'autre, de l'étranger, du marginal, qui constitue une des sources du racisme et de l'intolérance, et ce n'est pas en favorisant les exclusions qu'on les fera régresser dans notre pays !
Aussi, nous ne souhaitons pas, monsieur le ministre, que ce texte se transforme en un texte de circonstance, qui aggrave encore des sanctions, alors que, comme je l'ai rappelé, des textes existants ne sont pas appliqués. S'ils l'étaient, nous pourrions enfin sanctionner ceux qui tiennent des propos racistes et entretiennent des discriminations.
Nous voulons d'ailleurs, en outre, que soient enfin prises en compte les infractions motivées par une intention homophobe, qui sont aussi dictées par l'intolérance et l'ignorance. Des dispositions visant à considérer comme une circonstance aggravante le fait d'agresser une personne du seul fait de son orientation ou de son identité sexuelle auraient toute leur place dans cette proposition de loi, car les actes homophobes s'inscrivent dans la même logique d'intolérance et de haine que les actes racistes, antisémites et xénophobes.
A ce sujet, j'ai bien entendu M. le rapporteur et j'aurai l'occasion, en présentant nos amendements, de me féliciter du vote intervenu hier soir à l'Assemblée nationale lors du débat sur le projet de loi pour la sécurité intérieure.
De même, il semble légitime de renforcer notre législation concernant la sanction de la contestation des génocides, non seulement du génocide juif perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi des génocides arménien, rwandais ou cambodgien. Mais j'y reviendrai plus longuement lors de la défense de l'amendement que nous avons déposé en ce sens.
Ce texte n'est certainement pas parfait, comme toutes les lois qui s'ajoutent les unes aux autres. Se pose ici, une fois encore, le problème de son application. Mais cette proposition de loi a une fonction symboique essentielle et évidente : elle trace les limites qu'il n'est pas acceptable de franchir. C'est pour cette raison que nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je souhaite tout d'abord remercier M. le rapporteur des observations tout à fait pertinentes qu'il a formulées. Je remercie également Mme André de ses remarques très intéressantes.
Je tiens à rassurer le Sénat quant à l'extension du dispositif de ce texte aux territoires d'outre-mer. Nous y procéderons dès qu'un véhicule législatif le permettra.
Par ailleurs, nous réfléchissons actuellement à la prescription des délits d'injure ou de diffamation raciale. Le texte sur les nouvelles formes de criminalité permettra de modifier, de manière marginale, certes, mais importante quant au fond, la loi de 1881.
Je voudrais dire également à Mme André que nous mesurons toute l'importance d'un travail de prévention. De nombreux parquets participent à ce travail en direction des milieux de l'éducation.
Enfin, monsieur Bret, je regrette que, à l'occasion de ce débat portant sur un sujet particulièrement grave, vous ayez caricaturé d'une manière inadmissible l'action du Gouvernement et mélangé les genres en situant vos propos au niveau de la polémique alors que nous devrions au contraire manifester ici l'unité républicaine face au racisme et à l'antisémitisme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon, Beaudeau et Luc, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 213-5 du code pénal, un article 213-6 ainsi rédigé :
« Art. 213-6. - La remise en cause de l'existence de crimes avérés et visés par le présent titre et commis à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Comme le relève Pierre Lellouche dans son rapport présenté à l'Assemblée nationale, « le dispositif répressif français est principalement axé sur la lutte contre les discriminations et les délits commis par voie de presse et ne comporte pas de disposition spécifique destinée à sanctionner plus sévèrement les infractions à caractère raciste ».
Cette proposition de loi tend à y remédier en privilégiant l'aggravation des sanctions, sans s'attacher au racisme en tant que tel.
Or le racisme n'est pas qu'une circonstance aggravante des infractions : il est une infraction en soi.
Si l'on aborde le débat sous cet éclairage, il apparaît nettement que les actes racistes ne sont pas totalement couverts par notre législation.
Il en est notamment ainsi de la remise en cause des génocides qui, au-delà du droit de la presse, constitue un acte raciste.
Le cas du génocide des Arméniens l'illustre parfaitement. Non contente de nier la réalité de ce génocide, jusque devant la porte européenne, la Turquie justifie sa position en précisant qu'en tout état de cause il ne peut y avoir de génocide à l'encontre d'un peuple qui n'existe pas, effaçant ainsi le crime et son objet, pour atteindre pleinement l'objectif génocidaire : ce peuple ne doit plus exister... ce peuple n'existe pas... ce peuple n'a jamais existé.
Le révisionnisme participe ainsi de l'achèvement du crime pour en constituer la seconde phase : effacer tel groupe ethnique de l'histoire de l'humanité.
Actuellement, seule la négation des crimes qui ont été soumis à la juridiction du tribunal de Nuremberg constitue un délit, de sorte que les victimes rescapées de crimes contre l'humanité se trouvent inégalement protégées, alors que la souffrance causée par la négation est identique, alors que l'acte raciste de négationnisme ou de révisionnisme est de même nature.
Ainsi, la négation du génocide des peuples arménien, rwandais, yougoslave ou cambodgien ne tombe pas sous le coup de la loi pénale.
Cette situation n'est pas compatible avec les principes de notre pays, qui veulent notamment que la loi soit la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
L'amendement proposé vise donc à rétablir cette légitime égalité des victimes rescapées et l'égale incrimination des actes racistes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Le problème évoqué par le biais de l'amendement n° 2, déposé par notre collègue M. Bret et les membres de son groupe, est réel et nous devons le prendre en considération.
Toutefois, cet amendement se situe dans un domaine qui est voisin de celui de la proposition de loi, sans être tout à fait de même nature ni dans le même registre, et pose plusieurs questions.
Il vise non pas les crimes contre l'humanité, mais les crimes racistes « avérés », expression qui est peu juridique et qui demeure beaucoup trop générale.
Par ailleurs, ne risque-t-il pas de banaliser la loi Gayssot ? S'accorde-t-il avec la liberté d'expression ? Autant de questions auxquelles je ne suis pas en mesure de répondre.
Enfin, il vise à insérer un article additionnel dans le code pénal alors que la disposition adoptée sur l'initiative de M. Jean-Claude Gayssot est insérée dans la loi sur la liberté de la presse, ce qui pose un problème de cohérence qu'il faudra un jour traiter - nous en avons parlé tout à l'heure et l'un et l'autre.
Par conséquent, je crois que cet amendement est quelque peu prématuré. Monsieur Bret, je vous demande donc de le retirer ; sinon, je serai dans l'obligation d'émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je partage l'analyse de M. Patrice Gélard.
Je voudrais insister sur un argument important en termes de droit. Les éléments constitutifs du délit proposé diffèrent sur un point essentiel par rapport au délit de révisionnisme visé par l'article 24 bis de la loi sur la liberté de la presse. En effet, il n'est pas exigé, dans cet amendement, que le crime contre l'humanité, dont l'existence est niée, ait fait l'objet d'une décision de condamnation rendue par une juridication française ou internationale. Or il s'agit là - j'y insiste - d'une condition essentielle garantissant la conformité de l'incrimination aux exigences, assez naturelles, posées par la Convention européenne des droits de l'homme.
Pour cette seule raison, cet amendement me paraît dangereux. C'est pourquoi le Gouvernement y est défavorable.
M. le président. Monsieur Bret, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Robert Bret. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. « Art. 1er. - Il est inséré, après l'article 132-75 du code pénal, un article 132-76 ainsi rédigé :
« Art. 132-76. - Les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
« La circonstance aggravante définie au premier alinéa est constituée lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
L'amendement n° 3, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« I. - Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-76 du code pénal, supprimer les mots : ", une race".
« II. - Dans le second alinéa du même texte, supprimer les mots : ", une race". »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Chacun s'accorde à reconnaître que le concept de race, validé au siècle dernier, ne repose sur aucune réalité scientifique, en particulier biologique. Il n'a donc plus aucune légitimité.
Son interprétation a permis la haine et les pires atrocités, le fascisme, qu'il soit nazi, mussolinien ou franquiste, ayant consacré la notion de « races inférieures », « races » qu'il fallait par conséquent éliminer.
L'utilisation de ce concept fait encore aujourd'hui courir de grands dangers en alimentant le rejet de l'autre et de la différence. Elle va à l'encontre du texte que nous examinons aujourd'hui.
Il est de la responsabilité du législateur de prendre en compte les réalités des recherches scientifiques, de contribuer à lutter contre l'ignorance et de faire avancer les consciences. Chacun sait que le regard que l'on porte sur l'autre dépend pour beaucoup de la connaissance que nous en avons. Une grande détermination politique et pédagogique est nécessaire pour parvenir à modifier ce regard. Aussi, puisque le texte qui nous est proposé vise à renforcer le combat antiraciste, sans caricature, il serait positif, à cette occasion, d'en finir, dans notre droit, avec ce qui n'est qu'une construction intellectuelle dangereuse.
Nous n'ignorons pas qu'une telle décision ne réglera pas le problème, mais elle marquerait une ambition profonde du législateur. De plus, en consacrant dans la loi l'illégitimité du concept de race, elle contribuerait à faire évoluer les mentalités.
J'ai bien entendu les réponses faites par M. le ministre aux députés, ou encore celles du rapporteur du Sénat, à savoir qu'une telle suppression est matériellement extrêmement compliquée, les textes incluant le terme de « race » étant très nombreux et figurant parmi les textes les plus fondamentaux. Ce serait donc l'ensemble de nos textes juridiques qu'il faudrait revoir. Mais je pense qu'il nous faut surmonter cette difficulté. Je fais confiance à la compétence de nos collègues juristes, comme M. Gélard, pour nous y aider.
Il est extrêmement important qu'en ce domaine le législateur ouvre la voie.
J'ajoute que nous avons déposé ce même amendement destiné à supprimer le mot « race » sur tous les articles concernés ; aussi les éléments que je viens de donner, monsieur le président, valent-ils pour l'ensemble de nos amendements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. M. Bret soulève, dans cet amendement, une vraie question. Depuis une cinquantaine d'années, les progrès scientifiques ont en effet permis de démontrer qu'il existe non pas des races, mais une seule race, la race humaine, et que nous sommes tous pareils, même si nous sommes différents d'apparence, puisqu'il y a des grands, des petits, des plus colorés que d'autres.
Le problème est que certains ne le croient pas. En faisant disparaître de notre droit le mot « race » et, par la même occasion, la notion de racisme, je crains que nous n'atteignions pas le but recherché.
De plus, ce terme figure dans tous nos textes fondamentaux, qu'il s'agisse de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du préambule de la Constitution de 1946, de la Constitution elle-même, sans oublier les textes internationaux, tels que la Convention européenne des droits de l'homme ou la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Les constitutions récentes, en particulier celles des pays qui demandent à adhérer à l'Union européenne, font toutes état de cette notion de race, non pas pour en reconnaître l'existence, mais pour stigmatiser les comportements racistes.
En conséquence, la suppression dans tous les textes du mot « race », qui, c'est vrai, n'a pas de fondement scientifique, risquerait d'aller à l'encontre de l'objectif que vous vous êtes fixé. C'est la raison pour laquelle, monsieur Bret, en attendant une réflexion ultérieure plus approfondie, qui pourrait d'ailleurs être menée dans un cadre européen et non plus simplement national, je vous demande de retirer cet amendement, ainsi que les amendements n°s 5, 7, 9, 11, 13, 15, 17 et 19 qui sont de même nature ; sinon, je serai malheureusement obligé d'émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement a le même avis que la commission.
M. le président. Monsieur Bret, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Robert Bret. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« I. - Compléter le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-76 du code pénal par les mots : ", ou à raison de l'identité sexuelle ou de l'orientation sexuelle, vraies ou supposées de la victime".
« II. - Compléter le second alinéa du même texte par les mots : ", ou à raison de l'identité sexuelle ou de l'orientation sexuelle, vraies ou supposées de la victime". »
La parole est M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Je ne peux que me féliciter que l'Assemblée nationale ait voté, hier soir, dans le cadre du débat sur le projet de loi pour la sécurité intérieure, un amendement condamnant les propos et les actes visant des personnes en raison de leur orientation sexuelle, même si nous pensons qu'il eût été préférable qu'une telle disposition soit adoptée dans le texte de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Nous savons tous que, malgré l'institution du pacte civil de solidarité et la reconnaissance sociale qu'il constitue pour leur couple, les homosexuels demeurent exposés à des discriminations, des violences ou des discours de haine. Les manifestations d'intolérance à l'égard tant des homosexuels que des transsexuels sont nombreuses. L'agression du maire de Paris est, à ce titre, emblématique.
Jusqu'à hier, la loi ne les protégeait pas. Si la République n'a pas le droit de s'immiscer dans la vie privée de ses citoyens, et encore moins de les juger, elle a la responsabilité d'accorder à tous sa protection, de permettre à chacun de bénéficier de nouveaux droits et libertés. Il est donc positif qu'elle considère aujourd'hui l'homophobie comme contraire à l'ordre public.
Nous allons ainsi dans le sens de nombreux textes rédigés dans le cadre des institutions européennes.
Par exemple, le 8 février 1994, une résolution du Parlement européen sur « l'égalité de droits homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne » invitait à mettre un terme, entre autres, « à toute discrimination au niveau du droit pénal, civil, du droit contractuel général et du droit économique ».
De même, dans une recommandation du 30 octobre 1997 sur le « discours de haine », le Conseil de l'Europe invitait les Etats membres à entreprendre des actions appropriées visant à combattre ce type de discours qui « mine la sécurité démocratique, la cohésion culturelle et le pluralisme ».
Une résolution du Parlement européen du 17 septembre 1998 demandait aux Etats de l'Union européenne de respecter les droits humains des homosexuels.
Enfin, l'article 13 du traité de Rome, modifié par le traité d'Amsterdam, dispose que le Conseil de l'Union européenne peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.
Le combat contre toute forme de discrimination, pour l'égalité des droits, pour l'acceptation des différences doit être mené avec une grande détermination. Nous, parlementaires, avons la responsabilité d'y contribuer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'attire tout de même votre attention sur un problème : l'Assemblée nationale a inséré dans le code pénal un article 132-76 qui prévoit une circonstance aggravante constituée pour l'intention homophobe de l'auteur de l'infraction. L'article 1er du texte que nous examinons ce soir tend également à insérer dans le code pénal un article 132-76 dans lequel n'est pas mentionnée une intention de cette nature, sauf à adopter notre amendement !
Cela montre que le travail dans l'urgence comme la volonté d'adopter à tout prix un texte conforme ne sont pas les meilleures conditions pour travailler. Si vous persistez, il sera en effet nécessaire d'insérer une nouvelle numérotation pour surmonter cette contradiction !
Cela étant, dans les circonstances présentes, nous sommes prêts à retirer cet amendement n° 4, de même que les amendements n°s 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20, qui sont rédigés en termes identiques mais qui s'appliquent à d'autres articles de cette proposition de loi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Les amendements n°s 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20, déposés par M. Bret et les membres de son groupe, posent effectivement un problème qui a été évoqué lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, et plusieurs des amendements qui avaient été déposés sur le même thème ont été retirés, précisément pour garder au texte son caractère. Certes, la lutte contre l'homophobie est une préoccupation importante, mais je rappelle que l'Assemblée nationale, on l'a dit, vient d'adopter sur cette question une disposition dans le cadre du projet de loi pour la sécurité intérieure.
Ce texte sera examiné le 4 février prochain en commission mixte paritaire. Le problème de numérotation soulevé par M. Bret sera réglé à cette occasion et ne se posera donc plus.
Mais un autre problème est plus gênant : si nous adoptions une autre disposition que celle qui est en cours d'examen devant l'Assemblée nationale et qui sera étudiée par la commission mixte paritaire - dont vous faites, je crois, partie, monsieur Bret - nous retarderions l'entrée en vigueur du présent texte.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Bret, je vous demande une nouvelle fois de retirer l'ensemble des amendements portant sur l'homophobie. Il s'agit non pas de renoncer à résoudre ce problème, mais de rester dans la ligne de l'Assemblée nationale et d'avoir une attitude cohérente. A défaut, je serais obligé d'émettre, sur cet amendement, un avis défavorable. J'ajoute que ma réponse est valable pour l'ensemble des amendements de même nature.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l'avis de la commission.
M. le président. L'amendement n° 4 est-il maintenu, monsieur Bret ?
M. Robert Bret. Je le retire, monsieur le président, et je confirme que je retire également les amendements n°s 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20.
M. le président. Les amendements n°s 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16, 18 et 20 sont retirés.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
M. le président. « Art. 2. - Avant le dernier alinéa de l'article 221-4 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 6° A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
L'amendement n° 5, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par cet article pour insérer un alinéa (6°) dans l'article 221-4 du code pénal, supprimer les mots : "une race". »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Du fait du vote intervenu à l'article 1er, cet amendement n'a plus d'objet, monsieur le président, de même que les amendements n°s 7, 9, 11, 13, 15, 17 et 19, qui sont rédigés en termes identiques mais qui s'appliquent à d'autres articles de cette proposition de loi.
M. le président. Je vous en donne acte, monsieur Bret.
Je rappelle que l'amendement n° 6 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
M. le président. « Art. 3. - Après le sixième alinéa de l'article 222-3 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 7 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 8 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages des suffrages exprimés.
Article 4
M. le président. « Art. 4. - Après le sixième alinéa de l'article 222-8 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 9 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 10 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 5
M. le président. « Art. 5. - Après le sixième alinéa de l'article 222-10 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 11 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 12 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 6
M. le président. « Art. 6. - Après le sixième alinéa de l'article 222-12 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 13 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 14 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 7
M. le président. « Art. 7. - Après le sixième alinéa de l'article 222-13 du même code, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis A raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; ».
Je rappelle que l'amendement n° 15 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 16 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 8
M. le président. « Art. 8. - L'article 322-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice de ce bien à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, les peines encourues sont également portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende. »
Je rappelle que l'amendement n° 17 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 18 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article 9
M. le président. « Art. 9. - L'article 322-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 est commise à l'encontre d'un lieu de culte, d'un établissement scolaire, éducatif ou de loisirs ou d'un véhicule transportant des enfants, les peines encourues sont également portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. » - (Adopté à l'unanimité.)
Article 10
M. le président. « Art. 10. - Après le troisième alinéa de l'article 322-8 du même code, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° Lorsqu'elle est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice du bien à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
Je rappelle que l'amendement n° 19 n'a plus d'objet et que l'amendement n° 20 a été retiré.
Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
Article additionnel après l'article 10
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Mercier, est ainsi libellé :
« Après l'article 10, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la dernière phase du premier alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, après les mots : "du code pénal" sont insérés les mots : "ou lorsque l'infraction est commise à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une race ou une religion déterminée". »
Cet amendement n'est pas soutenu.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi :
« Proposition de loi visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite, xénophobe ou homophobe. »
Monsieur Bret, puis-je considérer, par coordination, que cet amendement n'a également plus d'objet ?
M. Robert Bret. Bien entendu, monsieur le président.
M. le président. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi n'est pas modifié.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo. Je regrette que, pour adopter sans modification la proposition de loi au motif d'appliquer sans délai un texte nécessaire, on n'ait pas pris en considération les amendements que nous avons déposés et qui me paraissaient tout à fait justifiés dans une loi de ce type, à moins qu'il ne s'agisse d'une loi de circonstance.
Monsieur le garde des sceaux, je regrette aussi que vous ayez considéré inopportun pour un groupe politique le fait de dire ce que nous disons depuis la discussion des lois sur la sécurité - nous voudrions avoir tort ! -, à savoir qu'un certain nombre des mesures qui sont prises ne peuvent que favoriser les discriminations, les exclusions et les manifestations de racisme.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste approuve cette proposition de loi présentée par M. Pierre Lellouche. Certes, elle ne couvre pas entièrement le champ des attitudes et, en particulier, les injures qui constituent la majeure partie des actes racistes, mais elle tient compte de l'évolution très inquiétante des actions violentes racistes, xénophobes et antisémites.
Le présent texte aggrave les peines pour les infractions les plus violentes, les plus intolérables. Porter atteinte à une personne ou à des biens en raison de son appartenance ou, comme le prévoit très justement la proposition de loi, de la non-appartenance à une race, une ethnie ou une religion est un acte grave. C'est en tous points contraire à nos principes républicains.
L'actualité internationale est étroitement liée à la fréquence de ces infractions. Le Parlement fait preuve de réalisme en acceptant d'examiner la situation telle qu'elle est. Ne fermons pas les yeux devant la recrudescence des actes antisémites et xénophobes ! Ce serait banaliser des actes intolérables et donner raison à ceux qui commettent de telles infractions.
Il s'agit aujourd'hui de rattraper le retard pris par rapport aux droits européen et international. En effet, le droit français sanctionne principalement les discriminations et les délits commis par voie de presse et ne comporte pas de dispositions spécifiques destinées à sanctionner plus sévèrement les infractions à caractère raciste. Le texte vient modifier cette situation.
Comme le souligne notre rapporteur Patrice Gélard, d'autres évolutions mériteraient d'être envisagées : le champ d'application de la proposition de loi pourrait être étendu à d'autres infraction, comme le vol.
Toutefois, cette proposition de loi constitue une véritable avancée juridique. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste la votera.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un contexte marqué par les attentats du 11 septembre 2001 et par le durcissement du conflit israélo-palestinien, à l'heure où d'aucuns agitent, à tort, l'épouvantail d'un choc probable entre des civilisations et des religions, un constat s'impose, et chaque orateur l'aura rappelé au sein de cette Haute Assemblée : le racisme et l'antisémitisme progressent, en France, sur un terreau très fertile, celui de la haine et de la peur.
Cependant, il ne faudrait pas croire que ces actes racistes et antisémites sont un fait nouveau sur notre territoire. Ils sont depuis fort longtemps une bien triste réalité, même s'ils étaient assurément moins nombreux voilà quelques années et, en tout cas, moins médiatisés.
La faiblesse de la réponse face à des actes aussi inqualifiables était jusqu'à présent patente. Il était donc temps de réagir, car aujourd'hui est en jeu la préservation de valeurs aussi essentielles que l'unicité de la République et l'égalité des citoyens. Il y va de l'image de la France dans le monde.
Cette nécessaire réaction est illustrée par la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Notre groupe tient d'ailleurs à rendre un chaleureux hommage à MM. Pierre Lellouche et Jacques Barrot, qui ont été à l'initiative de ce texte.
Cette proposition de loi va permettre de punir plus sévèrement les auteurs d'infractions lorsque celles-ci revêtent un caractère raciste ou antisémite. Le message est clair : le racisme, tel qu'il a été utilement défini par l'Assemblée nationale, est pénalement hors-la-loi. Il constitue une circonstance aggravante.
Nous souscrivons pleinement à cette évolution salutaire de notre droit pénal. Le droit doit se calquer sur l'évolution de la société. Si le racisme et l'antisémitisme gagnent du terrain, la responsabilité du législateur est d'entraver cette évolution négative de notre société et d'envoyer un signal fort.
Notre groupe tient à féliciter pour sa sagesse M. Patrice Gélard, rapporteur, qui a proposé d'adopter ce texte conformément à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Les travaux de cette dernière ont en effet été satisfaisants, et ce texte, qui nécessite une application rapide, n'a pas besoin d'être modifié davantage. Une révision approfondie aurait nécessité trop de temps, dans un contexte où il est urgent de donner le signal fort dont je parlais tout à l'heure.
En résumé, notre groupe approuve totalement l'initiative de nos deux collègues du groupe UMP de l'Assemblée nationale visant à adresser un message clair - celui de la ferme répression - aux auteurs d'infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. C'est pourquoi il votera conforme la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés, et je m'en réjouis.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
SERVICES DE PROXIMITÉ EN ZONE RURALE
Adoption des conclusions négatives
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 129, 2002-2003) de M. Gérard Le Cam, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de loi (n° 292, 2001-2002), de MM. Gérard Le Cam, François Autain, Jean-Yves Autexier, Mmes Marie-Claude Beaudeau, Marie-France Beaufils, M. Pierre Biarnès, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Paul Loridant, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade et M. Paul Vergès tendant à préserver les services de proximité en zone rurale.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Le Cam, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après le débat passionnant que nous venons d'avoir sur la politique de la montagne, nous abordons maintenant une problématique connexe, qui touche un champ économique apparemment plus réduit - le commerce -, mais un territoire plus large - l'espace rural - qui englobe, au demeurant, la montagne.
La proposition de loi que j'avais déposée, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, l'an dernier, avait pour ambition de contribuer à préserver, voire à relancer l'activité commerciale de proximité dans les zones rurales.
Ce texte visait ainsi à instituer un revenu minimum de maintien d'activité au profit des commerçants installés dans les communes de moins de mille habitants, leur permettant de percevoir une allocation différentielle si les revenus tirés de leur activité commerciale était insuffisants. D'un montant maximum égal au revenu minimum d'insertion - soit 411,70 euros depuis le 1er janvier dernier - cette allocation avait pour vocation de leur garantir la perception d'un revenu net de 1 016 euros.
Avant de vous présenter les conclusions négatives de votre commission des affaires économiques, je souhaite rapidement recadrer, à titre personnel, les termes du débat en ce qui concerne l'opportunité de ce texte et la prétendue originalité du principe de solidarité qu'il mettait en oeuvre, avant d'évoquer en quelques mots le dispositif nouveau qu'il m'avait semblé judicieux de soumettre à mes collègues de la commission.
Le premier point concerne l'opportunité de la proposition de loi.
De nombreuses mesures sont déjà mises en oeuvre pour soutenir le commerce de proximité soit de manière générale, soit de manière spécifique en faveur des zones rurales. Je citerai les aides à l'investissement ou les exonérations de charges dans le cadre du zonage européen conditionnant le soutien du fonds européen de développement régional, le FEDER, ou les zonages nationaux du type « territoires ruraux de développement prioritaire » ou « zones de revitalisation rurale ». Je citerai encore les soutiens nationaux et régionaux au titre du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, le FISAC, au titre des fonds locaux d'adaptation du commerce rural et des procédures de contrat de plan Etat-région. Je citerai enfin le soutien direct des collectivités territoriales, notamment par le biais de la propriété des murs mis à disposition gracieusement, sans oublier les initiatives locales mobilisant les collectivités territoriales et les organismes consulaires, notamment.
Tous ces dispositifs ne manquent certainement pas d'intérêt, et il ne saurait être question de les supprimer ou de les remplacer. Cependant, ils concernent pour l'essentiel des aides à l'investissement ou des soutiens à la création et à la reprise d'entreprise et prennent la forme d'exonérations de charges fiscales et/ou sociales : leur effet est ainsi souvent limité à quelques années seulement.
En outre, ils sont le plus souvent accompagnés de conditions tenant à la viabilité économique de l'entreprise, ce paramètre étant exclusif de tout autre, notamment d'appréciations relatives à l'utilité sociale du maintien du commerce de proximité pour contribuer à l'animation de la vie locale.
En tout état de cause, si ces dispositifs ont certainement aidé des commerçants, ils n'ont pas été en mesure de stopper la véritable hémorragie subie par le monde rural en matière de commerce de proximité au cours de ces vingt dernières années. Aujourd'hui, 18 000 communes ne disposent plus de commerces. Plus de la moitié des communes comptant moins de 250 habitants et plus du tiers de celles qui comptent de 250 à 500 habitants ont perdu un commerce entre 1980 et 1998. La population française vivant dans des communes sans épicerie a triplé sur la période, passant de 7 % à 21,5 %.
Ce ne sont que quelques exemples, tirés de l'Inventaire communal pour 1998, qui démontrent que les politiques traditionnelles ne semblent pas à la mesure des enjeux de la « déprise commerciale ». Dans un cas, on compte en centaines d'opérations de soutien, dans l'autre, en milliers de disparitions. En outre, cette « déprise » affecte principalement les territoires ruraux et, dans ces territoires, les plus vulnérables et les moins mobiles de nos concitoyens, au premier chef les personnes âgées et les plus démunis.
Or, à l'évidence, l'absence de commerce rompt le lien social, accélère le phénomène de désertification dans certaines zones rurales et interdit presque certainement tout espoir de « renaissance » ultérieure. Elle porte atteinte à la communauté villageoise et n'est pas sans conséquences sur le maintien ou l'implantation d'autres activités économiques et de services. C'est d'ailleurs notre excellent collègue Jean-Paul Amoudry qui, dans son rapport d'information sur la politique de la montagne, observait que les élus locaux « savent parfaitement qu'une installation de commerce ou d'artisanat bien ciblée peut être source de revitalisation globale et que, inversement, certaines cessations d'activité ont un "effet domino" sur un environnement économique fragile ». On ne saurait mieux dire !
Face à ce constat, quelle politique imaginer, dans une problématique d'aménagement du territoire, pour freiner, voire arrêter cette dévitalisation commerciale du monde rural et permettre aux commerçants ruraux de continuer à vivre au pays ?
De mon point de vue, une réponse aurait pu consister à reconnaître fermement que la disparition progressive des commerces ruraux portait atteinte à l'intérêt général et qu'une politique de solidarité nationale était nécessaire pour contrarier ce mouvement spontané. C'est exactement dans cette perspective que s'inscrivait la proposition de loi.
Le second point concerne le principe mis en oeuvre par la proposition de loi.
La commission des affaires économiques, dans sa majorité, a estimé qu'allouer régulièrement des compléments de revenu à des professionnels indépendants s'opposerait aux règles fondamentales qui organisent la liberté du commerce et de l'industrie en France. Cette démarche serait contraire à l'orthodoxie de l'économie libérale, qui ne justifie l'existence d'une activité économique qu'au regard de sa capacité à affronter les lois du marché.
Or il me semble qu'au moins trois exemples pratiques démentent cette vision des choses, dès lors que des objectifs supérieurs d'intérêt général sont reconnus pour justifier la mise en oeuvre de dispositions compensatrices qui s'écartent de la stricte logique marchande d'une économie libérale.
Il en est ainsi des mesures de soutien à l'activité agricole en zone de montagne, instituées depuis de nombreuses années au plan européen, comme la « prime à la vache tondeuse » ou la « prime à l'herbe » ; elles sont bien, de mon point de vue, des compléments de revenu indépendants de la production mis en place pour garantir l'occupation pérenne et l'entretien continu des zones de montagne.
Je veux également citer l'article 55 de la loi « montagne », qui prévoit que l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics prennent en compte, dans le cadre des actions qu'ils conduisent en matière de développement économique et social, l'objectif d'intérêt général de maintenir en zone de montagne un équipement commercial et un artisanat de services répondant aux besoins courants des populations et contribuant à l'animation locale. Cet article précise surtout que cette prise en compte peut, notamment en cas de carence ou de défaillance de l'initiative privée, comprendre le maintien, sur l'ensemble du territoire montagnard, d'un réseau commercial de proximité.
Une telle disposition, adoptée à l'unanimité par les parlementaires en 1984, n'est-elle pas plus « hétérodoxe » que la présente proposition de loi ? Elle autorise en effet explicitement l'action publique à se substituer totalement à l'initiative privée pour parvenir à l'objectif d'aménagement du territoire qu'elle se fixe.
Le dernier exemple sera celui des zones franches urbaines. Au plan intellectuel, ne peut-on pas considérer que constituent une aide au revenu de l'exploitant tout à fait comparable à ce que pourrait être un complément de revenu versé directement à un commerçant en zone rurale les exonérations totales de charges sociales, d'impôt sur les bénéfices, de taxe professionnelle et de taxe sur le foncier non bâti dont bénéficient pendant cinq ans les entreprises installées en ZFU ? Pourraient également être considérées comme une aide au revenu, si l'amendement de notre ancien collègue député Jean-Jacques Jégou est confirmé prochainement par le Sénat, les exonérations partielles de ces mêmes charges dont devraient encore bénéficier pendant neuf années supplémentaires les entreprises de moins de cinq salariés, dont on pourra, au demeurant, relever que beaucoup seront des commerces de proximité. La méthode est différente, mais l'objectif n'est-il pas le même, puisqu'il s'agit de compenser des handicaps structurels qui interdiraient la viabilité économique du projet par des mécanismes correcteurs ayant pour objet de permettre de dégager un « reste à vivre » suffisant ?
En dernière analyse, l'essentiel tient à l'objectif fixé : ici, le soutien à une profession ; là, la préservation d'espaces particuliers, voire, dans certains cas, la combinaison des deux.
Il me semble que les responsables politiques de tout bord ont démontré, depuis plusieurs années, à l'échelon national et à l'échelon européen, que, en matière d'aménagement du territoire, la fin justifiait les moyens. Ils ont fait preuve d'imagination sans parti pris idéologique et n'ont guère hésité à engager des moyens budgétaires sans commune mesure avec ceux qui auraient été nécessaires à la mise en oeuvre de la présente proposition de loi.
J'ajouterai, pour conclure sur ce chapitre, que la question du respect des règles de la concurrence ne paraissait pas se poser en termes d'obstacles dirimants. D'une part, les exemples évoqués précédemment démontrent qu'elle a déjà pu être écartée dans le cadre d'autres politiques, quand leur objet même n'était pas explicitement d'y porter atteinte ; d'autre part, dans les zones où aurait été susceptible d'être mis en oeuvre le dispositif de la proposition de loi, elle n'aurait pu concerner presque exclusivement que la relation entre petit commerce et grande distribution, et non entre activités commerciales de proximité.
Voilà pourquoi je pense que ce texte aurait dû et pu être mis en oeuvre, au moins à titre expérimental. Il est vrai toutefois que, dans sa version initiale, il était trop général et trop imprécis pour être effectivement applicable. On pouvait en particulier s'interroger sur son champ d'application, sur les zones et les commerces éligibles, ou encore sur l'intervention de la commission départementale d'équipement commercial dans la procédure.
C'est pourquoi j'avais souhaité encadrer le texte de manière beaucoup plus précise et le recentrer sur son objectif de manière plus claire et opérationnelle.
La nouvelle version soumise à mes collègues de la commission des affaires économiques comportait neuf articles. J'en cite les caractéristiques principales.
L'article 1er posait comme principe que l'existence, dans les zones rurales, d'un réseau commercial de proximité répondant aux besoins courants des populations et contribuant à l'animation de la vie locale était d'intérêt général. Il instituait un revenu minimum de maintien d'activité afin de favoriser le maintien ou l'implantation des commerces de proximité en zone rurale.
Après cet article de principe, l'article 2 était essentiel, puisqu'il définissait les conditions d'éligibilité au dispositif. S'agissant des commerces éligibles, il visait à garantir que les commerces aidés correspondraient bien à des activités répondant à l'objectif d'animation locale prévu à l'article 1er.
Ainsi, afin de cibler précisément le commerce de proximité que je souhaitais soutenir, il était tout d'abord précisé que le bénéfice du revenu minimum de maintien d'activité serait ouvert aux commerçants et artisans inscrits au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers dont l'activité principale relèverait d'une classe de la nomenclature d'activités françaises figurant sur une liste fixée par décret. De cette manière, c'est le pouvoir réglementaire qui aurait détaillé exactement les commerces concernés : épiceries, supérettes, boulangeries, bars, tabacs, restaurants traditionnels, voire, le cas échéant, garages ou stations-services.
De plus, afin de cibler précisément le petit commerce, n'auraient été éligibles que les entreprises ayant le droit de choisir le régime fiscal du « micro-BIC », à savoir celles dont le chiffre d'affaires hors taxes annuel ne dépasse pas 76 300 euros.
Enfin, de manière à éviter que certaines personnes peu scrupuleuses ne puissent profiter d'un effet d'aubaine, il était prévu que le commerce devrait satisfaire à des conditions de durée minimale d'ouverture au public fixées par décret.
En ce qui concerne par ailleurs les zones éligibles, je proposais de substituer à la notion de « communes de moins de 1 000 habitants » celle de « zone de rénovation rurale », instituée par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995. Ce zonage paraissait bien mieux convenir à l'objectif de la proposition de loi : 12 000 communes étaient potentiellement concernées, pour l'essentiel très petites, soit 40 % du territoire et 7 % de la population, ce qui représente 4,5 millions d'habitants.
L'article 3 concernait les revenus à prendre en considération. Il m'était apparu que la notion la moins difficile à prendre en compte était la valeur ajoutée dégagée par l'activité commerciale, qui est par ailleurs définie dans le code général des impôts. En cas d'emploi d'un ou de plusieurs salariés, cette valeur ajoutée aurait été diminuée d'un montant forfaitaire fixé par décret, une telle méthode permettant d'éviter qu'un montant de salaire injustifié ne soit accordé au conjoint, par exemple, pour obtenir le droit à l'allocation ou maximiser son montant.
Quant au plafond du dispositif, c'est-à-dire la somme des revenus d'activité et de l'allocation différentielle, qu'avec mes collègues nous avions fixé dans le texte initial à 1 016 euros, il aurait lui aussi été déterminé par décret, à la fois pour respecter la répartition constitutionnelle des pouvoirs et par souci pratique, puisque les évolutions sont plus facilement réalisées par la voie réglementaire. Toutefois, le plafond initial aurait dû, de mon point de vue, s'établir aux alentours de 1 000 euros, de manière à constituer un « reste à vivre » décent, à pérenniser l'entreprise et à encourager ainsi les initiatives des collectivités locales.
Enfin, cette allocation étant non pas un revenu social, comme le RMI, mais un revenu économique, elle aurait été soumise à l'impôt.
Les articles 4 et 5 concernaient la procédure, que la proposition de loi initiale envisageait de confier à la commission départementale d'équipement commercial, la CDEC. Or il est clair que cette commission n'a pas vocation à remplir une telle fonction.
Pour ce qui est du pouvoir de décision, l'allocation étant versée par l'Etat, il aurait été normal que l'autorité d'attribution soit, comme pour le RMI, le préfet. Mais je souhaitais que la décision d'attribution soit précédée de l'avis préalable d'une commission réunissant élus locaux et représentants consulaires. Or une telle commission existe déjà, et sa mission, qui consiste à gérer les fonds départementaux d'adaptation du commerce rural, la rendait particulièrement apte à jouer le rôle que j'envisageais pour elle. Coprésidée par le préfet et par le président du conseil général, la commission départementale d'adaptation du commerce rural est en effet composée de trois maires, de quatre représentants du conseil général, de trois représentants de la chambre de commerce et d'industrie, d'un représentant de la chambre des métiers et de deux personnalités qualifiées désignées par les coprésidents.
L'instruction des dossiers aurait été confiée aux services du préfet, c'est-à-dire, en pratique, comme pour les procédures FISAC, à la délégation régionale au commerce et à l'artisanat.
S'agissant enfin du service de l'allocation, il aurait été dévolu à l'ORGANIC, l'Organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de l'industrie et du commerce, et ce pour deux raisons. D'une part, cette organisation connaît bien les procédures de versement d'allocations ainsi que la population des commerçants, dont elle gère l'assurance vieillesse. D'autre part, c'est elle qui liquide les sommes à verser dans le cadre tant des procédures FISAC que de l'aide au départ des commerçants et artisans, qui, jusqu'à l'an dernier, étaient financées par la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA.
S'agissant du financement du dispositif, je vous rappelle que l'article 3 de la proposition de loi initiale prévoyait de l'assurer par une taxe additionnelle à la TACA. Or, si la TACA a été budgétisée par l'article 35 de la loi de finances pour 2003 - tout comme l'ont été, par contrecoup, les actions qu'elle finance : le FISAC, l'aide au départ des artisans et commerçants et le comité professionnel de la distribution des carburants, le CPDC, - il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une taxe appelée, pour des raisons de solidarité interprofessionnelle, sur les enseignes de la grande distribution et non d'un impôt lambda.
Cette procédure de budgétisation ayant suscité une grande émotion parmi les représentants des commerçants et artisans, le Gouvernement a affirmé à plusieurs reprises au cours des débats budgétaires que cette demarche ne remettrait en cause ni solidarité ni les actions que finance la taxe.
Or la différence entre le produit de la TACA et le coût cumulé desdites actions devrait s'établir, en 2003, à 97 millions d'euros. En outre, on sait que les dépenses exposées au titre de l'aide au départ et du CPDC devraient fortement diminuer dans les prochaines années, tandis que le rendement de la TACA continuera d'augmenter. Si l'on exclut par principe que la création de nouveaux mécanismes de solidarité entre la grande distribution et le petit commerce de proximité - et c'est bien dans cette perspective que s'inscrivait le revenu minimum de maintien d'activité - puisse être financée par la TACA, celle-ci pourrait alors devenir, comme les professionnels de la grande distribution en ont exprimé la crainte en octobre dernier, une simple imposition supplémentaire acquittée par ce secteur, sans aucune légitimité d'intérêt public. L'argent nécessaire existe donc, et il n'était nul besoin de créer de taxe supplémentaire. L'argent existe ; aurait-il été suffisant ? Sans aucun doute. Une estimation extrêmement large du coût du dispositif contenu dans la proposition de loi permettait de l'évaluer à 24 millions d'euros en année pleine, soit exactement un quart du solde « bénéficiaire » de la TACA en 2003 et à peine 18 % des sommes actuellement dépensées au bénéfice des 15 000 allocataires du RMI entrepreneurs et travailleurs indépendants. Or la finalité même du mécanisme de la proposition de loi n'était-elle pas, pour ces personnes, plus conforme à leur vocation d'entrepreneur que le RMI ?
Quant aux articles 6 à 9, ils traitaient respectivement des exceptions au service de l'allocation ou à la répétition des indus, des prescriptions, de la récupération des indus et des sanctions. Ils étaient similaires aux mesures législatives actuellement applicables au revenu minimum d'insertion.
Telle est donc, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'économie des mesures que j'ai proposé à la commission des affaires économiques d'adopter et qui s'inscrivaient dans une logique d'aménagement du territoire.
Le riche et long débat de la commission a témoigné à la fois de l'intérêt suscité par l'initiative du groupe communiste républicain et citoyen et de la réalité des difficultés que la dislocation continue du réseau commercial de proximité en milieu rural fait peser sur l'animation de la vie locale. Tous les intervenants ont ainsi admis la nécessité d'apporter des réponses adaptées pour préserver la vitalité et l'avenir du monde rural.
Toutefois, la commission des affaires économiques a estimé dans sa majorité que, au regard des causes essentielles du phénomène, il importait de conforter et d'améliorer significativement les dispositifs actuels d'aide à l'investissement, à la modernisation de l'outil de production et à la reprise d'entreprise plutôt que de risquer d'altérer l'esprit entrepreneurial par la création d'une subvention au fonctionnement des commerces ruraux.
Elle a ainsi considéré que le principe même de l'esprit d'entreprise dans lequel s'exerce l'activité commerciale n'était pas conciliable avec un dispositif de revenu minimum garanti par des fonds publics.
A cet égard, elle a contesté les analogies qui étaient établies entre ce dispositif et certains des mécanismes déjà institués - je les ai évoqués tout à l'heure, en relevant qu'aucun d'entre eux ne conduisait à une déconnexion aussi radicale - entre activité de production et revenus que celle qu'impliquait la proposition de loi.
De plus, elle a estimé que les difficultés actuellement que rencontrait le commerce rural tenaient essentiellement à l'obsolescence de l'outil de travail ainsi qu'à la lourdeur des charges pesant sur le processus de transmission ou de reprise des entreprises.
Elle s'est en outre inquiétée des distorsions de concurrence qu'induirait une aide pérenne au fonctionnement de certains commerces ruraux, notant que la politique d'animation économique instituée à l'échelon local par les collectivités territoriales et les organisations consulaires pourrait s'en trouver gravement affectée.
La commission des affaires économiques a enfin relevé que la question du commerce rural s'inscrivait dans le cadre plus large de la politique d'aménagement du territoire. Celle-ci, depuis la loi Voynet, est organisée dans une logique de priorité urbaine et devrait connaître une profonde inflexion pour répondre dans leur globalité aux nombreux défis que doit relever le monde rural, défis qui touchent aussi aux infrastructures de transports et de communication, à la présence des services publics, à l'activité économique des territoires, ou encore à la structurationde l'équipement commercial.
Dans cette perspective, il n'a pas semblé cohérent à la majorité de la commission d'aborder, par le biais de cette proposition de loi, un seul des multiples problèmes auxquels est confronté, directement ou indirectement, le commerce rural de proximité et qui, tous ensemble, constituent les causes des difficultés que traverse celui-ci.
Si le principe d'une aide au fonctionnement des commerces ruraux ne lui a pas paru acceptable, la commission des affaires économiques est cependant convenue de la nécessité de rendre plus efficaces qu'ils ne le sont actuellement les dispositifs de soutien à l'investissement et à la modernisation des équipements, d'alléger les charges et les contraintes qui pèsent sur les commerçants et les artisans, enfin, d'agir dans une démarche globale en faveur de la revitalisation de l'espace rural. Elle a souligné que le gouvernement actuel agissait précisément en ce sens et que plusieurs projets de loi ayant ce même objet devaient être examinés prochainement par le Parlement.
Ainsi, la commission a relevé que le projet de loi « Agir pour l'initiative économique », que vous allez bientôt défendre, monsieur le secrétaire d'Etat, comportait de nombreuses dispositions de nature à conforter l'activité commerciale : simplification de la création d'entreprise, amélioration de la transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur, développement du financement de l'initiative économique, approfondissement de l'accompagnement social des projets, ou encore facilitation de la transmission de l'entreprise.
Par ailleurs, avec le futur projet de loi d'habilitation visant à autoriser le Gouvernement à procéder par voie d'ordonnances en matière de simplifications administratives sont envisagées un certain nombre de dispositions ayant pour objet d'alléger les contraintes pesant sur les petites et moyennes entreprises. Parmi elles devraient par exemple figurer la mise en place d'un guichet social unique, qui collectera toutes les cotisations sociales, et la création d'un titre d'emploi simplifié en entreprise, équivalent du chèque emploi-service déjà utilisé par les particuliers.
Un troisième train de mesures législatives de nature économique et sociale devrait être examiné à l'automne prochain et viser à améliorer le statut de l'entrepreneur commercial et artisanal et de son conjoint. Ces dispositions devraient être très utiles au développement du commerce rural, tant est essentielle en milieu rural la question de la participation du conjoint à l'activité de l'entreprise.
Enfin, à la suite de la réunion, le 13 décembre dernier, du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire a été annoncé le dépôt, avant la fin de la session parlementaire, d'un projet de loi sur les affaires rurales qui devrait comporter des dispositions en faveur des réseaux de services adaptés aux besoins des acteurs et des populations du monde rural, ainsi que des dispositions propres à assurer un soutien actif à l'économie du monde rural, par exemple dans le domaine de la pluriactivité. Seraient notamment envisagés : une remise à plat des zonages économiques ruraux comme les territoires ruraux de développement prioritaire, les TRDP, et les zones de revitalisation rurale, les ZRR, afin d'en améliorer l'efficacité ; un ensemble de mesures visant à faciliter la transmission des entreprises dans l'espace rural ; le développement du soutien aux réseaux de création d'entreprises en milieu rural ; enfin, une consolidation des coopérations inter-entreprises en milieu rural grâce à des financements prévus dans les contrats de plan Etat-région.
Pour la commission, la problématique spécifique au monde rural, que vise la présente proposition de loi, devrait ainsi être abordée de manière beaucoup plus globale, donc de façon plus efficace.
Certes, toutes les dispositions évoquées ne concernent pas exclusivement le petit commerce et l'artisanat ni l'exercice de ces activités en milieu rural. Pour la majorité de la commission des affaires économiques, on ne peut toutefois manquer de reconnaître que leur mise en oeuvre conjuguée, dans une démarche globale, articulée et cohérente, devrait contribuer à favoriser fortement l'activité commerciale de proximité dans les zones rurales, conformément au souci originel des auteurs de la proposition de loi, souci unanimement partagé par la commission des affaires économiques.
Au demeurant, il appartiendra au Parlement - et singulièrement au Sénat, compte tenu de sa vocation et de son intérêt constant pour le développement économique des territoires - de contribuer à améliorer les projets de loi initiaux pour les rendre aussi efficaces et conformes que possible aux intérêts des populations et des acteurs économiques du monde rural.
Compte tenu de ces observations, la majorité de la commission des affaires économiques a décidé de rejeter les propositions de conclusions que je lui avais soumises, tout comme ma suggestion, formulée à l'occasion de l'examen du rapport, de donner un caractère expérimental au dispositif.
En effet, devant les objections et les craintes exprimées par certains de mes collègues, j'avais suggéré que les dispositions législatives que je proposais ne soient applicables que pour une durée de six ans à compter de la promulgation de la loi et que, dans la perspective d'une éventuelle pérennisation du revenu minimum de maintien d'activité, il soit prévu qu'un rapport du Gouvernement serait remis au Parlement avant la fin de la cinquième année d'expérimentation afin d'évaluer, notamment, les effets de la loi sur l'offre commerciale dans les zones de revitalisation rurale et sur le respect des règles d'une concurrence loyale en matière commerciale en zone rurale.
Cette ultime proposition n'ayant pas été retenue, la commission des affaires économiques propose donc au Sénat, en application de l'article 42-6 c du règlement, de se prononcer en faveur de ses conclusions négatives. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi tendant à préserver les services de proximité en zone rurale renvoie à un objectif que l'on peut partager, et je salue les motifs généreux qui ont inspiré M. Le Cam et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen lorsqu'ils l'ont présentée, à savoir la volonté de maintenir une activité commerciale en milieu rural pour garantir un service de proximité ainsi que l'animation économique, voire sociale, de nos villages.
Pour cela, il nous est proposé de créer un revenu de maintien d'activité pour les personnes qui souhaiteraient maintenir, reprendre ou implanter un commerce de proximité dans les petites communes rurales, leur garantissant un niveau de revenu de 1 016 euros, soit l'équivalent du SMIC.
Si l'on peut partager le diagnostic et comprendre l'objectif - et je m'y associe -, il est clair que l'on ne peut souscrire aux mesures pratiques préconisées.
Je pourrais d'abord souligner qu'il s'agit d'un dispositif peu compatible, à mes yeux, avec l'équité et la liberté du commerce. Tout d'abord, en subventionnant artificiellement un commerce, on crée les conditions d'une situation de concurrence déloyale, pénalisante pour la vie du tissu commercial.
On fige aussi toute évolution en interdisant de facto à un entrepreneur dynamique n'ayant a priori pas besoin de recourir aux subventions de s'installer parallèlement ou postérieurement.
Se pose immédiatement, d'ailleurs, la question du nombre de commerces que l'on pourrait aider de cette manière dans une même zone de chalandise : que deviendra l'épicerie-service non assistée du centre-bourg voisin si l'on crée artificiellement dans les communes environnantes un ou plusieurs commerces subventionnés ?
Enfin, comment intégrer l'effet d'une telle mesure sur les commerçants effectuant des tournées et sur les marchés ruraux ?
Il me faut ensuite souligner qu'une telle mesure introduirait une rupture d'égalité au sein même du dispositif du RMI.
En effet, le RMI est déjà ouvert aux travailleurs indépendants relevant du régime d'imposition des micro-bénéfices industriels et commerciaux, qui perçoivent ainsi un complément de ressources additionnel au revenu dégagé par leur activité, mais dans la limite du plafond du RMI. Cette assistance bénéficie aujourd'hui à plus de 15 000 attributaires.
Dans le cadre du dispositif proposé, le commerçant percevrait ce revenu de complément jusqu'au niveau du SMIC brut. On aurait ainsi deux catégories de commerçants assistés : ceux qui sont plafonnés au niveau du RMI et ceux qui sont plafonnés au niveau du SMIC. Il faudrait donc sans aucun doute revaloriser les premiers. Qu'adviendrait-il alors du niveau du RMI alloué aux autres allocataires ?
Il faut en outre mentionner l'inéquité que créerait un tel système par rapport aux commerçants de zone urbaine, dont certains ont aussi des revenus très faibles.
Je dois ensuite indiquer que ce dispositif nécessiterait un lourd appareil administratif, ne serait-ce que pour établir son champ d'application.
Comment déterminer les activités couvertes par la notion de commerce ou de service de proximité : les garages et stations-service, les débits de boissons, les commerces saisonniers, les activités de commerce des productions agricoles sont-ils éligibles ? Faudra-t-il retenir le bar-épicerie multiservices et non le bar-tabac PMU ?
Combien de commerces pourront-ils être aidés par commune, et comment s'effectuera l'arbitrage entre les candidatures de commerces de natures différentes, tels que le boulanger et le boucher ? Un commerce pourra-t-il s'implanter si existe déjà un autre commerce non aidé de la même ou d'une autre catégorie ?
Quels seront les critères d'éligibilité des candidats qui ne laissent pas de place à l'arbitraire et ne soient pas une source permanente de contentieux ? A été évoquée en commission la solution de confier au préfet plutôt qu'à la commission départementale d'équipement commercial la désignation des attributaires. Voici désormais l'Etat chargé de nommer des commerçants !
Il est complexe ensuite de parvenir à la détermination du revenu de référence.
En zone rurale se multiplient les pluriactifs, qui peuvent associer activités de production et de commercialisation et activités de service, notamment touristiques. L'indemnité serait déterminée sur la valeur ajoutée globale, a-t-il été dit en commission. On imagine la complexité d'une telle approche pour calculer dans le détail le cumul des diverses ressources issues d'activités agricoles, artisanales, commerciales touristiques !
La question se pose plus globalement pour l'ensemble des revenus du ménage : si, comme cela a été développé en commission, le salaire du conjoint n'est pas pris en compte, on crée, là encore, une disparité avec le dispositif global du RMI, qui prend en compte les revenus globaux du ménage. De la même façon, comment intégrer les autres revenus, fonciers par exemple, qui sont courants en zone rurale ?
Enfin, il faudra mettre en place un dispositif de contrôle.
La mise en oeuvre d'une telle allocation exigera de la part du commerçant une tenue parfaitement rigoureuse et détaillée de sa comptabilité et la production de nombreux justificatifs. Il sera par la force des choses soumis à des contrôles suivis de l'administration.
Il est de surcroît envisagé d'imposer des horaires d'ouverture : selon quels critères et quel planning ? Le commerçant sera-t-il soumis aux 35 heures ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Quelle imagination !
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Qui l'autorisera à prendre ses congés ? Qui contrôlera son assiduité ? Quelles sanctions seront prononcées, et par qui ? Sommes-nous en passe d'imposer au café-épicerie rural une obligation de continuité de service public ?
Mme Odette Terrade. Il ne faut pas exagérer !
Mme Nicole Borvo. C'est l'étatisation du petit commerce !
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Ce contexte bureaucratique sera consommateur de temps et affectera l'efficacité commerciale.
Je conclurai en soulignant que ce dispositif ne me paraît renvoyer à aucune nécessité économique importante.
En effet, pour rester dans le cadre de ces zones de revitalisation rurale, 62 % des communes disposent d'au moins un commerce, 42 % de ces communes comptent moins de 500 habitants.
Ces chiffres démontrent le contresens que constitue la création de boutiques assistées. Là où existent des clients existent des commerces ; ailleurs, nous ne maintiendrions qu'un simulacre d'activité.
Je souhaiterais maintenant indiquer ce qu'entend faire le Gouvernement pour développer le commerce en milieu rural.
Nous avons la forte conviction qu'il y a une incompatibilité entre l'esprit d'entreprise, le goût et le sens du commerce, la construction de relations commerciales avec les clients et le principe d'une assistance financière systématique et administrée.
Le résultat est connu : les dispositifs de ce type conduisent à la démotivation, à la négligence en matière de service et se révèlent d'effet contraire à celui qui est recherché.
Le Gouvernement préfère encourager l'initiative et le dynamisme, soutenir la motivation, développer l'esprit d'entreprise et créer les conditions les plus favorables pour qu'en zone rurale aussi celui qui a envie d'entreprendre puisse le faire, réussir et être un véritable acteur de la revitalisation, et non une sorte de conservateur des activités en voie de disparition.
De nombreux dispositifs existent en faveur du maintien du petit commerce en milieu rural. Ils ont été évoqués lors des travaux de votre commission : la création des zones de revitalisation rurale et leurs mesures d'exonération, les fonds locaux d'adaptation du commerce rural et les contrats de plan Etat-région. Ont été également mentionnées les nombreuses initiatives locales allant dans le même sens.
Faut-il rappeler que le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce - le bien connu FISAC -, créé par la loi du 31 décembre 1989, constitue l'instrument privilégié à la disposition des pouvoirs publics pour contribuer à la sauvegarde des services de proximité et au maintien du lien social ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pour le moment, cela ne marche pas ! M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Le principe d'intervention de ce fonds est d'agir sur l'environnement des entreprises pour contrebalancer les désavantages liés à leur localisation, mais en aucun cas de fournir des aides au revenu, aides dont on a souligné les effets pervers.
En milieu rural, le FISAC peut intervenir soit dans le cadre d'opérations individuelles avec une commune ou un particulier, soit dans le cadre d'opérations collectives, avec un syndicat communal par exemple.
J'ai tenu à ce qu'en 2003 un effort particulier soit fait à cet égard.
Le taux d'intervention standard est fixé à 20 % du montant de la dépense d'investissement et à 40 % pour les opérations de sécurisation. Pour les collectivités maîtres d'ouvrage d'opérations à vocation individuelle et dans les communes de moins de 2 000 habitants, le taux a été porté en 2003 à 30 %.
Sont en particulier éligibles : les dépenses d'investissement relatives à la modernisation et à la sécurisation des entreprises et des locaux d'activité ; l'achat, par une collectivité publique, de locaux d'activité hors fonds commerciaux ; l'aménagement des abords immédiats du commerce concerné, notamment pour en faciliter l'accès, lorsque le projet est porté par une collectivité publique ; les investissements de contrainte induits, notamment, par l'application de normes sanitaires, lesquelles pèsent lourdement sur les acteurs économiques ; les investissements de capacité permettant de satisfaire une clientèle plus nombreuse sur la zone de chalandise ; enfin, les investissements de productivité permettant à l'entreprise d'accroître sa rentabilité et son efficacité.
Le FISAC peut également financer des opérations en fonctionnement, en particulier toutes les opérations de promotion en faveur du commerce, l'organisation de manifestations ponctuelles, le recrutement d'un animateur.
Dans les petites communes, le FISAC intervient donc significativement pour donner aux collectivités et aux particuliers des aides leur permettant de disposer d'un outil et d'un cadre de travail adaptés, propices au maintien et au développement des activités, tout en laissant à l'entrepreneur - et j'y insiste - sa liberté d'action, sa liberté d'initiative et la motivation nécessaire pour développer son entreprise.
Entre 1992 et 2000, ce sont ainsi près de 103 millions d'euros qui ont été consacrés à ces opérations.
Pour 2003, l'enveloppe consacrée aux opérations en zone rurale pourrait être de l'ordre de 13 millions d'euros.
Le Gouvernement a, par ailleurs, initié une politique forte en faveur de la création et de la transmission d'entreprise, dans le cadre du projet de loi sur l'initiative économique que j'aurai l'honneur de vous présenter d'ici à quelques semaines.
Les reports de charges sociales, le relèvement des plafonds d'imposition sur les plus-values de cession, les réductions d'impôts accordées aux repreneurs d'entreprise pour les emprunts contractés, l'allégement, voire l'exonération des droits de mutation grevant la transmission d'entreprise sont autant de dispositions qui bénéficieront directement au commerce et à l'artisanat en milieu rural, et tout particulièrement aux plus petites unités économiques.
Ce projet de loi prévoit d'ailleurs aussi la possibilité de conserver un revenu de solidarité en cas de création d'entreprise, mais sur une année seulement.
Il étend enfin au plus de cinquante ans, qui sont souvent oubliés, le mécanisme EDEN, ou encouragement au développement d'entreprises nouvelles, qui prévoit des avances remboursables, et l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise, dite ACCRE, qui permet de bénéficier d'une exonération de charges sociales.
Le secrétariat d'Etat entend également soutenir les reprises d'entreprise au travers du CIVIS, le contrat d'insertion dans la vie sociale.
Ce dispositif, mis en place sous l'égide de François Fillon, peut favoriser la reprise de l'entreprise artisanale et commerciale, en particulier la très petite entreprise, en assurant le lien entre des entrepreneurs qui souhaitent quitter leur entreprise et des jeunes désireux de s'engager dans une démarche professionnelle indépendante, dans le cadre d'un contrat aidé par une collectivité publique.
Le contrat CIVIS est particulièrement adapté aux villes moyennes et aux villages dans lesquels les artisans ou commerçants peinent à céder leurs très petites entreprises, faute de repreneurs suffisamment informés et accompagnés.
Enfin, le projet de loi sur le développement rural préparé par le ministre de l'agriculture et le projet de loi sur le statut de l'entrepreneur individuel que je présenterai en fin d'année comporteront des volets relatifs au commerce en milieu rural, en particulier au regard de l'organisation de la pluriactivité et des droits sociaux des chefs d'entreprise et de leurs conjoints. C'est en ouvrant des champs nouveaux de facilités de cumul que l'on permettra au commerçant rural de gagner sa vie sans se transformer en RMIste du commerce.
Le Gouvernement partage le souci du Sénat de maintenir en milieu rural un tissu actif d'entreprises commerciales et artisanales. Cependant, il ne peut souscrire à un dispositif d'assistance sociale au commerce qui, outre son coût et la complexité de sa mise en oeuvre, conduirait à l'inverse de l'effet recherché en figeant des activités non rentables, en stérilisant l'esprit de dynamisme et d'entreprise et en empêchant l'implantation de véritables entreprises parce qu'il fausserait les règles de la concurrence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en tant que sénateurt du département du Nord, je suis heureux d'intervenir à l'occasion de la discussion des conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan sur cette proposition de loi qui a trait à l'avenir des zones rurales.
C'est un sujet d'importance, y compris dans les départements censés considérés comme plus urbains, à l'exemple de celui dont je suis issu.
En effet, dans le département du Nord, en incluant les bourgs ruraux, plus de 30 % de la population vit au rythme de la ruralité et 80 % de la superficie est liée à la problématique de cette même ruralité.
C'est dire que les auteurs de la proposition de loi ont eu raison de prendre l'initiative d'élaborer un tel texte, ne serait-ce que parce qu'il nous conduit à débattre aujourd'hui de cette question.
L'évolution de nos campagnes a, pendant plus d'un siècle, suivi un processus identique, à savoir la diminution de la population par migration vers les zones urbaines et industrielles.
Les raisons de cette évolution sont connues, à commencer par la diminution du nombre des exploitants agricoles, qui se poursuit d'ailleurs.
Pourtant, les signes d'une évolution inverse apparaissent, puisque les résultats du dernier recensement pour la France entière marquent, pour la première fois depuis un siècle et demi, un accroissement du poids de la population rurale.
Après la désertification des campagnes, on parle de « reprise démographique », de naissance de « nouvelles campagnes », de « renouvellement des espaces ruraux », voire, dans le jargon sociologique, de « nouvelles demandes sociales de consommation du rural ».
Le bilan est donc aujourd'hui contrasté : certaines zones continuent à subir une certaine « déprise » agricole et rurale, d'autres, au contraire, connaissent une forte pression foncière.
Dans les secteurs où la population continue de baisser, il est urgent de trouver des solutions aussi hardies que l'exige la situation.
Les campagnes qui se repeuplent sont cependant elles aussi concernées par cette proposition de loi.
En effet, si elles se repeuplent, c'est parce qu'une part croissante de la population désire trouver un cadre de vie fait de calme, de repos, de silence et de tranquillité en bénéficiant d'un coût du foncier moins élevé, ce qui l'amène à faire le choix de vivre à la campagne.
Les zones rurales où emménagent les « néoruraux » tirent ainsi un bénéfice de la crise urbaine : la ruralité devient un refuge où, malgré l'impossibilité de faire vivre un commerce en respectant les strictes lois du marché, les habitants souhaitent pouvoir bénéficier des services.
C'est pourquoi, dans l'ensemble des campagnes françaises, les mêmes problématiques sont ouvertes.
Tout d'abord, s'impose la nécessité de maintenir sur nos territoires ruraux un maillage suffisant d'agriculteurs qui, au-delà de la fonction de production, assurent une irremplaçable fonction d'entretien du paysage.
Pour sortir de la spirale de l'abandon et inverser la tendance, il leur faut aussi vaincre l'isolement, en améliorant les transports ferroviaires et routiers.
Il faut, ensuite, assurer le maintien des services publics : écoles, collèges, postes, EDF-GDF, télécommunications, petits hôpitaux, maternités, etc.
Il convient aussi de s'appuyer sur les ressources et les initiatives locales en matière de tourisme, de patrimoine et de culture.
Mais d'autres activités sont nécessaires dans le domaine du commerce sédentaire et ambulant, dans celui des PME et des PMI, et beaucoup reste à faire pour densifier leur réseau.
C'est spécifiquement vrai pour ce qui concerne les commerces sédentaires, dont la moitié des communes françaises sont aujourd'hui dépourvues.
A cet égard, il convient de saluer l'ingénieuse simplicité de la proposition de loi à propos de laquelle nous examinons aujourd'hui les conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan. Il s'agit, par un système de complément de ressources, de garantir un revenu minimal aux commerçants qui sont installés dans les villages situés en zone de rénovation rurale.
Je sais bien que les thuriféraires du marché s'offusqueront de cette entorse à l'économie libérale. Mais n'en va-t-il pas de même des dispositifs créés au nom du nécessaire soutien à l'agriculture, dont aucun de nous ne saurait demander la suppression ?
Les apôtres du « toujours moins d'Etat » affirmeront que ce serait le rôle des collectivités locales. Mais comment les collectivités locales des secteurs ruraux, qui sont déjà en difficulté, pourraient-elles apporter un tel soutien à leurs commerçants ?
De bonnes âmes le jugeront humiliant pour les commerçants concernés. En effet, ils seraient ainsi assimilés à des RMIstes, voire pis, à des fonctionnaires, comme certains de nos collègues ont osé s'en alarmer lors de l'examen de ce texte en commission.
Tout en manifestant mon étonnement devant ce dérapage, je souhaiterais leur rappeler que le Premier ministre lui-même a annoncé, dans un entretien publié le 2 décembre par la Croix, son intention de créer un « revenu minimum d'activité ». Pourquoi cette « activité » ne pourrait-elle pas être exercée dans le cadre du commerce, pourvu que les modalités aient été précisées dans un texte qui en prenne en compte les spécificités ?
Enfin, le montant envisagé, 1 016 euros, est de nature à éviter les chasseurs de subventions et toute dérive préjudiciable aux comptes publics. Tout en évaluant à seulement 24 millions d'euros son coût, M. le rapporteur a du reste accru les garde-fous du dispositif en proposant de le rendre expérimental. Dans le contexte des projets de réforme de nos institutions, qui font la part belle aux expérimentations, il serait assez insolite que nous nous élevions contre cette suggestion. Pourquoi donc l'Etat s'interdirait-il les expérimentations qu'il autoriserait dans la « France d'en bas » ? (M. Bruno Sido s'exclame.)
C'est la raison pour laquelle, s'il avait été fait abstraction de toute vision idéologique et doctrinaire, un consensus aurait dû prévaloir sur le texte qui nous a été présenté par les auteurs de la proposition de loi.
Il ne s'agit pas de nier le rôle des grandes surfaces, ni de faire croire que les commerces de village pourraient les remplacer. De ce point de vue, les craintes formulées par certains de nos collègues et aux termes desquelles la concurrence serait faussée par ce dispositif apparaissent particulièrement exagérées.
Il s'agit de permettre à ce qui constitue si souvent le coeur de tant de nos communes de continuer ou de recommencer à battre. Il en va du bien-être de leurs habitants et, en fin de compte, de l'équilibre entre villes et campagnes.
Certes, les pouvoirs publics ont, par le passé, pris des mesures destinées à aider pendant quelques années l'investissement ou à faciliter la création et la reprise d'entreprises. Dans ce domaine, d'autres textes nous sont promis par le Gouvernement, comme l'ont souligné certains de nos collègues lors de la discussion en commission. Mais aucun dispositif spécifique n'existe encore pour permettre de pérenniser le fonctionnement d'un commerce, même soutenu dans ses investissements.
Certains de nos collègues ont même ajouté que, si la viabilité du commerce ne pouvait être assurée, le RMI avait été précisément institué pour garantir des ressources minimales ! Selon leur étrange logique, il faudrait à la fois aider à investir des commerçants qui font du profit et transformer les autres en RMIstes en laissant disparaître leur activité...
Enfin, il apparaîtrait pour le moins singulier que notre assemblée rejette cette proposition de loi au motif qu'un projet de loi portant de manière générale sur l'aménagement du territoire est en préparation, alors qu'elle n'a pas attendu la réforme globale de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains pour la modifier, récemment, de manière partielle.
En réalité, dans le cadre d'un aménagement du territoire qui ne doit pas être une sempiternelle litanie d'incantations, l'innovation que représenterait ce « RMA » pour commerçants en secteur rural serait une très heureuse initiative.
Cela est d'autant plus vrai que les commerçants qui en bénéficieraient pourraient plus aisément remplir, par là même, des missions de service public qui sont de moins en moins directement assumées, telles que les services postaux.
C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j'invite notre assemblée à saisir l'opportunité qui lui est offerte par cette proposition de loi en rejetant les conclusions négatives de la commission des affaires économiques et du Plan.
Il va de soi que, si notre assemblée devait être d'un avis contraire, notre groupe demeurera attentif à l'insertion, dans le projet de loi relatif à l'aménagement du territoire qui nous est annoncé, de mécanismes assurant au monde rural la vitalité commerciale qui lui est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Gérard Le Cam, rapporteur. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'engagement, depuis une trentaine d'années, sur la voie de la mondialisation et de l'intégration des économies de marché européennes a incontestablement transformé nos espaces économiques et nos territoires.
Cette transformation s'opère sous l'effet d'un double mouvement : d'un côté, le développement des grandes firmes multinationales organisées en réseaux contribue à façonner l'espace économique et à favoriser une dynamique de fractionnement de notre territoire ; de l'autre, la mise en concurrence, à l'échelle de l'Union européenne, des services publics affaiblit le rôle que jouaient ces derniers dans l'aménagement cohérent du territoire et dans l'intégration sociale.
Ce double mouvement contribue à marginaliser certaines zones, celles qui sont situées à la périphérie des villes par exemple, et participe à la désertification rurale.
Cette dynamique de fractionnement de notre territoire, de constitution de poches localisées d'exclusion du développement économique et social ou, en d'autres termes, d'apparition de nouvelles formes territoriales de pauvreté, interpelle chacun d'entre nous.
Notre collègue M. Mortemousque soulignait très pertinemment, à l'occasion de la discussion d'une question orale, que « le démantèlement lancinant des services publics en milieu rural risquait de se traduire par un véritable abandon de nos communes ». La disparition des petits commerces de proximité, comme les cafés-tabacs, la petite épicerie, la boulangerie, le bar-restaurant, par exemple, ne constitue-t-elle pas le signe le plus tangible de ce risque ?
Nous savons combien ces commerces de proximité contribuent à la survie de nos villages, de leurs centres nerveux, parce qu'ils participent à l'animation de la vie locale, à la consolidation du tissu social, mais aussi parce qu'en créant un environnement plus favorable ils peuvent avoir des effets d'entraînement positifs sur d'autres activités.
Ils jouent un rôle essentiel dans le maintien et la production du lien social, autrement dit dans la dynamisation sociale, indispensable à la survie des petites communes rurales et à l'aménagement équilibré du territoire.
Or, aujourd'hui, 18 000 communes sont d'ores et déjà dépourvues de ces commerces de proximité ! En quelque trente ans, de 1966 à 1998, on a dénombré pas moins de 140 000 disparitions de commerces de bouche, soit, en moyenne, une « saignée » de 47 000 commerces par décennie.
Ce déclin, qui semble inéluctable si l'on ne réagit pas, touche plus particulièrement, plus rapidement devrait-on dire, les petites communes, comme vous venez de le souligner, monsieur le rapporteur. Ainsi, entre 1980 et 1998, les communes de moins de 250 habitants ont vu disparaître les deux tiers de leurs commerces de proximité, tandis que celles de 250 à 500 habitants en perdaient plus de la moitié !
Nous savons que, en opposant une concurrence de plus en plus insoutenable aux petits commerces indépendants, la grande distribution contribue toujours au modelage du territoire et à la désertification rurale. Comment ne pas admettre que, par divers moyens - produits d'appel pour rendre captive sa clientèle, développement d'une offre multiservices, avec l'appui des nouvelles technologies de communication -, elle se livre à une concurrence déloyale à laquelle les commerces de proximité peuvent difficilement résister ?
Que l'on s'accorde ou non sur l'analyse des facteurs qui contribuent à la désertification de nos zones rurales, au premier rang desquels nous plaçons la mondialisation capitaliste et la rationalisation des modes de vie sous l'impulsion, en particulier, des firmes de la grande distribution, personne ne peut, à l'évidence, nier ce constat.
Pour autant, comme le soulignait, à juste titre, M. Mortemousque, « selon l'immense majorité des élus des cantons, il ne dépend que de la volonté des élus et des pouvoirs publics de bâtir un nouveau développement reposant sur les réalités locales ».
Au cours du riche débat mené en commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi déposée par notre groupe, sur l'initiative de notre ami et collègue Gérard Le Cam, certains n'ont pas hésité à qualifier l'idée et le dispositif prévu d'iconoclastes, en rupture avec l'orthodoxie.
Mais, au fond, cette situation historique d'agonie de certaines de nos zones rurales ou de certains points ruraux de notre territoire n'exige-t-elle pas des solutions innovantes plutôt que des remèdes maintes fois éprouvés et dont l'efficacité est pour le moins douteuse ? Les faits sont là : le mouvement de désertification rurale ne s'est pas interrompu, et force est de constater qu'il s'est même accéléré.
Les exonérations fiscales, les soutiens à l'investissement et toutes les autres formes de subsides et subventions indirectes et temporaires, bien que nécessaires, n'ont pas permis d'interrompre la tendance de fond qui condamne à la disparition les petits commerces de proximité.
D'autres mesures, plus volontaristes, fondées sur la solidarité nationale mais aussi interprofessionnelle, et jouant sur des mécanismes de redistribution, devaient donc être imaginées.
Le dispositif proposé permettait d'assurer un complément de revenu pérenne au petit commerçant, en fonction des résultats dégagés par son activité. A la différence des autres mesures, le soutien s'inscrit dans la durée, sans pour autant être permanent si une dynamique s'enclenche. Ce dispositif, qui, aux yeux de certains, est hétérodoxe, constitue la condition sine qua non de la viabilité du petit commerce. Il tient compte des réalités économiques et sociales, de la difficulté de maintenir un commerce, de l'impossibilité d'entreprendre ou de se lancer dans une nouvelle activité commerciale en zone rurale. De plus, cette proposition constitue le chaînon manquant entre l'installation et la transmission qui bénéficient, elles, de dispositifs d'aides.
En effet, dans notre système économique, l'esprit d'entreprise est nécessairement défaillant s'il n'y a pas un espoir de rentabilité à long terme. Quel franc-tireur se lancerait dans une nouvelle activité si la probabilité des gains qu'il espère en tirer dans le futur est trop incertaine ? Dans le cas qui nous préoccupe aujourd'hui, nous savons que cet espoir est vain, que nos commerces dans les petites communes ne sont pas rentables, en tout cas au départ.
Le dispositif proposé par notre groupe a, en outre, l'avantage, dans la période actuelle d'orthodoxie budgétaire, de ne pas grever les finances publiques puisqu'il solliciterait les excédents de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA, dont M. le rapporteur a rappelé, à juste titre, que telle devait être sa vocation dans un souci de solidarité des grandes surfaces à l'égard du petit commerce. Il s'agit, ici, de faire contribuer la grande distribution afin de tenter de rétablir un équilibre entre les parts respectives du petit commerce indépendant et de la grande distribution. En effet, s'il y a des distorsions de concurrence, elles ne jouent évidemment pas, ou elles jouent exceptionnellement, entre les petits commerces. Comme on peut l'observer, c'est à la fermeture simultanée de plusieurs commerces que l'on assiste, en toute impuissance. On fait moins de cas de la distorsion de concurrence liée à la grande distribution.
Par ailleurs, la TACA étant désormais budgétisée, il s'agit, au fond, de faire jouer la solidarité nationale à travers le budget global, au moyen du mécanisme de la redistribution. Les petites collectivités locales, dont les moyens sont modestes, seraient les premières bénéficiaires d'un tel dispositif.
Nous ne pouvons donc que regretter les conclusions négatives auxquelles notre commission a abouti.
Que direz-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aux élus des petites communes rurales qui cherchent des solutions pour faire subsister leurs commerces de proximité, alors que nous aurions pu tenter cette innovation et expérimenter sur une période de cinq ou six ans ce dispositif qui offre incontestablement de nombreux avantages, et pour un coût plus que raisonnable ?
Nous regrettons d'autant plus ce rejet de la commission des affaires économiques que les arguments développés ne nous paraissent guère convaincants.
Ne doit-on pas y voir des positions de principe, des pétitions de principe à défaut d'arguments ? Au fond, en poursuivant la réflexion, notre démarche semble contraire à l'orthodoxie libérale parce qu'elle en constitue une entorse flagrante ! Or je continue de penser que c'est précisément cette dernière qui nous asphyxie et qui étouffe ce fameux « esprit d'entreprendre » en abandonnant aux seules forces du marché des pans entiers de notre économie.
Vous souhaitez, monsieur le secrétaire d'Etat, « libérer l'esprit d'entreprendre ». Permettez-moi de m'interroger sur le sens de cette formule. Quelles sont donc ces contraintes qui pèseraient sur les petites et moyennes entreprises et que l'on souhaiterait alléger parce qu'elles brident toutes les énergies ?
Quelles contraintes pèsent encore sur cet « esprit d'entreprendre », après la vague de déréglementation que notre économie a subie et que le Gouvernement a encore accentuée ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce qui tue l'esprit d'entreprendre, c'est l'esprit affairiste, la volonté de rentabilité immédiate, de gains juteux réalisés sur les marchés financiers !
Ce qui tue l'esprit d'entreprise, ce qui détourne les finances de leur utilisation productive, l'investissement de la création de richesses, c'est la nécessité d'apurer les pertes financières liées à la spéculation et à l'euphorie boursière, en lieu et place du développement de nos industries. Les petites et moyennes entreprises sont les premières à en souffrir puisqu'elles ne trouvent plus les financements qui leur sont nécessaires.
Dans une telle situation, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne crois pas que vous parviendrez à ranimer cet esprit d'entreprendre uniquement par des exonérations de charges fiscales, puisque c'est précisément l'entreprise elle-même qui est en danger. De telles solutions ont déjà été éprouvées : elles ne mettent un terme ni aux fermetures d'entreprises ni aux licenciements massifs !
Au-delà de ces considérations générales, mais qui ne sont pas pour autant hors du sujet qui nous occupe, de telles mesures, on l'a souligné, seront inefficaces pour le cas qui nous réunit aujourd'hui.
Monsieur le secrétaire d'Etat, quels engagements concrets comptez-vous prendre pour préserver, voire relancer, les commerces de proximité dans les zones rurales ? D'ailleurs, cette question vaut tout autant pour certaines zones urbanisées, dans lesquelles les commerces de proximité ferment les uns après les autres.
Monsieur le secrétaire d'Etat, cette proposition de loi vous offre, ce soir, l'occasion de montrer votre bonne volonté et votre esprit d'ouverture en direction de la ruralité et du commerce.
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen espèrent donc très vivement que ce texte sera voté par notre assemblée. Chacune et chacun d'entre nous en sortira grandi et le rôle spécifique du Sénat au service des collectivités s'en trouvera renforcé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est incontestable que l'objet même de la proposition de loi présentée par notre collègue M. Gérard Le Cam concerne un problème majeur d'aménagement des zones rurales. Parmi nous, qui n'a pas été confronté à la fermeture d'un petit commerce, d'une boulangerie, d'une boucherie ou d'un tabac ?
L'absence de ces commerces est un véritable drame pour les petits villages. Ces commerces sont des lieux de vie, de rencontre, d'échanges, qui permettent à une commune de maintenir sa population. Il est indéniable qu'un village privé de commerce perdra au fur et à mesure sa population jusqu'à l'extinction des dernières générations.
Les grandes surfaces, en offrant à leurs clients une gamme de services très vaste à des prix plus attractifs, représentent une concurrence redoutable. Pour les petits commerces, le handicap est double : d'une part, du fait d'une clientèle réduite et, d'autre part, en raison de relations difficiles avec les grandes et moyennes surfaces. Ce dernier élément est d'autant plus important que l'éloignement du village par rapport à l'agglomération la plus proche ne constitue plus une difficulté.
En effet, dans un livre intitulé La France à 20 minutes, Jean-Marc Benoît constate qu'en une génération les Français ont réussi à se déplacer de plus en plus loin sans que cela leur prenne plus de temps.
Grâce au développement de moyens de déplacement plus rapide, le temps moyen du trajet domicile-travail, le temps pour se rendre au lycée, au supermarché ou à son club de sport est dorénavant de l'ordre de vingt minutes. La notion de temps remplace peu à peu la notion de distance, et la minute celle du kilomètre. C'est ce que révèle ce livre qui affirme que la plupart des Français ont maintenant accès aux principaux services de base en seulement vingt minutes. Il s'agit d'une moyenne, bien évidemment, car il existe des cas extrêmes : dans certains endroits les plus reculés de mon département, par exemple, les lycéens doivent, le lundi, se réveiller à 3 heures du matin pour arriver à l'heure dans leur établissement scolaire afin d'assister au premier cours.
Cependant, en général, l'éloignement n'est plus un handicap et les commerçants doivent imaginer d'autres moyens pour attirer et fidéliser une clientèle. Afin d'éviter une désertification grandissante du milieu rural, il est en effet important de trouver des façons de les retenir.
Pour faire face à ce problème d'aménagement du territoire, la proposition de loi du groupe CRC vise à accorder un revenu de maintien d'activité qui viendrait compléter les ressources financières des personnes souhaitant maintenir, reprendre ou implanter un commerce de proximité dans les communes de moins de 1 000 habitants. Ce revenu, pour reprendre les termes de la proposition de loi, « serait ajustable en fonction du résultat dégagé et sa limite supérieure serait fixée au niveau du RMI actuel ».
Ce système ne peut nous convenir. Certes, il est essentiel de maintenir dans les zones rurales un réseau commercial de proximité, mais ce qui nous est proposé créerait une sorte d'assistanat que nous récusons.
Il est préférable, en effet, d'aider les commerçants des petites communes par un soutien à l'investissement. Au contraire, le complément de ressources préconisé par la proposition de loi risque d'annihiler tout esprit d'initiative.
N'oublions pas également le recours à des aides plus ponctuelles comme celles du fonds interministériel de soutien à l'artisanat et au commerce, le FISAC. Ce fonds peut aussi intervenir pour aider les collectivités locales à maintenir sur leur territoire des petites commerces, comme vous venez de nous le rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat.
La présente proposition de loi contribue au contraire à « salariser » les commerçants, en contradiction totale avec leur statut de profession indépendante. Le petit commerce ne peut être assimilé à un service public.
Il faut soutenir les idées originales, les esprits innovants et créatifs, les aider à proposer à la clientèle une offre différente de celle des grandes surfaces, en résumé tout ce qui permet de se démarquer du commerce de masse traditionnel.
M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Très bien !
Mme Anne-Marie Payet. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le système proposé par nos collègues communistes ne nous convient pas. En conséquence, le groupe de l'Union centriste votera contre la proposition de loi de M. Le Cam. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais, en cet instant du débat, livrer trois réflexions et formuler un espoir.
Tout d'abord, il faut savoir gré à nos collègues du groupe CRC - et je le dis très sincèrement - de nous permettre ce soir, par leur initiative, de débattre d'un sujet qui constitue un vrai problème non seulement pour notre espace rural, mais aussi pour certains quartiers de notre espace urbain où les commerces et leur diversité jouent un rôle important d'animation et d'intégration. C'est là un vrai sujet.
Mme Odette Terrade. Absolument !
M. Gérard Larcher, président de la commission. La déprise commerciale qui se poursuit depuis trente ans, plus particulièrement, il est vrai, dans les baux ruraux, et dont M. le rapporteur a rappelé tout à l'heure l'ampleur, affecte profondément l'ensemble de ce que l'on peut appeler les communautés villageoises.
Nous connaissons tous, pour les rencontrer et être à l'écoute de leur désarroi, des élus qui souffrent - et j'utilise ce verbe à dessein - de la disparition de toute activité commerciale dans leur commune - le chiffre cité de 18 000 communes dépourvues de commerce de proximité ne peut nous laisser insensibles - et qui s'interrogent sur l'avenir de la collectivité dont ils ont la charge.
Il n'est pas utile de se livrer à un débat académique sur l'ordre des causes : est-ce parce que la population quitte les communes de ce qu'on nomme le rural profond que les commerces périclitent ou est-ce parce que ceux-ci disparaissent que les jeunes, les retraités, les petits entrepreneurs désertent des hameaux devenus sans âme ? La vérité emprunte certainement à l'un et à l'autre de ces facteurs, mais le constat est là : des territoires chaque année plus importants se retrouvent sans commerce de proximité.
Les premiers à en souffrir sont ceux dont la mobilité n'est pas encore entrée dans la règle judicieuse des vingt minutes citée par Mme Payet, c'est-à-dire les personnes isolées, âgées, et les plus modestes. Ceux-là n'ont pas bénéficié de la profonde restructuration de l'offre commerciale connue par notre pays ces dernières décennies avec le développement de la grande distribution.
Compte tenu de son intérêt pour l'ensemble du territoire rural et urbain, et particulièrement pour l'animation du territoire rural, il était naturel que le Sénat exprime sa préoccupation face à ce phénomène. C'est ce que tous mes collègues ont fait ce soir, monsieur le secrétaire d'Etat, comme vous avez pu en être le témoin attentif, et vous avez vous-même exprimé les préoccupations du Gouvernement à cet égard.
Je tiens à remercier Gérard Le Cam pour la qualité du travail qu'il a accompli, et ce n'est pas là que propos de courtoisie adressé par un président de commission à un rapporteur : ce travail a en effet servi de fondement à un débat riche en commission la semaine dernière, avec quatorze intervenants. Je vous renvoie à cet égard au compte rendu du débat en commission : la discussion ne fut ni escamotée ni engagée de façon superficielle.
Les propositions que Gérard Le Cam avait faites témoignaient d'une prise en compte attentive et scrupuleuse de toutes les difficultés que pouvait soulever le texte de la proposition de loi initiale, en s'efforçant d'y répondre, notamment, je le rappelle, pour éviter un certain nombre d'abus ou pour reprendre certains indus.
Par ailleurs, nos débats en commission ont démontré la nécessité de replacer la problématique du commerce rural et de proximité dans le cadre plus large de la politique d'aménagement du territoire, tant il est vrai que les difficultés auxquelles se heurte l'espace rural sont aujourd'hui très diverses.
Plusieurs d'entre nous l'ont relevé : au-delà du seul commerce, c'est la question des services de proximité, en particulier des services publics, qui doit être posée.
Cher collègue Paul Raoult, j'ai bien noté vos observations sur La Poste. Vous connaissez mon attachement à ce service public. Cependant, ne devrions-nous pas réfléchir demain à la démarche de nos voisins et amis allemands qui ont intégré un certain nombre de points postaux aux commerces de proximité ?
Cette solution permet d'apporter des réponses, de renforcer l'attractivité du commerce de proximité et d'apporter un revenu lié au service public à ceux qui en sont les acteurs.
J'ai bien noté que vous n'étiez pas fermé à cette analyse et à ces propositions. N'en doutons point, dans le cadre de la réflexion que mène notre commission sur la préparation du contrat de plan qui liera La Poste à l'Etat, il nous faudra réfléchir à ces sujets et les aborder, monsieur le secrétaire d'Etat. Dans un pays qui ne sent pas toujours suffisamment les évolutions pour les adapter, il nous faut nous inspirer d'exemples qui parfois ont réussi.
Toutes ces questions, vous le savez, sont portées depuis longtemps par le Sénat.
Je voudrais revenir un instant sur les vingt minutes, chère madame Payet, puisque nous avons abordé ce sujet dès 1994, en préparant avec M. Jean François-Poncet la réflexion sur l'aménagement du territoire.
Quel problème nous étions-nous posé ? Partant d'une observation de la Commission européenne sur la question de savoir quelle distance définissait un principe d'équité de tous les citoyens de la Communauté par rapport à l'accès à des moyens de transport de qualité - trains à grande vitesse ou trains à vitesse accélérée, puisqu'il y a débat entre le Pendolino et d'autres formes de trains à grande vitesse - et au temps mis pour rejoindre une voie rapide ou une voie autoroutière, nous nous étions demandé s'il était possible, dans un monde où la mobilité a changé, que cet objectif des vingt minutes définisse la proximité suffisante pour un service public de qualité, et nous avions abordé ce sujet tant en ce qui concerne le service public postal que d'autres services publics. C'est un sujet que nous devrons approfondir.
Le problème existe, par exemple, dans le domaine hospitalier. Ainsi, sur un territoire comme la Bretagne, de vraies questions se posent à cet égard, notamment.
La réponse de la proximité doit aussi être une réponse de qualité. Or, face au problème de la démographie médicale, nous savons qu'un médecin accoucheur qui réalise moins de deux gestes professionnels par semaine ne peut pas constituer l'équipe qui, dans le domaine néonatal, peut, sur le territoire, apporter des réponses qualitatives équitables à l'ensemble des citoyens. Nous sommes là face à des problèmes qu'il nous faudra aborder de manière responsable et moderne.
Mme Payet a donc soulevé une vraie question, qui se pose d'ailleurs tant sur le territoire métropolitain qu'outre-mer, et à laquelle il nous faudra apporter une réponse.
Il est vrai que les réponses à apporter pour lever ces difficultés nous séparent. Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles la majorité de la commission n'a pas estimé possible d'instituer le dispositif proposé par M. Gérard Le Cam : elles ont été scrupuleusement présentées par M. le rapporteur dans son intervention, ce dont je lui rends hommage.
J'observerai cependant en filigrane de nos échanges qu'apparaissait la problématique entre revenu minimum d'insertion et revenu minimum d'activité. C'est bien l'un des sujets dans lesquels nous devrons sans aucun doute approfondir notre réflexion.
Peut-être notre débat était-il prématuré ou trop circonscrit à une activité économique ou à un type de territoire ?
Quoi qu'il en soit, je souhaite conclure sur une note positive en me tournant vers vous, monsieur le secrétaire d'Etat.
Dans quelques mois, le Parlement sera saisi d'un projet de loi relatif aux affaires rurales. Le titre même de ce texte résume son objet : il s'agira de proposer, dans de nombreux domaines, toute mesure de nature à favoriser le développement, le dynamisme, l'attractivité et l'avenir de nos territoires ruraux.
Sur le plan économique, devraient notamment être examinées des dispositions visant, dans le cadre spécifique de l'espace rural, à faciliter la transmission des entreprises, à soutenir les réseaux de création d'entreprises, ou encore à consolider des coopérations interentreprises.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, dans quelques semaines, le Sénat aura à examiner, d'abord, sans aucun doute dans le cadre d'une commission spéciale, des dispositions très importantes sur l'initiative économique, portant notamment sur la transmission, et, ultérieurement, une ordonnance portant simplification.
Je crois qu'il faudra bien avoir pour préoccupation - et vous l'avez rappelé ce soir - la façon de faire vivre ces commerces dans nos territoires ruraux. En tout cas, après le débat de ce soir, le Sénat sera attentif à cette démarche de vitalité de nos territoires et saura aider le Gouvernement dans cette voie. C'est cela, me semble-t-il, le pragmatisme et le réalisme de notre assemblée. Je suis donc très heureux que nous ayons eu cet échange et ce débat ce soir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Le Cam, rapporteur. Je voudrais tout d'abord remercier Odette Terrade et Paul Raoult pour leur brillante intervention de soutien. Il est parfois agréable de ne pas se sentir seul... (Sourires.)
Mme Danielle Bidard-Reydet. Ça, c'est vrai !
Mme Odette Terrade. Nous étions là !
M. Gérard Le Cam, rapporteur. Si notre assemblée adopte les conclusions négatives de la commission, demain, des milliers de communes devront se résigner à ne plus jamais voir de commerces s'installer en leur sein, ce qui serait dramatique pour l'aménagement de notre territoire. Les commerces sont en effet des lieux de vie, des lieux d'ancrage d'éléments de service public.
On peut donc se demander où est la liberté pour ces communes, sinon celle de ne plus exister en tant que telles !
Dans les communes où il n'y a plus de commerces, il ne serait pas très difficile de choisir quelqu'un parmi les volontaires.
Je constate que les mesures en vigueur, voire celles qui seront contenues dans le projet de loi relatif à l'initiative économique, ne résolvent pas ce problème. Même si vous multipliez le FISAC par deux, par trois ou par dix, même si vous améliorez les conditions de transmission, qui, demain, s'engagera pour tenir un commerce dans une commune rurale de moins de 400 ou 500 habitants, commerce qui, par définition, n'est pas viable, mais qui pourrait le devenir si la pompe était amorcée par le système que j'ai proposé ? La question du fonctionnement n'est pas résolue par les mesures en vigueur, et il faut qu'elle le soit à un moment ou à un autre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez caricaturé, dans votre intervention, l'Etat, qui aurait à désigner les commerçants bénéficiaires de ce dispositif. Mais personne ne songe à affirmer que l'Etat désigne les pauvres sous prétexte que le préfet décide de l'attribution du RMI !
Vous considérez que ce dispositif est particulièrement complexe. Tel n'est pas mon avis. Quand il y a une volonté, il y a un chemin pour la concrétiser. Nous avons notamment consulté les services fiscaux pour nous assurer de la faisabilité de ce dispositif. Même si nous ne prétendions pas tout résoudre avec ce dispositif, et même si des domaines comme la pluriactivité peuvent être un peu plus compliqués, je reste persuadé que notre système était tout à fait applicable.
Demain, il vous faudra expliquer aux petits commerçants qui vont cesser leur activité dans quelques années ou dans quelques mois sans trouver de repreneur, aux maires des petites communes rurales privées de commerces, pourquoi vous avez refusé cette proposition de loi.
Manifestement, le maillon manquant n'a pas encore été trouvé. J'ose espérer, au même titre que M. le président de la commission des affaires économiques, que les textes à venir permettront de trouver une solution pour résoudre ce problème. Pour l'instant, je n'en vois pas.
Le Sénat va maintenant se prononcer. Je reste profondément persuadé que cette proposition de loi aura servi à quelque chose : à engager une réflexion sur un sujet très important dans notre pays et - je l'espère, du moins - à faire avancer des propositions concrètes - elles peuvent être nombreuses et variées - pour que, demain, une vie puisse exister dans nos communes rurales. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions de la commission des affaires économiques tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à M. Robert Del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert Del Picchia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Gérard Le Cam vise à répondre à un objectif séduisant : sauver le commerce, notamment le petit commerce, en zone rurale.
Qui, parmi les sénateurs, refuserait de souscrire à un tel objectif ? Chacun connaît l'intérêt que nous portons à la France rurale, celle des petits bourgs et des villages, comme l'ont très bien expliqué les orateurs qui m'ont précédé, ainsi que M. le président de la commission.
Monsieur Le Cam, certains pourraient s'étonner de votre intérêt pour cette question et vous reprocher d'avoir soutenu un gouvernement, celui de M. Jospin, auquel appartenait Mme Voynet, dont l'attention se portait plutôt vers les zones urbanisées (Exclamations sur les travées du groupe CRC), et dont les projets de loi n'ont pas particulièrement brillé par le nombre de mesures qu'ils contenaient en faveur du commerce de proximité.
Au demeurant, vous avez vu juste et vous avez soulevé un vrai problème,...
M. Bruno Sido. Pour une fois !
M. Robert Del Picchia. ... celui des commerces et des services de proximité.
Toutefois, si nous sommes nombreux à avoir conscience des difficultés que connaît le commerce en zone rurale et de la nécessité d'encourager son maintien, nous estimons que le système envisagé par la présente proposition de loi serait tout à fait inopérant.
En somme, vous apportez une mauvaise réponse à une vraie question, en ce qu'elle vise à mettre en place un dispositif plutôt compliqué, qui risquerait de créer des inégalités.
Oui, nous voulons ardemment promouvoir le maintien des activités commerciales en milieu rural, car il participe à la survie économique de territoires entiers et revêt une fonction sociale d'animation locale.
Non, nous ne voulons pas mettre en place une aide au revenu systématique, qui n'est pas conciliable avec l'esprit d'entreprise, le goût et le sens du commerce. Cette aide entraînerait notamment des distorsions de concurrence et risquerait d'aboutir au soutien de commerces qui végètent au détriment d'un service de proximité et de qualité pour la plus grande satisfaction du client.
M. Paul Raoult. Il n'y en a plus.
M. Robert Del Picchia. Entre l'encouragement et l'assistanat, comme certains pourraient qualifier ce dispositif, il y a une différence qui nous sépare, monsieur Le Cam.
Nous ne voulons pas maintenir le commerce rural sous perfusion. Au contraire, nous voulons lui redonner dynamisme et pugnacité. Et c'est en cela que notre conception diverge vraiment de celle de nos collègues communistes.
Nous avons une ambition forte pour le commerce de proximité, dans le cadre d'une politique d'aménagement équilibré du territoire et de préservation des zones les plus fragiles.
Dans cette perspective, l'aide au soutien des commerces en milieu rural doit passer par une politique plus ciblée et plus adaptée.
La situation est trop grave pour que nous ne nous engagions pas en faveur de dispositifs sur mesure, au plus près des réalités.
Telle est bien, aujourd'hui, notre intention et celle du Gouvernement.
Pour 2003 - M. le secrétaire d'Etat l'a dit, mais il faut le rappeler -, le taux de participation du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce a été porté, pour certaines opérations, de 20 % à 30 %, voire à 40 % et, toujours pour 2003, l'enveloppe consacrée aux opérations en zone rurale pourrait atteindre 13 millions d'euros.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez sans tarder initié une politique déterminée en faveur de la création et de la transmission d'entreprise, ce dont nous ne pouvons que vous féliciter.
Enfin, le Parlement devrait être prochainement saisi de plusieurs textes qui donneront toute sa cohérence à cette politique : je pense au projet de loi sur l'initiative économique, au projet de loi relatif au statut de l'entrepreneur, ou encore au projet de loi relatif aux affaires rurales.
Notre programme de travail de cette année devrait donc nous permettre, mes chers collègues, de prendre des mesures précises et de répondre aux problèmes concrets que posent l'installation et la modernisation de l'outil de production en particulier.
Pour toutes ces raisons, le groupe de l'UMP n'apportera pas son soutien à l'initiative de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je tiens tout d'abord à dire à notre collègue M. Del Picchia que, cette proposition de loi ayant été déposée avant le changement de gouvernement, la remarque qu'il a faite sur notre prétendu changement d'attitude était inopportune.
Je voterai cette proposition de loi, bien que n'étant pas une élue de zone rurale, car je suis, comme tous nos concitoyens, très attachée à la vie des communes rurales, qui, je dois le dire, sont souvent défendues dans cette enceinte.
Cette proposition de loi, qui, je l'espère, poursuivra son avancée, tend en réalité à renforcer le lien social entre les individus, à améliorer la vie de nos communes rurales, qui jouent un rôle si important dans notre pays.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'aide aux toutes petites entreprises que sont les petits commerces de proximité en zone rurale ne s'apparente en aucune façon à une étatisation ou à toute autre formule de ce type.
De toute façon, chacun sait que les pouvoirs publics accordent de nombreuses aides à bien des entreprises. On a évoqué les zones franches, mais, mes chers collègues, ce dispositif est d'une tout autre dimension que l'aide au fonctionnement des petits commerces en zone rurale ! Il faut donc éviter de faire des amalgames.
Au demeurant, j'espère que ce qu'a dit le président Larcher fera son chemin et que nous aurons de nouveau l'occasion d'avoir un tel débat.
Quant à nous, nous continuerons de défendre cette proposition de loi. Nos concitoyens, ceux qui se sentent le plus concernés, pourront se faire leur opinion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions négatives de la commission des affaires économiques, tendant au rejet de la proposition de loi.
(Ces conclusions sont adoptées.)
M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
TEXTE SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Lettre de la Commission européenne du 17 janvier 2003 relative à une demande de dérogation présentée par le Gouvernement allemand conformément à l'article 27, paragraphe 2, de la 6e directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière de TVA.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2187 et distribué.
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président. J'ai reçu de M. Michel Pelchat un rapport, fait au nom de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, sur le projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire (n° 287, 2001-2002).
Le rapport sera imprimé sous le n° 142 et distribué.
ORDRE DU JOUR
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 janvier 2003 :
A neuf heures trente :
1. Discussion du projet de loi (n° 470, 1999-2000) portant ratification de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation.
Rapport (n° 140, 2002-2003) de M. Philippe Richert, fait au nom de la commission des affaires culturelles.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 27 janvier 2003, à dix-sept heures.
A seize heures et, éventuellement, le soir :
2. Discussion du projet de loi (n° 189, 2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.
Rapport (n° 128, 2002-2003) de M. Francis Giraud, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 27 janvier 2003, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 27 janvier 2003, à dix-sept heures.
En outre, à dix-neuf heures trente, M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes, déposera le rapport annuel de la Cour des comptes.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire (n° 287, 2001-2002).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 29 janvier 2003, à dix-sept heures.
Projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages (n° 116, 2002-2003).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 3 février 2003, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 3 février 2003, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD
ERRATUM
au compte rendu intégral de la séance
du 19 décembre 2002
NÉGOCIATION COLLECTIVE
EN MATIÈRE DE LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES
Dans l'intervention de Mme Marie-Claude Beaudeau, page 6117, 1re colonne, dernier alinéa, 3e ligne :
Au lieu de : « M. Christian Paul »,
Lire : « M. Daniel Paul ».
ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
commission consultative du secret
de la défense nationale
En application de l'article 1er de la loi n° 98-567 du 8 janvier 1998, M. le président du Sénat a désigné, le 22 janvier 2003, M. Serge Vinçon en qualité de membre de la commission consultative du secret de la défense nationale.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON
QUESTIONS ORALES
REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT
(Application des articles 76 à 78 du réglement)
Avenir de l'entreprise Aventis
153. - 22 janvier 2003. - Mme Danielle Bidard-Reydet attire l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche quant au devenir de la recherche sur les sciences de la vie en France et plus particulièrement sur l'entreprise Aventis. Le personnel du site de Romainville, suite à l'annonce de la restructuration annoncée le 18 octobre 2002 par la direction, a décidé de proposer un projet alternatif qui permettrait de préserver les compétences, les infrastructures et les emplois. Il permettrait de développer la recherche dans la chaîne du médicament en matière de produits anti-infectieux. Ce projet s'inscrit, par ailleurs, dans les préoccupations de la Commission de Bruxelles. Ce projet vient d'être présenté au comité central d'entreprise. Elle lui demande ce qu'il compte faire pour soutenir ce dossier.
Prévention de l'échec scolaire des enfants précoces
154. - 22 janvier 2003. - M. Alain Gournac attire l'attention de M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire sur la prévention de l'échec scolaire des enfants dits « intellectuellement précoces ». Il n'est pas encore suffisamment su que ces enfants dits « intellectuellement précoces » sont en situation d'échec pour la simple raison que, dès leur scolarisation, leur soif d'apprendre n'a pas été stimulée par un rythme d'apprentissage adapté à leurs potentialités et qu'ils ont fini par s'ennuyer à l'école, voire à la prendre en grippe. Bénéficiant de grandes facilités, ils ne sont pas entraînés à l'effort personnel et, par la même occasion, n'acquièrent pas la discipline et les méthodes de travail sans lesquelles il n'est pas de réussite durable possible. Ces méthodes doivent s'acquérir, dès les premières années, pour permettre à ces enfants intellectuellement précoces de donner toute leur mesure. Ceux-ci représentent de 2,5 à 5 % d'une classe d'âge et appartiennent à tous les milieux, ce qui tend à prouver que la précocité n'est pas un phénomène social ou culturel. Elle existe. C'est un fait. Soyons pragmatiques : 33 % de ces enfants sont en situation d'échec en fin de 3e, 17 % d'entre eux font des études médiocres. C'est un gâchis évident. C'est un principal de collège de son département des Yvelines qui a créé, il y a dix ans exactement, une association aujourd'hui reconnue pour la qualité de son travail sur la question de la précocité. Elle comptait 40 adhérents la première année, elle en compte 3 500 aujourd'hui avec des antennes un peu partout en France. Ce n'est pas bien entendu le signe que le nombre des enfants précoces est en augmentation dans notre pays, mais celui d'une prise de conscience grandissante de la réalité d'un problème. C'est aussi le signe que parler de la précocité est devenu possible dans notre société et que cela le devient aussi dans nos écoles. Aussi, il lui demande ce qu'il envisage de mettre en oeuvre pour permettre une meilleure prise en compte de cette réalité et quels sont ses projets en vue d'une meilleure intégration de ces enfants, il le répète, de toute condition sociale, dans notre système scolaire.
Réglementation relative à la sécurité
des établissements recevant du public
155. - 22 janvier 2003. - M. François Autain appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur les difficultés rencontrées par les maires pour garantir la sécurité dans les établissements recevant du public (ERP). Celle-ci est réglementée par le code de la construction et de l'habitation qui confie au maire le soin de prendre ou non la décision d'ouverture ou de fermeture après avis de la commission de sécurité. Le maire est libre de sa décision et peut, malgré un avis défavorable de la commission, décider l'ouverture d'un nouvel ERP ou maintenir l'ouverture d'un ERP existant. Ce faisant, il engage naturellement sa responsabilité personnelle en cas de dommage. Concernant les ERP appartenant à la commune, cette situation se conçoit parfaitement, alors que pour les autres, elle est contestable. En effet, dans ce cas, le maire ne dispose ni de la compétence requise de mise en oeuvre des mesures légales de sécurité ni de celle du contrôle de l'application de ces mesures, même s'il est membre de la commission compétente. De tels cas de figure tendent à se multiplier, qu'il s'agisse par exemple des écoles, des crèches ou encore des maisons d'accueil pour personnes âgées ou handicapées. En cas d'avis défavorable de la commission, la raison voudrait qu'une décision de fermeture soit prise. Il le laisse cependant imaginer la gravité des conséquences qu'entraînerait une telle décision pour ce type d'établissements. Malgré cela, et pour bien marquer son refus d'assumer des responsabilités qu'il n'a pas les moyens d'exercer, le maire de la commune dont il est l'élu, et qu'il soutient, a fait voter une délibération visant à se conformer strictement et systématiquement aux avis de la commission de sécurité qui concernent les ERP non communaux. Il a en outre invité tous les maires de la communauté urbaine de Nantes à l'imiter. Ainsi, en cas d'avis défavorable de la commission, il prendra des arrêtés de refus d'ouverture de nouveaux ERP ou de fermeture d'ERP existants, et ceci quelle que soit la nature des établissements concernés. Afin de sortir d'une situation juridique inextricable, il lui demande si une réforme de la réglementation ou de la législation est envisagée pour sortir de l'impasse où se trouvent aujourd'hui de nombreux maires, avec toutes les conséquences pénales qui peuvent en découler.
Volet territorial du IVe contrat de plan Etat région
156. - 22 janvier 2003. - M. Georges Mouly appelle l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire sur la complexité des procédures qui ralentissent et handicapent la mise en oeuvre de la politique de « pays » pour ce qui concerne ceux qui, en place bien avant le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 13 décembre 2002, sont à même de voir pris en compte le contenu des conventions d'objectifs. C'est pourquoi il lui demande quelles dispositions immédiates peuvent être prises pour permettre aux acteurs locaux déjà engagés dans une politique de « pays » de poursuivre le développement harmonieux et durable de leurs territoires.
Négociations de l'accord général sur le commerce
et les services
157. - 22 janvier 2003. - M. Thierry Foucaud souhaite interroger M. le ministre délégué au commerce extérieur sur les conditions de déroulement des actuelles négociations relatives à l'accord général sur le commerce et les services. Alors que ce texte se fixe pour objectif la libéralisation de l'ensemble des services, publics ou non, aucune concertation digne de ce nom n'a été menée ni avec la société civile ni avec ses représentants élus. Au niveau communautaire, la Commission européenne a certes invité les citoyens à s'exprimer avant le 10 janvier 2003, mais c'est par le biais d'une consultation publique ouverte sur son site Internet dans un délai très court, avec de surcroît peu d'informations sur le contenu des négociations en cours. Voilà qui en restreint l'impact. Les députés européens n'ont, quant à eux, pas été appelés à voter sur ces questions. Pour ce qui concerne notre pays, « la France défendra une position issue de la plus large concertation avec les parlementaires et les organisations non gouvernementales » avez-vous dit. Pourtant, la position de la France est déjà définie, alors que les parlementaires n'en ont pas débattu. Surtout, les dangers de l'accord général sur le commerce des services justifient un grand débat national, or les délais ne sont pas suffisants pour le mener dans de bonnes conditions. Voilà pourquoi il lui demande quelles mesures il envisage de prendre pour, dans ce cadre, sauvegarder nos services publics, rendre publiques et soumettre au Parlement les propositions de la France avant de poursuivre toute négociation.
Plan de maîtrise des pollutions agricoles
158. - 22 janvier 2003. - M. Adrien Gouteyron attire l'attention M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur la question du plan de maîtrise des pollutions agricoles. Il lui rappelle que les agriculteurs sont conscients de l'importance et de la nécessité de cette politique. Or, aujourd'hui les zonages ont été modifiés depuis le 1er janvier 2003. Pour répondre à la directive européenne de résorption des nitrates, priorité est aujourd'hui donnée aux élevages situés en zones vulnérables et, en dehors de ces zones, à tous les élevages de plus de 90 UGB. Il lui indique, à ce sujet, que beaucoup d'exploitations en zone de montagne n'atteignent pas ce seuil. D'autre part, avec ce retrait des zones non vulnérables, ce sont des régions entières, qui s'étaient engagées dans le PMPOA dès 1994, qui se sentent aujourd'hui mises à l'écart du programme environnemental. Il lui demande donc, d'une part, s'il envisage de mettre en place un financement complémentaire associant modernisation et amélioration environnementale. Il lui demande d'autre part, alors que les zones de montagne furent à la fois les plus respectueuses de l'environnement et les plus pénalisées dans leur mise aux normes, s'il envisage de promouvoir une révision des zonages. En effet, ces zones s'engagent dans des filières de qualité qui nécessitent une grande adaptation des exploitations à ces problèmes agri-environnementaux.