3. La question de la compétence conditionnelle et différée de la Cour pénale internationale à l'égard des crimes de guerre
Les
crimes de guerre figurent, à l'article 5 du Statut, avec le crime de
génocide, les crimes contre l'humanité et le crime d'agression,
parmi les actes qui relèveront de la compétence de la Cour
pénale internationale.
L'article 8 en propose une définition particulièrement
détaillée, structurée en quatre grandes
catégories :
Les deux premières catégories couvrent les
conflits
armés internationaux
et sont en grande partie fondés sur les
principes établis par le droit international, qu'il s'agisse des quatre
conventions de Genève du 12 août 1949 ou de la convention de
La Haye limitant les méthodes à utiliser dans la conduite d'un
conflit.
Les deux autres catégories de crimes de guerre concernent les
conflits armés non internationaux
"
à l'exclusion
des situations de tensions internes et de troubles intérieurs comme les
émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres
actes analogues ".
Les crimes de guerre retenus dans ce cadre
relèvent des violations graves de l'article 3 commun aux quatre
conventions de Genève (visant à protéger les personnes ne
participant pas directement aux hostilités) et des violations du
Protocole n° 2 aux conventions de Genève de 1949 qui protège
les victimes des conflits non internationaux.
Le premier paragraphe de l'article 8 du Statut précise par ailleurs que
la Cour a compétence à l'égard des crimes de guerre,
"
en particulier lorsque ces crimes s'inscrivent dans un plan ou dans
une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues
commis sur une grande échelle ".
Cette dernière disposition, présentée par les Etats-Unis
et soutenue par la France, permet de ne retenir des crimes de guerre entrant
dans la compétence de la Cour essentiellement ceux qui -à
l'instar du génocide ou des crimes contre l'humanité- sont commis
massivement selon un plan préétabli. Il reste que tout acte
isolé de cette nature pourrait faire l'objet d'une plainte. Cette
distinction entre le crime de guerre et les deux autres catégories de
crimes est lourde de conséquence, notamment quant au nombre et à
la nature des plaintes qui pourraient aboutir à la Cour.
Il y avait là, pour la France, un risque particulier de
détournement de la Cour à des fins autres que judiciaires et
qu'elle a voulu écarter en insérant une disposition
particulière, figurant à l'article 124 du Statut.
Comme le ministère des Affaires étrangères l'a
indiqué en réponse à une question de votre
rapporteur ; "
Les pays fortement engagés sur des
théâtres extérieurs, notamment dans le cadre
d'opérations humanitaires ou de maintien de la paix, dont la France,
souhaitaient éviter que les dispositions relatives aux crimes de guerre
puissent aisément faire l'objet de plaintes abusives, sans fondement,
teintées d'arrière- pensées politiques et dont le seul
objet serait d'embarrasser publiquement pendant quelques mois le pays
concerné voire le Conseil de sécurité
lui-même. "
Que dit l'article 124 du Statut ? Il permet en fait à un Etat
partie de récuser, pour une période de 7 années, par
une déclaration spécifique, la compétence de la Cour
pénale internationale pour des crimes de guerre commis sur son
territoire ou par ses ressortissants. Cette disposition sera
réexaminée, avec d'autres, lors d'une conférence de
révision, qui sera convoquée 7 ans après
l'entrée en vigueur du Statut.
Cette disposition -et le fait que la France a officiellement indiqué
qu'elle y aurait recours-, a suscité l'étonnement et de
nombreuses critiques. Peut-être convient-il de préciser les
raisons qui ont guidé la démarche française.
Nombreux sont ceux, notamment parmi les organisations non gouvernementales, qui
critiquent le sens et même le bien-fondé de la position de la
France sur cette disposition. Plusieurs arguments motivent leur attitude :
- En prévoyant la
priorité aux juridictions nationales
pour juger les auteurs des crimes de guerre, le Statut évite que la Cour
pénale internationale enquête et instruise d'emblée un
dossier qui s'avérerait
in fine
dépourvu de contenu. La
France ne chercherait évidemment pas, estiment-ils, à soustraire
à sa propre justice un soldat convaincu d'avoir commis un tel
acte ; de ce fait, concluent-ils, la préoccupation française
n'est pas justifiée.
- Quand bien même une telle affaire aboutirait devant la Cour
pénale internationale, la
chambre préliminaire
,
instituée à la demande de la France et chargée d'examiner
le bien-fondé des charges avant d'autoriser le procureur à
initier des poursuites constitue un garde-fou crédible contre toute
dérive.
- Enfin, estiment-ils, la France, en se prévalant d'une telle
disposition -assimilable à une " réserve " que le
Statut par ailleurs exclut explicitement de son dispositif-, apparaît
soucieuse de couvrir des crimes graves qui pourraient être commis par des
forces et
ternir ainsi son image dans le monde
.
La France ne conteste pas que les dispositions protectrices du Statut sont de
nature à éviter les dérives " politiques " que
pourraient receler certaines plaintes. On peut rappeler également
à cet égard que l'article 28 relatif à la
responsabilité des chefs militaires ne retient leur
responsabilité en cas de crimes de guerre commis par leurs
subordonnés que s'ils
connaissaient
leur comportement et avaient
sur eux un
contrôle effectif
. Ainsi ont été
écartées les notions de responsabilité pénale pour
omission, négligence coupable ou non assistance à personne en
danger, qui dans certaines circonstances -forces de maintien de la paix non
habilitées à recourir à la force sauf en cas de
légitime défense- auraient rendu impossible, illégale et
périlleuse la mission dont elles sont chargées.
En réalité, la démarche française s'appuie sur un
principe de prudence. Elle fait valoir qu'une plainte abusivement
déposée contre un ou des militaires participant à des
opérations de maintien de la paix pourrait, en dépit de
l'inexistence de charges, faire l'objet d'une vaste
exploitation
médiatique qui aurait des incidences dommageables graves sur le
déroulement de la mission elle-même
. Comme le rappelait M.
Hubert Védrine
19(
*
)
:
"
N'oublions pas (...) les polémiques qui ont mis en cause, ces
dernières années, de façon souvent contestable et sans
tenir compte du contexte, les nombreuses opérations de maintien de la
paix, en particulier des Nations Unies. Or ces opérations sont
indispensables et de plus en plus difficiles. De moins en moins de pays veulent
en assumer les risques. Il ne faut pas aggraver cette tendance. "
La France a donc estimé que pour cette catégorie de crimes de
guerre -couvrant la possibilité d'actes isolés et donc ouvrant de
très nombreuses potentialités de plaintes-, il convenait qu'une
période
d'observation
de sept ans soit mise à
profit pour apprécier justement le fonctionnement des garanties
protectrices mises en place. Pendant cette période, la France pourra
intervenir, notamment lors de l'Assemblée annuelle des Etats parties,
pour mettre en lumière tel ou tel dysfonctionnement.
Enfin, l'insertion de cette disposition dans le Statut a sans doute permis le
ralliement au texte de nombreux pays
qui, sans cela, en écartant
leur participation à la future Cour, auraient ainsi contribué
à réduire sa crédibilité.
*
* *