LES CONCLUSIONS DE VOTRE DÉLÉGATION
Votre
délégation n'a naturellement pas l'ambition, à l'issue
d'un séjour d'une semaine sur place, de présenter des conclusions
définitives sur l'évolution de la situation au Mexique et sur ses
relations -qui doivent se développer- avec la France et l'Union
européenne. Cela d'autant moins que cette
situation est
particulièrement évolutive
et peut connaître des
transformations rapides. Cela est vrai dans le
domaine économique et
financier
où les conséquences de la crise internationale,
renforcée en janvier par la forte dévaluation de la monnaie
brésilienne, apportent de sérieux facteurs d'incertitudes. Cela
est vrai aussi dans le
domaine politique
où le relatif effacement
du PRI ouvre les perspectives les plus incertaines en prévision des
élections présidentielles prévues à
l'été 2000.
Il reste que le
programme
particulièrement dense et
exceptionnellement intéressant
qui a été
élaboré à l'intention de votre délégation
par ses hôtes mexicains -et, en premier lieu, par le sénateur Eloy
Cantu- lui a sans doute permis de prendre la mesure la plus exacte possible,
dans un temps aussi bref, des
réalités et des
diversités mexicaines
.
C'est dans ce contexte que les membres
de votre délégation formuleront, au terme de l'analyse qui
précède et en guise de conclusion, les cinq observations
d'ensemble suivantes.
1.
Le Mexique, terre de contrastes
Le Mexique
est d'abord apparu à votre délégation comme
une
terre de contrastes. A Mexico,
où elle a pu s'entretenir avec
les plus hautes autorités fédérales -à commencer
par le Président Zedillo- puis, à
Monterrey,
où
elle a approché un Mexique moderne et industrialisé, et enfin
dans le
Chiapas
où elle a pu nouer des contacts variés
dans un des Etats les moins développés de la
Fédération mexicaine, les membres de la commission ont
approché
trois
Mexique
différents : le Nord
moderne et proche des Etats-Unis, qui s'efforce de tirer le pays vers un
développement durable ;
le
Sud
traditionnel et peu
développé, qui se trouve de surcroît confronté, dans
certains Etats, à des mouvements insurrectionnels ; et
le centre
du Mexique,
autour de Mexico, qui préserve l'unité de ce
grand pays de quelque 100 millions d'habitants tout en favorisant son
développement et son intégration dans l'économie mondiale.
Le vieux pays qu'est
le Mexique,
héritier d'une longue histoire
et de cultures exceptionnelles, apparaît ainsi comme constamment
tiraillé
entre poids du passé et appel du futur.
Dans
cette dialectique permanente, le Mexique voit sans cesse
réapparaître le passé qui souligne sa
spécificité, au point que Octavio Paz pouvait, non sans raison,
écrire que son pays est condamné à être
" un
pôle excentré par rapport à l'Occident ".
Il est
en même temps l'objet d'un appel, impossible à différer,
vers le futur ; le Mexique avance résolument sur cette voie
grâce à l'action des forces économiques, favorisées
par la proximité des Etats-Unis, et grâce à la
maturité politique accrue du pays.
Mexico doit donc sans cesse oeuvrer à maintenir les liens qui unissent
un pays moderne et soucieux de s'intégrer dans un monde globalisé
à un Mexique plus traditionnel, soucieux de préserver, dans sa
culture et son esprit, sa spécificité et son identité.
2. Un développement économique soutenu, mais inégal et
fragilisé par des faiblesses structurelles et l'impact de la crise
internationale
La situation économique du Mexique reflète incontestablement
d'importantes
inégalités de développement,
qui
rejettent une proportion élevée de la population en dessous du
seuil de
pauvreté.
Elles vont de pair avec de profondes
inégalités de revenus,
10 % de la population
détenant plus de 40 % des revenus, et réciproquement. Elles
s'accompagnent enfin par le
poids élevé de l'économie
informelle,
qui drainerait, selon certaines estimations, près de 40
% de la population active et représenterait plus de 30 % du PIB
mexicain.
L'économie mexicaine connaît néanmoins un
développement
et
une croissance substantiels.
Après avoir remarquablement surmonté -avec l'aide
internationale et, en premier lieu, américaine- " l'effet
tequila " en 1994-1995 et bénéficié de
l'entrée en vigueur de l'ALENA -qui a favorisé un essor
considérable de son commerce extérieur- le Mexique est parvenu
à maintenir
un taux de croissance relativement soutenu
dans un
contexte de crise internationale. Avec plus de 4,5 % en 1998, le Mexique arrive
en tête de la croissance en Amérique latine,
où de
nombreux pays ont connu un brutal freinage.
En dépit de ces bons résultats,
la crise internationale a
ravivé les faiblesses structurelles de l'économie mexicaine
-notamment en matière fiscale et dans le domaine du système
financier- malgré les efforts accomplis par le gouvernement Zedillo
à travers notamment des politiques budgétaire et monétaire
restrictives. Même s'il est encore trop tôt pour tirer toutes les
conséquences de la dernière crise brésilienne sur
l'économie mexicaine, il est clair que ses effets risquent de
créer des difficultés nouvelles.
Il reste que la
considérable dépendance économique du
Mexique par rapport aux Etats-Unis
(87 % des exportations et 75 % des
importations) a joué jusqu'ici, compte tenu de la conjoncture
américaine, un rôle " d'amortisseur " très
précieux pour le Mexique. C'est dire aussi que tout retournement de la
conjoncture aux Etats-Unis aurait des incidences majeures pour
l'évolution de l'économie mexicaine.
3. Un processus de démocratisation et de modernisation des
institutions aux conséquences encore incertaines
Dans le domaine de la politique intérieure, la
modernisation des
institutions
mexicaines, amorcée par l'ancien Président
Salinas, a été poursuivie et approfondie par l'actuel
Président Zedillo depuis son entrée en fonction en
décembre 1994, malgré les critiques des secteurs conservateurs du
PRI opposés à ce processus de démocratisation.
Cette démarche a été notamment illustrée par
l'importante réforme électorale adoptée en août
1996, tandis que le Président Zedillo faisait de la lutte contre la
violence et la corruption l'une de ses principales priorités (loi sur la
sécurité publique, création d'une police
fédérale, lutte contre le narcotrafic...).
Les
élections du 6 juillet 1997
ont sans nul doute marqué
une
étape majeure
dans le processus de
démocratisation
du pays. Elles ont en effet mis fin à l'inébranlable
majorité du PRI, au pouvoir depuis 1929, à la Chambre des
députés, tandis que M. Cuauhtemoc Cardenas (PRD) remportait une
victoire emblématique au poste de gouverneur de la mairie de Mexico. Le
président et le gouvernement mexicains doivent ainsi désormais
composer avec le Congrès. Des observateurs attentifs de la vie politique
mexicaine estiment, à tort ou à raison, que ce 6 juillet 1997 est
appelé à constituer une date historique dans la vie politique du
Mexique qui, en 180 ans d'indépendance, n'a connu que de très
brèves périodes de vie véritablement et
complètement démocratique.
Les
conséquences
de ce processus de modernisation et de
démocratisation demeurent cependant
encore incertaines.
C'est ainsi que les
prochaines élections présidentielles
-qui constituent la prochaine échéance politique majeure-
apparaissent
extrêmement ouvertes
et particulièrement
incertaines. Certes, le PRI est sur une pente électorale
déclinante et devrait rompre, malgré certaines
ambiguïtés, avec la procédure traditionnelle (le
" dedazo ") de désignation de son successeur par le
Président en exercice. Certes, l'
opposition s'est renforcée
et M. Cardenas, le maire de Mexico, apparaît une nouvelle fois comme
le candidat naturel du PRD- malgré la candidature possible de l'autre
fondateur du parti, M. Munoz Ledo. Pour autant, l'opposition semble
désunie
-sinon pour assurer un fonctionnement des institutions
plus démocratique. On assiste souvent, en particulier sur les questions
économiques et sociales, à une alliance entre le PRI et le PAN
-même si certains envisagent un accord PAN-PRD-. Il va, par ailleurs, de
soi que le PRI, après soixante-dix ans d'exercice ininterrompu de toutes
les responsabilités, conserve des positions extrêmement fortes,
à tous les niveaux, ainsi que l'illustrent notamment ses
résultats récents à des élections partielles.
Enfin, même si les prétendants sont encore nombreux, il semble que
l'actuel ministre de l'Intérieur, M. Labastida Ochoa -qui a reçu
votre délégation- pourrait être le candidat du PRI à
la succession du Président Zedillo.
La prochaine compétition électorale s'annonce donc plus ouverte
que jamais. Mais, au-delà de cette échéance, un autre
enjeu majeur de la démocratisation des institutions mexicaines
réside aussi dans la capacité du pays à
maîtriser
les phénomènes de violence
qui assaillent le Mexique sous ses
diverses formes : criminalité et délinquance quotidiennes
-qui créent un climat d'insécurité croissant-, commerce de
la drogue et activités du
narcotrafic,
et bien sûr
violences politiques provoquées notamment dans certains Etats par des
mouvements de guérillas.
4. L'apaisement relatif de la situation au Chiapas ne doit pas dissimuler des
tensions persistantes et l'enlisement du dialogue
Dans ce contexte, le
conflit du Chiapas
-depuis l'insurrection
armée du 1
er
janvier 1994- revêt, ne serait-ce qu'en
raison de sa dimension médiatique, une signification politique et
symbolique toute particulière.
En souhaitant se rendre sur place, votre délégation n'avait
d'autre souci que de
parvenir à une meilleure compréhension
d'une situation locale particulièrement complexe, difficile à
appréhender, souvent présentée de manière
excessive. Son seul message était ainsi de manifester son
intérêt pour la situation dans cette région et de
transmettre le souhait de la France
d'encourager les efforts de dialogue, au
demeurant prôné par le gouvernement mexicain mais actuellement
enlisé.
Dans cet esprit, les
autorités mexicaines
ont fait preuve devant
votre délégation d'un
optimisme prudent
quant aux
résultats de leurs efforts au Chiapas. Le gouvernement mexicain, parfois
accusé d'avoir longtemps négligé le développement
de cet Etat économiquement marginalisé, s'est donné les
moyens d'une gestion active de la crise :
- des
effectifs militaires substantiels
ont été
déployés dans la région alors que, dans le même
temps,
l'EZLN
(armée zapatiste de libération nationale)
paraît relativement affaiblie ; ses " combattants " ne
sont évalués qu'à quelque 500 personnes et ses
sympathisants à quelques dizaines de milliers de personnes.
Les zapatistes bénéficient d'un certain appui de l'
Eglise
catholique locale ; les églises évangéliques
exercent à l'inverse une influence anti-zapatiste importante ;
et, si l'EZLN compte sur la sympathie active de
nombreuses ONG
européennes ou américaines, le gouvernement mexicain expulse
périodiquement des militants de ces organisations -sur la base de
l'article 33 de la Constitution mexicaine qui interdit aux ressortissants
étrangers de s'immiscer dans les questions politiques intérieures
du Mexique ;
- sur le
plan économique et social
, le Président Zedillo
s'est rendu à de nombreuses reprises dans le Chiapas, notamment pour
mettre en place des
programmes d'urgence
et à la suite, en
particulier, des graves inondations qui ont frappé en 1998 cet
Etat ; le gouvernement mexicain s'efforce plus généralement
de prendre en compte les besoins matériels d'une population
marginalisée en développant de nombreuses actions, allant de
l'ouverture d'écoles à la création de dispensaires, tandis
que l'armée elle-même vient en aide aux populations ;
- enfin, dans le domaine proprement
politique,
les autorités
mexicaines affirment constamment
leur volonté de dialogue ;
mais ce dialogue est aujourd'hui dans l'impasse. De fait, la seule instance
potentielle
de dialogue est aujourd'hui constituée de la
"
COCOPA "
(commission parlementaire de conciliation et de
pacification) qui s'est réunie en novembre 1998 -sans aboutir à
aucun résultat concret.
L'émergence d'une solution durable reste -aux yeux des membres de votre
délégation- difficile et suppose l'apaisement de
tensions
persistantes qui demeurent fortes :
- il y faut, sans aucun doute,
la reprise du dialogue,
voulu par Mexico
mais pour l'essentiel interrompu depuis janvier 1997, alors que l'EZLN a
tenté de reprendre l'initiative en organisant le 21 mars 1999, une
consultation référendaire sur la reconnaissance des droits du
peuple indigène ; le Pape lui-même, lors de sa
dernière visite au Mexique en janvier dernier, a appelé à
une solution pacifique et à la reconnaissance des droits
indigènes ; mais la question se pose aujourd'hui de savoir si une
solution pourra être mise en place avant les
prochaines
élections présidentielles
ou si l'EZLN
préférera attendre la mise en place d'une nouvelle équipe
à la tête de l'Etat ;
- en tout état de cause, le
massacre d'Acteal
en décembre
1997 et l'enquête du Procureur général de la
République à laquelle il a donné lieu (Livre blanc de
1998) sont venus confirmer
l'exacerbation des tensions,
l'armement des
groupes paramilitaires hostiles aux zapatistes, et la faiblesse des
institutions policières et judiciaires. C'est dire que la
réduction, apparemment réelle, de l'influence de l'EZLN ne
signifie pas que les très vives tensions, sociales et institutionnelles,
qui ont favorisé son apparition sont pour autant
résorbées.
5. Un Mexique désireux de s'appuyer sur la France pour approfondir
ses relations et libéraliser ses échanges avec l'Union
européenne
La visite de votre délégation au Mexique s'inscrivait
directement, sur le
plan bilatéral,
dans la suite de la visite
d'Etat du Président de la République en novembre dernier qui
-tous nos interlocuteurs l'ont souligné- a donné
un nouvel
essor aux relations franco-mexicaines
. La mission de notre commission s'est
ainsi efforcée de prolonger les effets, de dresser un premier bilan
à la fois politique et économique, des retombées de cette
visite et, chaque fois que possible, d'assurer le suivi des engagements pris.
Tous nos contacts, multiples et chaleureux, avec les autorités
mexicaines ont confirmé la volonté de ces dernières de
prolonger dans tous les domaines -y compris au niveau des échanges
interparlementaires- le renouveau des relations bilatérales
entre
les deux pays et de bâtir un
partenariat franco-mexicain plus solide
et plus dense.
Cela est vrai sur le plan politique. Cela est vrai, bien sûr, dans le
domaine culturel où les relations bilatérales sont profondes et
anciennes et où le modèle intellectuel français continue
à bénéficier d'un réel prestige. Cela est vrai
encore sur le plan économique, les entreprises françaises
étant bien représentées au Mexique, même si notre
part de marché
(1,2 % en 1997) reste
très en
deçà des possibilités respectives des deux pays.
C'est
dans cet esprit que votre délégation souhaite vivement
l'abandon des récentes augmentations de droits de douane mexicains
touchant nos intérêts et une ratification rapide de
l'accord de protection réciproque des investissements
signé le 12 novembre dernier. Il faut enfin rappeler que de
nombreuses opportunités restent à saisir sur le vaste
marché mexicain où d'importantes privatisations restent encore
à réaliser.
Plus généralement, il n'est pas abusif de considérer que
la France peut être le partenaire privilégié du Mexique
au sein de l'Europe, tandis que le Mexique,
pour échapper au moins
partiellement à l'omniprésence américaine et diversifier
ses partenaires,
cherche à s'appuyer sur la France pour approfondir
et libéraliser ses échanges avec l'Union européenne.
C'est ainsi que le Mexique se montre particulièrement actif dans la
préparation du sommet de Rio
des 28 et 29 juin prochain -à
l'origine duquel se trouve la France. Notre pays, pour sa part, souhaite
également contribuer à la réussite de cette rencontre dont
il souligne
la portée politique,
en particulier pour renforcer le
dialogue et la coopération entre l'Europe et l'Amérique latine.
Le Mexique en attend des
résultats concrets
et vise avant tout,
à travers le développement de sa relation avec l'Union
européenne, une
libéralisation des échanges
-malgré, encore une fois, le signal négatif donné
récemment par des relèvements de droits de douanes. Nouvelle
puissance industrielle, le Mexique ambitionne de devenir le
point
d'articulation
entre le nord et le sud des Amériques, mais aussi
entre l'Amérique latine et l'Europe.
C'est dire aussi
l'importance qu'il attache aux négociations commerciales engagées
en novembre dernier avec l'Union européenne.
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