3. Remarques
Le programme de modernisation de l'audiovisuel extérieur présenté en avril dernier par le ministre des affaires étrangères semble articulé de façon pertinente autour des trois axes stratégiques dont le contexte international de la communication audiovisuelle impose la prise en compte. Ici encore, l'identification de quelques points de repère facilitera l'évaluation des choix concrets effectués.
a) La rationalisation des organismes
Les
analyses semblent unanimes sur la nécessité de rationaliser le
fonctionnement des opérateurs publics.
Le rapport Balle notait en 1996 l'existence de
" redondances
fâcheuses "
atténuant la lisibilité de la
politique française, tout en observant que la fragmentation de l'offre
et la nécessité d'une diversification des actions imposait de
veiller à ce que la suppression d'un service se justifie par son faible
impact ou par la garantie qu'une large partie de l'auditoire se reportera sur
le service maintenu.
Il estimait aussi que
" faute d'une coordination forte, l'audiovisuel
extérieur est depuis longtemps le terrain d'une concurrence forte entre
opérateurs ",
citant comme facteurs de cette situation la
multiplicité des opérateurs, l'éviction des
opérateurs nationaux du champ de l'audiovisuel extérieur,
l'absence de spécialisation des opérateurs et une
hétérogénéité qui se traduiront par une
concurrence feutrée mais réelle.
On pourrait estimer au contraire que la concurrence est un gage
d'efficacité et que les empiétements territoriaux multiplient les
chances d'atteindre le public, que la rationalisation des structures de
l'audiovisuel public n'apparaît donc prioritaire que dans la mesure
où la situation actuelle suscite des incohérences au sein de la
politique de l'audiovisuel extérieur, ce qui est plus évident en
ce qui concerne le fonctionnement parallèle de CFI et de l'association
privée TVFI, comme on va le voir ci-dessous, qu'en ce qui concerne CFI
et TV5.
L'objectif de rationalisation des organismes publics est cependant
incontournable s'il conduit à redéployer des ressources
limitées vers des types d'actions insuffisamment assurés. C'est
l'objectif affirmé du plan gouvernemental, et c'est au fond la vraie
justification du recentrage de CFI sur son rôle de banque de programmes
et d'outil de coopération.
La création d'une présidence commune de TV5 et de CFI devrait
selon le plan du Gouvernement permettre d'assurer la cohérence des
actions menées et des moyens déployés.
L'exemple de la présidence commune de France 2 et de France 3 montre la
difficulté de l'exercice. On observera aussi à cet égard
que le Gouvernement renonce à créer une société
holding au motif, non retenu en ce qui concerne l'audiovisuel intérieur,
que la mise en place d'une structure nouvelle porterait les risques d'un
alourdissement des processus de décision et d'une augmentation des
dépenses de fonctionnement. Qu'en penser ?
b) L'adossement à l'audiovisuel national
Le
rapport Balle notait le caractère aléatoire et dispersé de
l'intervention des opérateurs nationaux dans le champ de l'audiovisuel
extérieur :
" ceux-ci devant se contenter d'être des
fournisseurs de programmes et des actionnaires passifs de TV5 au principal : ce
principe est d'ailleurs battu en brèche par des décisions
personnelles des opérateurs (diffusion du journal de France 2 aux
Etats-Unis, développement de politique de diversification dont le
dessein est encore flou et dont la logique de prolongement international est
imprécise) ou des exigences des pouvoirs publics sans cohérence
véritable avec la stratégie audiovisuelle extérieure
(diffusion de France 2 en Italie pour la promotion du procédé
SECAM au début des années 1970, diffusion de France 2 en Tunisie,
montée de France Supervision sur TDF1/2 pour assurer la promotion du
16/9e alors que sa candidature n'avait pas été initialement
retenue, diffusion sur ce même satellite de programmes spécifiques
de Radio France, laquelle s'est vu reconnaître une vocation
européenne).
Cette concurrence a pu être exacerbée par la diffusion en France
des programmes internationaux de RFI (sur la FM à
Paris). "
59(
*
)
Une volonté s'affirme actuellement de mieux asseoir ce rôle. Le
ministre de la communication souhaite développer le rôle des
chaînes publiques à l'international, le ministre des affaires
étrangères souhaitait, dans sa communication,
" impliquer
davantage le secteur audiovisuel national, en particulier public ".
France télévision affirme de son côté sa vocation
internationale. Auditionné par le groupe de travail le 8 avril dernier,
M. Jean-Loup Demigneux, responsable du nouveau journal international
proposé par France Télévision à TV5, a
indiqué que celui-ci avait été conçu afin de
démonter la possibilité de faire oeuvre utile en matière
d'audiovisuel extérieur sans bouleverser les structures existantes.
L'idée procède de la constatation qu'au moment de leur diffusion,
le journal de TV5 et celui de CFI sont déjà en voie de
péremption. Or, la public de l'audiovisuel extérieur attend un
journal " frais ". Par ailleurs, certaines informations nationales ne
présentent pas d'intérêt pour ces
téléspectateurs. Les Français de l'étranger sont
certes attachés au journal français, mais il faut tenir compte
des désirs du public francophone, dont la satisfaction est
nécessaire au rayonnement de la francophonie.
M. Demigneux a ainsi précisé que les sujets traités dans
les journaux de France 2 et France 3 représentent quelque 60 % du
contenu du journal international. L'ambition de celui-ci est d'apparaître
comme un prisme français de l'actualité. Il est
réalisé par une équipe d'un douzaine de personnes, et
diffusé sur TV5 à 22 heures à la place du journal de 20
heures de France 2, qui occupait précédemment cette case horaire.
CFI a souhaité le reprendre, et dernièrement une
télévision polonaise a effectué la même
démarche, ce qui semble démonter que ce journal répond
à une attente, de l'avis de son responsable.
Au cours de la même audition, M. Pierre-Henri Arnstam, alors conseiller
du président de France-Télévision, a indiqué que le
groupe avait la capacité d'être l'épine dorsale de
l'audiovisuel extérieur, et en éprouvait l'ambition tout en
souhaitant faire place à d'autres partenaires tels qu'Arte et la
Cinquième. Les moyens de France Télévision et son
expérience en, matière de télévision internationale
sont en tout état de cause un acquis incontournable, a-t-il
précisé, notant que le succès de l'audiovisuel
extérieur passait par l'Union de tous les acteurs.
Tant de convergence dans l'analyse conduit à des interrogations sur les
orientations concrètes.
Il a été décidé de modifier le capital de TV5 en
portant la part de France Télévision, principal fournisseur de
programmes, de 33 % à 35 % et en introduisant Arte pour
25 % et RFO pour 4 %. On peut se demander si ceci a une
véritable signification sachant que jusqu'à présent la
participation d'un organisme de l'audiovisuel public au capital d'un autre
organisme public n'a jamais impliqué de participation aux
décisions concernant sa stratégie ou sa gestion. Et si l'on
attend des effets concrets de ces évolutions capitalistiques, on peut se
demander pourquoi France Télévision et le futur groupe
Arte/Cinquième seront presque à parité dans le capital de
TV5 alors que leurs ressources en programmes et en moyens divers ne peuvent
être comparés. Sachant avec quel talent les dirigeants des
organismes savent défendre leur pré carré, l'adossement,
tel qu'il est conçu, de TV5 et de CFI à l'audiovisuel public
national ne garantit-il pas la pérennité de l'isolement
" splendide " des différentes chaînes publiques ?
Ceci conduit à rappeler qu'un projet de regroupement de l'audiovisuel
extérieur sous la forme d'une société holding
contrôlée par France télévision a été
évoqué un moment il y a trois ans.
c) Quelle contribution de RFO ?
Le projet d'introduire RFO dans le capital de TV5 met aussi en lumière le rôle de la station d'outre-mer. La zone de diffusion de RFO couvre des territoires non français. RFO joue ainsi un rôle de fait en matière d'audiovisuel extérieur, et pourrait être associée à la réorganisation de ce secteur. Dans le même temps, RFO joue, au moins dans les départements d'outre-mer, un rôle équivalent à celui de France 3 en France métropolitaine. Où se situe, dans ces conditions, la vocation de la station ? Entre les réalités géographiques qui incitent à l'associer à l'audiovisuel extérieur et le principe d'indivisibilité du territoire national qui impliquerait, dans les vastes projets de regroupement en cours, son rapprochement de France 3, il faudra peut-être faire des choix.
d) La diffusion des programmes
L'exportation des programmes français sera
peut-être
à l'avenir, plus que l'exportation de chaîne " clé en
main ", le moyen efficace de notre présence international dans la
communication audiovisuelle. TVFI fait un excellent travail à cet
égard, ce qui pose le problème de l'articulation de sa
démarche commerciale avec l'activité de CFI. L'intervention de
cet organisme comme banque de programmes gratuits n'a-t-elle pas des effets
pervers sur la stratégie commerciale de TVFI, dans la mesure où
la cession gratuite dévalorise des programmes susceptibles de faire
l'objet de transactions commerciales ? On cite à cet égard
l'exemple de la cessions gratuite de 310 heures à la première
chaîne turque, gouvernementale et sans audience ni
crédibilité, alors que les chaînes qui attirent l'audience
diffusent des programmes américains acquis au prix du marché.
Le programme gouvernemental prévoit de concentrer l'activité de
banque de programmes de CFI sur les zones où les perspectives de
commercialisation demeurent lointaines, et de réduire la liste des pays
où les droits de diffusion sont cédés gratuitement
à CFI et à TV5. Il serait cependant utile de disposer d'une
réflexion véritablement approfondie sur l'articulation à
terme du commercial et de l'aide.
e) L'appui à l'internationalisation des opérateurs nationaux
L'idée de favoriser la diffusion internationale des
chaînes françaises est excellente. Il s'agit d'une modalité
de rayonnement de la culture française qui a sans doute ses limites,
compte tenu du fait que les chaînes nationales continueront sans nul
doute de capter la plus grande partie de l'audience. Mais elle permettra
l'accroissement de l'offre d'images françaises à des coûts
décroissants avec les progrès de la diffusion numérique.
A terme, le véritable problème financier posé par la
diffusion internationale des chaînes nationales ne sera d'ailleurs pas la
diffusion technique, que le projet du gouvernement propose de subventionner,
mais l'acquisition des droits d'exploitation internationale des programmes.
Une autre forme d'appui à l'internationalisation du secteur privé
n'est pas évoquée dans le projet présenté en avril
dernier. Il s'agit des partenariats entre le secteur public et le secteur
privé, destinés à faciliter l'implantation
d'opérateurs français sur des marchés étrangers, et
l'implication d'investisseurs étrangers dans des projets français.
Le rapport Balle
60(
*
)
porte un
jugement sévère sur les résultats de cette modalité
de l'action publique : "
le rôle dévolu à la
Sofirad, organisme jusqu'alors voué aux participations (notamment dans
les radios périphériques, pour la plupart privatisées) et
aux transactions, discrètes, dont on a voulu faire dans la ligne du
rapport Decaux un instrument officiel de la politique audiovisuelle
extérieure et notamment un instrument de fédération entre
le secteur public et le secteur privé, n'a pas donné les
résultats escomptés. Son manque d'autorité sur CFI et TV5
dont elle était l'un des principaux actionnaires n'a jamais permis
d'ébaucher un partenariat efficace avec le privé. (...) Dans
le domaine de la radio, un certain nombre d'opérations ponctuelles ont
pu être menées en Europe central et en Russie en collaboration
avec Europe 2 et avec des partenaires locaux. Dans le domaine de la
télévision, le soutien à MCM, chaîne musicale
diffusée par satellite, et à Canal Horizons, chaîne de
télévision à péage à destination des pays
africains montée avec Canal Plus, demeurent des opérations un peu
isolées et d'envergure limitée
".
Il est possible de rappeler, pour illustrer le potentiel et les
difficultés d'une politique de partenariat public/privé, le
projet de chaîne arabe à capitaux majoritairement privés
développé par CFI par décision du CAEF du 23 novembre
1995. Interrompu à la suite de la diffusion erronée par France
Télécom, opérateur technique, de séquences
pornographiques au milieu du programme censé préfigurer cette
chaîne à vocation généraliste et familiale, le
projet semblait correspondre à une attente dans la péninsule
arabique, où la France est actuellement absente dans le domaine
audiovisuel. Le tour de table prévu s'articulait autour d'un pôle
français (40 %) réparti entre des intérêts
publics (dont CFI) et privés. Le reste du capital aurait
été réparti par tranches de 20 % entre des
investissements arabes (40 %) et extérieurs à la
région.
La lecture du projet de réforme adopté par le gouvernement ne
permet pas de savoir si le recentrage de CFI permettra le lancement
d'opérations de ce type, ni si la structure plurinationale de TV5
permettra à cet organisme de prendre en charge ce type de mission.