II. L'AVENIR DES AGENCES DE L'EAU DANS LE CADRE DE LA TGAP ÉTENDUE AUX REDEVANCES
A. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉLUS, INSTITUTIONNELS ET EXPERTS
M.
Jacques OUDIN
. - Ce matin nous avons fait un large tour d'horizon sur le
principe de fonctionnement du système des agences et de la politique de
l'eau et, sur l'application de la TGAP. L'exemple de l'ADEME a fait
apparaître quelques éléments qui pourraient résulter
de cette création. J'ai l'impression que nous avons bien débattu
de ce principe de la fiscalité écologique, même si tous les
aspects n'ont pas été complètement cernés, si
toutes les applications n'ont pas été perçues, si tout n'a
pas été totalement assimilé. Je parle pour moi, en tout
cas, parce qu'il reste beaucoup de zones d'ombre en la matière. Cela
nous a amenés au moins à une réflexion et nous sommes
quelques-uns ici à le penser. Au-delà de la concertation, il est
nécessaire qu'il y ait des réflexions complémentaires qui
puissent se passer en dehors ou au sein des assemblées.
La deuxième table ronde concerne l'avenir des agences dans le cadre
d'une TGAP étendue aux redevances. Nous avons compris avec le
scénario 3 exposé par M. Robert GALLEY ce matin que la
direction recherchée était un peu différente. Mais ce qui
est important, c'est de prendre connaissance de la position des
différents partenaires.
En écoutant les réactions de la salle, on prend bien conscience
que tout le monde n'est pas encore totalement convaincu des conséquences
bénéfiques de la TGAP. Il faut donc en discuter et je voudrais
donner la parole à une des personnes qui a fait partie de
l'équipe de réflexion sur cette réforme, Mme Bettina
LAVILLE, conseiller à Matignon.
1. Intervention de Mme Bettina LAVILLE, conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre
Mme
Bettina LAVILLE
. - J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt
l'ensemble des arguments, et je voudrais faire une série d'observations
préliminaires et développer ce qui était le thème
de la deuxième table ronde par rapport au projet du Gouvernement.
Je voudrais d'abord dire que j'ai été le directeur de cabinet de
M. Brice LALONDE et je me souviens assez bien de son état d'esprit
à propos du vote de la loi sur l'eau. Beaucoup de débats ont eu
lieu qui portent sur le coeur des problèmes soulevés actuellement.
Premièrement, l'évolution du secteur de l'industrie et des
collectivités locales a fait que la loi sur l'eau de 1964, tout en
étant un cadre législatif très adapté, ne
correspondait plus aux besoins de la population française et aux
exigences en matière d'eau et de qualité de l'eau. C'est un
constat qui avait été fait par le Gouvernement de M. Michel
ROCARD, porté dans la discussion parlementaire par le ministre de
l'Environnement, qui avait dit à l'époque que la loi sur l'eau
était une étape, une bonne étape, mais qu'il faudrait
approfondir la notion d'" intérêt
général ". Rapportée au secteur de l'eau, je crois
que nous sommes aujourd'hui au coeur de ce débat et qu'il s'agit bien de
l'intérêt général.
A propos d'environnement, qui peut dire aujourd'hui que l'environnement en
France est le même depuis 30 ans ?
Qui peut dire aujourd'hui que l'évolution des pollutions agricoles et
les besoins en eau dans les grandes agglomérations sont les mêmes
qu'il y a 30 ans ? La réponse est : personne.
Qui peut dire aujourd'hui qu'un instrument qui a été conçu
par une France en reconstruction en 1964 doit rester, de façon
intangible et conservatrice, le même instrument aujourd'hui à un
an de l'an 2000 ? Personne.
Nous avons souhaité faire évoluer, conformément à
l'exposé des motifs mêmes de la loi sur l'eau, ce système
dans un but d'intérêt général. Aujourd'hui nous
avons deux problèmes par rapport au fonctionnement des agences de l'eau.
Tout d'abord, le système pollueur-payeur qui est un bon système
et dont on voit aujourd'hui, notamment depuis les évolutions de 1992, le
bien-fondé, mais qui comporte aussi quelques perversités. Il est
devenu aujourd'hui, et c'est la Cour des comptes qui le dit un système
beaucoup plus " cotisant bénéficiaire " que
garantissant véritablement l'équilibre entre le pollueur et le
payeur. Il y a là une dérive. Je ne dirais pas une dérive
mutualiste parce que j'ai le plus grand respect pour le système
mutualiste. Cependant, notre système est trop fermé, alors que
nous devons construire un système d'intérêt
général. C'est le rôle de l'Etat que de faire recouvrer
l'intérêt général à des institutions dont il
a la tutelle, qui connaissent aujourd'hui, des résultats remarquables
dans beaucoup de bassins, mais où il y a une certaine dérive et
en particulier sur leur mission de service public.
Vous le dites vous-mêmes quand vous êtes au sein des comités
de bassin. Il y a évidemment des problèmes d'utilisation de
l'argent qui ne s'affecte toujorus pas aux travaux nécessaires. Il y a
des problèmes de travaux qui ne sont pas faits, faute d'un bon
système de financement. Il y a aussi des problèmes de
péréquation tout à fait considérables. Et il est du
rôle de l'Etat et de sa mission d'intérêt
général de faire évoluer cela.
La deuxième remarque préliminaire que je voudrais faire concerne
la fiscalité écologique. Ce Gouvernement est arrivé avec
un programme concernant une réforme de la fiscalité et notamment
écologique.
Le Président Jacques OUDIN a eu la gentillesse de dire un mot sur le
fait que je suis depuis longtemps les questions d'environnement. Je voudrais
vous dire que, au-delà des affaires d'eau, deux choses m'ont beaucoup
frappée depuis dix ans dans le secteur de l'environnement.
Tout d'abord, par rapport aux directives européennes, nous sommes
toujours en retard. Cela veut dire que des directives sont approuvées,
nous le savons, les industriels le savent, et quand on arrive au moment de
l'application, beaucoup de gens et d'industriels se précipitent dans le
bureau du responsable ministériel en disant : nous n'allons pas suivre.
Et l'intérêt général consiste à
prévenir ce genre de choses. Nous le faisons concernant le
CO
2
6(
*
)
. Nous sommes le
premier Gouvernement à avoir changé la position de la France en
matière de CO
2
et économiquement c'est tout à
fait indispensable. Quand les Etats-Unis auront considéré que
pour eux c'est le moment de changer de position et d'être favorables
à une écotaxe, dans 5 à 6 ans, le mouvement du monde
environnemental et les répercussions sur la communauté
européenne seront considérables, et nous nous féliciterons
d'avoir pris les devants.
Il en va de même pour l'eau. Deux directives très importantes nous
attendent et nous devons donner un coup d'accélérateur, comme
celui qui a été donné au moment de la loi sur l'eau pour
soutenir les normes qui seront imposées par la communauté
européenne et les conseils européens.
Ce n'est pas une surprise. Vous avez dit, Monsieur le Président,
à un moment donné, qu'il n'y a pas eu de concertation. En
principe, le budget de l'Etat, les sénateurs le savent bien, est
préparé par le Gouvernement et ensuite il est discuté au
Parlement. Evidemment, aujourd'hui, la discussion budgétaire est ouverte
au Sénat et à l'Assemblée.
Je crois que le Cercle français de l'eau a l'habitude des débats
honnêtes.
On dit que l'eau doit revenir à l'eau. Bien évidemment. M. Brice
LALONDE nous dit : il y a deux problèmes de fiscalité
écologique. Un problème à l'intérieur d'un
même système de pollution et de réparation, que faut-il
prélever pour donner à quoi ?
C'est pour l'instant le système des agences, et fondamentalement la
décision gouvernementale ne le change pas, puisque cela retournera
à l'eau. Ce n'est pas lié à la seule durée
gouvernementale de Mme Dominique VOYNET. L'Etat, en principe, s'est
donné d'autres garanties que le temps d'un Gouvernement ou de ses
ministres.
Il y a une autre possibilité, nous a dit Brice LALONDE. Pourquoi ne
prend-on pas autre chose, par exemple le tabac, pour donner à
l'environnement ? C'est une conception de la fiscalité
écologique, qui est intéressante et qu'il faudra approfondir,
mais qui n'est pas pour l'instant ce qui prime dans toutes les
fiscalités du monde. Cela entraînerait des distorsions de
concurrence considérables. C'est un vrai problème et un vrai
débat. On ne peut pas dire d'un système qu'il doit absolument
rester fermé, l'eau revient à l'eau, et en même temps dire
: après tout, pourquoi ne pas prendre ailleurs pour redonner à
l'eau ? Si vous faites cela, l'équilibre général du budget
de l'Etat fera qu'on prendra à l'eau pour donner à autre chose.
Les éminents spécialistes fiscaux, rapporteurs de commissions
sénatoriales, le savent bien.
Par rapport à la question posée sur l'avenir des agences de
l'eau, je dirai des choses simples. Le principe pollueur-payeur n'a jamais
été parfaitement appliqué par les agences de l'eau,
simplement parce que des domaines entiers sont restés non
traités. Et ce principe a été immédiatement
complété, par l'action au Conseil d'Administration des agences,
par un principe cotisant bénéficiaire et je dirai aussi : qui est
pur est aidé. D'où la mise en oeuvre par les agences d'un
mécanisme de mutualité où tout le monde attend le juste
retour sous forme d'aide. Les gens veulent récupérer
l'équivalent du montant des redevances qu'ils acquittent.
Ce système qui a, encore une fois, donné au système de
l'eau en France une bonne tenue générale doit aujourd'hui
évoluer. Dans le cas des agriculteurs, tout le monde le sait et il faut
avoir le courage de le dire, les pollueurs non payeurs sont aujourd'hui
aidés. On ne peut pas vraiment dire que le système
pollueur-payeur est respecté dans les agences. Ce n'est pas une
critique, c'est un état de fait que tout le monde reconnaît et que
vous reconnaissez tous lorsqu'on vous écoute défendre, amender,
critiquer le budget du ministère de l'Environnement.
Le projet de réforme a l'ambition de revenir sur ces pratiques et
d'activer réellement, en l'adaptant à notre époque, le
principe pollueur payeur. Il faut introduire plus de souplesse dans
l'attribution des fonds et alléger les contraintes de trésorerie
des agences.
Permettez-moi de vous faire part d'une expérience personnelle. Quand
nous sommes arrivés au Gouvernement, la trésorerie d'une agence
était extrêmement riche. La bataille que nous avons menée,
le cabinet de Mme Dominique VOYNET et moi-même au sein du cabinet du
premier ministre, pour empêcher le Budget d'en prélever une part,
a été rude. Et ce système est beaucoup plus dangereux que
le système qu'on vous propose aujourd'hui. A partir du moment où
vous êtes d'accord pour utiliser les fonds de l'eau pour l'eau, il faut
que cet argent soit utilisé pour l'eau.
Il faut introduire, dans des conditions très précises, une part
de péréquation entre les bassins. Je comprends que cela heurte
certaines agences qui s'entendent bien et travaillent bien. Mais nous devons
encore une fois, nous, Etat, vous alerter sur le fait que nous sommes face
à une évolution de la législation européenne qui
fait que cette péréquation est indispensable pour que la France
puisse satisfaire aux exigences qui sont, ne nous y trompons pas, les exigences
de la société civile. Vous connaissez le débat en Bretagne
au sujet des pollutions agricoles. Il y a aujourd'hui des exigences que nous ne
contiendrons pas.
Je voudrais dire trois choses. Il faut, et je crois que la ministre de
l'Environnement a dû le dire, donner un certain nombre de garanties.
D'ailleurs, Mme Dominique VOYNET immédiatement a demandé
l'assurance, qui lui a été accordée, par une lettre de M.
Christian SAUTTER, du compte spécial du Trésor.
Il faut également fournir un certain nombre de garanties qu'on peut
considérer comme une plate-forme de travail.
D'abord, l'unité de bassin ne sera pas rompue. C'est la logique
même des différentes lois et notamment de la loi sur l'eau de
1992, et nous y sommes très attachés.
L'argent prélevé sur l'eau au titre des redevances de pollution
retournera à l'eau en fonction des besoins, ce qui signifie : en
fonction des besoins de dépollution à satisfaire. C'est de
l'intérêt général. Il y a deux gardiens de
l'intérêt général dans ce pays, ce sont le
Gouvernement et le Parlement.
La transparence des affectations et des imputations sur le prix de l'eau sera
respectée et la lisibilité devra être
améliorée.
D'autre part, il faut qu'on réfléchisse à certaines
spécificités modernes des agences. Elles ont été
créées en vue de l'obtention d'un certain résultat qui est
celui de l'amélioration de la ressource. Le débat doit être
approfondi aujourd'hui. Elles doivent pouvoir être
contrôlées et auditées pour vérifier que le
résultat puisse être obtenu au meilleur coût. Il ne suffira
pas simplement d'un rapport de la Cour des comptes, qui vient toujours a
posteriori. Il faut approfondir la réflexion interne entre la direction
de l'eau et les agences.
Comme tout établissement à caractère administratif, les
agences sont et resteront soumises au contrôle de l'Etat à qui il
appartient d'inscrire l'action dans le cadre d'objectifs environnementaux
globaux.
Pour terminer, je voudrais dire deux choses.
Je veux bien qu'on ouvre une polémique autour de cette question : qui
nous garantira l'argent de l'Etat ?
Je voudrais ici rendre hommage aux propos de M. Daniel MARCOVITCH. Je suis
étonnée de voir, au sein d'un organisme qui compte beaucoup de
parlementaires, cette méfiance générale par rapport
à l'Etat, pour deux raisons. (
Protestation de la salle
). Les
systèmes institutionnels sont composés de trois
éléments : judiciaire, parlementaire, le Gouvernement
étant l'exécutif. C'est un triptyque.
Donc, je crois qu'il faut avoir un accord sur cette affaire et je vous incite
beaucoup à réfléchir par rapport aux perspectives
européennes. Je crois que nous avons tous un devoir commun, c'est
d'être prêts par rapport à ce que les évolutions
européennes vont nous demander.
D'autre part, je veux bien qu'on prête à ce Gouvernement de
mauvaises intentions futures sur l'eau, mais je voudrais rappeler que le budget
pour 1999 enregistre 40 % d'augmentation au niveau de la Direction de
l'eau du Ministère de l'Environnement. Les trois budgets
précédents n'ont connu aucune progression. Je verse cela à
la corbeille.
Enfin, je voudrais rendre hommage au Sénateur, M. Joël BOURDIN, qui
disait, ayant présenté son rapport qui fait autorité dans
le milieu de l'eau, la chose suivante : " je ne critique pas le
système des agences qui est en lui un bon système, mais le mode
de calcul des redevances qu'elles perçoivent. C'est un mode de calcul
byzantin, qui prend en compte quantité de paramètres en y
introduisant des coefficients arbitraires. Ainsi, les communes de moins de
400 habitants se voient attribuer un coefficient zéro, elles ne
payent donc pas de redevances. Le montant de ces redevances étant
répercuté sur les usagers, ceux-ci ne payent pas l'eau au
même tarif, selon qu'ils se trouvent dans une commune fortement
imposée ou exonérée, même s'ils font partie d'un
même syndicat intercommunal. Il est nécessaire, à mon avis,
de réfléchir à un nouveau système des services
d'assainissement, qui ne s'appuierait pas sur la redevance, mais sur un
système de péréquation.
Vous voyez bien que, même au Sénat (!), la réflexion a
été engagée sur ce système. Nous avons donné
un début de réponse. Mme Dominique VOYNET s'y est engagée
dans un esprit de concertation. Mais je crois me faire son interprète
pour vous dire que l'esprit de la fiscalité écologique est un
système novateur qui maintiendra deux choses : la qualité de
l'eau en France réclamée par les usagers, et la
compétitivité du système général qui a
été très souvent considéré comme un
modèle par rapport à l'étranger, mais qui, si on le
maintenait dans sa pureté un peu statique, risquerait de ne plus
l'être et de nous obliger ultérieurement à des ajustements
assez considérables.
M. Jacques OUDIN
. - Vous avez remarqué la franchise des
débats de cette matinée. Vous avez exposé votre point de
vue. Il y a eu des réactions dans la salle. Je ferai une remarque : il
est vrai que face à des gens qui ont pratiqué l'Etat depuis
longtemps, avec toute l'estime que nous avons pour l'Etat, quand on parle de la
bonne gestion de l'Etat, sachant qu'il y a 236 milliards de déficit, et
qu'on parle de la mauvaise gestion des agences parce qu'elles ont un peu
d'excédent de trésorerie, cela frappe.
(Applaudissements).
C'était de l'humour et vous l'avez pris comme tel !
Mme Bettina LAVILLE
. - C'est facile.
M. Jacques OUDIN
. - Nous voyons cela dans la Commission des finances du
Sénat depuis 12 ans et j'ai beaucoup de mal à comprendre
certaines critiques sur ceux qui équilibrent leur budget par rapport
à ceux qui ont toujours des déficits derrière eux.
Mais la préoccupation principale est de dire que si on prend de l'argent
sur l'eau, reviendra-t-il entièrement à l'eau ? J'ai l'impression
que tout cela est une préoccupation qu'on ne peut pas balayer trop
rapidement.
Je voudrais demander à M. Roland CARRAZ, Président du groupe
d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale et
député de la Côte d'Or, qui s'est beaucoup investi depuis
quelques mois, de nous donner son point de vue.