2. Les difficultés liées à la coopération des Etats
L'expérience des tribunaux spéciaux a
démontré les difficultés que pouvait comporter la
coopération des Etats à leur action judiciaire. Le tribunal
pénal pour la Yougoslavie se heurte fréquemment à la
non-coopération des pays de l'ex-Yougoslavie dans l'arrestation ou la
remise de criminels résidant sur son territoire. Si la Croatie a
finalement intégré, dans sa législation nationale, les
dispositions nécessaires pour lui permettre cette coopération
avec le Tribunal de La Haye et procédé à la remise de
criminels au TPY, la question demeure ouverte pour ce qui est des
" entités " qui composent la Bosnie-Herzégovine
singulièrement pour la République serbe de Bosnie qui se refuse
à apporter une quelconque assistance au tribunal pour l'arrestation des
personnes poursuivies -et non des moindres- sensées résider sur
son territoire.
De même, les règles concernant le
rôle de la force
multinationale
IFOR-SFOR déployée en Bosnie, sur cet aspect
des accords de Dayton -poursuite et arrestation de criminels- ne sont pas
très précises. Les accords ne lui ont pas explicitement
confié une mission de police judiciaire. Les résolutions du
Conseil de sécurité et les accords prévoient simplement
que la Force doit prendre toute mesure pour assurer la coopération des
Parties avec le TPY. Cela n'exclut pas la contribution à des
opérations d'arrestation, le Conseil de l'Atlantique Nord ayant
autorisé de telles opérations lorsque "
la situation
opérationnelle sur le terrain le permet
". Les Etats-Unis, la
Grande-Bretagne et, plus récemment, la France -après une
période où sa " réticence " était parfois
montrée du doigt- ont participé, militairement, à
l'arrestation de telle ou telle personne recherchée par le Tribunal
pénal international. Ainsi s'établit, progressivement, et au cas
par cas, une assistance du Conseil de sécurité, au travers de ces
forces, aux missions du Tribunal d'où, cependant,
une part importante
d'appréciation d'opportunité politique, diplomatique et militaire
n'est pas absente et qui peut, ici ou là, entrer en contradiction avec
le travail purement judiciaire du procureur.
L'arrestation est d'ailleurs d'autant plus indispensable pour le bon
déroulement de la justice internationale que la culture de
common
law
qui inspire largement les règlements de procédure a
exclu des statuts
des tribunaux spéciaux, comme de celui de la
CPI, la
possibilité de jugement " par contumace ",
soit
en l'absence de l'accusé. Le fait de ne pas arrêter
l'accusé aboutit donc
de facto
à prolonger son
impunité, chose évidemment inacceptable.
Surtout,
cette coopération des Etats
, requise par les statuts des
deux tribunaux pénaux spéciaux comme par celui de la Cour
pénale internationale,
n'est qu'une obligation formelle
:
aucune véritable sanction n'est prévue pour contrer un refus
éventuel opposé par un Etat à une demande de la Cour
pénale internationale. L'article 87, § 7, précise ainsi
seulement que "
si un Etat Partie n'accède pas à une
demande de coopération de la Cour (...) et l'empêche ainsi
d'exercer les fonctions et les pouvoirs que lui confère le
présent Statut, la Cour peut en prendre acte et en référer
à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de
Sécurité lorsque c'est celui-ci qui l'a saisie ".
Un Etat réticent à coopérer avec la Cour, en dépit
de l'obligation qui lui est faite par le Statut, a-t-il beaucoup à
craindre d'une " prise d'acte " de ce refus par la Cour et de sa
transmission par celle-ci à l'Assemblée des Etats Parties au
Traité ? On peut en douter, le Statut ne prévoyant pas de
doter l'Assemblée des Parties de pouvoirs particuliers de coercition
à l'égard d'un tel Etat.
Il en irait différemment dans l'hypothèse où, le Conseil
de Sécurité ayant saisi la Cour, celui-ci serait avisé
d'un refus de coopération. Le Conseil pourrait alors -agissant en vertu
du Chapitre VII de la Charte- recourir à des
formules plus
contraignantes et plus efficaces
, à l'instar de ce qui lui est
possible de faire dans le cas d'un refus de coopération avec l'un ou
l'autre des deux tribunaux spéciaux.
Pourtant le Statut de la Cour pénale internationale limite la
faculté de refus par un Etat de coopérer avec elle. Un premier
tempérament à l'obligation de coopérer inscrit au Statut
concerne la prise en compte, par l'Etat sollicité, du risque de
divulgation
d'informations touchant à sa sécurité
nationale.
(Voir D. infra).
Par ailleurs, l'article 98 du Statut, relatif à la coopération
"
en relation avec la renonciation à l'immunité et le
consentement à la remise "
d'une personne recherchée,
peut constituer une
seconde exception à cette obligation de
coopérer
. Cet article, en son premier alinéa, précise
que : "
La Cour ne peut présenter une demande d'assistance
qui contraindrait l'Etat requis à agir de façon incompatible avec
les obligations qui lui incombent en droit international en matière
d'immunité des Etats ou d'immunité diplomatique d'une personne ou
de biens d'un Etat tiers, à moins d'obtenir au préalable la
coopération de cet Etat tiers en vue de la levée de
l'immunité ".
Cette disposition est à mettre en relation avec l'article 27 du Statut
qui précise que "
la qualité officielle de Chef d'Etat ou
de Gouvernement de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de
représentant élu ou d'agent d'un Etat n'exonère en aucun
cas de la responsabilité pénale au regard du présent
statut (...) ".
Ainsi, un
Etat A
, partie au Statut de la Cour pénale
internationale sur le territoire duquel résiderait un
chef d'Etat B
ou ancien chef de cet Etat se prévalant de l'immunité
liée à son ancienne fonction -recherché par la Cour
pénale internationale pour des crimes relevant de sa compétence,
pourrait -si l'Etat B n'est pas partie au statut et à condition qu'il
ait passé avec l'Etat A un
accord bilatéral spécifique
sur ce point- refuser de coopérer avec la Cour et, en d'autres
termes, ne pas répondre à sa demande d'arrestation et de remise.
Dans une telle situation
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*
)
et
lorsque la Cour pénale internationale sera en vigueur, il faudra que
l'Etat A et l'Etat B soient tous deux parties au Statut pour qu'une telle
demande, émanant de la Cour pénale internationale, puisse
être satisfaite. En effet, les Etats parties au Statut doivent notamment
intégrer, dans leur législation nationale, le renoncement au
principe de l'immunité de responsables gouvernementaux prévu
à l'article 27 précité. Dans le cas contraire -si l'Etat A
est seul partie au Statut, il ne pourrait pas, sauf à contrevenir
à la règle de l'immunité, "
de façon
incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit
international
" satisfaire la demande de la Cour.