3. Intervention de M. Ambroise GUELLEC, ancien ministre, président du Comité de bassin Loire-Bretagne
M.
Ambroise GUELLEC
. - Je ferai quelques observations en tant que
président de comité déjà ancien dans la fonction et
praticien de très longue date des problèmes de l'eau, et en tant
que Breton. Cela a été évoqué aujourd'hui moins
méchamment que d'habitude, je ne serai donc pas vindicatif sur ce point.
La période récente sur les problèmes de l'eau me laisse
perplexe. On ne s'est pas bien rendu compte, quand la Cour des comptes s'est
intéressée aux agences, que le rapporteur et donc
rédacteur du rapport était en même temps secrétaire
national au parti socialiste pour les questions correspondantes. En plus, on
avait trouvé qu'il disait des choses tout à fait
intéressantes dans son rapport. S'y est ajouté le Commissariat
général au plan et nous avons été
sidérés de voir l'écart entre les discussions que nous
avions avec ceux qui venaient nous interroger et ce qui en ressortait dans les
médias. Nous avons pensé que c'était la faute des
médias. Puis, est arrivée la dernière conférence
des présidents de Comités de bassin à Douai. Mme Dominique
VOYNET est venue nous parler des nécessaires évolutions ou
réformes. Cela ne s'est pas trop mal passé. Là encore,
l'expression devant les médias n'a pas été la même
que celle que nous avions entendue lors de cette conférence.
Le temps a passé, et la concertation s'est faite. Puis, est
arrivée la communication au Conseil des ministres du 20 mai, qui ne nous
satisfaisait pas pleinement, mais où l'on voyait que la discussion avait
bien porté ses fruits. Et très curieusement, nous avons ces
propositions de fin juillet, qui ont pris une tout autre tournure et dont le
caractère contradictoire avec tout ce qui a précédé
est apparu brutalement à beaucoup d'entre nous. Alors, nous avons
essayé de comprendre. Tout à l'heure, j'ai entendu M. Alain
LIPIETZ, je l'avais lu auparavant et j'ai constaté qu'aujourd'hui, il a
donné une version très douce de ce qu'il écrit, et c'est
ce qui nous permet de mieux comprendre la pièce qui est en train de se
dérouler.
Sur les agences, voilà ce qu'il écrit :
" elles
fonctionnent comme une assurance tous risques, sans franchise ni malus. Une
fois qu'on a payé, on peut tout se permettre, on
récupérera d'autant mieux sa cotisation ! C'est le principal
reproche adressé aux agences de l'eau qui, loin d'amener les agents
à intégrer les effets externes de leurs pollutions, leur
permettent au contraire de les rejeter sur une véritable mutuelle des
pollueurs, sans contrôle démocratique, etc.... "
Je crois que ceci nous montre bien que tout le dispositif a été
largement préparé, prémédité, et
peut-être que les opportunités ont fait que tout cela s'est
passé à la fin du mois de juillet quand la plupart d'entre nous
étaient préoccupés par leurs vacances, ce en quoi ils
avaient tort.
Pour ce qui est de l'avenir des agences, il est tout à fait clair que
nous avons une mise en cause évidente du principe de calcul des
redevances telles qu'elles fonctionnent actuellement. Et le principe
pollueur-payeur, et j'ajoute bénéficiaire, que nous appliquons en
réalité et qui est incitatif, ne se retrouverait plus. M. Roland
CARRAZ l'a dit en termes très choisis tout à l'heure et nous
comprenons les précautions de langage qui lui sont nécessaires.
C'est là qu'il faut voir, pour les autres outils mis à notre
disposition, quelles en seraient les conséquences.
Je dis clairement ce que je pense, c'est la désintégration de la
loi de 1964. J'espère que chacun l'aura perçu. On peut nous dire
qu'on va conserver l'approche par bassin ; oui, parce que l'eau coule de
haut en bas et ne remonte pas, on sera donc bien obligés de continuer
à garder cela. Mais l'essentiel de la discussion n'est pas là.
Nous constatons, en effet, qu'on peut garder ce système des agences de
l'eau, mais encore faut-il savoir ce qu'elles vont devenir. Or, non seulement
le rôle des comités de bassin s'estompe, mais il disparaît.
Leur première fonction est peut-être de réfléchir et
d'orienter, mais c'est d'abord de donner un avis conforme sur les taux des
redevances.
Que deviendraient les agences dans tout cela ?
En réalité, ce qui est en train de s'opérer sous nos yeux,
c'est la recherche d'un retour aux structures classiques de gestion
territoriale de l'Etat. Et je crois que les tensions que d'aucuns ont
perçues ces derniers temps entre les services de l'Etat et les agences
montrent bien qu'il y a là un enjeu majeur. Les agences, dans ce cas,
deviendront au mieux des services extérieurs du ministère de
l'Environnement pour les problèmes de l'eau, et au pire quelque chose de
dilué dans un ensemble bureaucratique.
Effacement de la mutualisation : je rappelle qu'actuellement dans les
institutions de bassin il y a mutualisation, mais de la gestion au niveau du
bassin. Il n'y a pas mutualisation des risques, contrairement à ce qu'on
voudrait nous faire croire. On ne les met pas dans un pot commun pour les faire
disparaître ou en atténuer certains au bénéfice
d'autres. Les promoteurs de la TGAP cherchent, au contraire, à nous
faire rentrer dans un schéma de recentralisation de la politique de
l'eau sous la maîtrise du ministère des Finances. Cela a
été bien dit tout à l'heure.
J'ajouterai, pour ce qui me concerne, que depuis un certain nombre
d'années j'étais partisan d'une modernisation du cadre de la
politique de l'eau dans notre pays. J'ai regretté que la loi de 1992 ne
l'ait pas du tout prise en compte à l'époque parce que, pour de
très obscures raisons d'inconstitutionnalité des redevances, nous
avons manqué l'occasion d'un vrai débat sur ce point. La loi de
1964 est ancienne, la décentralisation de 1981-1982 a introduit des
modifications majeures, et l'acuité des problèmes de l'eau n'est
plus la même maintenant. L'opinion n'est pas la même non plus. On
aurait dû probablement être novateur. Les propositions qu'il aurait
été judicieux de faire, c'était d'aller dans le sens
opposé à celui que l'on propose maintenant, c'est-à-dire
rechercher une meilleure cohérence des institutions de bassin avec les
autres acteurs décentralisés.
Nous prenons le chemin inverse actuellement, sachant que si on avait fait cela
il aurait fallu dans le même temps avoir des dispositions de
péréquation inter-agences ou territoriales, pour lesquelles nous
étions parfaitement d'accord.
Je crois que dans tout cela la part des intentions cachées de ceux qui
portent ce dossier est importante. Je vais en parler. Mme Corinne LEPAGE se
souvient de ses discussions avec les présidents des comités de
bassin quand elle voulait très modestement 110 millions de francs
pour traiter certains problèmes. Eh bien, maintenant on est en train de
multiplier ce chiffre par 10. L'un des enjeux majeurs est la possibilité
de prendre, au bénéfice du ministère de l'Environnement,
plus d'un milliard de francs. Pourquoi ne pas le dire puisqu'on en discute
déjà largement ?
D'autre part, il semble que les comités de bassin n'aient pas la
docilité voulue. J'ose espérer que cela continuera ainsi.
J'ajouterai enfin un point important : la réelle impuissance des
pouvoirs publics sur les problèmes de pollution diffuse provenant
notamment de l'agriculture. En rejeter la responsabilité sur les agences
serait une erreur d'analyse et de raisonnement dramatique. Il appartient au
pouvoir politique de prendre ses responsabilités. Osons dire aujourd'hui
qu'il ne l'a jamais réellement fait.
(Applaudissements).
M. Jean FRANCOIS-PONCET
. - Je voudrais ajouter quelques observations. Le
système des redevances, chacun l'a dit, est au coeur de la politique
française de l'eau. Le supprimer, c'est sûrement supprimer les
agences en tant que réalité de plein exercice et c'est
transformer les agences en services extérieurs du ministère de
l'Environnement. Voilà le danger et voilà comment la chose est
comprise ou interprétée par ceux qui sont sur le terrain.
Deuxièmement, le principe pollueur-payeur. Mme Bettina LAVILLE a raison
de mettre en avant le problème de l'agriculture. C'est incontestable,
mais il est plus facile de le dire que d'agir. Les agences en savent quelque
chose et l'agence Adour-Garonne peut-être plus que les autres,
après avoir fait l'objet à plusieurs reprises, sans que la police
n'intervienne de façon visible, de nombreuses mises à sac de ses
locaux.
Je ne suis pas tout à fait sûr que donner cette
responsabilité à l'Etat nous garantira que l'agriculture paiera
davantage. C'est une vision irénique.
D'autre part, qui paye l'essentiel des redevances ? L'industrie en
général très substantiellement, mais c'est principalement
le consommateur d'eau. C'est une taxe qui s'ajoute au prix de l'eau. En quoi le
consommateur qui paye la redevance a-t-il un impact sur les opérations,
les installations qu'il faut construire pour éliminer la
pollution ? Ce n'est pas lui. Ce n'est pas en augmentant le prix de l'eau
qu'on agira. Donc, le principe qui consiste à dire que la taxe de demain
suffira à elle seule à engendrer les mouvements correctifs qui
sont nécessaires, à mon avis, ne résiste pas à
l'examen. La principale critique concerne l'agriculture, mais y touchera-t-on
beaucoup ? Je voudrais bien le savoir. Quant au consommateur qui paye, il n'y
est pour rien. D'où le système que nous avons monté, qui
est un système mutualiste et qui se justifie, à mon avis.
A-t-on une garantie ? Mme Bettina LAVILLE, vous m'avez surpris. Le compte
spécial du Trésor n'est une garantie que pour les chaperons
rouges et je pense à cela parce que, quand j'ai entendu Mme Dominique
VOYNET nous expliquer son système pendant l'été, elle m'a
donné le sentiment d'être le petit chaperon rouge qui prend au
sérieux le déguisement de grand-mère de la direction du
budget. Moi j'ai l'expérience de nombreux comptes spéciaux du
Trésor, je me suis fait attraper une fois ou deux et je n'ai pas envie
de recommencer. On peut citer le FNDAE : l'année dernière on a
puisé largement dedans pour un objet qui n'est pas du tout le sien. Je
pourrais vous dire ce que je pense du FITTVN qui a fait que le directeur du
budget a débudgétisé les sommes qu'il consacrait aux
infrastructures. Le compte spécial du Trésor n'est en rien une
garantie.
La seule solution pérenne consistait à créer un
établissement public national, indépendant du budget. C'est ce
que nous voulions faire dans le cadre de la loi sur l'aménagement du
territoire de 1995. Tout le monde est venu nous supplier et c'est à 3
heures du matin sous la pression du cabinet du Premier Ministre de
l'époque actionné, il est vrai par le ministère des
Finances, que nous y avons, à tort, renoncé. Alors je crois qu'on
peut abandonner, très sérieusement et sans aucun esprit
polémique, toute idée de garantie.
On nous a dit à l'époque : "on va faire un fonds de gestion qui
sera géré par le Parlement". Balivernes ! On a fait un fonds de
gestion paritaire avec le ministre qui a voix prépondérante. Et
le plat nous est préparé tous les ans, il est prêt à
manger, c'est un plat tout cuisiné. Le degré de liberté
que nous avons est à peu près nul.
La péréquation entre les bassins : elle peut être
parfaitement organisée dans le cadre du système actuel. Mais
réfléchissez au mécanisme. Une péréquation
limitée à un seul secteur est-elle juste ?
On peut très bien se trouver face à une situation dans laquelle
une région riche a des problèmes majeurs en matière de
pollution. Alors qu'une région pauvre en a moins. Est-il juste que dans
ce cas le pauvre paye pour le riche ? Serait-il juste qu'Adour-Garonne paye
pour l'Ile de France ?
M. André SANTINI
. - Oui.
M. Jean FRANCOIS-PONCET
. - Je connaissais sa réponse et je
voulais l'entendre !
La péréquation des pauvres vers les riches, c'est l'inverse de la
péréquation. Or, elle a une chance sur deux de se passer ainsi.
Le système de la TGAP est novateur : il est plus neuf que celui qui a
été monté en 1964, c'est vrai. Mais est-ce que le retour
à la centralisation constitue une novation en France ? N'est-ce pas
la plus vieille de toutes nos ornières nationales ?
Mme Bettina LAVILLE
. - Je ne voudrais pas être discourtoise par
rapport aux autres intervenants prévus, mais je voudrais avoir un temps
de parole à la fin de cette séance pour réagir par rapport
aux différents intervenants.
M. Jacques OUDIN
. - Vous disposerez bien sûr d'un droit de
réponse.