L'avenir des agences de l'eau
FRANCOIS-PONCET (Jean)
RAPPORT D'INFORMATION 112 ( 98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES
Table des matières
-
I. LE DISPOSITIF DE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU ET L'IMPACT DE LA
TGAP
-
A. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU À TRAVERS LES AGENCES DE
L'EAU
- 1. Intervention de M. Jacques PELISSARD, président de la Commission Environnement de l'Association des maires de France (AMF)
- 2. Intervention de M. Claude GAILLARD, député de Meurthe-et-Moselle, président du Comité de bassin Rhin-Meuse
- 3. Intervention de M. Robert GALLEY, ancien ministre, député de l'Aube, président du Comité de bassin Seine-Normandie
-
B. LE PROJET DE TGAP ET SON ÉVENTUELLE EXTENSION AUX REDEVANCES DE
L'EAU
- 1. Intervention de M. Thierry WAHL, directeur adjoint au cabinet de Mme la Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement
- 2. Intervention de M. Géraud GUIBERT, adjoint au maire du Mans, secrétaire national chargé de l'Environnement au parti socialiste
- 3. Intervention de M. Pierre RADANNE, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
- 4. Intervention de M. Alain LIPIETZ, directeur de recherche au CNRS
- 5. Intervention de M. Daniel CAILLE, président du Syndicat professionnel des entreprises de services d'eau et d'assainissement (SPDE)
- 6. Intervention de M. Brice LALONDE, ancien ministre de l'Environnement, président du groupe Eau à l'Association des maires de France (AMF)
-
A. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU À TRAVERS LES AGENCES DE
L'EAU
-
II. L'AVENIR DES AGENCES DE L'EAU DANS LE CADRE DE LA TGAP ÉTENDUE AUX
REDEVANCES
-
A. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉLUS, INSTITUTIONNELS ET EXPERTS
- 1. Intervention de Mme Bettina LAVILLE, conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre
- 2. Intervention de M. Roland CARRAZ, député de Côte-d'Or, président du groupe d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale
- 3. Intervention de M. Ambroise GUELLEC, ancien ministre, président du Comité de bassin Loire-Bretagne
- 4. Intervention de M. Jacques VERNIER, Président du Comité de bassin Artois-Picardie
- 5. Intervention de M. Pierre HERISSON, sénateur de Haute-Savoie
- 6. Intervention de M. Philippe RICHERT, sénateur du Bas-Rhin, président de la Commission environnement de l'Assemblée des présidents de Conseils Généraux (APCG)
- 7. Intervention de Maître Patrick THIEFFRY, avocat
- 8. Intervention de Mme Corinne LEPAGE, ancien ministre de l'Environnement, avocat
-
B. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉCONOMIQUES
- 1. Intervention de M. Jean-Jacques MAYNARD, représentant du Syndicat national d'environnement - CFDT
- 2. Intervention de M. Gérard PAYEN, directeur général de l'eau de Suez-Lyonnaise des Eaux
- 3. Intervention de M. Patrick BERNASCONI, président de Canalisateurs de France
- 4. Intervention de M. Philippe LALET, président de la Fédération nationale des associations de riverains et utilisateurs industriels de l'eau (FENARIVE)
- 5. Intervention de M. Alexandre COLIN, président du groupe Eau du Conseil national du patronat français (CNPF)
- 6. Intervention de M. Jean SALMON, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
- 7. Intervention de M. André SANTINI, ancien ministre, député-maire d'Issy-les-Moulineaux, président du Syndicat des eaux d'Ile-de-France (SEDIF)
- 8. Réponse de Mme Bettina LAVILLE, Conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre
-
A. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉLUS, INSTITUTIONNELS ET EXPERTS
N°
112
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès verbal de la séance du 10 décembre 1998.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1)
sur
l'avenir des agences de l'eau,
Par M. Jean FRANÇOIS-PONCET,
Sénateur.
Rapport établi par le groupe d'études sur l'eau (2),
sous la présidence de M. Jacques OUDIN,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean François-Poncet,
président
; Philippe François, Jean Huchon,
Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre
Lefebvre,
vice-présidents
; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine,
Léon Fatous, Louis Moinard,
secrétaires
; Louis
Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM.
Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean
Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye,
Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland
Courtaud, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel
Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard
Dussaut
,
Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain
Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard,
Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis,
MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain
Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard
Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis
Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron,
Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult,
Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques
Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette
Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.
(2) Ce groupe d'études est composé de
: MM. Jacques Oudin,
président
; Jean-Paul Amoudry, Denis Badré, José
Balarello, Mme Janine Bardou, MM. Jean Bernard, James Bordas, Joël
Bourdin, Auguste Cazalet, Gérard César, Charles-Henri de
Cossé-Brissac, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Michel
Doublet, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Hubert Durand-Chastel, Jean-Paul
Emorine, Paul Girod, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Jean Huchon,
Pierre Jeambrun, André Jourdain, Jean-François Le Grand, Roland
du Luart, Paul Masson, Louis Mercier, Louis Moinard, Lucien Neuwirth, Jean
Puech, Mme Odette Terrade, MM. François Trucy, Jacques Valade.
Eau.
AVANT-PROPOS DE M. JACQUES OUDIN,
SÉNATEUR DE LA
VENDÉE,
PRESIDENT DU GROUPE SÉNATORIAL D'ÉTUDES SUR
L'EAU,
PRÉSIDENT DU CERCLE FRANÇAIS DE L'EAU
M.
Jacques OUDIN
. - Au nom du Président du Sénat et de M. Jean
FRANCOIS-PONCET, Président de la Commission des affaires
économiques et du plan de cette assemblée, et en tant que
Président du groupe d'études sur l'eau, je suis heureux de vous
accueillir pour débattre d'un sujet qui suscite autant
d'inquiétudes, pose de vrais problèmes et soulève de
multiples interrogations. Il s'agit de la taxe générale sur les
activités polluantes (TGAP) dont le principe semble acquis, mais dont
les modalités ne sont pas encore complètement
arrêtées, notamment concernant l'inclusion dans son domaine de
compétence du secteur de l'eau.
Bâtir une oeuvre est toujours un travail de longue haleine, mais si
pierre par pierre on construit une maison, un séisme peut
détruire l'édifice en très peu de temps.
L'affluence que nous constatons aujourd'hui dans cette salle, avec plus de 300
participants, montre que ce sujet est d'un intérêt capital et
qu'il vous préoccupe. C'est la première grande réunion de
concertation sur cette question, alors même que l'annonce en a
été faite par le Gouvernement de façon un peu hâtive
au tout début de la trêve estivale.
L'eau est la vie comme le disait le Président de la République
lors de l'ouverture de la conférence internationale sur l'eau en mars
dernier à l'UNESCO, l'eau dont les Français ont fait une de leurs
priorités s'agissant de sa qualité et de l'efficacité des
mesures de lutte contre les pollutions. C'est un véritable sujet de
société car chacun consomme de l'eau, mais ce faisant, chacun la
pollue à sa manière. C'est un domaine dans lequel le Parlement
s'est beaucoup investi. La loi de 1964 et la loi de 1992 ont été
votées à l'unanimité après de très longs
débats dans les deux chambres. Il est donc normal que cette
réunion ait lieu au Sénat, qui est à la fois la Haute
Assemblée, la maison des collectivités territoriales, mais aussi
un lieu de réflexion sur les grands programmes d'aménagement
public. C'est dans ce cadre que travaille le Groupe d'études sur l'eau
en liaison avec le Cercle français de l'eau.
Rapidement je formulerai quatre constats, je dénoncerai une menace et je
préciserai six orientations pour préserver le dispositif actuel
des Agences de l'eau qui n'a pas vocation à demeurer statique et qui
doit toujours évoluer pour être plus performant.
Premier constat :
notre droit de l'eau est fondé sur trois
principes
, les trois piliers de l'efficacité qui ont fait du
système français un modèle, dont s'inspirent nombre de
pays étrangers.
• Tout d'abord, la gestion par bassin qui est forcément
déconcentrée. Ce sont six bassins qui constituent ce premier
pilier.
• Deuxièmement, la gestion démocratique avec
l'ensemble des élus, des usagers, des représentants de
l'administration et de l'Etat au sein d'un comité de bassin qui a une
vue globale, opérationnelle, territoriale, de ses ambitions, de ses
moyens et de ses devoirs.
• Troisièmement, l'affectation des ressources
prélevées sur les usagers aux dépenses dans le domaine de
l'eau pour remédier et faire face aux problèmes qui existent dans
chacun des bassins.
Ce sont les trois grands principes qui fondent notre droit de l'eau, sur
lesquels en 20 ans nous avons forgé une doctrine efficace que beaucoup
d'ailleurs nous envient.
Deuxième constat :
un effort volontariste d'investissement
qui a été tout à fait considérable au cours des
dernières années. Il y a 10 ans, au cours du
V
ème
programme, 40 milliards de francs d'investissement
étaient prévus sur cinq ans dans le domaine de l'eau : un
effort rendu nécessaire après le bilan pessimiste
réalisé lors des premières journées nationales de
l'eau de mai 1990, les assises de l'eau, et la forte émotion ressentie
dans les campagnes après les périodes de sécheresse.
Puis, vient le VI
ème
programme : 80 milliards de francs
d'investissement prévus, en fait réalisé à 90
milliards de francs. Et là, nous passons au VII
ème
programme avec une ambition qui finalement est fixée à un niveau
moyen de 105 milliards de francs, c'est-à-dire 21 milliards par an. La
ligne de conduite adoptée fut de stabiliser le niveau des redevances
atteint au cours de la dernière année du programme passé.
Avec un montant d'investissement passant en 10 ans, de 8 à 21 milliards
de francs par an, nous en arrivons au troisième constat.
Troisième constat
:
la bataille de l'eau peut
être gagnée en 10 ans
. Cette bataille de l'eau sera
gagnée tant dans le domaine de l'assainissement que de l'eau potable,
mais à deux conditions essentielles : que les redevances restent au
même niveau, et que l'argent de l'eau aille bien à l'eau et pas
ailleurs.
Quatrième constat
: le modèle français est
reconnu pour sa qualité et il est transposable.
Il suffit de lire la
directive-cadre de l'Union européenne et ce qui a été dit
à la conférence internationale de l'eau, en mars dernier à
Paris, pour voir que tous les analystes admettent que c'est sur ces principes
que la politique de l'eau, quels que soient les pays et les contextes, devrait
se fédérer et s'organiser.
Mais à partir d'un constat qu'on peut estimer satisfaisant, plane ce que
certains estiment être une menace. En effet, c'est au moment où
nous semblons rencontrer le succès et presque la consécration que
la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) voit
le jour. Est-ce une bonne idée ? Est-ce un danger ? Est-ce une menace ?
Chacun s'expliquera ce matin. La parole sera offerte à tous.
J'y vois personnellement, peut-être, trois dangers.
Premier danger
:
si les redevances de l'eau sont incluses
complètement dans la TGAP,
est-il intéressant, souhaitable,
raisonnable de faire transiter par le budget de l'Etat
, dont le
déficit s'élève à 236 milliards de francs,
quelques 10-12 milliards de francs de redevances ?
C'est la certitude
que les milliards qui arriveront ne retourneront pas de façon identique
à la politique de l'eau. Le système de dérivation et de
fuite financière que nous connaissons bien à travers le budget de
l'Etat fonctionnera à plein. L'argent de l'eau ne retournera plus
à l'eau. C'est une quasi-certitude.
Deuxième danger : l'ossature des agences
. Ce qui structure nos
agences et ce qui les rend autonomes, c'est bien entendu leur autofinancement.
Briser l'ossature, n'est-ce pas vider la structure de sa substance ?
Troisième menace : le travail parlementaire
que nous avons
effectué dans nos assemblées respectives, et moi-même ici
depuis 12 ans, nous amène, chaque fois que nous avons à
débattre à l'occasion de la loi de finances, par exemple de
l'ajustement à la marge de la redevance pour le FNDAE, à nous
heurter systématiquement au ministère des Finances
qui
refuse toute augmentation et estime qu'il y a déjà suffisamment
d'argent qui va à l'eau dans ce domaine. Je vous encourage à
relire les débats parlementaires, ils sont à cet égard
particulièrement instructifs et édifiants. Est-il souhaitable
d'aller dans cette direction en ce qui concerne l'ensemble des ressources des
agences ? Ma réponse personnelle est non !
Est-ce à dire pour autant que le fonctionnement des agences est exempt
de critiques ou d'améliorations ? Sûrement pas. Ne soyons ni
statiques ni conservateurs en la matière, mais nous pensons que ce n'est
pas en brisant un système qui a fait ses preuves que l'on obtiendra de
meilleurs résultats. C'est en proposant des améliorations que
nous rendrions ce dispositif plus performant et plus efficace.
Alors pour compléter ce propos, et pour aller au-delà de
certaines des propositions du Gouvernement actuel, j'ai retenu
six axes de
réflexion
que je vous énonce rapidement.
- Une meilleure
coordination
à l'évidence avec le
Parlement et avec le Haut Comité de l'eau.
- Une nécessaire
clarification
du mode de calcul des redevances,
et de la police de l'eau, à propos desquelles trop de zones d'ombre
demeurent.
- Une meilleure
contractualisation
avec les professions - l'agriculture
en particulier - ainsi qu'avec les collectivités territoriales.
- Une meilleure
information
sur la qualité de l'eau, quelle
qu'elle soit, et notamment sur son bon usage ; un meilleur usage des
réseaux de mesure dont je ne pense pas que l'efficacité soit
à la hauteur de nos ambitions.
- Une
incitation
financière mieux ciblée dans le cadre
des programmes élaborés au sein des schémas
d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). J'ai coutume de dire que le
SAGE doit être à la loi sur l'eau ce que le plan d'occupation des
sols est à la loi sur l'urbanisme, c'est-à-dire l'outil
opérationnel de l'action sur le terrain.
- Une nécessaire
adaptation
des réponses à donner
pour des cas spécifiques de pollution, comme par exemple la pollution
des eaux pluviales.
Voilà quelques orientations sur des enjeux que nous devons tenter de
résoudre.
Depuis des années, nous avons bâti un système de l'eau qui
semble évoluer dans le bon sens. Les agences ont réussi
territorialement, elles sont acceptées, admises par leurs partenaires et
les collectivités, dont elles sont des partenaires efficaces. Si des
réformes doivent intervenir, parlons-en sérieusement, longuement,
positivement, mais surtout pas au détour d'un simple article d'une loi
de finances. Je crois que c'est le plus mauvais sort que l'on
réserverait à la démocratie et à la politique de
l'eau.
(Applaudissements).
INTRODUCTION PAR M. JEAN FRANÇOIS-PONCET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES DU SÉNAT, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE BASSIN ADOUR-GARONNE
M. Jean
FRANCOIS-PONCET
. - Je voudrais vous dire combien nous sommes heureux de
vous recevoir ici au Sénat pour débattre d'un très grand
sujet, puisqu'il s'agit de la politique française de l'eau et de son
avenir. Avec le sénateur Jacques OUDIN, nous avons pris l'initiative
d'inviter tous ceux qui, en France, sont les acteurs de la politique de l'eau,
qu'il s'agisse des administrations -en commençant par le cabinet du
ministre de l'environnement et le cabinet du Premier ministre, qui sera
représenté- ou des autres autorités qui, au plan national
et sur le terrain, suivent ces questions.
Ce débat s'inscrit dans un contexte créé par deux
séries d'annonces : l'annonce en Conseil des Ministres, le 20 mai
dernier, par Madame la ministre de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement, d'une réforme des agences de l'eau et, d'autre part,
l'annonce, le 22 juillet dernier, par elle-même et par le ministre des
Finances, de la création par la loi de finances pour 1999 d'une taxe
générale sur les activités polluantes (TGAP),
affectée au budget de l'Etat, appelée à regrouper et
à intégrer l'ensemble des taxes et impôts perçus au
titre des déchets, des nuisances sonores ou des pollutions
atmosphériques, y compris -mais à partir du 1er janvier 2000
seulement- les redevances des agences de bassin.
La première réforme, proposée le 20 mai, a suscité
beaucoup d'intérêt et, je crois, un débat très
constructif. Après tout, chacun admet volontiers qu'après 34 ans
d'existence, une institution relève d'une évaluation, d'un examen
critique et, si nécessaire, de réformes.
Il en va autrement de la deuxième annonce, celle de la TGAP.
L'intégration des redevances des agences de l'eau dans un impôt
national perçu par l'Etat a en effet suscité une très vive
émotion, et c'est bien entendu cette deuxième annonce, la TGAP,
qui va retenir l'essentiel de notre débat. Il ne s'agit pas pour moi de
préjuger de ses conclusions ; mais pour l'introduire, je
rappellerai les principes sur lesquels le système actuel est
fondé, et ensuite j'évoquerai des questions, que nous nous
posons, d'une manière que certains jugeront peut-être provocante.
Pour présenter la politique française de l'eau, je voudrais
mettre en évidence sept principes.
Premièrement, le bassin
. La politique de l'eau est conduite dans
un cadre géographique bien déterminé qui est celui des six
grands bassins hydrographiques français, ce qui lui permet d'être
adaptée aux réalités spécifiques de chaque zone.
Deuxièmement, les redevances
. La politique de l'eau est
financée exclusivement par des redevances acquittées, dans le
cadre de chaque bassin, par toutes les activités qui polluent, selon le
principe " pollueur-payeur ", et par tous ceux qui utilisent l'eau.
Troisièmement, dépollution et ressource.
Les
disponibilités des agences servent à co-financer les actions de
dépollution conduites par les collectivités ou par le secteur
privé, à préserver et à réhabiliter les
milieux aquatiques - à commencer par les rivières -, et à
développer la ressource en eau là où elle est jugée
insuffisante.
Quatrièmement, la mutualisation
. Les agences ne perçoivent
pas de subventions de l'Etat, mais elles fonctionnent comme des mutuelles dont
les recettes et les dépenses s'équilibrent dans le cadre de
chaque bassin. La solidarité, et non pas le " juste retour ",
constitue la règle à l'intérieur de chaque bassin.
Cinquièmement, l'autonomie
. Les agences sont des
établissements publics gérés par des comités de
bassin et des conseils d'administration. Les comités de bassin, qu'on
appelle souvent " Petits Parlements de l'eau ", sont composés
de représentants de tous les utilisateurs, collectivités,
associations, notamment protectrices de l'environnement, agriculteurs,
industriels, EDF, pêcheurs, et j'en oublie. Ils fixent les redevances
à percevoir, élisent leur président, désignent les
membres du Conseil d'Administration et émettent des avis. Le Conseil
d'Administration, quant à lui, décide de l'utilisation des fonds.
Sixièmement, la tutelle
. Les agences de l'eau sont des
établissements publics, mais exercent leur activité sous le
contrôle de l'Etat, qui nomme les présidents des conseils
d'administration et le directeur de l'agence qui est à la tête de
l'administration. Les directeurs sont en liaison permanente avec la direction
de l'eau du ministère de l'Environnement.
Septièmement, l'application de la loi sur l'eau
. Les agences sont
le bras armé de la loi sur l'eau. Ce sont les agences qui arrêtent
les SDAGE
1(
*
)
et qui aident les
collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des SAGE
2(
*
)
. Agences de bassin et loi sur l'eau sont
indissociables.
Quelles questions la TGAP pose-t-elle ?
1/ Le système des agences a-t-il ou non, en trois décennies,
donné satisfaction ? A-t-il atteint ses objectifs ? La pollution
a-t-elle cessé de progresser ? A-t-elle régressé ?
2/ En budgétisant les redevances, la TGAP met-elle ou non
fondamentalement en cause le système établi en substituant
à son assise régionale actuelle, qui est le bassin, le cadre
national, en supprimant sa philosophie mutualiste et en mettant en cause son
autonomie de gestion ?
3/ En modifiant le financement de la politique de l'eau mis en place 15 ans
avant les lois de décentralisation de 1981-82, la TGAP constitue-t-elle
ou non un retour en arrière vers plus de centralisation ?
4/ Quatrième question, centrale et qui comporte des
sous-questions : l'association du principe pollueur-payeur et du principe
de solidarité mutualiste est-elle par essence perverse ?
Si je pose cette question, c'est parce que certains théoriciens
affirment que oui. Peut-on, comme ils le suggèrent, en dissociant ces
deux principes, bénéficier d'un double dividende que je vois
miroiter à l'horizon et dont la question est de savoir si c'est un
mirage ou non ? Selon ce que j'ai cru comprendre, le premier dividende suppose
que le prélèvement acquitté par le pollueur, s'il est
assez élevé, suffit à lui seul à l'inciter à
corriger son comportement polluant. D'où un deuxième dividende,
puisque les recettes ainsi collectées permettront de créer des
emplois, soit directement, soit indirectement, en supprimant ou en
allégeant d'autres prélèvements assis sur les salaires.
Il s'agit d'un problème-clé, situé au coeur du
débat, et qui met en cause l'équilibre recettes et
dépenses sur lequel est construit le système des agences.
Cette interrogation en soulève d'autres.
Comme les redevances sont, pour le principal, acquittées par les
particuliers en annexe de leur facture d'eau, jusqu'à quel niveau
faudra-t-il augmenter le prix de l'eau pour obtenir le résultat vertueux
qui est recherché ? Le prix de l'eau qui est en moyenne de 16 à
17 francs du m
3
en France actuellement, devra-t-il s'élever
jusqu'à 30 francs et est-ce politiquement envisageable ?
Comment des prélèvements acquittés par les particuliers
consommateurs d'eau auraient-ils une influence sur des opérations de
dépollution qui ne dépendent pas d'eux ?
Qu'arrivera-t-il si le pollueur n'a pas les moyens de financer les
investissements exigés de lui -je pense par exemple aux éleveurs-
ou si le pollueur arrive à la conclusion que l'investissement
nécessaire n'est rentable que s'il est subventionné et qu'en
l'absence d'une telle aide, mieux vaut continuer à polluer ?
Ces questions sont essentielles. L'idée du double dividende est-elle la
découverte géniale du XX
ème
siècle
finissant ou est-ce un mythe ?
5/ Peut-on et doit-on prélever sur l'argent de l'eau des sommes
destinées à d'autres usages écologiques ? La France
est-elle en avance dans la mise en oeuvre des directives européennes ?
Si la réponse est oui, alors on peut prélever de l'argent de
l'eau à d'autres fins ; mais en cas de réponse négative,
ce serait très imprudent.
6/ Peut-on taxer davantage l'agriculture ? Il y a deux façons d'examiner
le problème : serait-il normal ou souhaitable que l'agriculture paye
davantage ? Dans la plupart des agences de l'eau, l'agriculture est très
largement bénéficiaire. Mais y a-t-il des raisons de penser
qu'elle a les moyens d'acquitter des redevances plus élevées ? Et
a-t-on des raisons de penser que l'Etat arrivera à ce résultat
plus facilement que les agences ?
7/ Faut-il établir une péréquation financière entre
les six bassins ? Celle-ci peut-elle, si elle est jugée
nécessaire, se réaliser dans le système actuel ou faut-il
fondamentalement modifier ce système pour y parvenir ?
8/ S'agissant du problème de la péréquation limitée
à un seul secteur, je prendrai l'exemple suivant : s'il apparaissait que
l'Ile-de-France soit confrontée à des problèmes de
pollution particulièrement graves en raison de sa densité
démographique, serait-il juste de prélever des ressources, par
exemple, sur le bassin Adour-Garonne, alors que la région parisienne est
de loin la région la plus riche de France et que le sud-ouest fait
partie des régions qui sont très en retard ? En d'autres termes,
est-ce qu'une péréquation limitée à un seul secteur
ne conduirait pas à construire une solidarité à rebours,
c'est-à-dire à faire payer les pauvres pour les riches ? La
péréquation peut-elle être autrement que globale ?
9/ La France gagnera-t-elle en prestige, au niveau international, en
bouleversant le système qu'elle a mis en place, qualifié souvent
d'" école française de l'eau ", et qui, si je ne me
trompe, est cité en exemple à l'étranger ?
10/ Par quel système garantira-t-on aux agences, dans le cadre de la
TGAP, le maintien de leurs ressources actuelles pour mettre en oeuvre la
politique de l'eau ?
Chacun sait par expérience que les comptes d'affectation spéciale
du Trésor sont un leurre. Je citerai l'exemple du FNDAE
3(
*
)
, sur les ressources duquel on a prélevé,
alors qu'il est censé aider le milieu rural pour l'adduction d'eau
potable, pour l'assainissement, pour la mise aux normes des bâtiments
d'élevage. Il en est de même du FITTVN
4(
*
)
qui devait rassembler des redevances perçues
sur EDF et sur le système autoroutier pour accroître l'effort
d'investissement en matière d'infrastructures, et qui a conduit le
ministère des Finances à débudgétiser des sommes
équivalentes, de sorte que ces redevances se sont perdues dans
l'ensemble du budget. Les choix d'investissements se sont faits sans tenir
beaucoup compte du Comité de gestion du fonds, dont on nous avait
pourtant garanti qu'il nous mettrait à l'abri du péril que je
viens de citer.
Alors, par quel autre système que le compte spécial du
Trésor compte-t-on garantir les ressources propres des agences ?
11/ Les comités de bassin, dont la principale fonction est de voter les
redevances, conservent-ils encore une raison d'être dans un
système qui, en réalité, les transforme en services
extérieurs du ministère de l'Environnement ?
12/ A l'heure actuelle, les aides qui sont versées par l'agence à
ceux qui engagent des opérations de dépollution ou des actions
pour mobiliser des ressources supplémentaires en eau ne sont pas
contrôlées par Bruxelles, parce que le système est
mutualiste. Or, à partir du moment où ces aides transiteront par
le budget de l'Etat, elles seront, à ma connaissance, soumises au
plafonnement européen.
Puissent ces questions, qui sont toutes relativement provocantes, alimenter le
débat dont rend compte le présent rapport afin que de bonnes
réponses puissent y être apportées !
J'hésite à ajouter une dernière question. Elle concerne la
concertation, qui a commencé le 6 octobre et qui se terminera le 11
décembre. S'agissant d'un sujet aussi fondamental que la politique
française de l'eau et d'institutions qui existent depuis 34 ans, peut-on
penser qu'une concertation inscrite dans un si court laps de temps
mérite vraiment le nom de concertation ?
(Applaudissements).
I. LE DISPOSITIF DE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU ET L'IMPACT DE LA TGAP
A. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU À TRAVERS LES AGENCES DE L'EAU
M.
Jacques OUDIN
. - Merci Monsieur le Président pour cet exposé
en forme de constats et de questions, qui plante le décor et met en
avant les interrogations qui peuvent se poser. Nous allons maintenant demander
aux uns et aux autres d'intervenir.
Je demanderai à M. Jacques PELISSARD, Président de la Commission
environnement de l'AMF, député du Jura, de nous faire part du
point de vue de l'AMF, s'il a pu être étudié à ce
jour.
1. Intervention de M. Jacques PELISSARD, président de la Commission Environnement de l'Association des maires de France (AMF)
M.
Jacques PELISSARD
. - Je n'évoquerai pas 7 piliers ou 12
commandements, mais quelques points cardinaux qui structurent le dispositif
actuel de l'ensemble du financement de la politique nationale de l'eau.
Le premier est le principe d'une programmation
. Nous avons en France, en
l'état actuel, une programmation qui a une double caractéristique
: elle est décentralisée et pluriannuelle s'agissant des
investissements nécessaires, à partir d'une planification
tripartite émanant de différents acteurs qui, tous les cinq ans,
dans le cadre des comités de bassin, organisent cette planification ; ce
sont les responsables de l'Etat, les élus des départements et des
régions, et puis les usagers.
D'autre part, les taux qui définissent les recettes des organismes sont
fixés par chaque comité de bassin, sur proposition de l'agence,
de façon à équilibrer les financements en subventions et
prêts apportés dans le cadre d'un programme quinquennal.
Le programme conjugue donc plusieurs éléments. Tout d'abord, un
nécessaire état de connaissance des milieux aquatiques permettant
la définition d'objectifs d'amélioration. Le système
actuel permet d'établir des plans d'action en vue d'atteindre les
objectifs fixés, en conjuguant redevances et volume des travaux
aidés, dans le cadre de la recherche d'un intérêt
général au niveau de chaque bassin. En effet, c'est bien
l'intérêt général et non pas le seul retour au
profit de tel contributeur de telle redevance qui prévaut.
Premier point cardinal, c'est le principe de programmation.
Le deuxième point, ce sont les actuelles redevances pollution
,
celles qui risquent en l'an 2000 d'être directement perçues dans
le cadre du budget de l'Etat.
Jusqu'à présent, l'assiette physique des redevances a toujours
recherché la prise en compte de la réalité physique de la
perturbation sur le milieu aquatique. Les principaux paramètres sont :
matières en suspension, demande chimique en oxygène,
métaux, organo-halogènes absorbés, etc. C'est l'ensemble
de ces éléments de pollution qui permet de calculer la redevance.
La délimitation de zonage et l'élaboration de coefficients a
permis de mieux appréhender les spécificités des milieux
aquatiques. Enfin, la définition de taux différenciés
appliqués aux assiettes a permis d'établir des actions
prioritaires.
Troisième point, les aides varient suivant les agences
, parce que
les problématiques sont différentes, pour les ouvrages
d'assainissement collectifs ou les ouvrages d'épuration de l'industrie.
Les aides varient également en fonction de la nature des ouvrages
pour les grands collecteurs ou les réseaux de première
catégorie. Ces aides déclenchent un effet de levier très
important. Je citerai un exemple s'agissant de l'industrie chimique.
Considérons un compte administratif du VI
ème
programme
couvrant les années 1992 à 1996. Les aides pour l'industrie
chimique en matière d'eau ont été de 40 MF,
équivalentes pratiquement aux redevances. En revanche, les travaux
aidés ont eu une assiette de 93 MF, ce qui montre bien l'importance de
l'effet de levier. Les aides apportées déclenchent des travaux
supérieurs à deux fois le montant de l'aide elle-même.
L'effet de levier est donc co-substantiel au principe de l'aide.
Dernière modalité d'aide au profit des collectivités
locales
: quand le rendement de leur station d'épuration est
satisfaisant, elles bénéficient d'une aide relative à la
pollution effectivement retirée d'un rejet en milieu naturel par exemple.
Voilà les grands axes du système actuel qu'on peut résumer
en quatre points : une gestion par bassin, une gestion qui lie redevances et
travaux, une planification par objectif, et le respect d'un principe de base
selon lequel l'eau paye l'eau avec une véritable affectation.
Par rapport à ces quatre points cardinaux, il est vrai que l'ensemble
des élus de France et l'Association des maires de France sont
très préoccupés par le projet de réforme à
l'horizon 2000, qui s'inscrit dès 1999 pour l'ADEME, mais pour l'an 2000
s'agissant de la redevance pollution.
Le bureau de l'Association des maires de France ne s'est pas encore
prononcé. Son fonctionnement est très paritaire : il y a autant
de sensibilité de la majorité que de l'opposition
représentée au bureau et cette structure n'a pas encore pris
position. Mais j'ai, pour ma part, réuni, il y a quelques semaines, la
Commission environnement de l'AMF et celle-ci, de façon unanime, a
exprimé sa très forte préoccupation concernant le principe
de la TGAP appliqué à l'eau. L'AMF est donc extrêmement
préoccupée par un projet qui nous paraît mettre en
péril le modèle français, aujourd'hui reconnu au niveau
international, susceptible d'une directive européenne mettant en avant
les vertus de notre modèle français.
L'AMF sur ce point reste donc très vigilante pour que les atouts du
modèle français puissent être préservés pour
l'avenir.
(Applaudissements).
2. Intervention de M. Claude GAILLARD, député de Meurthe-et-Moselle, président du Comité de bassin Rhin-Meuse
M.
Claude GAILLARD
. - Je souhaiterais intervenir sur le principe du
financement actuel au regard des agences pour dire que c'est ensemble que nous
définissons le niveau des aides que nous allons apporter, ce qui
détermine le niveau des travaux. Cette réflexion collective
mobilise l'ensemble des acteurs qui ont la conviction d'exercer leur influence
dans le cadre d'une approche de solidarité, à défaut d'une
approche de mutualisation. Quand on examine le VI
ème
programme, et que l'évolution est de 300 %, je crois que ce
résultat a pu être atteint parce que tous les acteurs ont bien
mesuré l'ampleur des efforts à faire. Et je ne suis pas sûr
qu'une demande de cette nature, émanant du niveau national et de Bercy,
ait pu obtenir ce niveau d'acceptation à l'époque.
Pour le VII
ème
programme, nous avons modéré les
efforts car nous devions trouver un compromis entre le montant des travaux
à réaliser et la capacité d'acceptation de nos concitoyens.
Au fond, le fait d'avoir l'assurance que l'eau paye l'eau, que le
prélèvement acquitté dans un bassin reste au niveau des
bassins, que celui qui pollue paie et celui qui dépollue est
aidé, tout cela permet d'avoir cette approche collective et
régionale. C'est pourquoi, supprimer ce degré d'implication
régionale sur le financement actuel de la politique de l'eau peut avoir
un certain nombre d'effets pervers dont on a du mal aujourd'hui à
mesurer toutes les conséquences.
3. Intervention de M. Robert GALLEY, ancien ministre, député de l'Aube, président du Comité de bassin Seine-Normandie
M.
Robert GALLEY
. - J'ai participé très activement aux
réunions organisées par Monsieur le directeur de l'eau, qui
d'ailleurs est présent ici, avec les représentants des
Comités de bassin. La première réunion de
présentation de la TGAP a déclenché un tollé
général. Nous étions trois représentants par
bassin. Seule une voix s'est déclarée favorable à la TGAP.
Cela a été très important pour nous. Hier, nous avons eu
une deuxième réunion présidée par M. Pierre ROUSSEL
et dont la tonalité était tout à fait différente de
la première.
Pour tenir compte sans doute des observations véhémentes que nous
avions faites lors de la première réunion d'orientation, M.
Pierre ROUSSEL nous a présenté trois scenarii possibles
d'application de la TGAP. Je ne parlerai pas des deux premiers, il les
expliquera s'il le souhaite, mais ils recouvraient les mêmes
éléments que ceux que nous avions déjà
rejetés la première fois. Nous ne les avons donc pas
examinés à nouveau.
Le scénario 3 dit : la création de la TGAP appliquée
à l'eau pourrait s'envisager comme suit : les redevances des agences
s'appuyant sur deux aspects, le premier lié au strict financement des
interventions et le second lié à une application imparfaite mais
non nulle du principe pollueur payeur. Il conviendrait de les examiner toutes
pour ne garder, en tant que redevance, que la première partie et pour
intégrer la deuxième dans la TGAP suivant des taux à
définir.
Dans le cadre de cette proposition, les agences conserveraient leur dispositif
actuel qui consiste à établir un programme et ajuster le niveau
des redevances en fonction de ce programme. Et ensuite, pour reprendre les
principes de Madame la ministre, parfaitement respectables d'ailleurs, il y
aurait la création de la TGAP qui serait faite de trois composantes.
La première composante se baserait sur les mêmes assiettes
physiques que les redevances des agences, mais avec des taux votés en
loi de finances selon le principe pollueur payeur. Les agences fourniraient
à l'administration chargée du calcul de la taxe les
éléments nécessaires. On s'appuierait sur le calcul de nos
agences pour déterminer la réalité de l'assiette.
D'autre part, pour aboutir à une parfaite application du principe
pollueur-payeur, les taux de la TGAP devront intégrer la
sensibilité du milieu récepteur ou la fragilité de la
ressource en eau. Ce facteur parfaitement subjectif est un facteur
d'appréciation qui pourrait conditionner les taux.
La deuxième composante : une version des écotaxes à
créer sur l'agriculture par exemple (le ministère de
l'Environnement n'a pas perdu sa cible constante) basée sur les engrais,
les phytosanitaires. Le produit de ces écotaxes, qui n'aurait aucun
rapport avec les redevances des agences, pourrait abonder directement le budget
général.
Enfin, le cas de la redevance modification du régime des eaux a
été étudié à part. Il ne s'agit pas d'un
choix fondamental. Sachant qu'elle n'existe pas actuellement, il est
évidemment possible de la créer directement et uniquement sous
forme de TGAP destinée au budget général. Toutefois, comme
elle s'applique à des actions pour lesquelles les agences peuvent
intervenir : entretien des cours d'eau, eaux pluviales, il peut être
intéressant de la créer sous forme de redevance avec une part
TGAP destinée au compte spécial du Trésor et la seconde
part reversée aux agences.
Quelles sont les réflexions qui ont été faites hier soir ?
Personnellement, je dois dire que nous avons été
encouragés dans la voie de la résistance au projet de TGAP par
cette proposition de M. Pierre ROUSSEL. Nous nous sommes dit que c'était
un dispositif extraordinairement compliqué à mettre en place, que
de créer une TGAP à côté des redevances fournissant
les ressources des agences. Personnellement, je me suis limité à
indiquer à M. Pierre ROUSSEL qu'il n'y avait pas de raison pour que l'on
prenne les mêmes assiettes, c'est-à-dire que dans mon esprit on
dissociait complètement la TGAP du système des agences qui a bien
fonctionné et fait la preuve de son efficacité depuis 30 ans.
D'autre part, les deux lois sur l'eau ont été votées
à l'unanimité du Parlement. Ce dispositif mérite à
mon avis d'être conservé intégralement.
M. Jacques OUDIN
. - Merci. Nous sommes au coeur de l'actualité
puisque vous nous avez fait un excellent compte-rendu de la réunion
d'hier.
Après avoir entendu les défenseurs de la situation actuelle, ce
système, bien qu'ayant donné une grande satisfaction dans son
déroulement, est toujours perfectible. Il ne faut pas penser qu'aucune
amélioration n'est possible. Mais le problème de la TGAP rend la
situation encore plus complexe. La dernière explication que nous avons
entendue nous amène à une réflexion nouvelle. Il est
compliqué d'avoir deux assiettes et des taux différents. Et plus
c'est compliqué, plus c'est difficile à gérer.
A cette tribune figurent des responsables qui ont réfléchi et
amené le Gouvernement à prendre la position qui a
été la sienne. Je donnerai successivement la parole à
M. Thierry WAHL qui est directeur adjoint au cabinet de Madame la ministre
de l'Environnement ; à M. Géraud GUIBERT, adjoint au maire du
Mans et secrétaire national chargé de l'environnement au parti
socialiste ; M. Pierre RADANNE, Président de l'ADEME et premier
concerné par la TGAP dans sa version initiale ; et ensuite
interviendront M. Alain LIPIETZ, M. Brice LALONDE et M. Daniel
CAILLE.
B. LE PROJET DE TGAP ET SON ÉVENTUELLE EXTENSION AUX REDEVANCES DE L'EAU
1. Intervention de M. Thierry WAHL, directeur adjoint au cabinet de Mme la Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement
M.
Thierry WAHL
. - J'ai beaucoup entendu les mots suivants : "crainte,
inquiétude et menace". Je souhaite vous rassurer sur nos intentions et
celles du Gouvernement à l'égard du système que vous avez
décrit et qui nous est envié par-delà les
frontières.
Je commencerai par la question du Président FRANCOIS-PONCET relative
à la concertation. Nous avons ouvert la concertation sur la TGAP le 6
octobre. Madame la ministre avait annoncé, dès la fin juillet,
l'ouverture d'une concertation importante sur ce sujet. Nous avons poursuivi le
19 octobre et M. Robert GALLEY a fait une présentation très
précise de ce qui s'est dit hier. Nous allons la poursuivre
au-delà du 19 octobre et la date du 11 décembre
évoquée par M. Jean FRANCOIS-PONCET n'est pas une date butoir.
Nous pensons en effet qu'il serait bien qu'à l'occasion de la
conférence annuelle des Présidents des comités de bassin
que nous nous mettions d'accord sur des principes et des contenus qui
pourraient conduire à l'application de la réforme de la
fiscalité écologique au secteur de l'eau. Ceci nous laisserait
tout le temps nécessaire pour aller au-delà, pour affiner, pour
modifier, pour revérifier dans quelles conditions précises ceci
se fera.
Le 11 décembre n'est pas du tout une date butoir, mais plutôt une
date d'étape et de vérification conjointe, et si possible une
date de consensus.
De quoi s'agit-il exactement ?
Je crois qu'on prête à la TGAP beaucoup plus de choses qu'elle
n'en contient, du moins s'agissant du secteur de l'eau. La TGAP est un
instrument qui, de notre point de vue, doit permettre de moderniser, de
simplifier la fiscalité écologique en France pour la rendre plus
efficace.
Comment cela doit-il fonctionner ?
D'une manière assez simple qui consiste à aller au-delà de
ce qu'est la fiscalité écologique traditionnelle, celle que nous
connaissons tous à travers les 76 taxes ou éléments de
parafiscalité que nous enregistrons dans le domaine de l'environnement,
certains au rendement complètement négligeable et d'autres avec
un rendement plus important. Ces 76 taxes et éléments de
parafiscalité ont eu pour fonction de donner à la politique de
l'environnement, au cours de ces années pionnières, la
possibilité de dégager des ressources nécessaires à
la réparation des dégâts causés à
l'environnement à l'occasion d'activités polluantes.
La politique de l'environnement s'est construite de cette façon,
c'était inévitable et c'était une bonne chose. Nous
pensons que nous pouvons passer à une deuxième étape :
aller au-delà de la simple réparation et essayer, à
travers la fiscalité, d'adresser le signal prix le plus efficace
possible pour poursuivre les actions curatives, mais également pour
prévenir et inciter les industriels, les acteurs, à modifier
progressivement leur " process " et à adopter des
comportements plus vertueux sur le plan de l'environnement.
La philosophie de la TGAP est celle-là : ce n'est pas d'arrêter de
réparer, mais d'aller au-delà de la réparation de
manière à adresser ces signaux plus vertueux.
Nous avons choisi une méthode progressive. Tout d'abord, l'annonce d'un
contenant, d'instruments. Ensuite, l'annonce d'un premier contenu. Les taxes
que l'ADEME percevait de manière indirecte jusqu'à
présent. Avec la TGAP, l'ADEME percevra en 1999 plus de 40 % de
ressources en plus par rapport au rendement des taxes affectées de 1998.
C'est considérable, ce qui permettra de mettre en oeuvre une nouvelle
politique en matière de maîtrise de l'énergie et du
développement des énergies renouvelables.
Premier contenu en 1999. Nous pensons que toutes les activités
polluantes ou perturbatrices ont vocation à participer à cette
taxe et nous considérons aussi, pour toutes les raisons que vous avez
tous évoquées, que l'eau, qui est un secteur spécifique,
doit participer d'une manière concertée à la TGAP. C'est
pour cela que nous avons annoncé le principe et qu'il n'a jamais
été question d'avoir un seul premier article de loi de finances
sur l'eau en 1999.
Nous partageons aussi les 7 piliers et les 12 commandements et c'est pourquoi
nous voulons voir avec vous tous la manière dont la gestion, par bassin
versant, sera conservée, la manière dont les ressources des
agences seront garanties et pérennisées, la manière dont
l'ajustement inévitable en matière de taux comme en
matière d'emploi des ressources, sera mis en oeuvre.
Tout ceci fait l'objet de la concertation que nous avons commencée et
que nous allons poursuivre. C'est l'objet des trois scenarii que le directeur
de l'eau a proposés hier et sur lesquels nous sommes prêts
à discuter avec vous tous pour mettre au point la solution qui
paraîtra la meilleure à cet égard.
M. Jacques OUDIN
. - Pourquoi la concertation démarre-t-elle trois
mois après l'annonce ? N'aurait-elle pas pu démarrer trois
mois avant ?
M. Thierry WAHL
. - Parce qu'il y avait le mois d'août, Monsieur le
Président.
2. Intervention de M. Géraud GUIBERT, adjoint au maire du Mans, secrétaire national chargé de l'Environnement au parti socialiste
M.
Géraud GUIBERT
. - Monsieur le Président, Mesdames et
Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord vous
remercier, Monsieur le Président, d'avoir organisé cette table
ronde. Le sujet est important et d'actualité et il est tout à
fait utile que nous ayons ce dialogue.
Je voudrais rappeler les trois éléments essentiels du diagnostic,
tels que nous les voyons au parti socialiste.
Le premier est l'existence dans notre pays d'instances de bassin qui jouent
un rôle positif et important dans la politique de l'eau
. Le
système mis en place dans les années 60 a quelque peu vieilli.
Son action est restée incomplète et imparfaite. Ses
défauts se sont accentués au fil des ans. Mais son cadre
général reste indispensable. La gestion de l'eau sur la base du
principe pollueur payeur et la circonscription géographique
cohérente du bassin doivent être notre logique d'action. Notre
objectif sera donc de moderniser le système et non de le supprimer ou
d'en réduire l'importance.
Le deuxième élément du diagnostic est la relative
insatisfaction de nos concitoyens à l'égard des problèmes
de l'eau
et, Monsieur le Président, vous êtes aussi comme moi
originaire de l'ouest de la France, nous sommes bien placés pour le
savoir.
L'incompréhension peut se résumer comme suit : depuis le
début des années 90, le prix de l'eau augmente fortement, les
compagnies de distribution font des bénéfices importants, et la
qualité de l'eau ne s'améliore pas, voire se dégrade. On
sait que ce jugement n'est pas toujours juste, mais il existe et il faut le
prendre en compte.
Le troisième élément est le caractère totalement
désordonné et souvent peu rationnel des mesures prises ces
dernières années en matière de fiscalité
écologique
. Il n'est donc pas étonnant que les
résultats aient été quelque peu décevants.
La multiplication des taxes affectées, de faible montant, n'a eu qu'un
effet marginal sur la réalité des nuisances. Une grande
défiance s'est installée à l'égard de l'utilisation
de l'outil fiscal vis-à-vis de l'environnement, alors que c'est à
l'évidence une voie d'avenir. La dispersion a laissé des trous
béants dans l'application du principe pollueur-payeur et a rendu
impossible l'utilisation de la fiscalité sur l'environnement pour
favoriser les créations d'emplois.
La réflexion d'ensemble sur la fiscalité écologique
était une démarche indispensable. Celle qui a été
impulsée depuis quelques mois par le Gouvernement constitue une
première dans notre pays. Le parti socialiste et ses parlementaires y
ont fortement contribué. C'est dans ce cadre que le Gouvernement a
décidé de proposer au Parlement, qui vient de l'adopter, la
création d'une taxe générale sur les activités
polluantes. Le parti socialiste se félicite de cette mesure, qu'il avait
lui-même proposée, et qui doit permettre une rationalisation de
notre dispositif.
Il reste que sa mise en oeuvre dans le secteur de l'eau suppose à
l'évidence des dispositions particulières. La ministre de
l'Environnement, Mme Dominique VOYNET, a d'ailleurs indiqué que son
application à l'eau, fixée pour l'an prochain, devait faire
l'objet d'une concertation qui est engagée avec toutes les parties
concernées. Et ce n'est qu'après cette concertation que les
mesures définitives seront prises.
Le parti socialiste quant à lui souhaite que la fixation des
modalités d'application de la TGAP à l'eau soit l'occasion de
consolider et d'améliorer le système des redevances.
Notre souhait est que soit renforcée la régulation du
système afin que le service public de l'eau exerce mieux ses missions.
Ceci suppose de rendre le système de redevance plus cohérent
à partir d'un certain nombre d'orientations.
La première : généralisation, dans le cadre du bassin,
de l'application du principe pollueur payeur
, et nous en sommes assez loin.
Deuxièmement, meilleur encadrement par le Parlement des règles
applicables
, en particulier pour des assiettes plus simples et plus claires.
Troisièmement, introduction de nouveaux mécanismes de
péréquation
afin de mieux prendre en compte les
inégalités qui restent trop grandes devant la facture d'eau.
C'est dans un tel cadre que pourra être atteint au mieux le double
objectif que nous devons poursuivre. Le premier est de garantir la
nécessaire autonomie des instances de bassin, avec une gestion
décentralisée et partenariale. Le deuxième est de
promouvoir la création d'un outil à assiettes suffisamment larges
pour faire jouer le double dividende. L'essentiel en fait est que la TGAP, la
TIPP
5(
*
)
et les redevances de l'eau puissent
à l'avenir être utilisées ensemble en faveur de
l'environnement et de l'emploi.
(Applaudissements).
M. Jacques OUDIN
. - Merci. Je ne suis pas certain que tout le monde,
à ce stade de notre information, ait bien appréhendé ces
éléments. J'ai noté que vous avez dit que la TGAP doit
renforcer le système des redevances et cela méritera quelques
explications complémentaires. La fiscalité est une chose
très compliquée, je peux vous l'assurer étant membre
depuis 12 ans de la Commission des finances du Sénat. Je dois
reconnaître que tout cela n'est pas pour moi d'une parfaite
limpidité, mais je suis sûr que les explications de la
matinée vont nous éclairer.
Votre propos indique la volonté de renforcer le système des
redevances et à côté de faire en sorte que l'ensemble de la
fiscalité écologique puisse être plus efficace. Je crois
que c'est louable et nous ne pouvons que partager un souci qui fasse que notre
système fiscal soit plus efficace.
Maintenant, M. Pierre RADANNE, vous qui êtes le premier concerné
par la loi de fiscalité en tant que Président de l'ADEME,
pouvez-vous nous faire part de votre sérénité en la
matière et surtout de celle que vous ressentez sur l'avenir des
ressources de votre organisme une fois que le système aura changé
?
3. Intervention de M. Pierre RADANNE, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
M.
Pierre RADANNE
. - Tout à fait. Je vais me présenter à
vous comme quelqu'un qui est heureux de la mise en place de la TGAP, et qui
vient solliciter la sagesse sénatoriale et vous présenter le cas
de l'ADEME et l'extrapolation qu'on peut en faire sur la question des agences
de l'eau. C'est sur l'ADEME que la TGAP va porter dès l'année
1999. L'ADEME se trouvait jusqu'alors dans une situation fort difficile avec un
morcellement des taxes gérées par l'agence, donc portant sur les
déchets ménagers, sur les déchets industriels
spéciaux pour financer la dépollution des sols, sur l'air, sur le
bruit, soit donc une situation extrêmement complexe entre les taxes et
les crédits budgétaires de l'agence, et il faut bien le dire, une
bien faible solidarité entre les tutelles d'Etat.
Ce morcellement des taxes fait notamment que notre coordination avec les
agences de l'eau sur la dépollution des sols est particulièrement
insuffisante. Nous intervenons sur les sols et les agences souvent ont à
intervenir en aval sur la pollution des nappes phréatiques, on gagnerait
donc à avoir une meilleure intégration. Donc, une première
image de morcellement.
Les textes qui ont institué ces taxes étaient souvent très
rigides, ils se sont de plus accompagnés de contentieux. Mais le
Parlement n'a pas modifié ces taxes en attendant la résolution
des contentieux. Maintenant nous avons des problèmes sur quasiment
toutes les taxes et je crois que le passage d'un système parafiscal
à un régime fiscal permettrait de résoudre ce genre de
choses. La taxe sur les huiles polluées aujourd'hui fait l'objet d'un
contentieux qui vient d'être tranché par le Conseil d'Etat et ce
litige porte sur un an de fiscalité.
On a là un système qui est fort peu robuste, très lourd,
avec une visibilité politique, notamment pour le Parlement, qui est
très faible.
En plus, nous avions des échéances qui venaient
régulièrement fragiliser le dispositif. On pare les taxes
existantes de vertus qu'elles n'ont pas eues dans le passé.
L'échéance de 2002, inscrite par la loi de 1992 sur les
déchets, aboutit à un net flottement parmi les acteurs pour ce
qui concerne la politique des déchets ménagers et il est
essentiel d'introduire de la visibilité dans ce mécanisme.
Les décrets, voire les lois qui instruisaient ces taxes, comportaient
des limites sur les modes d'intervention, qui n'ont aujourd'hui plus aucun
sens. Par exemple, la loi sur les déchets nous autorisait seulement
à financer des équipements. Ce financement nous interdit de faire
de la prévention à la source, alors qu'elle figure dans le texte
de loi comme étant une des priorités. On n'a pas le droit de
faire de la recherche et de l'innovation sur les déchets industriels
spéciaux, pourtant taxés, alors qu'on peut en faire sur les
déchets ménagers qui posent beaucoup moins de problèmes en
matière technologique. Et puis, autre perversion liée à un
système qui favorisait trop fortement les aides à
l'investissement et trop faiblement l'innovation : la
rémunération du personnel de l'ADEME était au prorata des
recettes des taxes, alors que l'action normale du personnel de l'ADEME a pour
but de réduire les taxes. On était dans un mécanisme qui
introduisait une nouvelle perspective de plan social sur l'ADEME, ce qui
déstabilisait encore plus l'établissement.
Le système en vigueur à l'ADEME, d'un mélange de taxes et
de crédits budgétaires était extrêmement immature.
Je ne peux que constater que la fiscalité des agences de l'eau a 35 ans
et on comprend avec quelle force vous la défendez parce que, à
travers l'histoire, elle s'est développée. La fiscalité
dont bénéficie l'ADEME a moins de 10 ans et elle n'est pas au
même niveau de maturité. Et c'est votre soutien que je sollicite
pour qu'on améliore le système existant.
Ce qui doit persister de la période actuelle, c'est bien sûr la
gestion partenariale. J'y suis fortement attaché, à la fois pour
l'attribution des aides et pour aider l'établissement dans sa
réflexion stratégique.
Il est utile, et la TGAP en est l'outil, d'introduire une plus grande
stabilité des systèmes d'aide et une plus grande
prévisibilité pour permettre aux opérateurs de
réaliser leurs investissements, sachant que les systèmes d'aide
de l'agence changent tous les deux ans et qu'il y a des effets d'aubaine.
(Protestation de la salle).
La réalité, c'est cela et je ne fais que demander une plus grande
stabilité. Il est essentiel aussi que le système fiscal, et
l'ADEME est en avance sur les agences de l'eau, aille dans le sens d'une
maîtrise des consommations et pas seulement dans le sens d'une
dépollution. Notre métier est d'économiser
l'énergie. Celui des agences de l'eau est aussi d'économiser
l'eau, et il faut que le système pousse à l'économie d'eau.
Enfin, quels sont les éléments de stabilisation qui peuvent
être introduits pour améliorer le système au-delà
des propositions actuelles ?
Il faut intégrer la TGAP dans une logique de contrat de plan, et je
souhaite que l'Etat passe avec l'ADEME un contrat de plan sur la période
2000-2006, ce qui nous permettrait enfin d'organiser nos programmes de
recherche, les systèmes d'aide, d'en faire une diffusion davantage
démocratique pour toutes les catégories de
bénéficiaires, et d'avoir une plus grande stabilité.
Cela permettra à l'ADEME de contractualiser avec les départements
et surtout les régions, alors que cela lui est impossible aujourd'hui
pour une partie de ces taxes.
Je souhaite également qu'on puisse moderniser les modes d'intervention
financière, notamment qu'on développe des fonds de garantie et
qu'on puisse avoir des mécanismes qui déclenchent des
financements bancaires, ce que les mécanismes des taxes actuelles ne
permettaient pas de faire.
Enfin, il faut qu'on puisse s'inscrire dans une perspective d'écotaxe
européenne assise sur les consommations d'énergie.
Dernière remarque : j'envisage comme un progrès de la
démocratie que la TGAP, par son mécanisme, soit l'objet d'une
présentation devant le Parlement chaque année et je souhaite que
le Parlement ait une visibilité sur l'ensemble de l'action de l'agence,
ce qui n'est pas aujourd'hui le cas.
M. Jacques OUDIN
. - Je vous remercie de l'attention que vous portez au
Parlement. Le seul regret que certains des parlementaires présents dans
cette salle ont, c'est de n'avoir été informés que par la
presse. Sinon, nous aurions pu peut-être y réfléchir avec
vous un peu en amont, mais finalement c'est le Parlement qui aura à en
débattre.
J'ai entendu dire : " le Parlement a déjà
adopté ". Non, pas encore. L'Assemblée nationale oui, mais
elle n'est qu'une chambre au sein du Parlement.
Nous avons entendu trois témoignages qui exposaient les raisons et les
motivations qui ont conduit à cette proposition. Je demande à M.
Alain LIPIETZ, directeur de recherche au CNRS, s'il veut intervenir rapidement.
Vous avez été un des artisans de cette réflexion.
Pouvez-vous nous dire comment elle a été amorcée
?
4. Intervention de M. Alain LIPIETZ, directeur de recherche au CNRS
M.
Alain LIPIETZ
. - Je crois que la discussion s'est amorcée depuis
longtemps à partir d'un constat un peu plus nuancé que ce que
j'ai entendu ce matin. J'ai été très impressionné
par l'autosatisfaction des responsables de la politique de l'eau en France,
mais qui est assez peu partagée par le Français moyen. Quand
j'étais jeune je me baignais dans la Seine à Puteaux. Depuis,
cela me paraît assez risqué et pourtant le prix de l'eau a
explosé.
Pourquoi cette discordance entre la hausse énorme du prix de l'eau et la
dégradation constante de la qualité de l'eau ?
La réponse a été apportée par une réflexion
sur le sens qu'il fallait donner au principe pollueur-payeur. Il y a
derrière trois conceptions assez différentes - on paye la
réparation, la remise en état, et c'est l'idée de la
redevance ; on paye le dommage, et c'est plutôt une indemnisation ;- et
enfin le signal prix : il est adressé à l'éventuel
pollueur pour que, si possible, il ne pollue pas et c'est plutôt
l'idée de la pollutaxe.
Les Anglo-Saxons se sont particulièrement attachés à
démolir la première idée, à savoir la redevance,
avec la théorie du hasard moral. Effectivement, dans le vocabulaire
même employé ce matin, qui parlait de mutuelle, on retrouve toute
la théorie critique du hasard moral, c'est-à-dire qu'une mutuelle
dans laquelle il n'y aurait ni bonus malus, ni franchise, et qui serait en plus
gérée par les garagistes, aboutirait à une montée
vertigineuse des cotisations, des dépenses des garagistes et à
l'irresponsabilité du conducteur. C'est un peu ce problème du
hasard moral qui amène aujourd'hui à tempérer la
première conception du principe pollueur payeur, que certains appellent
payeur-pollueur, c'est-à-dire : j'ai payé une cotisation et j'ai
le droit de polluer comme je l'entends.
Quelle que soit la qualité des ingénieurs et des gestionnaires
des agences de bassin, ils sont lancés dans une course sans fin
derrière des pollueurs qui se sentent déchargés de leurs
responsabilités. Il faut donc ajouter, à une taxe de remise en
état (la redevance, qui continuera à exister), une pollutaxe.
Quels que soient les progrès qu'on peut faire, même si on
améliore la qualité de la conduite automobile, il y aura toujours
des réparations à faire. Et il faut lancer un deuxième
signal beaucoup plus fort aux pollueurs, et c'est le but de la TGAP. Il y aura
forcément deux taxes et peut-être trois. Le problème de
l'indemnisation reste entier. Il faudra peut-être que les pollueurs aient
directement à payer aux pollués. Le côté redevance
et le côté taxe de prévention devront à l'avenir
coexister pour éviter les paradoxes du hasard moral.
M. Jacques OUDIN
. - Chacun va réfléchir à ces
propos. Nous allons prendre deux praticiens et leur demander leur
réaction : M. Daniel CAILLE, Président du SPDE, et M. Brice
LALONDE, ancien ministre, Président du groupe de l'eau de
l'AMF.
5. Intervention de M. Daniel CAILLE, président du Syndicat professionnel des entreprises de services d'eau et d'assainissement (SPDE)
M.
Daniel CAILLE
. - Quelques mots en tant que praticien du métier de
l'eau, quelques mots au titre d'ancien directeur au sein d'une agence de bassin
et quelques mots au titre de ma fonction de professeur.
Je crois que nous tenons au système de la gestion par bassin et de la
gestion par programme. Nous y sommes attachés non seulement par pure
règle doctrinaire, mais également par rapport à l'objectif
des agences de bassin qui est de contribuer à fournir une eau en
qualité et en quantité suffisantes. La dynamique de
rationalisation des investissements, la dynamique de la prioritarisation des
investissements autour des objectifs de qualité et de quantité de
l'eau, cette expérience française de la loi de 64 est
revendiquée haut et fort comme un modèle de gestion
écologique, ce qui nous paraît très sain puisqu'elle
entraîne tout acte individuel de décision dans une dynamique
cohérente d'ensemble.
Cette dynamique offre la meilleure chance d'avoir le moins mauvais
résultat en termes de gestion des priorités des investissements.
Elle ne se substitue pas au pouvoir de décision des acteurs locaux. Une
autre solution radicalement différente aurait été de
supprimer la responsabilité des décideurs locaux,
collectivités locales ou industriels.
Nous avons réaffirmé ce matin que la gestion de l'eau doit
être faite par bassin et par programme, que nous ne sommes pas dans un
système moral pollueur-payeur, mais dans un système où il
faut ajuster des moyens aux objectifs. Or, pour appliquer un principe
pollueur-payeur à l'état pur, cela me rappelle les discussions
engagées il y a 25 ans, il faudrait que le taux des redevances soit
incitatif. Qu'est-ce qu'un taux incitatif ? Comparons le taux de la redevance
avec le taux incitatif. Refaisons le calcul. Considérons le coût
moyen de l'exploitation d'un ouvrage qui permettrait de dépolluer, on se
rendrait compte que les redevances ne sont pas incitatives.
Quel est l'intérêt d'avoir un taux de redevance incitatif et
comment aller expliquer aux consommateurs d'eau ou aux industriels
l'intérêt d'avoir un tel taux ?
L'objectif est de définir un programme prioritaire pour que, dans les
meilleurs délais, en accompagnement de l'outil réglementaire, on
ait une politique de l'eau efficace, en qualité et quantité
disponibles pour les usagers de l'eau.
S'agissant de la TGAP, le problème est de savoir si tout l'argent de
l'eau doit aller à l'eau. Les distributeurs d'eau sont très
attachés au principe selon lequel l'argent de l'eau doit aller à
l'eau, mais si vous accordez des subventions de l'Etat en aide aux
investissements qui sont à faire, vous obtiendrez l'assentiment
général. C'est un principe sain de transparence, mais surtout de
priorité d'investissement. Les investissements sont à faire
demain. Les directives européennes sont devant nous, à
échéance 2003 à 2005, et le retard pris en matière
d'investissements est patent aujourd'hui. Nous ne respecterons pas, au rythme
des investissements actuels, les directives européennes de demain. C'est
d'abord un souci d'efficacité en matière d'investissements que de
respecter ce principe.
Et puis, au-delà du concept considérant que tout l'argent de
l'eau doit aller à l'eau, il faut sans doute rendre le système
plus lisible et plus transparent. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, pour les
consommateurs qui reçoivent leur facture d'eau. Il faut rendre les
choses plus claires, plus justes et plus efficaces, c'est une orientation
à laquelle la TGAP pourrait contribuer. Il faut avoir un système
explicable à ceux qui payent. Pour les collectivités locales,
c'est l'usager qui paye. Mais peut-être veut-on revenir sur ce
principe-là ?
C'est un débat possible, car, de par un arbitrage qui remonte à
1975, c'est l'usager qui paye sur la base d'une redevance brute qui est un
équivalent et non pas sur la base de la pollution nette. Sinon, il
faudrait alors adresser la facture aux collectivités locales et
l'intégrer dans leurs impôts comme la taxe foncière.
Aujourd'hui, la population paye sur la base d'une redevance brute qui est
incorporée à la facture d'eau. Si ce système doit
continuer, nous demandons qu'il soit plus clair, plus simple et plus efficace.
(Applaudissements).
M. Jacques OUDIN
. - Merci. On voit bien ici apparaître deux
écoles de pensée, deux théories d'approche. L'une beaucoup
plus pratique, l'autre beaucoup plus conceptuelle.
Un principe : l'eau doit aller à l'eau. C'est un principe qui recueille
l'avis de nombreux participants de cette salle, notamment les élus et
les praticiens sur le terrain. Et enfin, une amélioration
nécessaire. Plus on en demande, plus il faut être clair en
matière d'explication et de compréhension. Une plus grande
compréhension de la politique de l'eau est nécessaire.
Maintenant, M. Brice LALONDE, vous qui avez été ministre de
l'environnement quand on a doublé les programmes d'investissement, en
passant de 40 à 80 milliards de francs, l'a-t-on fait pour rien
?
6. Intervention de M. Brice LALONDE, ancien ministre de l'Environnement, président du groupe Eau à l'Association des maires de France (AMF)
M.
Brice LALONDE
. - Je ne conteste pas personnellement l'idée qu'on
puisse utiliser l'environnement pour servir d'assiette à la
fiscalité. Cette idée est largement répandue et mise en
oeuvre, puisqu'il y a déjà beaucoup de taxes ou d'impôts
écologiques dont l'assiette est l'environnement. D'ailleurs, ces taxes
sont affectées ou pas. On nous rappelait tout à l'heure que la
TIPP, qui représente 160 milliards de francs, n'est pas affectée
et allait donc directement au budget général de l'Etat.
La taxe sur le défrichement n'est pas affectée. La taxe sur les
péages d'autoroutes est affectée à la construction des
autoroutes et cela marche d'ailleurs très bien. De même, la taxe
sur les pylônes électriques ou les espaces naturels sensibles. Je
ne conteste pas l'idée que l'environnement puisse servir d'assiette
à la fiscalité. Ce que je conteste, c'est qu'on se concentre sur
deux agences qui sont précisément du seul domaine de
compétence du ministère de l'Environnement.
Pourquoi l'idée de la création d'une fiscalité
écologique se traduirait-elle par la destruction des meilleurs
alliés de l'environnement ?
On aurait pu prendre la taxe sur le
tabac, ou d'autres.
Si on s'en tient aux seuls domaines de compétence du ministère de
l'Environnement, c'est sans doute qu'il est plus facile de commencer par
là, mais c'est peut-être aussi parce que le ministère de
l'Environnement n'apprécie pas les agences. Pourquoi la TGAP se
traduit-elle uniquement par une attaque envers les agences ? Sans doute pour
cette raison. Depuis longtemps, nous savons aussi que le ministère des
Finances et les orthodoxes n'aiment pas l'idée de recettes
affectées. D'ailleurs, on pourrait leur répondre que si on les
avait écoutés, il ne se serait jamais rien passé dans le
domaine de l'environnement.
Tout ceci s'est créé de manière pragmatique grâce
à des pionniers. Mais Bercy n'aime pas les agences. Et il m'est
arrivé d'entendre des membres du cabinet du ministère de
l'Environnement se plaindre que les agences bénéficiaient d'un
budget supérieur à celui de l'administration centrale ou du
cabinet du ministre. J'en ai conclu qu'il existait peut-être une vieille
querelle entre l'administration centrale ou le ministre de l'Environnement et
les agences. Si l'argent va directement au budget de l'Etat et si par une
négociation subtile avec le ministre des Finances, ceci se traduit par
une substantielle augmentation au profit du ministre de l'Environnement, alors
les membres du cabinet du ministère de l'Environnement sont satisfaits.
Enfin, les derniers qui n'aiment pas les agences, ce sont les
théoriciens qui nous expliquent que le prix de l'eau augmente et que la
qualité de l'eau baisse. Je m'inscris en faux contre cela. La
qualité de l'eau, dans notre pays, s'améliore d'année en
année, mais au fur et à mesure que la politique de
l'environnement avance, nous nous apercevons que le problème n'est plus
la pollution industrielle, mais la pollution diffuse.
Et il est extraordinaire de penser que face à cette pollution diffuse,
c'est-à-dire les automobilistes en ville et les agriculteurs dans le
monde rural, la seule recette résiderait dans une recentralisation,
alors qu'il faudrait être plus près du terrain. En tout cas, je
dirai à l'Etat que s'il veut tout de suite baisser le prix de l'eau, il
peut le faire immédiatement par la suppression de la TVA, ou de la taxe
sur les voies navigables par exemple, sans pour autant porter atteinte aux
agences.
Nous avons souvent entendu parler de droit à polluer. Le paiement d'une
redevance s'apparenterait à une permission de polluer. Il est
déjà mieux de payer que de ne pas payer du tout. Mais, il ne faut
pas confondre la logique de répression avec la logique de l'agence.
Jusqu'à présent, la politique de l'environnement était
fondée sur trois piliers : l'
administration
qui fait les lois,
définit la stratégie, contrôle et oriente la police de
l'eau et nous savons que la police de l'eau était insuffisante. Les
agences
qui sont très différentes sont les meilleures
alliées des collectivités locales. Je le sais en tant que maire.
Je suis très heureux de trouver l'agence pour m'aider à financer
la station d'épuration. Or, si les agences contribuent à la
police de l'eau, on les verra avec beaucoup moins de plaisir parce que ce n'est
pas la même logique.
Qu'on puisse augmenter le montant des réparations civiles ou des amendes
pour les délits de pollution, très bien. Cette idée n'a
jamais été mise en oeuvre, mais ne demandons pas aux agences de
constituer l'armature d'un système répressif qui s'apparenterait
à des amendes. Ce sont des logiques différentes.
Enfin, troisième pilier, un
système d'évaluation
encore insuffisant. Donc, je conteste l'idée d'une TGAP qui
s'attaque d'abord aux meilleurs amis de l'environnement que sont les agences.
La deuxième chose à laquelle je m'oppose, c'est l'affectation
de cet argent
. L'argent est destiné au budget général
de l'Etat. Nous savons aujourd'hui que l'Etat français est bien gourmand
et nous savons aussi que les frais de gestion de l'Etat gourmand sont
supérieurs aux frais de gestion des agences. Il est vrai qu'il y a un
petit côté prédateur, plutôt que protecteur, dans
l'augmentation continuelle de la fiscalité et je ne suis pas certain que
les défenseurs de l'environnement aient comme mission de donner à
l'Etat français les moyens d'avoir toujours plus d'argent.
Désormais, la taxe sur le stockage des déchets va aller à
l'Etat. Qui paye cette taxe ? Les administrés des collectivités
locales qui sont taxés par le biais de la redevance des ordures
ménagères. Donc, une taxe locale va aller financer le budget
général de l'Etat. Il y a là un mécanisme pervers.
Enfin,
dernier point :
je pense que les promesses qu'on nous fait ne
seront pas tenues
. On nous dit : vous pouvez avoir confiance, l'Etat rendra
l'argent à l'environnement. Promesse admirable. Nous voilà tout
à fait rassurés. Et on nous dit : ne vous inquiétez pas,
la ministre de l'Environnement, Mme Dominique VOYNET ne se laisserait pas faire
si l'Etat voulait prendre une partie de l'argent et ne voulait pas le rendre
à l'environnement. Nous sommes obligés de souhaiter que Mme
Dominique VOYNET reste là le plus longtemps possible pour éviter
un tel hold-up.
J'ai lu tous les rapports, qui se sont bousculés depuis quelques mois,
contre les agences. J'ai entendu beaucoup de gens me dire qu'on
dépensait beaucoup trop d'argent dans le domaine de l'eau, ce qui
signifie immédiatement que pour en dépenser moins il suffit de
réduire les travaux et les investissements.
J'ai tellement entendu cela que je suis obligé de dire que, craignant le
hold-up, je crains la régression de la politique de l'eau. Je pense que
les progrès que nous avons acquis avec des décisions
concertées, géographiquement diverses, quinquennales, et qui
permettent aux opérateurs de s'engager dans des investissements
très lourds sont les marques d'un bon système.
Je crains le jacobinisme et l'art de gouverner par circulaire et par ukase. Je
pense que c'est un grand risque et face à cette menace, je
préfère dire non à la TGAP.
(Applaudissements).
M. Jacques OUDIN
. - Il est vrai qu'il y a des faits contradictoires.
Certains disent que les Français ne sont pas contents de l'eau, alors
même que nous constatons une amélioration, nous les gestionnaires
locaux de l'eau. Nous sommes responsables de syndicats, de communes, et on
s'aperçoit sur le terrain qu'il y a une amélioration dans la
plupart des secteurs. Certains secteurs sont encore un peu en difficulté
malgré tout.
La deuxième contradiction qui me frappe, c'est qu'il y a des petits
cénacles qui n'aiment pas les agences. Mais ce qui est le plus frappant,
c'est l'immense adhésion des collectivités territoriales,
communes, départements, région, au travail des agences. Et c'est
cette incompréhension qui soulève quelques interrogations. Je
crois pour ma part, mais les applaudissements tout à l'heure l'ont
montré, que les agences ont su se faire apprécier et aimer dans
le paysage administratif et local français.
Enfin, sur le problème de la centralisation, c'est peut-être une
approche qui n'est pas tout à fait la plus efficace, au moins en ce qui
concerne la vision que peuvent en avoir les collectivités territoriales.
Merci M. Brice LALONDE. Si vous le voulez bien, tous les orateurs de la
première tribune s'étant exprimés, y a-t-il des questions
dans la salle à destination des intervenants ?
M. Pierre EGLER
(Conseiller Régional, membre du Comité de
bassin Rhin-Meuse). - M. Pierre RADANNE nous a fourni la meilleure
argumentation contre la TGAP. Il nous a expliqué qu'il avait beaucoup de
problèmes avec les décisions prises par Paris, en ce qui concerne
les diverses taxes.
J'ai l'impression que vous vivez encore en 1970 quand vous parlez de la
réparation des dégâts. J'ai connu cela dans les
années 70 quand j'ai fait partie du Comité de bassin Rhin-Meuse,
mais depuis longtemps on ne parle plus de réparation, on parle de
prévention. Il serait bon peut-être que vous veniez voir ce qui se
passe dans les agences de l'eau. Ce que vous avez dit tout à l'heure
démontre clairement que vous ne connaissez pas la réalité
du terrain. En ce qui concerne la qualité de l'eau, dans le Rhin
aujourd'hui le saumon remonte ; dans la Tulle, la rivière la plus
polluée de l'Est de la France, la truite est revenue. Ce sont des
actions que nous avons menées au niveau des agences.
Alors ne vous focalisez pas sur quelques individus, mais faisons
référence au titre du dossier qui a été remis aux
participants : une remise en cause radicale de la politique de l'eau. Nous ne
sommes pas dans nos agences pour remettre en cause radicalement la politique de
l'eau. Nous sommes prêts à un certain nombre d'actions, mais ne
nous demandez pas d'être les méchants sur le terrain alors que
Paris décide de tout.
Nous voulons continuer le travail que nous avons commencé dans les
agences de l'eau depuis 25 ans et plus. Alors, laissez-nous travailler et
consacrez votre TGAP à ce qui ne va pas.
(Applaudissements).
M. Daniel MARCOVITCH
(Député de Paris). - Il n'y a que 10
commandements et pas 12, et il suffisait de toucher un rocher pour que l'eau
coule ou étendre les bras pour que la mer Rouge s'écarte. La
maîtrise de l'eau était plus grande à l'époque
qu'aujourd'hui.
Je regrette l'absence de Nicole BRICQ qui est l'auteur du rapport sur la TGAP
et dont l'avis un peu discordant aurait été intéressant,
dans ce concert d'autosatisfaction, voire même de démagogie dans
certains cas.
D'abord, j'ai entendu parler du Parlement de l'eau : le Parlement, par
définition, vote le budget et l'impôt. La différence qu'on
pourrait évoquer, c'est que quand nous, parlementaires, votons le
budget, nous avons été élus pour cela, ce qui n'est pas
tout à fait le cas des Parlements de l'eau ; appelons-les seulement
comités de bassin. Il ne faut pas les parer d'une vertu qu'ils n'ont pas.
Deuxième point : il faut que l'argent de l'eau aille à l'eau.
Bien sûr. Personne n'a dit le contraire. On dit simplement qu'il faut que
ces plans quinquennaux aient également reçu l'aval du Parlement.
C'était le projet VOYNET dans son intervention du 20 mai. Il n'y a
là rien qui remette en cause le rôle des agences ni le principe
des plans quinquennaux.
Autre point : il faut absolument que l'argent de l'eau aille à l'eau.
Moi je dirai que l'argent des usagers va aux distributeurs, sous la forme des
distributeurs producteurs, des filiales qui font des travaux de génie
civil, des constructeurs de centrales d'épuration ou des égouts.
Mais c'est bien de cela qu'il s'agit.
M. Alain LIPIETZ disait que le système mutualiste était
géré par le garagiste qui décide lui-même des taux,
mais c'est la réalité. On peut se parer des vertus de la gestion
par bassin, et personne ne la remet en cause et surtout pas les directives
européennes. Mais le problème posé aujourd'hui est
uniquement d'assurer la maîtrise du financement des agences. Il est
beaucoup plus celui d'industriels, qu'on appelle les praticiens dont le
métier est de produire de l'eau et de bonne qualité si possible.
Et je dirai que l'eau de Paris est de bonne qualité, même si c'est
une société à 70 % parisienne qui produit l'eau.
Le mot praticien évoque un côté très technique. Il
s'agit de professionnels dont le métier est de faire des affaires. On ne
peut pas reprocher à des industriels de vouloir gagner de l'argent. Si
on dit qu'il faut que l'Etat ait un droit de regard dessus, ce n'est pas
remettre en cause la totalité du système.
M. Robert GALLEY
. - Cela ne tient pas debout.
M. Daniel MARCOVITCH
. - Des gens qui cotisent ensemble vivent dans un
groupe fermé. Nous vivons dans une structure qui a des divisions
territoriales locales, départementales, régionales, ou l'Etat.
On a inventé là une division fonctionnelle au niveau de l'eau,
pas de l'impôt, pas de la mutualité ou de la solidarité
entre les Français. C'est le fait d'évoquer la
nécessité d'une solidarité entre l'agence de Paris et
l'agence Adour-Garonne. La deuxième viendrait financer Paris. Eh bien
oui, il existe une notion de solidarité entre Français. A-t-on
parlé de prix unique de l'eau en France ? On a parlé de
modulation permettant de limiter les écarts. On a parlé de
solidarité entre les agences, c'est-à-dire entre les
Français. L'agence n'est pas une entité en soi, c'est un service
rendu aux usagers à travers les collectivités et les
investissements.
Mais, il n'est pas écrit dans la bible que l'agence ne doit pas changer.
On sait qu'un certain nombre de pratiques ne sont pas constitutionnelles.
Alors, ne soyons pas les gardiens du temple pour dire que rien ne doit changer
dans les agences, qu'il ne faut surtout pas que l'Etat s'en mêle ou que
l'Etat est l'ennemi à combattre. Nous sommes ici, pour un certain nombre
d'entre nous, représentants du peuple parce qu'élus, et notre
ennemi serait l'Etat ou le Gouvernement ! Nous votons le budget, nous
représentons la France et nous aurions un ennemi en face. Allons !
Soyons sérieux. On ne peut pas faire que de la démagogie et de
l'autosatisfaction. Le système des agences, la gestion par bassin, est
un des systèmes les plus remarquables qui existent. Le mode de
financement et la façon de calculer la péréquation ne sont
pas parfaits et peuvent évoluer avec le temps.
A partir de là, on essaie de dire aux gens qu'on va remettre en cause la
distribution de l'eau. Non, pas du tout. On va remettre en cause des
problèmes d'argent. Là, on touche peut-être à la
partie la plus sensible et j'aimerais qu'on en parle sérieusement et pas
sous le faux-semblant de la qualité de l'eau.
M. Jacques OUDIN
. - Il nous est offert d'en parler sérieusement
et, pour ce faire, il faut bien analyser les problèmes au fond. Il y a
eu des rapports, il y en aura d'autres. Les assemblées parlementaires,
à partir d'une réflexion comme celle d'aujourd'hui et la
concertation engagée depuis octobre, auront elles-mêmes à
coeur de se pencher sur ce problème de la fiscalité
écologique et cela se passera dans les deux assemblées de la
même façon.
Mme Sylvie MAYER
(Conseiller régional d'Ile de France,
responsable des questions d'environnement au parti communiste). - Nous sommes
tout à fait opposés à la TGAP, pour la plupart des
arguments qui ont été ici développés, et les deux
projets de loi que nous avons déposés en 1992 et 1994, l'un sur
le prix de l'eau et l'autre sur l'élaboration d'un service public
national de l'eau, n'allaient pas dans ce sens.
Certes, nous sommes persuadés qu'il faut améliorer encore le
système des agences, et si aujourd'hui nous comparons ces agences et
leur gestion à ce que vient de nous dire M. RADANNE en ce qui concerne
l'ADEME, je crois que les agences sont quand même en meilleure voie.
S'agissant des différents objectifs de la TGAP, c'est-à-dire la
création d'emplois par le déplacement de l'assiette, un meilleur
signal vis-à-vis des pollueurs et l'accueil des taxes
européennes, écotaxes sur l'énergie, au sein de la TGAP,
je mets en doute les deux premiers. Quant au troisième, je crois qu'il y
a un fond d'idéologie qui ne correspond pas au besoin et à la
réponse sur la gestion de notre patrimoine de l'eau.
Au regard de la création d'emplois, malheureusement jusqu'à
présent les allégements sur la fiscalité du travail n'ont
pas prouvé leur excellence, alors qu'il me semble que l'activité
des agences a permis des créations d'emplois. Le fait de
s'intéresser à l'eau et d'investir massivement sur la question de
l'eau, la création des SDAGE, cela peut être créateur de
milliers d'emplois, et il y a donc là des voies meilleures.
Le meilleur signal : je n'ai pas encore compris comment cela va fonctionner. Si
c'est la collecte unique de taxes multiples, je ne vois pas ce qui change. Si
c'est une nouvelle taxe supplémentaire, qui obligera les
collectivités à produire d'autres efforts, on va encore faire
payer les gens mais sans qu'ils en perçoivent l'utilité. Il me
semble que le principe de mutualisation peut être direct et efficace
vis-à-vis des industriels.
Nous avons été parmi ceux qui dénoncent les pollutions par
l'activité productive. Mais je trouve qu'aujourd'hui des
améliorations très sensibles ont été faites.
L'activité humaine crée naturellement des effluents et je ne vois
pas pourquoi on veut culpabiliser tout le monde pour cette raison. Il faut au
contraire aider à la prévention.
De ce point de vue, nous sommes porteurs d'un projet. Il nous semble qu'il
faudrait dans ce pays un établissement public national consacré
à l'environnement, qui puisse permettre des recherches, apporter des
conseils aux collectivités car aujourd'hui elles se trouvent face aux
majors. Je ne vois pas non plus comment la TGAP va empêcher les majors de
s'enrichir. Il faut leur imposer des missions de service public plus
rigoureuses. La police de l'eau doit faire son travail. On doit exiger plus de
transparence dans les comptes de ces sociétés et elles doivent
aussi, de la même manière, avoir un statut pour leurs
salariés qui, pour l'instant, n'ont pas droit à un statut de
branche comme dans d'autres activités.
Je crois que le monopole de l'eau ne va pas dans le sens d'investissements
vraiment adaptés aux besoins, et là je crois qu'une agence
nationale ou un établissement pourrait favoriser cela.
Voilà quelques éléments résumant notre opinion. Je
suis avec attention les activités du Cercle français de l'eau et
j'espère qu'un jour je serai aussi invitée parmi les intervenants
des tables rondes.
(Applaudissements).
II. L'AVENIR DES AGENCES DE L'EAU DANS LE CADRE DE LA TGAP ÉTENDUE AUX REDEVANCES
A. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉLUS, INSTITUTIONNELS ET EXPERTS
M.
Jacques OUDIN
. - Ce matin nous avons fait un large tour d'horizon sur le
principe de fonctionnement du système des agences et de la politique de
l'eau et, sur l'application de la TGAP. L'exemple de l'ADEME a fait
apparaître quelques éléments qui pourraient résulter
de cette création. J'ai l'impression que nous avons bien débattu
de ce principe de la fiscalité écologique, même si tous les
aspects n'ont pas été complètement cernés, si
toutes les applications n'ont pas été perçues, si tout n'a
pas été totalement assimilé. Je parle pour moi, en tout
cas, parce qu'il reste beaucoup de zones d'ombre en la matière. Cela
nous a amenés au moins à une réflexion et nous sommes
quelques-uns ici à le penser. Au-delà de la concertation, il est
nécessaire qu'il y ait des réflexions complémentaires qui
puissent se passer en dehors ou au sein des assemblées.
La deuxième table ronde concerne l'avenir des agences dans le cadre
d'une TGAP étendue aux redevances. Nous avons compris avec le
scénario 3 exposé par M. Robert GALLEY ce matin que la
direction recherchée était un peu différente. Mais ce qui
est important, c'est de prendre connaissance de la position des
différents partenaires.
En écoutant les réactions de la salle, on prend bien conscience
que tout le monde n'est pas encore totalement convaincu des conséquences
bénéfiques de la TGAP. Il faut donc en discuter et je voudrais
donner la parole à une des personnes qui a fait partie de
l'équipe de réflexion sur cette réforme, Mme Bettina
LAVILLE, conseiller à Matignon.
1. Intervention de Mme Bettina LAVILLE, conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre
Mme
Bettina LAVILLE
. - J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt
l'ensemble des arguments, et je voudrais faire une série d'observations
préliminaires et développer ce qui était le thème
de la deuxième table ronde par rapport au projet du Gouvernement.
Je voudrais d'abord dire que j'ai été le directeur de cabinet de
M. Brice LALONDE et je me souviens assez bien de son état d'esprit
à propos du vote de la loi sur l'eau. Beaucoup de débats ont eu
lieu qui portent sur le coeur des problèmes soulevés actuellement.
Premièrement, l'évolution du secteur de l'industrie et des
collectivités locales a fait que la loi sur l'eau de 1964, tout en
étant un cadre législatif très adapté, ne
correspondait plus aux besoins de la population française et aux
exigences en matière d'eau et de qualité de l'eau. C'est un
constat qui avait été fait par le Gouvernement de M. Michel
ROCARD, porté dans la discussion parlementaire par le ministre de
l'Environnement, qui avait dit à l'époque que la loi sur l'eau
était une étape, une bonne étape, mais qu'il faudrait
approfondir la notion d'" intérêt
général ". Rapportée au secteur de l'eau, je crois
que nous sommes aujourd'hui au coeur de ce débat et qu'il s'agit bien de
l'intérêt général.
A propos d'environnement, qui peut dire aujourd'hui que l'environnement en
France est le même depuis 30 ans ?
Qui peut dire aujourd'hui que l'évolution des pollutions agricoles et
les besoins en eau dans les grandes agglomérations sont les mêmes
qu'il y a 30 ans ? La réponse est : personne.
Qui peut dire aujourd'hui qu'un instrument qui a été conçu
par une France en reconstruction en 1964 doit rester, de façon
intangible et conservatrice, le même instrument aujourd'hui à un
an de l'an 2000 ? Personne.
Nous avons souhaité faire évoluer, conformément à
l'exposé des motifs mêmes de la loi sur l'eau, ce système
dans un but d'intérêt général. Aujourd'hui nous
avons deux problèmes par rapport au fonctionnement des agences de l'eau.
Tout d'abord, le système pollueur-payeur qui est un bon système
et dont on voit aujourd'hui, notamment depuis les évolutions de 1992, le
bien-fondé, mais qui comporte aussi quelques perversités. Il est
devenu aujourd'hui, et c'est la Cour des comptes qui le dit un système
beaucoup plus " cotisant bénéficiaire " que
garantissant véritablement l'équilibre entre le pollueur et le
payeur. Il y a là une dérive. Je ne dirais pas une dérive
mutualiste parce que j'ai le plus grand respect pour le système
mutualiste. Cependant, notre système est trop fermé, alors que
nous devons construire un système d'intérêt
général. C'est le rôle de l'Etat que de faire recouvrer
l'intérêt général à des institutions dont il
a la tutelle, qui connaissent aujourd'hui, des résultats remarquables
dans beaucoup de bassins, mais où il y a une certaine dérive et
en particulier sur leur mission de service public.
Vous le dites vous-mêmes quand vous êtes au sein des comités
de bassin. Il y a évidemment des problèmes d'utilisation de
l'argent qui ne s'affecte toujorus pas aux travaux nécessaires. Il y a
des problèmes de travaux qui ne sont pas faits, faute d'un bon
système de financement. Il y a aussi des problèmes de
péréquation tout à fait considérables. Et il est du
rôle de l'Etat et de sa mission d'intérêt
général de faire évoluer cela.
La deuxième remarque préliminaire que je voudrais faire concerne
la fiscalité écologique. Ce Gouvernement est arrivé avec
un programme concernant une réforme de la fiscalité et notamment
écologique.
Le Président Jacques OUDIN a eu la gentillesse de dire un mot sur le
fait que je suis depuis longtemps les questions d'environnement. Je voudrais
vous dire que, au-delà des affaires d'eau, deux choses m'ont beaucoup
frappée depuis dix ans dans le secteur de l'environnement.
Tout d'abord, par rapport aux directives européennes, nous sommes
toujours en retard. Cela veut dire que des directives sont approuvées,
nous le savons, les industriels le savent, et quand on arrive au moment de
l'application, beaucoup de gens et d'industriels se précipitent dans le
bureau du responsable ministériel en disant : nous n'allons pas suivre.
Et l'intérêt général consiste à
prévenir ce genre de choses. Nous le faisons concernant le
CO
2
6(
*
)
. Nous sommes le premier
Gouvernement à avoir changé la position de la France en
matière de CO
2
et économiquement c'est tout à
fait indispensable. Quand les Etats-Unis auront considéré que
pour eux c'est le moment de changer de position et d'être favorables
à une écotaxe, dans 5 à 6 ans, le mouvement du monde
environnemental et les répercussions sur la communauté
européenne seront considérables, et nous nous féliciterons
d'avoir pris les devants.
Il en va de même pour l'eau. Deux directives très importantes nous
attendent et nous devons donner un coup d'accélérateur, comme
celui qui a été donné au moment de la loi sur l'eau pour
soutenir les normes qui seront imposées par la communauté
européenne et les conseils européens.
Ce n'est pas une surprise. Vous avez dit, Monsieur le Président,
à un moment donné, qu'il n'y a pas eu de concertation. En
principe, le budget de l'Etat, les sénateurs le savent bien, est
préparé par le Gouvernement et ensuite il est discuté au
Parlement. Evidemment, aujourd'hui, la discussion budgétaire est ouverte
au Sénat et à l'Assemblée.
Je crois que le Cercle français de l'eau a l'habitude des débats
honnêtes.
On dit que l'eau doit revenir à l'eau. Bien évidemment. M. Brice
LALONDE nous dit : il y a deux problèmes de fiscalité
écologique. Un problème à l'intérieur d'un
même système de pollution et de réparation, que faut-il
prélever pour donner à quoi ?
C'est pour l'instant le système des agences, et fondamentalement la
décision gouvernementale ne le change pas, puisque cela retournera
à l'eau. Ce n'est pas lié à la seule durée
gouvernementale de Mme Dominique VOYNET. L'Etat, en principe, s'est
donné d'autres garanties que le temps d'un Gouvernement ou de ses
ministres.
Il y a une autre possibilité, nous a dit Brice LALONDE. Pourquoi ne
prend-on pas autre chose, par exemple le tabac, pour donner à
l'environnement ? C'est une conception de la fiscalité
écologique, qui est intéressante et qu'il faudra approfondir,
mais qui n'est pas pour l'instant ce qui prime dans toutes les
fiscalités du monde. Cela entraînerait des distorsions de
concurrence considérables. C'est un vrai problème et un vrai
débat. On ne peut pas dire d'un système qu'il doit absolument
rester fermé, l'eau revient à l'eau, et en même temps dire
: après tout, pourquoi ne pas prendre ailleurs pour redonner à
l'eau ? Si vous faites cela, l'équilibre général du budget
de l'Etat fera qu'on prendra à l'eau pour donner à autre chose.
Les éminents spécialistes fiscaux, rapporteurs de commissions
sénatoriales, le savent bien.
Par rapport à la question posée sur l'avenir des agences de
l'eau, je dirai des choses simples. Le principe pollueur-payeur n'a jamais
été parfaitement appliqué par les agences de l'eau,
simplement parce que des domaines entiers sont restés non
traités. Et ce principe a été immédiatement
complété, par l'action au Conseil d'Administration des agences,
par un principe cotisant bénéficiaire et je dirai aussi : qui est
pur est aidé. D'où la mise en oeuvre par les agences d'un
mécanisme de mutualité où tout le monde attend le juste
retour sous forme d'aide. Les gens veulent récupérer
l'équivalent du montant des redevances qu'ils acquittent.
Ce système qui a, encore une fois, donné au système de
l'eau en France une bonne tenue générale doit aujourd'hui
évoluer. Dans le cas des agriculteurs, tout le monde le sait et il faut
avoir le courage de le dire, les pollueurs non payeurs sont aujourd'hui
aidés. On ne peut pas vraiment dire que le système
pollueur-payeur est respecté dans les agences. Ce n'est pas une
critique, c'est un état de fait que tout le monde reconnaît et que
vous reconnaissez tous lorsqu'on vous écoute défendre, amender,
critiquer le budget du ministère de l'Environnement.
Le projet de réforme a l'ambition de revenir sur ces pratiques et
d'activer réellement, en l'adaptant à notre époque, le
principe pollueur payeur. Il faut introduire plus de souplesse dans
l'attribution des fonds et alléger les contraintes de trésorerie
des agences.
Permettez-moi de vous faire part d'une expérience personnelle. Quand
nous sommes arrivés au Gouvernement, la trésorerie d'une agence
était extrêmement riche. La bataille que nous avons menée,
le cabinet de Mme Dominique VOYNET et moi-même au sein du cabinet du
premier ministre, pour empêcher le Budget d'en prélever une part,
a été rude. Et ce système est beaucoup plus dangereux que
le système qu'on vous propose aujourd'hui. A partir du moment où
vous êtes d'accord pour utiliser les fonds de l'eau pour l'eau, il faut
que cet argent soit utilisé pour l'eau.
Il faut introduire, dans des conditions très précises, une part
de péréquation entre les bassins. Je comprends que cela heurte
certaines agences qui s'entendent bien et travaillent bien. Mais nous devons
encore une fois, nous, Etat, vous alerter sur le fait que nous sommes face
à une évolution de la législation européenne qui
fait que cette péréquation est indispensable pour que la France
puisse satisfaire aux exigences qui sont, ne nous y trompons pas, les exigences
de la société civile. Vous connaissez le débat en Bretagne
au sujet des pollutions agricoles. Il y a aujourd'hui des exigences que nous ne
contiendrons pas.
Je voudrais dire trois choses. Il faut, et je crois que la ministre de
l'Environnement a dû le dire, donner un certain nombre de garanties.
D'ailleurs, Mme Dominique VOYNET immédiatement a demandé
l'assurance, qui lui a été accordée, par une lettre de M.
Christian SAUTTER, du compte spécial du Trésor.
Il faut également fournir un certain nombre de garanties qu'on peut
considérer comme une plate-forme de travail.
D'abord, l'unité de bassin ne sera pas rompue. C'est la logique
même des différentes lois et notamment de la loi sur l'eau de
1992, et nous y sommes très attachés.
L'argent prélevé sur l'eau au titre des redevances de pollution
retournera à l'eau en fonction des besoins, ce qui signifie : en
fonction des besoins de dépollution à satisfaire. C'est de
l'intérêt général. Il y a deux gardiens de
l'intérêt général dans ce pays, ce sont le
Gouvernement et le Parlement.
La transparence des affectations et des imputations sur le prix de l'eau sera
respectée et la lisibilité devra être
améliorée.
D'autre part, il faut qu'on réfléchisse à certaines
spécificités modernes des agences. Elles ont été
créées en vue de l'obtention d'un certain résultat qui est
celui de l'amélioration de la ressource. Le débat doit être
approfondi aujourd'hui. Elles doivent pouvoir être
contrôlées et auditées pour vérifier que le
résultat puisse être obtenu au meilleur coût. Il ne suffira
pas simplement d'un rapport de la Cour des comptes, qui vient toujours a
posteriori. Il faut approfondir la réflexion interne entre la direction
de l'eau et les agences.
Comme tout établissement à caractère administratif, les
agences sont et resteront soumises au contrôle de l'Etat à qui il
appartient d'inscrire l'action dans le cadre d'objectifs environnementaux
globaux.
Pour terminer, je voudrais dire deux choses.
Je veux bien qu'on ouvre une polémique autour de cette question : qui
nous garantira l'argent de l'Etat ?
Je voudrais ici rendre hommage aux propos de M. Daniel MARCOVITCH. Je suis
étonnée de voir, au sein d'un organisme qui compte beaucoup de
parlementaires, cette méfiance générale par rapport
à l'Etat, pour deux raisons. (
Protestation de la salle
). Les
systèmes institutionnels sont composés de trois
éléments : judiciaire, parlementaire, le Gouvernement
étant l'exécutif. C'est un triptyque.
Donc, je crois qu'il faut avoir un accord sur cette affaire et je vous incite
beaucoup à réfléchir par rapport aux perspectives
européennes. Je crois que nous avons tous un devoir commun, c'est
d'être prêts par rapport à ce que les évolutions
européennes vont nous demander.
D'autre part, je veux bien qu'on prête à ce Gouvernement de
mauvaises intentions futures sur l'eau, mais je voudrais rappeler que le budget
pour 1999 enregistre 40 % d'augmentation au niveau de la Direction de
l'eau du Ministère de l'Environnement. Les trois budgets
précédents n'ont connu aucune progression. Je verse cela à
la corbeille.
Enfin, je voudrais rendre hommage au Sénateur, M. Joël BOURDIN, qui
disait, ayant présenté son rapport qui fait autorité dans
le milieu de l'eau, la chose suivante : " je ne critique pas le
système des agences qui est en lui un bon système, mais le mode
de calcul des redevances qu'elles perçoivent. C'est un mode de calcul
byzantin, qui prend en compte quantité de paramètres en y
introduisant des coefficients arbitraires. Ainsi, les communes de moins de
400 habitants se voient attribuer un coefficient zéro, elles ne
payent donc pas de redevances. Le montant de ces redevances étant
répercuté sur les usagers, ceux-ci ne payent pas l'eau au
même tarif, selon qu'ils se trouvent dans une commune fortement
imposée ou exonérée, même s'ils font partie d'un
même syndicat intercommunal. Il est nécessaire, à mon avis,
de réfléchir à un nouveau système des services
d'assainissement, qui ne s'appuierait pas sur la redevance, mais sur un
système de péréquation.
Vous voyez bien que, même au Sénat (!), la réflexion a
été engagée sur ce système. Nous avons donné
un début de réponse. Mme Dominique VOYNET s'y est engagée
dans un esprit de concertation. Mais je crois me faire son interprète
pour vous dire que l'esprit de la fiscalité écologique est un
système novateur qui maintiendra deux choses : la qualité de
l'eau en France réclamée par les usagers, et la
compétitivité du système général qui a
été très souvent considéré comme un
modèle par rapport à l'étranger, mais qui, si on le
maintenait dans sa pureté un peu statique, risquerait de ne plus
l'être et de nous obliger ultérieurement à des ajustements
assez considérables.
M. Jacques OUDIN
. - Vous avez remarqué la franchise des
débats de cette matinée. Vous avez exposé votre point de
vue. Il y a eu des réactions dans la salle. Je ferai une remarque : il
est vrai que face à des gens qui ont pratiqué l'Etat depuis
longtemps, avec toute l'estime que nous avons pour l'Etat, quand on parle de la
bonne gestion de l'Etat, sachant qu'il y a 236 milliards de déficit, et
qu'on parle de la mauvaise gestion des agences parce qu'elles ont un peu
d'excédent de trésorerie, cela frappe.
(Applaudissements).
C'était de l'humour et vous l'avez pris comme tel !
Mme Bettina LAVILLE
. - C'est facile.
M. Jacques OUDIN
. - Nous voyons cela dans la Commission des finances du
Sénat depuis 12 ans et j'ai beaucoup de mal à comprendre
certaines critiques sur ceux qui équilibrent leur budget par rapport
à ceux qui ont toujours des déficits derrière eux.
Mais la préoccupation principale est de dire que si on prend de l'argent
sur l'eau, reviendra-t-il entièrement à l'eau ? J'ai l'impression
que tout cela est une préoccupation qu'on ne peut pas balayer trop
rapidement.
Je voudrais demander à M. Roland CARRAZ, Président du groupe
d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale et
député de la Côte d'Or, qui s'est beaucoup investi depuis
quelques mois, de nous donner son point de vue.
2. Intervention de M. Roland CARRAZ, député de Côte-d'Or, président du groupe d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale
M.
Roland CARRAZ
. - Monsieur le Président et chers collègues, je
n'ai dans ces fonctions ni votre ancienneté ni votre expérience.
Je m'exprimerai donc avec beaucoup de modestie et, vous me le pardonnerez, une
certaine forme de naïveté.
Il s'agit de réfléchir au problème qui est devant nous,
c'est-à-dire la mise à niveau de notre système
général de traitement de protection et de distribution de l'eau,
mise à niveau par rapport aux exigences qui sont d'abord celles des
usagers et ensuite, celles de la communauté européenne.
Nous avons reçu à l'Assemblée nationale, au mois de mai,
M. David Grant LAWRENCE, chef de l'unité protection des eaux de la DG
XI, qui est venu nous expliquer où en était la réflexion
de la Commission européenne et qui nous a fait part de sa très
grande attention aux observations soulevées par la France, mais aussi de
sa très forte détermination.
Il nous faut donc répondre à cette double attente. Les usagers
sont exigeants et ils ont raison. On ne peut pas dire aujourd'hui que l'eau qui
leur est livrée, quoique dans des conditions totalement inégales
régionalement, réponde totalement à leurs
préoccupations, tant sur le plan de la qualité qu'au niveau du
prix. Et je ne parle pas évidemment d'un dossier particulièrement
délicat, qui est celui de l'intelligibilité de la facturation. Je
pense qu'il nous faudra beaucoup avancer dans ce sens.
Je crois qu'il faut poser des questions simples : disposons-nous actuellement
des outils institutionnels, financiers, fiscaux, législatifs, permettant
de répondre à ces défis considérables.
Il ne faut pas rejeter par avance une modernisation de la fiscalité et
en particulier le concept de fiscalité écologique qui est
désormais un outil nouveau à notre disposition.
Si la mise en oeuvre de la TGAP, et en particulier l'intégration dans la
TGAP à partir de l'an 2000 des diverses redevances perçues par
les agences de l'eau était en définitive l'équivalent d'un
recul, si elle était signe de disparition des agences, de renoncement
à la gestion par bassin, de réduction de l'efficacité de
nos politiques en termes de coût, de qualité et
d'efficacité, si d'une certaine manière la mise en oeuvre de la
TGAP correspondait à la caricature dressée par M. Brice LALONDE,
alors bien évidemment je serais le premier à vous dire qu'il ne
faut pas intégrer dans la TGAP à partir de l'an 2000 les
redevances sur l'eau.
M. Brice LALONDE
. - Très bien, bravo !
M. Roland CARRAZ
. - Il faut avoir un aspect pratique. Moi je suis, dans
cette affaire, habité par une démarche extrêmement
pragmatique. Je pose, en l'état actuel des choses, des questions afin
que les réserves légitimes que nous pouvons nourrir trouvent des
réponses et elles pourront les trouver si on aborde clairement la
question sans passion et sans polémique.
Je tiens à ce que soit garantie la gestion par bassin, qui a fait la
preuve de son efficacité depuis qu'elle fonctionne, qui a d'ailleurs
été reprise au niveau européen. Je pense que la France
commettrait une erreur historique en renonçant à ce qu'elle a
elle-même inventé. C'est une notion, je pense, fondamentale.
Je demande bien évidemment le maintien des agences, le maintien de leur
autonomie et de leur partenariat. Les agences sont de bons outils au service de
la politique de l'eau, personne ne pense le contraire. Pour ma part, j'ai eu la
possibilité, grâce à mon agence, de mettre en place
à partir de 1982 un contrat de protection de nappes phréatiques.
L'agence, bien que ce contrat ne rentre pas a priori dans ses critères
de financement, en a parfaitement compris l'intérêt et nous a
soutenus financièrement de façon importante. Il faut maintenir la
souplesse, le caractère d'adaptabilité et le pragmatisme de nos
agences.
Troisièmement, s'ouvre un débat sur les garanties et sur la
pérennisation de la ressource en cas de fiscalisation de cette
ressource. Je crois que c'est le point sur lequel le Gouvernement devra
apporter des arguments parfaitement affûtés, aiguisés et
crédibles. Le problème dans cette affaire, c'est beaucoup moins
le ministère de l'Environnement que celui des Finances. Ce que nous
pouvons redouter, c'est une érosion normale, naturelle, de la
redistribution et de la péréquation par des mécanismes que
nous connaissons bien mis en oeuvre de manière quasiment
mécanique à Bercy. On pourrait prendre beaucoup d'exemples, qui
sont tous de mauvais augure s'agissant de l'avenir de la TGAP.
Prenons par exemple le fonds de péréquation de la taxe
professionnelle. Nous savons bien que, au bout du compte, les communes ne
retrouvent pas la totalité de la compensation. Jadis, l'Agence nationale
pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) percevait une taxe additionnelle
au droit de bail, qui est aujourd'hui compensée sous la forme d'une
subvention, et on constate que les sommes perçues sous forme de
subvention sont de très loin inférieures aux encaissements de la
TADB.
C'est là le point crucial de la négociation et de la discussion.
Et c'est pourquoi, pour ma part, parce que le groupe d'études sur l'eau
de l'Assemblée nationale, comme celui du Sénat, n'est pas
là pour exprimer en son nom des positions, mais pour éclairer ses
membres, à titre personnel je serai particulièrement exigeant et
je demanderai des garanties fortes, claires et précises sur ce point au
Gouvernement et particulièrement à Bercy.
Pour le reste, j'ai bien compris que des scénarios avaient
été présentés, notamment un nouveau scénario
hier, qu'il était question d'effectuer des partages entre la part de la
ressource fiscalisée et celle qui pourrait demeurer au titre de
redevance. Je pense qu'il faut laisser faire la concertation et si nous avons
ensemble la volonté d'aboutir à nos deux objectifs : mieux servir
l'usager en termes de coût, de qualité et de simplification de la
facturation, deuxièmement répondre positivement aux
critères européens, je pense que la fiscalité
écologique pourra constituer demain, dans le respect des agences et de
leur indépendance, un outil tout à fait intéressant dont
nous aurions bien tort a priori de nous priver.
(Applaudissements).
M. Jacques OUDIN
. - Je crois que M. Roland CARRAZ a parfaitement
résumé l'inquiétude générale. Vous souhaitez
le maintien du bassin, nous sommes d'accord. Vous souhaitez l'autonomie,
personne ne la met en cause, mais une autonomie sans autonomie
financière cela n'existe pas. Tout le problème est de savoir
comment garantir une telle autonomie. L'affectation actuelle semblait pour
beaucoup d'entre nous un excellent système. J'ai sous les yeux la
position de M. Marcel LARMANOUX, maire de Gisors et membre du Conseil
d'Administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie, qui me fait part de sa
première préoccupation : "cette TGAP serait
prélevée directement par le Trésor et non
réaffectée comme auparavant", et sa crainte de la
recentralisation des décisions au niveau de l'Etat se porte
également sur la survie des agences de l'eau.
Il faut que tous les responsables de ce projet sachent que c'est la
préoccupation essentielle. L'expérience des élus locaux
montre que ce qui rentre dans les caisses du Trésor n'en ressort pas de
la même façon, et c'est toute la difficulté.
Je crois que M. Ambroise GUELLEC, ancien ministre, Président du
Comité de bassin Loire-Bretagne, va nous apporter son
témoignage.
3. Intervention de M. Ambroise GUELLEC, ancien ministre, président du Comité de bassin Loire-Bretagne
M.
Ambroise GUELLEC
. - Je ferai quelques observations en tant que
président de comité déjà ancien dans la fonction et
praticien de très longue date des problèmes de l'eau, et en tant
que Breton. Cela a été évoqué aujourd'hui moins
méchamment que d'habitude, je ne serai donc pas vindicatif sur ce point.
La période récente sur les problèmes de l'eau me laisse
perplexe. On ne s'est pas bien rendu compte, quand la Cour des comptes s'est
intéressée aux agences, que le rapporteur et donc
rédacteur du rapport était en même temps secrétaire
national au parti socialiste pour les questions correspondantes. En plus, on
avait trouvé qu'il disait des choses tout à fait
intéressantes dans son rapport. S'y est ajouté le Commissariat
général au plan et nous avons été
sidérés de voir l'écart entre les discussions que nous
avions avec ceux qui venaient nous interroger et ce qui en ressortait dans les
médias. Nous avons pensé que c'était la faute des
médias. Puis, est arrivée la dernière conférence
des présidents de Comités de bassin à Douai. Mme Dominique
VOYNET est venue nous parler des nécessaires évolutions ou
réformes. Cela ne s'est pas trop mal passé. Là encore,
l'expression devant les médias n'a pas été la même
que celle que nous avions entendue lors de cette conférence.
Le temps a passé, et la concertation s'est faite. Puis, est
arrivée la communication au Conseil des ministres du 20 mai, qui ne nous
satisfaisait pas pleinement, mais où l'on voyait que la discussion avait
bien porté ses fruits. Et très curieusement, nous avons ces
propositions de fin juillet, qui ont pris une tout autre tournure et dont le
caractère contradictoire avec tout ce qui a précédé
est apparu brutalement à beaucoup d'entre nous. Alors, nous avons
essayé de comprendre. Tout à l'heure, j'ai entendu M. Alain
LIPIETZ, je l'avais lu auparavant et j'ai constaté qu'aujourd'hui, il a
donné une version très douce de ce qu'il écrit, et c'est
ce qui nous permet de mieux comprendre la pièce qui est en train de se
dérouler.
Sur les agences, voilà ce qu'il écrit :
" elles
fonctionnent comme une assurance tous risques, sans franchise ni malus. Une
fois qu'on a payé, on peut tout se permettre, on
récupérera d'autant mieux sa cotisation ! C'est le principal
reproche adressé aux agences de l'eau qui, loin d'amener les agents
à intégrer les effets externes de leurs pollutions, leur
permettent au contraire de les rejeter sur une véritable mutuelle des
pollueurs, sans contrôle démocratique, etc.... "
Je crois que ceci nous montre bien que tout le dispositif a été
largement préparé, prémédité, et
peut-être que les opportunités ont fait que tout cela s'est
passé à la fin du mois de juillet quand la plupart d'entre nous
étaient préoccupés par leurs vacances, ce en quoi ils
avaient tort.
Pour ce qui est de l'avenir des agences, il est tout à fait clair que
nous avons une mise en cause évidente du principe de calcul des
redevances telles qu'elles fonctionnent actuellement. Et le principe
pollueur-payeur, et j'ajoute bénéficiaire, que nous appliquons en
réalité et qui est incitatif, ne se retrouverait plus. M. Roland
CARRAZ l'a dit en termes très choisis tout à l'heure et nous
comprenons les précautions de langage qui lui sont nécessaires.
C'est là qu'il faut voir, pour les autres outils mis à notre
disposition, quelles en seraient les conséquences.
Je dis clairement ce que je pense, c'est la désintégration de la
loi de 1964. J'espère que chacun l'aura perçu. On peut nous dire
qu'on va conserver l'approche par bassin ; oui, parce que l'eau coule de
haut en bas et ne remonte pas, on sera donc bien obligés de continuer
à garder cela. Mais l'essentiel de la discussion n'est pas là.
Nous constatons, en effet, qu'on peut garder ce système des agences de
l'eau, mais encore faut-il savoir ce qu'elles vont devenir. Or, non seulement
le rôle des comités de bassin s'estompe, mais il disparaît.
Leur première fonction est peut-être de réfléchir et
d'orienter, mais c'est d'abord de donner un avis conforme sur les taux des
redevances.
Que deviendraient les agences dans tout cela ?
En réalité, ce qui est en train de s'opérer sous nos yeux,
c'est la recherche d'un retour aux structures classiques de gestion
territoriale de l'Etat. Et je crois que les tensions que d'aucuns ont
perçues ces derniers temps entre les services de l'Etat et les agences
montrent bien qu'il y a là un enjeu majeur. Les agences, dans ce cas,
deviendront au mieux des services extérieurs du ministère de
l'Environnement pour les problèmes de l'eau, et au pire quelque chose de
dilué dans un ensemble bureaucratique.
Effacement de la mutualisation : je rappelle qu'actuellement dans les
institutions de bassin il y a mutualisation, mais de la gestion au niveau du
bassin. Il n'y a pas mutualisation des risques, contrairement à ce qu'on
voudrait nous faire croire. On ne les met pas dans un pot commun pour les faire
disparaître ou en atténuer certains au bénéfice
d'autres. Les promoteurs de la TGAP cherchent, au contraire, à nous
faire rentrer dans un schéma de recentralisation de la politique de
l'eau sous la maîtrise du ministère des Finances. Cela a
été bien dit tout à l'heure.
J'ajouterai, pour ce qui me concerne, que depuis un certain nombre
d'années j'étais partisan d'une modernisation du cadre de la
politique de l'eau dans notre pays. J'ai regretté que la loi de 1992 ne
l'ait pas du tout prise en compte à l'époque parce que, pour de
très obscures raisons d'inconstitutionnalité des redevances, nous
avons manqué l'occasion d'un vrai débat sur ce point. La loi de
1964 est ancienne, la décentralisation de 1981-1982 a introduit des
modifications majeures, et l'acuité des problèmes de l'eau n'est
plus la même maintenant. L'opinion n'est pas la même non plus. On
aurait dû probablement être novateur. Les propositions qu'il aurait
été judicieux de faire, c'était d'aller dans le sens
opposé à celui que l'on propose maintenant, c'est-à-dire
rechercher une meilleure cohérence des institutions de bassin avec les
autres acteurs décentralisés.
Nous prenons le chemin inverse actuellement, sachant que si on avait fait cela
il aurait fallu dans le même temps avoir des dispositions de
péréquation inter-agences ou territoriales, pour lesquelles nous
étions parfaitement d'accord.
Je crois que dans tout cela la part des intentions cachées de ceux qui
portent ce dossier est importante. Je vais en parler. Mme Corinne LEPAGE se
souvient de ses discussions avec les présidents des comités de
bassin quand elle voulait très modestement 110 millions de francs
pour traiter certains problèmes. Eh bien, maintenant on est en train de
multiplier ce chiffre par 10. L'un des enjeux majeurs est la possibilité
de prendre, au bénéfice du ministère de l'Environnement,
plus d'un milliard de francs. Pourquoi ne pas le dire puisqu'on en discute
déjà largement ?
D'autre part, il semble que les comités de bassin n'aient pas la
docilité voulue. J'ose espérer que cela continuera ainsi.
J'ajouterai enfin un point important : la réelle impuissance des
pouvoirs publics sur les problèmes de pollution diffuse provenant
notamment de l'agriculture. En rejeter la responsabilité sur les agences
serait une erreur d'analyse et de raisonnement dramatique. Il appartient au
pouvoir politique de prendre ses responsabilités. Osons dire aujourd'hui
qu'il ne l'a jamais réellement fait.
(Applaudissements).
M. Jean FRANCOIS-PONCET
. - Je voudrais ajouter quelques observations. Le
système des redevances, chacun l'a dit, est au coeur de la politique
française de l'eau. Le supprimer, c'est sûrement supprimer les
agences en tant que réalité de plein exercice et c'est
transformer les agences en services extérieurs du ministère de
l'Environnement. Voilà le danger et voilà comment la chose est
comprise ou interprétée par ceux qui sont sur le terrain.
Deuxièmement, le principe pollueur-payeur. Mme Bettina LAVILLE a raison
de mettre en avant le problème de l'agriculture. C'est incontestable,
mais il est plus facile de le dire que d'agir. Les agences en savent quelque
chose et l'agence Adour-Garonne peut-être plus que les autres,
après avoir fait l'objet à plusieurs reprises, sans que la police
n'intervienne de façon visible, de nombreuses mises à sac de ses
locaux.
Je ne suis pas tout à fait sûr que donner cette
responsabilité à l'Etat nous garantira que l'agriculture paiera
davantage. C'est une vision irénique.
D'autre part, qui paye l'essentiel des redevances ? L'industrie en
général très substantiellement, mais c'est principalement
le consommateur d'eau. C'est une taxe qui s'ajoute au prix de l'eau. En quoi le
consommateur qui paye la redevance a-t-il un impact sur les opérations,
les installations qu'il faut construire pour éliminer la
pollution ? Ce n'est pas lui. Ce n'est pas en augmentant le prix de l'eau
qu'on agira. Donc, le principe qui consiste à dire que la taxe de demain
suffira à elle seule à engendrer les mouvements correctifs qui
sont nécessaires, à mon avis, ne résiste pas à
l'examen. La principale critique concerne l'agriculture, mais y touchera-t-on
beaucoup ? Je voudrais bien le savoir. Quant au consommateur qui paye, il n'y
est pour rien. D'où le système que nous avons monté, qui
est un système mutualiste et qui se justifie, à mon avis.
A-t-on une garantie ? Mme Bettina LAVILLE, vous m'avez surpris. Le compte
spécial du Trésor n'est une garantie que pour les chaperons
rouges et je pense à cela parce que, quand j'ai entendu Mme Dominique
VOYNET nous expliquer son système pendant l'été, elle m'a
donné le sentiment d'être le petit chaperon rouge qui prend au
sérieux le déguisement de grand-mère de la direction du
budget. Moi j'ai l'expérience de nombreux comptes spéciaux du
Trésor, je me suis fait attraper une fois ou deux et je n'ai pas envie
de recommencer. On peut citer le FNDAE : l'année dernière on a
puisé largement dedans pour un objet qui n'est pas du tout le sien. Je
pourrais vous dire ce que je pense du FITTVN qui a fait que le directeur du
budget a débudgétisé les sommes qu'il consacrait aux
infrastructures. Le compte spécial du Trésor n'est en rien une
garantie.
La seule solution pérenne consistait à créer un
établissement public national, indépendant du budget. C'est ce
que nous voulions faire dans le cadre de la loi sur l'aménagement du
territoire de 1995. Tout le monde est venu nous supplier et c'est à 3
heures du matin sous la pression du cabinet du Premier Ministre de
l'époque actionné, il est vrai par le ministère des
Finances, que nous y avons, à tort, renoncé. Alors je crois qu'on
peut abandonner, très sérieusement et sans aucun esprit
polémique, toute idée de garantie.
On nous a dit à l'époque : "on va faire un fonds de gestion qui
sera géré par le Parlement". Balivernes ! On a fait un fonds de
gestion paritaire avec le ministre qui a voix prépondérante. Et
le plat nous est préparé tous les ans, il est prêt à
manger, c'est un plat tout cuisiné. Le degré de liberté
que nous avons est à peu près nul.
La péréquation entre les bassins : elle peut être
parfaitement organisée dans le cadre du système actuel. Mais
réfléchissez au mécanisme. Une péréquation
limitée à un seul secteur est-elle juste ?
On peut très bien se trouver face à une situation dans laquelle
une région riche a des problèmes majeurs en matière de
pollution. Alors qu'une région pauvre en a moins. Est-il juste que dans
ce cas le pauvre paye pour le riche ? Serait-il juste qu'Adour-Garonne paye
pour l'Ile de France ?
M. André SANTINI
. - Oui.
M. Jean FRANCOIS-PONCET
. - Je connaissais sa réponse et je
voulais l'entendre !
La péréquation des pauvres vers les riches, c'est l'inverse de la
péréquation. Or, elle a une chance sur deux de se passer ainsi.
Le système de la TGAP est novateur : il est plus neuf que celui qui a
été monté en 1964, c'est vrai. Mais est-ce que le retour
à la centralisation constitue une novation en France ? N'est-ce pas
la plus vieille de toutes nos ornières nationales ?
Mme Bettina LAVILLE
. - Je ne voudrais pas être discourtoise par
rapport aux autres intervenants prévus, mais je voudrais avoir un temps
de parole à la fin de cette séance pour réagir par rapport
aux différents intervenants.
M. Jacques OUDIN
. - Vous disposerez bien sûr d'un droit de
réponse.
4. Intervention de M. Jacques VERNIER, Président du Comité de bassin Artois-Picardie
M.
Jacques VERNIER
. - Je voulais dire que le point essentiel est effectivement
de savoir si les travaux, les actions importantes qui restent à mener,
et Mme Bettina LAVILLE a rappelé les directives européennes qui
vont nous amener à devoir en faire plus et non pas moins, sont
financés par une ressource financière affectée,
réservée pour ces travaux, ou par une allocation
budgétaire dont chacun, quelles que soient les garanties données,
s'accorde à reconnaître le caractère fragile et
précaire. Que ce soient les comptes spéciaux du Trésor ou
les contrats de plan, que vaut un éventuel contrat de plan entre l'Etat
et un de ses établissements publics ?
Je souhaiterais apporter mon témoignage. J'ai été pendant
trois ans Président de l'ADEME. L'ADEME a une double mission : une
mission environnementale d'une part et une mission énergétique
d'autre part.
Quelle était mon analyse à l'époque ? J'ai reconnu que la
mission environnementale de gestion des déchets ménagers, de
gestion des déchets industriels spéciaux, de lutte contre le
bruit des aéroports, de lutte contre les huiles usées, contre la
pollution atmosphérique, toutes ces préoccupations
environnementales avaient la chance de pouvoir être financées par
des taxes affectées, qui avaient peut-être leurs défauts,
elles étaient peut-être trop multiples et trop cloisonnées,
mais elles assuraient une action importante de l'ADEME, notamment pour le
traitement des déchets ménagers où les investissements
sont très importants.
A côté d'une première action environnementale bien
financée par des taxes affectées, l'ADEME menait une action en
faveur de la maîtrise de l'énergie ou du développement des
énergies renouvelables qui, elles, n'étaient financées que
par des crédits budgétaires.
A quoi ai-je assisté ? De 1992 à 1996, pendant quatre ans, sous
des Gouvernements de gauche puis de droite, le ministère du Budget n'a
eu de cesse de réduire, année après année, le
budget énergétique de l'ADEME de 300 MF, chiffre de
départ, à un misérable 75 MF, chiffre d'arrivée,
moyennant quoi la France n'avait plus ni politique de maîtrise de
l'énergie ni politique de développement des énergies
renouvelables.
Mon rêve et mon combat à l'époque étaient que
l'action énergétique de l'ADEME puisse être
financée, comme l'action environnementale de l'ADEME, par une micro-taxe
sur l'énergie, affectée d'une manière pérenne,
stable, non précaire, non fragile, à une politique en France
digne de ce nom de maîtrise de l'énergie et de
développement des énergies renouvelables.
Rêvant donc que la politique de maîtrise de l'énergie soit
financée par une fiscalité affectée, je constate, je dois
vous le dire avec une immense tristesse et une immense crainte, qu'on fait
aujourd'hui l'inverse. Là où il y avait des ressources
affectées, on les supprime, et là où il n'y avait que de
maigres ressources budgétaires, on les maintient.
(Applaudissements).
M. Jacques OUDIN
. - Le problème est toujours le même. Quand
on se trouve dans une situation où le budget de l'Etat est
déficitaire de 200 à 300 milliards de francs, vous ne pouvez pas
imaginer une générosité quelconque et une action
d'envergure dynamisante. C'est quasiment impossible. D'où le
problème des taxes parafiscales ou taxes annexes. On n'en sortira pas
tant que le budget de l'Etat ne sera pas équilibré.
5. Intervention de M. Pierre HERISSON, sénateur de Haute-Savoie
M.
Pierre HERISSON
. - Quelques observations à partir du vécu
d'un élu local de plus de 20 ans, qui a connu la période d'avant
les lois de décentralisation et la situation d'aujourd'hui.
Nous avons vécu depuis des années l'exemple même de la
décentralisation, où la gestion et la maîtrise d'une
mission nous était confiée sans qu'elle passe par le Budget, par
le Trésor, et par des considérations de montants
budgétaires qui n'ont plus rien à voir avec les besoins à
l'origine de la création des taxes.
Concernant les agences de l'eau, je crois que dans notre pays nous cherchons,
depuis des décennies, à trouver l'assiette qui soit la plus
appropriée et le périmètre le plus pertinent à
travers un certain nombre d'initiatives en termes d'aménagement du
territoire. Avec les agences de l'eau, nous avons trouvé le
périmètre du bassin versant qui permet de mettre en commun des
recettes et de gérer des dépenses, avec tous ceux directement
concernés par l'usage de l'eau, la pollution et la dépollution de
l'eau.
J'ai participé au Sommet de la Terre en 1992 avec l'Office international
de l'eau, nous avons passé plusieurs jours à rencontrer des
délégations étrangères qui étaient
admiratives de ce que nous avions fait avec nos agences de l'eau, en partant du
principe que l'aire du bassin versant, périmètre le plus
approprié pour la collecte de la taxe et pour la gestion.
(Applaudissements).
6. Intervention de M. Philippe RICHERT, sénateur du Bas-Rhin, président de la Commission environnement de l'Assemblée des présidents de Conseils Généraux (APCG)
M.
Philippe RICHERT
. - Je donnerai la position de l'APCG, c'est-à-dire
la position de la Commission environnement toutes tendances confondues. Ce
projet de réforme intéresse évidemment l'APCG parce qu'il
y va de la qualité de l'eau, donc de l'exploitation d'une ressource dont
les conséquences financières sont relativement lourdes. Les
Conseils Généraux consacrent tous les ans environ
5 milliards de francs au domaine de l'eau, et on se doute que si jamais
les ressources financières affectées à l'eau venaient
à diminuer, les communes se trouveraient automatiquement amenées
à se tourner un peu plus vers les Départements pour essayer de
financer leurs projets. Nous sommes également très attentifs aux
montants mis en oeuvre, parce que nous avons développé ces
dernières années un bon partenariat avec les agences.
Il y a bien entendu des choses à remettre à plat dans le
fonctionnement des agences. Il y a certainement des avancées à
faire. Mais faut-il pour autant bouleverser le système ?
Nous connaissons tous ce qui se passe dans le domaine législatif. Nous
savons tous qu'on légifère trop, qu'on change trop souvent et
qu'ensuite on rectifie. A l'APCG, nous nous interrogeons sur le bon sens de
cette réforme.
Au niveau des conseils généraux, nous avons su faire la preuve
sur le terrain de notre efficacité, autant qu'au plan national. Quand
Mme Bettina LAVILLE dit, pour justifier la mesure prévue, qu'il y a
aujourd'hui des travaux qui n'ont pas été effectués, moi
j'en trouverai une multitude qui sont de la responsabilité de l'Etat et
qui n'ont pas été réalisés non plus. Ce n'est pas
une raison suffisante pour reprendre aux agences de l'eau l'autorité
dans le domaine qui est le leur, à savoir la gestion de l'eau. Dans le
domaine de la gestion de proximité, on ne peut pas trouver un meilleur
système pour assurer l'efficacité du périmètre.
Au niveau de l'utilisation des fonds, les moyens qui sont
générés par l'eau reviennent à l'eau. Je crois que
tout à l'heure le Président FRANCOIS-PONCET a montré de
façon excellente que tout système de recentralisation ne donnait
aucune garantie quant à l'affectation future de l'ensemble des moyens
prélevés. Pour ce qui est d'une meilleure utilisation des fonds,
je crois que nous ne pouvons qu'être inquiets. C'est la raison pour
laquelle, l'ensemble des conseils généraux est opposé au
dispositif proposé.
Personnellement, je retrouve derrière cela une volonté de
recentrer le pouvoir au plan national. C'est beaucoup plus une volonté
de Bercy au nom de l'orthodoxie budgétaire qui entend gérer
l'ensemble des moyens financiers de l'Etat. Et c'est peut-être aussi la
volonté du ministère de l'Environnement de gonfler
artificiellement un budget qui aujourd'hui représente 2,2 milliards de
francs. Si on pouvait annoncer un budget, avec l'ADEME et les agences de l'eau,
de 12 ou 13 milliards, ce serait beaucoup plus affriolant.
(Applaudissements).
M. Jacques OUDIN
. - Je souhaiterais donner la parole à M. Patrick
THIEFFRY qui connaît ces problèmes et les a traités au
niveau des instances européennes.
7. Intervention de Maître Patrick THIEFFRY, avocat
Maître Patrick THIEFFRY
. - Fort heureusement pour
moi,
les questions de droit des finances publiques ont déjà
été traitées et le juriste n'en dira pas beaucoup plus. La
règle de la non affectation et celle de l'annualité, vous les
vivez quotidiennement.
Que le refus du deuxième dividende puisse se heurter à ces
règles est un sujet que vous avez perçu et que vous avez bien
énoncé, même si l'on pourrait y revenir. On n'a pas, et un
fiscaliste aurait pu le faire, parlé des difficultés de
contrôle éventuel de l'assiette d'une taxe particulièrement
technique. Son objet étant une pollution, l'effet incitatif exige une
grande modularité de cette taxe et un contrôle sophistiqué
pour lequel les agences paraissent mieux qualifiées que le
ministère lui-même.
Mais du point de vue du droit européen de l'environnement, je voudrais
poser une question. Là, nous nous interrogeons sur le fait de savoir si
l'institution et surtout l'affectation des redevances pollution des agences de
l'eau à la TGAP ne vont pas à contre-courant de tendances
législatives internationales, voire même ne s'inscrivent pas en
contrariété par rapport à des engagements internationaux
souscrits par la France.
Deux règles se dégagent de ces engagements : la première
est l'impératif de différenciation écologique. La
convention d'Helsinki du 17 mars 1993, adoptée par la communauté
européenne, impose que l'on gère les questions d'eau au niveau
des cours d'eau définis comme les bassins hydrographiques. Or, cette
convention est visée dans l'exposé des motifs de la
directive-cadre sur les ressources en eau. Cet impératif de
différenciation écologique conduit la directive-cadre à
suggérer que la gestion des ressources en eau se fasse au niveau des
bassins hydrographiques.
Deuxième règle : le principe pollueur-payeur qui impose la pleine
récupération des coûts occasionnés par les
prélèvements et les utilisations.
La combinaison des deux règles, n'impose-t-elle pas une
modularité au niveau des bassins, tant des redevances pour assurer
l'effet incitatif en fonction des circonstances locales que de la gestion de
l'utilisation ?
Pour cette modulation des redevances, qui doit être très
technique, ce qui posera un problème de pratique fiscale, on peut se
demander si la remontée dans le budget de l'Etat du produit de la taxe
est compatible avec le maximum d'incitation requis par le principe pollueur
dans un contexte de différenciation écologique.
M. Jacques OUDIN
. - Vous avez, en quelques minutes, tout
résumé des grands problèmes qui se posent à nous.
Modularité au sein de l'instance de bassin ou centralisation, est-ce
compatible ou non ? C'est une question qui n'avait pas été
examinée jusqu'à présent. Je vous remercie de l'avoir
posée et nous serons désireux d'avoir des compléments
d'information à ce sujet, nous, c'est-à-dire les instances
parlementaires qui se pencheront sur cette question.
8. Intervention de Mme Corinne LEPAGE, ancien ministre de l'Environnement, avocat
Mme
Corinne LEPAGE
. - Je dirai, en tant qu'ancien ministre, que je comprends
très bien les objectifs rappelés et je les partage. Mobiliser des
ressources pour satisfaire aux directives communautaires, répondre
à la demande sociale concernant le prix et la qualité de l'eau,
et instituer une fiscalité écologique dont je ne peux pas penser
qu'elle ne soit pas destinée à améliorer la gestion de
l'environnement.
Ce qui me frappe, c'est qu'il ne semble pas que le projet puisse les
satisfaire, alors qu'une évolution du système des agences
permettrait de répondre très convenablement à ces trois
exigences.
Pourquoi le projet ne permet-il pas de les satisfaire et pourquoi est-il en
réalité assez contre-productif ?
Si je pense que l'idée de fiscalité écologique est une
bonne idée, en l'espèce elle peut avoir des effets tout à
fait pervers. Cela aboutit à retirer des fonds à l'environnement.
Et je ne redirai pas ce que d'autres ont déjà
énoncé parfaitement bien, mais on est infiniment plus
rassuré avec des taxes affectées qu'avec le budget de l'Etat,
même s'il y a un compte spécial du Trésor. Par
conséquent, si on avait tenu ce raisonnement, il n'y aurait jamais eu de
politique de l'environnement en France parce qu'on n'aurait jamais eu d'argent
pour la mettre en oeuvre.
Je ne crois pas du tout, comme l'a dit le Président FRANCOIS-PONCET, que
le principe pollueur payeur, auquel je suis très attachée, puisse
être satisfait par une augmentation du prix payé par le
consommateur. Celui-ci ne sera pas incité, sauf peut-être à
consommer moins d'eau. Je ne crois pas qu'il y ait là une justification
du projet.
D'autre part, manifestement il y a une remise en cause du fonctionnement des
agences. Sans autonomie financière, il n'y a pas d'autonomie du tout.
Les comités de bassin seraient ainsi privés en
réalité de la possibilité d'établir la taxe et donc
le montant des travaux, puisqu'ils dépendraient complètement
d'une subvention versée par l'Etat et perdraient toute existence
réelle.
Si je ne crois pas qu'on puisse, par ce projet, répondre aux trois
objectifs, je pense par contre qu'une réforme des agences permettrait
tout à fait d'y répondre. Il faut faire payer tous les pollueurs,
c'est vrai, mais je dirais que c'est un problème éminemment
politique. La difficulté que les ministres de l'environnement successifs
ont rencontrée pour faire en sorte qu'il y ait une action politique
forte menée contre les pollutions diffuses et notamment les pollutions
agricoles, est un problème qui dépasse le cadre des agences. Et
s'il y avait une décision forte de l'Etat dans ce domaine, il n'y aurait
pas de difficultés au niveau des agences pour l'appliquer.
La mobilisation des ressources pourrait parfaitement s'assurer au niveau des
agences, et je peux dire que la volonté du ministère des Finances
de mettre la main sur les fonds des agences est une vieille histoire et nous
sommes un certain nombre de ministres de l'Environnement à l'avoir
vécue depuis un certain nombre d'années. En ce qui me concerne,
cela s'était passé par l'intermédiaire du FDES
7(
*
)
. Bercy voulait que l'argent des agences passe par le
FDES. Je m'y suis opposée, avec succès.
Mais il n'y a là aucune assurance. L'Etat a besoin d'argent et je ne
crois pas qu'il puisse y avoir une réelle mobilisation des ressources.
Quant au problème évoqué par Mme Bettina LAVILLE sur le
fonctionnement, l'Etat peut exercer son métier de contrôle au
niveau du système des agences qui sont des établissements publics
de l'Etat.
Je terminerai en disant que je vois pour ma part deux difficultés
juridiques au système qu'on voudrait mettre en place.
La première, c'est qu'il me paraît difficile que ce soit une loi
de finances qui vienne anéantir le système des agences de l'eau.
Pourquoi est-ce difficile ? D'abord, parce que la garantie au niveau de la
procédure parlementaire n'est pas la même dans le système
du vote de la loi de finances et dans le système normal
d'élaboration d'une loi. Et d'autre part, parce que la fameuse
décision du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel sur la redevance a
rappelé que les agences étaient une catégorie
particulière d'établissements publics, et donc toutes les
dispositions constitutives de ces établissements publics ne pouvaient
venir que de la loi et non pas du règlement. Et à mon sens, font
partie de ces dispositions constitutives le fonctionnement et l'autonomie
financière, et il faut donc bien une modification législative en
bonne et due forme pour y parvenir.
Je me pose également une question de droit constitutionnel et de
conformité à l'article 72 de la constitution. N'y a-t-il pas,
dans la remise en cause du système des agences et dans le rôle de
co-décision donné aux comités de bassin pour voter la
redevance, une expression de la liberté des collectivités
territoriales qui occupent une position dominante au sein des comités ?
Et la présence de très nombreux parlementaires aujourd'hui montre
bien la sensibilité des collectivités locales sur ce sujet. N'y
a-t-il pas là une atteinte au principe de libre administration des
collectivités territoriales ?
La question mérite au moins d'être posée.
B. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉCONOMIQUES
1. Intervention de M. Jean-Jacques MAYNARD, représentant du Syndicat national d'environnement - CFDT
M.
Jean-Jacques MAYNARD.
- Je rapporte ici le point de vue des partenaires
sociaux et des partenaires du ministère de l'Environnement qui sont dans
les services. Les personnels et partenaires sociaux restent sous le choc du
mépris affiché par l'annonce unilatérale de la TGAP.
Sur le fond, il existe deux volets pour la mise en oeuvre de cette taxe : le
premier, c'est la transformation des taxes parafiscales gérées
par l'ADEME. L'ADEME a connu les deux systèmes qui présentent
chacun des avantages et des inconvénients, rien n'étant
pérennisé au-delà de 2002.
Le marketing effréné de la direction indispose beaucoup et les
avis restent partagés au sein du personnel sur l'intérêt
des deux systèmes.
Sur la fiscalisation des redevances des agences de l'eau, je crois qu'il y a
unanimité entre les organismes de bassin, les directions et les
personnels pour dénoncer l'absurdité d'un projet qui nous semble
par ailleurs assis sur un vide technique relativement abyssal.
La CFDT a argumenté cette position sur la triple approche de l'erreur
économique au sens d'une dérive potentielle d'une TVA bis, de
l'erreur sociale au sens de l'accroissement du prix de l'eau -
élément vital pour les plus démunis -, de l'erreur
écologique par la substitution à une logique de démocratie
décentralisée un centralisme fiscal aveugle.
Pour nous, les organismes de bassin sont à l'évidence imparfaits
et perfectibles, mais ils ont le mérite d'associer les acteurs à
la gestion de leur problème.
Le comble du paradoxe, c'est que nous avons reçu le meilleur soutien et
la meilleure compréhension de la part des militants verts réunis
en université d'été. Comprenne qui pourra !
C'est en partie pour cette raison que les personnels du ministère de
l'Environnement ont défilé la semaine dernière en
mobilisant environ 20% des effectifs. Nous ne remercierons pas Mme Bettina
LAVILLE qui n'a pas jugé bon de nous rencontrer. Les manifestants, qui
ont été bloqués à l'entrée de la rue de
Varennes, ont très mal vécu le fait de ne pouvoir être
reçus par les services du Premier Ministre.
En conclusion, la TGAP Eau est une idée à abandonner à la
fois car elle est contre-productive et nocive du point de vue de
l'intérêt général.
Au-delà, notre syndicat demande à resituer l'action des agences
dans le cadre de deux vraies réformes environnementales à mettre
en oeuvre :
1. la réforme de l'organisation de la police de l'eau.
2. la volonté de faire vivre la loi du 3 janvier 1992,
votée à la quasi-unanimité des deux assemblées.
Plutôt que d'adresser des reproches aux agences pour des mesures qu'elles
ont assumées à contre-coeur sur ordre de l'Etat, ce qui est
ressenti comme insupportable par tous, il faudrait s'attacher à prendre
les moyens de mettre en oeuvre cette loi, au-delà de quelques affichages
institutionnels.
(Applaudissements).
2. Intervention de M. Gérard PAYEN, directeur général de l'eau de Suez-Lyonnaise des Eaux
M.
Gérard PAYEN
. - Je voudrais me faire l'écho des
consommateurs. En effet, il y a beaucoup de personnes en France qui utilisent
l'eau dans leur vie quotidienne et, finalement ce sont elles qui donneront leur
avis sur le système qui sera retenu. J'aimerais vous dire comment les
professionnels de l'eau, les praticiens, perçoivent les attentes des
consommateurs. Au contact de 40 millions de personnes, les professionnels
gèrent le lien économique qui existe entre les consommateurs et
le système des redevances.
Qu'attendent les consommateurs ? Toutes les enquêtes montrent, panel,
comités d'usagers ou comités de consommateurs, que leur premier
souci, c'est la qualité de l'eau et la première critique, c'est
l'opacité du système.
Sur ce thème, ils ont observé que des efforts importants ont
été faits. Je prendrai l'exemple de la facture d'eau. Sa
clarification a été un gros progrès,
plébiscité dans les enquêtes effectuées. Cela nous
permet, à nous professionnels, d'expliquer au consommateur à quoi
sert l'argent qu'il paye en prenant chaque ligne de la facture.
Ils attendent plus de transparence, et à l'heure où nous nous
interrogeons globalement sur les modifications à apporter au
système actuel, que ce soit modernisation du système existant ou
instauration d'une nouvelle taxe, nos consommateurs attendent quelque chose de
simple à comprendre, qu'on puisse leur expliquer et dont ils puissent
comprendre le caractère juste et équitable. J'espère que
collectivement nous arriverons à le trouver, mais il ne faudrait pas
allonger le nombre de lignes sur la facture.
(Applaudissements).
3. Intervention de M. Patrick BERNASCONI, président de Canalisateurs de France
M.
Patrick BERNASCONI
. - Les entreprises de travaux publics sont directement
concernées par la création d'une taxe générale sur
les activités polluantes (TGAP) et par le passage d'un système
décentralisé à un système centralisé,
puisque ce sont elles qui réalisent les travaux décidés
par les communes et leurs syndicats et financés avec l'aide des
redevances des agences de l'eau.
La Fédération nationale des travaux publics (FNTP) et
Canalisateurs de France sont hostiles à la création d'une taxe
générale sur les activités polluantes
. En effet, les
précédents concernant les taxes affectées au budget de
l'Etat et les engagements pluriannuels de ce même Etat sont, du point de
vue des professionnels des travaux publics, très inquiétants.
Ainsi, entre 1982 et 1986, l'Etat avait augmenté la taxe
intérieure sur les produits pétroliers de 12 centimes pour
rembourser des emprunts qui avaient alimenté le fonds spécial de
grands travaux. Il s'agissait alors de relancer la politique
d'équipement de l'Etat. Ces 12 centimes, une fois les emprunts
remboursés, n'avaient plus d'objet. Mais les contribuables n'ont pas
pour autant vu la taxe diminuer, pas plus que les budgets du ministère
de l'équipement ne se sont retrouvés dotés d'une ressource
supplémentaire. Les 12 centimes ont été maintenus et sont
allés alimenter le budget général, c'est à dire
à 90% des dépenses de fonctionnement.
Une fois le produit d'une taxe versé au budget de l'Etat, celui-ci est
face à la tentation de l'utiliser à autre chose qu'à son
objet premier et souvent il succombe. C'est pourquoi
la FNTP et
Canalisateurs de France sont opposés au principe de remplacer des
redevances décentralisées et affectées par une taxe
centralisée et non affectée.
Parallèlement à cette taxe, l'Etat s'engage sur un contrat
pluriannuel d'objectifs garantissant aux agences un niveau minimum de
financement.
L'expérience vécue par les entreprises de travaux publics avec
les contrats de plan Etat-Régions incite à la méfiance.
Ces contrats et notamment leur volet routier ont en théorie une
durée de vie de 5 ans. Unilatéralement, l'Etat a
décidé en 1996 que les contrats 1994-1998, seraient
prolongés d'un an, devenant les contrats 94-99. Or à la lecture
du projet de budget, on constate qu'à la fin 1999, l'Etat n'aura rempli
que 80% des engagements financiers qu'il avait pris 6 ans plus tôt.
La Fédération et Canalisateurs de France voient dans le projet de
TGAP une grave remise en cause du système français de gestion de
l'eau et considèrent plus généralement que le
problème de l'eau en France est mal posé. Le principe de la TGAP
est de déconnecter le niveau de la taxe, du maintien des ressources
nécessaires pour financer la prévention ou la réparation
rendue nécessaire par les activités polluantes. Ce principe n'est
pas adapté à l'eau. Aujourd'hui, dans le domaine de
l'assainissement, la moitié des eaux retourne telle quelle dans la
nature.
La priorité de l'Etat devrait être de
réfléchir à une politique d'incitation des
collectivités locales à réaliser des équipements
permettant de limiter rapidement cette pollution, plutôt qu'à
l'instauration d'une nouvelle taxe.
4. Intervention de M. Philippe LALET, président de la Fédération nationale des associations de riverains et utilisateurs industriels de l'eau (FENARIVE)
M.
Philippe LALET
. - Notre fédération représente
l'ensemble des industriels usagers de l'eau et elle regroupe en son sein la
quasi-totalité des représentants des industriels qui
siègent dans les comités de bassin et les conseils
d'administration des agences.
Avant de donner la conclusion de nos travaux, je ferai une remarque personnelle
pour vous dire combien j'ai été impressionné par les
représentants de l'Etat qui ont essayé de nous convaincre sur un
sujet très difficile, dont nous connaissons le but final ; en
dépit de leurs efforts de persuasion, un fossé important nous
sépare aujourd'hui. Nos mandants sont très attachés au
principe de solidarité appliqué à la politique de l'eau et
à son financement. Nous sommes attachés à la gestion
décentralisée par bassin hydrographique et à l'affectation
des redevances de l'eau à l'eau, et essentiellement à l'eau. Nous
sommes attachés au principe pollueur-payeur dans un esprit mutualiste
afin de répondre efficacement aux actions prioritaires.
Nous sommes totalement opposés à toute tendance affirmée
vers ce centralisme qui affaiblirait la responsabilité des
comités de bassin et désengagerait ses membres. Nous sommes
opposés à la substitution des redevances par des taxes non
affectées, à la notion de second dividende dont la
première conséquence ne peut être que le relèvement
sensible, à court terme des prélèvements et par
conséquent à une augmentation du prix de l'eau.
Bien que le système de gestion en place depuis plus de 30 ans ait fait
ses preuves et fonctionne correctement aujourd'hui, nous sommes conscients de
l'intérêt de le faire évoluer, en particulier dans le sens
d'une meilleure équité et d'une efficacité
renforcée. Cependant la solution ne réside pas dans
l'intégration de la redevance des agences dans la TGAP et nous y sommes
fermement opposés.
5. Intervention de M. Alexandre COLIN, président du groupe Eau du Conseil national du patronat français (CNPF)
M.
Alexandre COLIN
. - Pour nous, le dispositif des agences, au-delà de
quelques correctifs, sur lesquels nous sommes parfaitement d'accord, a bien
fonctionné. La pollution industrielle déversée directement
dans le milieu naturel est très largement maîtrisée. La
pollution domestique, grâce au redoublement des efforts entrepris au
début de cette décennie, va l'être à son tour
très prochainement. Ainsi il faut constater que ceux auxquels les
règles des agences se sont appliquées, ont dépollué
en vertu du principe pollueur-payeur-dépollueur.
A contrario, il faut reconnaître que pour ceux qu'on a trop longtemps
laissés à l'écart de ces règles, les
problèmes n'ont fait que s'accumuler.
Un nouveau système centralisé soumis aux règles de
l'annualité budgétaire, à la place de l'actuel dispositif
décentralisé et fondé sur une programmation quinquennale,
peut-il être aussi efficace ? Pour notre part, nous en doutons. A partir
du moment où le financement ne sera plus assuré de façon
pérenne, comment les investissements resteront-ils aussi soutenus ?
Ne nous laissons pas abuser par l'idée d'un double dividende mis souvent
en avant pour justifier la taxe. Dans le cas de l'eau en tout cas, la taxe qui
inciterait d'une part à dépolluer et d'autre part à
favoriser l'emploi ne peut être qu'un leurre. A présent les
redevances qui majorent le prix de l'eau, aident au financement des ouvrages de
traitement et en conséquence minorent le coût de ce traitement.
Qu'en sera-t-il de l'acceptabilité du prix de l'eau s'il est seulement
majoré par la taxe dite dissuasive ?
Quant au produit de cette taxe, il est destiné à fondre, car la
pollution doit disparaître. Que peut-on penser d'un système de
financement de réduction de charges salariales sur une masse
financière appelée à diminuer ?
Oui, vraiment, le système mis en place, il y a 30 ans, peut être
adapté, mais il ne doit pas être bouleversé.
(Applaudissements).
6. Intervention de M. Jean SALMON, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
M.
Jean SALMON
. - L'activité agricole est une activité
économique qui s'exerce sur l'ensemble du territoire. Nous sommes
très concernés par tous les problèmes de fiscalité
écologique. La profession agricole a vécu l'annonce de la TGAP au
mois de juillet avec une certaine inquiétude, car depuis plusieurs
années le monde agricole a essayé d'initier un certain nombre de
démarches volontaristes de la part des agriculteurs et a progressivement
intégré la démarche des agences. Depuis plusieurs
années, un certain nombre de secteurs - et je pense à
l'élevage- sont sur la voie de l'intégration au système
des agences.
Nous avons été d'autant plus surpris que, à la suite de la
communication de Mme Dominique VOYNET au conseil des ministres du mois d'avril
1998, un groupe de travail eau-agriculture a été mis en place au
ministère de l'Environnement, avec des sous-groupes ayant pour mission
de réfléchir à l'opportunité d'une taxe de cette
nature. Est-ce là la véritable concertation ?
La profession agricole est implantée sur l'ensemble du territoire, ce
qui renvoie à une gestion des problèmes de l'agriculture par
bassin. De plus en plus, nous nous rendons compte qu'il n'y a pas de solution
nationale parce qu'il n'y a pas une agriculture, mais il faut répondre
dans chaque région et département à des problèmes
particuliers, et cela appelle un rapport de proximité avec les
intervenants.
Bien sûr j'ai entendu pas mal de choses ce matin, et même à
demi mots, j'ai senti que l'on reprochait à l'agriculture de
n'être pas entrée dans le dispositif. Je crois qu'un certain
nombre de dossiers en discussion depuis quelques années font que
progressivement - si les accords sont respectés - une partie de
l'agriculture, notamment l'élevage et les rejets ponctuels, entrera dans
le dispositif des agences. Restent les problèmes des pollutions diffuses
qui sont plus difficiles à traiter. Mais cette approche territoriale
reste pour nous indispensable.
Notre inquiétude principale, c'est qu'à travers cette TGAP, on
abandonne l'idée qu'au delà du principe pollueur-payeur, il
puisse y avoir un principe non payeur-non pollueur qui s'applique à
partir du moment où les agriculteurs ont fait les efforts
nécessaires pour que leur activité ne soit plus polluante. Sans
compter que les agriculteurs continuent à participer à
l'entretien de l'espace à travers leur travail de tous les jours.
Compte tenu de la dispersion des agriculteurs, toute mesure de prise en compte
de l'environnement qui n'aura pas un caractère volontariste de leur part
est vouée à l'échec. Ceux qui ne respectent pas les
règles du jeu doivent être soumis à redevance, mais ceux
qui les respectent ne doivent pas être soumis aux mêmes
contraintes.
C'est dans cet état d'esprit que la profession agricole, à
travers les chambres d'agriculture, s'est engagée dans le suivi du
programme d'action de la directive nitrate en engageant des moyens pour
favoriser l'évolution des pratiques agricoles et permettre aux agences
de bassin et au ministère de faire le point, avec la profession agricole.
Lors du dernier comité de pilotage, nous avons eu un long débat
sur ces orientations. Un représentant du ministère de
l'Environnement a siégé à nos travaux. La démarche
la plus constructive entend mobiliser les agriculteurs, par la voie de la
sensibilisation, pour qu'ils s'approprient les démarches et les actions
volontaires vis-à-vis de l'environnement. Une taxe qui serait
imposée à tous les intrants liés à l'agriculture
présente deux écueils : ou bien elle est à un niveau tout
à fait dissuasif, et elle crée une distorsion de concurrence par
rapport aux autres pays de la communauté européenne, et en tout
cas, par rapport au reste du monde dans le cadre des négociations de
l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ; ou bien elle est faible, et elle
constitue un droit à polluer qui ruine tous les efforts faits au sein du
monde agricole.
Face à cette situation, nous restons attachés à un
dispositif favorisant les agents qui travaillent bien, et pénalisant les
autres. C'est à travers le dispositif actuel des agences de l'eau que
nous pourrions le faire de la manière la plus pragmatique qui
soit.
7. Intervention de M. André SANTINI, ancien ministre, député-maire d'Issy-les-Moulineaux, président du Syndicat des eaux d'Ile-de-France (SEDIF)
M.
André SANTINI
. - Monsieur le Président, Madame la Ministre,
Messieurs les Ministres, mes chers collègues, je vais me permettre de
conclure à la place de M. Jacques OUDIN pour gagner du temps ! Le
thème de ce colloque était le projet de taxe
générale sur les activités polluantes : une remise en
cause radicale de la politique de l'eau ? La cause est entendue et la
réforme n'aura pas lieu !
Mme Bettina LAVILLE, vous vous êtes plainte tout à l'heure
légitimement et vous avez demandé une péréquation
des temps de parole. Moi, je crois qu'à vous seule vous incarnez la
parité. Tout le monde est contre vous et vous vous défendez fort
bien. Nous voulons simplement vous aider. Vous avez réussi pour la
première fois à faire découvrir aux agences ce qu'elles
étaient, c'est-à-dire un lieu de convivialité, de
parité, de respect, de tolérance, de pédagogie. On a mis
un peu de temps, mais c'est toujours à l'occasion d'un grand deuil qu'on
découvre la famille, et là, la famille est au banquet de
funérailles.
Aujourd'hui toutes les agences sont mobilisées pour montrer qu'elles
existent. Spinoza parlait de persévérer dans l'être, mais
là il s'agit de persévérer dans l'action.
Je crois que finalement l'agence est un système très moderne
parce que décentralisé, et quasiment paritaire ; il concerne tout
le monde et implique chacun.
Et d'un seul coup, on veut modifier ce système. Il y avait
déjà eu des alertes avec le rapport du Commissariat
général au plan, le rapport de la Cour des comptes. On n'a pas
bien compris que c'était la préparation d'artillerie et qu'autre
chose allait venir. Et au moment où on commençait à jouer
le jeu de la concertation, arrive un autre missile qui bouleverse tout et nous
dit que nous n'avons rien compris. J'ai eu l'impression, comme Virenque dans
les Guignols : "on a voulu nous modifier à l'insu de notre plein
gré !".
Je ne vois pas aujourd'hui Mme Bettina LAVILLE comment vous allez pouvoir
remonter le courant face à toutes les agences et tous les élus.
L'ensemble des acteurs et des professionnels du domaine de l'eau ne veulent pas
qu'on remette en cause ce qui marche bien. Nous étions hier à un
groupe de coordination où un de nos amis a disait : "le problème
c'est de trouver une solution pour remplacer quelque chose qui marche". Et
cela, c'est nouveau dans la problématique politique.
Moi, je crois qu'il faut arrêter. Cela ne va servir à rien de nous
bousculer, d'autant qu'on n'a pas d'issue. Comment sera prélevée
cette nouvelle TGAP ? Elle va s'ajouter sur la facture de l'eau ? Rappelez-vous
: l'eau, c'était une ressource, c'est devenu un produit, puis un
service, et aujourd'hui c'est une taxe. Il y a 40 à 45% d'eau dans la
facture d'eau, et la logique pétrolière s'applique parfaitement.
Quand la facture d'eau représentera 80% de taxes et 20% d'eau, je ne
sais pas de quoi on pourra parler. D'ores et déjà, le
propriétaire d'un pavillon de banlieue dans la région parisienne
s'étonne de voir apparaître la taxe "voie navigable", mais si
d'autres taxes collectives apparaissent, cela sera pour lui encore plus
étonnant. La révolte fiscale que nous, maires, connaissons au
plan local, commence à s'étendre à la facture d'eau pour
les syndicats inter-communaux. L'eau est devenue un poste de dépenses
important, qui ne pourra augmenter impunément.
Est-ce que cela vaut la peine de continuer à s'acharner contre des
agences que tout le monde ici a défendues ?
Par contre, en tant que parlementaire, je serai un peu à contre-courant
de mes collègues car je trouve que le projet de taxe dépolluante
constitue un vrai débat. Il y a là une perspective
européenne ; j'ai vu qu'en Allemagne on reparlait d'une éco-taxe.
Comment cela va-t-il s'organiser par rapport au droit européen et quelle
sera notre rôle ? C'est un débat intéressant, mais au
niveau du Parlement et non pas au niveau décentralisé des
agences.
Alors que nous n'avons pas eu ce débat pour l'instant, on nous sort "un
menu" tout ficelé. On ne peut plus continuer ainsi. En ce qui concerne
les agences, les esprits sont en éveil et totalement opposés
à la réforme. En ce qui concerne le projet de TGAP, il y a un
champ de discussion, et je suis sûr que les élus présents
sont prêts à en débattre, mais à la loyale,
c'est-à-dire au sein d'assemblées parlementaires.
(Applaudissements).
8. Réponse de Mme Bettina LAVILLE, Conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre
Mme
Bettina LAVILLE
. - Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, bien
que vous représentiez ici une force économique et pas du tout
politique, je voudrais répondre à toutes les observations qui ont
été faites dans l'esprit de la concertation à laquelle je
n'ai pas directement participé, mais à laquelle le
ministère de l'Environnement participe depuis deux mois.
Pour cela, je mettrai de côté les arguments qui me paraissent
relever du procès d'intention et je répondrai aux autres.
Je citerai quand même quelques intervenants dont le procès
d'intention a été un peu voyant. J'ai été
touchée par le plaidoyer de M. Jacques VERNIER et de son rêve
président de l'ADEME de bénéficier d'une ressource
affectée, concernant la maîtrise de l'énergie. Il est vrai
que les 300 millions de francs inscrits lors de la création de l'ADEME
en 1990 se sont évaporés pendant qu'il assumait cette
présidence. Entre 1993 et 1997, ces subventions ont perdu à peu
près 25% par an de leur valeur en raison du retrait total du
ministère de l'Industrie. Mais c'est aussi vrai que le ministère
de l'Industrie ne voulait à aucun prix qu'une taxe soit affectée
à la maîtrise de l'énergie. Le Gouvernement de Lionel
Jospin, dans le budget 1999, a affecté 500 millions de francs pour la
maîtrise de l'énergie, dont deux-tiers sont inscrits sur le
ministère de l'Environnement et l'autre tiers sur le ministère de
l'Industrie. Je suis contente ici d'avoir pu réaliser le rêve de
M. Jacques VERNIER, en représentant le Gouvernement qui a
décidé cela.
Ma deuxième observation pour répondre à M. Ambroise
GUELLEC : vous ne pouvez pas sérieusement dire que lors du débat
de la loi sur l'eau en 1992, les gouvernements de Michel ROCARD et d'Edith
CRESSON ont reculé ; nous avons donc reculé ensemble avec les
parlementaires, et notamment le Sénat, et l'Assemblée nationale,
à cause "d'un sombre débat sur la constitutionnalité". Ce
sombre débat que Mme Corinne LEPAGE a bien voulu rappeler constitue un
vrai problème. Quand quelqu'un mettra bout à bout le
problème de la constitutionnalité plus le problème de la
directive plus la demande sociale sur une qualité de l'eau, qui parfois
n'est pas parfaite, vous serez face à une difficulté juridique
qu'il faudra régler d'une manière plus brutale que celle que le
Gouvernement offre en ce moment.
Le troisième problème concerne l'agriculture. J'ai bien entendu
vos observations, mais vous confondez deux choses. Bien entendu, il faut
travailler à l'assiette fiscale par rapport à une taxation
agricole, et ce groupe de réflexion s'y consacre. Mais, cela n'a rien
à voir avec la manière de prélever la fiscalisation. Ce
groupe de travail reste utile car il n'a rien à voir avec la TGAP, qui
d'ailleurs ne sera effective qu'au budget de l'an 2000. Nous avons un an pour
nous concerter.
D'autre part, je reprends un propos de M. Ambroise GUELLEC. Je veux bien qu'on
dise qu'il y a eu un communiqué sur l'eau qui a dressé un certain
nombre de principes, et qu'au cours de l'été, en juillet, les
choses se sont faites en catimini, à l'ottomane. Mais la
vérité, dans ce débat, mérite d'être
rappelée. Je citerai quelques passages de ce texte : "Réforme des
agences de l'eau : avec les comités de bassin et les associations
d'élus, la ministre de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement propose une réforme des redevances instituées par
la loi sur l'eau de 1964". C'était clair. "En matière de
redevance de pollution domestique, la réforme aura deux objectifs
principaux : une meilleure équité entre les redevables et une
meilleure cohérence entre les redevances et les unités
hydrographiques". Le Gouvernement n'a pris personne par surprise. Voilà
pour le rétablissement de la vérité.
Maintenant sur le fond, qui est le plus important, je crois que certains
très bons problèmes ont été posés. Je ne
rentrerai pas dans le débat juridique qu'ont soulevé
M. Patrick THIEFFRY et Mme Corinne LEPAGE, mais je rappellerai trois
choses : Mme Corinne LEPAGE sait aussi bien que moi que l'autonomie
financière a une jurisprudence considérable et qu'elle ne
provient pas simplement de la manière dont les ressources sont
collectées, mais surtout de la façon dont elles sont
administrées et redistribuées.
D'autre part, ce que la loi a fait, seule la loi peut le défaire. Et
nous sommes devant une loi de finances. Le problème juridique ne se pose
pas aussi clairement que vous le dites. Et quand vous parlez de la satisfaction
à nos obligations internationales, je vous dirai que pour l'instant, par
rapport à la qualité de l'eau, nous ne satisfaisons pas à
nos obligations internationales tant sur le plan européen que sur le
plan des conventions de l'ONU issues de Rio. Et si la France devait être
condamnée dans une juridiction internationale, nous n'aurions plus
aucune arme pour défendre notre point de vue par rapport à la
directive-cadre et l'objectif de 2010.
Pour terminer, encore trois points.
- Il faut qu'on approfondisse ensemble cette affaire de
péréquation. Nous n'y échapperons pas ni les uns ni les
autres. Et Monsieur le Président FRANCOIS-PONCET, Monsieur le Ministre,
vous avez cité d'une manière habile le fait que les pauvres ne
doivent pas payer pour les riches, mais dans le système actuel les
riches ne payent pas pour les pauvres, et c'est de cela dont il est question.
- Nous n'échapperons pas à une réflexion globale sur
l'évolution de l'environnement. Je suis d'accord avec Mme Corinne LEPAGE
quand elle dit que le financement de l'environnement s'est fait par petits pas,
et les petits pas ont été incarnés par les taxes
affectées. J'ai le souvenir moi-même d'avoir négocié
pied à pied l'ensemble des taxes de l'ADEME, et puis les taxes sur
l'eau, mais je crois que cette époque est heureusement
dépassée, avec un Gouvernement très engagé dans
l'environnement.
- Vous avez cité un mouvement européen avec la
réflexion actuelle en Allemagne. Elle se fait depuis longtemps dans les
pays scandinaves, elle commence à se faire en Italie, et vous avez un
mouvement global de fiscalisation, mais parce qu'aujourd'hui les
problèmes de l'environnement sont planétaires, et quand vous
traitez le problème de l'eau dans votre agence, vous participez à
un mouvement environnemental global dans lequel il faut que nous mettions
à niveau les instruments économiques nationaux.
C'est cela qui guide l'action du Gouvernement, en particulier dans cette
théorie du double dividende, qui n'a pas été
inventée seulement par M. Alain LIPIETZ, mais qui est une thèse
d'économistes de plus en plus reconnue et qui est celle sur laquelle
travaillent un certain nombre d'organisations internationales, qui ont fait
évoluer le droit de l'environnement.
Enfin, un mot de conclusion.
Vous avez trois scenarii. Il y a un mouvement de critiques et
d'incompréhension peut-être sur un certain nombre de choses. Il y
a également les réflexions d'un certain nombre de personnes qui
savent bien au fond d'elles-mêmes qu'il faut faire évoluer les
agences. Mme Corinne LEPAGE l'a dit d'ailleurs. Et si ce mouvement visait
à geler l'ensemble du système des agences pour des
intérêts qui ne sont pas forcément ceux de
l'intérêt général, je me permets de mettre en garde
tout le monde, l'Etat y compris, en tant que spécialiste de
l'environnement, sur le retard que nous prendrions.
Le système des agences de l'eau présente un danger qui vient du
problème de constitutionnalité, des "trous" sur le plan de la
qualité de l'eau, avec le problème agricole. Et je prends acte
avec plaisir du fait qu'aujourd'hui il y a un consensus sur le fait qu'il faut
traiter le problème des pollutions agricoles par rapport à l'eau,
et je prends donc acte de la satisfaction des élus concernant la
circulaire Voynet - Le Pensec.
Je pense que Mme Dominique VOYNET réfléchit à des
garanties plus importantes pour apaiser ce conflit sur l'avenir des taxes sur
l'eau dans le dispositif TGAP, et qu'elle fera des propositions dans ce
domaine. En tant que militante de l'environnement depuis longtemps, je dirais
que la demande sociale aujourd'hui a considérablement
évolué, et ce qu'il fallait sauvegarder comme acquis
environnementaux il y a 10 ans, avec des lois, des règlements, ou des
contreparties, aujourd'hui est sauvegardé par la demande sociale et la
vigilance du public.
Je ne voudrais pas que mon propos soit interprété par un "cela
suffit", mais je crois que nous sommes dans un contexte tout à fait
différent qui est à mettre d'ailleurs au crédit du monde
associatif et au crédit du monde des collectivités locales, dont
la prise de conscience a été importante ces dernières
années, et à mettre au crédit de tous les ministres de
l'environnement successifs qui ont su se battre pour arriver à cela.
Nous ne sommes plus à la même époque qu'en 1964.
CONCLUSION DU COLLOQUE
PAR M. JACQUES OUDIN
M.
Jacques OUDIN
. - Merci madame. Je conclurai ces propos en vous remerciant
tous et en vous disant que je me réjouis que nous ayons pris
l'initiative d'organiser une large consultation de la communauté
nationale de l'eau sur la réforme de la fiscalité
écologique. C'est la première réunion de ce genre depuis
l'annonce du projet de loi gouvernemental.
Les débats particulièrement vifs et fructueux que nous avons
engagés tout au cours de cette matinée montrent que ce sujet
présente un intérêt essentiel.
Premièrement, ce colloque a mis en lumière les atouts qui font la
force du système actuel des agences de l'eau :
• une gestion décentralisée par bassin hydrographique,
• une gestion démocratique au sein des comités de
bassin,
• une gestion autonome, avec une affectation des ressources aux
dépenses.
Ce dispositif a confirmé toute son efficacité comme en attestent
les progrès considérables qui ont été
réalisés en faveur de la politique nationale de l'eau, et sa
légitimité reconnue tant au niveau national, européen
qu'international.
Deuxièmement, cette manifestation a également montré que
le projet d'instauration de la TGAP suscite une grande méfiance, pour ne
pas dire une franche hostilité, de la part des acteurs de l'eau à
différents égards :
• vis-à-vis d'un centralisme étatique :
L'affectation du produit de la TGAP au budget de l'Etat tendant à lui
donner tout pouvoir de décision et de cogestion, remettrait en cause
l'action et le rôle tant des agences de l'eau que des comités de
bassin.
• vis-à-vis des engagements de l'Etat :
En 1997, le montant des redevances des six agences de l'eau s'est
élevé à plus de 10 milliards de francs. Or, la
pérennité des dotations budgétaires n'est pas
assurée en raison d'un déficit budgétaire de plus de
236 milliards en 1999. Compte-tenu des besoins à satisfaire dans le
domaine de l'eau, il est indispensable que des garanties réelles soient
données pour préserver l'efficacité de toute politique de
l'environnement.
• vis-à-vis du retour à l'eau des taxes
prélevées :
Le compte spécial du Trésor n'offre aucune garantie dans ce
domaine. Il n'est pas du tout certain que la TGAP serve exclusivement à
la protection de l'environnement.
Les expériences passées tant pour le Fonds national de
développement d'adduction d'eau que pour le Fonds d'investissement pour
les transports terrestres et les voies navigables illustrent quelles
utilisations de telles ressources peuvent être faites pour d'autres fins
que celles prévues initialement.
Ne faisons pas de l'environnement un sujet de discorde. Bien entendu, le
dispositif des agences est perfectible. Notre objectif est, tout en restant
mobilisés, de poursuivre nos réflexions pour proposer des pistes
d'amélioration qui viendront conforter le système existant.
Mais ne sacrifions pas un système dont les moyens de financement
permettent aux collectivités de réaliser efficacement leurs
investissements dans le domaine de l'eau, afin de répondre aux besoins
de nos concitoyens en matière de qualité de l'eau potable et
d'assainissement, et de satisfaire les exigences européennes toujours
plus contraignantes.
En aucun cas, nous ne souhaitons bouleverser un système mis en place
pendant des décennies par les lois de 1964 et 1992 au détour d'un
simple article de loi de Finances.
Vous trouverez le texte de la résolution qui vous présentera
notre position qui a par ailleurs été adoptée par la quasi
majorité des participants.
ANNEXE 1 :
SYNTHESE DES POSITIONS ADOPTEES PAR LA
MAJORITE DES PARTICIPANTS AU COLLOQUE
La
France s'est dotée, par deux lois fondamentales adoptées en 1964
et 1992, d'une politique de l'eau cohérente et efficace.
Les finalités de cette politique sont la préservation durable des
ressources, la protection des milieux naturels, la mise en valeur hydraulique
au bénéfice de tous les usages et la résorption des
pollutions que ceux-ci occasionnent.
Pour conforter la mise en oeuvre de l'appareil réglementaire ainsi que
l'exercice de la police des eaux, il est fait application de plusieurs
principes économiques :
- il s'agit essentiellement
du principe de responsabilité
(les principes pollueur-payeur et utilisateur-payeur), qui fait supporter
à l'auteur d'une pollution ou d'un prélèvement une charge
financière l'incitant à corriger son comportement tout en le
rapprochant des exigences réglementaires ;
- il s'agit également du
principe de solidarité
et
d'autonomie
(l'eau paye l'eau), qui affecte, sous le contrôle de
l'Etat, les sommes rassemblées au moyen de la taxation
précédente au financement d'ouvrages
hydrauliques : assainissement et épuration des eaux
usées, traitement et distribution de l'eau potable, entretien et
protection des cours d'eau, protection et captage des eaux souterraines ;
- il s'agit enfin du
principe d'unité d'action territoriale
décentralisée
(le bassin hydrographique comme unité de
gestion) et d'unité d'action temporelle (un programme d'intervention
financière défini sur cinq ans) que des assemblées
particulières, les Comités de bassin, mettent en oeuvre de
manière concertée.
Des administrations particulières, les Agences de l'eau, dotées
de l'autonomie financière, constituent le coeur de ce dispositif en
élaborant la politique de l'eau au niveau de chaque bassin, en incitant
les maîtres d'ouvrages publics et privés à rapprocher leurs
intérêts dans le domaine de l'eau, en assurant le suivi et le
contrôle des décisions mises en oeuvre. Le caractère
exemplaire de leur action durant les trente dernières années,
font que de nombreux pays s'inspirent désormais de ce modèle pour
organiser leur politique de l'eau.
Durant les douze derniers mois toutefois, le système français de
gestion des eaux subit des critiques répétées de la part
de certains centres de décisions publics.
En conséquence
, les participants à la réunion
organisée le 20 octobre 1998 au Sénat, sous la
présidence de la Commission des Affaires économiques et à
l'initiative du Président du groupe d'étude de l'Eau et du Cercle
français de l'Eau, et des Présidents des six comités de
bassin français (Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne,
Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse,
Seine-Normandie) :
Alertés par le projet d'adoption pour l'année 1999 d'une
Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP)
concernant l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie
(ADEME), qui a vocation à être élargie aux agences de l'eau
en 2000 ;
Faisant valoir que la budgétisation des ressources des Agences de
l'Eau à travers la mise en oeuvre de la fiscalité
écologique s'oppose par principe à toute affectation des
ressources et remet en cause fondamentalement le fonctionnement des agences de
l'eau. Le principe de cette fiscalité écologique permettra au
Ministère des Finances de percevoir les redevances pour pollution
rejetée, versées jusqu'alors aux agences de l'eau, sans en
affecter l'intégralité du produit à des actions concernant
la protection des eaux.
S'opposent à l'adoption d'un tel projet effectué de plus,
sans concertation, dans la hâte et l'improvisation.
Rappellent les progrès considérables que les organismes de
bassin ont permis d'accomplir depuis trente ans en matière de
démocratie locale de l'eau, en permettant la concertation entre
élus et usagers en présence de représentants de
l'Etat ;
Insistent sur le fait que ce modèle de bonne gouvernance est
cité comme référence d'organisation citoyenne dans le
monde entier, et qu'il est proposé comme modèle de gestion de
l'eau au niveau communautaire ;
Soulignent les résultats mesurables obtenus en matière de
forte réduction des pollutions industrielles, de gain de rendement des
ouvrages d'épuration, de montée en puissance des financements
consacrés à l'eau, d'innovations en matière d'organisation
et de participation (Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion
de l'Eau et Commissions Locales de l'Eau) ;
Soulignent l'incohérence qu'il y a entre les réformes
visant à une amélioration de ce dispositif, telles que
présentées par Mme la Ministre de l'Environnement et de
l'Aménagement du Territoire le 20 mai 1998, qui faisait suite
à une concertation avec les Comités de bassin qui les avaient
acceptées et le projet centralisateur, autocrate et régressif de
fiscalité écologique dont le but consiste à
détourner de leur objet les moyens financiers consacrés à
la protection de la nature et à sa mise en valeur ;
Demandent au Parlement :
de soutenir le dispositif actuel des Agences de l'eau,
financièrement autonomes, sous le contrôle de l'Etat, du Parlement
et des Comités de bassin, en mettant à l'étude les
éléments législatifs qui le conforteront,
de refuser en conséquence tout projet d'extension au domaine de
l'eau de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes qui
ruinerait ce dispositif,
de favoriser la mise en oeuvre des réformes
préconisées par le Ministre de l'Environnement en mai dernier,
notamment en matière de simplification de la facture d'eau,
d'encourager le rétablissement d'un climat de confiance entre les
usagers de l'eau et les pouvoirs publics, nécessaire à la
crédibilité de l'Ecole Française de l'Eau à
l'échelle mondiale.
* *
*
Le
Parlement s'est prononcé avec toute la rigueur de ses débats par
deux fois en 1964 et 1992 en élaborant une loi sur l'eau avec des
principes directeurs.
Il serait anormal au détour d'une procédure fiscale, de mettre
ainsi fin à un système qui a été patiemment
élaboré et voté à l'unanimité par le
Parlement.
ANNEXE
2 :
EXTRAIT DU RAPPORT GENERAL
8(
*
)
SUR LE
PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 1999
ARTICLE 30
Taxe générale sur les
activités polluantes (TGAP)
Commentaire : le présent article prévoit
d'instituer,
à compter du 1
er
janvier 1999, au profit du budget de l'Etat,
une taxe générale sur les activités polluantes qui se
substituerait aux taxes affectées à l'ADEME et qui
préfigurerait la future écotaxe communautaire.
I - LA SITUATION ACTUELLE
A - LA FISCALITÉ DE L'ENVIRONNEMENT
1. Contexte général
De nombreuses études récentes
9(
*
)
montrent que l'introduction des mécanismes de marché dans la
politique de l'environnement, notamment par l'institution de
taxes
environnementales, ou écotaxes
, constitue un levier plus efficace
que des réglementations contraignantes.
Les écotaxes, en modifiant les prix relatifs, obligent les producteurs
et les consommateurs à prendre en compte (à
" internaliser ") le coût de la pollution ou de certaines
autres externalités dans leurs décisions économiques.
Selon un rapport de l'OCDE
10(
*
)
, il existe deux
grandes approches des écotaxes selon les pays :
- la première consiste en l'introduction de nouvelles taxes au coup
par coup pour faire face aux problèmes d'environnement nouvellement
identifiés ou pour remplacer ou compléter les
réglementations existantes ;
- la seconde repose sur une restructuration globale du système
fiscal dans ce domaine.
2. La fiscalité de l'environnement en France
La France relève aujourd'hui de la première catégorie.
Cependant le présent article amorce une refonte de son système
fiscal environnemental.
Pendant longtemps, la France a privilégié la
réglementation sur la taxation. Toutefois, la fiscalité de
l'environnement y a connu un essor particulier depuis une dizaine
d'années, avec la création des nombreuses taxes visant à
limiter certaines émissions polluantes ou à financer des
politiques de dépollution.
Le dispositif comporte actuellement
environ 75 taxes
relativement
hétérogènes. Mme Nicole Bricq, dans l'introduction de son
rapport sur la fiscalité de l'environnement souligne que " les
réformes qui sont intervenues récemment se sont trop souvent
traduites par des mesures ponctuelles, sans cohérence
d'ensemble "
11(
*
)
.
B - LES TAXES AFFECTÉES À L'ADEME
Les taxes fiscales et parafiscales affectées à l'ADEME
constituent une partie de la fiscalité environnementale en France.
Il existe en effet aujourd'hui
cinq taxes affectées à l'Agence
de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
et
dont l'objet est de taxer les émissions polluantes :
1- la taxe sur le stockage des déchets ménagers et
assimilés, instituée par l'article 7 de la loi du 13
février 1992 relative à l'élimination des déchets,
possède un caractère fiscal. Elle est acquittée par les
exploitants de décharges de déchets ménagers et
assimilés et son produit est destiné à soutenir le
développement de techniques de traitement innovantes, à financer
des investissements et à aider les communes d'accueil des nouvelles
installations ;
- la taxe sur les déchets industriels spéciaux,
instituée par la loi du 2 février 1995 relative au
renforcement de la protection de l'environnement, a également un
caractère fiscal. Elle est acquittée par les exploitants des
installations de traitement ou de stockage de déchets industriels
spéciaux et son produit est destiné à financer le
traitement et la réhabilitation des sites pollués
" orphelins "
12(
*
)
;
- la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique,
instituée par le
décret
n° 85-582 du 7 juin 1985, est
acquittée par les exploitants d'installations émettant certains
rejets dans l'atmosphère ; le produit de la taxe est affecté
à la surveillance de la qualité de l'air et au financement de
projets de lutte contre la pollution atmosphérique ;
- la taxe sur les nuisances sonores aéroportuaires,
instituée par la loi du 31 décembre 1992 relative à la
lutte contre le bruit, a un caractère fiscal. Elle est acquittée
par les compagnies aériennes utilisant les grands aérodromes et
son produit est destiné à aider les riverains de ces
aéroports à réaliser des travaux d'isolation
acoustique ;
- la taxe parafiscale sur les huiles de base,
instituée en
1986 et réformée par le décret du 31 août 1989 puis
par celui du 31 août 1994, est acquittée par les personnes mettant
sur le marché des huiles neuves ou
régénérées. Son produit est affecté au
financement de l'élimination ou de la régénération
des huiles usagées, à des actions de communication et à
des investissements pour la mise en place de points de collecte.
On peut donc distinguer :
1-
trois taxes de nature fiscale
: taxes sur l'élimination
et le stockage des déchets et taxe d'atténuation des nuisances
sonores aéroportuaires,
2-
et deux taxes parafiscales
: taxe sur la pollution de l'air et
taxe sur les huiles de base.
Produit des taxes affectées à l'ADEME : (en millions de francs)
Taxe |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
Taxe sur le traitement et le stockage des déchets ménagers |
395 |
420 |
690 |
770 |
875 |
1 337 |
Taxe sur le traitement et le stockage des déchets industriels spéciaux |
-- |
-- |
85 |
93 |
101 |
165 |
Taxe sur la pollution atmosphérique |
187 |
160 |
134 |
187 |
194 |
222 |
Taxe sur les nuisances sonores |
30 |
30 |
32 |
38 |
40 |
89 |
Taxe sur les huiles de base |
21 |
107 |
114 |
114 |
111 |
121 |
TOTAL |
633 |
717 |
1 055 |
1 202 |
1 322 |
1 935 |
C
- LE PRODUIT DE CES TAXES FINANCE l'ACTION DE l'ADEME
1. Présentation de l'ADEME
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
est un établissement public à caractère industriel et
commercial, placé sous la triple tutelle des ministères de
l'Environnement, de l'Industrie et de la Recherche. Elle a été
créée en 1990 par la fusion de trois organismes existant.
L'activité de l'ADEME vise à la maîtrise conjointe des
consommations d'énergie, de matières premières et des
pollutions.
2. Financement de l'ADEME
Le financement de l'ADEME est assuré :
- à plus de
70 % par les taxes fiscales et parafiscales
dont
l'Agence assure le recouvrement ainsi que la gestion ;
- et à moins de
30 % par des crédits d'origine
budgétaire
.
Depuis plusieurs années, une tendance à la
débudgétisation de l'ADEME était apparue, la part des
crédits budgétaires dans le financement de l'Agence se
réduisant au profit de celle des taxes affectées.
1- Budget d'intervention
: Les taxes affectées à
l'ADEME entrent pour une part croissante dans le budget d'intervention de
l'Agence, comme le montre le tableau ci-après :
Taxes et crédits budgétaires dans le budget d'intervention de l'ADEME : (en millions de francs)
|
Taxes (1) |
Crédits budgétaires (2) |
(1) + (2) |
Part des taxes dans (1) + (2) |
1993 |
286 |
826 |
1112 |
26 % |
1994 |
594 |
386 |
980 |
61 % |
1995 |
676 |
379 |
1055 |
64 % |
1996 |
984 |
356 |
1340 |
73 % |
1997 |
1116 |
411 |
1527 |
73 % |
2. Budget de fonctionnement : Le coût global de fonctionnement de l'ADEME s'élève à environ 300 millions de francs, couverts à 62 % par des crédits budgétaires versés par chaque ministère de tutelle, à 30 % par une part du produit des taxes affectées et à 8 % par des ressources propres.
Taxes et crédits budgétaires dans le budget de fonctionnement de l'ADEME : (en millions de francs)
|
Taxes (1) |
Crédits budgétaires (2) |
(1) + (2) |
Part des taxes dans (1) + (2) |
1993 |
31.5 |
230.6 |
262.1 |
12 % |
1994 |
39.2 |
224.7 |
263.9 |
15 % |
1995 |
41.2 |
227.4 |
268.5 |
15 % |
1996 |
71.2 |
210.5 |
281.7 |
25 % |
1997 |
85.7 |
201.2 |
287.0 |
30 % |
II -
LE PROJET DU GOUVERNEMENT
Le présent article prévoit d'instituer, à compter du
1
er
janvier 1999, au profit du budget de l'Etat, une
taxe
générale sur les activités polluantes (TGAP)
qui se
substituerait aux cinq taxes actuellement affectées à l'ADEME. La
création de la TGAP constitue la mesure phare de la politique fiscale de
l'environnement que souhaite engager le Gouvernement.
A - INSTAURATION D'UNE TAXE UNIQUE : LA TGAP
1. Les objectifs poursuivis
Deux raisons principales ont conduit le Gouvernement à proposer la
création de la TGAP :
1- d'une part,
moderniser, unifier et simplifier la fiscalité
pesant sur les activités polluantes
, considérant notamment
que l'existence des taxes multiples dans le domaine de la protection de
l'environnement ne favorise pas la lisibilité de la politique fiscale de
lutte contre les pollutions et occasionne souvent des difficultés de
gestion,
2- et d'autre part,
mettre en oeuvre de façon plus efficace le
principe " pollueur-payeur ".
En effet, jusqu'à
présent, le rendement des taxes était largement
déterminé par le coût des réparations des
pollutions ; désormais, la TGAP devrait permettre de dissuader les
pratiques polluantes et d'inciter à des comportements plus respectueux
de l'environnement
13(
*
)
.
2. La création de la TGAP
En conséquence, le présent article prévoit de
substituer une taxe unique, la TGAP, à l'ensemble des cinq taxes
existantes
présentées ci-dessus.
La TGAP ne serait donc pas un impôt supplémentaire
et cette
substitution se ferait à prélèvements globaux constants.
Contrairement à ces cinq taxes dont le produit est affecté
à l'ADEME, la TGAP serait un impôt d'Etat dont le produit
alimenterait le budget de l'Etat et qui relèverait donc de la
compétence législative.
•
Le paragraphe I
du présent article propose l'insertion de
six nouveaux articles dans le code des douanes (articles 266 sexies à
undecies du code général des douanes) :
1- l'article 266 sexies (nouveau) institue la TGAP et établit la liste
des redevables ;
2- l'article 266 septies (nouveau) précise le fait
générateur de la taxe ;
3- l'article 266 octies (nouveau) précise les éléments
sur lesquels la taxe est assise ;
4- l'article 266 nonies (nouveau) fixe le montant de la taxe ;
5- l'article 266 decies (nouveau) prévoit que certains assujettis
à la taxe sur les huiles de base ou à celle sur la pollution
atmosphérique peuvent obtenir le remboursement des sommes versées
ou une diminution des montants exigibles ;
6- l'article 266 undecies (nouveau) précise que la taxe est
" déclarée, contrôlée et recouvrée selon
les règles, garanties et sanctions prévues en matière de
douanes ".
Le tableau ci-après présente les principales
caractéristiques de la TGAP prévues dans ces nouveaux articles.
TGAP |
Redevables
|
Fait
générateur
|
Eléments sur lesquels la
taxe est assise
|
Montant (F/Tonne)
|
Déchets ménagers ou assimilés |
Tout exploitant d'une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés. |
Réception de déchets par les exploitants mentionnés. |
Poids des déchets reçus par les exploitants mentionnés. |
1- déchets
réceptionnés dans une
installation de stockage de déchets ménagers et assimilés
: 60 F/tonne,
|
Déchets industriels spéciaux |
Tout exploitant d'une installation d'élimination de déchets industriels spéciaux par incinération co-incinération, stockage, traitement physico-chimique ou biologique non exclusivement utilisée pour les déchets que l'entreprise produit, à l'exception des installations d'élimination de déchets industriels spéciaux exclusivement affectées à la valorisation comme matière. |
Réception de déchets par les exploitants mentionnés. |
Poids des déchets reçus par les exploitants mentionnés. |
1- déchets
réceptionnés dans une
installation d'élimination de déchets industriels
spéciaux : 60 F/tonne,
|
Pollution atmosphérique |
Tout exploitant d'une installation soumise à autorisation au titre de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement dont la puissance thermique maximale lorsqu'il s'agit d'installations de combustion, la capacité lorsqu'il s'agit d'installations d'incinération d'ordures ménagères, ou le poids des substances mentionnées au 2 de l'article 266 septies émises en une année lorsque l'installation n'entre pas dans les catégories précédentes, dépassent certains seuils. |
Emission
dans l'atmosphère par les installations mentionnées :
|
Poids des substances émises dans l'atmosphère par les installations mentionnées. |
- oxydes de soufre et autres
composés soufrés :
180 F/tonne,
|
Nuisances sonores aéroportuaires |
Tout exploitant d'aéronefs ou, à défaut, leur propriétaire, à l'exception des aéronefs de masse maximale au décollage inférieure à deux tonnes et des aéronefs appartenant à l'Etat ou participant à des missions de protection civile ou de lutte contre l'incendie. |
Décollage d'aéronefs sur les aérodromes recevant du trafic public pour lesquels le nombre annuel des mouvements d'aéronefs de masse maximale au décollage supérieure ou égale à 20 tonnes est supérieur à 20.000. |
Logarithme décimal de la masse maximale au décollage des aéronefs mentionnés. Des coefficients de modulation prennent en compte dans un rapport de un à cinquante, l'heure du décollage et les caractéristiques acoustiques de l'appareil. |
- aérodromes du
groupe 1: 68 F/tonne
|
Huiles de base |
Toute personne qui effectue une première livraison après fabrication nationale ou qui livre sur le marché intérieur en cas d'acquisition intra-communautaire ou qui met à la consommation des lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées, ainsi que tout utilisateur d'huiles et préparations lubrifiantes, autres que celles visées ci-dessus produisant des huiles usagées dont le rejet dans le milieu naturel est interdit. |
Première livraison après fabrication nationale, livraison sur le marché intérieur en cas d'acquisition intra-communautaire ou mise à la consommation des lubrifiants mentionnés, utilisation des huiles et préparations lubrifiantes mentionnées. |
Poids net des lubrifiants, huiles et préparations lubrifiantes mentionnés. |
- lubrifiants huiles et préparations lubrifiantes : 200 F/tonne. |
La
substitution de la TGAP aux taxes affectées à l'ADEME est
l'occasion pour le Gouvernement de proposer
plusieurs modifications de
l'état du droit.
Notamment,
1- la taxe sur les déchets, qui était provisoire, serait
désormais pérenne ;
2- le taux des taxes sur le stockage des déchets augmenterait de
50 % : celle sur les déchets ménagers passerait de 40
à 60 francs par tonne et celle relative aux déchets
industriels spéciaux de 80 à 120 francs par tonne. Cette
augmentation devrait permettre de dégager des financements
supplémentaires (613,1 millions de francs) dont 500 millions de francs
seraient affectés à l'ADEME en vue de financer des actions de
maîtrise de l'énergie ;
3- les seuils à partir desquels les exploitants d'installations
classées soumises à autorisation sont assujettis à la taxe
sur la pollution atmosphérique ne seraient plus inscrits dans la
loi ; en outre, il ne serait plus fait référence aux
" poussières " dont le taux est toujours resté
fixé à zéro ;
4- l'assiette de la taxe sur les huiles de base, qui était
contestée, serait redéfinie : seraient désormais
concernées les personnes qui livrent ou mettent à la consommation
" des lubrifiants susceptibles de produire des huiles
usagées " ainsi que les personnes qui utilisent des huiles et des
préparations lubrifiantes " produisant des huiles usagées
dont le rejet dans le milieu naturel est interdit ".
• Le
paragraphe II
du présent article prévoit qu'un
décret en Conseil d'Etat fixera les modalités d'application de
ces articles 266 sexies à 266 undecies du code général des
douanes.
B
- CONSÉQUENCES POUR L'ADEME
1. Conséquences budgétaires
a) La compensation budgétaire
•
Le paragraphe IV
prévoit de mettre fin aux taxes sur les
déchets et à celle sur les nuisances sonores, qui, en tant que
taxes de nature fiscale, avaient une base législative
14(
*
)
. Les deux autres taxes sur la pollution
atmosphérique et les huiles de base, étant de nature parafiscale,
seront supprimées par décret.
La suppression de ces taxes affectées est synonyme pour l'ADEME de
perte d'autonomie financière.
En compensation de la suppression des cinq taxes parafiscales qui lui
étaient affectées, l'ADEME bénéficierait d'une
subvention annuelle
d'un montant égal au produit attendu de la
TGAP. Cette subvention serait inscrite au budget du ministère de
l'Environnement (et accessoirement, au budget de l'Industrie).
En particulier, pour 1999, l'ADEME recevrait au titre de cette compensation
1 935 millions de francs
, correspondant au produit des cinq taxes en
1999, inscrits :
1- pour 1 768 millions de francs, au budget de l'Environnement,
2- et pour 167 millions de francs, au budget de l'Industrie (au titre de sa
participation à la politique de relance de la maîtrise de
l'énergie).
3- L'augmentation de 46 % du produit par rapport aux taxes existantes,
principalement dû à la hausse du taux de la taxe sur les
déchets, devrait permettre de dégager des ressources
supplémentaires de l'ordre de 615 millions de francs. Sur cette
augmentation, 500 millions de francs seraient affectés à l'ADEME
afin de relancer ses actions dans le domaine de la maîtrise de
l'énergie et du développement des énergies
renouvelables
15(
*
)
.
b) Une contractualisation pluriannuelle
Afin de donner à l'ADEME une garantie pluriannuelle sur la
pérennité et le niveau de ses ressources, la définition de
la subvention annuelle se ferait dans le cadre de
contrats pluriannuels
conclus avec l'Etat
. Le premier d'entre eux devrait couvrir la
période 1999-2002.
2. Mesures transitoires
• Le
paragraphe III
du présent article prévoit de
confier à l'ADEME
le contrôle et le recouvrement de la
part de la TGAP assise,
- sur les déchets,
- sur la pollution atmosphérique,
- et sur les nuisances sonores aéroportuaires.
Il s'agit en fait des parts de la TGAP qui correspondent aux quatre taxes que
l'ADEME contrôle et recouvre actuellement
16(
*
)
.
Or, à partir du 1
er
janvier 1999, il ne s'agira plus de taxes
affectées à un établissement public, mais des composantes
d'un
impôt d'Etat
. Cette situation, où un EPIC
contrôlerait et recouvrirait un impôt d'Etat pour le compte de ce
dernier, est apparemment inédite et semble peu orthodoxe. Cette
dévolution de compétence
17(
*
)
à l'ADEME trouverait sa justification, selon le Gouvernement, dans la
continuité des pratiques et sa garantie dans la tutelle étatique
à laquelle est soumise l'ADEME.
Les modalités pratiques de ces missions de contrôle et de
recouvrement devraient être précisées par le décret
en Conseil d'Etat prévu au paragraphe II sus-mentionné.
On peut se demander si ce dispositif est bien conforme à l'article 34 de
la Constitution qui prévoit que "
La loi fixe les règles
concernant (...) les modalités de recouvrement des impositions de toutes
natures
".
Il est toutefois prévu que la
direction générale des
douanes
se substitue progressivement à l'ADEME pour les fonctions de
gestion (assiette, réception des déclarations), de recouvrement
et de contrôle des différentes parts de la TGAP.
L'ADEME ne devrait contrôler et recouvrer ces taxes que pendant une
période transitoire. D'après les renseignements fournis à
votre rapporteur le passage de relais entre l'ADEME et la direction
générale des douanes devrait s'opérer avant le
1
er
janvier 2000.
•
Le paragraphe V
prévoit, afin d'éviter tout
contentieux, que l'ADEME pourra continuer de gérer les réserves
liées aux anciennes taxes de nature fiscale. En ce qui concerne les
taxes parafiscales, les dispositions nécessaires interviendront par
décret.
•
Le paragraphe VI
prévoit que l'ADEME reversera au
Trésor le produit des taxes de nature fiscale se rapportant à
l'exercice 1998, exigibles en 1999 et reçues à partir du
1
er
janvier 1999. En effet, dans le cas contraire, elle aurait
bénéficié en 1999 à la fois du produit des taxes et
des subventions budgétaires compensatrices. En ce qui concerne les taxes
parafiscales, les dispositions nécessaires interviendront par
décret.
C - CONSÉQUENCES POUR LE MINISTÈRE DE
L'ENVIRONNEMENT : UNE MONTÉE EN PUISSANCE
Cette opération de budgétisation du financement de l'ADEME
devrait renforcer le rôle du ministère de l'environnement.
- Au
plan budgétaire
, pour 1999, ses crédits
augmentent de plus de 100 % par rapport à 1998, en raison principalement
de la subvention nouvelle de 1.935 millions de francs versée à
l'ADEME au titre de la TGAP et à comparer avec un budget pour 1998 qui
s'établissait à moins de 1.900 millions de francs.
Impact de la TGAP sur le budget du ministère de l'environnement (crédits de paiement) (en millions de francs)
|
1998 |
1999 |
1999/1998 |
Hors TGAP |
1.899,5 |
2.179,8 |
280,3 (+ 15 %) |
Y compris TGAP |
1.899,5 |
3.947,8 |
2.048,3 (+ 108 %) |
- En ce qui concerne
l'orientation des actions de
l'ADEME
, le ministère aura également un rôle
renforcé.
Jusqu'à présent, l'Etat a inscrit ses perspectives et ses
programmes d'action dans le cadre du contrat d'objectifs 1995-1998 conclu avec
l'ADEME. Celui-ci fixe de manière précise les objectifs
assignés à l'agence par les pouvoirs publics et définit
treize " grands programmes " autour desquels celle-ci doit concentrer
ses moyens d'action.
Avec la création de la TGAP qui marquera la perte d'autonomie
financière de l'ADEME, le pouvoir d'orientation du ministère sur
cet établissement public s'accroîtra. L'ADEME apparaîtra
désormais comme un instrument du ministère de l'Environnement.
D - LE PROJET GOUVERNEMENTAL DE TGAP, UNE TAXE ÉVOLUTIVE
À VOCATION UNIVERSELLE
1. La TGAP et les taxes environnementales existantes
La TGAP a vocation à se substituer progressivement à l'ensemble
des prélèvements fiscaux et parafiscaux actuellement en vigueur
dans le domaine de l'environnement
et dont l'assiette est constituée
par des activités polluantes, l'émission, la production ou le
rejet de produits polluants.
Elle regrouperait, au sein d'un même instrument, les
prélèvements liés à la production de
déchets, à la pollution de l'air, de l'eau et aux nuisances
sonores. En particulier, elle aurait vocation à intégrer les
redevances relatives à la pollution de l'eau
en l'an 2000 en tant
que prélèvements assis sur des activités perturbatrices
des milieux aquatiques. Cette perspective soulève une tout autre
problématique :
elle porte en effet directement
atteinte
à l'organisation décentralisée du financement de la
politique de l'eau en France
. A cet égard, il convient de
présenter les arguments avancés par le Gouvernement sur ce sujet
(voir extrait ci-après).
Extrait d'un document du Ministère de l'environnement concernant
l'extension de la TGAP au domaine de l'eau :
La TGAP a une vocation universelle. Elle a donc vocation à s'appliquer
au domaine de l'eau. Les raisons en sont nombreuses :
• tout d'abord, les usages et activités polluantes, perturbatrices
de la ressources aquatique, rentrent incontestablement dans le champ de la
TGAP ;
• ensuite, malgré le travail considérable accompli par les
agences de l'eau depuis trente ans et reconnu comme tel au plan international,
le principe " pollueur-payeur " n'est pas encore d'application
parfaite ;
• enfin, la TGAP donnera une base légale aux accises.
La TGAP intégrera donc l'eau dès l'an 2000
. L'année
précédant cette évolution est mise à profit pour
organiser
les plus larges consultations sur les modalités de mise en
oeuvre.
Cette extension de la TGAP au domaine de l'eau
ne modifiera pas les missions
des agences
de l'eau et celles de leurs collaborateurs, ni les principes
originaux qui les régissent.
Ainsi, la gestion par bassin versant et la pérennité du
financement public de la politique de l'eau seront garanties tout en permettant
une meilleure péréquation entre bassins pour les missions
d'intérêt national et de solidarité.
De même, le caractère pluriannuel des programmes d'intervention
des agences de l'eau est confirmé. Il sera validé par le
Parlement dans une loi de programmation à partir du VIIIème
programme.
(...) En ce qui concerne les agences de l'eau,
leurs ressources vont
bénéficier d'une triple garantie :
• vote, par le Parlement, d'une loi de programmation définissant
les programmes d'intervention quinquennaux des agences, en recettes comme en
dépenses, conformément aux termes de la communication du 20 mai
1998 ;
• mise en place d'un compte spécial du Trésor (un compte
d'affectation spéciale) encaissant les produits de la TGAP
18(
*
)
;
• conclusion d'un contrat pluriannuel d'objectif avec chacune des
agences, garantissant la pérennité du financement et le niveau de
ce financement.
2. La TGAP et les futures taxes environnementales
Si de nouvelles taxes environnementales devaient être
créées, elles auraient également vocation à
être regroupées au sein de la TGAP
. En particulier,
- la future taxe sur les gaz à effet de serre,
- la future redevance de modification du régime des eaux (MRE),
- une taxe sur l'utilisation des engrais et produits phytosanitaires en
agriculture.
Un rapport du Conseil d'analyse économique
19(
*
)
estime qu'il existe un " gisement
d'écotaxes " en France dont le montant pourrait être compris
à terme entre 50 et 125 milliards de francs.
En outre, cette évolution
prépare la future
" écotaxe " européenne sur le carbone et
l'énergie
, actuellement en négociation sur le plan
communautaire.
III - LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
A - LES TAXES AFFECTÉES NE SONT PAS TOTALEMENT SATISFAISANTES
Le principe de la TGAP semble répondre, a priori, à certaines
critiques qui visent le système actuel de fiscalité
écologique, notamment concernant les taxes affectées à
l'ADEME.
1. Un contrôle réduit du Parlement
Les taxes parafiscales
n'entrent pas dans la catégorie des
" impositions de toutes natures " qui relèvent, aux termes de
l'article 34, de la compétence du législateur. Elles se
distinguent des impôts par trois caractéristiques :
1- le caractère spécialisé de leur finalité
(intérêt économique ou social) ;
2- la nature de leur bénéficiaire (une personne morale de
droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités
territoriales et leurs établissements publics administratifs) ;
3- leur nature juridique :
Elles peuvent être instituées
par décret
20(
*
)
. Toutefois, le
Parlement doit, tous les ans en loi de finances, autoriser leur
maintien
21(
*
)
. La compétence
réglementaire en matière de taxes parafiscales constitue donc une
dérogation importante au principe de la légalité
fiscale
.
Depuis une vingtaine d'années, la tendance est à la diminution du
nombre de taxes parafiscales (77 en 1981 ; 47 en 1999).
Au contraire, le régime des impôts relève
entièrement du législateur
en vertu de l'article 34 :
l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement relèvent de
la compétence législative et l'autorisation de percevoir les
impôts existants est donnée chaque année en loi de
finances
22(
*
)
.
La création d'un impôt d'Etat en lieu et place des taxes
affectées existantes raffermirait le contrôle parlementaire.
2. Une application peu efficace du principe payeur-polleur ?
Le système actuel, caractérisé par l'affectation des taxes
et l'utilisation de leur produit à des subventions en faveur de la
dépollution, ne semble pas permettre une application efficace du
principe " pollueur-payeur " pour trois raisons principales :
1- Le système en vigueur conduirait à dégager les
ressources suffisantes pour réparer les dommages causés par
chaque activité polluante ; mais il n'aurait pas pour objectif
réel d'éviter l'apparition de ces dommages.
2- En outre, le niveau des dépenses engagées par l'ADEME
dépendrait, pour chaque action, du niveau des ressources de la taxe
concernée et non d'une analyse fine des besoins réels.
3- Enfin, dans un tel système, les pollueurs achèteraient un
" droit à polluer " en payant leur taxe et
récupérer in fine leur mise par le biais des subventions à
la dépollution.
Une taxe générale ne prévoyant pas d'affectation
rigide des produits aux emplois aurait donc comme objectif d'améliorer
l'application du principe " payeur-pollueur ".
3. Une gestion rigide des crédits
Votre commission des finances faisait remarquer l'an dernier que " le
produit des taxes est parfois loin d'être entièrement
engagé, notamment en ce qui concerne les déchets ménagers
et les déchets industriels spéciaux. L'agence place ainsi cet
" excédent ", ce qui engendre d'importants produits
financiers "
23(
*
)
.
Réserves de l'ADEME au titre des taxes :
CP, en MF |
DMA |
DIS |
TANS |
TPPA |
TPHB |
Total |
Disponibilités au 31/12/98 |
1 812 |
209 |
110 |
445 |
2 |
2 578 |
Crédits affectés non engagés |
1 186 |
182 |
30 |
396 |
2 |
1 797 |
Trésorerie nette (crédits réellement disponibles) |
626 |
27 |
80 |
48 |
1 |
780 |
AP, en millions de francs |
DMA |
DIS |
TANS |
TPPA |
TPHB |
Total |
Ressources totales, dont : |
1 522 |
219 |
147 |
257 |
123 |
2 269 |
- produits de la taxe |
835 |
96 |
46 |
185 |
118 |
1 280 |
- reports 1996 sur 1997 |
616 |
120 |
99 |
31 |
5 |
871 |
- autres |
71 |
4 |
2 |
40 |
0 |
117 |
Engagements |
559 |
75 |
47 |
125 |
110 |
916 |
Reports |
964 |
144 |
100 |
132 |
14 |
1 353 |
Source : Direction du Budget
DMA : taxe sur les déchets ménagers et
assimilés ; DIS : taxe sur les déchets industriels
spéciaux ; TANS : taxe d'atténuation des nuisances
sonores ; TPPA : taxe parafiscale sur la pollution
atmosphérique ; TPHB : taxe parafiscale sur les huiles de base.
Avec la
création d'une taxe générale permettant la globalisation
des ressources, le poids relatif des différentes actions, qui
dépend aujourd'hui du poids respectif des produits des taxes, pourrait
être modifié dans le sens d'une plus grande efficacité.
L'équilibre entre recettes et dépenses n'ayant plus à
être réalisé au niveau de chaque type de pollution comme
aujourd'hui, le dispositif proposé serait susceptible de remédier
à ces rigidités.
B - LA TGAP EST-ELLE LA BONNE SOLUTION ?
Quels que peuvent être les avantages reconnus à l'instauration
d'une taxe générale, votre commission s'inquiète cependant
des risques et des incertitudes qui entourent l'actuel projet de TGAP.
1. Un risque de perte de ressources globales pour
l'environnement
a) Une " absorption " des crédits de l'Environnement par le budget de l'Etat
L'affectation actuelle des taxes de l'ADEME permet de garantir
la
pérennité de l'action menée dans un domaine
considéré, en particulier l'environnement. Or, en vertu de
l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, une recette fiscale du budget
de l'Etat ne peut être affectée, même partiellement,
à une politique particulière.
En 1999, les dotations prévues pour chaque type d'actions de l'ADEME ne
seront que peu modifiées par rapport à 1998, mais rien ne permet
d'assurer que les hausses futures du produit de la TGAP correspondront à
des engagements du Gouvernement en matière environnementale.
Le
risque d'une banalisation de la TGAP
comme recette fiscale
ordinaire ne doit pas être négligé :
il
n'existerait donc plus de garantie que les ressources de l'environnement
bénéficient à l'environnement
.
b) Les crédits de l'ADEME soumis à la régulation budgétaire
Il faut également souligner que la budgétisation du financement de l'ADEME suppose que ses crédits pourront faire l'objet de régulations budgétaires en cours d'année, en dépit des engagements pluriannuels que pourrait prendre l'Etat quant à la pérennité et le niveau des ressources de l'Agence.
c) La fin de l'approche contractuelle en matière environnementale
La
suppression des taxes affectées mettra fin aux activités
des
comités de gestion dans lesquels sont présents les industriels -
" payeurs "
, et qui affectent, décident et examinent les
projets.
L'ADEME devrait cependant mettre en place de nouvelles instances de
concertation afin d'associer, par secteur d'activité, les
représentants des secteurs concernés à la mise en oeuvre
de ses actions.
Il demeure que
l'implication des " payeurs " dans la gestion du
système sera moins forte
. Or, les industriels avaient
été incités à accentuer leur effort en faveur de la
dépollution par le corollaire du " pollueur-payeur "
qu'était le " dépollueur -
bénéfiaire d'aides ". Ce lien ne va pas
disparaître, mais la déconnection entre le produit de la TGAP et
les ressources de l'ADEME pour subventionner les investissements de
dépollution risque de
supprimer la notion de " juste
retour "
qui avait incité l'industrie à se conformer aux
règles environnementales et, bien souvent, à aller au-delà
du strict respect de la réglementation. Il faut rappeler que
l'attribution de l'aide produit un
effet de levier
: les
investissements réalisés grâce à elle sont d'un
montant en général 4 fois supérieur à l'aide
initiale et dépassent souvent les prescriptions réglementaires.
2. La TGAP : le risque d'une " machine à taxer "
L'instauration de la TGAP risque de faciliter la multiplication et
l'alourdissement des impôts sur les activités polluantes.
1- En effet, une décision de hausse de la TGAP, impôt
" écologique ", serait favorablement perçue par
l'opinion publique, alors que l'objectif de cette augmentation des taux ne
serait pas forcément l'amélioration de l'environnement mais
l'augmentation des recettes de l'Etat.
2- Le même risque pèse en matière d'élargissement
de l'assiette de cette taxe
générale
. En outre, la notion
d' " activités polluantes " semble pouvoir être
étendue à volonté.
Enfin, il ne faut pas oublier que la TGAP risque de se traduire par une
augmentation des charges
(hausse de la taxe, diminution des subvention
aux investissements) pour certains secteurs, et notamment les industries
lourdes très capitalistiques.
3. L'opposition de principe à l'intégration des redevances de
l'eau
Enfin, votre commission tient à rappeler
son opposition de principe
à toute intégration des redevances des agences de l'eau
dans
une taxe générale.
Tout d'abord il lui paraît indispensable de
préserver
l'originalité du système des agences et des comités de
bassin
, dont l'efficacité et la légitimité sont
reconnues au niveau européenne et international.
En outre, la perspective d'une intégration des redevances dans la
TGAP
porte directement
atteinte à l'organisation
décentralisée du financement de la politique de l'eau en France
et fait peser le risque d'une
recentralisation au détriment des
compétences des collectivités locales.
Enfin, il convient de rappeler que l'intégration des redevances de l'eau
portera sur un
montant d'environ 10 milliards de francs
24(
*
)
, alors que l'intégration projetée des
taxes affectées à l'ADEME ne représente " que "
1,9 milliard de francs.
L'Assemblée nationale a adopté cet article modifié par
deux amendements rédactionnels et deux amendements de précision.
Décision de la commission : votre commission vous propose de
supprimer cet article.
ANNEXE 3
:
EXAMEN DE L'ARTICLE 30 PAR LE SÉNAT
(SÉANCE
PUBLIQUE DU 25 NOVEMBRE 1998)
Sur
l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau
- Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, par cet article, il nous
est proposé de procéder à une modification sensible de la
législation en matière de fiscalité environnementale.
Il s'agit, en effet, de mettre en place une taxe générale sur les
activités polluantes, la TGAP, destinée à permettre de
financer le budget de l'Agence de l'environnement et pour la maîtrise de
l'énergie, l'ADEME, au travers d'une dotation budgétaire et non
plus au travers de la perception de taxes affectées, instituées
au fil des différentes lois " environnementales " dont nous avons
débattu ces dernières années.
Cet article tend donc notamment à mettre en place une fiscalité
proche de ce qu'elle devrait être dans quelques années, dans le
cadre de l'harmonisation des fiscalités de différents pays de
l'Union européenne.
Sur le fond, la TGAP présente cependant la particularité
d'être une stricte application du principe pollueur-payeur, qui a, entre
autres, pour conséquences celle de reporter sur le consommateur final le
poids réel de la taxe ; il s'agit là du mécanisme que nous
connaissons avec la TVA.
On peut concevoir que la lutte contre la pollution et pour la protection de
l'environnement et des sites naturels aient besoin de moyens financiers
adaptés, eu égard aux enjeux. Pour autant, les seules voies
à retenir doivent-elles être celles de la fiscalité
indirecte, qui tend à dédouaner de leurs responsabilités
les véritables pollueurs ?
Il est d'ailleurs préoccupant, de notre point de vue, que la mise en
place de la TGAP ouvre la voie à une rebudgétisation massive d'un
certain nombre de recettes destinées à la protection de
l'environnement, et singulièrement celles qui permettent le
fonctionnement des agences de l'eau.
Les documents budgétaires font apparaître que le produit attendu
de la taxe générale se révèle supérieur au
montant de la dotation versée à l'ADEME, ce qui n'est pas tout
à fait rassurant au regard des perspectives réelles de
financement des actions à venir en faveur de la protection de
l'environnement.
Le développement de l'action publique pour la protection de
l'environnement impose manifestement d'autres mesures que celle qui consiste
à unifier le régime fiscal des ressources de l'ADEME.
Les débats sur le taux de TVA affectant la collecte et le traitement des
déchets ou encore les réseaux de chaleur ont été
très révélateurs à cet égard.
Nous ne voterons donc pas cet article du projet de loi, mais nous nous
abstiendrons, pour des raisons que chacun comprendra, sur les amendements de
suppression.
M. le président -
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin -
J'ai l'impression que nous serons nombreux à
être du même avis sur cet article, car la création de cette
TGAP n'est pas une bonne chose.
Quatre grands principes se trouvent véritablement bafoués, et
d'abord un principe de droit.
Pour lutter contre les pollutions, le Parlement a voté un certain nombre
de lois : concernant l'ADEME, trois lois, auxquelles s'ajoutent deux
décrets ; s'agissant de la politique de l'eau, deux lois, qui ont
été votées à la quasi-unanimité, en 1964 et
en 1992.
Et voilà que, par ce simple article d'une loi de finances, la
totalité de la structure du dispositif que le Parlement a mis des mois
à élaborer va disparaître ! Je tenais à le souligner.
Deuxième principe également foulé au pied : le
principe pollueur-payeur. Le système des taxes est tel que le pollueur
paie à concurrence des quantités qu'il pollue. Quoi qu'on en
dise, la taxe générale des activités polluantes
entraîne une rupture de ce lien.
Troisième principe mis à mal : le principe d'efficacité.
En effet, notre droit actuel permet d'affecter des recettes à un
organisme de désigner un organe de décision chargé de
l'affectation de ces recettes en vue d'actions déterminées. C'est
cela qu'a voulu le Parlement.
Enfin, quatrième principe mis en cause : celui de l'affectation des
ressources collectées à un objectif précis.
Quels objectifs vise, en l'occurrence, le Gouvernement ?
Il s'agit d'abord, comme l'a dit fort justement Mme Beaudeau, d'une
budgétisation de l'ensemble des ressources. Celle-ci se traduira par une
centralisation, alors que, depuis trente ans, nous affirmons la plus grande
efficacité de la décentralisation.
Mais le Gouvernement a un deuxième objectif encore plus dangereux :
la dilution des ressources.
Auparavant, on collectait 100 pour affecter 100 à la lutte contre les
pollutions. Désormais, on va collecter 150, mais on n'affectera pas 150
à la lutte contre les pollutions. Il s'agit de la mise en oeuvre de la
théorie, totalement absurde à mes yeux, du deuxième
dividende. On prend sur ceux qui polluent pour affecter à des actions
qui n'ont plus rien à voir ou qui n'ont qu'un lointain rapport avec la
pollution. On dilue les ressources dans la dilution des actions.
Le troisième objectif est de surtaxer. D'ailleurs, Mme Beaudeau l'a bien
dit : l'ADEME aura plus de ressources. Mais ce n'est pas tout ! Avec une taxe
générale sur les activités polluantes - lisez l'excellent
rapport établi par M. le rapporteur général, au nom de la
commission des finances - il y a là, comme on dit, un gisement potentiel
de taxation considérable. Je me demande comment nous allons pouvoir
respecter les critères de Maastricht.
Le Gouvernement nous dit que nous aurons des garanties en contrepartie. Aucune
des garanties qu'il nous propose n'est sérieuse. Elles sont toutes
illusoires !
On nous dit qu'une loi de programmation sera votée par le Parlement.
Nous connaissons le sort qui est réservé aux lois de
programmation, n'est-ce pas, monsieur le spécialiste des lois de
programmation militaire ! (M. Jacques Oudin s'adresse à M. Serge
Pinçon).
On nous dit qu'il y aura un compte spécial du Trésor. Bien
entendu, aucun des organismes spécialisés dans la lutte contre la
pollution n'aura un droit de regard sur la gestion de ce compte spécial
du Trésor, pas plus d'ailleurs que le Parlement, alors que nous
pouvions, au contraire, contrôler l'efficacité et la
réalité de l'action des organismes.
Enfin, on nous dit que nous aurons des contrats pluriannuels. Au moment
où nous négocions des contrats entre l'Etat et la région,
cette référence ne peut que nous faire sourire.
Bref, au-delà de la mise à mal du système de l'ADEME,
c'est toute la politique de l'eau qui sera remise en cause, ce qui est encore
plus grave.
Cette politique de l'eau est fondée sur trois principes essentiels : une
gestion par bassin, une gestion autonome et l'affectation des ressources
à des dépenses.
Il n'y aura plus ni autonomie ni affectation. Il n'y aura bientôt plus
que des services extérieurs du ministère de l'environnement qui
seront les agences de bassin vidées de leur structure et de leurs
possibilités d'actions.
Bref, nous nous dirigeons vers une boulimie financière de l'Etat face
à tous les secteurs qui peuvent encore fonctionner parce qu'ils
s'autofinancent.
En France, deux secteurs investissent efficacement des milliards de francs : il
s'agit du secteur des autoroutes et de celui de l'eau. Pour mettre la main sur
ce que j'appelle ces deux grands " magots ", l'année dernière,
l'Etat avait inventé " Routes de France ". Cet organisme était
chargé de collecter l'ensemble des recettes des péages des
autoroutes pour les affecter à un compte plus important, où les
recettes budgétaires - au demeurant en diminution - auraient
été regroupées pour mener une vaste politique
routière, laquelle aurait tué la politique autoroutière.
Nous assistons là au même phénomène. On met la main
sur les 12 milliards de francs des redevances des agences de bassin, non pas
pour conduire la politique de l'eau mise en place par le Parlement au travers
des lois de 1964 et 1992, mais pour mener une politique de l'environnement dite
durable qui, en fait, n'aura pour effet que de mettre à mal l'ensemble
de l'action que nous avons voulu engager depuis trente ans pour lutter contre
les pollutions et pour mener une bonne politique de l'eau. (Très bien !
et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président -
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet -
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon analyse est identique
à celle des deux précédents intervenants.
Conformément au souhait de la commission des affaires économiques
et du Plan, émis le 12 novembre dernier, j'interviens aujourd'hui pour
faire état de son avis défavorable sur la création de la
taxe générale sur les activités polluantes.
En effet, trop d'incertitudes et d'inquiétudes sont liées
à la mise en oeuvre de cette taxe.
Tout d'abord, à l'inverse de la plupart des taxes environnementales
existantes, le calcul de cette taxe est totalement déconnecté du
coût de la prévention ou des réparations des atteintes
à l'environnement. Cette déconnexion voulue par le Gouvernement
remet en cause la pérennité des crédits affectés
à la lutte contre la pollution.
Ensuite, cette taxe remet en question le processus de gestion
décentralisée de l'environnement. S'agissant de l'eau en
particulier, cette taxe met fin à un dispositif partenarial et autonome
qui associe les élus, les usagers et les acteurs économiques
responsables des pollutions émises et qui sert, en fait, de
modèle pour le projet de directive cadre de l'eau.
Enfin, la théorie du " double dividende " de cette taxe est peu
pertinente, puisque l'obtention du premier dividende, à savoir dissuader
les pollueurs au travers d'un " signal prix fort " pour reprendre les termes
mêmes de Mme la ministre, empêche l'obtention du second, à
savoir l'allégement du volet fiscal qui pèse sur le travail
grâce aux recettes engendrées par les écotaxes.
En effet, notamment dans le domaine de l'eau, cette taxe, pour remplir son
rôle dissuasif, va se traduire par une hausse du prix à la
consommation, en particulier sur les produits de base. De surcroît, si
des hausses salariales viennent compenser cette perte de pouvoir d'achat, cela
annulera alors les effets espérés du second dividende, à
savoir la baisse des charges fiscales et sociales sur le travail.
M. Jacques Oudin -
Et cela n'a rien à voir avec la pollution !
M. Jean Bizet -
Tout à fait !
Pour toutes ces raisons et parce que trop de taxes écologiques tuent la
protection de l'environnement, je soutiens, au nom de la commission des
affaires économiques et du Plan, l'amendement de suppression de la
commission des finances. (Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président -
La parole est à M. Calméjane.
M. Robert Calméjane -
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France s'est
dotée, par deux lois fondamentales votées en 1964 et en 1992,
d'une politique de l'eau cohérente et efficace. Les finalités de
cette politique sont la préservation durable des ressources, la
protection des milieux naturels, la mise en valeur hydraulique au
bénéfice de tous les usagers et la résorption des
pollutions que ceux-ci occasionnent.
Il est fait application de plusieurs principes.
Tout d'abord, le principe de responsabilité fait supporter à
l'auteur d'une pollution ou d'un prélèvement une charge
financière l'incitant à corriger son comportement, tout en le
rapprochant des exigences réglementaires.
Ensuite, le principe de solidarité et d'autonomie affecte, sous le
contrôle de l'Etat, les sommes perçues au titre de la taxe au
financement d'ouvrages hydrauliques : assainissement et épuration des
eaux usées, traitement et distribution d'eau potable, entretien et
protection des cours d'eau, protection et captage des eaux souterraines.
Enfin, le principe d'unité d'action territoriale
décentralisée et d'unité d'action temporelle est mis en
oeuvre par les comités de bassins de manière concertée.
L'article 30 marque un changement de politique fondamental : le produit des
taxes et redevances actuelles n'est plus affecté.
A terme, non seulement les taxes actuellement perçues par l'ADEME, mais
aussi, dès l'an 2000, l'ensemble des redevances pollution des six
agences de l'eau seraient intégrées à la TGAP.
Cette façon de procéder, mise au point, encore une fois, sans
concertation, sous couvert de l'instauration d'une future taxe
européenne, dont on ne sait rien aujourd'hui, tend à supprimer
l'effort de décentralisation réalisé par les gouvernements
précédents. Le fait même d'utiliser la loi de finances pour
engager cette réforme fondamentale permet d'éviter un
débat sur le fond avec les élus de la nation.
L'adoption de cet article 30 aurait pour résultat d'annuler non
seulement le travail patient ainsi mené depuis trente ans, mais aussi de
placer les collectivités locales dans l'incertitude quant au financement
des mises en conformité de leurs équipements selon les normes
européennes d'ici à 2005.
La logique unificatrice, et donc centralisatrice, qui est à l'origine de
la création de la TGAP, c'est que l'eau serait traitée de la
même façon d'ici à l'an 2000. Or, ce qui fait la force du
système actuel, c'est justement son action permanente en faveur de
l'environnement, en impliquant, par la concertation, tous les acteurs
concernés, et en permettant à la fois une grande
efficacité financière et une meilleure rentabilité sociale.
Demain, si l'article 30 est voté, les produits des taxes seront
reversés à l'Etat, qui en disposera selon ses besoins du moment.
Ne remettons pas en cause, mes chers collègues, ce modèle de
bonne gestion qui est cité dans le monde entier comme la
référence d'organisation citoyenne et qui est proposé
comme modèle de gestion de l'eau à l'échelon communautaire.
Refusons donc, comme le propose M. le rapporteur général, dont je
salue l'excellent travail, de nous engager dans cette voie aventureuse.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE).
M. le président -
La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel -
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la taxe
générale sur les activités polluantes constitue l'une des
innovations majeures de cette loi de finances. La TGAP rompt avec la logique
qui prévalait jusqu'alors en matière de fiscalité
environnementale. En effet, la fiscalité actuellement en vigueur est
fondée sur des taxes fiscales ou parafiscales affectées. Selon le
principe pollueur-payeur, les pollueurs doivent participer au financement de la
réparation des dommages occasionnés par les pollutions qu'ils ont
émises.
Ce système de l'affectation de la taxe est, en apparence, un bon
système. Néanmoins, il comporte des effets pervers : il
dénature quelque peu le principe de pollueur-payeur, en permettant au
pollueur d'assimiler le paiement de cette taxe à un "droit à
polluer ". En un mot, il n'encourage pas les comportements " vertueux ".
La taxe générale sur les activités polluantes vise
à éviter cette dérive et à redonner toute sa force
au principe de pollueur-payeur, en déconnectant le niveau de la taxe des
montants nécessaires à la réparation des dommages. Bref,
il s'agit d'en faire une taxe incitative.
Le premier dividende de cette taxe est donc écologique : la taxe doit
agir comme un signal-prix renchérissant les comportements jugés
à risque pour l'environnement.
Cette taxe est amenée à évoluer. Elle est universelle.
Elle s'appliquera, à terme, à l'ensemble des activités
polluantes. J'ai, à ce propos, un regret à formuler.
L'instauration de la TGAP est l'occasion de revoir la taxe sur les
déchets. Compte tenu des nouvelles orientations du Gouvernement en ce
domaine, il m'aurait semblé utile de taxer le stockage interne des
déchets industriels et, en revanche, de ne pas augmenter le taux du
stockage des déchets ultimes. Cette mesure aurait été
moins pénalisante pour les collectivités locales qui
accomplissent des efforts en ce domaine. J'aimerais, sur ce point, avoir l'avis
du Gouvernement.
En dépit de nombreux avantages, la création de cette taxe est
contestée par la commission des finances. La commission craint une
mainmise de l'Etat sur le produit de la TGAP, une banalisation de cette taxe
qui, traitée comme une recette ordinaire, servirait à financer
non plus les actions en faveur de l'environnement, mais simplement à
abonder le budget de l'Etat.
Cette crainte n'est pas infondée. Néanmoins, le Gouvernement
s'est engagé à mettre en place des garde-fous : d'une part, les
produits de la TGAP seront encaissés sur un compte d'affectation
spéciale ; d'autre part, l'Etat s'engage à pérenniser le
financement des agences qui interviennent dans les domaines de l'environnement
- agences de l'eau, ADEME - par la signature d'un contrat d'objectifs
pluriannuel.
Enfin, je dirai que, le meilleur garde-fou, c'est la volonté du
Gouvernement de prendre à bras le corps les questions environnementales,
pour promouvoir un développement durable, créateur d'emplois.
Sur ce point, le projet de loi de finances est exemplaire : en 1999, les
crédits en faveur de l'environnement augmenteront de 110 % grâce
à la TGAP et de 16 % hors TGAP ; 140 emplois et 8 000 emplois-jeunes
seront créés au service de l'environnement.
Dès lors, j'avoue ne pas comprendre la position de la commission qui,
d'un côté, craint, à terme, une perte de ressources
globales pour l'environnement et, de l'autre, propose de supprimer non
seulement la TGAP, mais également les crédits destinés
à financer de nouveaux emplois dans le domaine de l'environnement.
L'autre critique porte sur l'intégration des redevances de l'eau en 2000
dans la TGAP. La majorité sénatoriale en fait une opposition de
principe, subodorant là une atteinte à la décentralisation.
Là encore, le Gouvernement a été clair. Il ne s'agit
nullement de remettre en cause les fondements du système français
de l'eau : gestion décentralisée par bassin versant et autonomie
des acteurs de bassin. La ministre de l'environnement l'a
réaffirmé : " Je ne souhaite pas la recentralisation des agences
de l'eau. Je souhaite que, gérant des sommes très importantes -
12 milliards de francs -, les agences de l'eau soient le plus efficace
possible. "
Il lui paraît, en revanche, essentiel d'associer le Parlement à la
définition de la politique de l'eau, qu'il fixe le cadre dans lequel
seront définies des redevances, et qu'il valide les programmes
pluriannuels d'action des agences.
Quoi de plus normal, mes chers collègues ! N'est-ce pas au Parlement de
voter l'impôt et de contrôler l'usage qu'on en fait ?
Or le système n'est pas exempt de critiques : complexité,
opacité des modes de calcul des redevances, manque de qualité,
pollutions persistantes, prix trop élevé... Le Commissariat
général du plan et la Cour des comptes ont mis en lumière
ces dysfonctionnements.
L'eau est une ressource rare ; elle appartient à notre patrimoine
national. Justice et démocratie sont les maîtres mots qui guident
l'action du Gouvernement en ce domaine.
Le groupe socialiste ne votera pas l'amendement de suppression de la taxe
générale sur les activités polluantes.
M. le président -
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent
faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° I-38 est présenté par M. Marini, au nom de
la commission des finances.
L'amendement n° I-68 est déposé par MM. Richert,
Hérisson, Lorrain et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° I-205 est présenté par M. Bizet et les
membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous trois tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° I-251, MM. Mauroy, Allouche, Mme Derycke et les membres
du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le
texte présenté par le I de l'article 30 pour l'article 266 nonies
du code des douanes, par un alinéa ainsi rédigé :
" La majoration prévue pour la taxe sur les déchets
ménagers ne s'applique pas pour les collectivités locales qui
ayant fermé leur usine d'incinération pour les mettre aux normes
sont obligées temporairement de déposer leurs déchets en
décharge. "
La parole est à M. le rapporteur général, pour
défendre l'amendement n° I-38.
M. Philippe Marini
, rapporteur général - Après ces
excellents exposés, ma tâche sera facile. Je voudrais rappeler, en
quelques mots, les différents risques que recèle le dispositif
qui nous est présenté.
Il s'agit, d'abord, du risque de pertes de ressources globales pour
l'environnement ; ensuite du risque de créer une nouvelle machine
à taxer ; enfin du risque de dilution du système des redevances
de l'eau, auquel nous sommes pourtant attachés.
Voyons d'abord le risque de pertes de ressources globales pour l'environnement.
En premier lieu, des crédits spécifiques consacrés
à l'environnement et financés par les différentes taxes,
risquent d'être absorbés par le budget de l'Etat. Actuellement,
les taxes sont affectées à l'ADEME, ce qui permet de garantir le
pérennité de son action.
Il est clair que nous allons assister à une banalisation, la TGAP
devenant une recette fiscale ordinaire. Certes, un mécanisme
d'affectation au sein d'un compte spécial du Trésor sera
prévu - M. Loridant aura le plaisir d'en rapporter un de plus ; il doit
y en avoir déjà quarante-trois - mais il est possible que les
ressources tirées de taxes relatives à l'environnement servent
une autre cause. C'est le fameux " second dividende " qui a été
évoqué, non pas seulement par notre collègue M. Jacques
Oudin, mais aussi par un certain nombre de responsables proches du Gouvernement
qui nous ont beaucoup inquiétés.
En deuxième lieu, compte tenu de la budgétisation du financement
de l'ADEME, ses crédits pourront subir, le cas échéant,
les régulations budgétaires qui ne s'appliquaient pas jusqu'ici
aux ressources issues des différentes taxes.
En troisième lieu, il était un principe tout à fait
responsabilisant et mobilisateur, celui de l'implication des payeurs dans la
gestion du système. Or il semble bien que l'on veuille atténuer
les effets de cette approche judicieusement contractuelle.
Mais j'en viens au deuxième risque : la taxe générale sur
les activités polluantes pourrait devenir une véritable machine
à taxer. Large assiette, faible taux, c'est la porte ouverte à
toutes les tentations des ministres du budget. Pourront-ils y résister ?
Au surplus, une hausse de la TGAP, impôt qualifié
d'écologique, sera favorablement perçue par l'opinion publique,
alors que l'objet de cette augmentation des taux ne sera pas forcément
l'amélioration de l'environnement mais peut-être plutôt
l'amélioration des ressources budgétaires de l'Etat !
Le même risque est encouru en matière d'élargissement de
l'assiette de la taxe générale sur les activités
polluantes, la notion d'activités polluantes pouvant, à la
limite, être étendue à volonté. Dans ces conditions,
la création de la TGAP peut se traduire par une augmentation des
dépenses que viendrait financer la ressource ainsi facilement
perçue et facilement majorée.
J'en viens, en troisième lieu, au risque de dilution. Nous sommes
très inquiets, monsieur le secrétaire d'Etat, quant au devenir du
système de financement des agences de l'eau. Un grand nombre de
sénateurs, dont nous sommes, sont opposés au principe d'une
intégration des redevances de l'eau dans une taxe
générale, estimant qu'il s'agirait là d'une
recentralisation. Or il faut préserver l'originalité du
système des agences de l'eau et des comités de bassin. En
conséquence, la création de la taxe générale sur
les activités polluantes donne un signal dans le mauvais sens et fait
peser un risque grave pour l'avenir.
Voilà pourquoi la commission, à partir de l'analyse qu'elle en a
faite et après avoir écouté un certain nombre de
spécialistes, estime devoir proposer la suppression de l'article 30.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président -
La parole est à M. Badré, pour
défendre l'amendement n° I-68.
M. Denis Badré -
Je considère qu'il a été
défendu.
M. le président -
La parole est à M. Bizet, pour
défendre l'amendement n° I-205.
M. Jean Bizet -
Je considère également que cet amendement
a été défendu.
M. le président -
La parole est à M. Miquel, pour
défendre l'amendement n° I-251.
M. Gérard Miquel -
Cet amendement vise à ne pas appliquer
l'augmentation de la taxe sur les déchets ménagers aux
collectivités locales qui ont été amenées à
fermer leur usine d'incinération pour les mettre aux normes et qui sont
provisoirement obligées de déposer leurs déchets en
décharge. Afin de ne pas pénaliser ces collectivités qui
subissent des surcoûts de traitement liés à ce dispositif,
il est proposé de maintenir la taxe à 40 francs, au lieu de la
passer à 60 francs.
M. Gérard Braun -
C'est moins cher en décharge !
M. le président -
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini
, rapporteur général - La commission,
qui a bien pris en compte la suggestion du groupe socialiste,
préfère toutefois son amendement de suppression. Mais elle sera
intéressée par l'avis du Gouvernement.
M. le président -
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Mesdames, messieurs les
sénateurs, dans la plupart de vos interventions, vous avez
formulé des craintes sur l'avenir des agences de l'eau. Mais elles ne
sont pas concernées par ce projet de loi de finances !
Notre responsabilité est de débattre de ce qui est dans la loi de
finances et non de ce qui pourrait y être.
Il n'est pas question, dans le projet de loi de finances qui vous est soumis,
de toucher en quoi que ce soit aux agences de l'eau.
M. Jacques Oudin -
Ne dites pas cela ! Ce n'est pas vrai !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Ce n'est pas dans le
texte.
M. Jacques Oudin -
Mme Voynet a dit le contraire !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Mme Voynet, mon
estimable collègue, ministre de l'aménagement du territoire et de
l'environnement, a engagé une concertation.
M. Jacques Oudin -
Justement !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Et parce que cette
concertation commence, son résultat ne peut pas figurer dans le projet
de loi que vous êtes en train de discuter.
M. Jacques Oudin -
On verra !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Pour imiter M. le
rapporteur général des finances, je dirai que, après le
riche exposé de M. Miquel, ma tâche sera facile ! Il est vrai que
Mme Voynet entend réfléchir à l'avenir des agences de
bassin, non pour les remettre en cause en leur principe mais pour instituer en
la matière plus de transparence - en matière d'eau, c'est la
moindre des choses - (Sourires) et aussi associer le Parlement à la
définition des grandes orientations des politiques de l'eau. Qu'y a-t-il
à redire à cela ? Nous aurons peut-être l'occasion d'en
reparler d'ici un an. Mais, pour l'instant, le Gouvernement est dans une phase
de dialogue, d'écoute et pas du tout de décision. Vous pouvez
nourrir des craintes pour l'avenir, c'est votre droit, c'est peut-être
aussi votre tempérament, mais ce n'est pas l'objet du débat
d'aujourd'hui.
Monsieur le rapporteur général, il y avait des taxes
affectées. Il y a maintenant une seule taxe. Certes, le Gouvernement a
supprimé cinq taxes, mais cette simplification devrait vous
réjouir, car ces taxes ne vont pas se dissiper dans je ne sais quels
sables administratifs. Elles vont être entièrement
affectées à l'ADEME dont le budget, ainsi que M. Miquel l'a dit,
passera de 1,3 milliard de francs à 1,9 milliard de francs, sans compter
la taxe générale sur les activités polluantes. Il est donc
clair que le Gouvernement entend consacrer à la dissuasion de la
pollution et à la réparation des dégâts qu'elle
occasionne des moyens financiers accrus.
Quel est l'intérêt de la confluence de ces taxes ? Auparavant, une
taxe sur le bruit ne pouvait financer que des actions sur le bruit. De
même, une taxe sur l'eau polluée ne pouvait financer que des
travaux de propreté dans le domaine de l'eau.
Désormais, dans le cadre d'un contrat pluriannuel passé entre
l'Etat et l'ADEME, contrat dont le Parlement sera évidemment
informé, il y aura, à partir d'une ressource globale, une
stratégie d'ensemble de lutte contre la pollution.
Monsieur le rapporteur général, vous dites : " large assiette,
faible taux ". Je vous ai entendu, antérieurement, énoncer ce
principe presque avec des sanglots dans la voix. Je pensais donc que vous
auriez félicité le Gouvernement mais, évidemment, avec
votre tempérament pessimiste, vous y avez vu l'amorce de je ne sais
quelle machine à taxer. Il n'y a pas de " machination " dans le projet
gouvernemental !
En somme, pour faire simple, le projet du Gouvernement est un bon projet.
M. Alain Lambert
, président de la commission des finances - Cela
n'apparaît pas !
M. Christian Sautter
, secrétaire d'Etat - Chacun y voit ce qu'il
veut. Il est le début d'un processus dans lequel la nation et le
Parlement, évidemment, engageront une action résolue contre la
pollution pour que notre société évolue dans un
environnement plus propre.
Je ne parlerai pas de la pollution dans les grandes villes. En la
matière, des initiatives ont été prises avant ce
gouvernement et d'autres le seront après. Ce qui est proposé va
tout à fait dans le bon sens.
L'amendement n° I-251 de M. Miquel revient à opérer une
distinction entre les centres d'incinération et les décharges.
Je comprends la motivation de cet amendement, mais son adoption serait source
de difficultés pratiques de contrôle et de recouvrement et
constituerait, malgré tout, une entorse au principe
d'égalité.
Donc, tout en comprenant le message que vous voulez adresser, et que je
transmettrai à l'ensemble du Gouvernement, Monsieur Miquel, je ne crois
pas que l'amendement tel qu'il est rédigé, soit le plus
approprié, raison pour laquelle je vous demande de le retirer.
M. le président -
Je vais mettre aux voix les amendements
identiques n°s I-38, I-68 et I-205.
M. Jacques Oudin -
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président -
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin
- Le Parlement a adopté trois lois : la loi du
13 février 1992 sur le stockage des déchets ménagers et
assimilés ; la loi du 2 février 1995 sur les déchets
industriels spéciaux ; la loi du 31 décembre 1992 relative
à la lutte contre le bruit, textes adoptés quelles que soient les
majorités, vous l'aurez remarqué. Et, chaque fois, le Parlement -
il l'a fait dans d'autres domaines - a retenu la solution de l'affectation des
ressources à un organisme spécialisé dans la lutte contre
la nuisance ou la pollution considérée comme gage de la plus
grande efficacité.
C'est un principe qui a régi notre droit de l'environnement pendant
trente ans. De même que, pendant trente ans, nous avons construit des
autoroutes.
M. Alain Lambert
, président de la commission des finances - Pas
assez !
M. Jacques Oudin
- Maintenant, vous changez les principes et, de
surcroît, vous voulez stopper la construction des autoroutes. C'est votre
droit, forcément. Comme l'a dit un jour Mme la ministre de
l'aménagement du territoire et de l'environnement, la nation a
changé de majorité, c'est bien pour changer de politique. Dont
acte ! Mais vous ne nous en voudrez pas de penser qu'une politique qui avait eu
une certaine efficacité pouvait bien continuer.
M. Marc Massion -
Ce sont les Français qui n'en veulent plus !
M. Jacques Oudin -
Quant à dire qu'il n'est pas question
d'étendre cette taxe à l'eau, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous pourriez témoigner plus de considération pour le
Parlement. Enfin, ce n'est pas possible ! Mme la ministre a elle-même
annoncé que cette taxe - " taxe générale " sur les
activités polluantes - allait s'appliquer à l'eau. Elle a
commencé les consultations. Elle a d'ailleurs dû reculer
voilà deux jours.
J'ai moi-même réuni dans cette maison les représentants de
la communauté nationale de l'eau ; les représentants de toutes
les agences et de tous les organismes qui s'occupent de l'eau étaient
présents. Eh bien ! à part les quelques auteurs du projet, tout
le monde était contre. En effet, les mesures que vous nous proposez vont
à l'encontre de tous les principes que nous avons mis des années
à mettre en oeuvre.
Quand je pense que vous souhaitez affecter à un budget de l'Etat qui
supporte 236 milliards de francs de déficit des recettes à
hauteur de quelques dizaines de milliards de francs en espérant qu'elles
repartiront toutes vers la même destination, alors que le fondement
même de la théorie du deuxième dividende est qu'une partie
des recettes doit être dissociée de l'objectif de lutte contre les
pollutions, je considère que vous prenez vraiment les parlementaires
pour des naïfs !
Dans ces conditions, je pense que notre devoir, en la matière, est de
refuser une orientation de cette nature, car elle va contre l'environnement,
contre la politique que nous avons menée depuis trente ans, et elle ne
vous permettra certainement pas d'atteindre les objectifs que vous dites
vouloir atteindre. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants. - M. le
président de la commission des finances et M. le rapporteur
général applaudissent également.)
M. Jean-Philippe Lachenaud -
Je demande la parole pour explication de
vote.
M. le président -
La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud
- Il y a effectivement un mystère,
monsieur le secrétaire d'Etat ! La semaine dernière, nous avons
lu - et nous croyions que le Gouvernement était unanime et solidaire -
que Mme Voynet commençait à comprendre qu'une TGAP
intégrant des redevances sur l'eau constituait une erreur.
C'est effectivement une erreur, une erreur qui a entraîné la
protestation de toutes les agences de bassin. Dois-je vous rappeler que le
directeur de l'agence de bassin Normandie - Région parisienne, l'une des
plus importantes agences, a démissionné ?
M. Jacques Oudin -
Il a été renvoyé !
M. Jean-Philippe Lachenaud -
En effet, mon cher collègue !
Alors que le système des agences de bassin est un système
décentralisé, on a l'impression qu'à la différence
d'Alexis de Tocqueville, qui disait qu'une démocratie est riche de ses
corps intermédiaires, vous êtes gêné, monsieur le
secrétaire d'Etat, par tous les corps intermédiaires
décentralisés et dotés de ressources autonomes. Il vous
faut centraliser, il vous faut étatiser !
Lorsque nous l'avons auditionnée, Mme Voynet ne s'en est pas
cachée, au demeurant, en réclamant plus de fonctionnaires, plus
de centralisation pour la politique de l'eau et la politique de
l'environnement. Ce n'est pas ainsi que nous mènerons une politique de
l'environnement efficace !
Nous sommes très déçus par la manière dont s'engage
la réforme de la fiscalité écologique. Franchement, je
crois qu'il aurait mieux valu constituer un groupe de travail, y faire
participer des élus, des industriels, des membres du Sénat et de
l'Assemblée nationale, pour essayer de dégager les vraies pistes
d'une fiscalité écologique.
Vous ne nous avez en tout cas absolument pas convaincus en disant que les
redevances sur l'eau n'étaient pas intégrées.
C'est la raison pour laquelle nous voterons l'amendement de suppression
présenté par M. le rapporteur général.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. le président
de la commission des finances et M. le rapporteur général
applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-38, I-68 et I-205,
repoussés par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président
- En conséquence, l'article 30 est
supprimé et l'amendement n° I-251 n'a plus d'objet.
1
SDAGE : Schéma directeur
d'aménagement et de gestion de l'eau.
2
SAGE : Schéma d'aménagement et de gestion de
l'eau.
3
FNDAE : Fonds national pour le développement des
adductions d'eau
4
FITTVN : Fonds d'investissement pour les transports
terrestres et les voies navigables
5
TIPP : Taxe intérieure sur les produits
pétroliers.
6
CO
2
: dioxyde de carbonne
7
FDES : Fonds de développement économique et
social.
8
N° 66 tome II Fascicule I par M. Philippe Marini,
rapporteur général au nom de la commission des finances
9
En particulier, OCDE (1993a), OCDE (1994).
10
OCDE, " Stratégies de mise en oeuvre des
écotaxes ", 1996.
11 Commission des finances de l'Assemblée nationale, " Pour un développement durable : une fiscalité au service de l'environnement ", n° 1000, 23 juin 1998.
12
Il s'agit des sites pollués n'ayant plus
de
propriétaire identifié clairement.
13
L'objectif du Gouvernement est de déconnecter peu à
peu le rendement de l'instrument fiscal du montant des ressources
nécessaires à la réparation des dommages.
14
Loi n° 75-663 du 15 juillet 1975 modifiée relative
à l'élimination des déchets et à la
récupération des matériaux et loi n° 92-1444 du 31
décembre 1992 modifiée relative à la lutte contre le bruit.
15
Pour 1999, la relance de la maîtrise de l'énergie et
du développement des énergies renouvelables constitue, avec la
lutte contre la pollution de l'air et la réorientation de la politique
des déchets, l'une des trois grandes priorités de l'ADEME.
16
Actuellement, la taxe parafiscale sur les huiles de base est
déjà collectée par la direction générale des
douanes et droits indirects.
17
Il s'agirait selon les termes de l'article d'une
" habilitation ".
18
Cette solution est garante d'une réaffectation totale du
produit de la part de la TGAP assise sur les activités polluantes de
l'eau, à la filière concernée.
19
Dominique Bureau et Jean-Charles Hourcade, " Les dividendes
économiques d'une réforme fiscale écologique ", dans
l'ouvrage du Conseil d'analyse économique, " Fiscalité de
l'environnement ", La Documentation française, 1998.
20 La durée de leur perception est toutefois limitée à cinq ans.
21 Aux termes de l'article 4 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, " Les taxes parafiscales perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre des finances et du ministre intéressé. La perception de ces taxes au-delà du 31 décembre de l'année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances " (Etat E annexé à la loi de finances).
22 Article 4 de l'ordonnance de 1959 précitée.
23 Commission des finances du Sénat, Rapport de M. Philippe Adnot sur les crédits de l'Environnement (projet de loi de finances pour 1998, n° 85, 20 novembre 1997).
24 Le montant des redevances atteint 9,877 milliards de francs en 1997.