2. Intervention de M. Roland CARRAZ, député de Côte-d'Or, président du groupe d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale
M.
Roland CARRAZ
. - Monsieur le Président et chers collègues, je
n'ai dans ces fonctions ni votre ancienneté ni votre expérience.
Je m'exprimerai donc avec beaucoup de modestie et, vous me le pardonnerez, une
certaine forme de naïveté.
Il s'agit de réfléchir au problème qui est devant nous,
c'est-à-dire la mise à niveau de notre système
général de traitement de protection et de distribution de l'eau,
mise à niveau par rapport aux exigences qui sont d'abord celles des
usagers et ensuite, celles de la communauté européenne.
Nous avons reçu à l'Assemblée nationale, au mois de mai,
M. David Grant LAWRENCE, chef de l'unité protection des eaux de la DG
XI, qui est venu nous expliquer où en était la réflexion
de la Commission européenne et qui nous a fait part de sa très
grande attention aux observations soulevées par la France, mais aussi de
sa très forte détermination.
Il nous faut donc répondre à cette double attente. Les usagers
sont exigeants et ils ont raison. On ne peut pas dire aujourd'hui que l'eau qui
leur est livrée, quoique dans des conditions totalement inégales
régionalement, réponde totalement à leurs
préoccupations, tant sur le plan de la qualité qu'au niveau du
prix. Et je ne parle pas évidemment d'un dossier particulièrement
délicat, qui est celui de l'intelligibilité de la facturation. Je
pense qu'il nous faudra beaucoup avancer dans ce sens.
Je crois qu'il faut poser des questions simples : disposons-nous actuellement
des outils institutionnels, financiers, fiscaux, législatifs, permettant
de répondre à ces défis considérables.
Il ne faut pas rejeter par avance une modernisation de la fiscalité et
en particulier le concept de fiscalité écologique qui est
désormais un outil nouveau à notre disposition.
Si la mise en oeuvre de la TGAP, et en particulier l'intégration dans la
TGAP à partir de l'an 2000 des diverses redevances perçues par
les agences de l'eau était en définitive l'équivalent d'un
recul, si elle était signe de disparition des agences, de renoncement
à la gestion par bassin, de réduction de l'efficacité de
nos politiques en termes de coût, de qualité et
d'efficacité, si d'une certaine manière la mise en oeuvre de la
TGAP correspondait à la caricature dressée par M. Brice LALONDE,
alors bien évidemment je serais le premier à vous dire qu'il ne
faut pas intégrer dans la TGAP à partir de l'an 2000 les
redevances sur l'eau.
M. Brice LALONDE
. - Très bien, bravo !
M. Roland CARRAZ
. - Il faut avoir un aspect pratique. Moi je suis, dans
cette affaire, habité par une démarche extrêmement
pragmatique. Je pose, en l'état actuel des choses, des questions afin
que les réserves légitimes que nous pouvons nourrir trouvent des
réponses et elles pourront les trouver si on aborde clairement la
question sans passion et sans polémique.
Je tiens à ce que soit garantie la gestion par bassin, qui a fait la
preuve de son efficacité depuis qu'elle fonctionne, qui a d'ailleurs
été reprise au niveau européen. Je pense que la France
commettrait une erreur historique en renonçant à ce qu'elle a
elle-même inventé. C'est une notion, je pense, fondamentale.
Je demande bien évidemment le maintien des agences, le maintien de leur
autonomie et de leur partenariat. Les agences sont de bons outils au service de
la politique de l'eau, personne ne pense le contraire. Pour ma part, j'ai eu la
possibilité, grâce à mon agence, de mettre en place
à partir de 1982 un contrat de protection de nappes phréatiques.
L'agence, bien que ce contrat ne rentre pas a priori dans ses critères
de financement, en a parfaitement compris l'intérêt et nous a
soutenus financièrement de façon importante. Il faut maintenir la
souplesse, le caractère d'adaptabilité et le pragmatisme de nos
agences.
Troisièmement, s'ouvre un débat sur les garanties et sur la
pérennisation de la ressource en cas de fiscalisation de cette
ressource. Je crois que c'est le point sur lequel le Gouvernement devra
apporter des arguments parfaitement affûtés, aiguisés et
crédibles. Le problème dans cette affaire, c'est beaucoup moins
le ministère de l'Environnement que celui des Finances. Ce que nous
pouvons redouter, c'est une érosion normale, naturelle, de la
redistribution et de la péréquation par des mécanismes que
nous connaissons bien mis en oeuvre de manière quasiment
mécanique à Bercy. On pourrait prendre beaucoup d'exemples, qui
sont tous de mauvais augure s'agissant de l'avenir de la TGAP.
Prenons par exemple le fonds de péréquation de la taxe
professionnelle. Nous savons bien que, au bout du compte, les communes ne
retrouvent pas la totalité de la compensation. Jadis, l'Agence nationale
pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) percevait une taxe additionnelle
au droit de bail, qui est aujourd'hui compensée sous la forme d'une
subvention, et on constate que les sommes perçues sous forme de
subvention sont de très loin inférieures aux encaissements de la
TADB.
C'est là le point crucial de la négociation et de la discussion.
Et c'est pourquoi, pour ma part, parce que le groupe d'études sur l'eau
de l'Assemblée nationale, comme celui du Sénat, n'est pas
là pour exprimer en son nom des positions, mais pour éclairer ses
membres, à titre personnel je serai particulièrement exigeant et
je demanderai des garanties fortes, claires et précises sur ce point au
Gouvernement et particulièrement à Bercy.
Pour le reste, j'ai bien compris que des scénarios avaient
été présentés, notamment un nouveau scénario
hier, qu'il était question d'effectuer des partages entre la part de la
ressource fiscalisée et celle qui pourrait demeurer au titre de
redevance. Je pense qu'il faut laisser faire la concertation et si nous avons
ensemble la volonté d'aboutir à nos deux objectifs : mieux servir
l'usager en termes de coût, de qualité et de simplification de la
facturation, deuxièmement répondre positivement aux
critères européens, je pense que la fiscalité
écologique pourra constituer demain, dans le respect des agences et de
leur indépendance, un outil tout à fait intéressant dont
nous aurions bien tort a priori de nous priver.
(Applaudissements).
M. Jacques OUDIN
. - Je crois que M. Roland CARRAZ a parfaitement
résumé l'inquiétude générale. Vous souhaitez
le maintien du bassin, nous sommes d'accord. Vous souhaitez l'autonomie,
personne ne la met en cause, mais une autonomie sans autonomie
financière cela n'existe pas. Tout le problème est de savoir
comment garantir une telle autonomie. L'affectation actuelle semblait pour
beaucoup d'entre nous un excellent système. J'ai sous les yeux la
position de M. Marcel LARMANOUX, maire de Gisors et membre du Conseil
d'Administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie, qui me fait part de sa
première préoccupation : "cette TGAP serait
prélevée directement par le Trésor et non
réaffectée comme auparavant", et sa crainte de la
recentralisation des décisions au niveau de l'Etat se porte
également sur la survie des agences de l'eau.
Il faut que tous les responsables de ce projet sachent que c'est la
préoccupation essentielle. L'expérience des élus locaux
montre que ce qui rentre dans les caisses du Trésor n'en ressort pas de
la même façon, et c'est toute la difficulté.
Je crois que M. Ambroise GUELLEC, ancien ministre, Président du
Comité de bassin Loire-Bretagne, va nous apporter son témoignage.