4. Intervention de M. Alain LIPIETZ, directeur de recherche au CNRS
M.
Alain LIPIETZ
. - Je crois que la discussion s'est amorcée depuis
longtemps à partir d'un constat un peu plus nuancé que ce que
j'ai entendu ce matin. J'ai été très impressionné
par l'autosatisfaction des responsables de la politique de l'eau en France,
mais qui est assez peu partagée par le Français moyen. Quand
j'étais jeune je me baignais dans la Seine à Puteaux. Depuis,
cela me paraît assez risqué et pourtant le prix de l'eau a
explosé.
Pourquoi cette discordance entre la hausse énorme du prix de l'eau et la
dégradation constante de la qualité de l'eau ?
La réponse a été apportée par une réflexion
sur le sens qu'il fallait donner au principe pollueur-payeur. Il y a
derrière trois conceptions assez différentes - on paye la
réparation, la remise en état, et c'est l'idée de la
redevance ; on paye le dommage, et c'est plutôt une indemnisation ;- et
enfin le signal prix : il est adressé à l'éventuel
pollueur pour que, si possible, il ne pollue pas et c'est plutôt
l'idée de la pollutaxe.
Les Anglo-Saxons se sont particulièrement attachés à
démolir la première idée, à savoir la redevance,
avec la théorie du hasard moral. Effectivement, dans le vocabulaire
même employé ce matin, qui parlait de mutuelle, on retrouve toute
la théorie critique du hasard moral, c'est-à-dire qu'une mutuelle
dans laquelle il n'y aurait ni bonus malus, ni franchise, et qui serait en plus
gérée par les garagistes, aboutirait à une montée
vertigineuse des cotisations, des dépenses des garagistes et à
l'irresponsabilité du conducteur. C'est un peu ce problème du
hasard moral qui amène aujourd'hui à tempérer la
première conception du principe pollueur payeur, que certains appellent
payeur-pollueur, c'est-à-dire : j'ai payé une cotisation et j'ai
le droit de polluer comme je l'entends.
Quelle que soit la qualité des ingénieurs et des gestionnaires
des agences de bassin, ils sont lancés dans une course sans fin
derrière des pollueurs qui se sentent déchargés de leurs
responsabilités. Il faut donc ajouter, à une taxe de remise en
état (la redevance, qui continuera à exister), une pollutaxe.
Quels que soient les progrès qu'on peut faire, même si on
améliore la qualité de la conduite automobile, il y aura toujours
des réparations à faire. Et il faut lancer un deuxième
signal beaucoup plus fort aux pollueurs, et c'est le but de la TGAP. Il y aura
forcément deux taxes et peut-être trois. Le problème de
l'indemnisation reste entier. Il faudra peut-être que les pollueurs aient
directement à payer aux pollués. Le côté redevance
et le côté taxe de prévention devront à l'avenir
coexister pour éviter les paradoxes du hasard moral.
M. Jacques OUDIN
. - Chacun va réfléchir à ces
propos. Nous allons prendre deux praticiens et leur demander leur
réaction : M. Daniel CAILLE, Président du SPDE, et M. Brice
LALONDE, ancien ministre, Président du groupe de l'eau de l'AMF.