OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
Le
Statut de la Cour pénale internationale dont votre rapporteur a
tenté de décrire -hors le domaine strict de la procédure
pénale- certaines dispositions ayant une incidence potentielle sur la
sécurité internationale ou la souveraineté des Etats,
présente trois caractéristiques principales.
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Il s'agit en premier lieu d'un texte plutôt
équilibré
.
Les positions initiales parfois contradictoires de certaines
délégations ont pu progressivement se rapprocher au cours de la
négociation, conduisant à des solutions de compromis auxquelles
la France a activement contribué. Ainsi le texte traduit-il un
équilibre, assez satisfaisant, entre l'autonomie de la CPI d'une
part, et les responsabilités majeures du Conseil de
sécurité, d'autre part :
la logique judiciaire et la
logique politique internationale ne sont pas et ne doivent pas être
nécessairement antagonistes. Leur coopération peut être un
gage de progrès pour la paix comme pour la justice.
De même, sur un plan juridique, le texte traduit une volonté
d'
équilibre entre les tenants du droit anglo-saxon et ceux du droit
romain.
Il ne s'agit pas là d'une querelle théorique de
doctrines mais bien de la façon dont la Cour, concrètement,
s'appuiera sur un cadre réglementaire
sui generis
qui, en
mêlant les procédures et les pratiques pénales de l'une et
l'autre école, évitera les difficultés parfois
rencontrées par les deux tribunaux internationaux
ad hoc.
Ainsi
la CPI fait-elle une place aux droits des victimes, au dialogue constant entre
le Procureur et la Chambre préliminaire, à une définition
précise des crimes relevant de sa compétence... Certains de ces
éléments permettront une justice sereine, à l'abri des
dérives qui pourraient naître de préoccupations politiques
ou extrajudiciaires et qui décrédibiliseraient l'institution
nouvelle.
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Il s'agit cependant, en second lieu, d'un texte à compléter
et à conforter.
A compléter tout d'abord puisque beaucoup reste à faire avant de
disposer d'un cadre normatif parfaitement opérationnel. C'est l'objet
des négociations en cours, engagées dès cette année
sur le règlement de procédure et de preuves destiné
à préciser -sans les modifier- les règles de base
adoptées à Rome ; des négociations sur les
" éléments constitutifs des crimes " seront
également conduites pour donner aux juges des outils
d'interprétation et d'application des articles du Statut
définissant les crimes relevant de la compétence de la Cour .
Ces deux négociations sont importantes : des Etats non signataires
du Statut y participent, notamment les Etats-Unis, et le risque existe de voir
dériver les acquis du Statut au travers de dispositions, additionnelles
ou modificatives, qui pourraient être adoptées dans ces deux
documents. L'équilibre obtenu sur ces points est suffisamment subtil
pour ne pas risquer d'en bouleverser l'économie par ce qui
apparaîtrait comme une réouverture de la négociation. C'est
en tout cas l'un des soucis des négociateurs français.
Un texte ensuite à
conforter sur le plan politique
afin que le
plus grand nombre possible d'Etats, aujourd'hui réticents ou hostiles,
rejoignent, à terme, en signant puis ratifiant le Statut de Rome, la
future Cour pénale. L'hostilité des Etats-Unis, de la Chine, de
l'Inde et d'Israël mais aussi la non-signature, à ce jour, du
Statut de la Cour par des pays comme la Russie, la Turquie, le Mexique ou de
nombreux Etats arabes, si elles obéissent à des motifs d'ampleur
et de nature différentes, n'en fragilisent pas moins, à tous
points de vue, le fonctionnement et la crédibilité futurs de la
Cour.
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Il s'agit, enfin et surtout, d'un texte nécessaire.
Le siècle qui s'achève a été -et reste- le cadre
d'atrocités qui ont suscité, auprès des opinions et des
gouvernements démocratiques, un sentiment de révolte,
succédant à ce qui avait trop longtemps pu apparaître comme
une résignation impuissante.
Après les précédents de Nuremberg et de Tokyo, la
création récente des deux tribunaux pénaux internationaux
pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a constitué un nouveau signal
adressé par la communauté internationale à ceux qui
entendaient perpétrer les forfaits les plus graves en se
prévalant d'alibis ethniques ou hégémoniques dans le cadre
de systèmes dictatoriaux qui les plaçaient déjà en
marge des valeurs fondatrices de la société internationale.
La création de la CPI ne mettra sans doute pas, à elle seule, un
terme à ces tragédies humanitaires dont l'actualité
immédiate témoigne à quel point leur prévention est
difficile. Elle démontre cependant une volonté partagée de
mettre fin à l'impunité choquante de leurs auteurs. Pour cette
seule raison cette Cour pénale internationale constituera un
progrès important.