2. Audition de M. Thierry de MONTBRIAL, Membre de l'Institut, Directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI) (le 10 février 1999).
Tout
d'abord, j'évoquerai les principes fondamentaux de la justice. Nous
savons depuis Montesquieu qu'il y a trois branches du Gouvernement et que ces
trois branches, dans une vraie démocratie, doivent être en
principe séparées. Il s'agit de la branche exécutive, de
la branche législative et de la branche judiciaire. La
réalité de cette séparation varie considérablement
d'un pays à un autre.
Les Etats-Unis sont probablement l'Etat où la séparation est
poussée le plus loin. Michel Debré dénonçait le
Gouvernement des juges. Il est sûr et certain qu'il n'y pas un pays au
monde où l'on soit plus proche du Gouvernement des juges que les
Etats-Unis. Les neuf juges de la Cour suprême sont nommés.
Naturellement, leur nomination passe par le processus habituel de la
confirmation devant le Sénat. Ils ont un pouvoir absolument
extraordinaire puisqu'ils ont même le pouvoir de changer la Constitution
américaine, ce qui n'arrive pas fréquemment, contrairement
à la Constitution française qui non seulement change mais se
toilette.
Aux Etats-Unis, nous savons bien que les procédures d'amendement
constitutionnel sont complexes et rarissimes. L'instance la plus
créatrice des droits constitutionnels est la Cour suprême. C'est
la raison pour laquelle j'insiste et espère que vous verrez
bientôt apparaître la cohérence de mon discours. Si vous
poussez un cran plus loin, ce qui fonde l'identité américaine
c'est sa Constitution, l'élément le plus symbolique de
l'unité américaine. Si l'on cherchait ce qui fonde le plus
l'unité française, on dirait que c'est la langue, mais pas la
Constitution. Aux Etats-Unis, personne ne vous dira que c'est l'anglais.
D'ailleurs, aucun texte ne précise que la langue anglaise est la langue
officielle du Gouvernement américain.
Mais revenons à la séparation des pouvoirs. Si l'on
s'interroge sur le cas de la France, il y a beaucoup à dire. La
séparation est beaucoup moins nette qu'aux Etats-Unis en particulier
entre l'exécutif et le judiciaire. Cela fait partie des grands
débats de société à l'heure actuelle.
Interrogeons-nous sur la notion d'indépendance judiciaire aux
Etats-Unis. Cette indépendance est extrême. Nous l'avons vu
récemment à propos de l'affaire Levinsky entre le
président Clinton et le juge Starr. Ce dernier a pu, sans que personne
ne le conteste sur le plan juridique, pousser incroyablement loin la vision
extrême, voire ayatollesque de sa mission. Ceci a suscité toute
une série de remous politiques et une action juridique est
engagée actuellement contre le juge Starr sur un point précis. Ce
juge, nommé, et qui n'a jamais été élu, a
réussi à troubler la vie politique américaine d'une
manière extraordinaire, simplement parce que, pour des raisons
liées au Watergate, les Américains en créant une
juridiction supplémentaire encore plus indépendante que les
autres, se sont trouvés pris à leur propre piège. Il est
même possible que cette fonction de procureur spécial soit
supprimée car, à partir du moment où cette fonction
existait, il était normal que le juge Starr pousse les investigations
à un stade qui, vu de l'extérieur, paraissait ridicule.
Qu'est-ce qui fait que dans un pays comme les Etats-Unis cette
séparation extrême ne soulève pas le type de
problèmes que cela soulèverait chez nous ? Pour les
Américains, la démocratie française paraît peu
démocratique. La réponse à cette question est que le
système de l'indépendance judiciaire se situe dans un cadre de
légitimité, notion clé de l'interprétation des
phénomènes politiques. Le Général de Gaulle
distinguait la légalité et la légitimité.
Assassiner quelqu'un est toujours illégal mais, dans certains cas, cela
peut être légitime.
La légitimité est quelque chose de très important et
l'indépendance judiciaire est totalement légitime au yeux des
Américains, tandis que dans un pays comme la France
l'indépendance judiciaire n'est que très partiellement
légitime. Dès que les juges commencent à vouloir
manifester leur indépendance, immédiatement, une partie de
l'opinion réagit contre ses excès. On a vu en Italie des
phénomènes comparables.
Ceci dit en préambule, je voudrais maintenant me poser avec vous la
question d'une justice pénale internationale indépendante. La
question se présente de la manière suivante à mes yeux.
Jusqu'à quel point peut-on avoir une justice pénale
indépendante en l'absence d'un système de
légitimité internationale ?
Madame et Messieurs, je voudrais donner aux mots leur valeur exacte. On parle
de communauté internationale, mais il n'y a pas de communauté
internationale. Entre les expressions " communauté
internationale " et " société internationale "
traduites de l'allemand, la communauté,
Gemeinschaft
et la
société,
Gesellschaft
, le sociologue Max Weber a
établi une distinction.
Le lien unissant les individus membres d'une
communauté
est
essentiellement d'ordre affectif. Selon Max Weber, dans un sens très
large, le lien qui unit les individus au sein d'une
société
se situe essentiellement au niveau des
intérêts. Les deux notions peuvent se chevaucher. Une
communauté n'est pas toujours une communauté pure. Il y a
toujours des intérêts que s'y mêlent. Réciproquement,
une société n'est jamais une société pure. Il y a
toujours des liens affectifs qui se créent quand une
société se développe.
Une entreprise économique est fondamentalement une
société. Le droit commercial utilise exactement ce mot-là.
Il n'empêche qu'il peut y avoir une élément affectif et ces
dernières décennies s'est beaucoup développée la
notion de culture-entreprise qui traduit bien l'existence d'un
élément affectif. Une église, par exemple, en tant que
groupe humain n'est pas exempte d'intérêt matériel. Par
conséquent, il y a dans les communautés également des
éléments d'intérêt sonnants et trébuchants.
Cette distinction est tout de même très utile et le prototype de
communauté au niveau du système international est
évidemment l'Etat-Nation (cf. la définition célèbre
de Renan en 1882 dans sa conférence à la Sorbonne
" Qu'est-ce qu'une nation ? "). Une nation c'est
fondamentalement un groupe humain dont les liens sont affectifs et ces liens
affectifs se manifestent dans des conditions exceptionnelles. Les
Français sont des Gaulois, ils sont parfois divisés mais, devant
des circonstances graves, ils se retrouvent. Les membres d'une nation sont
liés par un lien affectif. On parle également de nation
artificielle. C'était le cas de l'Union soviétique,
composée d'un groupe de nations réunies de manière plus ou
moins forcée qui ne partageaient pas cet élément affectif.
C'est la même chose pour l'ex-Yougoslavie, etc...
La notion de communauté est une notion fondamentale. La
communauté internationale n'existe pas. Le genre humain est une
" catégorie philosophique " mais en aucune manière une
catégorie politique. Il existe une société internationale.
Il existe des relations interétatiques, des relations transnationales.
Les entreprises multinationales ou mondiales opèrent sur des
théâtres d'opérations qui sont des théâtres
à l'échelle mondiale. Mais, il n'existe pas de communauté
internationale répondant à la définition de Max Weber.
La notion de " village mondial " vient d'un Canadien
visionnaire : Marshall Mac Luhan, l'un des précurseurs des
multimédias. Il a introduit cette notion en 1964. Cette expression est
frappante mais fausse. Malgré Internet, aujourd'hui, il ne faut pas
confondre le fait que les personnes intéressées et qui partagent
certaines préoccupations en commun peuvent correspondre à travers
la planète, avec l'existence d'une communauté au sens
précis que je tentais de définir à l'instant. Vous avez
même de bons esprits qui disent qu'Internet aboutit à une forme de
tribalisation. Les tribus réunies par internet sont dispersées
géographiquement, mais les Chinois d'outre-mer peuvent correspondre avec
les Chinois de Chine continentale dispersés dans le monde entier. On
peut dire que cela dépend beaucoup des communautés. Ce n'est pas
pour autant que l'on peut dire qu'il existe un village mondial. Il faut faire
extrêmement attention aux termes. Les relations transnationales se
développent énormément. La notion de frontière n'a
plus le même sens qu'auparavant. Ceci est indéniable. Mais il
n'existe pas pour autant de communauté internationale. Il existe une
société internationale.
Le système de l'ONU est une réalisation extrêmement
imparfaite de ce que pourrait être le Gouvernement mondial futur le jour
où, précisément, un sentiment d'appartenance à une
communauté sera développé à l'échelle
planétaire. Je ne sais si ce jour viendra, mais ce qui est sûr
c'est que ce n'est pas le cas aujourd'hui. Le système juridique de l'ONU
est en réalité une réalisation très pâle de
ce que pourrait être un Gouvernement futur et nous savons parfaitement
qu'au Conseil de sécurité, par exemple, avec ses membres
permanents et son système de pouvoirs, qui remonte aux lendemains de la
seconde guerre mondiale, les décisions se prennent par d'âpres
marchandages.
En ce qui concerne le Kosovo, pour prendre l'actualité la plus
récente, nous voyons bien que les éventuelles décisions
d'intervention se prennent, comme dans le cas de l'Irak, en contournant le
système de l'ONU.
Est-il concevable qu'une véritable justice internationale
indépendante se développe alors qu'il n'existe pas de
communauté internationale dans le sens précis que j'ai
donné à ce terme ? Là est la vraie question et c'est
ainsi qu'elle doit être posée.
Je reconnais que la réponse n'est pas facile. Il faut tenir compte de
l'interpénétration des influences de l'information, des
émotions.... Ce n'est pas parce que tout le monde se trouve
temporairement horrifié par des images qu'il y a un sentiment stable de
communauté.
S'agissant de la Cour pénale internationale, les difficultés se
sont manifestées tout de suite. De grands Etats comme les Etats-Unis,
Israël et la Chine n'ont pas signé le texte constitutif parce
qu'ils ont craint les inconvénients d'une dérive d'une justice
qui se prétendrait " internationale ", terme qui n'a pas de
sens du point de vue de la légitimité. Ces inconvénients
leur paraissaient l'emporter sur les avantages de la création de la CPI.
On a cherché à définir avec précision ce
qu'était un génocide, ce qu'était un crime contre
l'humanité et à les distinguer du crime de guerre. J'ai lu les
définitions en long, en large et en travers : elles ne sont pas
très claires.
Qu'est-ce qu'un massacre à grande échelle ? A propos de
l'affaire de Racak au Kosovo, qui a fait 45 victimes, il y a eu des
controverses, vite réglées, sur la question de savoir si
c'était les Serbes qui l'avaient commis. Plus personne ne met en doute
les auteurs du massacre en question.
Les plus éminentes sommités internationales ont
immédiatement parlé de crime contre l'humanité. Autant je
suis horrifié par le massacre en question et par d'autres horreurs dans
cette région du monde, autant je considère que si, sous le coup
de l'émotion, on classe des crimes de ce genre dans des
catégories qui ne sont pas appropriées, on va vers des risques de
détournement.
Un autre exemple : M. Robert Badinter m'avait demandé de tirer les
conclusions d'un colloque qu'il organisait sur les droits de l'homme à
Strasbourg le jour même où la Chambre des Lords rendait son
premier arrêt levant l'immunité du général Pinochet.
Quoiqu'on en pense, et au risque d'être impopulaire, j'ai dit que les
faits qui lui étaient reprochés ne tombaient pas dans la
catégorie des crimes contre l'humanité ou du génocide tels
que définis dans le cadre de la Cour pénale internationale.
Un certain nombre d'associations aux Etats-Unis considèrent que
M. Kissinger est un criminel contre l'humanité et le rendent
responsable de l'affaire des Khmers rouges. Le Président Mitterrand
aurait pu également être mis en cause pour le génocide au
Rwanda où la France a une certaine responsabilité dans le
massacre des Tutsis.
Dans un scénario virtuel, on pourrait imaginer qu'un ancien
président de la République française en voyage quelque
part soit arrêté parce que des processus se seraient mis en
mouvement pour l'accuser de crime contre l'humanité. La question est
posée dans le rapport Quilès. Le seul fait qu'elle le soit est
déjà un point.
Cela étant, je crois que cette CPI va dans le sens de l'histoire et
l'idée de créer une forme de menace permanente sur les criminels
contre l'humanité est fondamentalement liée à une
idée de progrès. Mon malaise tient, comme souvent dans ces
cas-là, au niveau extrême de difficulté que présente
son application. Mais s'arrêter sur ce risque pour justifier
l'immobilisme et la
real-politik
pure me paraît injustifiable.
Mon dernier mot sera pour revenir à l'Europe.
Autant je crois qu'il n'existe pas de communauté internationale au sens
précis du terme, autant commence à exister une
" communauté européenne ". Nous avons abandonné
l'expression de Communauté européenne pour adopter celle d'Union
européenne alors que cette dernière devient une vraie
communauté. Dans vingt ou trente ans, ce sentiment d'appartenance
à un ensemble et l'émergence d'une sorte de souveraineté
européenne, pas seulement sur le papier, sera possible. Le fait d'en
parler en est le signe. Que l'espace européen devienne une zone
homogène, une unité au niveau juridique et judiciaire, me
paraît dans la nature des choses avec la création véritable
d'une communauté, l'espace de légitimité commun allant de
pair.
Par conséquent, il faut anticiper le jour où l'ex-Yougoslavie
deviendra une partie de l'Union européenne. On considère d'ores
et déjà normal de s'ingérer dans des affaires qui, sur le
plan strictement juridique, sont des affaires intérieures d'un pays, le
Kosovo faisant partie sur le plan juridique de l'Etat serbe.
Dans ces notions de société, communauté,
légitimité, légalité, il y a des imbrications
très subtiles et des chevauchements d'échelles de temps dont il
faut tenir compte.
Merci, Monsieur le Président, de votre patience.
M. le Président
- Ma patience est largement partagée par
les commissaires. Je tiens à vous remercier car c'est un exposé
très intéressant.
M. André Dulait
- Merci, Monsieur de Montbrial, de cette approche
quelquefois iconoclaste des choses. Nous ne pouvons que remarquer la
cohérence de votre distinguo entre communauté internationale et
société internationale : communauté d'ordre affectif
et réunion d'intérêts. Je ne peux qu'approuver le fait
qu'avant 1945 ce qui rassemblait effectivement les nations c'était la
Société des Nations qui avait marqué la communauté
d'intérêts et qui a été remplacée par
l'Organisation des Nations unies, à la fois plus large mais aussi plus
vague.
Je m'arrêterai à deux questions un peu plus précises et
spécifiques :
1° Un sentiment que nous sommes un certain nombre à partager : des
pays sont parties à des opérations de maintien de la paix et
interviennent sur un certain nombre de territoires. L'existence de la CPI
n'est-elle pas de nature à ralentir les bonnes volontés sachant
que dans de telles missions diplomatiques on interdit aux militaires de porter
les armes ou d'intervenir quand les belligérants sont à quelques
kilomètres d'eux. ? Cela n'est-il pas de nature à les condamner
pour non-assistance à personnes en danger ?
2° Il est prévu dans le règlement de la CPI une
imprescribilité des crimes. Celle-ci n'est-elle pas de nature
également à ralentir la réconciliation nationale ?
Lorsqu'il y a eu un conflit entraînant un génocide ou de grands
drames comme en Afrique du Sud, le fait de ne pas pouvoir faire
réconcilier les parties prenantes n'est-il pas de nature à faire
durer un conflit larvé ? Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. Christian de la Malène
- Je vous remercie, Monsieur de
Montbrial. Je reste un peu sur ma faim. Nous avons deux entités en
quelque sorte. D'un côté, le droit, très concret, qui exige
des définitions extrêmement précises puisqu'elles mettent
en cause la vie des hommes et, d'autre part, les notions de communauté
et de société internationales d'intérêts, notions
très vagues à propos desquelles M. de Montbrial a d'ailleurs,
pour échapper à la difficulté de les distinguer, fait
allusion au déterminisme et, au sens de l'histoire.
Pour le moment, nous voulons un droit pénal qui met en cause la
liberté et la vie des hommes. Au nom de quoi ? Au nom de quelque chose
qui n'existe pas encore, mais qui existera peut-être demain, ce que
chacun souhaite.
M. de Montbrial a fait remarquer que cette notion de communauté existait
un peu plus en Europe. Je ferai quelques réserves. Cette Europe
communautaire est incapable de définir sa politique au Kosovo
contrairement aux Américains.
M. le Président
- Les Etats-Unis n'ont pas signé l'accord
qui a eu lieu à Rome. Ne pensez-vous pas que l'absence d'une aussi
grande puissance va peser sur la CPI ? Car, si j'ai bien compris, l'une des
raisons de cette abstention est qu'ils ne veulent pas se trouvé
engagés à faire juger les militaires américains par
d'autres que par eux-mêmes, ce que je trouve tout à fait
respectable.
La France a initialement émis beaucoup de réserves sur cette CPI.
Qu'en pensez-vous ?
Que devient le Conseil de sécurité ? Comment voyez-vous le lien
entre un pays comme la France, membre du Conseil de sécurité, et
le rôle essentiel qu'a joué le Conseil de sécurité
jusqu'à présent ?
M. de Montbrial
- Face à des questions aussi difficiles, vous
l'avez constaté, je ne peux apporter toutes les réponses. Je ne
me place pas en militant, mais j'essaie de comprendre et d'analyser.
Tout d'abord, je répondrai sur la première question de M. Dulait
liée à celle que vient de poser M. de Villepin.
En effet, ce genre de considération a dominé dans les
premières réactions françaises qui étaient des
réactions de conservation et d'indignation. Le ministre de la
Défense, Alain Richard, a eu une réaction d'indignation qui
l'honore face à certaines mises en cause de soldats français et
il a fait son devoir en les protégeant.
Il y a dans tout cela des aspects dialectiques. Malgré tout, la
manière qu'a eu la France d'intervenir en Afrique ces cinquante
dernières années depuis la décolonisation a toujours
manqué de transparence. Le rapport Quilès recommande d'ailleurs
de clarifier les conditions d'engagement de nos forces à
l'extérieur.
Le droit est à la fois précis et imprécis, Monsieur de la
Malène. Tout consiste à utiliser de manière vague des
notions précises. Guy de Lacharrière, juge à la Cour
internationale de justice, a écrit un livre : " La politique
juridique extérieure" qui montre comment le droit international
était utilisé comme un instrument de la politique parmi d'autres.
Aujourd'hui, chacun sait que l'on ne déclare plus la guerre, et pourtant
il y a autant de guerres qu'auparavant, le degré de bellicosité
n'ayant pas diminué. La façon dont les engagements militaires se
font est obscure. Qui prend les décisions entre le président de
la République, le Premier ministre, tel ou tel ministre, les conseillers
de X. ou ceux de Y, les services de renseignements, etc ? Je ne fais que
mentionner les questions soulevées par les parlementaires du rapport de
la commission Quilès.
Que l'on soit amené à clarifier un certain nombre de choses sous
une pression internationale ne me choque nullement. Si l'on se
réfère effectivement aux grands principes de la
démocratie, il faut reconnaître que, s'agissant de la France de la
Vè République, les conditions de nos interventions à
l'extérieur ne répondent pas à l'idée que l'on peut
se faire d'une démocratie. Aux Etats-Unis, le président Clinton
va devoir se battre devant le Congrès pour envoyer 4000 hommes au Kosovo.
Je suis d'accord, Monsieur de la Malène, avec l'esprit de votre remarque
concernant la notion d'avenir prévisible. Toutes les interventions dans
lesquelles l'Europe sera susceptible de s'engager doivent se faire dans un
cadre collectif. Je n'imagine pas la France intervenant seule en Algérie
aujourd'hui. L'Afrique du Nord, pour nous Français et Européens,
est aussi importante pour notre sécurité que l'ex-Yougoslavie, et
même plus à certains égards. Ces questions devraient
être pensées en termes beaucoup plus européens que
bilatéraux. Pour que ce genre de chose puisse se faire, un cadre de
légalité et de légitimité strict est
nécessaire.
A partir du moment où des coopérations internationales
renforcées et des coopérations militaires doivent avoir lieu dans
un cadre beaucoup plus international, des zones d'ombre doivent
disparaître. Bien clarifier les règles du jeu et les règles
militaires des différents pays pour éviter les excès ne me
paraît pas catastrophique.
Concernant l'imprescribilité et la réconciliation, une question
fondamentale se pose à propos des Khmers rouges à l'heure
actuelle : à quel moment les règles du jeu ont-elles
été établies ? Je ne suis pas sûr que le
jugement de Pol Pot, s'il avait survécu, ou de Khieu Samphan
compromettrait la réconciliation nationale. Au tribunal pour
l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, voir les " seconds
couteaux " arrêtés alors que les " premiers
couteaux " bénéficient d'une impunité de fait n'est
pas très satisfaisant.
Monsieur de Villepin, les Etats-Unis bafouent toute notion de droit
international. Ils se comportent comme une puissance impériale ou
néo-impériale. Ils n'acceptent pas l'idée d'un cadre
international restrictif quel qu'il soit. Cela est dommageable.
A la réunion de Munich, le secrétaire d'Etat William Cohen a
défendu le fait qu'il n'était pas nécessaire d'avoir un
mandat de l'ONU pour intervenir. Selon quels critères ? Nous
agissons dans l'esprit de la charte des Etats-Unis. Je lui demandé
quelle était sa politique vis à vis des Nations-Unies.
Naturellement, il a fait une réponse très vague. Mais le fond du
problème est là.
Je voudrais dire, pour terminer, que notre intérêt en tant que
Français est de jouer astucieusement et en finesse la carte des
institutions internationales et notamment celle du système de l'ONU. Le
temps où le Général de Gaulle pouvait parler de
" machin " nous paraît éloigné. Nous sommes
devenus, qu'on le veuille ou non, et ce terme avait beaucoup été
reproché à M. Giscard d'Estaing, une puissance moyenne. C'est une
des raisons pour laquelle nous voulions faire l'Europe. Une seule façon
de défendre nos intérêts et des points de vue qui se
distinguent de la puissance dominante est de le faire à travers un
système de droit international qui, aussi fragile qu'il soit, existe et
présente quelques éléments prometteurs.
Les Etats-Unis se comportent d'une manière unilatérale et leur
ignorance systématique du droit international est dangereuse et
déstabilisante. Nous ne pouvons régler notre conduite par
imitation de ce qu'ils font car leur position dans le système
international n'a rien à voir avec la nôtre.
M. le Président
- Monsieur de Montbrial, nous vous remercions
pour cette intéressante contribution.