2. Le pouvoir de suspension, par le Conseil de sécurité, des enquêtes et poursuites conduites par la Cour pénale internationale
L'article 16 du statut de la Cour octroie au Conseil de
sécurité la faculté de
demander à la Cour de
surseoir aux enquêtes ou aux poursuites qu'elle a engagées
ou
qu'elle mène
" pendant les douze mois qui suivent la date
à laquelle
(il)
a fait une demande en ce sens à la Cour
dans une résolution adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte
des Nations unies ".
L'article précise enfin que
" la
demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes
conditions ".
Cette disposition a suscité de
nombreux commentaires critiques
.
Certains ont ainsi déploré qu'un rôle aussi
déterminant soit conféré au Conseil de
sécurité sur le fonctionnement de la Cour alors même que
d'aucuns, au cours de la négociation, souhaitaient
précisément " déconnecter " le plus possible la
nouvelle juridiction de cette instance politique et interétatique
suprême.
Il convient de resituer cette disposition dans le cadre plus
général des responsabilités particulières
reconnues, par les Etats parties à l'ONU, au Conseil de
Sécurité en cas de menace contre la paix. C'est dans ce
contexte de menace contre la paix
(chapitre VII) que le Conseil de
sécurité pourrait être conduit à formuler à
la Cour pénale internationale une
demande de suspension de ses
enquêtes ou de ses poursuites
. On peut en effet imaginer des
situations où la saisine de la Cour pénale internationale, par un
Etat, d'agissements commis par un autre Etat risquerait de créer une
situation conflictuelle pouvant déboucher sur une guerre. Dans ce cas,
d'ailleurs,
en l'absence même de la disposition incriminée
figurant au Statut
, le Conseil de sécurité pourrait fort bien
agir pour faire en sorte que
la Cour pénale internationale n'engage
pas de poursuites
, compte tenu des compétences que lui
reconnaît le chapitre VII de la Charte.
" Supposons une situation
dans laquelle, à la demande d'un Etat arabe, des poursuites seraient
engagées contre Israël, ou inversement, et où ces poursuites
risqueraient réellement de provoquer une nouvelle guerre au
Moyen-Orient, est-ce que le Conseil de sécurité n'aurait pas
compétence pour suspendre ces poursuites ? Je crois que oui, et
indépendamment de la clause insérée dans la
convention "
15(
*
)
.
La reconnaissance de cette compétence du Conseil de
sécurité par le statut de la Cour ne créerait donc pas une
prérogative nouvelle au profit du Conseil : elle ne ferait que
rappeler une situation de droit existante.
En second lieu,
la procédure à suivre au sein du Conseil
-l'adoption d'une résolution comportant la demande de sursis à
enquêtes ou à poursuites- est, comme l'a relevé M. Bettati
devant votre commission,
plutôt favorable à la Cour
. Il
suffirait en effet qu'un seul des cinq membres permanents recoure à son
droit de veto
pour que la demande elle-même, ou son
renouvellement, ne soit pas adoptée et que la Cour puisse ainsi
poursuivre son travail.
Ainsi, tant la procédure retenue que les compétences
générales reconnues par la Charte au Conseil de
sécurité concourent à faire de cette disposition l'une des
traductions de
l'équilibre complexe
, que le Statut tend à
établir tout au long de son dispositif,
entre la primauté
reconnue aux Etats et la responsabilité du Conseil de
sécurité,
d'une part, et la possibilité, d'autre part,
pour la Cour de
dépasser la logique politique et de
souveraineté des Etats qui régit la société
internationale.