B. LA FRANCE A PRIS UNE PART ACTIVE À LA NÉGOCIATION D'UN STATUT QUE DES PAYS IMPORTANTS ONT FINALEMENT REJETÉ.
1. La position de la France : des positions initialement réservées, une contribution finale constructive
Dans le
passé, la France avait, de façon constante, appuyé le
principe d'une cour criminelle internationale. Elle a d'ailleurs
participé activement à la mise en place des deux tribunaux
internationaux spéciaux pour la Yougoslavie et le Rwanda. Elle a
cependant, tout aussi constamment, souhaité que cette cour pénale
internationale respecte un certain nombre des principes qui guident la bonne
marche de la société internationale. Deux soucis ont en
particulier guidé sa démarche :
que la Cour pénale
internationale ne soit pas en situation d'intervenir négativement sur
des processus de maintien de la paix et de la sécurité
internationale, conduits en particulier par le Conseil de
sécurité
; que la Cour ne soit
pas le lieu où
des Etats viendraient poursuivre leurs différends politiques
ou
militaires ou qui verrait se multiplier des plaintes abusives fondées
sur des arrière-pensées politiques.
On sait que ces préoccupations ont, dans un premier temps, conduit notre
pays à adopter une démarche restrictive, plaidant -aux
côtés des Etats-Unis- pour un "
triple
consentement
" nécessaire pour déclencher la
compétence de la Cour : le consentement -cumulatif- de l'Etat
où les faits ont été commis, de celui de la
nationalité des victimes et de celui de la nationalité des
auteurs présumés.
Les négociations ont permis non seulement à notre pays d'adopter
une attitude plus ouverte sur le sujet mais également de faire
introduire, dans le Statut -qu'il avait souhaité précis et
détaillé-, des dispositions constructives, permettant souvent de
réunir l'accord d'Etats qui, sans cela, auraient refusé le projet
final.
Ces propositions françaises intégrées dans le texte final
concernent essentiellement les points suivants :
- que le
Statut soit suffisamment précis
pour éviter que
les juges -comme c'est le cas pour les deux tribunaux
ad hoc
- soient
conduits à " créer " le droit et la procédure
applicables au fur et à mesure et qu'ils se limitent à son
interprétation ;
- que la
compétence matérielle de la Cour se limite à
un " noyau dur " de crimes internationaux
-génocide,
crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crime d'agression- en
écartant les crimes que certaines délégations souhaitaient
voir introduire comme le terrorisme ou le trafic de drogue
2(
*
)
,
- que les infractions soient clairement définies, en faisant
explicitement figurer l'exigence de l'
intentionnalité de la
commission du crime
. Aussi a-t-on écarté du Statut, notamment
pour les crimes de guerre, toute idée de responsabilité
pénale pour " omission ", " négligence
coupable " ou encore " non assistance à personne en
danger ",
- que
l'ordre judiciaire interne
garde la responsabilité
première dans la lutte contre les crimes les plus graves en instaurant
une
complémentarité
entre cet ordre judiciaire et la Cour
pénale internationale,
- qu'une instance judiciaire collégiale -
la chambre
préliminaire
- permette un contrôle juridique des actes du
Procureur pendant la phase d'instruction permettant notamment que la
confirmation des charges, revêtant un caractère contradictoire, se
tienne avant le procès et permette d'éviter un acte d'accusation
infondé ;
- qu'en cas de
non coopération
, la Cour soit amenée
à saisir soit le Conseil de sécurité, soit
l'Assemblée des Etats parties, à l'exclusion de
l'Assemblée générale des Nations Unies, idée
suggérée par certaines délégations, afin
d'éviter tout risque de politisation ;
- que les
victimes
se voient reconnaître un droit
spécifique de participation à la procédure et puissent
bénéficier d'un mécanisme de compensation et que les
témoins
menacés ou traumatisés
bénéficient d'un régime de protection.
Enfin, lors de la phase ultime de négociation, la France a soumis des
propositions qui ont permis de faire avancer certaines dispositions :
-
l'autosaisine du Procureur
pour ouvrir une enquête et instruire,
que la France ne proposait pas initialement, a été finalement
acquise en contrepartie de la création de la
chambre
préliminaire chargée de donner son accord
,
préalablement à l'ouverture d'une enquête par le Procureur.
Soucieux en effet d'éviter le risque de saisines
" fantaisistes " ou purement politiques, le Statut a prévu que
cette
Chambre préliminaire,
composée de plusieurs
magistrats, examinerait
le bien fondé des informations transmises au
procureur
avant d'autoriser ce dernier à ouvrir une enquête,
- le
rôle du Conseil de sécurité
dans le maintien de
la paix et de la sécurité internationale, ne devait pas, pour la
France, se trouver compromis. C'est dans ce souci qu'a été
adoptée, sur la proposition de Singapour, la disposition selon laquelle
le Conseil de sécurité pourrait explicitement demander à
la Cour, pour une durée de 12 mois renouvelable, de ne pas
enquêter sur une affaire relevant du chapitre VII de la Charte,
- s'agissant des cas de
refus de coopération
avec la Cour
pénale internationale, la France était opposée à
leur principe mais elle avait deux préoccupations : le
problème de questions liées à la défense nationale
et les demandes de remise d'un ressortissant français à la Cour.
Sur le premier point, le Statut fait droit (article 72) au souci de la France
protéger les informations liées à la
sécurité nationale.
Sur le second point, la France a estimé, au vu des dispositions
relatives à la
complémentarité
entre les ordres
judiciaires nationaux et la Cour pénale internationale qu'elles
revêtaient un caractère suffisamment protecteur, permettant ainsi
de ne pas opposer aux demandes de la Cour l'application de la loi
française sur l'extradition;
- sur le grave sujet des
crimes de guerre
3(
*
)
, la France a fait observer qu'ils
pouvaient relever d'actes isolés -au contraire des crimes contre
l'humanité ou de génocide. Notre pays souhaitait également
s'assurer que les dispositions inspirées du Protocole I aux Conventions
de Genève
4(
*
)
-qu'il n'a
pas signé- n'étaient pas contraires à notre doctrine
d'utilisation de l'arme nucléaire.
Deux règles protectrices ont alors été acceptées
par la France :
- Tout d'abord, la définition, par le Statut, des crimes de guerre,
s'inscrit " dans le cadre établi du droit international ", ce
qui couvre le droit de légitime défense et les actions
entreprises sous l'égide du Conseil de sécurité. En second
lieu, le Statut précise que la Cour a compétence "
en
particulier lorsque les crimes [de guerre] s'inscrivent dans un plan ou une
politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues
commis sur une grande échelle ".
C'est
donc au vu de l'ensemble de ces éléments introduits en
cours de négociation
que la France a renoncé à
l'exigence du "
triple consentement
" nécessaire pour
impliquer la compétence de la Cour en ne proposant, par l'article
124
5(
*
)
du Statut qu'un
système de
consentement provisoirement limité à la
compétence de la Cour pour les crimes de guerre
.