Etat des lieux de la communication audiovisuelle 1998
HUGOT (Jean-Paul)
RAPPORT D'INFORMATION 38 (98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
Table des matières
- INTRODUCTION
-
PREMIÈRE PARTIE
LA " RÉVOLUTION " NUMÉRIQUE :
PROGRÈS ÉCONOMIQUE... PROGRÈS SOCIAL ?- A. VERS L'ÉCONOMIE DU NUMÉRIQUE
- B. LA COMMUNICATION CITOYENNE
-
DEUXIÈME PARTIE
LE DROIT FRANÇAIS EST-IL DÉSORMAIS
EN PORTE-À-FAUX ?- A. LES ÉQUILIBRES ACTUELS DU DROIT DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE
- B. DES DÉCISIONS EN ATTENTE
- C. LA CONVERGENCE ET L'INTERNATIONALISATION : QUELLE URGENCE ?
-
TROISIÈME PARTIE
DIRIGER LE MOUVEMENT- A. DONNER L'IMPULSION : LE NUMÉRIQUE HERTZIEN TERRESTRE
- B. ORGANISER : LE STATUT DES ENTREPRISES AUDIOVISUELLES
- C. RÉÉVALUER LE RÔLE D'ACTEUR DE L'ETAT : LE SECTEUR PUBLIC NATIONAL
- D. RÉÉVALUER LE RÔLE D'ACTEUR INTERNATIONAL DE L'ETAT : L'AUDIOVISUEL EXTÉRIEUR
- E. CLARIFIER LA DÉLÉGATION D'AUTORITÉ : LA RÉGULATION
- EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXES
N° 38
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès verbal de la séance du 27 octobre 1998.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1),
sur
la communication audiovisuelle
Par M. Jean-Paul HUGOT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean-Paul Bataille, Jean Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel Charzat, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, René Monory, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
Audiovisuel. - Communication.
INTRODUCTION
Le
délai ménagé entre l'annonce et la présentation au
Parlement d'un projet de loi sur la communication audiovisuelle offrait
l'occasion de préparer de façon distanciée l'examen des
problèmes sur lesquels le législateur devra se prononcer. La
commission des affaires culturelles du Sénat a confié cette
tâche à un groupe de travail
1(
*
)
constitué en son sein.
Ce qui frappe d'emblée est l'impact de la
" révolution " numérique.
Celle-ci modifie la communication audiovisuelle en profondeur. Tout est remis
en cause : les marchés, les structures industrielles, l'impact
social et culturel de la communication, sa dimension civique.
Comment le politique, et spécialement le législateur,
réagira-t-il à ces bouleversements ? Sa mission est-elle de
prendre acte du " progrès " comme il se présente, ou de
définir un
projet
? De gérer le changement ou de le
conduire ? De contempler de loin les tempêtes ou de faire des
choix ?
L'élaboration du présent rapport a été
guidée par une conviction : la mission du politique est de
décider, non d'enregistrer ; et à l'heure des
bouleversements, le
suave mari magno
peut être une tentation, pas
une solution.
A partir d'une analyse des principales évolutions qui affectent la
communication audiovisuelle dans ses différentes dimensions, puis d'une
évocation du devenir de son droit, le document qui suit tente de
dessiner certaines pistes qu'il sera loisible au législateur
d'emprunter, en fonction des choix politiques de chacun, afin d'organiser les
relations entre technique, économique et société, et
s'acquitter de sa mission : diriger le mouvement.
PREMIÈRE PARTIE
LA
" RÉVOLUTION " NUMÉRIQUE :
PROGRÈS
ÉCONOMIQUE... PROGRÈS SOCIAL ?
A. VERS L'ÉCONOMIE DU NUMÉRIQUE
Multiplication des capacités de transport des moyens de
diffusion existants, utilisation d'un langage informatique qui permet de
combiner avec une très grande souplesse le son, les images
animées ou fixes et le texte, utilisation de ce langage par un nombre
croissant de machines à tous usages domestiques ou professionnels ;
et, par voie de conséquence, démultiplication de l'offre de
contenus, internationalisation de celle-ci en temps réel,
amélioration de la qualité du son et de l'image,
possibilité d'un " dialogue " entre l'utilisateur et la
machine, apparition de services de plus en plus personnalisés : nul
n'ignore les effets globaux de la révolution numérique sur le
monde de la communication. On sait aussi que cette révolution est en
cours. Pour s'en tenir au cas de la France, on considère souvent qu'elle
se sera imposée à partir du moment où les services
numériques toucheront un quart du public. Ce sera chose faite en l'an
2000 d'après les prévision des opérateurs engagés
dans le numérique. D'ores et déjà, 14,5% de la population
recevait en 1997 des services numériques par le biais d'un abonnement au
câble ou au satellite, la prévision étant de 19% pour 1998.
On estime enfin que le secteur de la communication audiovisuelle
numérique sera de plus en plus créateur de revenu et d'emplois,
et jouera un rôle croissant dans l'équilibre des comptes
extérieurs des nations industrielles.
L'environnement national, analogique et oligopolistique en fonction duquel la
législation actuelle de la communication audiovisuelle a
été élaborée est ainsi entièrement remis en
cause. Pour engager les refontes nécessaires, l'autorité
politique doit évaluer conséquences actuelles et prochaines de la
révolution numérique sur les structures économiques de la
communication audiovisuelle. Il semble possible d'engager cette démarche
en évoquant trois tendances susceptibles d'infléchir la position
respective des agents, d'inspirer leurs stratégies d'adaptation, de
dessiner ainsi le profil du paysage audiovisuel numérique de
demain.
1. Les dynamiques de diversification et de concentration
a) La diversification
La diversification des services, des métiers, des opérateurs et des ressources est le premier aspect de la dynamique économique de l'audiovisuel numérique.
(1) Les services
Le numérique ouvre la voie, grâce à la
forte croissance des capacités de transport d'information des vecteurs
existants à la diminution du coût de transport, à la
multiplication des applications associant les différents types
d'information, et à l'interactivité, à une diversification
radicale du paysage audiovisuel.
Jusqu'à présent, celui-ci était structuré par
deux catégories de services d'un poids très inégal :
d'une part, ce que l'on peut appeler le service de base, comprenant un
" service universel " accessible à tous en tous points du
territoire (TF1, France 2 et France 3) et trois chaînes à
couverture restreinte (M6, Arte et la Cinquième) ; d'autre part,
des " services de complément ", payants, distribués
pour l'essentiel sur les réseaux câblés initialement, et
depuis l'année dernière sous la forme des trois bouquets
satellitaires numériques TPS, Canalsatellite et AB Sat, auxquels il
convient d'ajouter Canal Plus qui conserve la particularité d'être
une chaîne payante et non généraliste diffusée en
analogique sur le réseau hertzien terrestre.
La diversification des services passe d'abord par les bouquets satellitaires
numériques et commence à toucher les services du câble au
fur et à mesure de la numérisation des réseaux. D'ores et
déjà, TPS propose 31 chaînes
généralistes ou thématiques et des services de paiement
à la séance, de jeux, de météo, d'information
boursière ou sur les courses, de petites annonces. Canal Satellite
propose 53 chaînes généralistes ou thématiques dont
un service de paiement à la séance. AB Sat propose
19 chaînes thématiques. Des chaînes
événementielles temporaires apparaissent, telle que Super Foot
98, créée pour la diffusion de la Coupe du monde de football. Sur
chaque bouquet, de nouvelles chaînes sont en préparation, elles
devraient alimenter à la fois le câble et le satellite.
A terme, les principales applications de la numérisation seront les
films ou programmes à la carte, les émissions éducatives,
les services de réservation et d'information dans le secteur du
tourisme, les jeux, les événements sportifs, la boîte aux
lettres électronique, les réservations de places de spectacle,
les bases de données informatiques en ligne, le
télé-achat, les services bancaires, l'accès à
Internet.
Le tryptique information-distraction-culture qui est en quelque sorte la
marque de fabrique du " service universel " va ainsi prendre la forme
d'une multitude de services fortement personnalisés associés aux
programmes traditionnels : la télévision, média de
diffusion, devient un média d'interaction.
(2) Les métiers
Les grands métiers qui structurent la chaîne
audiovisuelle évoluent aussi.
L'éditeur-diffuseur qui se trouvait jusqu'à présent au
centre du dispositif et pesait de toute sa puissance économique sur la
plupart des autres acteurs économiques opère à
présent dans une configuration plus complexe.
Rien d'absolument nouveau en principe. L'assemblage de bouquets
numériques, qui prend un grand relief avec le développement des
bouquets satellitaires, et qui dissocie l'édition de la mise de services
à la disposition du public, est le métier traditionnel des
câblo-opérateurs. Le négoce des droits, qui joue un
rôle économique croissant et vers lequel tend à se
déplacer la valeur ajoutée, a d'ores et déjà connu
un développement considérable dans certains pays : on sait
la puissance financière du groupe Kirch en Allemagne.
De tels ajustements modifient cependant profondément la structure du
paysage audiovisuel et pourraient inciter le législateur à
définir dans la loi le rôle de telle ou telle catégorie
d'opérateurs et sa contribution à l'équilibre de la
communication audiovisuelle. Il est donc utile de présenter un tableau
sommaire des principaux métiers actuels de la communication
audiovisuelle.
Le métier de
producteur
n'a pas encore été
véritablement modifié par la numérisation. Les producteurs
fabriquent des émissions classiques de tous types : fictions,
documentaires, émissions de plateau, sans avoir encore abordé le
domaine des services interactifs. Il semble que des initiatives aient
été prises sans résultats significatifs, dans le cadre de
la mise en place de la banque des programmes et des services de La
Cinquième.
Le métier d'
éditeur
de chaîne est celui des
" diffuseurs " traditionnels. Il consiste à assembler des
émissions dans une grille de programmes diffusée par un
prestataire technique. Il semble que l'on puisse assimiler à ce
métier traditionnel la constitution de catalogues de programmes
proposés au public sous la forme d'un service de paiement à la
séance, ou l'édition de services interactifs. Ces nouveaux
services rassemblés dans les " bouquets " numériques,
sont mis à la disposition du public non par l'éditeur en tant que
tel, mais par un assembleur de programmes, l'" ensemblier ".
L'ensemblier
, préfiguré par le
câblo-opérateur, comme on a vu ci-dessus, constitue des bouquets
numériques faisant l'objet d'une offre commerciale commune au public.
Le
diffuseur technique
est chargé de l'opération
technique de transmission du signal analogique ou numérique. En
diffusion hertzienne, Télédiffusion de France (TDF) est
l'archétype du diffuseur technique. Les opérateurs de satellites
tels que la Société européenne de satellites (SES) et les
propriétaires de réseaux câblés, au premier rang
desquels se trouve en France France-Telecom, sont d'autres catégories de
diffuseurs techniques.
A côté de ces quatre métiers de base, certaines
activités connexes jouent un rôle central dans l'économie
de la communication audiovisuelle et pourraient susciter un
intérêt croissant de la part du législateur.
Le négoce des droits
de diffusion, auquel il a été
fait allusion plus haut, consiste dans l'acquisition et la vente de catalogues
de programmes aux éditeurs. Dans une économie marquée par
la rareté des contenus diffusables face à l'explosion de l'offre
de services numériques, ce métier revêt un caractère
stratégique. La demande des éditeurs se porte en effet sur des
volumes importants susceptibles d'alimenter les grilles de programmes et les
catalogues de paiement à la séance de façon
régulière pendant de longues périodes. L'offre de droits
de diffusion doit donc être groupée pour satisfaire la demande, ce
qui place les détenteurs de catalogues importants, au premier rang
desquels se trouvent les cinq " majors " d'Hollywood, dans une
position de négociation très favorable.
La gestion des abonnés
. La commercialisation des services payants
demande des compétences assez différentes de celles des
métiers traditionnels de l'audiovisuel. La commercialisation est
actuellement assumée par les ensembliers, opérateurs de bouquets,
pour lesquels sa maîtrise représente un atout essentiel comme la
commercialisation difficile des services du câble l'a montré
a
contrario
pendant de longues années.
L'exploitation des systèmes d'accès sous condition
. Il
faut distinguer d'une part le contrôle d'accès proprement dit, qui
permet, associé à l'embrouillage du signal analogique ou
numérique, de restreindre l'accès des services diffusés
aux seuls consommateurs autorisés, et d'autre part le " moteur
d'interactivité " qui permet le pilotage du terminal et le
fonctionnement d'un guide des programmes indispensable à l'utilisation
des services interactifs.
A la même étape de la réception des services par le public
se situe la fonction de fourniture des décodeurs nécessaires au
décodage du signal numérique par les récepteurs
analogiques actuels. Cette fonction peut jouer un rôle important dans
l'équilibre économique du paysage audiovisuel numérique
dans la mesure où les opérateurs de bouquets de programmes
amenés à la prendre en charge afin de favoriser le
développement des abonnements, ont la possibilité
d'intégrer dans le parc de terminaux qu'ils contrôlent des
dispositifs techniques interdisant l'accès des abonnés à
des services concurrents, même si les systèmes d'accès
conditionnel utilisés par ceux-ci sont compatibles.
La collecte de la ressource publicitaire.
Cette fonction
extérieure à la chaîne qui va de la production à la
réception des services sera de plus en plus cruciale avec l'augmentation
du financement publicitaire des nouveaux services. Elle a d'ores et
déjà une influence profonde sur l'économie de la radio
dans la mesure où la vente des espaces publicitaires est confiée
à un nombre limité de régies dont la stratégie
commerciale contribue à la concentration économique du
secteur.
(3) Les acteurs du marché
La diversification des acteurs du marché est favorisée par la diminution du coût de la diffusion. La location d'un canal satellitaire numérique coûte en moyenne 3 millions de francs contre 15 millions pour la diffusion analogique. Le budget moyen d'une chaîne de télévision passerait ainsi de 40 millions à 20 millions de francs. La diversification touche essentiellement le métier d'éditeur. Aux éditeurs-diffuseurs qui dominent la télévision hertzienne terrestre s'ajoutent de nombreuses autres catégories d'offreurs de contenus tentés de profiter de l'appel d'air suscité par la numérisation pour faire leur entrée dans le monde de la télévision. C'est ainsi que des éditeurs de livres ou de la presse écrite s'engagent dans l'édition de programmes ou de chaînes de télévision. Les opérateurs de bouquets numériques créent sans cesse de nouvelles chaînes, c'est spécialement le cas de TPS, pour réagir à l'exclusivité imposée par Canal satellite aux chaînes qu'il diffuse. Les producteurs de programmes peuvent aussi être tentés d'entrer dans l'édition de chaînes. C'est le choix fait par AB Production, qui s'est portée simultanément sur le créneau de l'assemblage de bouquets satellitaires et qui pourrait se replier à terme, selon certaines prévisions, sur l'édition de chaînes destinées aux deux autres bouquets satellitaires et aux réseaux câblés. Le groupe Kirch, qui détient le plus important catalogue de programmes en Europe, est présent dans la production audiovisuelle et dans l'édition de chaînes en Allemagne et en Italie. Les grands groupes radiophoniques et les éditeurs phonographiques développent aussi des projets dans l'édition de chaînes de télévision.
(4) Les ressources
Au
modèle traditionnel du service universel gratuit s'est progressivement
substituée une gamme diversifiée de modes de financement
fondée sur l'établissement d'une véritable relation
marchande avec le consommateur. Le câble et Canal Plus ont longtemps
illustré le potentiel et les difficultés de ce modèle de
diversification auquel la numérisation ouvre de nouvelles perspectives.
La panoplie des modes de financement est donc la suivante :
- recettes publicitaires pour les télévisions commerciales
gratuites ;
- financement mixte par la publicité et la redevance pour les
télévisions publiques ;
- abonnements payés à des distributeurs assembleurs de programmes
qui en reversent une partie aux éditeurs, dont les ressources seront
éventuellement complétées par la publicité (aux
Etats-Unis, les distributeurs peuvent gérer l'espace publicitaire des
chaînes transportées et reverser une partie de la recette aux
éditeurs) ;
- abonnements payés à des éditeurs de programmes payants
(c'est le modèle de Canal Plus) ;
- paiement à la consommation des services associée aux services
traditionnels (paiement à la séance, téléachat).
En ce qui concerne l'évolution relative des modes de financement des
différents types de services, on peut noter que si la publicité
demeure le principal mode de financement de la télévision en
Europe, le paiement par abonnement progresse à une cadence plus rapide
que les ressources publicitaires (23 % contre 11 %, en 1995
2(
*
)
) en raison du tassement progressif de
l'évolution du marché publicitaire. On notera par ailleurs
l'amorce d'un déplacement des investissements publicitaires vers les
chaînes thématiques : la croissance des investissements dans
ce secteur a atteint 20 % en 1997, contre 10 % pour l'ensemble des
télévisions. Selon certaines estimations, la part des
thématiques dans le total des investissements publicitaires en
télévision pourrait atteindre 4 % du marché en
2 000 contre 2 % à la fin de 1997
3(
*
)
. Le progrès du financement publicitaire de la
télévision payante correspond à une
nécessité économique : avec le développement
continu de l'offre de programmes par des bouquets numériques, la
concurrence entre éditeurs de chaînes s'accroît et la
redevance qui leur est versée par les ensembliers tend à
diminuer. L'amortissement du coût des services classiques
bénéficiera aussi des recettes des " services
associés " interactifs.
b) La concentration
(1) Deux piliers du pouvoir économique
La position respective des acteurs du paysage audiovisuel
numérique dépendra de deux atouts principaux : la
maîtrise de l'accès conditionnel et la maîtrise des
programmes. C'est dans ces domaines que se livrent actuellement les batailles
qui dessineront les contours du futur marché de la communication
audiovisuelle.
Si un opérateur arrive à contrôler une part significative
du parc de terminaux numériques grâce à la
maîtrise de l'accès conditionnel
, il acquiert une position
dominante qui peut lui permettre de faire obstacle à la
commercialisation des services concurrents s'il est en même temps
éditeur ou assembleur de bouquets numériques, ce qui est le cas
de Canal Plus. Les consommateurs ne peuvent alors accéder à une
offre diversifiée qu'en se procurant plusieurs matériels
permettant de recevoir les contenus utilisant les divers systèmes de
contrôle d'accès.
Le même problème se pose si un système dominant
d'accès conditionnel est proposé par son opérateur aux
éditeurs ou assembleurs concurrents à des conditions
déraisonnables ou discriminatoires.
La pluralité des systèmes d'accès conditionnel et leur
compatibilité sur un seul décodeur apparaissent donc comme une
condition de la concurrence sur les nouveaux marchés de la
télévision. Si un système devait s'imposer, sa mise
à disposition de l'ensemble des éditeurs et assembleurs de
services à des conditions raisonnables et non discriminatoires serait
indispensable à la fluidité du marché.
Le moteur d'interactivité et son guide des programmes, indispensable
aux applications de la télévision interactive et
spécialement au paiement à la séance, pose des
problèmes identiques.
On notera que deux systèmes de contrôle d'accès et deux
logiciels d'interactivité sont actuellement utilisés en France.
TPS et AB Sat ont opté pour la norme de contrôle d'accès
Viaccess et pour le logiciel d'interactivité Open TV, proposés
par France Telecom, alors que Canal Plus utilise le système
Médiaguard et le logiciel d'interactivité Madiahighway,
développés par le groupe lui-même.
Les problèmes que cette situation est susceptible de poser au regard
de la concurrence sur le marché de la télévision
numérique ainsi que les solutions techniques et juridiques disponibles
seront examinés dans la troisième partie de ce rapport.
Le second atout déterminant des acteurs économiques sur le
marché de la communication audiovisuelle numérique est la
maîtrise des programmes.
Il s'agit pour les éditeurs de
services d'acquérir les droits de diffusion des catégories de
programmes les plus appréciés du public, et pour les assembleurs
de bouquets numériques de proposer une offre plus abondante, plus
variée et plus attractive que celle de la concurrence.
Les droits les plus convoités sont ceux du cinéma et des
événements sportifs, en vue de la diffusion la plus
précoce possible sur des chaînes thématiques ou en paiement
à la séance. Leur acquisition fait l'objet d'une vive
compétition entre les opérateurs et on mesure l'importance des
enjeux économiques sous-jacents au caractère souvent acerbe des
accusations d'atteinte à la concurrence que ceux-ci échangent.
En ce qui concerne l'acquisition des droits de diffusion de films, il
convient de distinguer le cas du cinéma français de celui du
cinéma américain.
Canal Satellite bénéficie d'un avantage dans les deux cas.
Grâce à sa politique de préachat de films français,
Canal Plus participe au financement de 80 % de la production
cinématographique française pour quelque 800 millions de
francs représentant 9 % de son chiffre d'affaires, l'investissement
est en moyenne de 7 millions de francs par film pour sept diffusions
étalées sur un an ou deux. Les droits sont ensuite
libérés pour une exploitation éventuelle par d'autres
opérateurs. Cependant, aux dires des concurrents de Canal Plus, les
contrats liant cette chaîne aux producteurs de cinéma
interdiraient à ceux-ci la vente des droits en vue de la diffusion en
paiement à la séance avant la diffusion par les chaînes
généralistes, créneau considéré comme le
plus propice à cette forme d'exploitation dans la séquence de
diffusion. Canal Plus se couvrirait au regard du droit de la concurrence en
s'abstenant de diffuser des films français en paiement à la
séance dans le cadre de son bouquet satellitaire.
Canal Plus bénéficie d'autre part d'un avantage par rapport au
bouquet concurrent en disposant d'un droit de première diffusion de la
production de cinq majors américains (Fox, Universal, Columbia Tristan,
Warner), TPS ne disposant que des films inédits de Paramount et de la
MGM.
En ce qui concerne le sport, Canal Satellite a acquis les droits de
l'ensemble des matchs de première division pour le paiement à la
séance, ainsi que de 17 grands prix de formule 1, TPS détient de
son côté les droits sur les tournois de Roland Garros et de
Wimbledon, sur les 24 H du Mans, sur le tournoi de France de football.
La compétition est aussi vive en ce qui concerne la constitution des
bouquets numériques. Les responsables de TPS reprochent à Canal
Plus d'avoir imposé une clause d'exclusivité aux chaînes
diffusées par Canal Satellite à l'exception de LC1 et
d'Eurosport, forçant TPS à développer des chaînes
nouvelles pour élaborer son bouquet. Canal Plus met en avant
l'exclusivité dont bénéficie TPS sur la diffusion des
chaînes que possèdent ses actionnaires, en particulier France 2 et
France 3.
La façon dont évoluera le dossier de l'accès
conditionnel, et les performances respectives des opérateurs,
l'acquisition de droits de diffusion détermineront largement le
succès commercial des différentes offres et la maîtrise des
abonnements, enjeu principal de la compétition compte tenu de la
structure de financement du paysage audiovisuel numérique.
Ajoutons que cette compétition intéresse aussi le secteur
traditionnel de la télévision, c'est-à-dire le
" service universel ", gratuit accessible partout et à tous.
D'une part, en effet, les chaînes gratuites ont besoin de produits
nouveaux alors que la croissance de la demande de programmes va provoquer des
tensions sur le marché en vue de la première diffusion des films
et oeuvres audiovisuelles, d'autre part l'amorce d'un déplacement de
l'audience vers les services payants va tendanciellement provoquer la
diminution des ressources des chaînes gratuites alors que les marges de
réduction de leurs coûts sont réduites, ce qui peut
altérer leurs capacités d'investissement, et provoquer par voie
de conséquence une perte de substance du service universel et
l'enclenchement d'un processus cumulatif de transfert de l'audience et des
ressources vers les nouveaux services. Dans ce cas de figure,
l'évolution de la compétition entre les opérateurs de
bouquets numériques serait déterminant pour l'évolution
des opérateurs traditionnels dont l'engagement dans la
télévision numérique devient une nécessité
stratégique.
(2) Alliances et partenariats
Les développements qui précèdent
donnent une idée de la diversité des compétences qu'il
faut réunir pour entrer sur le marché de la
télévision numérique payante : édition de
contenus, accès à des catalogues de droits importants,
organisation d'un bouquet, maîtrise de l'accès conditionnel,
accès à un parc de clients et gestion des abonnements, relations
avec les industriels producteurs des terminaux numériques. Par ailleurs,
l'investissement à consentir est extrêmement important. Parmi les
arguments présentés à la Commission de l'Union
européenne afin de soutenir le projet de fusion des plates-formes
numériques allemandes DF-1 et Première figurait une
évaluation des investissements nécessaires avant que DF-1
atteigne son seuil de rentabilité : de 13 à
17 milliards de francs, somme que le groupe Kirch ne s'estime pas en
mesure d'engager sans l'appui de Bertelsmann.
Lors d'un colloque réuni le 18 décembre 1997 à
l'Assemblée nationale sur le thème " quel audiovisuel pour
demain ? ", M. Eric Licoys, administrateur général
du groupe Havas, constatait dans le même sens que
" la
télévision coûte de plus en plus cher : droits
sportifs, explosion des coûts de production des longs métrages,
investissements importants dans les décodeurs... Ces coûts sont
d'autant plus lourds que les technologies ont un coût d'obsolescence de
plus en plus rapide. Cela signifie que la télévision et
définitivement entrée dans l'âge industriel. Les groupes
audiovisuels doivent donc être puissants et pouvoir, pour cela, s'appuyer
sur des actionnaires puissants : ils doivent avoir les reins solides.
La tendance est au regroupement des acteurs. La concentration des acteurs
américains est deux fois plus forte que celle des leaders
européens. Le nombre limité des acteurs, d'ailleurs, n'est pas
contradictoire avec le développement de la concurrence. "
Le partage des dépenses et des risques est ainsi, avec l'apport des
fonctions non maîtrisées, le but des alliances tissées par
les grands acteurs de l'audiovisuel désireux de participer au lancement
du marché de la télévision numérique payante.
Les acteurs d'une taille suffisante sont en nombre trop restreint pour que la
diversification des métiers et des intervenants, évoquée
ci-dessus, soit un réel contrepoids à la concentration que
souhaitait l'administrateur général du groupe Havas.
Cette concentration prend la forme d'alliances au plan national et
européen. Depuis trois ans, les annonces d'alliances et de ruptures se
sont succédées de façon apparemment erratique : ces
accords avaient un caractère essentiellement financier ou tactique, il
s'agissait d'occuper le terrain à coups d'effets d'annonces.
Mais on entrevoit à l'heure actuelle les regroupements durables et
autour desquels va se structurer le paysage audiovisuel européen et
national.
Le premier groupe audiovisuel européen a été
constitué entre le CLT et UFA, filiale de Bertelsmann, numéro 2
mondial de la communication. Ce groupe semble actuellement axer sa
stratégie vers la télévision gratuite traditionnelle plus
qu'en direction de la télévision payante (encore que la CLT soit
présente en France dans TPS).
L'économie du marché de la télévision payante est
dominée par Canal Plus qui a absorbé Nethold, autre grand
opérateur de télévision payante, et par News corporation,
de l'opérateur anglo-australien Murdoch qui gère au Royaume Uni
le bouquet analogique BSkyB et qui paraît actuellement
écarté des marchés français et allemand.
Enfin, les grands éditeurs-diffuseurs en clair, qui cherchent à
se positionner sur le marché de la télévision
numérique pour les raisons stratégiques exposées
ci-dessus, ont constitué en France le bouquet numérique TPS qui
fait concurrence au bouquet de Canal Plus, premier bouquet numérique
d'Europe diffusé par satellite, lancé en avril 1997.
Constatons aussi, en ce qui concerne TPS, au capital de laquelle la Lyonnaise
des Eaux participe à hauteur de 10 %, et Canal Plus, actionnaire de
la Compagnie générale de vidéocommunication, le rôle
des câblo-opérateurs dans ces alliances. Il existe de fortes
synergies entre le câble et le satellite en matière de contenus.
Le pacte d'actionnaire de TPS prévoit ainsi que
"les
câblo-distributeurs actionnaires de TPS s'engagent à
intégrer de manière prioritaire sur leurs réseaux les
programmes et les services repris dans l'offre TPS, et notamment les services
de paiement à la séance, et à se consulter sur la
coordination de cette offre avec celle des programmes et des services sur le
câble ".
Les éditeurs de chaînes thématiques ayant passé des
accords d'exclusivité avec Canal Satellite et diffusées sur les
réseaux de la Lyonnaise (spécialement celui de Paris, dont le
service de base est considéré comme essentiel à la
popularisation d'une thématique) ou sur les réseaux de France
Télécom contestent vivement cette clause.
Notons enfin que la logique d'alliance peut aboutir à de vastes
opérations de concentration économique comme l'illustre la
récente transformation d'Havas en filiale à 100 % de la
Compagnie générale des eaux qui détenait depuis
février 1997 30 % du capital du groupe. Parallèlement, la
participation de 34 % détenue par Havas dans le capital de Canal
Plus, ainsi que les responsabilités afférentes, ont
été transférées à la CGE, devenue Vivendi,
qui semble faire de Canal Plus, entreprise ayant particulièrement
poussé l'intégration verticale des métiers de la
communication audiovisuelle, un élément clé de sa
stratégie multimédia.
Vers quoi convergent ces informations un peu disparates ? Deux pôles
paraissent se dessiner à l'échelle nationale : TF1 et la
Lyonnaise d'une part, alliées dans TPS ; Vivendi de l'autre.
Va-t-on vers la constitution d'un duopole national se partageant un
marché sur lequel le repli annoncé des recettes publicitaires de
France Télévision va dynamiser les expérances de
gain ?
On remarquera par ailleurs que les groupes américains de communication
jouent à l'heure actuelle un rôle discret dans le paysage
audiovisuel européen.
Les opérateurs américains n'ont donc pratiquement joué
jusqu'à présent que le rôle de fournisseurs de programmes.
Mais le succès rapide des bouquets numériques du satellite en
France, démontrant le dynamisme de ce marché, peut inciter des
groupes comme Time Warner, Turner, Viacom et TCI à fournir des
chaînes clé en main de plus en plus systématiquement,
à la faveur de la demande croissante de contenus exprimée par les
assembleurs de bouquets. Le compromis qui a permis
l' " européanisation " d'une chaîne comme Disney
Channel n'est plus un point de passage nécessaire, alors que
l'internationalisation de la diffusion et l'application de la directive
Télévision sans frontière conduisent, comme on le verra
dans la troisième partie de ce rapport, au renversement des obstacles
que la réglementation nationale opposait encore tout récemment
à l'arrivée des chaînes américaines sur le
marché français.
(3) L'intégration verticale
L'intégration verticale des opérateurs de la
communication audiovisuelle est l'autre aspect de la dynamique de concentration
dans le secteur de la communication audiovisuelle. Le groupe Canal Plus en est
en France l'exemple le plus achevé puisqu'il est présent dans la
presque totalité des métiers de l'audiovisuel. Auditionné
par le groupe de travail, M. Marc-André Feffer,
vice-président de Canal Plus, admettait, en matière
d'intégration verticale, une faiblesse de son groupe dans le secteur des
contenus, observant à ce propos que la valeur ajoutée tendait
à se déplacer actuellement de la distribution de programmes
télévisés vers le négoce de catalogues, pour lequel
il est indispensable de disposer de contenus en qualité et en
quantité suffisantes, spécialement dans le sport et le
cinéma.
C'est précisément à cette étape de la chaîne
des métiers de l'audiovisuel que se situe un des problèmes
suscités par l'intégration verticale de certains acteurs. Dans la
mesure où une intégration trop forte porterait atteinte à
la séparation entre les producteurs et les éditeurs diffuseurs de
programmes, il en résulterait, il en résulte déjà
selon certains acteurs du marché, une insuffisante circulation des
droits de diffusion et le blocage du développement du second
marché des programmes dont la télévision numérique
offre la perspective.
Il a déjà été fait allusion au second
problème majeur de l'intégration verticale : la position
dominante que peut permettre de construire sur le marché de la
télévision numérique le cumul des fonctions d'assembleur
de bouquet et d'opérateur de contrôle d'accès ainsi que de
logiciels d'interactivité.
2. L'avenir des chaînes généralistes
Dans une économie progressivement bouleversée par la montée en puissance de la télévision payante, quel sera l'avenir des grandes chaînes généralistes gratuites qui forment l'ossature actuelle du paysage audiovisuel ? Brutal reversement du cours des choses ou progressive adaptation, les perspectives qui se dessinent à cet égard seront déterminantes pour l'évolution harmonieuse ou heurtée du secteur de la communication audiovisuelle en général, et du secteur public en particulier.
a) Un déclin relatif
(1) Vers le déclenchement d'un processus cumulatif ?
Auditionné par le groupe de travail, sur le
thème de l'évolution de la communication audiovisuelle, M.
Jean-Charles Paracuellos, chargé de l'audit de
France-Télévision, a présenté, sous la forme du
schéma suivant, une synthèse des menaces que le
développement de la télévision payante fait peser sur le
service de base universel de télévision :
MENACES SUR LE SERVICE DE BASE " UNIVERSEL "
(Source : France télévision)
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Abonnements aux services
payants
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Déplacement de l'audience vers les services payants |
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Dégradation de la qualité du service de base |
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? |
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Moindres ressources publicitaires |
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Insuffisance des ressources du service de base |
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Contexte défavorable à l'accroissement de la redevance |
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Risque de
déstabilisation
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L'idée est que le déplacement de l'audience vers les services
payants va amoindrir les ressources publicitaires de la
télévision gratuite et, par voie de conséquence, provoquer
la diminution des capacités de production de celle-ci,
c'est-à-dire la dégradation de la qualité du service de
base, l'inégalité d'accès du public aux programmes,
l'américanisation des contenus. La contribution des grandes
chaînes gratuites du service de base à la production
française diminuant, les chaînes payantes, qui pratiquent
essentiellement la rediffusion, devront se tourner vers le marché
américain pour alimenter leur antenne). Cette dégradation
amplifierait le déplacement de l'audience vers les services payants et
déclencherait un processus cumulatif de déclin des chaînes
gratuites.
Les premières étapes de ce processus sont en passe d'être
atteintes. La part de marché des chaînes locales ou
thématiques de la " nouvelle télévision " est
passée de 3,1 % en mars 1996 à 4,2 % en mars 1998.
Autre indicateur, la part de marché des chaînes thématiques
pour les abonnés au câble et du satellite était de
28,9 % en janvier 1998 contre 20 % il y a deux ans, cette croissance
étant due essentiellement à l'évolution de la consommation
des abonnés du satellite. L'expérience américaine confirme
qu'il s'agit d'une tendance de fond. La part de marché des trois grands
réseaux ABC, CBS et NBC est tombée de 52 % en mars 1996
à 45,5 % en février 1998
4(
*
)
.
Les grandes chaînes hertziennes françaises, qui conservent encore
96 % de l'audience, suivront-elles le même cours, déclenchant
le cycle dépressif évoqué plus haut ? La perspective
reste lointaine.
(2) Des risques limités
Revenons à l'exemple américain. La diminution
de l'audience des chaînes généralistes n'a pas porté
atteinte à leur valeur marchande comme l'ont montré le rachat de
CBS par Westing House et celui d'ABC par Disney. Un avenir reste promis
à ce type de télévision. En effet, la diminution de
l'audience n'implique pas obligatoirement celle des ressources publicitaires.
Les grands annonceurs recherchent de larges audiences qui deviendront un bien
rare avec le morcellement des modes de consommation de la
télévision. Le déclin des parts de marché de la
télévision généraliste ne devrait donc pas
empêcher l'augmentation de la valeur des écrans publicitaires
diffusés en " prime time ". Les médias de masse,
même diminués, resteront ainsi incontournables pour les grands
annonceurs. La croissance, évoquée plus haut, des investissements
publicitaires dans les chaînes thématiques ne dément pas
cette analyse. Si les chaînes thématiques ont
représenté 2 % des investissements publicitaires en
télévision à la fin de 1997, ce taux est nettement
inférieur à leur part d'audience, qui aurait atteint 4,2 %
en mars 1998, comme on a vu ci-dessus. La télévision
thématique, télévision de niche, n'est pas en fait
adaptée à la publicité des produits de masse. Elle se
présente comme un support de complément permettant d'offrir aux
consommateurs des informations détaillées sur certains produits,
comme des expériences récentes l'ont montré dans le
secteur de l'automobile, ou encore comme un support destiné à des
produits visant un public étroit, pour lequel les écrans des
chaînes généralistes sont trop coûteux.
Ajoutons à ce tableau le fait que dans un pays de la taille de la
France, l'impact sociologique des chaînes généralistes est
supérieure à celui qu'il peut avoir aux Etats-Unis, ce qui
devrait contribuer à freiner la diminution de l'audience de ces services
par rapport à l'évolution américaine.
Les perspectives économiques des chaînes
généralistes restent donc bonnes, ce qui ne les empêche pas
de préparer l'avenir en investissant le paysage
numérique.
b) Occuper le terrain numérique
(1) La diversification
Fortes de leur domination actuelle sur le marché de
la télévision, les grandes chaînes hertziennes en clair
préparent l'avenir en se positionnant sur le marché de la
télévision numérique. Elles tentent d'acquérir les
compétences nécessaires en montant des partenariats dont TPS est
en France l'illustration la plus remarquable. Ces stratégies peuvent
comporter des chausse-trappes. Dans son rapport spécial sur le projet de
loi de finances pour 1997
5(
*
)
, M. Alain
Griotteray remarquait, à propos de l'accord conclu entre TPS et
Paramount pour l'acquisition des droits satellite de 1 100 films du
studio, que la négociation avait été menée
" de bout en bout par les équipes de TPS, renforcées par
les spécialistes de TF1 ou de la CLT, sous l'égide du
président de TPS, qui se trouve être aussi celui de
TF1 "
. Notant que, parallèlement à cet accord un second
accord avait été conclu pour la cession des droits hertziens en
clair des mêmes films à une société TCM regroupant
TF1, M6 et la CLT, à l'exclusion de France-Télévision, il
estimait que la chaîne publique avait été
écartée du bénéfice de la négociation
globale des différentes catégories de droits, et s'était
ainsi fait un peu piéger.
Il existe des stratégies moins ambitieuses d'approche du
numérique. Les chaînes hertziennes terrestres peuvent se
positionner comme éditeurs de programmes destinés aux bouquets
numériques. Cette stratégie est souvent préconisée
pour les chaînes publiques, handicapées par leur rôle de
service public, la difficulté de trouver de nouveaux financements et de
nouer des alliances, leur manque de réactivité et de
flexibilité "
6(
*
)
.
L'expérience de France Télévision dans TPS ne semble
toutefois pas confirmer cette analyse.
(2) Organiser la synergie
Les chaînes généralistes gratuites
utilisent une grande variété de contenus susceptibles d'une
exploitation multimédia. Il est possible d'organiser des synergies entre
différents systèmes de diffusion. La reprise
d'éléments des grilles de programmes généralistes
permet l'élaboration de chaînes thématiques. Il est aussi
possible d'organiser une synergie entre les programmes
généralistes ou thématiques et Internet, ainsi que de
commercialiser sur support " off line " (cassettes vidéo et
CD-Rom) les contenus exploités par ailleurs en ligne. Dans un domaine
proche, le groupe Disney offre un exemple éclairant d'une
stratégie de synergie entre métiers et modes d'exploitation d'un
produit. Le produit est en l'occurrence un concept, celui du Roi Lion par
exemple, exploité sous forme de films de cinéma, de cassettes
vidéo, de musique, de livres, de jouets et d'objets, de logiciels de
jeux, de parcs à thèmes.
Transposé dans le monde de la télévision
généraliste, ce modèle consisterait à lancer,
dès la conception des contenus, un processus intégré de
multi-éditions destiné à permettre l'exploitation
multimédias. Il s'agirait de numériser ces contenus de toutes
natures : photos, textes, documents audiovisuels, données, musique,
rushes, et de les archiver sous cette forme en vue d'une réutilisation
facile sous forme d'émissions de télévision, de programmes
thématiques, de cassettes vidéo et de CD-Rom, de sites internet.
Une organisation cohérente de la distribution par les différents
systèmes de diffusion, jouant en particulier sur une chronologie
efficace, permettrait une valorisation efficace des contenus déjà
mobilisés par les chaînes généralistes. Les
conditions de départ sont la numérisation, déjà
citée, l'acquisition des droits correspondant aux différentes
formes d'exploitation, l'acquisition des compétences,
évoquées plus haut nécessaires à l'entrée
dans le numérique, ce qui implique des investissements à la
rentabilité graduelle et des alliances avec des partenaires soumis
à la même logique de diversification ou disposant de
compétences complémentaires. C'est ainsi que s'explique
l'apparente bonne entente qui règne au sein du bouquet TPS, entre les
opérateurs naturellement concurrents que sont TF1, France
Télévision et M6.
3. Le numérique et la production audiovisuelle
Seules les perspectives que le numérique assure à la production audiovisuelle spécifiquement liée au devenir du paysage audiovisuel, sont évoquées ci-dessous. les problèmes de la production cinématographique seront examinés dans la troisième partie du rapport sous l'angle, particulièrement intéressant du point de vue de la réforme du droit de la communication audiovisuelle, de la concurrence entre les opérateurs du paysage audiovisuel numérique.
a) Le marché des oeuvres audiovisuelles
Les
oeuvres audiovisuelles sont, avec les oeuvres cinématographiques,
l'objet d'un intérêt particulier de la part du législateur
qui a créé en vue de la promotion de la production
française des obligations de diffusion et de production à la
charge des diffuseurs-éditeurs (articles 27 et 30 de la loi du
30 septembre 1986). Il faut relever que la loi donne des oeuvres
audiovisuelles une définition " en creux " inspirée par
une conception " patrimoniale " de l'oeuvre. Constituent ainsi des
oeuvres audiovisuelles, les émissions ne relevant pas d'un des genres
suivants : oeuvres cinématographiques de longue durée, journaux
et émissions d'information, variétés, jeux,
émissions autres que de fiction majoritairement réalisées
en plateau, retransmissions sportives, messages publicitaires,
téléachat, autopromotion, services de télétexte.
Ainsi défini, le marché des oeuvres audiovisuelles comporte deux
segments dont la numérisation pourrait modifier les rapports.
(1) Un marché primaire contrôlé par les producteurs
Auditionné par le groupe de travail sur le
thème des relations entre producteurs et diffuseurs, M. Jacques Peskine,
délégué général de l'Union syndicale de la
production audiovisuelle remarquait que les programmes sont souvent en France,
pour des raisons historiques, sous le contrôle des chaînes pour
lesquelles ils ont été produits à l'origine. C'est en
effet que "
le marché des oeuvres audiovisuelles est un espace
sur lequel des promoteurs d'idées rencontrent des
diffuseurs-investisseurs pour réaliser ensemble des projets de nouveaux
produits
"
7(
*
)
.
Contrairement au cinéma dont les recettes proviennent de
différents modes d'exploitation -encore que la télévision
joue dans son financement, en France au moins, un rôle de plus en
prépondérant- les oeuvres audiovisuelles dépendent presque
exclusivement dans leur financement comme dans leur distribution des
éditeurs diffuseurs qui, seuls ou en co-production, ont l'initiative des
commandes :
" il n'y a pas pour les produits nouveaux de
véritable producteur, au sens plein et industriel du terme, c'est
à dire d'entrepreneur prenant le risque de fabriquer un produit avant de
l'écouler sur le marché "
8(
*
)
.
La tendance à la diminution des investissements moyens des diffuseurs
par heure de programme enregistrée au long des années
1980
9(
*
)
et partiellement rattrapée au
début des années 1990, n'a pas modifié cet
équilibre de marché qui pèse sur le développement
du second marché des oeuvres dans la mesure où, selon
l'interprétation des producteurs, les diffuseurs terrestres, n'ayant pas
intérêt à favoriser une politique de rediffusion par les
services payants susceptibles de favoriser leurs concurrents, cherchent
à restreindre la circulation des programmes.
(2) Un second marché en voie d'émergence
L'exploitation des oeuvres après leur valorisation
par le premier diffuseur appartient en principe au producteur qui reconquiert
ici son rôle d'entrepreneur. L'augmentation du nombre de chaînes et
corrélativement de la demande de programmes a fait espérer dans
les années 1980 le développement d'un second marché,
marché de rediffusion, national et international, permettant
l'allongement de la durée de vie commerciale des oeuvres et la
constitution d'une économie prospère et indépendante de la
production susceptible de répondre à une demande confortée
par la réglementation des quotas de diffusion.
Ce processus a eu lieu aux Etats-Unis où s'est affirmée, sous
la houlette des " majors " d'Hollywood une très puissante
industrie des programmes. Parmi ses causes, il faut mentionner l'adoption en
1970 par la Fédéral Communications Commission (FCC) des Financial
Interest and Syndication Rules (Fir-Syn) interdisant aux 3 networks qui
dominaient alors le marché de la télévision (ABC, CBS et
NBC) de vendre leurs programmes autres que les informations, les documentaires
et le sport sur le second marché, et limitant le temps d'antenne
assuré par des productions propres. Obligeant les grands réseaux
à s'alimenter auprès de producteurs indépendants, occasion
saisie par les majors, cette réglementation, combinée avec la
Prime Time Access Rule (PTAR) qui interdisait aux principales stations
affiliées aux réseaux de s'approvisionner auprès d'eux
pour plus de 3 heures sur 4 heures de prime-time, a permis aux
studios d'Hollywood de développer une production audiovisuelle
exportée dans le monde entier et a favorisé l'émergence
d'un second marché national, en particulier sur le câble. Les
Fin-Syn et la PTAR ont été abrogées, mission accomplie, en
novembre 1995 et août 1996.
En France, la nouvelle explosion de l'offre de télévision, et
par conséquent de demande de programmes, suscitée par le
numérique apparaît comme une nouvelle occasion de créer le
second marché susceptible de donner à l'industrie de la
production une assise économique solide.
b) Perspectives du numérique
(1) Un second marché diversifié
Si les
oeuvres audiovisuelles ne constituent pas les principaux produits d'appel des
bouquets numériques payants, qui demeurent le cinéma et le sport,
il n'en reste pas moins que les fictions télévisuelles, les
dessins animés, les documentaires fournissent la matière d'une
grande variété de chaînes thématiques. On peut aussi
imaginer à terme la possibilité d'exploiter certains de ces
programmes sous forme de paiement à la séance. La production
audiovisuelle pourrait ainsi attirer une part des ressources spécifiques
des bouquets payants.
Encore faut-il que les droits secondaires soient disponibles, or les
producteurs font état d'une captation de ceux-ci par les diffuseurs
primaires pour l'ensemble des modes d'exploitation, ce qui ferait obstacle
à leur valorisation par les producteurs auprès de nouveaux
opérateurs de la télévision numérique. C'est le
problème de la circulation des droits de diffusion. Encore faut-il, par
ailleurs, que la demande de programmes exprimée par ce marché ne
soit pas d'emblée satisfaite, et le marché capté, par la
production américaine.
(2) Un débouché à assurer
Le déficit des échanges audiovisuels entre
l'Europe et l'Amérique du Nord s'élevait en 1995 à plus de
6 milliards de dollars. Ceci donne une première idée du
déséquilibre des forces entre les fournisseurs potentiels du
marché de la télévision payante. Un observateur attentif
du paysage audiovisuel constatait récemment à ce propos qu'
" avec le développement de la télévision
numérique, on voit bien que ce sont les majors américaines qui
sont maîtres du jeu : aujourd'hui, elles font monter au cocotier les
plates-formes européennes qui voulaient acquérir leurs produits.
Demain, elles imposeront la reprise en bonne place de leurs
chaînes "
10(
*
)
. C'est que la
croissance de la demande de programmes provoque des tensions sur les catalogues
existants et que l'offre progresse insuffisamment. On sait les montants
investis dans l'acquisition des droits des films inédits des
majors : TPS a ainsi payé 2,5 milliards de francs à
l'acquisition de 1 100 films de Paramount ; les droits des oeuvres
audiovisuelles connaissent sans doute la même tendance inflationniste en
raison de tensions qui intéressent les chaînes de rediffusion
aussi bien que les chaînes de première diffusion à la
recherche de produits nouveaux.
L'augmentation de la production française apparaît donc comme
une nécessité si l'on veut que la numérisation ne provoque
un puissant appel d'air au profit de groupes américains que les
réglementations existantes, dont on évoquera plus loin la remise
en cause, et la segmentation nationale des marchés avaient
jusqu'à présent cantonné dans des partenariats d'ampleur
limitée et dans la fourniture de contingents somme toute raisonnables,
en France du moins, de programmes à bas coût.
Comment assurer à la production française les
débouchés offerts par le développement de la
télévision numérique payante ? Les pistes ne
manqueront pas. Les politiques publiques ont en la matière un rôle
qu'il convient de rappeler. Sur un plan plus large, il est intéressant
de noter les remarques que faisait à cet égard l'observateur
déjà cité :
" Si les produits américains sont dominants, c'est parce
qu'ils ont la certitude d'une distribution et d'une diffusion mondiales.
L'industrie audiovisuelle européenne, qui emploie principalement les
talents européens et fabrique des produits qui expriment les cultures
d'Europe, ne pourra jouer dans la même cour que Hollywood sans disposer
de majors européennes, c'est-à-dire de structures de distribution
mondiales et multimédia.
La distribution est donc bien le maillon faible de l'industrie
européenne des programmes, dominée presque partout en Europe par
les majors américaines. Ce n'est certes pas le cas en France, mais
aucune des " majors " françaises ne pèse lourd sur le
marché européen non national.
Pour remédier à cette situation, la première
démarche doit être de ne pas diaboliser les grands groupes
européens susceptibles de devenir des majors mondiales. La seconde est
de créer un véritable marché européen des produits
pouvant favoriser la distribution et la diffusion de productions
européennes non nationales ".
c) Le rôle des politiques publiques
On évoquera sommairement trois aspects cruciaux des politiques publiques en faveur de la production audiovisuelle.
(1) Les quotas
On ne
rappellera pas ici le régime juridique des obligations de diffusion et
de production des oeuvres audiovisuelles imposées aux
diffuseurs-éditeurs. Il est fixé par les articles 27 et 70 de la
loi du 30 septembre 1986 modifiée et par les décrets 90-66
et 90-67 du 1er janvier 1990 modifiés.
Dans son rapport au Parlement présenté en mars 1994 en
application de la loi n° 94-88 du 1er février 1994, le CSA
notait que
" les dispositions de ces décrets ont
été un temps l'objet d'une vive polémique entre les
pouvoirs publics et les diffuseurs. Des ajustements et assouplissements
sensibles ont cependant été apportés à ces deux
textes depuis leur publication, dont certains à la suite d'initiatives
législatives, qui ont contribué à les rendre plus
aisément applicables par les diffuseurs. Aujourd'hui dans l'ensemble
bien respectées, ces règles soulèvent moins de critiques
qu'auparavant ".
L'instance de régulation ajoutait que
" s'il est sans doute
utile de leur apporter des modifications régulières en fonction
des évolutions que connaît le secteur de l'audiovisuel, leurs
objectifs principaux - à savoir la défense de l'identité
culturelle des programmes de télévision et la constitution d'un
patrimoine audiovisuel francophone et européen - paraissent
difficilement pouvoir être remis en cause, alors que l'unanimité
s'est faite autour de la position soutenue par le Gouvernement français,
qui défendait ces mêmes objectifs dans le cadre des
négociations du GATT ".
On examinera dans la deuxième partie de ce rapport les circonstances qui
paraissent, trois ans plus tard, rendre problématique le maintien de ces
dispositifs qui ont joué un rôle incontestablement positif pour la
production française. On se contentera, à ce stade, de rappeler
que toute réglementation de l'activité économique implique
une rigidité normative non dépourvue d'effets pervers qu'il
convient d'apprécier au regard de ses avantages. Deux exemples :
d'une part la définition de l'oeuvre audiovisuelle permet de faire
entrer dans cette catégorie le plus médiocre des
téléfilms alors que des émissions de plateau à
caractère littéraire, dont la valeur patrimoniale et culturelle
est au moins aussi grande, n'y figurent pas ; d'autre part, la
définition strictement linguistique de l'oeuvre d'expression originale
française prise en compte par les dispositifs de promotion de la
production a considérablement gêné la participation des
producteurs français à des co-productions internationales. On
observe parfois à cet égard que le Canada a élaboré
un système de subvention de la production qui lui a permis de devenir le
second exportateur mondial de programmes sans chercher à défendre
la langue française vers laquelle le public francophone se tourne de
toute façon.
Un champ de réflexion est ainsi ouvert en permanence à
l'autorité politique, indépendamment des remises en cause plus
radicales que suscite l'internationalisation de la communication audiovisuelle
examinée dans la suite de ce rapport.
(2) La séparation des diffuseurs et des producteurs
Les
problèmes que posent l'intégration verticale des
opérateurs et la circulation des droits de diffusion, que
l'émergence du paysage audiovisuel numérique pourrait exacerber,
n'ont pas été ignorés à l'ère de la
diffusion analogique. La question de la séparation des diffuseurs et des
producteurs n'a pas été résolue avec le radicalisme dont
la FCC a fait la démonstration aux Etats-Unis en imposant les Fin-Syn et
la PTAR pendant quelque 25 ans, mais dans le cadre d'une démarche
réglementaire et conventionnelle dont l'extrême pointillisme
traduit peut-être les capacités d'imagination des
régulateurs, ou bien la difficulté qu'ils éprouvent
à trancher les conflits d'intérêt des opérateurs.
Ce substrat normatif qui défie la synthèse provoque bien
sûr d'incessantes demandes reconventionnelles relatives à la
répartition des droits, qui menacent d'accroître la
complexité du régime juridique de la séparation des
diffuseurs et des producteurs. C'est ainsi que lors de la discussion en
première lecture, l'année dernière, du projet de loi
modifiant la loi du 30 septembre 1986, l'Assemblée nationale avait
adopté à l'article 27 de celle-ci un amendement
prévoyant la fixation par décret de la part de la contribution
des diffuseurs au développement de la production d'oeuvres,
"
affectée à la seule acquisition des droits de diffusion
sur les réseaux pour lesquels ils ont reçu une
autorisation
". Un des objectifs de cette disposition était de
rendre plus difficile l'accaparement des droits de diffusion sur tous les
supports par le diffuseur co-contractant d'un producteur et de favoriser ainsi
la constitution du second marché des programmes. Son inconvénient
aurait été d'entraîner l'administration dans de complexes
arbitrages destinés à fixer en fonction de leur mode
d'utilisation les montants des obligations d'investissement des diffuseurs dans
la production.
La complexité des pratiques contractuelles et la difficulté
d'apprécier la pertinence des arguments économiques et financiers
échangés par les compétiteurs semble promettre un bel
avenir à ce chantier juridique.
(3) Les exportations de programmes
Il
s'agit d'un volet important de toute politique de promotion de la production
française. L'objectif peut être double : d'une part favoriser
l'émergence d'un véritable marché européen des
programmes en renforçant les outils de promotion de la distribution des
programmes européens au plan national et surtout communautaire ;
d'autre part favoriser l'exportation sur le marché mondial. Il faut
signaler à cet égard l'action de l'association professionnelle
TVFI qui tente de pallier la faiblesse des outils de distribution des
entreprises françaises. Si des diffuseurs comme Canal Plus et TF1 ont
développé de véritables stratégies d'exportation
des produits dont elles détiennent les droits d'exploitation, le
morcellement des entreprises françaises et l'absence d'entreprises de
taille véritablement critique à l'échelle internationale
restent des obstacles à l'existence de structures de distribution aussi
performantes que celles des majors.
TVFI apporte une réponse à cette situation en fournissant aux
entreprises du secteur une interface commune permettant de satisfaire la
nécessité de commercialiser de gros volumes de programmes. Il est
nécessaire pour cela d'associer les catalogues des opérateurs
français. C'est pourquoi TVFI a mis en place un catalogue
électronique qui diffuse sur Internet une base de données
présentant l'intégralité des programmes français.
En effet, la visibilité des produits est un des enjeux majeurs de la
circulation des programmes.
D'autres outils de marketing sont disponibles à côté du
catalogue électronique des programmes.
Cette stratégie, facilitée par l'essor actuel de la demande
mondiale, n'est pas sans résultat : en 1996, les exportations
françaises de programmes audiovisuels ont atteint 1,3 milliards de
francs, chiffre en augmentation de 20 % par rapport à 1995.
B. LA COMMUNICATION CITOYENNE
On ne
saurait appréhender la communication audiovisuelle sans évoquer
sa dimension politique, les jeux de la liberté et du pouvoir dont elle
est le cadre. L'importance économique croissante du secteur et surtout
son influence sur la société donnent à ces
phénomènes un relief particulier.
Ajoutons que le cadre en question n'est pas neutre : la communication est
échange, ce qui suppose entre diffuseur et récepteur une
égalité peu compatible avec le fonctionnement du pouvoir, et
implique l'introduction du public des auditeurs et
téléspectateurs dans le " grand jeu " de l'audiovisuel,
qui en est singulièrement compliqué.
Celui-ci se déroule nécessairement sous l'oeil de
l'autorité politique, qui a la charge d'en assurer le déroulement
loyal et équilibré. Voyons-en quelques règles et
pratiques.
1. Liberté, pouvoir
La
communication audiovisuelle est d'abord, sous l'angle politique, une
liberté dont la loi du 30 septembre 1986 proclame le principe
et précise les limites ainsi que les conditions d'exercice. Il y a
plusieurs explications à ces limitations : politiques et sociales
en ce que l'impact de ce média de masse sur la société
justifie que le législateur impose à ses détenteurs le
respect de certains intérêts généraux ;
techniques dans la mesure où les moyens de diffusion étant
jusqu'à aujourd'hui rares, il appartient à l'autorité
publique d'en organiser la répartition entre les opérateurs
candidats conformément à sa conception de l'intérêt
général. En cela, la liberté de la communication
audiovisuelle a une portée assez différente de celle de la
presse, plus ancienne et moins organisée.
En dehors des pouvoirs publics, cette liberté implique trois
catégories d'acteurs : les entreprises de communication, les
professionnels du secteur et le public des auditeurs et
téléspectateurs. Leur accès à l'exercice de la
liberté de communication est inégal. En cela, de la communication
audiovisuelle met en jeu des phénomènes de domination et
apparaît comme un pouvoir.
On évoquera ci-dessous la répartition de la liberté et du
pouvoir entre les trois catégories d'acteurs de la communication
audiovisuelle, un jeu à somme non nulle à l'équilibre
auquel il appartient aux pouvoirs publics de veiller en fonction
d'intérêts qui diffèrent avec les champs d'activité
considérés.
a) L'information
(1) Une liberté protégée
Trois
principes régissent le traitement de l'information audiovisuelle :
le pluralisme, l'honnêteté, l'indépendance.
Le pluralisme
de l'information est un aspect, sans doute le principal,
de la notion plus large de pluralisme des courants socioculturels
définie par le Conseil constitutionnel comme un objectif de valeur
constitutionnelle dans sa décision du 18 septembre 1986 sur la
loi relative à la liberté de la communication.
On peut l'envisager à l'échelle de l'ensemble du secteur de la
communication audiovisuelle, il s'agit alors de permettre aux auditeurs et
téléspectateurs " d'exercer leur libre choix ", selon
l'expression retenue par le Conseil. Il s'est traduit par l'adoption dans la
loi du 30 septembre 1986 d'un dispositif anti-concentration largement
dicté par la décision du 18 septembre 1986.
On peut aussi envisager le pluralisme à l'échelle de chaque
service de communication audiovisuelle. Cette dimension, moins présente
que la précédente dans la loi de 1986, est aussi plus
intéressante pour l'analyse de la conception française de la
liberté de l'information audiovisuelle, dans la mesure où elle
intéresse la présentation de l'information. Les dispositions de
la loi sont les suivantes :
- art. 13 : le CSA assure le respect de l'expression pluraliste des
courants de pensée et d'opinion dans les programmes des
sociétés nationales. Il communique à différents
responsables politiques le relevé mensuel des temps d'intervention des
personnalités politiques dans les différentes catégories
d'émissions (il contrôle dans ce cadre le respect de la
règle coutumière des trois tiers -Gouvernement, majorité,
opposition- sur les chaînes nationales publiques et privées) ;
- art 16 : le CSA organisme les campagnes électorales officielles
sur les chaînes publiques et adresse des recommandations aux
chaînes privées sur le traitement de l'information en
période électorale ;
- art. 55 : le CSA organise les modalités de fonctionnement des
émissions d'expression directe qui donnent aux formations politiques et
aux organisations syndicales représentatives l'accès à
l'antenne des sociétés nationales de programme;
- art. 28 : les conventions conclues avec les services autorisés de
radio ou de télévision diffusées par voie hertzienne
doivent assurer le respect de l'honnêteté et du pluralisme de
l'information.
L'honnêteté
de l'information est mentionnée par la
décision du 18 septembre 1986 du Conseil constitutionnel, selon
laquelle les programmes doivent garantir l'expression de tendances de
caractères différentes
" dans le respect de
l'impératif d'honnêteté de l'information "
. Elle
ne figure qu'à l'article 28 de la loi de 1986 sous la forme assez peu
directive rappelée ci-dessus, et dans l'article 62 qui prévoit la
fixation par décret d'un cahier des charges de TF1 contenant, entre
autres, des obligations minimales sur l'honnêteté et le pluralisme
de l'information.
L'essentiel des obligations incombant aux chaînes en matière
d'honnêteté de l'information figure dans des textes
d'application :
- le décret n° 47-43 du 30 janvier 1987 fixant le cahier
des charges de TF1 lors de sa privatisation, fait obligation à la
chaîne d'assurer l'honnêteté de l'information et lui impose
de réaliser les émissions d'information dans un esprit de stricte
objectivité ;
- les cahiers des charges de France 2 et France 3, approuvés
par le décret n° 94-813 du 16 septembre 1994,
prévoient (art. 2) pour chaque chaîne obligation d'assurer
l'honnêteté, l'indépendance, le pluralisme de
l'information ;
- la décision n° 87-13 du 26 février 1987 de la
CNCL autorisant M6 prévoit que la société assure
l'honnêteté et le pluralisme de l'information (art. 16).
L'indépendance
n'est guère envisagée en tant que
telle dans la loi de 1986. Elle se présente comme une protection du
journaliste vis-à-vis de l'entreprise de communication qui l'emploie.
C'est le droit commun de la profession journalistique qui s'applique ici, une
assimilation complète ayant été réalisée
entre les journalistes de la presse écrite et ceux de l'audiovisuel.
L'indépendance des journalistes résulte essentiellement de la
liberté d'expression qui leur est reconnue par la convention collective
de la profession, et des dispositions du code du travail relatives à la
clause de conscience. La convention collective précise toutefois que
l'expression publique de l'opinion du journaliste ne doit en aucun cas porter
atteinte à l'entreprise de presse dans laquelle il travaille,
restriction que les tribunaux ont considérée comme la
contrepartie normale de la clause de conscience.
Ce bref rappel du régime juridique de la liberté de l'information
audiovisuelle permet de constater que celle-ci n'est solidement garantie et
organisée que sous l'angle du pluralisme des services de communication
audiovisuelle.
Le " pluralisme interne ", la présentation,
l'honnêteté de l'information ne sont que marginalement
abordés par la loi et garantis par les pouvoirs publics.
Certes, le CSA s'est estimé
" pleinement compétent pour
veiller au respect par les chaînes de l'honnêteté de
l'information et, le cas échéant, pour sanctionner les
manquements dont elles se rendraient coupables à cet
égard "
(3e rapport annuel p. 221), il n'en reste pas
moins que ni l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986, qui
énonce les missions générales de l'institution, ni les
articles 13 et 16 de la même loi, qui précisent son champ de
compétence privilégié en matière de contrôle
des programmes, ne font référence à
l'honnêteté de l'information.
Il s'agit donc d'une compétence résiduelle pour laquelle le CSA
ne peut prétendre à une marge de manoeuvre aussi importante que
celle dont il dispose par exemple en matière de protection de l'enfance
et de l'adolescence.
En dépit de la pétition de principe mentionnée ci-dessus,
le CSA n'a d'ailleurs pas adopté une démarche
véritablement " dirigiste " en la matière. Il s'est
jusqu'à présent contenté d'adresser des observations aux
chaînes, d'émettre des recommandations, de mettre en place,
à l'occasion d'événements comme la guerre du Golf ou les
attentats de l'été 1995, un dispositif de concertation avec les
responsables des chaînes.
L'exercice de ce pouvoir d'informer qui apparaît comme l'empreinte en
creux de la liberté n'est donc guère saisi par le
droit.
(2) Un pouvoir revendiqué
Dans le
domaine de l'information, la revendication de la liberté et du pouvoir
correspondant émane principalement des journalistes.
Que ceux-ci exercent un véritable pouvoir dans le domaine dont ils sont
les praticiens est reconnu par nombre d'observateurs extérieurs. Pierre
Bourdieu écrivait ainsi dans son petit livre récent sur la
télévision :
" ils détiennent un monopole de
fait sur les instruments de production et de diffusion à grande
échelle de l'information, et, à travers ces instruments, sur
l'accès des simples citoyens mais aussi des autres producteurs
culturels, savants, artistes, écrivains, à ce que l'on appelle
parfois " l'espace public ", c'est-à-dire à la grande
diffusion (...). Bien qu'ils occupent une position inférieure,
dominée, dans les champs de production culturelle, ils exercent une
forme tout à fait rare de domination : ils ont le pouvoir sur les
moyens de s'exprimer publiquement (...) "
11(
*
)
.
De son côté, Dominique Wolton écrit que
" les
hommes politiques sont terriblement dépendants de cette nomenklatura
journalistique, qui a sur l'opinion beaucoup moins d'influence qu'elle ne le
croit, mais qui, en revanche, en a beaucoup sur les dirigeants politiques,
fatigués et anxieux, et sur le reste de ce que l'on appelle les
élites "
12(
*
)
.
Le point de vue est légèrement différent mais la
conclusion est partagée, et peu contestable.
Comment les journalistes conçoivent-ils l'exercice du pouvoir dont on
leur attribue la possession, le manient-ils avec " l'horreur
sacrée " dont parlait un auteur à propos du pouvoir
législatif ? Il semble qu'une sorte de renversement copernicien ait
affecté sur ce point l'éthique journalistique de l'information.
Le mot d'ordre prêté à Hubert Beuve-Méry :
" dire la vérité. Même si ça coûte.
Surtout si ça coûte "
semble avoir perdu du terrain au
profit d'un nouveau principe :
" ce que nous demandons aux
reporters qui partent pour Envoyé spécial, c'est d'avoir un
regard subjectif "
affirmé par un des responsables de ce
magazine de France 2
13(
*
)
. En d'autres termes,
la vérité étant insaisissable, le journaliste
d'aujourd'hui s'empare de l'information pour faire valoir son point de vue. Le
praticien devient prescripteur.
La conception de l'information comme exercice d'un pouvoir prend aussi d'autres
formes : certains journalistes succombent explicitement à la
tentation de transgresser la frontière entre l'information et l'action.
Celle-ci est toujours assez fluide, du fait de l'impact des moyens de
communication de masse sur le public. Pierre Bourdieu rappelle à cet
égard comment le traitement médiatique d'un fait divers
dramatique a conduit au rétablissement de l'incarcération
perpétuelle
14(
*
)
.
Mais il ne s'agit là que d'effets de chaîne ne procédant
pas d'une intention affirmée d'agir sur l'événement.
Tel n'est pas toujours le cas, comme en témoigne un passage du magazine
d'information sur les programmes de F 2 (Hebdo 18), qui présentait
l'émission Polémiques du 26 avril 1998 :
" C'est
peut-être pour cette raison que la première image forte qui vient
à Michèle Cotta est son plateau réunissant un certain
dimanche de décembre 1995, tous les acteurs de la grande grève
des cheminots. Elle jubile en bonne reporter :
" Dans ces
moments-là, j'ai vraiment le sentiment qu'un bout de l'Histoire s'est
fait sur le plateau de Polémiques ".
Les grèves semblent particulièrement inspirer les journalistes
désireux de se glisser dans l'action. Dans Libération du 3 juin
dernier, Philippe Lançon décrivait les efforts de
présentateurs de TF1 et de France 2 pour obtenir,
hic et nunc
,
du ministre des transports invité sur le plateau, des propositions
susceptibles de relancer les négociations avec les pilotes d'Air France
en conflit avec leur direction :
" ça fait partie aussi
d'une transparence démocratique, et c'est notre vocation. Nous l'avons
fait pour les routiers en grève et les chômeurs en colère,
et souvent, une issue a pu sortir de ces débats
télévisés "
expliquait l'un de ces amiables
compositeurs. Cela se passe de commentaire.
Dominique Wolton observait pertinemment à cet égard :
" le rêve de la plupart des journalistes est ainsi de transformer
les plateaux en lieux de négociations. Obliger, en direct, les acteurs
à négocier sous l'oeil des citoyens devient le fantasme
journalistique, et une figure de l'idéal démocratique "
15(
*
)
.
Prenons dans les analyses régulières du CSA sur l'éthique
des programmes
16(
*
)
un dernier exemple de la
transmutation de la liberté d'informer en véritable pouvoir. Il
s'agit des pressions exercées parfois sur les personnes afin de les
amener à collaborer bon gré mal gré au travail de
journalistes en quête de démonstration. Le CSA note à
propos de ces pratiques :
" les journalistes et organisateurs de
débats ne doivent pas exercer de pressions sur des personnes
invitées à témoigner, en particulier lorsque leur
témoignages peuvent constituer un risque réel pour elles. Le
conseil a également reçu des plaintes de personnes qui n'avaient
pas été informées de la nature réelle d'une
émission pour laquelle un témoignage leur était
demandé ".
Ces différentes conceptions qui tendent à confondre la
liberté d'informer avec l'exercice d'un pouvoir comportent des risques
de dérapages et exposent à tout le moins à la critique les
journalistes qui s'y rallient sans précaution.
Le risque est inhérent à la confusion de la fonction
d'observateur et de celle d'acteur, Kant remarquait au sujet de la vision
politique de Platon :
" il ne faut pas s'attendre à ce que
les rois philosophent ou à ce que les philosophes deviennent rois, et il
ne faut pas non plus le désirer parce que la possession du pouvoir
corrompt inévitablement le libre jugement de la
raison "
17(
*
)
, la revendication du
pouvoir d'informer corromprait-elle de la même manière le jugement
journalistique ?
En tout état de cause, les critiques argumentées ne manquent pas.
Reprenons l'exemple de la négociation médiatisée des
grèves de la fin de 1995. Pierre Bourdieu met en cause sous le
titre
: " des débats vraiment faux ou faussement
vrais "
18(
*
)
la façon dont a
été organisée par " La Marche du siècle "
un débat sur la grève,
" il a toutes les apparences du
débat démocratique (...). Or, quand on regarde ce qui s'est
passé lors du débat (...), on voit une série
d'opérations de censure "
.
Revenons par ailleurs sur la subjectivité revendiquée des sujets
d'" Envoyé spécial ". L'émission
n° 288 sur " Les Croisés de l'Ordre moral ", offre
une illustration éclairante des résultats de la méthode
quand la passion polémique est de la partie :
" juxtaposition suggestive de séquences dépourvues de
tout véritable lien, appel à un adversaire retourné pour
confirmer l'interprétation suggérée, droit de conclure
donné systématiquement aux représentants de l'accusation
à l'issue de dialogues factices, choix de ne pas donner la parole sur
les commandos à un représentant autorisé de l'Eglise,
emploi d'un vocabulaire partisan, l'objectif poursuivi étant
manifestement de présenter le souverain pontife comme le chef d'un
complot mondial contre le droit d'avorter impliquant un ancien SS, plusieurs
soutiens de Klaus Barbie, une secte brésilienne, l'assassin d'un
médecin américain pratiquant des avortements, les associations
familiales catholiques et plusieurs membres du Sénat et de
l'Assemblée nationale. "
19(
*
)
De telles dérives s'expliquent aisément : sur le plan des
principes, la subjectivité tient mal la route, comme le montrent les
plaidoyers d'Hannah Arendt en faveur de la pluralité des points de vue,
unique moyen de cerner toutes les dimensions de la réalité et de
satisfaire ce qui est somme toute l'objectif normal d'un magazine
d'information :
" aucune opinion n'est évidente ni ne va de
soi. En matière d'opinion, mais non en matière de
vérité, notre pensée est vraiment discursive, courant,
pour ainsi dire, de place en place, d'une partie du monde à une autre,
passant par toutes sortes de vues antagonistes, jusqu'à ce que
finalement elle s'élève de ces particularités
jusqu'à une généralité impartiale. Comparée
à ce processus dans lequel une question particulière est
portée de force au grand jour, afin qu'elle puisse se montrer sous tous
ses côtés, dans toutes les perspectives possibles jusqu'à
ce qu'elle soit inondée de lumière et rendue transparente par la
pleine lumière de la compréhension humaine, l'affirmation d'une
vérité possède une singulière
opacité. "
20(
*
)
Face à
cette lumineuse analyse, les justifications de la subjectivité
journalistique fondées sur la distinction alambiquée de
différents niveaux de la vérité
21(
*
)
provoquent la perplexité.
L'infléchissement de la liberté d'informer en pouvoir
journalistique peut avoir par ailleurs des conséquences sur l'exercice
d'autres libertés. On pense ici aux libertés de la personne, que
le droit français protège à travers le régime des
infractions de presse sanctionnant la diffamation et l'injure, ainsi qu'en
garantissant le droit à l'image et la protection de la vie
privée. Cet aspect des rapports de la liberté et du pouvoir
d'informer trouve une expression parfois paroxystique dans les rapports entre
la presse et la justice, souvent conflictuels, parfois de connivence
22(
*
)
dont il est fait ici simplement mémoire dans
la mesure où les initiatives législatives qui pourraient
être prises ne se situeront pas dans le cadre de la réforme de la
loi sur la liberté de la communication, qui est l'objet de ce
rapport.
(3) Liberté sous influence, pouvoir biaisé ?
Mais les
journalistes sont-ils les seuls détenteurs du pouvoir d'informer ?
D'autres " prescripteurs " ne se manifestent-ils pas de façon
moins visible avec des inconvénients plus sensibles pour la
liberté de la communication ?
On peut aborder le problème en allant du plus visible au plus
indéchiffrable.
Constatons d'abord que la liberté ou le pouvoir d'informer sont
très largement affectés par
le rôle moteur de
l'audimat
dans le traitement de l'information et dans la dérive vers
" l'information spectacle ".
A titre d'illustration des méfaits de l'information spectacle, on peut
rappeler la liste-type de dérapages que M. Hervé Bourges a
dressée à l'occasion de la couverture des attentats de
l'été 1995, lors d'une réunion tenue avec les directeurs
de l'information des chaînes de télévision et des radios
généralistes :
- manque de prudence quant à l'exactitude des informations
diffusées (ex. nombre de blessés, composition des bombes) ;
- présentation d'hypothèses hasardeuses (explication de
l'explosion dans une poubelle à l'Étoile et non dans le RER comme
il aurait semblé plus logique à un journaliste) et interviews
incongrues (le cycliste de la place de l'Étoile invité par la
présentatrice du journal télévisé de TF1 à
donner son sentiment sur le risque de renouvellement des attentats) ;
- violation du secret de l'instruction (non opposable directement aux
journalistes susceptibles seulement de se rendre coupables de recel) ;
- présentation d'images non respectueuses de la dignité des
victimes et de l'anonymat des témoins ;
- dramatisation de l'information (rediffusion lancinante des mêmes
reportages en dépit de l'absence d'éléments nouveaux,
liaisons répétées avec les envoyés spéciaux
se livrant à des reportages d'ambiance pour faire du remplissage,
caractère excessif et parfois déplacé des commentaires).
Les motifs de ces excès sont faciles à cerner : Pierre
Bourdieu analyse ainsi les conséquences de l'audimat sur le traitement
de l'information :
" poussées par la concurrence pour les
parts de marché, les télévisions recourent de plus en plus
aux vieilles ficelles des journaux à sensation, donnant la
première place quand ce n'est pas toute la place aux faits divers et aux
nouvelles sportives : il est de plus en plus fréquent que, quoi
qu'il ait pu se passer dans le monde, l'ouverture du journal
télévisé soit donnés aux résultats du
championnat de France de football (...) "
23(
*
)
.
Les responsables de l'information de la télévision publique ne
méconnaissent pas ces critiques. Auditionné par le groupe de
travail, M. Albert Du Roy, alors directeur général adjoint
de France 2, chargé de la rédaction, indiquait en substance que
le projet rédactionnel qu'il avait présenté à la
rédaction était organisé autour de quatre grands
principes : l'indépendance, le pluralisme, l'impartialité et
la rigueur, notant en ce qui concerne ce dernier objectif que deux
phénomènes en contrarient la poursuite. D'une part, la
concurrence, idée encore neuve en France dans le secteur audiovisuel,
provoque un risque de surenchère dans le traitement de l'information
afin de susciter de l'audience. D'autre part, l'accélération du
progrès des technologies de l'information privilégie souvent
l'image au détriment de la réflexion.
M. Du Roy énonçait en outre quelques orientations plus
précises, certaines répondant aux critiques mentionnées
ci-dessus :
- il est nécessaire de répondre non seulement aux attentes mais
aussi aux besoins du public en fonction de deux critères :
l'audience et l'exécution des missions de service public, qui
légitiment le financement mixte du secteur public. Le sacrifice d'un
critère aurait des conséquences défavorables soit sur le
degré d'exigence des programmes, soit sur leur impact sur le public. Ces
deux critères sont cependant parfois vécus comme
antagonistes ;
- il faut établir une hiérarchie pertinente entre les sujets
traités ;
- le spectaculaire peut jouer un rôle mais comme moyen et non pas comme
fin : l'image doit être utilisée pour symboliser et pour expliquer
et non pas simplement en fonction de l'émotion qu'elle suscite.
Dont acte.
Poursuivons notre réflexion en constatant que la liberté de
l'information peut être altérée de façon plus
directe que par le biais de l'audimat.
On a vu ci-dessus que la liberté d'expression des journalistes ne leur
permettait pas de porter atteinte aux intérêts des entreprises de
presse pour lesquelles ils travaillent.
Une conception extensive de
la protection des intérêts
économiques
peut se manifester quand un service de communication
audiovisuelle est la filiale d'un groupe industriel poursuivant d'autres
activités que la communication audiovisuelle, ce qui est le cas de
l'ensemble des télévisions généralistes
françaises.
Ce phénomène n'a pas échappé à l'attention
de Pierre Bourdieu, inlassable déconstructeur de la
télévision :
" il est important de savoir que la NBC
est la propriété de General Electric (ce qui veut dire que, si
elle s'aventure à faire des interviews sur les riverains d'une centrale
atomique, il est probable que..., d'ailleurs ça ne viendrait à
l'idée de personne...), que CBS est la propriété de
Westinghouse, que ABC est la propriété de Disney, que TF1 est la
propriété de Bouygues, ce qui a des conséquences, à
travers toute une série de médiations. Il est évident
qu'il y a des choses qu'un
gouvernement ne fera pas à Bouygues
sachant que Bouygues est derrière TF1. "
On rappellera dans le même sens de récentes déclarations de
Karl Zéro dans le journal Le Monde, à propos du Vrai
Journal :
" l'accord de départ avec Pierre Lescure et Alain
De Greef, spécifiait bien qu'il y avait trois sujets sur lesquels on ne
pouvait pas enquêter : le football, le cinéma, la
CGE. "
24(
*
)
Les liens entre l'information et le pouvoir économique biaisent-ils plus
systématiquement encore la liberté de l'information, au point de
l'instrumentaliser ?
C'est le thème d'une littérature d'investigation qui voit par
exemple dans l'acquisition de TF1 par le groupe Bouygues puis dans le lancement
de la chaîne d'information continue LCI, les éléments d'une
stratégie d'influence à visée
économique
25(
*
)
. Notons que les
gains éventuellement recherchés de la sorte peuvent se situer
aussi bien au niveau du service audiovisuel qu'au niveau du groupe dont il fait
partie.
Le groupe de travail serait naturellement bien en peine de faire le tri, dans
ces imputations, entre la réalité et la fiction. Il revient
à chacun d'apprécier le sérieux des informations et la
pertinence des analyses présentées ici et là ; et,
à la manière des paléontologues qui reconstituent l'animal
à partir d'un os retrouvé, d'identifier derrière telle ou
telle décision politique les influences qui ont pu l'inspirer,
derrière tel ou tel choix éditorial les intentions qui ont pu le
susciter. La discussion du prochain projet de loi sur la communication
audiovisuelle permettra sans aucun doute d'améliorer la pratique de
cette paléontologie politique.
Faut-il, en poursuivant l'analyse des biais de l'information, parler de
connivence généralisée
entre les médias et
les " pouvoirs " ou les " élites " ?
Les analystes ont tendance à le faire. C'est ainsi que Dominique Wolton
note :
" si l'histoire montre que l'information a toujours
été unie à l'argent, jamais les liens n'ont
été aussi forts, notamment en raison du développement des
diverses industries de la communication, et jamais l'information et la
communication n'ont joué un tel rôle dans la
société "
26(
*
)
. Il
relève encore la tendance des " élites " et de
" l'élite journalistique " à se ménager
mutuellement
27(
*
)
. Cependant, l'affaire du
" document interdit d'antenne ", évoquée par
Libération le 1er juillet dernier (p. 2 à 7), tend à
démontrer, comme le signale l'éditorial de Laurent Joffrin,
qu'
" une situation de connivence : conversation amicale,
tutoiement, évocation d'intérêts sonnants et
trébuchants "
n'a pas toujours d'effets tangibles, n'en a pas
eu en l'occurrence :
" il n'est donc pas vrai que les relations
amicales entretenues par les journalistes avec les hommes politiques
débouchent en général sur la complaisance. "
Que conclure de ces analyses ? La persistance des interrogations et des
débats sur l'information et ses biais sera un élément
significatif des débats législatifs à venir. Faut-il
" libérer " l'information, est-il utile, légitime,
indispensable de mettre en place des mécanismes juridiques afin de
renforcer le pouvoir des journalistes, faut-il accentuer l'autonomie de ceux-ci
à l'égard du pouvoir économique, l'autonomie de
l'information à l'égard de l'audimat, selon quelles
méthodes, celles-ci doivent-elles être différente dans le
secteur public et dans le secteur privé ? Telles seront les
questions à résoudre.
b) Les autres programmes
Les enjeux sous-jacents sont considérables. Jean Cluzel note à cet égard dans son dernier rapport : " comme le montre le cas de la violence, il existe une interaction entre médias et réalité, qui peut faire douter de la neutralité de la vision du monde que propose la télévision. " 28( * ) Ce rapport livre une éclairante analyse de cet aspect du dossier de la déontologie des programmes. On se contentera ici de présenter à grands traits une problématique générale à la lumière, une nouvelle fois, des rapports de la liberté et du pouvoir.
(1) Une liberté organisée
Une
nouvelle fois, la liberté se transforme en un pouvoir inégalement
partagé entre différents protagonistes. Le pouvoir sur les
programmes est en effet réparti entre diffuseurs, producteurs,
programmeurs, présentateurs, sous le regard de l'audimat, moyen
rudimentaire d'associer le public aux choix effectués. Comment la
répartition se fait-elle ? On peut supposer que l'essentiel du
pouvoir correspondant à la détermination du contenu des
programmes appartient aux programmeurs plus qu'aux producteurs, dans la mesure
où les chaînes de télévision interviennent la
plupart du temps très en amont du processus de production, au moment
où elles acquièrent les droits de produits " frais ".
Il semble que dans le cas d'acquisition de produits destinés à la
rediffusion, souvent d'origine extra-européenne, la pratique des achats
en grande quantité interdise aux programmeurs d'avoir une connaissance
très précise du contenu des programmes destinés à
l'antenne. La signalétique mise en place à la fin de 1996 aura,
entre autres mérites, celui d'obliger les programmeurs à se
préoccuper du contenu des fictions et documentaires. Restent les
présentateurs ; ils possèdent une part de pouvoir
régalien qu'ils exercent parfois sans discernement : ce n'est sans doute
pas la qualité principale que l'on exige d'eux.
L'année 1995 a été assez fertile en incidents illustrant,
à la radio, les dangers du direct mal maîtrisé par des
animateurs en quête de sensationnel. Le 7e rapport d'activité du
CSA relève ainsi sur Skyrock les
" propos d'une extrême
gravité tenus sur l'antenne de la radio par un animateur. Le
3 janvier, ce dernier s'était réjoui à plusieurs
reprises de la mort d'un policier, survenue à Nice dans l'exercice de
ses fonctions "
; il dénonce les
" propos inacceptables
tenus par un animateur de Fun Radio sur ce camp de la mort (Auschwitz), le
présentant notamment comme " une maison de campagne à
l'abandon "
dont il faudrait
" retaper la toiture avant de
l'acquérir "
; et en ce qui concerne la radio Ici et
Maintenant, il déplore
" un défaut
caractérisé de maîtrise de l'antenne, à la suite de
la diffusion répétée, dans ses émissions de libre
antenne où les auditeurs interviennent en direct, sans sélection
préalable et de manière anonyme, de propos racistes,
antisémites ou négationnistes "
(pp. 106 et 107).
Selon le 8e rapport d'activité du CSA, des dérives d'une pareille
gravité n'ont pas été relevées en 1996,
" sans doute faut-il y voir la conséquence d'un contrôle
éditorial davantage affirmé, d'une meilleure formation des
animateurs à l'exercice de leur profession (...) "
(p. 112).
Il n'est pas simple de tirer de ces constatations des conclusions
opérantes sur le plan juridique.
La programmation peut être considérée comme l'exercice
d'une liberté encadrée par la loi. Mais la communication est trop
liée aux droits de l'homme
29(
*
)
pour que
les limites imposées par la loi à ses abus éventuels aient
une portée très considérable dans un monde qui a depuis
longtemps fait le choix des Droits contre celui de la Loi
30(
*
)
. Il faut avoir cet arrière-plan en tête
en lisant l'article premier de la loi du 30 septembre 1986 :
" la
communication audiovisuelle est libre. L'exercice de cette liberté ne
peut être limité que par (...). "
Il explique sans doute
la prudence et la progressivité qui ont marqué
l'élaboration consensuelle d'une politique de signalisation des
programmes correspondant à l'une des compétences du CSA les plus
fortement affirmées par la loi :
" le conseil supérieur
de l'audiovisuel veille à la protection de l'enfance et de l'adolescence
dans la programmation des émissions diffusées par un service de
communication audiovisuelle "
(art. 15 de la loi du
30 septembre 1986).
Le législateur est-il tenu à une circonspection identique s'il
entreprend de renforcer les fondements juridiques de la déontologie des
programmes comme il en est question chaque fois que la loi de 1986 est remise
en chantier ? Il lui appartient à tout le moins de prendre en
considération le fait qu'une liberté de communiquer prenant la
forme d'un pouvoir unilatéral des diffuseurs, pouvoir à
l'égard duquel le public ne disposerait d'aucun contrepoids, porterait
atteinte à la notion même de communication. Une telle situation
appelle à coup sûr l'attention du pouvoir politique : la fonction
de celui-ci est, selon une conception issue de la politique d'Aristote qui
garde sa force démonstrative, de permettre
" aux
différents biens de communiquer et de vivre ensemble dans le monde
humain, et simultanément il permet à chaque bien
d'échapper à la commensuration qui se ferait au profit des
autres "
31(
*
)
.
Les biens en question sont les qualités au titre desquelles les
différente catégories d'agents font valoir leur revendication de
pouvoir. Il peut s'agir, dans l'espace public particulier que constitue la
communication audiovisuelle, de la propriété des moyens de
diffusion, du talent, de la dignité de la personne...
Il revient au pouvoir politique d'opérer l'équilibre de ces
différents intérêts.
(2) Une réglementation variée
Au
bénéfice de ces différentes considérations,
rappelons que l'article premier de la loi du 30 septembre 1986 dispose que
l'exercice de la liberté de la communication audiovisuelle
" ne
peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le
respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de
la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de
l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par
la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense
nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques
inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la
nécessité de développer une industrie nationale de
production audiovisuelle. "
Un vaste champ est ainsi ouvert en principe au contrôle de la
déontologie des programmes.
Celui-ci est toutefois concentré sur la protection de l'enfance et de
l'adolescence qui semble faire l'objet d'un assez vaste consensus,
spécialement depuis que l'actualité de 1998 a mis en relief des
sévices sexuels commis sur des mineurs ainsi que des faits divers
imputés parfois à l'influence d'émissions
télévisées.
Les textes de référence sont assez nombreux :
Comme on l'a vu, l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 dispose :
" Le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille à la
protection de l'enfance et de l'adolescence dans la programmation des
émissions diffusées par un service de communication
audiovisuelle ".
L'article L 227-24 du code pénal dispose que
" le fait soit de
fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel
qu'en soit le support un message à caractère violent ou
pornographique... est puni de trois ans d'emprisonnement et de 500 000 francs
d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par
un mineur. "
Le décret du 23 février 1990 relatif à la classification
des oeuvres cinématographiques impose aux chaînes de
télévision d'avertir préalablement le public des
interdictions en salle aux mineurs
" tant lors du passage à
l'antenne que dans les annonces diffusées par la presse, la
radiodiffusion et la télévision ".
Le décret du 27 mars 1992 fixe les principes généraux
concernant le régime applicable à la publicité et au
parrainage. Il rappelle clairement dans son article 4 que
" la
publicité doit être exempte... de toute scène de
violence "
; de même, l'article 7 dispose que
" la
publicité ne doit pas porter préjudice aux mineurs ".
Les cahiers des charges de France 2 et France 3 prévoient que les
chaînes publiques doivent s'abstenir de
" diffuser des programmes
susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental et
moral des mineurs (...) des scènes de pornographie "
, et de
montrer
" le spectacle de la violence pour la violence "
,
notamment dans les journaux télévisés.
Le principe du respect de la dignité de la personne humaine est
également rappelé.
La directive du 5 mai 1989, publiée par le CSA à l'attention des
diffuseurs publics et privés, définit une série de
recommandations concernant les mesures à prendre pour respecter les
termes de l'article 15 de la loi.
La recommandation du 24 avril 1992, publiée par le CSA à
l'attention de l'ensemble des diffuseurs, concerne les émissions dites
de " télévérité " ou la reconstitution de
faits vécus.
Ce texte invite notamment les diffuseurs à ne pas promouvoir ou
encourager
" des activités susceptibles de porter un
préjudice matériel ou physique au public "
, afin
d'éviter des comportements d'imitation d'actions dangereuses.
Il précise aussi que
" la souffrance, le désarroi ou
l'exclusion doivent être montrés avec retenue et ne pas faire
l'objet de dramatisations complaisantes. "
Le principal instrument de protection disponible semble être à
l'heure actuelle la signalétique commune mise en place à la fin
de 1996 par les chaînes hertziennes. Résultat d'un processus
d'autorégulation, comme le signale le 9e rapport d'activité du
CSA (p. 104), elle est entièrement de la responsabilité des
chaînes de télévision, qui ont mis en place des
comités de visionnage de structure et de composition
différente.
2. La demande de communication
L'ensemble des développements précédents est largement centré sur l'idée que la communication audiovisuelle est un espace à trois pôles où le public doit trouver toute sa place, faute de quoi il faudra parler de " diffusion " et non pas de " communication " audiovisuelle. Il convient maintenant de tenter de mieux cerner la " demande de communication " que le public est en droit d'exprimer, et la palette des moyens qui permettraient de satisfaire celle-ci dans de bonnes conditions.
a) Les droits du public
L'insistance sur les droits des auditeurs et
téléspectateurs n'est pas seulement le résultat des
réflexions de philosophes ou de sociologues de la communication. Le
Conseil constitutionnel a affirmé dans sa décision du
18 septembre1986 déjà citée que les auditeurs et les
téléspectateurs
" sont au nombre des destinataires
essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la
Déclaration de 1789 "
. De nombreux textes
élaborés par les syndicats de journalistes exposent des principes
identiques en ce qui concerne l'information. Dans son article premier, la
Charte de Munich de 1971, adoptée par la Fédération et par
l'Organisation internationale des journalistes, proclame la
nécessité de respecter la vérité
" en
raison du droit que le public a de connaître la
vérité "
, de même, son préambule note :
" la responsabilité des journalistes vis-à-vis du public
prime sur toute autre responsabilité "
. Par ailleurs, les
principes internationaux de l'éthique professionnelle des journalistes,
adoptés en 1983 sous l'égide de l'UNESCO, évoquent le
droit du peuple et des individus de recevoir une image objective de la
réalité.
Quelles peuvent être les implications de principe aussi
communément acceptées ? Le Conseil constitutionnel s'est
appuyé sur ceux-ci pour imposer au législateur l'adoption d'un
dispositif anti-concentration dans la communication audiovisuelle et dans
l'ensemble des médias. Il s'agit de mettre les auditeurs et
téléspectateurs
" à même d'exercer leur
libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs
publics puissent y substituer leurs propres décisions ".
Cette conception du pluralisme apporte des garanties limitées aux droits
du public, spécialement dans le domaine de l'information, où TF1
et France Télévision se partagent une sorte d'imperium (avec un
net avantage d'audience pour TF1). Le pluralisme externe ne compense
guère, dans ces conditions, les effets des phénomènes de
pouvoir examinés plus haut. Et, de fait, le peu de crédit que le
public accorde, selon les sondages, à l'information audiovisuelle, est
vraisemblablement largement dû à la méfiance que provoque
le face à face soupçonné du pouvoir journalistique et du
pouvoir économique ou politique dans un espace où
l'échange devrait être plus large. Il est clair que les
succès d'audience de tel ou telle émission ne modifient pas cette
donne, les sondages d'opinion sont suffisamment éclairants à cet
égard.
Mais comment décrire ce que pourrait être l'insertion du public,
plus passif qu'actif par la force des choses, dans une problématique de
pouvoir ? Il n'est pas inintéressant de s'inspirer ici du grand
inventeur de concepts et de mécanismes institutionnels que fut
Sieyès. La constitution du Consulat peut fournir une clé avec
l'aphorisme fondateur selon lequel
" la confiance vient d'en bas
et le pouvoir vient d'en haut "
, le système politique
résultant de leur rencontre organisée. La confiance du public est
bien l'unique critère susceptibles de permettre la vérification
du bon fonctionnement de l'échange qu'implique la notion de
communication. Et cette confiance, qui repose sans doute à la fois sur
le talent des journalistes et sur le respect du public, peut-on envisager que
le système la produira naturellement, faut-il l'organiser juridiquement,
quels sont les moyens de la renforcer ou de la restaurer ?
b) Le choix des moyens
On notera que certaines pistes évoquées ci-dessous sont susceptibles d'apporter des réponses au problème des droits du public aussi bien qu'à celui des rapports de l'information et du pouvoir économique ou politique, évoqué plus haut.
(1) Le dialogue organisé
C'est la
solution consensuelle, qui correspond le mieux à la notion de
communication, mais dont les modalités ne peuvent être qu'assez
sommaires.
Il faut d'abord évoquer
le droit de réponse
, introduit
dans le secteur de la communication audiovisuelle par la loi du 3 juillet 1972,
actuellement régi par l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982, non
abrogé par la loi du 30 septembre 1986 et étendu aux
phonogrammes et vidéogrammes ainsi qu'aux services
télématiques de communication audiovisuelle, soumis au
régime déclaratif (art. 83). Il est organisé par le
décret du 6 avril 1987. Compte tenu de l'impact des insertions obtenues
au titre du droit de réponse sur les moyens de communication
audiovisuelle et du risque d'envahissement des antennes, les conditions
d'ouverture de ce droit sont définies de façon plus restrictives
que dans le cas de la presse écrite : les allégations
contestées ne doivent pas seulement constituer une mise en cause, mais
aussi porter atteinte à l'honneur ou à la réputation des
personnes visées. Les tribunaux ont en outre adopté une
interprétation assez restrictive des conditions d'ouverture de ce droit
en l'excluant dans les cas où d'autres moyens ont permis de
rétablir l'équilibre des positions. Le droit de réponse
est enfin, comme en matière de presse écrite, ouvert aux
personnes physiques et morales.
Les médiateurs
sont un autre moyen de créer un courant
d'échanges institutionnalisé entre le public et les
rédactions ou les responsables de programmes. Le journal Le Monde a
depuis quatre ans expérimenté cette forme de dialogue
instituée par la presse anglo-saxonne qui consiste à charger des
journalistes indépendants de la rédaction et ayant accès
à la hiérarchie, de recevoir les remarques du public et d'y
répondre en éclairant le processus de traitement de l'information.
Les entreprises de l'audiovisuel public mettent en place actuellement des
médiateurs à la demande de Mme Catherine Trautmann, ministre de
la communication pour laquelle le travail de ces personnalités permettra
de mener à bien la mise au point de chartes de rédaction
(allocution du 9 avril 1998 lors du colloque " liberté
d'expression et droit des personnes ").
Cette modalité de dialogue qui a le mérite d'obliger les
rédactions et responsables de la programmation (dans les cas où
il existera des médiateurs compétents pour les programmes autres
que l'information) à se mettre en question, est très
dépendante de la qualité et de l'influence interne des personnes
chargées de la médiation.
Elle ne remet pas véritablement en question le fonctionnement en circuit
fermé des professions de la communication audiovisuelle.
Tel ne serait pas le cas du travail des
comités consultatifs des
programmes
dont le Sénat avait prévu l'institution
auprès des organes, dirigeants des sociétés nationales de
programmes lors de la discussion en première lecture du projet de loi
modifiant la loi du 30 septembre 1986, l'année dernière.
Composé de personnalités qualifiées de la
" société civile ", ces comités étaient
destinés à faire entrer le public au sein des chaînes.
Un comité d'orientation des programmes composé de
21 personnalités qualifiées existe déjà
à la Cinquième. Ce comité est consulté chaque
année, pour avis, par le président de la société
sur les choix éditoriaux de la chaîne, la grille de programmes et
les principales émissions dont la création est envisagée.
Il est régulièrement informé des contrats et conventions
conclus avec les partenaires éditoriaux de la chaîne et peut
être saisi de tout sujet en rapport avec les programmes à la
demande du président de la société ou d'au moins la
moitié des membres du conseil d'administration.
La généralisation d'institutions de ce type aurait
l'intérêt de contraindre les dirigeants des organes de
communication audiovisuelle à expliquer leur démarche à
des " représentants " du public. On peut cependant craindre
que leur influence sur les choix de programmation ne soit faible en raison de
leur représentativité aléatoire et du fait que leurs
membres seraient par hypothèse étrangers au milieu de la
communication et donc facilement marginalisés. En outre, ces
institutions " tribuniciennes " ne sauraient intervenir dans le
domaine de l'information, qui ne se prête pas à la consultation
préalable et dont le CSA assure très bien la critique a
posteriori.
Il n'en reste pas moins que l'introduction du grain de sable de la
" société civile " dans les rouages trop huilés
de la programmation des chaînes de télévision et stations
de radio pourrait provoquer, à l'occasion, d'utiles débats
internes.
(2) L'autocontrôle
Il
s'agit de reconnaître aux professionnels de la communication
audiovisuelle le soin de définir et d'appliquer un corps de
règles assurant l'éthique des programmes ou de l'information.
L'objectif peut être double : soit mieux associer le public au
fonctionnement de la communication en confiant aux professionnels le soin
d'assurer cette forme minimale de dialogue qu'est le respect de l'autre, soit
protéger l'information contre les ingérences du pouvoir politique
ou économique. Notons qu'il peut y avoir d'autres moyens de parvenir
à ce second résultat en fonction du même principe. On peut
imaginer, par exemple, d'assurer statutairement l'indépendance des
rédactions à l`égard du " management " des
organismes audiovisuels.
Il semble possible de présenter deux observations à
l'égard de cette orientation.
D'une part, elle correspond à la revendication d'autonomie des
professionnels de l'audiovisuel, et particulièrement des journalistes.
Ceci peut être a priori une garantie d'efficacité, mais ne
contribue guère à la reconnaissance du rôle du public dans
l'espace de la communication audiovisuelle. Mme Catherine Trautmann faisait
observer à cet égard lors du colloque du 9 avril 1998 :
" durant des décennies, les syndicats de journalistes se sont
trouvés investis de la réflexion déontologique de cette
profession. Nous leur devons la " charte de 1918 ". La plupart de ses
dispositions gardent une grande actualité. Elle affirme toutefois que le
journaliste n'aurait à rendre de compte que devant ses pairs. Je ne
crois pas qu'une telle vision corresponde à notre temps. La
société, le public, considèrent qu'il existe une
nécessité de dialogue et de débat sur de tels
sujets. "
D'autre part, l'efficacité dont on est tenté de créditer
les mécanismes d'autorégulation dépend étroitement
des qualités de courage, de respect, d'humilité, de discernement,
dont les professionnels de l'audiovisuel sont susceptibles de faire preuve.
Ces qualités sont-elles le lot commun des professions de la
communication ? L'ingénuité de certains présentateurs
révèle parfois de curieux critères de choix. Ainsi, dans
l'émission Paroles d'Experts du 20 avril dernier sur France 3,
la présentatrice, recevant un caricaturiste, a présenté
à l'antenne une caricature qui montrait le pape Jean-Paul II
installé sur un bidet, expliquant avec une déroutante
spontanéité qu'elle n'avait pas osé montrer un autre
dessin représentant Edouard Balladur réduit à la
misère et servi par un Nicolas Sarkozy transformé en
majordome !
On remplace le courage supposé par l'impertinence sans risque, sans se
soucier de respect du public (le public du début d'après-midi,
plutôt féminin et d'âge moyen, est, peut-on penser, plus
susceptible d'être choqué dans sa sensibilité par un
Jean-Paul II trivialement caricaturé que par un Nicolas Sarkozy
s'adonnant à des tâches domestiques).
De telles anecdotes révèlent dans les programmes de
divertissement un état d'esprit peu propice à l'exercice
responsable d'une autodiscipline effective en matière d'éthique.
En ce qui concerne l'information, on se contentera de noter que l'application
d'un principe d'autocontrôle des journalistes déniant aux autres
partenaires de la communication tout rôle dans la définition des
principes éthiques peut, conjugué avec l'affirmation
relevée ci-dessus du droit à la subjectivité, conforter
une autorité apparaissant bien souvent comme
" l'occasion des
passions du pouvoir "
32(
*
)
.
(3) La déontologie
Entendons par déontologie un corps de règles
juridiques relatives à l'éthique des programmes, on pense
spécialement à l'information, élaboré par
l'autorité politique. Seule l'autorité politique est en effet en
mesure de poser de véritables normes ; à défaut
desquelles, il n'y a pas de " déontologie " à
proprement parler mais des principes réunis éventuellement dans
des " chartes " ou déclarations ressortissant à la
notion d'autocontrôle examinée dans le paragraphe
précédent.
Précisons à ce propos que l'autorité politique peut
déléguer à des organismes professionnels le pouvoir de
définir des normes déontologiques (en se réservant
éventuellement le pouvoir d'homologuer les codes de déontologie
ainsi élaborés) et de les appliquer.
La déontologie ainsi comprise a, si l'on ose dire, mauvaise presse.
Auditionné par le groupe de travail le 18 mars dernier, M. Albert
Du Roy, responsable de la rédaction de France 2, estimait que parmi les
trois facteurs de l'indépendance et du pluralisme de l'information qu'il
est possible d'énumérer : l'organisation des rédactions,
le rôle des personnes et le contrôle par un organisme
extérieur, il est préférable de privilégier les
deux premiers. Le contrôle extérieur, indiquait-il, ne peut en
effet pas être totalement satisfaisant dans la mesure où tout
organe, quelle que soit sa compétence ou sa légitimité, ne
peut totalement garantir l'indépendance et l'équilibre d'une
information susceptible de le concerner en tant que pouvoir. Quant à la
personnalité des personnes en charge du traitement de l'information,
elle joue incontestablement un rôle mais est aléatoire, ce qui
explique la nécessité de fonder l'indépendance et le
pluralisme de l'information sur un projet exposé dans un texte
écrit. L'organisation des services chargés de l'information joue
enfin un rôle essentiel, estimait M. Du Roy. En effet, l'existence d'une
" collectivité rédactionnelle " constitue un filtre
efficace contre les dérapages. La conférence de rédaction
permet en effet de discuter collectivement l'opportunité et la
façon de traiter tel ou tel sujet. Ceci constitue une garantie
d'impartialité. Par ailleurs, le responsable d'une rédaction ne
peut contrôler la rectitude de l'ensemble des sujets diffusés. Il
est donc dans l'obligation de déléguer une part de ses
responsabilités à des collaborateurs, à charge pour lui de
sanctionner les manquements éventuels.
M. Albert Du Roy jugeait aussi que la notion de code de déontologie est
d'un intérêt limité dans la mesure où de tels textes
ne peuvent qu'énoncer des principes très généraux
peu utiles à la solution des problèmes pratiques. En revanche, il
est utile de disposer de textes de référence
élaborés au sein d'une rédaction, ces textes ayant toute
chance de mieux cerner les problèmes concrets. Telle est en substance la
conception que M. Du Roy présentait devant le groupe de travail peu
avant son départ de France 2.
Trois éléments structurent ce propos. Il y a d'abord la
traditionnelle préférence pour l'autocontrôle
professionnel ; celle-ci s'appuie sur une non moins traditionnelle
défiance à l'égard de l'autorité politique en
matière de déontologie, le soupçon d'ingérence
pointe ici ; il y a enfin dans le propos de M. Du Roy une critique
" technique " de la démarche déontologique, qui
tomberait inévitablement dans l'énoncé de
généralités inutiles.
On a évoqué ci-dessus la question de l'autocontrôle. Voyons
maintenant les deux autres éléments avancés à
l'encontre de la notion de déontologie.
Le soupçon d'ingérence ne peut être écarté
d'emblée, même s'il évoque la réfraction
corporatiste que Dominique Wolton décrit dans les termes suivants :
" Quand on parle aux journalistes de simplification, de conformisme, de
tyrannie de l'événement, d'absence de recul, de logique de
scoops, d'effets pervers de la concurrence, de manque de travail, d'absence de
mise en perspective de l'actualité, de résistance à la
connaissance, de poids trop grand accordé à
l'événement par rapport à l'analyse, d'excès de
narcissisme..., ils répondent :
" Attention ! A trop critiquer,
vous portez atteinte à la liberté de la presse et créditez
tous ceux qui veulent la limiter. Dénoncer les excès, c'est faire
le jeu de ceux qui, dans le monde, et ils sont nombreux, souhaitent
réduire la liberté fragile de l'information. "
On met
ainsi sur le même pied la volonté encore bien timide de mieux
réglementer la profession de journaliste, la déontologie de
l'information, les limites à l'investigation ... et les multiples
atteintes aux libertés d'information dans les dictatures. Toute critique
de l'information est perçue comme une caution donnée aux ennemis
de la liberté "
33(
*
)
.
Y a-t-il alors un risque que l'élaboration de codes
déontologiques par l'autorité politique porte atteinte à
la liberté de l'information ? Sans doute, si l'exercice de cette
liberté est organisé dans un cadre restrictif, et en particulier
si l'équilibre recherché entre les divers intérêts
en cause offre une marge insuffisante à l'investigation journalistique,
si nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.
En tout état de cause, on ne saurait écarter d'emblée
comme naturellement illégitime l'élaboration par
l'autorité politique de normes déontologiques. C'est au pouvoir
politique qu'il appartient, en dernier ressort, d'assurer l'équilibre
des intérêts également dignes de respect que met en jeu la
liberté de l'information. Au demeurant, le législateur a
déjà abordé les rivages de la déontologie : la loi
du 7 avril 1974 consacrant l'éclatement de l'ORTF, et les cahiers des
charges des chaînes pris en application, définissaient de
façon détaillée la notion d'objectivité. Le
contrôle de la déontologie de l'information a été
confié ensuite par la loi du 29 juillet 1982 à la Haute
autorité de la communication audiovisuelle, autre forme d'expression de
la puissance publique, la notion d'objectivité étant
abandonnée au profit de celle de pluralisme et d'équilibre de
l'information.
Mais il ne suffit pas d'affirmer l'intérêt légitime de
l'autorité politique pour la déontologie de l'information, pour
que son intervention éventuelle dans cette matière donne
nécessairement lieu à oeuvre utile. Nous abordons ici la
troisième critique que M. Albert Du Roy adressait à l'idée
d'une déontologie élaborée en dehors de la
profession : le défaut prévisible d'efficacité.
Il paraît excessif de réduire d'emblée un éventuel
code de déontologie de l'information à un énoncé de
généralités excessives.
Le CSA, dont on a vu le rôle limité en matière
d'éthique de l'information, et plus affirmé en ce qui concerne
les autres programmes, a tiré une expérience de ces
compétences et a élaboré année après
année une doctrine précise de l'éthique dont le
législateur pourrait tirer largement parti s'il souhaitait intervenir
lui-même en la matière ou donner au CSA mission de s'y impliquer
de façon plus directive.
La matière nécessaire à l'analyse des problèmes que
posent l'éthique de l'information et celle des programmes est
suffisamment vaste et précise, les rapports annuels du CSA en
présentent un condensé intéressant, pour déboucher
sur autre chose que d'inapplicables généralités.
C'est peut-être sur un autre plan que se situe la difficulté
pratique d'appliquer une déontologie définie en dehors de la
profession concernée. Il n'y a pas de normes sans sanctions. Et s'il est
facile de sanctionner par les voies du droit commun les manquements
professionnels constitutifs de fautes civiles ou pénales -mais un code
de déontologie est alors inutile- on n'imagine pas sans
difficulté le juge ou le CSA sanctionner les dérives, plus
fréquentes, énumérées plus haut par la confiscation
de la carte de presse de tel ou tel journaliste vedette.
3. L'impact de l'évolution technologique
La régression relative de la rareté des moyens de diffusion, la diversification des services numériques et le passage progressif d'une logique de diffusion à une logique de réception infléchissent-ils la problématique de la liberté et du pouvoir dans la communication audiovisuelle, modifient-ils les données de la question du pluralisme de façon significative ; le déséquilibre de l'échange entre diffuseurs et récepteurs est-il en voie d'être résorbé grâce à l'interactivité ? Il paraît un peu tôt pour en décider et modifier en conséquence les principes fondateurs de la loi de 1986. Au demeurant, le renouvellement de ces problèmes ne concernera dans un premier temps que des secteurs comme Internet, dans lesquels il serait possible d'expérimenter un reflux des réglementations et de faire une part accrue à l'autocontrôle des opérateurs. D'autres questions se poseront d'ailleurs : y a-t-il par exemple des conditions préalables à la libéralisation, le public doit-il disposer des moyens techniques ou autres permettant de contrôler effectivement la réception des contenus en fonction de critères éthiques ? Tout ceci devrait faire l'objet d'une étude autonome et ne peut être abordé que pour mémoire dans le cadre du présent rapport. On renverra donc, pour une première approche de la réglementation d'Internet, aux différentes études que le Sénat a déjà consacrées aux nouvelles technologies, et en particulier au récent rapport de la mission d'information sur l'entrée de la France dans la société de l'information 34( * ) .
4. Communication audiovisuelle et société
a) Première approche
L'influence de la communication audiovisuelle sur la
société est généralement invoquée pour
expliquer la spécificité de son régime juridique par
rapport aux autres domaines du droit de la communication.
Cet aspect des relations de la communication audiovisuelle et de la
société apparaît ainsi comme un phénomène
crucial et suscite des études solidement documentées ainsi que de
profondes réflexions dont il est difficile de tirer des conclusions
définitives, spécialement dans des dossiers sensibles comme la
violence dans les programmes de télévision et ses
conséquences pour le jeune public. La sagesse des nations, qui est aussi
parfois celle du législateur, enseigne qu'il vaut mieux prévenir
que guérir. Ceci justifie les efforts entrepris afin d'informer, sinon
d'endiguer. Gageons aussi, sur un plan plus général, que
l'influence sociale des médias audiovisuels continuera de justifier
l'attention des pouvoirs publics, quelle que soit son intensité et sa
portée réelle, aussi longtemps que l'explosion de l'offre de
services et que l'éparpillement de l'audience n'auront pas
justifié la révision radicale des fondements du droit de
l'audiovisuel.
Il paraît donc justifié d'aborder ici la dimension sociale de
l'audiovisuel d'un point de vue un peu différent, en commençant
par s'interroger sur ce qu'est la communication audiovisuelle, sur ce qu'elle
apporte, sur ce que la société attend d'elle, et de
présenter quelques premières pistes de réflexion à
cet égard.
Dans le sens le plus traditionnel, la communication est échange et
partage. Il peut s'agir d'un échange direct entre personnes, non
appareillé, sinon dépourvu de codes. Avec l'apparition des
médias, la technique a imprimé sa marque sur la communication,
celle-ci empruntant de plus en plus souvent le vecteur de l'écrit avant
de devenir massivement audiovisuelle. Dans le même temps, le
succès du modèle économique libéral fondé
sur la division du travail et sur l'échange faisait d'elle une fonction
centrale de nos sociétés marchandes, d'où l'expression
" communication fonctionnelle " utilisée par les chercheurs.
La " société globale de l'information " qu'annonce la
poursuite du progrès technique va accentuer le processus qui incline la
communication traditionnelle vers la " communication fonctionnelle ".
En effet, alors que le progrès technique accroît
incommensurablement l'efficacité d'une communication à la fois
instantanée et internationale, le progrès économique
dépend de plus en plus des moyens de communication et le secteur
même de la communication devient de plus en plus producteur direct de
richesse et d'emploi, comme on a vu ci-dessus.
Mais que devient dans ce contexte la pratique de l'échange et du
partage, si indispensable à l'équilibre vital de
démocraties qui exigent le perfectionnement constant de la
convivialité entre les membres de la Cité ? En d'autres termes,
quelle est l'influence du mode de communication dominant, l'audiovisuel, sur
l'évolution de la communication comprise comme échange et partage
humain ? C'est la question centrale que semble poser une notion vers
laquelle tout converge, dans des sociétés fondées à
tous égards sur l'échange et où le " deux en
un " socratique, cette forme de retour sur soi qui permet à chacun
de forger lentement sa personnalité et de construire les conditions d'un
échange authentique avec autrui, paraît battu en brèche par
l'impérialisme des techniques.
Il est possible de formuler trois remarques à cet égard :
- L'appareillage technique exerce sur le sens de la communication une influence
considérable. En permettant la représentation instantanée
d'un flot d'informations, les médias modernes tendent à supprimer
le recul nécessaire à l'assimilation, à prévenir
l'approfondissement spéculatif, à effacer la mise en perspective.
L'homme subit en quelque sorte la dynamique de l'outil. Celui-ci filtre autant
qu'il rapproche. A ce compte, la communication authentique ne peut être
gagnante. D'où sans doute, par contre coup, l'ambition, affichée
par les grandes chaînes de télévision avec plus de
constance que de succès, de " donner du sens ", ambition
à laquelle la civilisation du livre répondait manifestement
mieux. D'où aussi l'idée rémanente d'enseigner aux enfants
à " lire " le message audiovisuel.
- Cette faiblesse de la communication audiovisuelle au regard de l'idéal
de communication est accentuée le fait que les messages sont
généralement transmis de " point à
multipoints " : la communication-diffusion interdit tout
échange authentique entre les diffuseurs et les récepteurs, on y
a fait allusion ci-dessus.
- La communication audiovisuelle, qui pourrait dans l'avenir être
" totale ", c'est à dire mondiale, interactive et
instantanée, selon les promesses de la société de
l'information, tend à effacer la " distance "
nécessaire à la réception " amicale " des
messages transmis. En effet, la communication " totale " peut
éloigner les hommes les uns des autres plus que les rapprocher, en
favorisant non pas la compréhension mutuelle mais la confrontation
brutale des modes de vie, des cultures, des aspirations, engendrant la
méfiance, parfois la crainte.
Les techniques de la communication et la " communication
fonctionnelle " ne sont pas sans apporter de réponses à ces
interrogations. Elles promettent, avec la société de
l'information, un surcroît de prospérité pour tous, un
meilleur accès des exclus à l'information et au savoir, une
meilleure répartition des activités économiques dans
l'espace, une société moins hiérarchique et plus efficace,
une démocratie plus vivante.
La société de l'information se présente-t-elle alors comme
une réponse à l'ensemble des problèmes de la
communication ? Convient-il de s'en remettre au primat de la technique
conquérante ? Si l'on tient en outre que le progrès
technologique constitue l'un des principaux moteurs de nos
sociétés, est-il légitime de prendre acte de la
genèse technologique du monde de demain et de satisfaire sans plus
s'interroger aux exigences de la communication fonctionnelle ?
On sent ce que cette démarche, qui donnerait un regain inattendu au
mythe prométhéen de la solution technologique, peut avoir
d'insuffisant. Les apports de la société de l'information ne
résulteront pas de la seule dynamique des nouvelles techniques. Une
volonté forte restera nécessaire pour introduire ou
réintroduire dans la communication audiovisuelle un surplus de
communication authentique. Il restera nécessaire de définir les
usages de la technologie en fonction de ce que la culture nous apprend de
l'homme, de ses aspirations, de ses besoins.
Ceci implique le tri des informations, l'évaluation des analyses,
l'appréciation des possibilités et des risques, la prise en
compte des contraintes, la permanence du dilemme, le choix d'une
démarche politique, qu'il appartient au politique d'assumer.
Engageons modestement cette démarche en évoquant sommairement
deux aspects particulièrement intéressants des relations de la
communication audiovisuelle et de la société.
b) Communication et lien social
L'analyse de la communication audiovisuelle en tant que lien
social
repose sur quelques constats solides à défaut d'être
originaux. Il est ainsi admis que, depuis deux siècles, les
sociétés modernes valorisent l'individu par rapport au groupe et
que la perte progressive de substance des structures intermédiaires
entre la société et l'individu renforce l'isolement de ce
dernier. Par ailleurs, la communication entre les strates sociales passe pour
être faible dans notre société individualiste,
caractéristique qu'accentuent les phénomènes d'exclusion
que provoque la crise économique. Ajoutons que la modernisation sociale
suscite une esquisse de métissage culturel qui désoriente
certains secteurs de la société. Le " vouloir vivre
commun ", ciment traditionnel de la société
française, paraît en fin de compte affecté. L'instituteur
de la troisième République, figure emblématique de la
marche à l'unité, est bien mort, et les efforts du feuilleton de
France 2 pour relancer le mythe sur de nouvelles bases ne font que mettre en
lumière la différence des temps.
Mais " l'Instit " de France 2 n'est-il pas en réalité
autre chose qu'une réanimation aléatoire : une manifestation
du véritable créateur de lien social qu'est à l'heure
actuelle la télévision elle-même ?
Le rôle social de la télévision est ainsi analysé
par Dominique Wolton :
" la télévision est
actuellement l'un des principaux liens sociaux de la société
individuelle de masse. Elle est d'ailleurs également une figure de ce
lien social. (...) Naturellement, il ne s'agit pas d'affirmer que la
télévision " fait " le lien social - ce serait tomber
dans un déterminisme technologique que je condamne par ailleurs -, mais
plutôt que, dans une période de profondes ruptures sociales et
culturelles, elle reste l'un des liens sociaux de la
modernité. "
35(
*
)
En deux phases tout est dit du rôle et des limites de la
télévision dans une société qui paraît se
déliter un peu. Précisons cependant qu'il ne s'agit pas de
n'importe quelle télévision. Seule la télévision
généraliste joue le rôle de rempart du " vouloir vivre
commun ", et si l'explosion des services thématiques conduisait un
jour à la ranger au placard des bonnes vieilles choses que l'on tient
à conserver sans trop les consulter, c'est le sens de la communication
audiovisuelle qui serait affecté. Reprenons Dominique Wolton :
" et si je voulais être polémique, je dirais qu'il existe
une parfaite compatibilité entre une société
organisée sur le modèle du " politiquement correct ",
où cohabitent sagement, démocratiquement et
représentativement toutes les communautés, dans
l'indifférence générale mutuelle, et une
société reposant sur une théorie des médias
fragmentés, où chaque individu et chaque communauté
disposerait de ses médias, pour s'y enfermer
douillettement. "
36(
*
)
Mais qu'est-ce qui explique la vertu unificatrice de la
télévision généraliste ? Ici encore, on ne
saurait mieux faire que citer notre théoricien de la
télévision-lien social :
" Seule la
télévision généraliste est apte à offrir
à la fois cette égalité d'accès, fondement du
modèle démocratique, et cette palette de programmes qui peut
refléter l'hétérogénéité sociale et
culturelle. La grille des programmes permet de retrouver les
éléments indispensables à l'" être
ensemble ". Elle constitue une école de tolérance au sens
où chacun est obligé de reconnaître que les programmes
qu'il n'aime pas ont autant de légitimité que ceux qu'il aime, du
seul fait que les uns cohabitent avec les autres. La force de la
télévision généraliste est là : mettre
sur pied d'égalité tous les programmes, et ne pas dire a priori
ceux qui sont destinés à tel ou tel public. Elle oblige chacun
à reconnaître l'existence de l'autre, processus indispensable dans
les sociétés contemporaines confrontées aux
multiculturalismes (...), ce qui justifie le rôle de la
télévision généraliste : offrir une large
palette de programmes pour satisfaire le plus grand nombre possible de publics,
et laisser la place à des " publics inattendus ". C'est en
cela que la télévision est moins un instrument de massification
de la culture qu'un moyen de relier les
hétérogénéités sociales et culturelles. Et
en reflétant celles-ci à travers ses programmes, elle en
légitime les différentes composantes en leur donnant la
possibilité d'une cohabitation, voire d'une
intégration. "
37(
*
)
Convenons-en ; et ajoutons immédiatement que cet instrument ne peut
être neutre. Si la télévision est la figure moderne de
l'espace public de la cité grecque, c'est-à-dire le lieu
où se retrouvent les citoyens afin de débattre des affaires
communes, lieu authentiquement politique par conséquent, il n'est pas
inintéressant d'identifier la nature du lien social que les
médias tendent entre les hommes, les valeurs qu'ils font passer, les
conceptions de la modernité qu'il privilégient. Car le rôle
de la télévision n'est pas simplement de porter à
connaissance, de mettre en contact les différents systèmes
culturels et de valeurs, il est en outre, si l'influence sociale des
médias est aussi efficace qu'on le croit, d'éduquer ou
d'intoxiquer. Et l'on revient ici à la notion de contrôle des
contenus sur laquelle repose une bonne part de notre législation de la
communication audiovisuelle
On ne terminera pas cette rubrique sans réhabiliter certains aspects de
la communication audiovisuelle thématique. Les services
thématiques et interactifs peuvent, doivent, avoir un rôle social
positif. On pense en particulier aux services éducatifs qui peuvent
favoriser l'accès au savoir de catégories
défavorisées. Le potentiel et le bon usage éducatif de la
télévision ont fait l'objet d'une étude approfondie de la
part d'une mission d'information du Sénat présidée par
Pierre Laffitte en 1993. On renvoie à ses conclusions qui restent
pertinentes encore qu'incomplètement mises en oeuvre
38(
*
)
.
c) Communication audiovisuelle et pluralité
Cet
aspect du rôle social de la communication complète le
précédent, mais le point de départ est différent.
On n'insiste pas ici sur la dissolution rampante du lien social, mais sur le
reflux apparent de la pluralité dans des sociétés
confrontées à la globalisation des échanges, à la
mondialisation de la culture de masse, aux flux migratoires. La communication
audiovisuelle donne à ces phénomènes une visibilité
qui en accentue l'importance réelle et l'impact sur tel ou tel
groupe : Raymond Cartier écrirait peut-être que le
Zambèze se répand dans la Corrèze. De fait, la
pluralité des modes de vie, des cultures, des sociétés
paraît menacée quand la communication technique réduit de
façon excessive la distance nécessaire à l'échange,
et détruit ainsi la communication authentique.
C'est que la communication n'est pas fusion mais effort de contact et de
compréhension entre les hommes. Si une communication livrée
à la seule logique du progrès technique met les hommes en contact
brutal, arasant les identités et détruisant la pluralité,
les identités se rebellent, et à juste titre car la
pluralité est un caractère fondateur de notre civilisation.
C'est au fond ce que nous apprend l'épisode biblique de la tour de
Babel. L'homme est voué à la communication
médiatisée par des codes, à l'entrée en contact
laborieuse et imparfaite, à la pluralité des langues et des
cultures. Le rêve d'unité, de " communication totale ",
est porteur de catastrophes.
5. Communication et culture
Pas plus que précédemment, il n'est question ici de dresser un panorama complet. On s'efforcera simplement de réunir quelques éléments de débat sur deux aspects des relations de la communication audiovisuelle et de la culture qui sollicitent particulièrement l'attention des pouvoirs publics.
a) Mission culturelle de la communication audiovisuelle
On
partira du triptyque qui résume traditionnellement les mission de la
télévision publique française " informer,
éduquer, distraire ", missions dont le secteur privé n'a pas
été d'emblée exempté. Comme Jean-Louis Missika le
rappelle en effet dans son rapport sur les missions de la
télévision publique, la CNCL avait défini en 1987 dans les
termes suivants les règles générales de programmation des
chaînes privées : permettre
" aux
téléspectateurs, notamment de se distraire, de s'informer, de
s'éduquer. "
C'est l'" éduquer " qui nous intéresse ici. Le mot
couvre bien entendu la notion de " culture pour tous ", mais avec une
connotation délibérément volontariste qui continue de
marquer la conception la plus répandue des rapports de la culture et de
la communication audiovisuelle. Un second type d'approche peut être
envisagé.
L'approche volontariste
considère que la télévision
est un instrument de diffusion culturelle au sens traditionnel, élitiste
et académique du terme : musique classique, art lyrique,
théâtre, littérature, histoire de l'art... Le grand public,
plus naturellement porté vers d'autres formes de culture, étant
rétif, comme les taux d'audience des émissions culturelles n'ont
jamais cessé d'en témoigner, il convient de lui fournir
(imposer ?) la culture en quantité aux heures de grande
écoute : il en restera toujours quelque chose. Tel est,
brossé à grands traits, le point de vue à partir duquel on
évalue le plus souvent l'accomplissement par la télévision
de sa mission culturelle. Cette démarche fait largement appel à
la statistique. Des indicateurs sont élaborés, tels que le label
DISC apparu en 1989 pour évaluer l'application des contrats d'objectifs
prévoyant que les émissions à contenu culturel,
scientifique, éducatif et d'information des chaînes publiques ne
descendraient pas au-dessous de 40 % du volume horaire global
diffusé. Des études sont menées, qui font le point
quantitatif sur l'exposition des émissions culturelles dans les
programmes de télévision, et présentent des conclusions
très mitigées. Celles-ci mettent en lumière un certain
nombre de moyens utilisés par les chaînes
généraliste pour contourner leurs obligations, la diffusion
nocturne en particulier, cette pratique ne favorisant sans doute pas
l'augmentation des taux d'audience, en dépit de ce que les responsables
des chaînes suggèrent parfois. C'est ainsi que M. Jean-Pierre
Elkabbach, alors président de France Télévision,
auditionné par la commission des Affaires culturelles du Sénat le
6 décembre 1995, notait en substance :
" le secteur
public diffuse le plus fort pourcentage d'émissions culturelles.
Cependant il n'est pas possible de diffuser des émissions musicales
avant la fin de soirée. Du reste, on constate que ce type
d'émissions obtient de meilleurs résultats d'audience sur ces
créneaux horaires. "
Jean-Louis Missica décrivait ainsi, dans son rapport
précité
39(
*
)
, le
défaussement que suscitent immanquablement des obligations de
programmation culturelle mal acceptées :
" Les spectacles
vivants constituent de grands événements artistiques et culturels
et des éléments de patrimoine audiovisuel. C'est pourquoi les
chaînes publiques généralistes ont chacune l'obligation
d'en diffuser au moins 15 par an. Toutes deux se félicitent d'ailleurs
d'avoir régulièrement dépassé depuis plusieurs
années ce minimum requis. Est-ce à dire qu'elles promeuvent
particulièrement le genre ? C'est plutôt le contraire qui
apparaît quand on observe la stratégie de programmation
effectivement appliquée et non plus le simple respect du volume annuel
global imposé.
D'une part, l'heure de début de diffusion est très souvent
située au-delà de 22 h 30, voire de minuit. Ces
programmes étant souvent longs, leur audience n'en est que plus faible.
D'autre part, environ la moitié sont diffusés en
juillet-août, période où l'audience et donc les recettes
publicitaires baissent mécaniquement. Enfin, suivant l'adage, la
programmation en première partie de soirée est l'exception qui
confirme la règle. En d'autres termes, les chaînes n'assument ici
qu'un service public " minimum ". Sans pourtant aucun manquement
à la lettre de leurs missions, elles s'acquittent de leur mission
culturelle comme d'un pis-aller. C'est l'effet pervers des obligations en
matière de programmes. "
Cette analyse semble largement correspondre à la réalité
des choses.
La télévision généraliste répond donc mal
aux attentes de la démarche volontariste. C'est en partie dans la
logique de cette constatation désabusée que s'inscrit le
fonctionnement d'une chaîne culturelle telle qu'Arte, encore que celle-ci
paraisse à son tour happée par la logique de l'audience, comme le
constate Pierre Bourdieu sans aménité :
" ainsi la
chaîne culturelle, La Sept devenue Arte, est passée, très
rapidement, d'une politique d'ésotérisme intransigeant, voire
agressif, à un compromis plus ou moins honteux avec les exigences de
l'audimat qui conduit à cumuler les compromissions avec la
facilité en prime time et l'ésotérisme aux heures
avancées de la nuit. "
40(
*
)
Une récente étude du CSA sur le thème " Culture et
Télévision " porte un jugement différent :
" Arte accorde une place importante, tant aux différentes
expressions artistiques qu'aux émissions scientifiques. Elle programme
de nombreux documentaires sur des thèmes variés (recherche
médicale, progrès technique, histoire, musique, cinéma,
histoire de l'art), des spectacles, mais aussi des oeuvres
cinématographiques rarement proposées sur les autres
chaînes hertziennes.
Sa grille comporte de multiples spectacles vivants, souvent plus difficiles ou
plus ambitieux que ceux que proposent les autres chaînes, sous forme de
retransmissions ou de recréations spécifiques pour la
télévision. Elle est également, de très loin, la
chaîne qui offre le plus de documentaires musicaux avec un souci
d'éclectisme propre à susciter la curiosité.
Dans l'ensemble, les films diffusés sur Arte sont des films reconnus
" de qualité " et la programmation, de type
cinéphilique, propose des oeuvres de réalisateurs de tous pays,
dont beaucoup sont peu connus, voire inconnus, leurs films étant
restés confidentiels ou inédits en salle en France. La
chaîne propose également un grand nombre de courts
métrages. "
41(
*
)
Qu'en penser ? Les deux analyses sont loin d'être incompatibles. Si la
programmation d'Arte est profondément différente de celle des
chaînes généralistes avec lesquelles l'étude du CSA
établit un parallèle implicite, la ligne éditoriale de la
chaîne franco-allemande a profondément évolué en
fonction d'objectifs d'audience, et les films " de qualité "
diffusés sur Arte pourraient souvent aisément figurer dans la
grille de première partie de soirée de France 2 ou de France 3.
Au demeurant, la question de fond que peut poser Arte du point de vue de la
mission culturelle des chaînes publiques se situe sur un autre plan,
comme on va le voir.
On pourrait appeler
approche modeste
et réaliste la seconde
façon d'envisager les rapports de la culture et de la communication
audiovisuelle. Il ne s'agit plus de fournir en quantité des programmes
de qualité, mais de permettre la découverte, souvent fortuite, au
hasard du zapping, de créations culturelles vers lesquelles tel public
ne se dirige pas spontanément. Ceci revient à admettre la
légitimité d'un manque de goût pour l'opéra ou pour
la danse : on espère mettre en contact sans tenter d'imposer un
modèle culturel.
Dans cette optique, il est essentiel qu'une programmation variée,
" grand public ", attire vers la chaîne
considérée le maximum d'audience.
Seule une chaîne généraliste ouverte à tous les
publics peut remplir cette mission. Inversement, une chaîne
thématique à vocation culturelle telle qu'Arte exhale un fumet
d'élitisme qui provoque la fuite du public : les films les plus
" grand public " diffusés sur l'antenne d'Arte recueillent une
audience modeste.
Mais, objectera-t-on, les audiences obtenues en une soirée par une
pièce de théâtre, un film de ciné-club, un
opéra, aussi faibles soient-elles, sont largement supérieures
à celles que les représentations en salle permettent. C'est un
argument en faveur de la télévision thématique.
Il faut cependant tenir aussi compte du fait que le spectacle de la
télévision culturelle ne peut être considéré
comme une véritable pratique culturelle, s'agissant des formes
traditionnelles de la culture d'élite, auxquelles son langage est mal
adapté : il est loisible de considérer qu'un opéra
télévisé ou un ballet télévisé sont
de pauvres choses, au regard du spectacle " réel ".
Par conséquent, la télévision culturelle ne
peut-être qu'une introduction, une invite à sortir, rôle que
la télévision généraliste remplit plus efficacement
auprès du grand public. En outre, comme le remarque Dominique Wolton au
même propos :
" La sensibilisation par la
télévision ne supprime pas l'expérience. De ce point de
vue, la télévision généraliste est moins
pernicieuse, dans ses rapports avec la culture d'élite, que la
télévision culturelle, car elle admet d'emblée les limites
de son rôle. Modeste, elle accepte cette fonction de sensibilisation mais
ne prétend pas aller au fond des choses ".
42(
*
)
b) La pluralité culturelle
On a
mentionné ci-dessus le danger que représente pour la
communication-échange une communication technique réduisant
à l'excès la distance entre les hommes et donnant ainsi
l'impression d'écraser les identités ainsi que de réduire
la pluralité.
Délaissons maintenant le domaine impalpable des phénomènes
psychosociologiques pour envisager les aspects spécifiquement culturels
de la pluralité sous l'angle terre à terre de la mondialisation,
qui ne met en cause ni la Corrèze ni le Zambèze mais les
États-Unis et chaque Etat soucieux de préserver son
identité culturelle face au rouleau compresseur des contenus
hollywoodiens.
La communication audiovisuelle a longtemps joué à cet
égard un rôle ambivalent. Les chaînes nationales de
télévision fortement ancrées dans leur terreau et
sensibles au goût du public pour les productions indigènes,
apparaissent largement comme un facteur de préservation des
identités culturelles tout en abreuvant autant que faire se peut les
téléspectateurs de produits américains
appréciés et peu coûteux.
On évoquera plus loin les facteurs qui remettent en cause cet
équilibre et risquent de rendre plus difficile l'affirmation des
identités culturelles.
DEUXIÈME PARTIE
LE DROIT FRANÇAIS
EST-IL DÉSORMAIS
EN PORTE-À-FAUX ?
On envisagera celles-ci sous l'angle législatif, qui constitue le leitmotive de ce rapport d'information. La démarche implique de passer sous silence d'intéressantes illustrations des difficultés de la politique de l'audiovisuel, dont les traces législatives sont faibles ou nulles, telles que la filière de la haute définition. Le processus d'élaboration de la loi offre cependant assez de prise à la réflexion sur d'autres points pour que ces omissions soient sans conséquence. On se concentrera d'autre part sur le coeur même de la législation de la communication audiovisuelle : la loi du 30 septembre 1986, les texte qui l'ont préparée et ceux l'ont amendée. Ceci conduit à ne pas mentionner des textes importants tels que la loi de finances du 29 décembre 1983 et la loi du 11 juillet 1985 instituant le dispositif de soutien à l'industrie des programmes, ou la loi du 3 juillet 1985 précisant la situation de l'oeuvre audiovisuelle au regard du droit d'auteur.
A. LES ÉQUILIBRES ACTUELS DU DROIT DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE
Ils
résultent des dispositions de la loi du 30 septembre 1986
modifiée, qui, dans une synthèse sans cesse ajustée des
différents intérêts publics pris en compte par le
législateur, et tirant la leçon d'une dizaine d'années
d'expériences plus ou moins convergentes, a réalisé le
passage définitif d'un système de monopole sous tutelle de
l'exécutif, à un modèle pluraliste où coexistent un
secteur privé concurrentiel et un secteur public affranchi, tous deux
soumis à des règles de fonctionnement largement balisées
par la loi et les réglements.
Esquissons une présentation schématique des aspects actuels de
cette synthèse législative.
1. Une élaboration graduelle
La loi
du 30 septembre 1986 apparaît comme un point d'ancrage durable de notre
droit de la communication audiovisuelle dans la mesure où,
succédant à une cascade de textes éphémères,
elle offre toujours, remaniée à plusieurs reprises, son armature
juridique à ce secteur.
Rappelons brièvement le processus législatif qui a
précédé cet aboutissement.
Il est intéressant de partir de la loi du 3 juillet 1972 modifiant
la statut de l'ORTF, créant deux chaînes distinctes autonomes et
prévoyant la possibilité de déroger au monopole pour la
diffusion des programmes à des publics déterminés. On
trouve ici les prémices de l'évolution des dix années
suivantes.
En effet, la loi du 7 août 1974 a ensuite remplacé l'ORTF par
sept organismes différents (TF1, A2, FR3, l'INA, TDF, la SFP, Radio
France). De nouveaux organismes ont été créés
ultérieurement selon des modalités diverses : la loi pour
RFO et RFI en 1982 et 1986, ainsi que La Cinquième en 1994, la voie
contractuelle pour La Sept, en 1985, à l'initiative de l'Etat et de
plusieurs organismes du secteur public. Cet éclatement de l'audiovisuel
public demeure, à peine atténué par la création
législative d'une présidence commune de A2 et de FR3 en 1986; et
par la nomination d'un président commun pour La Cinquième et La
Sept en 1997.
Le démantèlement du monopole, autre évolution en germe
dans la loi de 1972, a été effectué par la loi du
9 novembre 1981 en faveur des radios locales non commerciales.
Mais la première étape importante pour le passage d'une logique
de monopole à une logique pluraliste, a été la loi du
29 juillet 1982 qui a fait disparaître le monopole de l'Etat sur la
radiodiffusion (au profit des radios locales non commerciales, à ce
stade), a permis la fourniture d'un service de télévision par un
opérateur privé sous le régime de la concession, a
institué une Haute Autorité de la communication audiovisuelle
veillant au pluralisme du service public et désignant ses dirigeants.
La loi du 30 septembre 1986 a abrogé l'essentiel de la loi du
29 juillet 1982 sans véritablement rompre avec sa logique. On
évoquera ci-dessous ses orientations essentielles dans son état
actuel. Notons simplement ici que, dans sa première rédaction,
elle a étendu les compétences de l'organe de régulation,
devenu CNCL, à l'ensemble du secteur privé de la communication
audiovisuelle, qu'elle a confié à cet organe la planification des
fréquences, jusque-là assurée par TDF, et qu'elle a
organisé en fonction de l'objectif de pluralisme l'accès aux
fréquences des organismes privés, achevant ainsi le
démantèlement de la culture monopolistique qui avait longtemps
prévalu dans la communication audiovisuelle. En ce sens, la
privatisation de TF1, opérée aussi par la loi de 1986, peut
apparaître autant comme un aboutissement que comme une rupture grosse de
conséquences pour le positionnement du secteur public.
Les textes adoptés ultérieurement en procédant par voie
d'amendement à la loi de 1986, ont apporté des compléments
importants à celle-ci sans remettre en cause son architecture ni ses
grandes orientations.
La loi du 12 janvier 1989 a remplacé la CNCL par le CSA tout en
étendant les pouvoirs de l'autorité de régulation :
possibilité de lancer des appels aux candidatures pour l'utilisation des
fréquences par catégories de services, formalisation de la
procédure contractuelle permettant de définir les engagements des
diffuseurs en matière de contenu des programmes, diversification des
sanctions, contrôle du respect des obligations de Canal Plus.
Parallèlement cependant, le CSA perdait l'essentiel du pouvoir
réglementaire reconnu à la CNCL.
La loi du 29 décembre 1990 relative à l'organisation et
à la réglementation des télécommunications a
retiré au CSA la régulation des télécommunications,
que la loi de 1986 avait prévu de lui confier (la définition de
ses compétences à l'égard des réseaux de
télécommunications ouverts était cependant restée
en suspens). Ceci a confirmé la constitution d'un bloc juridique de la
communication audiovisuelle qu'appelait implicitement la définition de
liberté de la communication audiovisuelle donnée à
l'article 1er de la loi de 1986 et la différenciation entre
télécommunications et communication audiovisuelle
énoncée à l'article 2 du même texte.
La loi du 18 janvier 1992 a assoupli le régime des quotas de
diffusion d'oeuvres françaises et européennes institué en
1989.
La loi du 13 juillet 1992 a aménagé le régime du
câble afin d'encourager le câblage des immeubles collectifs et
d'assouplir le régime des " antennes collectives ".
Enfin, la loi du 1er février 1994 a créé la chaîne
d'accès au savoir, à la formation et à l'emploi, a
complété les pouvoirs de sanction du CSA sur les organismes
publics, a élargi les possibilités de cumul d'autorisations
d'utilisation des fréquences radiophoniques, a permis de porter à
49 % le plafond de détention du capital d'une chaîne de
télévision par un même actionnaire, et a
précisé les conditions de renouvellement des autorisations
d'utiliser les fréquences de radio et de télévision en
accordant aux opérateurs, à certaines conditions, un droit au
renouvellement.
Si toutes ces modifications de la loi du 30 septembre 1986 sont significatives
à des degrés divers, aucune n'a remis en cause son architecture.
Tentons maintenant d'identifier les principales tendances du corpus juridique
graduellement élaboré par le législateur.
2. Deux tendances
a) La gestion du pluralisme
Comme il a été indiqué plus haut, le mouvement de la période 1974-1994 et les tâtonnements qui ont marqué celle-ci, ont procédé de la nécessité et de la volonté de passer d'une organisation monopolistique de la communication audiovisuelle à une phase de pluralisme. Dans son état actuel, la loi de 1986 peut être considérée au premier chef comme un mode de gestion du pluralisme adapté à l'histoire et aux besoins du secteur français de la communication audiovisuelle. Voyons-en les traits principaux.
(1) La liberté de la communication audiovisuelle
C'est le
coeur du système. Elle a été définie pour la
première fois par la loi de 1986 dans une formulation inchangée
depuis, qui proclame le principe et énonce ses limites.
Les développements de la première partie de ce rapport
présentent à ce sujet des analyses sur lesquelles il ne
paraît pas utile de revenir.
(2) Le retrait relatif de l'Etat
C'est la
condition de la liberté. Le législateur en a progressivement
défini les modalités, non sans repentirs, comme le montre le
retrait du pouvoir réglementaire à l'autorité de
régulation en 1989, mais sans jamais porter atteinte au principe
même, comme le montre le renforcement permanent des pouvoirs
d'autorisation, de sanction, de contractualiser les obligations des diffuseurs
privés accordés à l'autorité de régulation.
L'exercice de la forte dose de dirigisme qui continue de marquer le
régime juridique de la communication audiovisuelle a ainsi
été largement délégué à une
autorité indépendante du pouvoir politique : le retrait de
l'Etat correspond plus à l'objectif de libéralisme politique
qu'à la notion de libéralisme économique. Ceci s'explique
pour l'essentiel, comme on l'a déjà noté à
plusieurs reprises, par la volonté de tenir compte de l'influence
sociale des médias audiovisuels, et par le rôle éminent des
préoccupations d'ordre culturel-économique dans nos politiques de
la communication audiovisuelle.
Un des aspects les plus symboliques du retrait " politique " de
l'Etat est l'octroi à l'autorité de régulation, dès
1982, de la charge de veiller au pluralisme sur les antennes du service public
et de désigner les dirigeants des organismes. Le législateur
n'est jamais revenu sur cette mesure qui introduit dans la gestion du secteur
public des contradictions sur lesquelles on aura l'occasion de
revenir.
(3) Le pluralisme du secteur privé.
Il
s'agit de la seconde conséquence de la reconnaissance de la
liberté de la communication audiovisuelle, c'est aussi la dose
incompressible de libéralisme économique que cette liberté
implique.
La rareté des moyens de diffusion a imposé l'encadrement de
l'accès à ceux-ci des candidats opérateurs. Le
système des appels à candidature pour la délivrance des
autorisations d'utiliser les fréquences hertziennes, substitué en
1986 au régime de la concession et précisé depuis à
plusieurs reprises, assure la transparence de l'attribution des
fréquences et permet au CSA d'assurer le pluralisme des
opérateurs, encore que le secteur de la radio ait vu se
développer des pratiques de transfert occulte entre opérateurs,
auxquelles l'autorité de régulation a récemment
tenté de mettre fin.
Le dispositif anti-concentration mis en place par la loi du 27 novembre
1986 à la demande du Conseil constitutionnel constitue l'autre garantie
majeure du pluralisme du secteur privé. On a vu que la loi du 1er
février 1994 avait assoupli ce dispositif sur deux points. L'objectif
était de mieux conjuguer, compte tenu de l'expérience acquise,
ces deux piliers de l'économie libérale que sont la
liberté d'entreprendre et le droit de la concurrence. L'équilibre
atteint de la sorte reste discuté.
(4) Le dynamisme du secteur public
Constatons simplement à ce stade que l'existence d'un secteur public fort et dynamique est un trait majeur du paysage audiovisuel français, comme d'ailleurs européen. La loi de 1986 lui consacre l'un de ses huit titres. De fait, le secteur public de l'audiovisuel a constamment gagné, comme on l'a vu, en étendue, sinon peut-être en cohérence. Sa situation ne paraît pas entièrement stabilisée, et les questions que le législateur pourrait être amené à poser dans le cadre d'une nouvelle réforme de la législation de la communication audiovisuelle seront rapidement énumérées ci-dessous, avant de faire l'objet de plus amples développements dans la troisième partie de ce rapport.
(5) L'éthique des contenus
C'est une dimension essentielle de notre droit de la communication audiovisuelle, dont on a déjà évoqué les aspects principaux. On peut la considérer comme un aspect du pluralisme, dans la logique exposée ci-dessus d'une communication comprise comme échange et partage entre tous les acteurs du système.
b) La promotion de l'industrie des programmes
Il
s'agit de la seconde dimension essentielle du droit français de la
communication audiovisuelle. Le titre V de la loi de 1986 est
consacré au développement de la création
cinématographique. Le reste du texte de la loi, les conventions
passées entre le CSA et les diffuseurs, les cahiers des charges des
chaînes publiques et une réglementation détaillée
organisent par ailleurs la promotion de l'industrie française des
programmes. Les objectifs sont d'ordre culturel et économique :
assurer la présence sur les antennes de produits représentatifs
de notre culture, de nos centres d'intérêts, de nos modes de vie,
en favorisant l'émergence d'une industrie nationale suffisamment
puissante pour contrer les avantages relatifs de l'industrie hollywoodienne.
Ce dispositif juridique n'a pas été mis en place sans
tâtonnements comme en témoigne la modification par la loi du
18 janvier 1992 des obligations de diffusion aux heures de grande
écoute créées en 1989. Son bilan apparaît favorable,
les critiques des diffuseurs à l'égard de la contrainte
économique qui leur était imposée se sont d'ailleurs
estompées, constatation faite du succès de la production
française, au moins audiovisuelle, auprès du public.
Mais, comme on le verra, le débat sur la pérennité des
quotas se situe désormais sur un autre terrain, celui de la concurrence
internationale entre les services de télévision. En
définitive, si la défense de l'industrie française des
programmes reste un objectif majeur ; l'avenir de ses instruments
juridiques apparaît à l'heure actuelle assez flou.
B. DES DÉCISIONS EN ATTENTE
Le
panorama sommaire qui précède aura permis d'entr'apercevoir un
partage entre les matières dont le régime juridique semble
stabilisé, celles dont les évolutions économiques et
techniques en cours peuvent imposer la révision, celles qui ne semblent
pas avoir encore atteint leur équilibre et restent très ouvertes
au débat politique. L'évolution de ces deux dernières
catégories imprimera au droit de la communication audiovisuelle son
équilibre futur.
Avant de décrire les données de fait qui semblent plaider en
faveur de la rupture ou de la continuité de cet équilibre,
évoquons les difficultés traditionnelles de l'activité
législative dans l'audiovisuel : il est peu probable qu'elles
soient à l'avenir sans incidence sur le travail du
législateur.
1. La difficulté de légiférer
a) Multiples critères
La multiplicité des points de vue susceptibles d'inspirer les arbitrages du pouvoir politique, arbitrages dont l'intense réglementation du secteur multiplie les occasions, l'incertitude des analyses économiques et de la prospective technique rendent singulièrement méritoire la continuité que nous avons décelée dans l'évolution législative des vingt dernières années, et expliquent une bonne part des soubresauts et des tâtonnements qui peuvent dissimuler cette tendance profonde.
(1) Le point de vue pragmatique
Toujours
présent dans la réflexion du législateur soucieux de
répondre aux besoins effectifs, ce point de vue est abondamment nourri
par les opérateurs. Ceux-ci, tout en critiquant le dirigisme de l'Etat,
assurent une " veille réglementaire " qui concourt à
l'information du législateur et à l'élaboration de la
législation. La demande de droit qu'ils expriment, toujours forte,
souvent très étayée, nécessairement contradictoire,
met pleinement en évidence les limites du point de vue
pragmatique : relativité des arguments, incertitude des analyses et
des informations économiques disponibles, difficulté des choix,
et, en conséquence, complexité croissante de la
législation et de la réglementation.
Essayons de montrer comment le pragmatisme se transforme en un exercice
d'analyse multicritères débouchant bien souvent sur un processus
cumulatif de réglementation.
L'autorité des arguments techniques souffre des déconvenues du
passé, on pense à la télévision à haute
définition et au câblage en fibre optique. En ce qui concerne les
démonstrations économiques, la contradiction règne le plus
souvent. Les piliers naturels du pragmatisme sont ainsi
généralement peu déterminants en tant que critères
de choix.
Pour convaincre l'autorité politique de la justesse de ses positions,
chacun prend alors de la hauteur en appuyant ses arguments techniques et
économiques sur les objectifs d'intérêt
général qui inspirent traditionnellement le
législateur : le primat d'une information pluraliste et de
qualité, l'animation de la vie locale, la nécessité
d'appuyer l'industrie française des programmes, celle de favoriser face
aux opérateurs étrangers la constitution de groupes puissants,
l'égalité des conditions de concurrence, l'opportunité de
favoriser la diversité des courants culturels, les besoins du service
public...
En outre, une vive conscience de la difficulté de remettre brusquement
en cause des situations acquises et une réflexion plutôt
orientée vers le court terme amènent les acteurs de la
communication audiovisuelle à formuler leurs objectifs sous la forme de
prescriptions destinées à se surajouter au corpus juridique
existant ou sous la forme de mesures destinées à y déroger.
Il est possible d'illustrer cette situation, qui n'est sans doute pas propre au
droit de l'audiovisuel mais dont les effets y sont d'autant plus sensibles que
les intérêts en cause sont nombreux et sensibles, avec l'exemple
assez éclairant du régime juridique des décrochages locaux
de services nationaux de télévision, qui suscité un
débat lors de l'examen, au cours de l'année 1997, d'un projet de
loi modifiant la loi de 1986 (rappelons que la dissolution de
l'Assemblée nationale a interrompu la discussion de ce texte).
LE
DIRIGISME COMME PROCESSUS CUMULATIF
L'EXEMPLE DU REGIME JURIDIQUE DES DECROCHAGES LOCAUX
DE SERVICES NATIONAUX
DE TELEVISION
Ce
dossier, parfois trop schématiquement présenté comme
l'affrontement de deux grands distributeurs d'eau impliqués dans la
communication audiovisuelle, mettait aussi en cause d'autres
intérêts : l'avenir de la presse quotidienne
régionale, d'abord, dans la mesure où le développement des
décrochages implique un financement par la publicité locale,
actuellement réservée dans une large mesure à la
presse ; l'avenir du secteur public ensuite, dans la mesure où les
succès d'audience de France 3 et, par voie de conséquence,
le niveau de ses recettes publicitaires s'appuient sur le succès des
programmes locaux d'information.
Les intérêt public sous-jacents à ces différents
points de vue ne pouvaient que susciter l'intérêt du politique
pour ce débat. Animation de la vie locale, information de
proximité, pluralisme de l'information locale : tous ces
thèmes inséparables de l'idée d'une démocratie
locale vivante étaient en effet au coeur du débat.
Les argumentaires des intéressés ont bien entendu fait largement
appel à ces notions : les télévisions locales de
plein exercice sont le véritable moyen d'animer la vie locale
grâce à l'emploi de rédactions locales
substantielles ; les décrochages des services nationaux sont une
façon souple, attractive et peu consommatrice de recettes publicitaires,
de renforcer le pluralisme de l'information locale ; les transferts de
recettes publicitaires auraient, en cas de déréglementation de la
publicité locale, des conséquences destructrices pour une presse
régionale et locale dont le lectorat stagne et qui dépend assez
largement de ce mode de financement pour sa modernisation ; la
télévision locale ne répond pas véritablement
à l'objectif d'animation de la vie locale, dans la mesure où elle
ne toucherait que les principales agglomérations ; la presse locale
et régionale, qui entretient un réseau de correspondants couvrant
l'ensemble d'un terroir, est le seul véritable média de
proximité...
La question de la répartition de la manne publicitaire entre les acteurs
potentiels de la communication locale était au centre du débat,
sans qu'il soit possible d'évaluer de façon précise
l'ampleur des transferts qu'aurait provoqué un changement de
législation.
Ajoutons que cette équation à multiples inconnues ayant surgi au
cours du débat parlementaire sans que le Gouvernement ait
mobilisé ses moyens d'expertise et fait valoir un point de vue
étayé, le dossier soumis au Parlement était surtout
charpenté par les arguments des intéressés.
En dépit de ces complexités, la question posée,
parfaitement pertinente, méritait une réponse : il n'y a
bien entendu pas de déni de législation comme il existe un
déni de justice, mais quand l'autorité politique prend aussi
largement en charge les équilibres d'un secteur que c'est le cas dans la
communication audiovisuelle, il est logique qu'elle se tienne à
l'écoute des intéressés. En l'occurrence, un arbitrage
raisonnable entre les intérêts légitimes en présence
ne pouvait que prendre la forme d'une exception à l'interdiction qui
assortissait l'autorisation introduite en la matière par la loi du
1er février 1994. Rappelons que l'article 7 de ce texte,
modifiant l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, avait
donné un cadre juridique aux décrochages locaux des services
nationaux de télévision, diffusés jusqu'alors à
titre expérimental par M6 avec l'accord du CSA. Il était
prévu que ces décrochages ne comporteraient pas de messages
publicitaires. Cette prohibition avait été introduite par
l'Assemblée nationale afin de ne pas déstabiliser les
télévisions locales existantes et la presse régionale. Les
arguments plaidant désormais en faveur de l'élargissement des
possibilités de décrochement des services nationaux ne retiraient
pas leur justification à ces objectifs. Ainsi ne pouvait-il être
envisagé d'autoriser de façon pure et simple la diffusion de
messages publicitaires dans les décrochages. Des dispositions
prévenant l'apparition de graves perturbations sur les marchés
publicitaires locaux devaient être imaginées, ce qui impliquait
l'adoption d'un texte complexe introduisant un degré
supplémentaire de dirigisme étatique dans une matière
déjà surabondamment réglementée. De fait, plusieurs
solutions de ce type ont été évoquées lors de la
première lecture du projet de loi.
On comprend pourquoi le droit de l'audiovisuel n'évoque que de
très loin les élégances à la Portalis !
André Suarès écrivait dans Voyage du Condottiere
43(
*
)
: "
mais d'abord, la langue du droit est
belle, quand elle est pure
", faisant apparemment dépendre, par
analogie avec Stendhal, cette qualité de style de l'art de tailler dans
le vif : "
son style est d'acier, de la pointe la plus
acérée et la plus fine
". Il y a une évidente
corrélation entre la dégradation souvent constatée de la
langue juridique et la difficulté de trancher entre les
intérêts et les arguments. Le législateur, constatant les
limites du pragmatisme, peut-il s'en remettre alors à une
démarche plus théorique ?
(2) Les synthèses théoriques
Un
aperçu rapide des principaux points de vue théoriques sur la
communication audiovisuelle permettra de constater que ces axes d'approche,
plus complémentaires qu'exclusifs, ne fournissent pas au politique le
" critère de synthèse " qui lui permettrait de trancher
aisément les dilemmes de la communication audiovisuelle.
- L'efficacité économique et l'autonomie des acteurs
Nous avons vu que de 1974 à 1994 le législateur avait parcouru de
façon assez linéaire le chemin qui va du monopole étatique
à la reconnaissance de l'initiative privée. Cette
démarche, cependant, ne se présente pas véritablement
comme une rupture avec le modèle français de dirigisme
étatique dont un livre récent
44(
*
)
décrit la mise en place en 1945 et le déclin progressif dans un
contexte marqué par la mondialisation, l'usure des formules
traditionnelles d'administration étatique, les incidences du
vieillissement de la population sur le fonctionnement de l'Etat-providence.
L'auteur estime que "
la France est malade dans ce qu'elle a de plus
précieux, l'Etat et le système de régulation dont il est
le centre
", et note que "
plutôt que de repenser
l'édifice, nous préférons mettre les cuvettes sous les
gouttières de toits
", afin de préserver l'exception
française au prix d'adaptations marginales.
Cette critique globale du modèle français peut être
appliquée à la communication audiovisuelle, dont l'Etat n'a
abandonné le monopole que pour la soumettre à une
régulation très étroite, comme nous l'avons vu. Elle
débouche sur une revendication de liberté économique que
de nombreux acteurs expriment à travers une critique active du
fonctionnement du système français de régulation.
Cette revendication met particulièrement en avant le rôle
croissant de la communication audiovisuelle dans la production et les
échanges, la nécessité économique et sociale de
l'efficacité dans cette perspective, la distorsion croissante entre des
contraintes étatiques d'un autre âge et la mondialisation. Elle
est relayée par la Commission européenne et constitue le coeur
idéologique du discours des Etats-Unis au sein des négociations
du GATT et de l'Organisation mondiale du commerce.
Dans l'ouvrage cité plus haut, Pierre Manent note que Montesquieu
distingue deux grands régimes de la politique, de l'action, de la vie
humaine : "
jusqu'au XVIII° siècle, les Européens ont
vécu pour l'essentiel sous le régime de la vertu, civique ou
chrétienne, sous le régime de la loi qui enjoint de risquer sa
vie ou de mortifier sa nature. Ils tendent de plus en plus à vivre sous
le régime du commerce et de la liberté, mis et maintenu en action
par le désir - la nécessité - d'échapper à
la mort et à la misère
"
45(
*
)
. En suggérant d'accélérer dans
leur domaine le passage du régime de la loi à celui du commerce,
les tenants du libéralisme audiovisuel ne font pas seulement appel aux
nécessités du temps mais se rattachent aussi à un courant
profond de la culture moderne.
- L'efficacité sociale et la mission culturelle
Cet axe d'approche de la communication audiovisuelle a aussi de profondes
racines en France. Il y a un lien étroit entre la conception qui fait de
l'efficacité sociale et culturelle un critère majeur de la
politique audiovisuelle et la démarche qui, à partir de 1945, a
vu dans le développement d'un vaste secteur public et dans la
réglementation du secteur privé non seulement des moyens
d'accélérer la reconstruction, mais aussi une éthique de
l'intérêt général appliquée au fonctionnement
de l'économie. Il existe en effet en France une forte culture de
l'intérêt général. Elle reconnaît à
l'Etat la mission de définir les contours de la notion et d'assurer sa
prééminence sur les intérêts particuliers. La
communication audiovisuelle, dont on a évoqué plus haut l'impact
social et culturel, est l'un des points d'ancrage de cette tradition que
l'ouverture croissante des économies paraît souvent malmener.
Un des principaux instruments conceptuels et juridiques de notre culture de
l'intérêt général est la notion de service public,
qui a longtemps couvert l'ensemble de la communication audiovisuelle et qui
continue d'imprimer sa marque non seulement au secteur public, mais aussi au
secteur privé, comme Jean-Louis Missika l'a relevé dans son
rapport sur " les Entreprises de Télévision et les Missions
de Service public ", on y a déjà fait allusion. L'une des
manifestations de cette prégnance est l'usage conservé de
l'expression " service public " pour désigner les organismes
du secteur public, en dépit du silence de la loi du 30 septembre
1986 sur ce point, et malgré le fait que ces organismes ne
répondent pas complètement à la définition du
service public jadis élaborée par Duguit : une
activité d'intérêt général qui ne peut
être spontanément prise en charge par l'initiative privée
et qui est, en conséquence, soit directement assurée par une
personne publique, soit confiée à une personne privée sous
le contrôle de la puissance publique.
- Le progrès technique comme moteur
Le progrès technique, un des principaux moteurs de l'évolution de
la communication audiovisuelle, apparaît riche de promesses de tous
ordres dans le domaine économique, social, culturel. De là
l'intérêt du politique à l'égard de cette approche,
et la requête inlassable de stratégies de développement
susceptibles de permettre au pays de tirer le meilleur parti d'un potentiel qui
semble à maints égards ouvrir la voie à une certaine
redistribution des cartes au sein de sociétés en proie à
la compétition économique et peu mobiles sur le plan social.
On notera toutefois que cette approche de la communication audiovisuelle peut
prendre la forme d'un " millénarisme " technologique
susceptible de servir de couverture à la promotion
d'intérêts économiques parfois insuffisamment fondés
par ailleurs : rationalité et rentabilité importent moins
quand passe le grand vent des technologies de pointe et des subventions
étatiques.
On notera aussi que certains bons auteurs adressent au point de vue
technologique ce qui ressemble à une critique de principe. Dominique
Wolton décrit ainsi ceux qu'il appelle les
" thuriféraires " : "
Ce courant, très
optimiste sur la société comme sur les techniques, regroupe ceux
qui voient dans les ruptures de la communication l'émergence d'une
nouvelle société, plus démocratique, plus relationnelle et
interactive. Il s'agit presque, ici, d'une " croyance ". Cette
position est omniprésente dans les médias, les journaux, les
travaux de prospective. Ici, tout, ou presque, est " positif ". Les
" résistances " des sociétés sont
identifiées à une " peur du changement " et à
des archaïsmes. Et surtout il ne faut pas prendre de retard par rapport
aux Etats-Unis, ni aux dragons du Sud-Est asiatique. Comme si le modèle
de la société de demain allait venir de là et
conquérir le monde entier. Le thème ? L'économie de
l'immatériel met au coeur du système productif l'accumulation de
l'information et de la communication, dont chacun est producteur, faisant ainsi
de cette société la première où les individus se
trouvent au coeur du système productif. Le marché, avec la
déréglementation, est l'instrument de cette transformation, et le
village planétaire, la perspective pour tous.
"
46(
*
)
Cet éclairage critique doit être pris en compte. Mais si un
" technicisme " débridé, résurgence du
scientisme du siècle dernier, peut apparaître comme une fuite en
avant porteuse de déconvenues, la mobilisation lucide du potentiel de
modernisation économique et sociale des nouvelles technologies n'en
demeure pas moins un axe majeur de toute politique de la communication
audiovisuelle. Et le passage du progrès au projet est tout l'art du
politique.
Examinons maintenant certaines conséquences possibles de la conjugaison
du dirigisme et de l'incertitude qui pèse sur l'utilisation des
critères de la décision politique.
b) Conséquences possibles
(1) Dirigisme et aboulie
Une
gestion dirigiste confrontée à trop d'exigences contradictoires,
trop de repères théoriques, trop d'incertitudes technologiques ou
économiques tend parfois à l'aboulie.
Celle-ci peut prendre plusieurs aspects.
Il y a d'abord l'absence pure et simple de décision, dont le dossier de
la réglementation des services diffusés par satellite offre un
exemple éloquent sur lequel on reviendra par la suite.
Il y a aussi l'absence de priorité, qui incline à poursuivre
simultanément plusieurs objectifs difficilement compatibles. C'est ainsi
que notre politique de l'audiovisuel a poursuivi le développement
simultané de la diffusion hertzienne (avec la création de
La Cinq et d'Arte), du câble et du satellite alors que les pays
voisins concentraient leurs efforts sur tel ou tel support : le
câble pour l'Allemagne, la télévision hertzienne terrestre
pour l'Italie.
Il y a enfin la pratique des choix implicites non exclusifs de la poursuite
affirmée d'objectifs peu compatibles. C'est de cette façon que
l'on impose à la télévision publique des objectifs
ambitieux de recettes publicitaires tout en critiquant une programmation
axée sur la recherche de l'audience et non conforme, en
conséquence, à la conception volontariste de l'enrichissement
culturel par la télévision.
(2) Le droit et le fait
Le
second aspect des conséquences de la difficulté de
légiférer est le risque de décalage entre le fait et le
droit qui le régit. Très évolutive, la communication
audiovisuelle se prête particulièrement à ce type de
problème. Voyons en quelques exemples.
- Quand le fait distance le droit
L'exemple type du retard du droit par rapport aux évolutions,
généralement techniques ou économiques, qui affectent
l'environnement de la communication audiovisuelle, est l'absence de
réglementation de la diffusion de programmes de radio et de
télévision par satellites de télécommunication.
Citons aussi le processus de reconnaissance des radios privées de la
bande FM entre 1981 et 1984.
- Quand le droit distance le fait
Moins fréquent que le précédent, ce risque n'est pas
inexistant, il prend généralement corps sous l'influence de
l'enthousiasme technologique ou d'un volontarisme économique
détaché des réalités. On peut citer comme exemples
de cette situation la création prévue par la loi du 29 juillet
1982 d'un réseau de télévisions publiques
régionales, l'attribution de la vente à l'étranger des
droits de diffusion des programmes à un organisme
spécialisé, France Média international, ainsi que
l'attribution, prévue par la loi de 1986, de la régulation des
télécommunications à la CNCL.
- Quand le fait résiste au droit
L'exemple des quotas de diffusion d'oeuvres françaises et communautaires
aux heures de grande écoute, institués en 1989 et que les petites
chaînes n'étaient pas en mesure d'appliquer, peut être
cité ici. La loi du 18 janvier 1992 a assoupli cette
obligation.
2. Rupture ou adaptation ?
a) Des urgences
Certaines modifications du droit de la communication audiovisuelle sont appelées par l'urgence. Elles n'impliquent pas en soi le bouleversement de la loi de 1986. C'est le cas de la transposition, en souffrance, de deux directives européennes : cette transposition suppose des ajouts ou des adaptations de portée relativement limitée, impropres à porter atteinte à l'architecture de la loi ou d'en altérer les principes fondateurs. C'est moins manifestement le cas de la réglementation des services satellitaires : celle-ci peut être opérée sans problème par simple adaptation de quelques articles de la loi de 1986, mais elle peut aussi être l'occasion de remettre en cause certains aspects essentiels de droit français, spécialement en matière de procédures d'accès aux fréquences et en matière d'obligations de diffusion, avec des risques non négligeables d'extension ultérieure des nouvelles solutions à l'ensemble des supports de diffusion.
(1) La réglementation des services satellitaires
On
n'évoquera ici ce dossier que sous l'angle de l'urgence. Les aspects
susceptibles de conduire à la remise en cause de certains principes du
droit français de l'audiovisuel, liés à la
problématique de l'internationalisation, seront examinés avec
cette question dans la troisième partie du rapport.
La réglementation des services satellitaires apparaît comme une
urgence manifeste, en raison de l'essor remarquable des services
numériques diffusés par satellite. Cette réglementation
est actuellement soumise à un régime juridique différent
selon que les fréquences utilisées sont gérées par
le CSA ou par une autre autorité, le plus souvent le ministre
chargé des télécommunications assisté par
l'Autorité de régulation des télécommunications, en
application des dispositions de la loi de réglementation des
télécommunications du 26 juillet 1996.
Les fréquences gérées par le CSA sont utilisées par
les satellites de radiodiffusion directe du type TDF 1 et TDF 2 qui,
initialement, devaient seuls diffuser des programmes de
télévision directement reçus par les usagers.
L'article 31 de la loi de 1986 et son décret d'application
prévoient la délivrance des autorisations d'utiliser ces
fréquences à l'issue d'une procédure d'appel à
candidature diligentée par le CSA, lourde et peu adéquate compte
tenu du préfinancement fréquent des projets par les candidats
à l'autorisation. En outre, ce régime juridique a
été frappé d'obsolescence par l'échec de la
filière des satellites de radiodiffusion directe.
La seconde catégorie de fréquences, celles qui ne sont pas
gérées par le CSA, est soumise au régime juridique
institué par l'article 24 de la loi de 1986, qui s'applique aux
satellites de télécommunication diffusant des programmes de radio
et de télévision. Cette procédure prévoit la
délivrance d'un agrément et le conventionnement des services par
le CSA. Le décret d'application qui devait préciser le contenu
des conventions n'a cependant pas été pris, dans la crainte de
pénaliser, en leur appliquant les obligations de programmation
impliquées par la loi, les diffuseurs français par rapport
à la concurrence étrangère, et de les inciter à
délocaliser leurs activités.
Or, l'essor rapide en France de la diffusion par satellite de services de
télévision numériques, est lié à
l'utilisation de satellites de télécommunications diffusant sur
ces fréquences. Cette évolution profonde du paysage audiovisuel a
donc lieu en l'absence de tout régime juridique permettant à
l'Etat d'encadrer ce phénomène, et offrant aux opérateurs
des informations claires sur leurs marges de manoeuvre.
Il est donc indispensable d'élaborer dans de très brefs
délais un cadre
juridique abordant en particulier les points
suivants : à quelles conditions et selon quelles procédures
un opérateur français ou étranger peut utiliser des
fréquences satellitaires françaises pour diffuser des programmes
de radio ou de télévision ; quelles catégories
d'opérateurs, traditionnelles ou nouvelles, sont assujetties à
des obligations législatives ; quelles obligations de contenu
doivent respecter ces programmes ainsi que les procédures permettant de
fixer ces obligations et d'en assurer le contrôle et la sanction ;
l'opportunité d'introduire dans le régime des services
satellitaires une souplesse tenant compte des contraintes de la concurrence
internationale ; le régime anti-concentration applicable à
ces services.
(2) La transposition des directives européennes
Deux
directives européennes doivent être transposées de
façon urgente en application des engagements internationaux de la France.
- La directive 95/47/CE du 24 octobre 1995 relative à l'utilisation
de normes pour la transmission de signaux de télévision,
prévoit les conditions d'exploitation des systèmes d'accès
sous condition. Son dispositif aurait dû être transposé dans
le droit français depuis trois ans déjà.
On a fait allusion, dans la première partie de ce rapport, à
l'importance de l'objectif de ce texte, qui est de prévenir l'apparition
de positions dominantes dans les relations entre fournisseurs de
systèmes d'accès conditionnels aux services de
télévision payante, et les services de télévision
numérique.
Mentionnons brièvement deux aspects saillants de cette question.
D'une part, le marché de la télévision payante, qui
apparaît à nombre d'opérateurs comme le principal axe de
développement du secteur de la communication audiovisuelle dans les
prochaines années, ne peut prendre un réel essor que si les
fournisseurs de services désireux de prospecter ces marchés
obtiennent la possibilité d'utiliser les logiciels qui permettent de
gérer la fonction de contrôle d'accès entre un diffuseur et
les utilisateurs. Or les opérateurs de systèmes de contrôle
d'accès sont parfois aussi éditeurs de programmes audiovisuels,
diffuseurs, opérateurs de bouquets satellitaires et pourraient
être tentés, en l'absence de dispositions légales imposant
l'ouverture des systèmes de contrôle d'accès aux services
concurrents, de faire obstacle à l'entrée de nouveaux
intervenants sur le marché. Le premier objectif du projet de loi est
d'assurer l'ouverture des systèmes de contrôle d'accès.
D'autre part, le marché de la télévision payante
connaîtra une expansion d'autant plus rapide que les manipulations
demandées aux utilisateurs pour passer d'un service à un autre
seront moins complexes. Dans cette optique, le projet de loi favorise
l'adoption par les fabricants de décodeurs de solutions techniques
permettant d'offrir aux abonnés l'accès à des bouquets
utilisant des systèmes d'accès conditionnels différents,
à partir d'un même boîtier de décodage. La logique
extrême qui consisterait à imposer un boîtier unique
regroupant tous les systèmes d'accès sous condition ou à
imposer aux diffuseurs satellitaires l'obligation de transporter avec le signal
d'un programme de télévision l'ensemble des logiciels de
contrôle d'accès et de gestion des abonnements disponibles sur le
marché, n'a pas été retenue : le projet de loi
respecte les stratégies industrielles des opérateurs tout en
prohibant les comportements anticoncurrentiels.
Nous nous trouvons ainsi face à une double urgence, institutionnelle et
économique. En ce qui concerne ce dernier aspect, la directive 95/47/CE
du 24 octobre 1995 apporte des solution de portée relativement
limitée, comme on le verra, mais qui ont le mérite d'être
disponibles.
- La directive Télévision sans frontière du 3 octobre
1986, modifiée le 30 juin 1997, comporte des dispositions qui doivent
être transposées en droit interne avant la fin de 1998. Citons la
définition des organismes relevant de la compétence d'un Etat
membre, la protection de la diffusion non cryptée des
événements majeurs, l'identification obligatoire des programmes
susceptibles de nuire aux mineurs, la modification du régime juridique
de la chronologie des médias.
b) Des choix à faire
On est ici en terrain non stabilisé, soit que le législateur n'ait pas encore parfaitement résolu certaines contradictions latentes, soit que des facteurs exogènes provoquent des contradictions nouvelles, soit que certaines innovations juridiques d'ampleur encore limitée réclament un perfectionnement impliquant le franchissement d'une étape qualitative. Dans ces trois catégories d'hypothèses que nous allons très rapidement illustrer à l'aide d'exemples qui seront développés par la suite, l'équilibre actuel du droit de la communication audiovisuelle peut être profondément remis en question.
(1) L'avenir du secteur public
C'est
une première possibilité de rupture avec l'évolution
passée du droit de la communication audiovisuelle. Plusieurs
éléments sont à prendre en considération.
Le secteur public va se trouver confronté aux défis de
l'audiovisuel numérique sans que soient véritablement
résolues un certain nombre de contradictions internes qui affectent
d'ors et déjà son fonctionnement.
Citons pêle-mêle à ce dernier égard la
multiplicité des missions non hiérarchisées
assignées aux chaînes ; la création au coup par coup
d'organismes nouveaux dotés de missions plus ou moins largement
complémentaires de celles des organismes existants ; la valse
hésitation toujours en cours entre l'éclatement et le
regroupement des organismes ; un mode de financement mixte faisant
très largement appel à la publicité et apparemment
contradictoire avec une partie des objectifs affirmés ; un partage
peu cohérent du contrôle des organismes entre le gouvernement et
le CSA, et la situation un peu ubuesque où se trouvent les
présidents des organismes, soumis à une tutelle tatillonne sur
certains dossiers, abandonnés à leur propre conseil sur d'autres,
pratiquement irresponsables en en ce qui concerne la qualité de leur
gestion, radicalement limités dans l'exercice de leurs
responsabilités d'entrepreneur par la brièveté de leur
mandat.
Les défis de l'avenir numérique ne simplifieront pas le
règlement de ce legs. Le secteur public va subir en effet de plein fouet
les conséquences du basculement dans l'ère numérique, avec
l'inconvénient, par rapport aux opérateurs privés, d'une
moindre faculté d'adaptation au changement du contexte. Deux aspects
doivent être spécialement mentionnés.
On a vu que face à la diversification des métiers de
l'audiovisuel, et en raison de la nécessité d'un accès
facile aux catalogues de droits de diffusion, les groupes audiovisuels nouaient
des alliances et s'engageaient dans un processus de concentration verticale
leur assurant la maîtrise technique et commerciale des différentes
étapes de la chaîne de production. Une chaîne de
télévision ne peut désormais s'isoler dans son statut de
diffuseur-éditeur sans s'exclure de la dynamique de développement
de la communication audiovisuelle. Notons simplement à cet égard
que l'entrée dans une stratégie d'alliance avec d'autres
opérateurs, y compris privés, ne correspond guère à
la culture du secteur public. Il n'est qu'à considérer les
polémiques provoquées par les accords passés avec le
bouquet satellitaire TPS, pour se convaincre de cette difficulté.
Or par ailleurs les avantages comparatifs dont la télévision
publique bénéficie traditionnellement tendent à s'effacer
- c'est le cas de l'accès privilégié aux capacités
de diffusion - ou risquent d'être remis en question, c'est le cas de
cette ressource régulière et assurée car non soumise
à la régulation budgétaire qu'est la redevance.
Notons encore que cette menace sur les ressources des organismes publics
intervient au moment où ceux-ci vont devoir mobiliser des financements
supplémentaires afin de prendre position sur les nouveaux
créneaux de développement, situation susceptible de radicaliser
les débats intéressant le " legs du
passé " : si le secteur public n'a pas, dans sa configuration
actuelle, les moyens d'un développement durable, il pourra être
tentant mettre celle-ci en question.
On voit que les perspectives ne sont pas anodines.
(2) Les conséquences de l'internationalisation
Evoquons
aussi très sommairement ce facteur de rupture dans l'évolution du
droit de la communication audiovisuelle, qui sera approfondi ci-dessous.
Les progrès de la diffusion satellitaire, internationale par nature,
vont placer les chaînes hertziennes terrestres en situation de
véritable concurrence avec les chaînes thématiques
empruntant d'autres modes de diffusion, ce qui conduira à poser la
question de l'égalisation des conditions de concurrence.
Une autre conséquence cruciale de l'internationalisation du paysage
audiovisuel sera la remise en cause des quotas de diffusion d'oeuvres
françaises et européennes et plus généralement des
diverses obligations de contenu dont la directive Télévision sans
frontière ne garantit pas véritablement le maintien, sous
l'influence de deux facteurs.
D'une part, avec la diffusion satellitaire, il faudra envisager d'aligner les
règles françaises de contenu sur une moyenne internationale afin
d'éviter d'infliger des distorsions de concurrence trop
sévères aux entreprises françaises.
D'autre part, la négociation de révision de la directive
Télévision sans frontière, qui aurait pu faciliter la
" sanctuarisation " du territoire de l'Union européenne face
à l'internationalisation de la diffusion, n'a pas permis
d'améliorer un texte très laxiste. La condition d'application
" chaque fois que cela est réalisable ", une assiette de
calcul incluant les émissions de plateau, la possibilité de
remplir les quotas aux heures de faible écoute, permettront aux
chaînes nord-américaines désireuses d'exploiter le
marché européen d'obtenir leur naturalisation dans tel ou tel
Etat membre sans subir de graves contraintes d'adaptation. En outre, le recours
au lieu d'établissement du siège social de l'organisme comme
critère principal de détermination de la compétence des
Etats membres sur les chaînes de télévision, conduit un
Etat comme la France à renoncer à conventionner des organismes
établis dans l'Union et souhaitant être distribués par le
câble ou même être diffusés par la voie hertzienne
terrestre.
(3) Le rôle de la régulation
L'institution d'un véritable pouvoir de
régulation
constitue la troisième perspective d'évolution radicale du droit
de la communication audiovisuelle. Ce pouvoir existe en germe,
étroitement encadré, dans le dispositif actuel de la loi de 1986.
L'enjeu qui pourrait se manifester est le passage à une étape
décisive de son développement.
Si l'autorité de régulation s'est rapidement imposée comme
un acteur incontournable de la communication audiovisuelle en dépit de
la rotation des organes mis en place par le législateur, le débat
sur la régulation elle-même n'a pas été fermé
par l'interprétation très restrictive donnée, comme on l'a
vu, en 1989 par le Conseil constitutionnel, de la possibilité de
déléguer le pouvoir réglementaire afin d'instituer un
véritable pouvoir de régulation dans la communication
audiovisuelle.
Nous reviendrons sur la notion de régulation, notons simplement ici que
l'évolution du secteur fournit de nouveaux arguments à ses
partisans. Avec la perte progressive d'efficacité des
réglementations françaises encadrant la diffusion audiovisuelle,
ceux-ci estiment en effet de plus en plus opportun d'inventer une autre
manière, moins détaillée, plus souple, d'encadrer
l'évolution du marché audiovisuel. Il s'agirait de moduler les
obligations des diffuseurs en fonction des réalités du
marché à un moment donné.
On peut illustrer ce propos avec l'exemple récent d'un projet de
chaîne thématique pour enfants qui se trouvait dans
l'impossibilité de satisfaire aux obligations de quotas de diffusion
faute de programmes français en quantité suffisante sur le
marché. Le CSA ne pouvant conventionner cette chaîne dans les
termes prévus par la loi, le conventionnement par un pays
étranger, donnant la possibilité d'une reprise sur le câble
français avec des obligations de contenu beaucoup moins rigoureuses,
pouvait apparaître comme la solution la plus rationnelle pour les
initiateurs du projet.. Dans ces conditions, il aurait pu être
souhaitable que le CSA dispose de la possibilité de négocier avec
cette chaîne des conditions particulières de diffusion d'oeuvres
d'expression originale française. La possibilité prévue
par la loi d'étaler sur cinq ans l'application de la
réglementation des quotas était, semble-t-il, insuffisante pour
permettre le conventionnement par le CSA.
On envisagera dans la suite de ce rapport les implications juridiques et
pratiques de ces propositions dont l'inscription éventuelle dans nos
schémas juridiques et administratifs apparaît assez
malaisée.
C. LA CONVERGENCE ET L'INTERNATIONALISATION : QUELLE URGENCE ?
La
numérisation, avec sa double conséquence attendue, la convergence
et l'internationalisation des marchés, est le principal facteur actuel
d'évolution du droit de la communication audiovisuelle. Les perspectives
concrètes restent cependant vagues et controversées, ce qui ne
facilite pas la réflexion du législateur. On sait que des remises
en cause auront lieu, mais lesquelles ? L'abandon par le CSA, à la
demande du gouvernement, du conventionnement des chaînes
étrangères du câble apparaît comme la première
irruption significative de la nouvelle donne, en l'occurrence
l'internationalisation, dans notre corpus juridique. Cet abandon découle
certes de la rigueur récemment manifestée par la Cour
européenne de justice dans l'interprétation de la
déjà vénérable directive
" télévision sans frontière " (TSF), et non
à la prise en compte d'un nouvel équilibre économique et
technique. Il n'en marque pas moins le début d'une nouvelle
étape. Au demeurant, l'internationalisation progresse au moins autant
sous l'influence de causes juridiques que sous celle de l'évolution des
techniques.
On tentera ici de faire une présentation aussi schématique que
possible de cette problématique, en isolant quelques aspects
saillants.
1. Un double phénomène
a) La convergence
L'idée d'une convergence de la communication audiovisuelle, des télécommunications et de l'informatique sous l'influence des techniques numériques suscite de nombreuses esquisses de réforme des régimes juridiques correspondants. La Commission européenne a fait paraître en décembre 1997 un livre vert qui analyse ce phénomène et envisage la palette des conséquences à en tirer. En réponse, le CSA a vivement critiqué la conception dynamique de la convergence exprimée dans ce document, estimant l'évolution probable beaucoup plus nuancée. Il semble possible de réduire le débat à quatre hypothèses pas trop sujettes à controverse.
(1) La convergence progressive des réseaux
La
production de contenus : programmes de télévision, films,
données informatiques, messages de télécommunications, est
de plus en plus systématiquement numérisée. En outre, de
nombreux stocks de contenus existants sont ou seront numérisés.
Présentés sous la forme de signaux numérisés, ces
contenus très divers peuvent emprunter l'ensemble des artères de
communication accessibles au numérique, et en particulier les
" autoroutes de l'information " à large bande qui permettent
de démultiplier les flux de données transportées. Les
grandes artères de communication seront ainsi le premier lieu de la
convergence, transportant au fur et à mesure de la modernisation des
réseaux des flux indifférenciés de données
empruntant actuellement des réseaux encore largement
spécialisés : réseau téléphonique,
câble, réseau hertzien terrestre. Les fréquences
satellitaires, qui sont à l'avant-garde de la numérisation,
illustrent bien la tendance à la convergence des réseaux
puisqu'elles transportent indifféremment la plus grande partie de la
gamme des contenus, et vont jusqu'à fournir l'accès à
internet en dépit de la faible interactivité offerte. Le
câble aborde la marché de la téléphonie. Le
réseau téléphonique permettra de diffuser des images
animées.
Il faut cependant aussi noter que la réalisation de ces perspectives est
subordonné d'une part à la numérisation des réseaux
existants, lente sur le câble en raison des coûts d'adaptation
technique, non commencée sur le réseau hertzien terrestre, et
d'autre part à la généralisation de réseaux
à large bande dotés des capacités nécessaires au
transport de l'image animée. Pour le moment et pour une durée
difficile à évaluer, les réseaux restent très
largement " dédiés " à des usages
spécifiques.
(2) La convergence partielle des contenus
Elle se
manifeste avec l'apparition de contenus interactifs et multimédias,
c'est à dire incorporant différents types de contenus
traditionnels. Ces produits substituent à la diffusion de " point
à multipoints " propre à la communication audiovisuelle
traditionnelle une communication de " point à point "
plutôt typique des télécommunications. La communication
audiovisuelle va se transformer sous cette influence. D'ors et
déjà, l'essor des contenus multimédias est remarquable sur
les bouquets de programmes diffusés par satellite : toutes sortes
de services sont associés aux services traditionnels de
télévision et de radio. Le type emblématique en est le
paiement à la séance, c'est à dire à la commande,
de prestations choisies par le téléspectateur : films,
programmes sportifs, informations météorologiques...
Ultérieurement, la vidéo à la demande permettra
d'accéder à domicile à des catalogues de films.
Mais ce type de convergence ne paraît pas s'étendre aux services
traditionnels (télévision, radio, téléphonie), qui
conservent leurs caractéristiques spécifiques. La convergence des
contenus, partielle, ne bouleverse d'ailleurs pas non plus l'articulation
actuelle des métiers de la production. On a vu dans la première
partie du rapport que les producteurs audiovisuels n'abordent guère le
multimédia.
(3) L'absence de convergence des équipements
Il est peu probable que les terminaux utilisés par les consommateurs se fondent à terme dans un terminal unique " tous usages ", à la fois téléphone, télévision, ordinateur, réveille-matin.... L'ordinateur permettra sans doute de recevoir dans d'excellentes conditions les signaux de toutes sortes de services, du téléphone à la vidéo, mais restera, avec son écran de petite taille, voué à l'usage individuel contrairement à la télévision, regardée en famille à quelques mètres de distance ; de même, il sera toujours plus commode de téléphoner avec un combiné portable qu'avec une télévision. Chaque terminal gardera donc vraisemblablement sa spécificité, marquée par sa présence dans une pièce particulière du domicile : on voit mal l'ordinateur trôner au milieu du salon et présider aux agapes familiales. La distinction au sein du foyer des lieux de repos et des lieux de travail contribuera à la perpétuation de la diversité des terminaux.
(4) La convergence douteuse des marchés
La fusion des marchés de l'audiovisuel, des télécommunications et de l'informatique achèverait la convergence que l'on constate à plusieurs étapes de la chaîne de la valeur ajoutée de chaque secteur économique. On n'y est pas encore : si les phénomènes de concentration verticale rappelés dans la première partie du rapport montrent que des évolutions se dessinent, les grands métiers restent bien distincts, on n'est pas prêt de confondre une chaîne de télévision avec un opérateur de téléphonie et si l'on peut imaginer, sur le câble par exemple, la mise au point d'offres commerciales communes de télévision et de téléphonie, chaque marché conservera sa propre logique d'évolution. Du reste, la diversification des groupes de communication se fait généralement par le biais de filiales spécialisées.
b) L'internationalisation
Des raisons techniques et juridiques favorisent l'internationalisation croissante des marchés de la communication audiovisuelle, jusqu'à récemment très centrés sur le cadre national, et rendent de plus en plus aléatoire le fonctionnement des régimes juridiques nationaux.
(1) Aspects techniques
La percée internationale de la diffusion numérique par satellite suscite une tendance à l'éclatement des marchés nationaux de l'audiovisuel, jusqu'à présent protégés des influences extérieures par la faible portée géographique des modes de diffusion les plus courants, réseaux hertziens terrestre et câble. La démultiplication des capacités de transport de signaux et la diminution du coût du transport accentuent cette tendance. Seule l'inertie probable du public, habitué en France à la diffusion hertzienne terrestre et aux chaînes nationales, peut ralentir l'internationalisation effective des marchés.
(2) Aspects juridiques
La
directive européenne " télévision sans
frontière " du 3 octobre 1989, révisée le 30 juin
1997, a partiellement harmonisé les législations nationales de la
communication audiovisuelle sous la forme d'un corps minium de règles
s'imposant à tous les Etats membres, afin d'assurer la libre prestation
des services dans ce secteur. Elle apparaît comme le premier facteur
juridique actuel de l'internationalisation, au plan régional, du
marché. La jurisprudence de la Cour européenne de justice, de
plus en plus exigeante sur les conséquences à tirer du texte
européen, tend en effet à faire du minimum harmonisé un
droit commun indépassable par les Etats membres, ce qui fragilise la
réglementation française actuelle. Les années 1996 et 1997
ont marqué un tournant à cet égard.
Une décision de septembre 1996 " Commission contre royaume de
Belgique ", empêche désormais les Etats membres de soumettre
à autorisation préalable la distribution câblée sur
leur territoire de chaînes déjà autorisées dans un
autre Etat membre. De plus, c'est à l'Etat qui délivre
l'autorisation d'émettre, et non à l'Etat de réception,
qu'incombe le contrôle du respect des obligations de la directive,
à l'exception des dispositions relatives à la protection des
mineurs pour lesquelles l'Etat de réception dispose d'un droit de
regard. Cette règle est particulièrement gênante pour
l'efficacité de la réglementation française, beaucoup plus
rigoureuse que les disposition harmonisées de la directive, et
appliquées avec une sévérité sans commune mesure
avec les pratiques de certains autres Etats membres. La France perd
désormais tout moyen de soumettre les chaînes européennes
diffusées sur son territoire à sa réglementation.
Les facilités de pénétration des marchés ainsi
offertes aux chaînes localisées dans les Etats européens
les plus laxistes sur le plan réglementaire sont encore élargies
par l'abandon de la jurisprudence " anti-délocalisation " qui
offrait la possibilité de soumettre à la réglementation du
pays de réception un service destiné à son marché
mais juridiquement rattaché à un autre Etat choisi pour les
avantages d'une réglementation laxiste. Cette jurisprudence exemptera du
respect des réglementations portant sur les règles de diffusion
de films, les quotas, la publicité, etc. une chaîne comme RTL 9
destinée essentiellement au marché français mais relevant
de la compétence luxembourgeoise. C'est en conséquence de cette
jurisprudence que le CSA a cessé de conventionner les chaînes
étrangères du câble, à l'invitation du gouvernement.
Cette situation provoquera de graves distorsions de concurrence au
détriment des opérateurs établis en France.
Le second facteur juridique de l'internationalisation réside dans les
différentes négociations internationales poursuivant le
démantèlement des obstacles aux échanges commerciaux.
C'est ainsi qu'AMI, OMC, NTM et autres instances plus ou moins confidentielles
jusqu'à ce que l'opinion publique découvre la portée de
leurs activités, remettent inlassablement sur le tapis l'avenir du
dispositif français de promotion des industries culturelles.
La France apparaît assez isolée sur ces dossiers, et ses
capacités d'entraînement des autres Etats membres semblent
s'atténuer, jusqu'à ce que " l'exception
française " sur les dossier culturel fasse figure de baroud
d'honneur.
Cependant les assises de l'audiovisuel, tenues à Birmingham en avril
dernier, ont un peu démenti cette morose perspective. Alors que l'on en
attendait une vigoureuse remise en cause des réglementations
européennes de l'audiovisuel sous l'impulsion britannique, l'attitude
maximalistes de certains opposants à toute intervention publique a
favorisé l'apparition d'un consensus en faveur de l'élaboration
d'une réglementation des nouveaux services et en faveur des programmes
européens d'aide à la production et à la circulation des
oeuvres. Ce retournement peut être de bon augure pour les prochaines
négociations internationales.
2. Trois questions
a) L'architecture du droit français est-elle obsolète ?
La question est souvent posée de la pérennité de la législation de la communication audiovisuelle, destinée, selon certains, à fusionner avec le droit des télécommunications au sein d'un droit unique de la communication.
(1) L'articulation actuelle
Rappelons que la séparation de la communication
audiovisuelle
et des télécommunications est fondée sur la distinction de
deux filières définies par la nature des contenus qu'elles
produisent, régies par deux autorités, utilisant deux
catégories de réseaux, et répondant à deux logiques
juridiques.
Reprenons ces différents éléments.
- Deux filières de contenus.
La définition de la communication audiovisuelle est donnée au
second alinéa de l'article 2 de la loi du 30 septembre
1986 : "
on entend par communication audiovisuelle toute mise
à disposition du public ou de catégories de public, par un
procédé de télécommunication, de signes, de
signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui
n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ".
La notion de communication audiovisuelle est ainsi définie par la
destination des contenus. Une circulaire du 17 février 1988 a
tenté de préciser cette définition en retenant trois
critères : le message délivré par le service est
destiné indifféremment au public en général ou
à des catégories de publics, le contenu du message n'est pas
fonction de considérations fondées sur la personne destinataire
du message, le message est à l'origine mis à la disposition de
tous les usagers du service gratuitement ou non.
Les messages ayant le caractère d'une correspondance privée
relèvent des télécommunications. Le producteur du contenu
est alors l'utilisateur lui-même.
- Deux autorités.
Le CSA régit la communication audiovisuelle et applique le droit de
l'audiovisuel. l'Autorité de régulation des
télécommunications (ART) régit les
télécommunications et applique le droit des
télécommunications. Deux blocs juridiques apparaissent ainsi.
- Deux catégories de réseaux.
Les réseaux hertziens et filaires qui acheminent les messages sont
traditionnellement , et encore largement, dédiés à l'un ou
l'autre mode de communication, sous l'autorité de l'une des deux
autorités et sous l'emprise de l'un des deux blocs juridiques. Des
passerelles existent entre les deux droits afin de régler le cas des
services empruntant un réseau relevant de l'autre bloc de
compétence.
- Deux logiques juridiques.
Le droit de la communication audiovisuelle est sous l'emprise de la notion
d'intérêt général, comme on l'a vu dans le seconde
partie de ce rapport. Celui des télécommunications est
régi par les notions de confidentialité, de protection de la vie
privée, et récemment de concurrence entre
opérateurs.
(2) Les remises en cause
Cette
répartition est remise en cause par la convergence des réseaux et
par celle des contenus. Si, jusqu'à un point difficile à
repérer à l'heure actuelle, la convergence des réseaux
peut être résolue par la méthode des passerelles et par des
contacts entre les autorités de régulation, la convergence des
contenus semble remettre plus profondément en cause la distinction des
régimes juridiques. Il y a en effet interpénétration des
régimes juridiques quand un même contenu incorpore des
opérations relevant de la communication audiovisuelle et des
opérations de télécommunications. C'est le cas de nombreux
services interactifs. Destinés généralement au public ou
à des catégories de public, ce sont des services de communication
audiovisuels. Mais ils peuvent comprendre de la correspondance privée,
quand par exemple une commande est payée " en ligne " par le
consommateur ou quand des données personnelles, bancaires ou autres,
sont transmises à un consommateur dans le cadre d'un service offert
à tous. Deux régimes juridiques sont alors applicables à
un seul contenu.
L'extension des services interactifs pourrait ainsi rendre à terme
inextricable la délimitation des droits et la répartition des
compétences entre les autorités de régulation. La
convergence des réseaux deviendrait du même coup un facteur
supplémentaire de complexité.
Il est cependant possible de donner une solution à ces problèmes
dans le cadre de la loi de 1986. Le droit de la communication audiovisuelle
distingue en effet les services de radiodiffusion sonore et de
télévision diffusés par voie hertzienne (chapitre
I°), les services de radiodiffusion sonore et de télévision
distribués par le câble (chapitre II), et les autres services de
communication audiovisuelle (chapitre IV).
Les services relevant du chapitre IV (il s'agit pour l'essentiel actuellement
de la télématique du minitel) sont soumis au régime de la
déclaration, les autres étant soumis à un régime
d'autorisation. Le régime de la déclaration peut être
aménagé pour englober l'ensemble des nouveaux services
interactifs, souvent proches de la télématique, nonobstant les
éléments de correspondance privée qu'ils comportent. Les
services considérés comme liés au marché de la
télévision, la vidéo à la demande par exemple,
pourraient recevoir, dans ce cadre et en tant que de besoin, une
réglementation inspirée de celle de la télévision.
Une démarche juridique de ce type ne pourrait être engagée
que si le droit européen n'assimile pas à l'avenir les nouveaux
services à des services de télécommunications. Cette
démarche suppose aussi que soit admise l'opportunité d'attirer
les nouveaux services vers la communication audiovisuelle. On peut observer
à cet égard que s'ils répondent à la
définition législative de la communication audiovisuelle,
à l'exception des opérations de correspondance privée
qu'ils incorporent de façon souvent connexe, les nouveaux services sont
assez éloignés de la logique d'intérêt
général propre à la communication audiovisuelle (cf. I et
II de ce rapport) et semblent plutôt relever de la protection de la vie
privée, qui renvoit au droit des télécommunication, et de
la protection du consommateur, qui renvoit au droit commun de la consommation.
Revenons brièvement aux conséquences parfois
évoqués de l'interpénétration des régimes
juridiques. Si celle-ci a lieu effectivement, si le rattachement des nouveaux
services au chapitre IV de la loi de 1986 apparaît pas inopportun, deux
autres solutions peuvent être envisagées : soit mettre en
cause la séparation actuelle des droits et des autorités
régulatrices et créer un droit unique de la communication, soit
proposer une
summa divisio
nouvelle entre la communication audiovisuelle
et les télécommunications.
La première hypothèse, qui correspond en partie à l'option
initiale de la loi de 1986, conduit à l'absorption du droit de la
communication audiovisuelle par un droit des télécommunications
en position d'hégémonie sur le plan international (alors qu'en
1986 la gestion unifiée des réseaux devait être
attribuée au CSA). Même réduite à une fusion des
autorités de régulation laissant subsister la dualité des
droits, cette hypothèse semble comporter de graves inconvénients.
On peut en effet prévoir qu'une autorité de régulation
chargée de l'ensemble d'un secteur élargi de la communication
ferait prévaloir les aspects techniques de la régulation par
rapport à la régulation des contenus.
En ce qui concerne la seconde hypothèse, il serait possible de
répartir les compétences entre les deux autorités à
partir d'une distinction entre la régulation des réseaux,
confiée à l'ART et celle des contenus, confiée au CSA.
Celui-ci perdrait alors sa compétence sur la planification et sur
l'attribution des autorisations d'utiliser les fréquences de
radiodiffusion, compétence essentielle au maintien du pluralisme dans la
radio et la télévision. Ce n'est donc qu'à la suite d'une
réforme, pour d'autres motifs, du régime de l'autorisation,
qu'une redistribution de cette envergure pourrait être envisagée.
Nous allons maintenant examiner les éléments qui pourraient
plaider éventuellement en faveur de ce type
d'évolution.
b) Le contenu du droit français est-il remis en question ?
On peut évoquer succinctement les remises en cause possibles du droit français de la communication audiovisuelle en examinant ses trois principaux éléments constitutifs : le régime de l'accès aux moyens de diffusion, le régime des contenus, le régime des entreprises.
(1) Le régime de l'accès aux moyens de diffusion
Sur ce
point, le principal facteur d'évolution est la diminution de la
rareté des capacités de transport de l'information,
consécutive à la numérisation. Il faut distinguer à
cet égard le cas de la diffusion hertzienne terrestre de celui des
autres moyens de transport.
La diffusion hertzienne terrestre reste analogique pour l'instant en France, ce
qui gèle la situation en matière de capacités de
transport. Une future numérisation ne libérerait de
fréquences que pour un faible nombre de chaînes nouvelles,
semble-t-il, à l'issue d'une période de transition d'une dizaine
d'année au cours de laquelle coexisteraient la diffusion analogique et
la diffusion numérique, et pour autant que les fréquences
disponibles alors ne soient pas affectées à d'autres usages, tels
que la téléphonie mobile, économiquement aussi rationnels,
ou plus, que la télévision. En ce qui concerne la radio, il
semble que la numérisation selon le procédé DAB ne
libère guère de capacités de transport. On ne peut donc
parler d'éléments d'évolution véritablement
significatifs pour la diffusion hertzienne terrestre.
En ce qui concerne la diffusion hertzienne par satellite et la distribution sur
les réseaux câblés, il faudrait parler de changement de
nature de la rareté des capacités de transport, plutôt que
de véritable disparition. On peut comparer la situation nouvelle
à celle des supermarchés dont les importantes capacités de
présentation de la marchandise seront toujours insuffisantes par rapport
à l'offre des producteurs. Cette difficulté est aisément
résolue dans les supermarchés par le jeu de l'offre et de la
demande, et les conflits éventuels sont traités selon les
règles du droit de la concurrence. Peut-on appliquer des règles
similaires à la communication audiovisuelle ? Cela signifierait que
le régime d'autorisation d'accès aux moyens de diffusion doit
disparaître au profit d'un régime de déclaration. Ce serait
la conséquence normale du repli de la rareté des
fréquences si la communication audiovisuelle divulguait des contenus
assimilables aux conserves et surgelés. Nous avons vu que ce
n'était pas le cas en France et que la portée sociale, et par
conséquent politique, de la communication audiovisuelle expliquait,
autant que la rareté des capacités, la spécificité
du droit de la communication audiovisuelle. Le régime de l'autorisation
permet en effet d'assurer le pluralisme, que le Conseil constitutionnel
considère comme un objectif de valeur constitutionnelle, on l'a vu
précédemment. Il paraît donc difficile d'abandonner
l'accès aux moyens de diffusion à la loi de l'offre et de la
demande.
Mais il faut sans doute distinguer aussi, au sein des services de communication
audiovisuelle, ceux qui justifient le recours à une procédure
d'autorisation administrative (pour l'essentiel les services traditionnels de
radio et de télévision) de ceux dont on ne voit pas ce qui
justifierait que leur traitement diffère celui des fruits et
légumes, dans la mesure où ils fonctionnent selon une logique
uniquement commerciale, et dans la mesure où leur intérêt
social n'est pas profondément différent de celui des produits de
supermarché. Dans cette logique, la suppression du régime
d'autorisation ne serait possible que pour ces services à faible
intérêt social, pour la plupart assimilables aux services de
télématique ou aux " nouveaux services ". La
dualité du régime d'accès à un même support
en fonction de la nature du service paraît toutefois difficile à
mettre en oeuvre.
(2) Le régime des contenus
Il
semble que soit en cours à un rythme encore difficile à
évaluer un processus de démantèlement des règles
françaises de contenu, sous l'influence des facteurs
d'internationalisation évoqués plus haut. Les distorsions de
concurrence dont souffriront les diffuseurs français au fur et à
mesure de l'internationalisation effective du marché seront
présentées au législateur comme imposant l'assouplissement
des règles de contenu les plus contraignantes : quotas de
diffusion, règles relatives à la publicité, règles
relatives à la programmation des oeuvres cinématographiques...
Le repli de la réglementation pourrait ne concerner dans un premier
temps que les secteurs les plus exposés à la concurrence
internationale, en particulier les services thématiques du satellite et
par voie de conséquence (il s'agira des mêmes) ceux du
câble. Seuls resteraient dans cette hypothèse soumis à une
forte régulation les services diffusés par voie hertzienne
terrestre, protégés de la concurrence internationale. Encore
apparaîtra-t-il inopportun de défavoriser les services
généralistes et gratuits, dont on a noté
l'intérêt social dans la première partie du rapport, et de
stimuler par des avantages réglementaires la croissance des services
destinés à des publics spécifiques.
Ajoutons à ces perspectives économiques l'impossibilité
technique d'appliquer telle quelle la réglementation existante aux
nouveaux services interactifs. Ainsi, la notion de quota de diffusion n'a aucun
sens, appliquée à la vidéo à la demande. Si l'on
veut maintenir l'esprit actuel de la réglementation, des adaptations
seront nécessaires. On peut imaginer par exemple de remplacer les quotas
de diffusion par des quotas portant sur le contenu des catalogues de
vidéo à la demande. On peut cependant avoir des doutes sur la
crédibilité d'un programme de renforcement et d'extension de la
réglementation française dans le contexte international actuel.
Il semble ainsi que le législateur puisse être conduit à
des choix difficiles, la seule question véritablement ouverte
étant celle du rythme d'une évolution apparemment
inéluctable vers la déréglementation. L'objectif pourrait
être alors d'accompagner l'ouverture des marchés et de porter
remède aux distorsions de concurrence constatées. Notons à
cet égard que la réforme des réglementations de contenus
ne saurait aboutir à un démantèlement pur et simple. Une
des pistes souvent évoquées pour maintenir notre politique de
promotion de l'industrie française des programmes est le
développement des incitations financières et le renforcement des
obligations d'investissement imposées aux chaînes de
télévision.
Notons aussi qu'au delà des objectifs économiques et culturels
que l'on vient d'évoquer, le contrôle exercé par
l'autorité de régulation répond à des objectifs
éthiques, d'ordre public, de pluralisme... Une partie importante des
obligations imposées aux services de communication audiovisuelle dans
ces domaines figure dans les conventions passées entre le CSA et chaque
service. Le maintien du système du conventionnement des services
français apparaît ainsi comme une nécessité,
spécialement au regard de l'objectif constitutionnel de pluralisme. Une
conséquence parmi d'autres : si la suppression des régimes
d'autorisation était décidée, sans doute faudrait-il que
le conventionnement, effectué actuellement à l'occasion de la
délivrance des autorisations, soit préservé par d'autres
moyens.
(3) Le régime des entreprises
On examinera plus loin les problèmes que pose l'évolution du régime des entreprises de communication audiovisuelle face à la numérisation et à l'internationalisation.
c) Une harmonisation européenne plus poussée ?
Cette
question a été posée récemment par le livre vert
sur la convergence de la commission européenne, évoqué
plus haut.
Le livre vert présente la problématique de la convergence des
réseaux et des services d'information sous la forme de neuf questions
soumises à débat public en vue de la définition
ultérieure d'un
" environnement réglementaire
approprié qui permettra de profiter pleinement des opportunité
offertes par la société de l'information "
. Deux options
sont mises en relief : l'idée que le cadre national, analogique et
monomédia des réglementations actuelles freine le
développement des nouveaux produits et services, et l'idée que la
spécificité des secteurs concernés justifie la
séparation entre les réglementations économiques et la
réglementation des prestations de services d'information (en raison du
rôle social et culturel de ces services, en particulier). En outre, le
document avance l'idée que l'expérience de la
déréglementation des télécommunications et celle de
la mise en place du marché intérieur de la radiodiffusion doivent
inspirer l'élaboration d'un nouveau cadre législatif pour la
société de l'information. Il paraît utile de
présenter sommairement le contenu de ce texte avant d'avancer quelques
remarques sur le renforcement éventuel de l'harmonisation communautaire.
PRINCIPALES QUESTIONS POSEES PAR LE LIVRE VERT
1. La
convergence des technologies est en cours, va-t-elle atteindre, et à
quelle allure, les marchés, les services, les secteurs industriels
actuellement distincts ? Que peut-on en attendre du point de vue de la
compétitivité économique et de l'efficacité
sociale ? quelles seront ses incidences sur la vie quotidienne ?
2. La convergence aura-t-elle en particulier un impact sur l'emploi, sur
l'organisation du travail, quels seront les services offerts, quel seront les
modes d'accès à ces services, faut-il encourager la
généralisation des équipements de réception et de
traitement de l'information numérique, comment ?
3. la convergence se heurte à de nombreuses barrières, en
particulier réglementaires (procédures d'autorisation pour
l'accès aux infrastructures) et économiques (insuffisance de la
concurrence du fait de l'intégration verticale des opérateurs,
prix élevé des services de télécommunication,
pénurie de contenus attractifs). Par ailleurs l'insuffisance de
certaines législation (droits de la propriété
intellectuelle) ou la fragmentation du marché européen joue aussi
un rôle de frein. La question prote sur la liste et sur l'impact de ces
barrières.
4. Le quatrième chapitre dessine l'antagonisme latent entre la
réglementation nationale et les forces du marché, et
suggère que le droit de la concurrence pourrait fournir un substitut
efficace à une réglementation trop exhaustive. Il souligne la
difficulté pour le pouvoir législatif et réglementaire de
courir après l'innovation. Il observe qu'il peut être
incohérent de traiter différemment des services semblables en
fonction de leur mode de mise à disposition du public (exemple des
sondages d'opinion), il note le caractère économiquement
irrationnel des législations nationales restrictives compte tenu de la
mondialisation, il mentionne le fait que la disparition de la rareté des
moyens de transport de l'information met en cause les procédure
d'autorisation d'accès aux réseaux (disparition de
l'économie de pénurie) et note la nécessité de
réévaluer la frontière entre le public et le privé
ainsi que la différenciation des régimes juridiques des deux
secteurs. Il pose enfin la question de l'unification des administrations de
contrôle dans le cadre national et européen.
5. La cinquième question porte sur les adaptations envisageables dans
un certain nombre de domaines clés : faut-il remettre en cause la
distinction entre la communication audiovisuelle et les
télécommunications et élaborer la notion de " nouveau
service " sur le plan juridique, comment réglementer l'accès
au marché (quelle évolution des systèmes d'octroi de
licences compte tenu de la convergence des services sur des réseaux
différents), l'accès aux réseaux, les systèmes
d'accès conditionnel, l'accès aux contenus (achats de droits
exclusifs), faut-il généraliser la tarification du spectre des
fréquences afin de garantir son utilisation optimale, quelle
normalisation, comment protéger les consommateurs et les
handicapés ?
6. Le document avance l'hypothèse selon laquelle la convergence
pourrait faciliter la réalisation des objectifs d'intérêt
général poursuivis par certaines réglementations. Sont
cités les objectifs relatifs aux contenus (faut-il différencier
par exemple la réglementation de la publicité selon le type de
service concerné ?), le rôle du service public de
radiodiffusion (quelle diversification, quel financement ?), la protection
de la vie privée et des données, la cryptographie, la
diversité culturelle, la protection des mineurs et l'ordre public.
7. Faut-il élaborer un tronc commun réglementaire simple
reposant sur la distinction des réseaux et des services,
réajuster les responsabilités respectives des autorités
nationales compétentes et le partage des compétences entre les
Etats membres et le niveau communautaire ?
8. Quelles questions doivent être traitées au niveau
international ?
9. Le neuvième point énonce quelques principes : la
réglementation devrait être limitée au strict
nécessaire pour réaliser les objectifs clairement
identifiés, elle devrait avant tout répondre aux besoins des
utilisateurs, elle devrait fournir aux acteurs du marché un cadre clair
et prévisible, garantir la participation de chacun à la
société de l'information, mettre en place une régulation
indépendante efficace. Trois options sont présentées pour
l'évolution de la réglementation : construire sur les cadres
réglementaires existants, ce qui peut maintenir des obstacles freinant
l'investissement, élaborer un cadre réglementaire
spécifique pour les nouveaux services ce qui présente des
difficultés pratiques de délimitation des secteurs,
élaborer progressivement un nouveau modèle réglementaire
couvrant la totalité des services d'information en réduisant la
discrimination au sein des secteurs et entre eux.
On constate que, sous la forme un peu anarchique propre aux documents de la
commission européenne, le livre vert offre une large palette de
questions derrière lesquelles se profile de façon plus ou moins
claire l'idée d'une large déréglementation de la
communication sous les auspices de l'Union européenne, au nom du
lancement des marchés du multimédia. Cette opération, dans
cette optique, ne peut (quelles que soient les précautions de
présentation auxquelles le livre vert recourt manifestement) conduire
qu'à la dilution au moins partielle du droit de la communication dans
celui des télécommunications.
Lors de la renégociation de la directive " télévision
sans frontière ", le refus opposé à la France par la
commission de proposer l'inclusion des nouveaux services dans le champ
d'application de la directive est significatif à cet égard. Ce
refus équivaut en effet, compte tenu des définitions
communautaires, à assimiler pour l'essentiel les nouveaux services
à des services de télécommunications. On sait que telle
n'est pas la position française traditionnelle, et l'on a vu ci-dessus
que les arguments plaidant en faveur d'une prise en charge de ces services par
le droit de la communication audiovisuelle, avec un régime juridique
spécifique, ne sont pas négligeables.
L'hypothèse d'une harmonisation plus poussée du droit de la
communication au niveau européen pose donc problème. Il n'en est
pas moins évident que la France ne peut continuer à
légiférer dans une attitude de splendide isolement dont toutes
les évolutions en cours démontrent le caractère illusoire.
A l'heure de la mondialisation de la communication, le cadre régional
est le seul pertinent pour élaborer une politique de l'audiovisuel. La
France a souvent exaspéré ses partenaires en se présentant
comme porteuse d'incontournables grands desseins (ce qui évoque dans
nombre d'Etats membres le mythe de la " Grande Nation ",
oublié dans notre pays mais toujours vivace ailleurs), mais certaines
expériences françaises peuvent susciter un large assentiment,
c'est le cas en particulier, semble-t-il, des dispositifs d'incitation
financière à la production.
La France conserve donc les moyens de se présenter comme une force de
mouvement et de proposition. Ce qui peut avec profit, du point de vue des
principes et des valeurs que nous défendons, être traité au
niveau européen doit l'être, même au prix des adaptations
qui apparaîtront nécessaires. Il importera vraisemblablement d'en
tenir compte au moment de réformer la législation de la
communication audiovisuelle.
TROISIÈME PARTIE
DIRIGER LE
MOUVEMENT
A. DONNER L'IMPULSION : LE NUMÉRIQUE HERTZIEN TERRESTRE
La
diffusion hertzienne terrestre reste à l'écart de la
numérisation bien qu'elle soit le vecteur unique d'accès à
la télévision et à la radio pour 90 % des foyers
français qui, sauf à s'équiper d'une antenne parabolique,
la révolution de la communication audiovisuelle.
La numérisation de la diffusion hertzienne terrestre présenterait
pourtant de nombreux avantages.
Du point de vue du consommateur, il y a bien sûr la multiplication et la
diversification des services, propre à la numérisation quelque
soit le vecteur de diffusion.
En France, sur les six réseaux qu'il serait possible d'établir
dans les bandes de fréquences de radiodiffusion que gère le CSA,
il serait possible d'offrir une trentaine de services traditionnels ou
novateurs à quelque 80 % de la population à partir des
infrastructures existantes et à la seule condition pour les
consommateurs de se procurer un décodeur (il n'est pas nécessaire
de modifier l'antenne " râteau "), en attendant que la
fabrication en série de postes de télévision
numérique " intégrés " permette à chacun
d'accéder au meilleur coût à l'ensemble des services
nouveaux interactifs associés ou nom aux programmes traditionnels de
télévision. Ajoutons que la diffusion numérique
permettrait la portabilité des terminaux, et, dans certaines conditions,
leur mobilité.
Du point de vue des pouvoirs publics, la numérisation de la diffusion
hertzienne terrestre rendrait possible une gestion plus rationnelle de la
ressource en fréquences. Elle permettrait en particulier, à
terme, de récupérer des fréquences de radiodiffusion afin
de les affecter à d'autres usages, en particulier la
téléphonie mobile dont le développement est
gêné par la rareté des ressources de diffusion. Or, on sait
que la téléphonie mobile est actuellement le premier vecteur du
développement des télécommunications. Ajoutons que la
cession des droits d'usage des fréquences pour des applications de
télécommunications procurerait à l'Etat des ressources
qu'il pourrait réaffecter au secteur audiovisuel dans le cadre du repli
inéluctable, comme on a vu ci-dessus, de la politique
réglementaire de soutien aux industries françaises de
l'audiovisuel.
En outre, le développement de la diffusion hertzienne terrestre
numérisée pourrait freiner dans une certaine mesure la perte
d'efficacité de la réglementation nationale que provoquera le
développement de la diffusion satellitaire numérique
47(
*
)
.
En définitive, la diffusion hertzienne terrestre numérisée
représenterait, avec la diffusion multiplexée par micro-ondes
(MMDS), un moyen d'étendre à l'ensemble du territoire le
bénéfice de la révolution numérique dans tous ses
aspects.
Or peu de choses ont été faites jusqu'à présent
pour étudier dans un esprit dynamique la transition de l'analogique vers
le numérique en diffusion hertzienne terrestre. Une réflexion a
été lancée avec la remise, en mai 1996, d'un rapport de
M. Philippe Lévrier sur la numérisation de l'hertzien
terrestre. Ce rapport estimait que l'introduction de la
télévision numérique terrestre sur le marché grand
public pouvait intervenir autour des années 1998-1999, à la
condition de lancer la fabrication en série des
téléviseurs intégrés.
Des expérimentations ont été lancées depuis peu.
Des groupes de travail se réunissent sur les problèmes que pose
la gestion des fréquences et sur le téléviseur
numérique. Il reste à engager une réflexion, avec les
acteurs intéressés, sur l'élaboration du cadre juridique
de la diffusion numérique.
En effet, la loi du 30 septembre 1986 est absolument impropre à
offrir un cadre juridique au numérique hertzien terrestre. Axée
sur le rôle des diffuseurs-éditeurs, elle permet seulement
l'attribution d'une fréquence à un diffuseur pour un service,
alors qu'avec la numérisation, chaque fréquence pourra diffuser
quatre à cinq services, et que le titulaire de l'autorisation devrait,
dans la plupart des cas, ne plus être un diffuseur-éditeur, mais
un " ensemblier " constituant un bouquet de services. Il importera
d'encadrer l'activité de ce nouvel opérateur et de définir
ses relations avec les éditeurs des services du bouquet afin de
préserver le pluralisme de l'offre des services audiovisuels.
Qu'est-ce qui explique l'atonie récente des acteurs de la communication
audiovisuelle dans ce domaine crucial ? Il s'agit vraisemblablement du peu
d'intérêt des diffuseurs hertziens français pour la
numérisation de ce vecteur, compte tenu de leurs résultats
commerciaux et financiers satisfaisants et de leur choix de porter leurs
efforts vers la télévision satellitaire numérique qui
présente actuellement pour eux les menaces les plus sérieuses en
termes de concurrence. Un changement d'attitude semble cependant se dessiner de
la part de certains diffuseurs traditionnels intéressés par la
possibilité de disposer de canaux supplémentaires pour de
nouvelles chaînes ou services valorisables.
Par ailleurs, les industriels de l'électronique grand public, encore
marqués par les avatars de la télévision à haute
définition, demandent des garanties à l'égard de la prise
de risque que représente l'investissement sur le numérique
hertzien terrestre. Un signal fort des pouvoirs publics est nécessaire
afin que le numérique hertzien terrestre ait un visibilité
suffisante pour que le lancement de la production de terminaux
numériques soit un projet plutôt qu'une aventure. Ce signal a
été donné dans d'autres pays.
C'est ainsi que, la Grande-Bretagne se prépare depuis 1996 à
opérer à l'horizon de 1999 le déploiement sur l'ensemble
de son territoire de six bouquets numériques de quatre à cinq
chaînes, le lancement débutant en 1998. La fermeture du
réseau analogique aurait lieu dans dix ans.
Quant aux Etats-Unis, ils précèdent là aussi le mouvement,
puisque tous les diffuseurs hertziennes terrestres devront émettre en
numérique en 2003 et que l'arrêt de la diffusion analogique
hertzienne terrestre est prévue en 2006.
Il ne sera possible de mettre en France le numérique hertzien terrestre
sur les rails que si, l'intérêt pour la France de ce mode de
transport de l'information étant préalablement admis par les
acteurs concernés, un scénario de transition est mis au point de
la même manière qu'en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Il
s'agirait de déterminer une date de passage au numérique et les
condition réglementaires et techniques d'une transition non
déstabilisatrice du marché.
Les points suivants devront notamment être réglés dans ce
cadre : les modalités d'attribution des fréquences pendant
la période de transition entre l'analogique et le numérique et
celles de leur affectation ultérieure (octroi ou non d'une
priorité aux opérateurs existants, gratuité ou non de
l'utilisation pour des applications rentables, procédures
d'attribution...), la normalisation des récepteurs et la
compatibilité des systèmes d'accès sous condition,
l'articulation de la diffusion numérique terrestre et de la
communication locale (réserve de fréquences pour les services
locaux ou création de réseaux nationaux).
B. ORGANISER : LE STATUT DES ENTREPRISES AUDIOVISUELLES
La
liberté de la concurrence ainsi que le pluralisme et la transparence des
entreprises sont les objectifs majeurs du régime juridique des
entreprises de communication audiovisuelle mis en place par la loi du
30 septembre 1986. Les problèmes que celui-ci doit résoudre
changent progressivement de dimension sous l'influence de deux
phénomènes.
Le premier est la tendance à la concentration et à
l'intégration verticale qui accompagne l'avènement de
l'économie numérique. Ce phénomène met en relief
deux nécessités contradictoires, celle de la constitution d'une
industrie audiovisuelle concurrentielle au plan international, et celle de la
diversité des opérateurs nationaux, cette diversité
étant une garantie essentielle de la liberté de la concurrence et
du pluralisme des courants d'expression socioculturels.
Le second phénomène à prendre en compte est
spécifiquement français. Un nombre restreint d'entreprises, dont
l'activité est souvent largement dépendante des commandes de
l'Etat et des collectivités locales, parait en mesure de mobiliser les
ressources nécessaires au financement des investissements très
lourds qu'implique la conquête de positions clés sur les
marchés émergeants de la télévision
numérique et du multimédia. Cette situation n'est pas sans poser
problème.
On a vu dans la première partie de ce rapport que l'absence
d'informations objectives ne permettait pas plus d'identifier un grave risque
de conjonction entre la détention d'un pouvoir sur l'information et la
poursuite de stratégies économiques, que de conclure à
l'innocuité de la présence massive dans la communication
audiovisuelle d'intérêts économiques extérieurs au
secteur. Ce qui importe est que le risque ne pouvant être
écarté, il doit être prévenu dans
l'intérêt de la déontologie de la communication. Mais le
dispositif existant est-il insuffisant, comme le gouvernement semblait le
croire il n'y a guère, faut-il créer de nouvelles contraintes
pour les opérateurs, lesquelles, avec quelles conséquences pour
le dynamisme de l'audiovisuel français ? Ces questions seront au
coeur des débats qui s'annoncent.
Le régime juridique des entreprises de communication audiovisuelle
suscite ainsi un fort regain d'intérêt. On tentera ci-dessous
d'esquisser une problématique en dissociant autant que faire se peut ce
qui est lié à la préservation du pluralisme et ce qui est
lié à l'objectif de la libre concurrence.
1. Le pluralisme
a) Les garanties
Comme on
l'a vu, la notion de pluralisme est au coeur de la loi du 30 septembre 1986.
Elle a inspiré l'élaboration du dispositif anti-concentration,
composante essentielle du régime juridique des entreprises de
l'audiovisuel.
Celui-ci a été en effet institué par la loi du 27 novembre
1986 complétant la loi du 30 septembre 1986, sur l'injonction du
Conseil constitutionnel. La décision n° 86-127 du
18 novembre 1986 avait en effet qualifié le pluralisme des courants
d'expression socioculturels d'objectif de valeur constitutionnelle, et
considéré le système de contrôle des concentrations
adopté initialement par le législateur comme insuffisant au
regard de l'enjeu. La décision du conseil énumérait six
reproches, dessinant ainsi un panorama précis des mesures à
prendre.
Le système anti-concentration qui figure actuellement dans la loi du
30 septembre 1986 résulte de ces injonctions (la loi du
1er février 1994 a effectué de légères
adaptations). Particulièrement complexe, il comporte trois séries
de dispositions : des limitations à la détention du capital
des sociétés autorisées à exploiter un service de
communication audiovisuelle, une limitation des cumuls d'autorisations
relatives à un même support de communication audiovisuelle, une
limitation des concentrations multimédias à l'échelon
national.
Les tableaux suivants, extraits de l'ouvrage de Francis Balle,
" Médias et Sociétés "
48(
*
)
, présentent un résumé synoptique
de ce dispositif (à l'exception des seuils de détention du
capital -cf. à cet égard l'article 39 de la loi de 1986).
LIMITATION DES POSITIONS DOMINANTES MONOMÉDIAS D'UNE MÊME PERSONNE OU D'UN GROUPE DE PERSONNES
Services |
Autorisations |
Seuils de cumul d'autorisations |
Seuil relatif au contrôle d'entreprise de presse |
•
T.V. hertzienne nationale
|
1
|
|
|
• T.V. hertzienne diffusée dans une zone géographique déterminée (200.000 à 6 M d'habitants). |
•
Une seule autorisation dans une même zone.
|
|
|
•
Radiodiffusion sonore
|
|
• Seuil de 150 M d'habitants pouvant être desservis par un même opérateur |
|
• Câble |
|
• Couverture de 8 M d'habitants au maximum |
|
• Presse quotidienne d'information politique générale. |
|
• |
• Pas de contrôle direct, indirect ou en location gérance de plus de 30 % de la diffusion totale de cette catégorie de presse. |
LIMITATION DU CUMUL DES POSITIONS MULTIMÉDIAS
Services à diffusion nationale |
Services diffusés dans une même zone géographique |
||
1) T.V. hertzienne terrestre > 4 M. hab + radio > 30 M hab. |
•
Pas d'autorisation de réseaux câblés > 6 M. hab.
|
1) T.V. hertzienne terrestre + radio > 10 % audience cumulée des services de même nature. |
•
Pas de réseau câblé.
|
2) T.V. hertzienne terrestre > 4 M. hab + presse > 20 % diffusion totale de la presse. |
•
Pas d'autorisation radio > 30 M. hab.
|
2) T.V.+ publication de presse |
•
Pas de réseau câblé
|
3) Radio
> 30 M. hab.
|
•
Pas d'autorisation
|
3) Radio > 10 % audience cumulée des services de même nature + presse |
•
Pas de T.V.
|
4)
Réseaux câblés
|
•
Pas d'autorisation
|
4)
câble + radio
|
•
Pas de T.V.
|
5)
Réseaux câblés
|
•
Pas d'autorisation
|
5) Câble + presse |
•
Pas de T.V.
|
Règle générale
: une même
personne ou groupe de personnes peut disposer de positions dominantes dans deux
médias sur quatre, dans les respects des limites fixées aux
positions dominantes monomédias. Au-delà, les règles
ci-dessus s'appliquent.
|
b) Pistes
On
évoquera successivement les critiques adressées au dispositif
anti-concentration de la loi de 1986 et les propositions de réforme
présentées ici et là.
Une des critiques les plus fréquentes porte sur le seuil de
détention par une même personne du capital d'une chaîne
nationale de télévision par voie hertzienne terrestre,
porté à 49 % par la loi du 1er février 1994.
Il a été suggéré de revenir au seuil de 25 %
fixé précédemment ou de fixer un nouveau seul de 30 %,
afin de limiter l'influence d'une personne physique ou morale sur la gestion
des services généralistes de télévision, ceux dont
l'influence politique et sociale est la plus marquée. Il est possible de
remarquer à l'égard de ces propositions qu'une décision du
Conseil constitutionnel des 10 et 11 octobre 1984 ne permet au
législateur de remettre en cause des situations existantes
intéressant une liberté publique, ce qui est le cas ici, que si
ces situations ont été illégalement acquises, ou si cela
est réellement nécessaire pour assurer la réalisation de
l'objectif constitutionnel poursuivi. Il ne peut s'agir dans notre cas que du
pluralisme. Or, comme l'article 28-1 de la loi de 1986 l'y invitait, le CSA a
constaté, lors du récent renouvellement de l'autorisation de TF1,
que cette reconduction ne portait pas atteinte à l'impératif de
pluralisme sur le plan national, ou sur le plan régional et local. La
remise en cause éventuelle de l'actionnariat des chaînes de
télévision semble ainsi se heurter à de sérieux
problèmes de constitutionnalité.
Notons aussi que, du reste, le contrôle de la propriété du
capital des entreprises de communication audiovisuelle institué par la
loi de 1986 ne paraît pas totalement efficace dans la mesure où
certains groupes de sociétés n'ont pas de réalité
juridique. La loi peut être contournée sans difficulté
excessive.
Il a été proposé par ailleurs d'assurer
l'indépendance des entreprises de communication audiovisuelle à
l'égard d'actionnaires dépendant des commandes publiques. On peut
se demander si la structure de l'industrie française permet ce type de
mesure. On peut aussi se demander si la jurisprudence citée plus haut du
Conseil constitutionnel permet une telle réforme législative,
dans la mesure où celle-ci impliquerait la modification de
l'actionnariat des chaînes nationales.
L'absence de disposition législative permettant de limiter l'influence
des actionnaires d'une entreprise de communication audiovisuelle sur
l'information a aussi été critiquée. Diverses formules ont
été préconisées, dont le cantonnement dans des
structures juridiques autonomes, des participations de groupes industriels dans
l'audiovisuel. On notera à cet égard que si la séparation
juridique entre les différentes activités d'une entreprise ou
d'un groupe est une technique utile pour résoudre certains
problèmes intéressant les entreprises publiques
49(
*
)
, la formule ne garantit pas, en revanche,
l'indépendance fonctionnelle des différentes structures d'un
groupe d'entreprises. La séparation juridique des activités ne
paraît pas une véritable garantie pour le pluralisme.
On concluera l'énumération des critiques en notant qu'aucune
disposition de la loi de 1986 n'interdit à un opérateur de
contrôler la totalité du marché sur lequel il opère.
La limitation des parts de marchés monomédias ou
multimédias détenues par un opérateur sur un marché
national ou local a été proposée comme remède
à cette lacune. La loi de 1986 esquisse une solution de ce type en
faisant figurer le contrôle de quotidiens d'informations politique ou
générale représentant plus de 20 % de la diffusion
nationale, parmi les situations susceptibles d'interdire l'octroi à une
personne d'une autorisation relative à un service de radiodiffusion
sonore ou de télévision par voie hertzienne terrestre, ou
relative à l'exploitation d'un réseau câblé (art.
41-1). On peut imaginer de développer de type de mesure.
2. La concurrence
a) Le régime juridique
Sur le
plan juridique, les problèmes de concurrence donnent lieu à deux
types de réglementations, l'une porte sur le contrôle des
concentrations économiques, l'autre porte sur le contentieux des
pratiques anticoncurrentielles.
La loi du 30 septembre 1986 a institué dans ce domaine un régime
dérogatoire au droit commun de la concurrence. Ce régime
juridique est largement centré sur le dispositif anti-concentration
élaboré en faveur du pluralisme, et met en place un partage de
compétence entre le conseil supérieur de l'audiovisuel et le
conseil de la concurrence.
L'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que
" le
Conseil de la concurrence veille au respect du principe de la liberté de
la concurrence dans le secteur de la communication audiovisuelle, selon les
règles et dans les conditions prévues par l'ordonnance
n° 89-1243 du 1er décembre 1986 relative à la
liberté des prix et de la concurrence, à l'exception de son titre
V. Il recueille dans le cadre de cette mission, en tant que de besoin, les avis
du Conseil supérieur de l'audiovisuel ".
Le titre V de la loi du 1er décembre 1986 traite de la
concentration économique qui relève ainsi exclusivement, dans la
communication audiovisuelle, du dispositif anti-concentration mentionné
ci-dessus, dont l'application appartient au conseil supérieur de
l'audiovisuel.
Ce partage entre le CSA et le conseil de la concurrence peut paraître
a priori
assez rationnel, si ce n'est que certaines dispositions de la
loi du 30 septembre 1986 paraissent attribuer au CSA une compétence plus
étendue que la seule l'application du dispositif
anti-concentration :
- l'article premier précise qu'il veille à favoriser la libre
concurrence (al. 4) ;
- l'article 17 dispose qu'il adresse des recommandations au gouvernement sur le
développement de la concurrence dans les activités de
communication audiovisuelle (al. 1) et qu'il est habilité à
saisir les autorités administratives ou judiciaires compétentes
pour connaître des pratiques restrictives de la concurrence et des
concentrations économiques
50(
*
)
(al. 2) ;
- l'article 29 prévoit qu'il accorde les autorisations d'utiliser les
fréquences hertziennes terrestres pour la diffusion de services de
radiodiffusion sonore au regard de la nécessité d'éviter
les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre
exercice de la concurrence (al. 8).
b) L'intensification des problèmes
La
diversification des acteurs, des marchés et des ressources de la
communication audiovisuelle d'une part, la tendance à
l'intégration des groupes désireux de renforcer leurs positions
de marché d'autre part, exacerbent la concurrence et multiplient les
différends soumis aux autorités compétentes,
différends qu'il est souvent demandé au législateur de
trancher en modifiant la loi dans le sens des intérêts de telle ou
telle partie.
La description des occasions de conflits demanderait une étude
ciblée de l'économie de la communication audiovisuelle, qui
n'entre pas dans le propos de ce rapport. On se contentera de relever
l'existence de deux catégories de problèmes : l'accès
des opérateurs au public d'une part, aux contenus d'autre part, qui
suscitent toutes sortes de pratiques anticoncurrentielles favorisées par
l'intégration assez poussée des diffuseurs.
L'accès au public a deux aspects, l'accès aux moyens de diffusion
et l'accès aux parcs de décodeurs. On peut illustrer ce type de
problèmes avec l'exemple d'un éditeur de programmes souhaitant
créer des chaînes numériques. La diffusion de ces
chaînes par satellite ou leur distribution sur les réseaux
câblés peut être empêchée par un
opérateur de bouquet satellitaire ou un câblo-opérateur
lié à un éditeur concurrent ou lui-même
éditeur de programmes. C'est un des problèmes que pose
l'intégration verticale des opérateurs. L'intégration
verticale peut aussi faire obstacle à la commercialisation d'un bouquet
satellitaire empêché d'accéder au parc de décodeurs
contrôlé par l'opérateur d'un bouquet concurrent. De
multiples configurations anti-concurrentielles sont imaginables à partir
de ces cas de figure.
L'accès aux contenus (fictions cinématographiques et
audiovisuelles, programmes sportifs, pour les éditeurs de
chaînes ; chaînes de télévision pour les
opérateurs de bouquets et les câblo-opérateurs) donne aussi
lieu à différentes pratiques anticoncurrentielles dont on
n'entreprendra pas de dresser ici l'inventaire.
c) Pistes
Un des
problèmes majeurs que pose le droit de la concurrence dans l'audiovisuel
paraît être l'inapplication du droit commun de la concurrence en
matière de concentration économique. Le dispositif
anti-concentration institué par la loi du 30 septembre 1986 a un
objectif essentiellement politique, comme on l'a vu. Il ne permets pas de
traiter l'ensemble des problèmes que la concentration horizontale est
susceptible de provoquer sur les marchés de la communication
audiovisuelle. Ainsi, comme on l'a déjà noté, aucune
disposition légale n'interdit à une chaîne de
télévision de contrôler la totalité du marché
sur lequel elle opère. La loi du 30 septembre 1986 ne
prévoit rien à cet égard. Il est vrai cependant que
certaines concentrations sur ce marché peuvent avoir des effets sur le
marché de la publicité, auquel est applicable le droit commun de
la concurrence. C'est ainsi que le Conseil de la concurrence a pu être
saisi de certains rachats d'entreprises de communication audiovisuelle.
D'autres questions entrent dans le champ du droit de la propriété
intellectuelle et peuvent être résolues par ce biais. Ces
palliatifs ne peuvent cependant résoudre les questions de fond que pose
la concurrence sur les marchés de la communication audiovisuelle.
Auditionné par le groupe de travail le 25 février dernier,
M. Frédéric Jenny, vice-président du conseil de la
concurrence, estimait ainsi que le dispositif légal actuel ne permettait
pas de contrôler la " puissance de marché " des
entreprises, et estimait que la solution qui consisterait à confier
l'ensemble des problèmes de concurrence intéressant l'audiovisuel
au conseil supérieur de l'audiovisuel serait insatisfaisante.
En effet, notait-il en substance, certaines expériences
étrangères démontrent la difficulté
qu'éprouve le régulateur à appliquer le droit de la
concurrence dans le domaine dont il a la charge. Il lui est en effet difficile
d'éviter le phénomène de " capture
réglementaire " qui conduit à une interprétation
laxiste de la réglementation. On observe ainsi, dans le cas
français, que la loi de 1986 a prévu la saisine du conseil de la
concurrence par le CSA quand ce dernier constate l'existence de pratiques
anticoncurrentielles. Or aucune saisine n'a jamais eu lieu. De fait, le
contrôle des " positions de marché " nécessite
une analyse économique extrêmement fine qui n'est pas
forcément à la portée d'un organisme régulateur
parfois plus sensible à la logique économique défendue par
le opérateurs qu'aux objectifs de la liberté de la concurrence.
C'est pour ces raisons que l'Italie a confié à son conseil de la
concurrence le contrôle des entraves à la concurrence et celui de
la concentration économique sur les marchés de l'audiovisuel, la
concentration de la propriété du capital restant
contrôlée par le régulateur de la communication
audiovisuelle. Quand une opération pose simultanément les deux
types de problèmes, il y a rapprochement et accord entre les deux
autorités.
Que conclure de ces observations ? Le contrôle de la
" puissance de marché " paraît une piste à
explorer. On peut envisager de confier au conseil de la concurrence
l'application à la communication audiovisuelle du titre V de
l'ordonnance du 1er décembre 1986. On peut aussi envisager d'introduire
dans le dispositif anti-concentration spécifique de la loi du
30 septembre 1986 les limites de détention de parts de
marché selon des critères d'audience et de recettes
publicitaires. Cette seconde option s'inscrirait dans la logique actuelle de la
loi du 30 septembre 1986, qui confond les instruments de garantie du
pluralisme et ceux de la liberté de la concurrence.
C. RÉÉVALUER LE RÔLE D'ACTEUR DE L'ETAT : LE SECTEUR PUBLIC NATIONAL
On a
brièvement énuméré, dans la deuxième partie
de ce rapport, les raisons de croire que le secteur public de l'audiovisuel
constitue un facteur potentiel d'instabilité du droit de la
communication. Les consultants se relaient au chevet du patient :
commission Campet en 1993, mission Bloch-Lainé en 1996, mission Missika
en 1997, pour ne citer que les derniers rapports publiés dans ce
domaine. Le diagnostic est généralement sévère,
spécialement pour les pouvoirs publics, accusés d'agir au coup
par coup sans crainte de l'incohérence. La lucidité ne fait
pourtant pas défaut au politique : les travaux parlementaires mettent
inlassablement en évidence les failles principales du système et
proposent des solutions. Mais les organismes fonctionnent sans trop
d'à-coups ; et les audiences honorables, des finances assainies, un
climat social assez calme peuvent donner aux gouvernements le sentiment qu'il
serait plus inopportun qu'utile d'ouvrir un dossier souvent
présenté comme une boîte de Pandore.
Le secteur public peut bien naviguer à vue, de l'avis
général : la mer est plutôt paisible, et pas vraiment
menaçants les écueils que signalent les rubriques des rapports
d'audit :
" Un déficit récurrent d'identité. Des
perspectives de financement préoccupantes. Un défaut
d'articulation. Un cadre institutionnel constamment discuté. Un
héritage de rigidités. Une personnalisation marquée des
enjeux. Une exposition permanente au danger des balles perdues "
, pour
s'en tenir au sommaire du rapport final de la mission Bloch-Laîné
(première partie, II).
Mais, nous l'avons vu, les changements provoqués par la
numérisation vont faire surgir de nouveaux défis et risquent
d'accentuer les contradictions latentes. Il devient indispensable de faire le
point et d'amorcer quelques remises en ordre avant qu'un trop plein de
questions non résolues ne suscite le doute sur la
légitimité même de l'audiovisuel public.
Il n'est pas inintéressant, dans cette perspective, d'introduire le
schéma de réflexion qui suit par une interrogation sur cette
légitimité.
1. La légitimité du secteur public
a) Secteur public et secteur privé
(1) Une spécificité nécessaire
En
dernière analyse, le principal problème du secteur public est
peut-être le secteur privé. Comme le constatait en 1993 le rapport
Campet
51(
*
)
:
" l'ouverture
du champ télévisuel à la concurrence des entreprises
privées posait en termes nouveaux la question de la
légitimité de l'audiovisuel public. Une mise à jour des
missions devenait nécessaire, non plus pour justifier le régime
des monopoles, mais bien pour fonder l'existence du secteur public.
L'État actionnaire n'a pourtant pas tiré les conséquences
de cette exigence ".
D'où les propositions de clarification présentées par le
même rapport, puis les " pierres de touche " proposées
par le rapport Bloch-Laîné, et enfin les cinq " objectifs
actualisés " énumérés par le rapport Missika.
Celui-ci expose une analyse fouillée de la perte d'identité du
secteur public :
" quand on entre plus avant dans l'analyse des
cahiers des missions et des charges, on relève trois niveaux distincts
de préoccupations : les obligations d'ordre public et
déontologique, des obligations d'intérêt
général à caractère économique, des missions
spécifiques au secteur public. Or, force est de constater que les deux
premiers niveaux s'appliquent indifféremment à toutes les
chaînes, qu'elles soient publiques ou privées. Ainsi se confirme
l'absence d'identité entre le service public et le secteur public. (...)
Les deux premiers niveaux d'obligations constituent des ensembles clairement
identifiés. Les objectifs et les moyens sont précis. En revanche,
le troisième niveau, celui qui doit faire la spécificité
du secteur public, est hétérogène et comporte des
objectifs souvent flous ou inadaptés et sans cohérence des moyens
52(
*
)
".
Le tableau des missions spécifiques des organismes publics dressé
par Jean-Louis Missika à partir des cahiers des charges des
chaînes illustre bien la relative vacuité, sous l'angle juridique
au moins, d'une identité nécessaire à la
légitimité de l'audiovisuel public.
MISSIONS SPÉCIFIQUES DE SERVICE PUBLIC |
principes généraux |
modalités d'application |
Culture et savoir |
promouvoir ces domaines et en favoriser l'accès au plus grand nombre |
France
2 : préambule, art. 24 (spectacles vivants), 25
(littérature, histoire, cinéma, arts plastiques), 26 (musique,
concerts), 29 (sciences)
|
intégration sociale |
cohésion nationale |
France 2 : art. 7 (sourds
et malentendants),
20 (populations étrangères)
|
aménagement du territoire |
valorisation et cohésion de la diversité territoriale |
France 2 : art. 48
(outre-mer avec RFO)
|
accès à l'antenne des institutions et formations politiques |
favoriser la vie démocratique |
France 2 : art. 10
(communication du Gouvernement),
11 (campagnes officielles), 12 (séances du Parlement),
|
autres obligations d'accès à l'antenne |
favoriser le débat, la vie sociale et l'expression des courants de pensée |
France 2 : art. 14
(organisations professionnelles),
15 (émissions religieuses), 16 (grande cause nationale),
17 (sécurité routière), et 18 (information du
consommateur)
|
diversité et pluralisme des programmes |
télévision d'ouverture pour tous les publics |
France 2 : art. 26
(musique), 27 (arts), 30 (sports),
32 (ciné-club)
|
respect des oeuvres |
intégrité de la création |
France 2 : art. 36
|
Source : les entreprises publiques de
télévision
et les missions de service public. Rapport de mission.
Tout ceci manque de relief, et l'on est tenté de résumer la
question de la spécificité du secteur public avec les mots de
Saint-John Perse : "
où vint la chose à nous
manquer, et le seuil quel est-il, que nous n'avons
foulé ?
" (Amers). Esquissons quelques
éléments de réponse.
(2) Aspect de la spécificité
On peut
distinguer différentes conceptions de la spécificité du
secteur public à partir de la définition du service public
rappelée dans la seconde partie du rapport : une activité
d'intérêt général qui ne peut être prise en
charge par l'initiative privée dans des conditions satisfaisantes et qui
est en conséquence assurée par une personne publique ou
confiée à une personne privée sous le contrôle de la
puissance publique.
Selon cette définition, l'intervention publique est justifiée, et
même rendue nécessaire, par la carence de l'initiative
privée. On peut en tirer deux conceptions différentes du secteur
public : la théorie du secteur résiduel et la théorie
de la fonction sociale. Elles apparaissent de façon lapidaire dans un
paragraphe du rapport final de la mission Bloch Laîné :
" cantonner, par application du principe de subsidiarité, le
secteur public dans le domaine de ce que ne peut pas faire le secteur
privé serait l'enfermer dans une conception " a minima " de
son utilité, trop restrictive au regard du besoin qu'en a la
collectivité nationale. Le secteur public doit certes être en
charge de ce que lui seul, par la force des choses, peut faire : mais on
peut et doit aussi lui demander de faire autrement, s'il y a lieu, ce que fait
le secteur privé car il faut, à l'inverse, éviter le
piège du principe de concurrence " à tout va ", qui
conduit à instaurer une confrontation, sans intérêt, de
clones et autres clones "
.
Evoquons les implications de ces deux conceptions.
La théorie du secteur résiduel implique l'idée que le
maintien des chaînes publiques ne se justifie que si celles-ci prennent
en charge les fonctions non assumées par le secteur privé. Pour
reprendre le triptyque traditionnel
" distraire, informer,
éduquer ",
la fonction de distraction, serait abandonnée
au privé, les chaînes publiques devant manifester leur
différence en termes de contenu éducatif, d'enrichissement
culturel, de création... Ceci peut conduire à deux formes de
régression du secteur public. D'une part les chaînes publiques
généralistes, abandonnant la fonction distractive au
privé, peuvent évoluer vers un format thématique ou
semi-thématique du genre Arte. D'autre part les chaînes
thématiques publiques peuvent être vouées à la
disparition à partir du moment où leur rôle sera
assumé par les thématiques privées qui ne manqueront pas
de couvrir à terme l'ensemble des catégories de programmes.
D'autres types de cantonnement du secteur public peuvent être
imaginés dans la même logique. On peut par exemple imaginer le
transfert à France 3 ou à La Cinquième des
obligations de service public imposées à France 2 et la
privatisation de cette chaîne dont la ligne éditoriale est d'ores
et déjà très proche de celle de TF1.
La théorie de la fonction sociale du secteur public a des implications
très différentes. Fondée sur l'idée que les
chaînes publiques ont une mission d'intégration qui les conduit
à proposer au grand public la gamme de programmes la plus vaste
possible, elle justifie la pérennité des chaînes
généralistes publiques tout en ouvrant la voie à la remise
en cause du financement public de chaînes thématiques. Cette
conception a soutenue par Dominique Wolton dans les termes suivants :
" Il est évident qu'une télévision publique est
plus indépendante de la tyrannie de l'audience et peut offrir une grille
de programmes plus ouverte. La grille traduit explicitement le niveau
d'ambition des dirigeants de la télévision, publique ou
privée. Plus elle est large, diversifiée, à la fois
traditionnelle et innovante, complète dans les genres et les horaires,
pour essayer de toucher tous les publics potentiels, plus elle est conforme
à son statut de média de masse. Plus elle est, au contraire,
refermée sur les quelques genres de programmes assurés de
succès sans innovation, sans ouverture sur d'autres publics ou d'autres
préoccupations, plus elle faillit à sa mission essentielle de
miroir et de lien social de l'hétérogénéité
sociale
53(
*
)
. "
Dans cette analyse fondée sur l'éloge de la
télévision généraliste en tant que facteur de lien
social, de modernisation et d'identité nationale, la
télévision publique apparaît comme la véritable
forme de la télévision généraliste :
" la télévision généraliste privée
est toujours menacée de glisser vers le bas. C'est-à-dire de se
resserrer autour de quelques programmes assurés de succès... Et
de ressembler de ce fait à une télévision
thématique ! Surtout dans le contexte de concurrence
effrénée actuel. A l'inverse, la télévision
publique généraliste, quand elle fait bien son travail, offre une
palette plus large. Autrement dit, si l'on veut réellement garantir la
qualité de la télévision généraliste, il
faut préserver le statut et le rôle de la télévision
publique, à savoir un système audiovisuel équilibré
dans la concurrence entre public et privé.
Demain, la télévision publique, dans une économie mondiale
de la communication, sera une condition essentielle au maintien de la
télévision généraliste et un facteur
d'identité nationale "
54(
*
)
.
b) Etat des lieux
On a évoqué ci-dessus la confusion qui règne largement entre l'image du secteur public et celle du secteur privé. Plutôt que de refaire le panorama bien connu des connivences éditoriales, on tentera d'esquisser ici une présentation synthétique des réelles différences de programmation, et des conditions juridiques et politiques d'une véritable restauration de l'identité du secteur public.
(1) De discrètes particularités
Les
présidents de France Télévision aiment à
démontrer que les ressemblances que chacun croit constater entre la
programmation des deux chaînes, spécialement France 2, et celle
des chaînes commerciales privées ne sont qu'apparences trompeuses.
Par exemple, les jeux de France télévision feraient appel
à la connaissance et non à l'esprit de lucre. L'avis
budgétaire de la commission des affaires culturelles sur les
crédits de la communication en 1998 exprimait quelques doutes sur cette
modalité d'accomplissement de la mission éducative des
chaînes :
" A ce sujet, on se joint aux doutes
exprimés de longue date par de bons esprits à l'égard de
la valeur culturelle des jeux télévisuels :
" Les
demi-cultivés (ou demi-barbares) de l'ère de l'audiovisuel. Quand
on suit à la radio ou à la télévision un des
innombrables jeux radiophoniques, on est frappé de la proportion somme
toute élevée des réponses justes, considérablement
plus grande en moyenne qu'elle ne l'eût été il y a
cinquante ans. Mais on pressent en même temps que ces connaissances
ponctuelles n'ont aucune tendance à s'organiser en réseaux
cohérents. L'esprit de leur possesseur fait penser à un
cartographe du relief qui, disposant d'un assez grand nombre de points
cotés, n'aurait aucun notion de la manière de les joindre par des
courbes de niveau
55(
*
)
"
".
Mais, dira-t-on, France 3, au moins se démarque, sinon par les
émissions de jeux et les heures de programmation des programmes
culturels, du moins par sa vocation affirmée de chaînes des
régions, ses programmes de proximité. Rappelons à cet
égard l'analyse présentée par M. Bloch-Lainé dans
le rapport final de la mission d'audit du secteur public :
" Les
programmes dits " de proximité ", si l'on y regarde d'un peu
plus près, n'occupent qu'une assez faible part de la grille ; en
fait France 3 est une chaîne généraliste qui offre
à son public de l'information, des magazines, du cinéma, du
sport, du divertissement et de la culture, et qui a su profiter de
l'affrontement TF1-France 2 pour " contre-programme " notamment
le " 19/20 ".
Ainsi présentées, les particularités de la programmation
de France Télévision sont décidément trop
discrètes pour étayer l'idée d'une singularité
latente du secteur public. Il faut chercher ailleurs.
M. Hervé Bourges, auditionnant les responsables de France
Télévision le 18 juillet 1997 à l'occasion de l'examen des
bilans de 1996, faisait état d'un
" divorce entre le volume
réel d'émission d'information, de culture et de services que la
statistique dénombre, et la perception qu'en a l'opinion. "
Cette consolante mise au point concernait France 2.
Il est de fait que l'opinion retient plus facilement l'image donnée par
l'émission phare qui précède les nouvelles de 20 heures
que les émissions culturelles diffusées aux alentours de minuit.
Mais il semble néanmoins que l'approche statistique mise en avant par M.
Bourges permette de déceler de véritables différences
entre les stratégies de programmation du secteur privé et celles
de France Télévision.
Auditionné le 4 mars dernier par le groupe de travail, Jean-Charles
Paracuellos, chargé de l'audit à France télévision,
a présenté de cette spécificité une analyse
astucieuse qui n'est pas étrangère à la théorie de
la télévision généraliste développée
par Dominique Wolton (cf. ci-dessus).
Il est intéressant de résumer cette présentation de la
spécificité-légitimité de France
Télévision. Elle part de l'analyse de l'avenir de la
télévision généraliste sommairement exposée
dans la première partie du rapport et qu'il convient de rappeler ici.
M. Paracuellos effectue une distinction entre d'une part les
" services
de base "
comprenant les chaînes accessibles gratuitement en
tous points du territoire (TF1, France 2 et France 3) et les chaînes
à couverture territoriale incomplète (M6, Arte, la
Cinquième), et d'autre part les
" services de
complément ",
comprenant les bouquets payants. Les services de
base produisent des contenus rassemblant un large public tandis que les
services de complément rediffusent des produits existants et permettent
l'accès à des contenus d'origines diverses ne pouvant rassembler
un large public (sous réserve du cas particulier de Canal Plus).
Des menaces pèsent actuellement sur les services de base. On constate en
effet un début de déplacement de l'audience vers les services
payants, ce qui pourrait diminuer les ressources publicitaires des services de
base alors que, en ce qui concerne le secteur public, le contexte est
défavorable à l'augmentation de la redevance du fait de la
richesse croissante de l'offre. Ceci pourrait, à terme, porter atteinte
aux ressources des services de base, provoquer par contrecoup la
dégradation de leur qualité, et favoriser les progrès des
services payants. Un tel processus amoindrirait le rôle des services qui
offrent au public la plus grande facilité d'accès, garantissent
l'exposition satisfaisante des produits audiovisuels, tout en présentant
des perspectives de gains de productivité dans le processus de
production et de distribution des contenus. Le déclin des chaînes
gratuites encouragerait par ailleurs l'américanisation des contenus et
susciterait la baisse globale du rapport qualité-coût du service
télévisuel.
Face à ces perspectives, il importe de maintenir la qualité
globale des services de base, c'est-à-dire essentiellement leur
diversité et leur universalité, et de garantir ainsi l'existence
d'un large choix de programmes pour tous les publics.
On devine à cette étape du raisonnement que la
télévision publique, et spécialement France
Télévision, a quelque chose à voir avec le maintien de la
qualité du service de base.
M. Paracuellos remarque de fait que les programmes des chaînes gratuites
privées sont orientés vers les cibles recherchées par les
annonceurs alors que grâce au financement par la redevance, les
chaînes publiques ont la possibilité de ne pas effectuer de
discriminations entre les publics, ce qui contribue à diversifier
l'audience. Il illustre ce propos en notant que les ménagères de
moins de 50 ans représentaient en 1997 18,5 % de l'audience
globale, 15 % de celle de France Télévision et 21 % de
celle du secteur privé, ce dernier taux étant en augmentation de
3 points par rapport à 1990. Conséquence logique : le repli des
télévisions publiques par la diminution du
périmètre du secteur public ou par le cantonnement des
chaînes dans l'exercice de missions de service public amorcerait la
régression du service de base et le processus cumulatif décrit
plus haut.
C'est ainsi que les chaînes publiques jouent un rôle essentiel dans
le système audiovisuel par leur contribution à la qualité
globale du service de base, qu'il leur faut pour cela s'adresser à tous
les publics, aborder tous les genres, gérer efficacement la redevance.
Par ailleurs, le repli sur les missions de service public provoquerait la
régression du service de base universel, l'inégalité
d'accès à la télévision, la baisse de la production
audiovisuelle, la baisse globale du rapport qualité-coût de la
télévision.
En définitive, les ressemblances entre la programmation de TF1 et celle
de France 2 qui frappent le téléspectateur non averti, non
seulement dissimuleraient en fait de profondes différences, mais encore
seraient indispensables à l'accomplissement des missions de service
public dans leur véritable dimension. La boucle est
bouclée !
(2) Quelques pistes
Il ne
s'agit pas ici de proposer un tableau des conditions de
légitimité du secteur public en fonction des différentes
approches possibles, mais d'insister sur ce qui paraît être la
condition sine qua non d'une restauration de son image.
Il est indispensable à cette fin d'articuler de façon
satisfaisante l'énoncé des missions, la définition
d'objectifs stratégiques à moyen terme, l'identification des
moyens financiers disponibles. Il appartient à l'Etat d'assumer ses
responsabilités à cet égard, en tant qu'actionnaire des
chaînes publiques.
L'avis budgétaire de la commission des affaires culturelles sur le
projet de budget pour 1997 présentait déjà cette triple
exigence en mettant en relief les inconvénients de l'effacement de
l'Etat actionnaire dans la gestion des chaînes publiques. La
démonstration, reproduite ci-dessous, insistait sur l'importance de
recourir à l'instrument des contrats d'objectifs. Elle reste valable en
tous points.
QUELQUES CONDITIONS PREALABLES A L'AFFERMISSEMENT DE LA LEGITIMITE DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC
Les
cahiers des missions et des charges de France 2 et de France 3, ambigus et
parfois contradictoires, présentent des formulations trop
générales pour constituer de véritables axes d'actions. Il
est de fait que le préambule commun aux deux cahiers énonce une
série assez peu opérationnelle de principes
généraux : rassembler le public le plus large, apporter au public
information, enrichissement culturel et divertissement, aborder tous les
genres, proposer une programmation particulièrement riche et
diversifiée dans le domaine culturel et à l'intention de la
jeunesse, porter systématiquement attention à
l'écriture... En outre, France 2 doit offrir une gamme
diversifiée et équilibrée de programmes tandis que France
3 doit affirmer sa vocation particulière de chaîne
régionale et locale en fonction d'une liste extrêmement fournie,
une nouvelle fois, de propositions : privilégier l'information
décentralisée, accorder une place importante aux journaux
régionaux d'information, faire connaître les régions de
France et d'Europe...
Comme le relève avec une ironie appuyée le rapport final de la
mission d'audit à propos du cahier des charges de La Cinquième,
"
soit ; et puis quoi encore ? Pourquoi pas, au-delà de la paix
civile en Europe, réaliser la paix du monde ?
"
Des contrats d'objectifs pourraient transformer en orientations
concrètes ce que les cahiers des charges ont d'excessivement
littéraire. La loi du 17 janvier 1989 prévoyait en son article 21
la faculté, pour l'Etat et les organismes de l'audiovisuel public, de
conclure de tels contrats annuels ou pluriannuels. L'expérience a
été tentée pendant la période 1990-1992. Mais,
comme le relève un rapport de la Cour des comptes sur les comptes et la
gestion d'Antenne 2 (1985-1989 avec actualisation à 1990) : "
le
contrat d'objectifs paraît être d'un intérêt
limité. En effet, il ne définit que des orientations
stratégiques vagues, ne prévoit aucune sanction, ne comporte que
des clauses très sommaires sur la gestion (productivité,
effectifs, modernisation), mentionne des indicateurs peu nombreux et peu
contraignants (" faire, en 1992, au moins aussi bien qu'en 1989 "),
garde le silence sur les moyens, notamment financiers, à mettre en
oeuvre : l'absence de signature de ce document par le ministre des Finances
est, à ce dernier égard, significatif. Le contrat ne renforce pas
l'autonomie de l'entreprise et n'incite guère ses dirigeants à
moderniser leur gestion. Tout au plus reflète-t-il un consensus sur les
objectifs les moins contestables "...
L'utilité potentielle des contrats d'objectifs comme instruments
d'orientation de l'audiovisuel public fait pourtant l'objet d'une remarquable
unanimité. Dans son rapport publié en septembre 1993, la
commission sur l'avenir de la télévision public,
présidée par M. Jacques Campet, préconise, avec
l'élagage des cahiers des charges, la conclusion de contrats d'objectifs
soumis à renouvellement périodique selon des modalités que
votre rapporteur rappellera ci-dessous.
Si l'on quitte les textes pour examiner la pratique, les cas symptomatiques de
l'" absence " de l'Etat ne manquent pas. Les conditions de
l'engagement de France Télévision dans la diffusion satellitaire
numérique, avec le lancement du bouquet satellitaire numérique
TPS, illustrent ainsi de façon moins " dramatique " mais plus
inquiétante que l'affaire des contrats, car il s'agit de la
stratégie à long terme d'évolution de l'audiovisuel
public, la difficulté qu'éprouve l'Etat à assumer ses
responsabilités. Cette affaire a été engagée et
continue d'évoluer sans que soient clairement posés et
résolus par les autorités compétentes un certain nombre de
problème cruciaux : les engagement financiers que l'Etat est
disposé à assumer pour assurer le lancement du bouquet,
l'opportunité de créer des chaînes thématiques
susceptibles d'entrer dans sa composition, la gratuité de l'accès
au numérique public ou le recours à l'abonnement, les
modalités d'établissement de partenariats avec des diffuseurs ou
éditeurs de programmes privés, les domaines dans lesquels la
création de chaînes thématiques publiques peut être
légitimement envisagée, le choix des systèmes de
décodage.
Or, il faut constater l'obscurité des critères qui ont
présidé à la décision de faire participer France
Télévision au bouquet satellitaire TPS. Les déclarations
ne font pas défaut, mais leur caractère lacunaire et
contradictoire surprend.
M. Elkabbach a indiqué, lors de sa dernière audition, par votre
commission, en mai dernier, que l'engagement de France Télévision
sur le marché des nouvelles technologies de l'audiovisuel était
conforme à sa mission et que la présence de France
Télévision à hauteur de 25 % au capital de la
société TPS permettrait au secteur public de peser sur les choix
stratégiques de ce bouquet numérique. L'explication paraît
courte compte tenu des enjeux financiers de la démarche.
Un peu plus tard, à la fin de juillet dernier, le rapport d'audit de
M. Bloch-Lainé, notant que les pouvoirs publics n'avaient pas
encore annoncé le cap, et que les chaînes publiques, en attendant
des consignes plus claires, avaient abordé le problème en ordre
dispersé, approuvait néanmoins cette démarche comme
s'inscrivant dans une logique d'entreprise, sans s'inquiéter cependant
de la possibilité d'articuler la " logique d'entreprise " dont
on ne trouve la définition dans aucun document officiel applicable
à France Télévision, avec les missions de service public
des chaînes.
Entre-temps, le nouveau président de France Télévision
avait réduit la part du groupe dans TPS à 8,5 % tout en
maintenant la décision d'apporter au bouquet plusieurs programmes
thématiques en cours de constitution. Pour M. Xavier
Gouyou-Beauchamps, c'est le postulat de l'utilité de l'offre
audiovisuelle publique qui justifie sa présence sur les supports
numériques. Cette explication est plus précise que celle de son
prédécesseur, mais n'implique pas forcément la
participation de France Télévision au capital d'un
opérateur de bouquet.
Autre auteur, autre explication, une annexe du rapport Bloch-Lainé
estime que si elles ne sont pas présentes sur les bons supports aux
meilleures conditions technologiques du moment, les chaînes publiques
perdront progressivement leur légitimité et qu'en outre, l'Etat a
pour mission de "
montrer la voie, s'agissant de technologies nouvelles
susceptibles d'avoir un tel impact sur les comportements
audiovisuels
. "
L'Etat est enfin évoqué, une mission lui est assignée par
un des auteurs du rapport Bloch-Lainé. Il surgit ainsi dans le dossier
TPS par un chemin de traverse alors que l'on aurait été en droit
de l'attendre, l'Etat actionnaire, au point de départ de l'affaire pour
en identifier les objectifs, en délimiter les conditions, en garantir le
financement. Rien de tel, au contraire, les initiatives menant à une
nouvelle diversification du secteur public de l'audiovisuel paraissent
abandonnées à la sagacité aléatoire des dirigeants
successifs de France Télévision.
Que conclure de ces développements ? Il paraît établi qu'en
l'absence d'un énoncé suffisamment explicite de ses missions et
de ses objectifs, l'audiovisuel public fait figure de " bateau ivre "
dérivant ou tenant un cap arbitraire au gré de l'inspiration de
ses dirigeants. Ce n'est assurément pas le meilleur moyen de le
préparer à affronter les bouleversements qui se profilent. Quand
des centaines de chaînes numériques seront proposées
gratuitement aux téléspectateurs, seule l'existence d'une mission
d'intérêt général bien définie justifiera le
maintien d'un secteur public fort et son financement par la redevance. Il
importe que l'Etat se préoccupe de définir cette mission et se
donne les moyens d'en contrôler l'exécution.
Que démontre cette analyse en fin de compte ? La nécessité
juridique d'améliorer les textes qui régissent l'audiovisuel
public d'abord ; mais aussi et surtout la nécessité d'une
véritable prise de responsabilité du politique :
l'engagement du gouvernement doit relayer la lucidité du
parlement.
2. Périmètre et structures du secteur public
a) Les questions posées
L'essaimage de l'audiovisuel public a conduit à la
coexistence de services généralistes et de services
thématiques entre lesquels le partage d'attributions ne procède
pas d'une logique indiscutable (ou simplement préexistante à la
création d'organismes nouveaux). Ajoutons que les modalités de la
collaboration entre ces organismes sont imprécises, sinon inexistantes.
Faut-il resserrer le périmètre du secteur public en supprimant
certains organismes et en redéployant les moyens ? Faut-il laisser
les choses en l'état, la pluralité étant synonyme de
créativité, et se contenter de renforcer la collaboration des
organismes ? Faut-il opérer des regroupements partiels, ou un
regroupement global, afin d'introduire une logique dans l'anarchie des
structures et de permettre la rationalisation de l'emploi des moyens ? Le
champ des questions est ouvert. Tout comme celui des propositions, que leur
diversité ne permet pas d'énumérer dans le cadre du
schéma de réflexion que nous exposons ici.
Autre question, la numérisation n'impose-t-elle pas, contrairement
à la logique implicite des questions précédentes, la
poursuite de l'essaimage par la création de chaînes
thématiques numériques ? Ce point fondamental pour
l'évolution du secteur public sera abordé de façon
autonome ci-dessous.
Enfin, le thème du renforcement des synergies entre des organismes
conservant leur autonomie incite à envisager l'autre aspect de cette
problématique : faut-il maintenir les collaborations actuellement
imposées par la loi de 1986. Comme Jean-Louis Missika le souligne dans
son rapport (p. 33
), " un ensemble de prescriptions sur les relations
avec les autres organismes publics impliqués dans l'audiovisuel forme un
second bloc, (de missions spécifiques), sorte de fossile de l'ORTF dont
on comprend mal l'objet mais qui entretient une opacité
nuisible ".
Au nombre de ces prescriptions, il faut citer le monopole de diffusion des
sociétés nationales de programmes, confié à TDF par
l'article 51 de la loi de 1986 et fortement contesté par les
intéressés au vu des tarifs pratiqués par TDF. Il faut
aussi mentionner les obligations de commander à la SFP, et la cession
à l'INA, trois ans après la première diffusion, des droits
d'exploitation des programmes des sociétés nationales autres que
les fictions.
Ces prescriptions pèsent sur la gestion des organismes qui y sont soumis
et ne paraissent pas insusceptibles d'être analysées comme des
subventions croisées contraires aux règles européennes de
la concurrence.
b) Quelques repères
On ne peut formuler de principes d'organisation du secteur audiovisuel public qu'à partir d'hypothèses clairement posées. On tentera ici d'en énumérer quelques-unes, de portée inégale.
(1) L'établissement de synergies
L'intensification des collaborations et l'identification des
synergies possibles entre organismes conservant leur autonomie est une voie a
priori intéressante dans la mesure où elle offre les avantages de
pragmatisme, en paraissant éviter les traquenards d'une démarche
juridique et institutionnelle qui apparaît parfois plus comme une fin en
soi que comme un point de départ. Cependant l'expérience montre
les limites du pragmatisme dans ce domaine. En matière d'échange
de programmes, par exemple, le véritable pragmatisme est, du point de
vue des organismes publics, de céder les droits détenus au plus
offrant, après exploitation sur sa propre antenne, ou de poursuivre leur
exploitation sur des services thématiques partenaires. La circulation
des programmes risque ainsi de ne concerner que les produits peu
intéressants. Quand à entrer plus systématiquement dans
une politique de coproduction, les différences de lignes
éditoriales entre les chaînes publiques constituent un obstacle
important.
En fait, l'autonomie des organismes et la diversité de leurs missions
implique une large autonomie dans l'établissement de leurs partenariats.
Le fonctionnement
a minima
du GIE constitué en janvier 1995 par
la Sept-Arte et la Cinquième le confirme. Les ambitions étaient
vastes. Il s'agissait de mettre des moyens en commun en matière de
diffusion, d'achats de programmes, de gestion des stocks de programmes, de
communication, de coproduction, de commercialisation. Le gouvernement attendait
de ce rapprochement 40 millions de francs d'économies pour la
Sept-Arte. Les seuls acquis significatifs ont concerné la
négociation commune menée avec TDF pour la fixation des frais de
diffusion et l'extension de la couverture du cinquième réseau
hertzien : la seule chose que les deux chaînes avaient apparemment
en commun, à l'époque.
(2) La bipolarisation de la télévision publique
L'idée d'un regroupement des organismes publics de
télévision en deux pôles a été
exprimée lors de la première lecture du projet de loi modifiant
la loi du 30 septembre 1986 (la discussion de ce texte a été
interrompue à la suite du renouvellement de l'Assemblée nationale
au printemps 1997).
Le projet de loi prévoyait en son article 16 la fusion de la
Cinquième et de la Sept-Arte. Le ministre de la culture a
justifié cette intention dans les termes suivants :
" il
s'agit d'éviter la dispersion et les gaspillages, de mieux utiliser
l'argent de la redevance "
56(
*
)
. Le
ministre a aussi évoqué la transformation de France
télévision en société holding contrôlant
France 2 et France 3, indiquant qu'il était
" favorable à une telle création qui, à
côté de la réunion de La Cinquième et de la
Sept-Arte, conduira à une véritable réorganisation du
secteur public audiovisuel "
.
57(
*
)
Aussi utile que soit la rationalisation des moyens de l'audiovisuel public, cet
objectif ne suffit pas à expliquer le choix de regrouper La
Cinquième et Arte d'un côté, France 2 et France 3
de l'autre. Il faut qu'il y ait une conception du secteur public
derrière cela.
Il paraît possible d'en identifier deux.
La première distinguerait un service de base, fourni par France
Télévision, et un service de complément, fourni par la
Cinquième et la Sept-Arte. Cette distinction, qui ne recoupe pas la
distinction globale entre le service de base universel et gratuit et les
services payants de complément mentionnés dans la première
partie du rapport
58(
*
)
, est
suggérée par le rapport Bloch-Lainé selon lequel La
Cinquième et la Sept-Arte
" ont des missions proches "
(p. 48) et par le rapport Missika qui relève aussi la proximité
éditoriale des deux chaînes avant de noter que
" télévision publique spécialisée, Arte
assume le principe de complémentarité "
(p. 61).
La seconde tendance se différencie de la précédente en ce
qu'elle associe un jugement de valeur au clivage entre télévision
de base et télévision de complément. Le ministre de la
communication a ainsi qualifié la Sept-Arte et La Cinquième de
" références majeures du secteur public
audiovisuel "
lors de la conférence de presse de
présentation du projet de budget de la communication pour 1998. Une
autre possibilité d'associer un jugement de valeur à la
distinction entre service de base et service de complément est de partir
de la théorie de la fonction sociale de la télévision et,
rappel fait de la valeur prééminente accordée alors
à la télévision généraliste, de renverser la
proposition précédente en faisant de France
Télévision la véritable " référence
majeure " du secteur public audiovisuel.
Partant d'un regroupement sans grande portée apparente des chaînes
publiques en deux pôles, nous arrivons ainsi à des jugements de
valeur qui pourraient, si l'on pousse les raisonnements au bout de leur
logique, conduire à préconiser la suppression ou la privatisation
des organismes appartenant au pôle
déprécié.
(3) La création de sociétés holding
Il
s'agit d'une modalité juridique de rationalisation des moyens et de
création de synergies, qui permet en principe de surmonter les limites
du pragmatisme expérimenté par La Cinquième et la
Sept-Arte. La superposition d'un société holding aux organismes
existants facilite en effet l'identification d'un terrain commun, la
définition d'objectifs communs et leur exécution, dans la mesure
où cela devient la tâche d'une structure dotée d'un pouvoir
hiérarchique sur les structures préexistantes.
La formule de l'entreprise holding, chargée de diriger et de coordonner
l'activité de sociétés filiales et sous filiales, peut
parfaitement être utilisée dans le secteur public comme dans le
secteur privé. Mais elle peut apparaître comme dangereuse en
termes de complexité, de lourdeur et d'opacité, si le plus grand
soin n'est pas apporté à la définition des
compétences des différentes autorités en charge de
l'ensemble de sociétés, dans le but de simplifier les circuits de
décision et de clarifier les responsabilités.
Il est possible d'illustrer ces dangers à partir de l'expérience
de la présidence commune de France Télévision.
La loi du 2 août 1989, en dotant d'un président commun
Antenne 2 et FR3, rebaptisées depuis France 2 et
France 3, a maintenu la séparation juridique des deux
chaînes. France Télévision n'est ainsi qu'une
dénomination commerciale ne correspondant à aucune entité
juridique.
Le rapprochement souhaité par le législateur entre les deux
chaînes a suscité l'apparition progressive d'une
" présidence commune " groupant un état-major de plus
en plus substantiel autour du président, et le recours à diverses
formules pour assurer la coordination des chaînes.
Des directions communes ont ainsi été mises en place dans des
domaines décisifs de la programmation, au risque de porter atteinte
à la spécificité éditoriale de chaque chaîne.
Des services communs ont été créés pour
gérer des questions cruciales comme la politique des sports ou la
politique des programmes de divertissement.
L'expérience a montré l'utilité et les dangers de ces
efforts de coordination réalisés en dehors d'un cadre juridique
cohérent.
La politique de programmation des deux chaînes a été
heureusement harmonisée, ce qui a favorisé l'augmentation de
l'audience. Mais certaines questions ont été traitées par
la présidence commune sans que les organes dirigeants des chaînes,
et spécialement les conseils d'administration, aient été
associés à la décision, ni même parfois simplement
informés.
Ainsi l'affermissement progressif de la présidence commune,
favorisé par les très larges pouvoirs reconnus au
président dans les statuts de chaque chaîne, n'a pas permis le
fonctionnement normal des procédures de contrôle.
Il convient de faire en sorte que le recours à la formule du holding
n'accentue pas ces distorsions. Qu'est-ce en effet qu'une société
holding, sinon l'institutionnalisation de l'idée qui a suscité la
création d'un président commun ?
La formule, appliquée à France Télévision n'a de
sens que si elle permet de préciser les domaines dans lesquels le
rôle de coordination du président doit donner lieu à la
création de services communs, de mieux définir le partage des
rôles avec les organes des chaînes et de soumettre le
fonctionnement de la présidence commune au contrôle d'un conseil
d'administration.
Appliquée à un regroupement plus large que France
Télévision, cette formule juridique suppose un surcroît de
rigueur dans la définition des structures et des compétences des
organes.
3. La tutelle des chaînes publiques
a) Aspects du problème
Le
problème de la tutelle des chaînes publiques présente
plusieurs aspects. Un aspect politique, d'abord, c'est le problème des
combinaisons permettant de concilier l'exercice par l'état de ses
responsabilités d'actionnaire et la neutralité des organismes. Un
aspect institutionnel ensuite, c'est le problème de la capacité
de l'Etat actionnaire à se donner des objectifs et à en obtenir
la réalisation à travers les différents contrôles
qu'il exerce sur les chaînes, organismes bénéficiant de
l'autonomie de gestion reconnue aux entreprises publiques.
S'agissant de ce second volet de la question, on rappellera simplement que
l'affaire des contrats d'animateurs-producteurs de France
Télévision a démontré en 1996 que la superposition
des instances de contrôle ne garantissait pas la qualité des
résultats : trop de contrôle tue le contrôle. Ces
différentes instances et niveaux de contrôle sont les conseils
d'administration, le contrôle économique et financier, le
contrôle technique du service juridique et technique de l'information, le
contrôle budgétaire opéré par le parlement, le
contrôle opéré par le CSA, sur lequel on insistera ici afin
de mettre en lumière les problèmes que posent les solutions
données par la loi de 1986 au premier volet de la problématique,
l'aspect politique.
b) Le CSA et l'audiovisuel public
Le CSA
ne dispose pas, à l'égard de l'audiovisuel public, de pouvoirs de
régulation très sensiblement différents de ceux qu'il
exerce à l'égard du secteur privé.
Il est consulté sur les cahiers des charges, mais pas sur les projets de
budgets des chaînes, ce qui n'empêche d'ailleurs pas de faire
connaître son avis sous forme de communiqué : le
communiqué n° 235 publié le 31 octobre 1996 mentionnait sans
aménité le point de vue du CSA sur le projet de budget de 1997.
Il dispose de quelques pouvoirs particuliers en matière de
contrôle des programmes du secteur public : il garantit
l'indépendance et l'impartialité de ce dernier et à cette
fin, assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée
et d'opinion dans les programmes et fixe les règles de la campagne
officielle sur les chaînes publiques.
Le principal pouvoir dont le CSA dispose à l'égard du secteur
public est lié à l'idée d'indépendance et
d'impartialité. C'est en vue de cet objectif qu'a été
confiée au CSA la nomination des présidents des
sociétés nationales de programme : Radio Franc,
France 2 et France 3, RFO, RFI (parmi les membres du conseil
d'administration désignés par l'Etat dans ce dernier cas).
Ce pouvoir paraît bénéficier d'une certaine garantie
juridictionnelle de pérennité : le Conseil constitutionnel a
en effet considéré (dans sa décision sur la
présidence commune) que la nomination des présidents des
sociétés nationales de programmes par le CSA était une
garantie de l'indépendance de ces sociétés. Il se pourrait
ainsi que la modification éventuelle du mode de nomination des
présidents soit considérée, selon la formulation
consacrée, comme
" privant de garanties légales une
exigence de caractère constitutionnel ".
Le pouvoir de nomination est complété par un pouvoir de
révocation qui appartient exclusivement au CSA.
Quelle est la portée de ces prérogatives, celles de l'actionnaire
dans le droit commun de l'entreprise, privée comme publique ? Leur
exercice ne permet manifestement pas au CSA de se substituer à l'Etat
dans l'exercice des autres responsabilités, en particulier
financières, de l'actionnaire. L'absence d'intervention du CSA dans la
procédure budgétaire et le caractère incongru de son
éventuelle implication le montrent bien. C'est donc à l'Etat,
propriétaire du capital des organismes, apporteur de financements,
responsable de la définition des missions de l'audiovisuel public,
qu'appartiennent la responsabilité essentielle du contrôle des
organismes et la sanction des fautes et insuffisances des dirigeants.
L'impossibilité de révoquer les présidents le prive d'un
instrument essentiel à l'exercice de cette dernière
responsabilité, ou le fait recourir à des procédés
biaisés que la morale publique ne permet pas d'approuver.
Le CSA, de son côté, n'a manifestement pas à utiliser son
pouvoir de révocation pour sanctionner des erreurs stratégiques
ou l'échec de la gestion d'un président. Le dénouement de
l'affaire des contrats des animateurs- producteurs montre qu'il a conscience de
cette limite. Son pouvoir de révocation ne peut en bonne logique
être exercé qu'au regard des motifs qui ont justifié
l'attribution du pouvoir de nomination : l'impératif
d'indépendance et d'impartialité.
Notons aussi, à cet égard, le caractère un peu parodique
des généreux discours programmatoires présentés
à l'occasion des auditions précédant la nomination des
présidents.
En l'état des textes, il n'existe donc pas de véritable
possibilité de sanctionner l'échec de la gestion d'un
président d'organisme public. Cette lacune est dommageable au bon
fonctionnement du secteur public qui oscille entre la " présidence
impériale " de dirigeants libres de toute sujétion et
l'atmosphère un peu délétère qui
précède de temps en temps la démission d'un
président ayant perdu la confiance de son actionnaire.
La difficulté de trouver une solution permettant d'assurer sur des bases
juridiques solides l'indépendance et l'impartialité du secteur
public tout en rendant à l'Etat actionnaire la plénitude de ses
responsabilités apparaît ainsi comme un sujet permanent de
préoccupation au regard de la nécessaire cohérence de la
tutelle des chaînes publiques.
Ceci conduit à étudier un aspect rarement abordé de la
question, celle du mandat des présidents des chaînes publiques.
Il n'est pas utile de rappeler dans les détails les solides arguments
qui plaident en faveur de l'allongement à cinq ans de la durée
des mandats, actuellement fixée à trois ans. L'alignement sur la
situation des autres présidents du secteur public, la comparaison entre
la stabilité des dirigeants du secteur privé et le management
chaotique du secteur public, le déroulement du cycle de
préparation et d'exécution d'une politique des programmes sont
des éléments incontournables de la réflexion.
Cependant il faut aussi tenir compte du fait que la brièveté du
mandat de trois ans est à peu près le seul contrepoids juridique
à l'autonomie dont les présidents jouissent à
l'égard de leur actionnaire. Il n'est donc pas illogique de soumettre
l'allongement à cinq ans à la condition préalable d'une
restauration de l'efficacité des contrôles.
Incidemment, on ne peut manquer de soulever la question de la
compatibilité entre l'allongement du mandat présidentiel et un
éventuel regroupement des organismes en holding. Si un tel regroupement
est mal préparé, son principal résultat risque
d'être, comme on l'a vu, de brouiller la répartition des pouvoirs
entre les multiples organes directeurs, de rendre plus opaque le processus
décisionnel, de diluer les responsabilités et le contrôle.
La disparition, avec l'allongement de la durée du mandat, de l'unique
moyen de sanctionner effectivement une gestion inefficace, risque alors d'avoir
des conséquences graves pour le secteur public.
Par ailleurs, l'assimilation des présidents de l'audiovisuel public
à ceux des entreprises publiques ne paraît pas indiscutable si
l'on choisit d'asseoir la légitimité de l'audiovisuel public sur
la théorie de la fonction sociale. Ce qui justifie la durée du
mandat des présidents d'entreprises publiques est avant tout la logique
en grande partie économique du fonctionnement des entreprises et le
contexte concurrentiel dans lequel elles ont à déterminer leurs
stratégies. Ce ne peut être le cas d'entreprises audiovisuelles
pour lesquelles la contrainte économique, aussi exigeante qu'elle puisse
apparaître, doit être seconde par rapport à leur vocation
sociale d'intégration. Dans cette optique, il est d'ailleurs
injustifié de comparer la stabilité des dirigeants de TF1
à la rotation de ceux de France Télévision : la
logique de fonctionnement est absolument différente.
4. L'évolution du financement du secteur public
On ne
citera que pour mémoire cette question abondamment étudiée
chaque année dans les rapports pour avis des commissions
compétentes du Sénat et l'Assemblée nationale sur les
projets de budgets de la communication.
C'est en effet dans le cadre des projets de loi de finances et non dans celui
de la loi du 30 septembre 1986 qui constitue l'horizon de ce rapport, que
peuvent être résolus de façon pertinente les principaux
problèmes financiers actuels du secteur public, à commencer par
l'apparent paradoxe du financement publicitaire d'organismes voués
à une forme de communication non commerciale.
Deux remarques à cet égard.
D'une part, en ce qui concerne " l'apparent paradoxe ", il convient
de prévenir toute analyse trop sommaire du rôle de la
publicité dans la programmation des chaînes publiques. Un
financement publicitaire excessif tire sans doute la programmation vers le bas.
Mais nous venons de voir que cela n'implique pas l'alignement de celle-ci sur
celle des chaînes privées. La ménagère de moins de
50 ans n'est pas la cible-mère du secteur public, qui paraît
répondre dans une assez large mesure à sa vocation de
" fédérer " un public beaucoup plus vaste. Et il a
besoin pour cela de ressources importantes, que la publicité lui
garantit mieux sans doute que les crédits budgétaires ou la
redevance. Comment attirer en effet un vaste public sans coûteuses
" paillettes " ? Comment poursuivre l'ambition de susciter la
production d'oeuvres de qualité, pourvues d'une valeur patrimoniale, si
la ressource publicitaire diminue au profit d'un financement public dont on
sait d'expérience immémoriale le caractère
fondamentalement aléatoire ? On voit que le débat du
financement est une équation à beaucoup d'inconnues. Seule
l'idée d'écarter le financement publicitaire excessif, (mais
à quel niveau se situe l'excès ?) apparaît
incontestable.
D'autre part, il faut noter les effets de chaîne de toute modification
substantielle des modalités de financement du secteur public :
comment le partage s'effectuera-t-il, de la manne qu'un repli sensible du
financement publicitaire du secteur public déversera sur la
communication audiovisuelle privée ? Sera-ce un ballon
d'oxygène pour la presse écrite, pour la communication locale, ou
un facteur de renforcement des tendances oligopolistiques du
marché ? La législateur ne pourra se
désintéresser de la réponse.
En ce qui concerne les problèmes de l'avenir, on notera simplement les
doutes que l'on peut avoir sur la pérennité d'un
prélèvement qui finance une part de plus en plus étroite
de l'offre audiovisuelle, une part plus étroite encore de l'offre
effectivement consommée, et qui s'analysera de plus en plus comme la
rémunération arbitraire d'une consommation virtuelle
forcée. A plus long terme, la possibilité de recevoir des
émissions de télévision sur les écrans
d'ordinateur, non taxés, aura les mêmes conséquences
déstabilisatrices sur cette ressource. Si un jour le financement du
secteur public devenait entièrement budgétaire, et l'on ne peut
manifestement pas négliger cette hypothèse, il est probable que
l'époque des objectifs publicitaires excessivement hardis que nous avons
l'habitude de dénoncer aujourd'hui apparaîtrait comme un temps
béni de vaches grasses et de créativité.
5. Le secteur public face à la numérisation
Le secteur public va subir de plein fouet les conséquences du basculement dans l'ère numérique, évoquées dans la première partie du rapport, avec l'inconvénient, par rapport aux opérateurs privés, d'une moindre faculté d'adaptation au changement du contexte.
a) Les défis
On a vu
que face à la diversification des métiers de l'audiovisuel, et en
raison de la nécessité d'un accès facile aux catalogues de
droits de diffusion, les groupes audiovisuels nouaient des alliances et
s'engageaient dans un processus de concentration verticale leur permettant de
s'assurer la maîtrise technique et commerciale des différentes
étapes de la chaîne de production. Une chaîne de
télévision ne peut désormais se rencogner sur son statut
de diffuseur-éditeur sans s'exclure de la dynamique de
développement de la communication audiovisuelle.
Il est cependant clair que l'entrée dans une stratégie d'alliance
avec d'autres opérateurs, y compris privés, ne correspond
guère à la culture du secteur public. Il n'est qu'à
considérer les polémiques provoquées par les accords
passés avec le bouquet satellitaire TPS, pour se convaincre de cette
difficulté. Dans un contexte où l'isolement sera synonyme de
marginalisation, la numérisation va obliger l'audiovisuel public
à repenser la façon d'adapter ses méthodes à ses
missions.
Par ailleurs, ce n'est plus la détention d'une capacité de
diffusion, pour laquelle les chaînes publiques disposent actuellement
d'un privilège, qui fera la différence entre les
opérateurs, mais la qualité et la diversité des contenus,
la capacité de développer des programmes ciblant certains
publics, celle d'exploiter de nouveaux formats, d'élaborer de nouveaux
services associés ou non aux programmes de télévision.
La télévision publique devra donc manifester capacité
d'innovation et " réactivité ", et disposer des moyens
financiers nécessaires au développement des pôles
d'excellence qui lui permettront de conserver sa visibilité dans un
paysage audiovisuel de plus en plus encombré.
Mais l'implication la plus immédiate de l'entrée dans le
numérique est le développement de services thématiques,
stratégie dont la pertinence peut être mise en doute au regard des
deux sources possibles de la légitimité du secteur public
examinées ci-dessus. Pourquoi en effet investir dans des programmes
thématiques alors que le secteur privé occupe massivement ce
créneau, et paraît capable de répondre à la demande
la moins commerciale qui soit, celle des communautés religieuses. N'y
a-t-il pas d'autre part une contradiction majeure entre la justification de
l'audiovisuel public par la fonction sociale d'intégration, et
l'entrée dans le thématique qui, par construction, divise le
public en catégories socioculturelles de moins en moins
communicantes ?
Faut-il alors courir le risque de laisser le secteur public s'enfermer dans un
ghetto où il cultivera ses valeurs propres à l'écart des
bouleversements de la communication ?
b) Quelques pistes
Il est
possible de concilier ces contradictions en soumettant l'investissement public
dans le numérique à des modalités particulières. Le
financement des chaînes thématiques ne serait pas assuré
par des ressources publiques, mais par le marché, ce qui suppose que
chaque chaîne ait un compte d'exploitation et un plan d'équilibre
financier à court terme excluant de la part des chaînes publiques
des apports financiers au sein desquels il paraît impossible de
distinguer ce qui provient de la redevance et des subventions
budgétaires et ce qui provient de leurs ressources propres.
L'apport initial d'investissement ferait bien entendu exception à la
règle du financement autonome. En d'autres termes, les chaînes
publiques ne devraient développer une offre thématique
numérisée que si les perspectives de rentabilité
apparaissent raisonnablement sûres. Et les expériences qui
aboutiraient à un échec économique ne devraient pas
être prolongées.
Il peut apparaître difficile de concilier ces postulats avec la
tonalité " culturelle-éducative " que l'on attend des
services thématiques à participation publique. Les ressources
fournies par le marché peuvent être insuffisantes pour ces
programmes.
C'est dans le processus de production des programmes du secteur public que sera
trouvée la solution de cette difficulté. La mise en place d'un
processus intégré de multi-édition permettrait en effet de
produire pour les chaînes généralistes et pour les
chaînes thématiques dans des conditions de coût
satisfaisantes, et d'établir ainsi entre les systèmes de
diffusion une synergie correspondant à la rationalité
économique.
D. RÉÉVALUER LE RÔLE D'ACTEUR INTERNATIONAL DE L'ETAT : L'AUDIOVISUEL EXTÉRIEUR
1. L'audiovisuel extérieur rejoint par l'internationalisation ?
Il y a
une dizaine d'années, les enjeux de l'audiovisuel extérieur
auraient sans doute parus trop spécifiques pour être
traités de façon adéquate au sein d'un travail
consacré à la communication audiovisuelle. S'agissait-il
d'ailleurs véritablement de " communication ", au sens que le
présent rapport reconnaît à ce terme : dialogue et
échange ? L'objectif était en effet pour la France
" d'étendre son influence, d'accroître son
rayonnement ",
ce que le rapport Balle de 1996 sur la politique
audiovisuelle extérieure de la France appelle une
" mission de
souveraineté ".
On voit qu'il ne s'agit guère de
dialogue et d'échange. A cette mission correspondait, correspond
toujours, un mode d'administration tout aussi spécifique : pilotage
par le ministère des affaires étrangères, nomination du
président de la station de radio RFI par le CSA parmi les
représentants de l'Etat au conseil d'administration.
Le contexte a changé, diversifiant les missions et les acteurs de
l'audiovisuel extérieur au point que la distinction entre
l'intérieur et l'extérieur, entre ce qui revient à l'Etat
et ce qui peut être fait par le secteur privé, devient de plus en
plus complexe.
Les organismes " intérieurs ", publics comme privés,
sont de plus en plus présents sur le plan international. La " voix
de la France " dans le monde sera de plus en plus multiple et de moins en
moins " officielle ".
Par ailleurs, l'augmentation de la demande internationale de programmes
audiovisuels consécutive à l'explosion des services
numériques offre depuis peu des opportunités qui font de
l'exportation un enjeu économique et culturel que l'Etat ne peut ignorer.
Les gouvernements successifs n'ont pas ignoré la nécessité
de repenser le dispositif public en fonction de la diversification des besoins
et des moyens. Une série de rapports et de projets a abouti à un
plan global de réforme présenté le 29 avril 1998 au
conseil des ministres par le ministre des affaires étrangères. De
façon symptomatique, ce plan comporte trois objectifs : le soutien
à l'exportation des programmes, qui entérine le caractère
stratégique de ce secteur ; l'aide à la diffusion
satellitaire des chaînes françaises, qui prend acte du concours
désormais essentiel des diffuseurs traditionnels à la
pénétration internationale de l'audiovisuel français, la
rationalisation du dispositif audiovisuel extérieur, afin de renforcer
l'efficacité souvent critiquée des organismes publics.
2. Vers la réforme
Après une phase de consultation avec les responsables de
l'audiovisuel public et privé, un plan de réforme de
l'audiovisuel extérieur a été élaboré et
présenté en conseil des ministres le 29 avril dernier. M.
Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, en a
exposé les principaux points devant la commission des affaires
culturelles et la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées, réunies le 3 juin
dernier pour l'entendre.
Le premier choix, comme l'a expliqué le ministre, a été de
renoncer à la création un moment envisagée d'une
chaîne française d'information internationale, à laquelle
l'insuffisance numérique des populations francophones interdisait toute
perspective de rentabilité, de l'avis de M. Védrine.
Le plan de réforme adopté comporte trois axes :
- il s'agit d'abord de développer le soutien à l'exportation des
programmes. Le débat sur l'action audiovisuelle extérieure a
été trop centré sur la diffusion des chaînes
françaises à l'étranger. Il est tout aussi important de
faire acheter des programmes français par les chaînes
étrangères en vue d'une diffusion dans la langue du pays. En
effet, la très grande majorité des téléspectateurs
regarde surtout les chaînes nationales, dont la multiplication engendre
une demande accrue de programmes. Il convient donc de favoriser l'exportation
des programmes français. Il est possible d'adopter à cet
égard une démarche commerciale, ce que font les entreprises
françaises groupées au sein de l'association professionnelle
TVFI, qui bénéficie de concours financiers du ministère
des affaires étrangères. Les ventes de programmes français
à l'étranger ont représenté près de
1,3 milliard de francs en 1996, chiffre en augmentation de 20 % par
rapport à 1995. Les exportations de films français se sont
élevées à 1,2 milliard de francs. On obtient globalement
un chiffre de 2,5 milliards de francs, comparable aux 2,5 milliards
de francs d'exportations britanniques constatés en 1996.
Il est possible de faire plus en renforçant par exemple les dispositifs
d'aide au sous-titrage et au doublage : la subvention correspondante
devrait doubler. Une réflexion est par ailleurs engagée sur les
possibilités d'améliorer les instruments d'aide à
l'exportation, notamment du type Coface, afin de les adapter à la nature
des contrats audiovisuels.
L'autre démarche est axée sur la coopération. Afin de ne
pas concurrencer la commercialisation de ceux-ci sur certains marchés
émergents, il a été décidé de limiter
l'activité de banque de programmes gratuits de CFI aux pays les moins
solvables. La liste des pays de " diffusion culturelle " a ainsi
été réduite au début de juin.
- Le deuxième axe du plan adopté est la création d'un
soutien financier à la diffusion satellitaire des chaînes
françaises dans le monde. Les possibilités offertes par la
diffusion satellitaire numérique ont jusqu'à présent
été très peu utilisées au plan international par
les chaînes françaises. En effet, la diffusion internationale
reste un investissement élevé dont les perspectives de
rentabilisation sont faibles, spécialement si la langue utilisée
est le français. Les opérateurs nationaux présents dans
des bouquets étrangers n'ont franchi le pas que grâce à
l'aide publique. L'Etat pourrait donc prendre à sa charge, plus
largement que par le passé et de façon dégressive, une
partie des frais de diffusion de chaînes françaises
désireuses de conquérir une audience internationale. Les
entreprises intéressées garderaient à leur charge le
coût de l'acquisition des droits de diffusion de leurs programmes dans
les nouvelles zones couvertes. Une expérience de diffusion par
micro-ondes d'un bouquet francophone a été réalisée
selon ces modalités en 1997 sur l'Afrique. Il est envisagé de
l'élargir à d'autres zones, en particulier en recourant à
des bouquets étrangers existants.
- Le dernier axe du dispositif est la rationalisation des organismes publics de
l'audiovisuel extérieur.
Il s'agit d'abord de renforcer TV5. Le plan de réforme considère
nécessaire de renforcer son attractivité en mettant l'accent sur
la qualité des programmes, en prévoyant un recours accru au
sous-titrage et en régionalisant sa programmation afin de l'adapter aux
attentes et aux habitudes des différents publics. A cette fin, une
meilleure coordination sera instaurée avec les chaînes de
l'audiovisuel public national. C'est ainsi que le retrait de la SOFIRAD du
capital de TV5 et la réduction de la part détenue par l'Institut
national de l'audiovisuel (INA) permettront d'attribuer 25 % du capital au
futur groupe La Cinquième/Sept Arte, et 4 % à RFO (Radio
France Outre-Mer), tandis que la part de France 2 et de France 3, actuellement
de 33 %, sera portée à 35 %
L'objectif est d'amener les chaînes publiques actionnaires à
fournir à TV5 leurs meilleurs programmes et de favoriser la production
d'une information plus tournée vers l'international qu'elle ne l'est
à l'heure actuelle. A cet égard, le journal international fourni
à TV5 par la France Télévision fera l'objet d'une
évaluation.
Parallèlement, les rôles respectifs de TV5 et de CFI seront
clarifiés. CFI sera recentrée sur son rôle de banque de
programmes, sauf en Afrique où elle conservera son activité de
diffuseur. CFI développera par ailleurs ses activités de conseil
et d'ingénierie audiovisuelle auprès des
télévisions partenaires.
Enfin, le succès de recentrage prévu sera assuré par la
mise en place d'une présidence commune de TV5 et de CFI. D'après
le dossier de presse diffusé par le ministre des affaires
étrangères à l'occasion de la présentation de la
communication au conseil des ministres du 30 avril 1998,
" une
telle solution a l'avantage de la simplicité et permet d'éviter
la mise en place d'une nouvelle structure, qui porterait en soi les risques
d'un alourdissement des processus de décision et d'une augmentation des
dépenses
de fonctionnement ".
3. Remarques
Le programme de modernisation de l'audiovisuel extérieur présenté en avril dernier par le ministre des affaires étrangères semble articulé de façon pertinente autour des trois axes stratégiques dont le contexte international de la communication audiovisuelle impose la prise en compte. Ici encore, l'identification de quelques points de repère facilitera l'évaluation des choix concrets effectués.
a) La rationalisation des organismes
Les
analyses semblent unanimes sur la nécessité de rationaliser le
fonctionnement des opérateurs publics.
Le rapport Balle notait en 1996 l'existence de
" redondances
fâcheuses "
atténuant la lisibilité de la
politique française, tout en observant que la fragmentation de l'offre
et la nécessité d'une diversification des actions imposait de
veiller à ce que la suppression d'un service se justifie par son faible
impact ou par la garantie qu'une large partie de l'auditoire se reportera sur
le service maintenu.
Il estimait aussi que
" faute d'une coordination forte, l'audiovisuel
extérieur est depuis longtemps le terrain d'une concurrence forte entre
opérateurs ",
citant comme facteurs de cette situation la
multiplicité des opérateurs, l'éviction des
opérateurs nationaux du champ de l'audiovisuel extérieur,
l'absence de spécialisation des opérateurs et une
hétérogénéité qui se traduiront par une
concurrence feutrée mais réelle.
On pourrait estimer au contraire que la concurrence est un gage
d'efficacité et que les empiétements territoriaux multiplient les
chances d'atteindre le public, que la rationalisation des structures de
l'audiovisuel public n'apparaît donc prioritaire que dans la mesure
où la situation actuelle suscite des incohérences au sein de la
politique de l'audiovisuel extérieur, ce qui est plus évident en
ce qui concerne le fonctionnement parallèle de CFI et de l'association
privée TVFI, comme on va le voir ci-dessous, qu'en ce qui concerne CFI
et TV5.
L'objectif de rationalisation des organismes publics est cependant
incontournable s'il conduit à redéployer des ressources
limitées vers des types d'actions insuffisamment assurés. C'est
l'objectif affirmé du plan gouvernemental, et c'est au fond la vraie
justification du recentrage de CFI sur son rôle de banque de programmes
et d'outil de coopération.
La création d'une présidence commune de TV5 et de CFI devrait
selon le plan du Gouvernement permettre d'assurer la cohérence des
actions menées et des moyens déployés.
L'exemple de la présidence commune de France 2 et de France 3 montre la
difficulté de l'exercice. On observera aussi à cet égard
que le Gouvernement renonce à créer une société
holding au motif, non retenu en ce qui concerne l'audiovisuel intérieur,
que la mise en place d'une structure nouvelle porterait les risques d'un
alourdissement des processus de décision et d'une augmentation des
dépenses de fonctionnement. Qu'en penser ?
b) L'adossement à l'audiovisuel national
Le
rapport Balle notait le caractère aléatoire et dispersé de
l'intervention des opérateurs nationaux dans le champ de l'audiovisuel
extérieur :
" ceux-ci devant se contenter d'être des
fournisseurs de programmes et des actionnaires passifs de TV5 au principal : ce
principe est d'ailleurs battu en brèche par des décisions
personnelles des opérateurs (diffusion du journal de France 2 aux
Etats-Unis, développement de politique de diversification dont le
dessein est encore flou et dont la logique de prolongement international est
imprécise) ou des exigences des pouvoirs publics sans cohérence
véritable avec la stratégie audiovisuelle extérieure
(diffusion de France 2 en Italie pour la promotion du procédé
SECAM au début des années 1970, diffusion de France 2 en Tunisie,
montée de France Supervision sur TDF1/2 pour assurer la promotion du
16/9e alors que sa candidature n'avait pas été initialement
retenue, diffusion sur ce même satellite de programmes spécifiques
de Radio France, laquelle s'est vu reconnaître une vocation
européenne).
Cette concurrence a pu être exacerbée par la diffusion en France
des programmes internationaux de RFI (sur la FM à
Paris). "
59(
*
)
Une volonté s'affirme actuellement de mieux asseoir ce rôle. Le
ministre de la communication souhaite développer le rôle des
chaînes publiques à l'international, le ministre des affaires
étrangères souhaitait, dans sa communication,
" impliquer
davantage le secteur audiovisuel national, en particulier public ".
France télévision affirme de son côté sa vocation
internationale. Auditionné par le groupe de travail le 8 avril dernier,
M. Jean-Loup Demigneux, responsable du nouveau journal international
proposé par France Télévision à TV5, a
indiqué que celui-ci avait été conçu afin de
démonter la possibilité de faire oeuvre utile en matière
d'audiovisuel extérieur sans bouleverser les structures existantes.
L'idée procède de la constatation qu'au moment de leur diffusion,
le journal de TV5 et celui de CFI sont déjà en voie de
péremption. Or, la public de l'audiovisuel extérieur attend un
journal " frais ". Par ailleurs, certaines informations nationales ne
présentent pas d'intérêt pour ces
téléspectateurs. Les Français de l'étranger sont
certes attachés au journal français, mais il faut tenir compte
des désirs du public francophone, dont la satisfaction est
nécessaire au rayonnement de la francophonie.
M. Demigneux a ainsi précisé que les sujets traités dans
les journaux de France 2 et France 3 représentent quelque 60 % du
contenu du journal international. L'ambition de celui-ci est d'apparaître
comme un prisme français de l'actualité. Il est
réalisé par une équipe d'un douzaine de personnes, et
diffusé sur TV5 à 22 heures à la place du journal de 20
heures de France 2, qui occupait précédemment cette case horaire.
CFI a souhaité le reprendre, et dernièrement une
télévision polonaise a effectué la même
démarche, ce qui semble démonter que ce journal répond
à une attente, de l'avis de son responsable.
Au cours de la même audition, M. Pierre-Henri Arnstam, alors conseiller
du président de France-Télévision, a indiqué que le
groupe avait la capacité d'être l'épine dorsale de
l'audiovisuel extérieur, et en éprouvait l'ambition tout en
souhaitant faire place à d'autres partenaires tels qu'Arte et la
Cinquième. Les moyens de France Télévision et son
expérience en, matière de télévision internationale
sont en tout état de cause un acquis incontournable, a-t-il
précisé, notant que le succès de l'audiovisuel
extérieur passait par l'Union de tous les acteurs.
Tant de convergence dans l'analyse conduit à des interrogations sur les
orientations concrètes.
Il a été décidé de modifier le capital de TV5 en
portant la part de France Télévision, principal fournisseur de
programmes, de 33 % à 35 % et en introduisant Arte pour
25 % et RFO pour 4 %. On peut se demander si ceci a une
véritable signification sachant que jusqu'à présent la
participation d'un organisme de l'audiovisuel public au capital d'un autre
organisme public n'a jamais impliqué de participation aux
décisions concernant sa stratégie ou sa gestion. Et si l'on
attend des effets concrets de ces évolutions capitalistiques, on peut se
demander pourquoi France Télévision et le futur groupe
Arte/Cinquième seront presque à parité dans le capital de
TV5 alors que leurs ressources en programmes et en moyens divers ne peuvent
être comparés. Sachant avec quel talent les dirigeants des
organismes savent défendre leur pré carré, l'adossement,
tel qu'il est conçu, de TV5 et de CFI à l'audiovisuel public
national ne garantit-il pas la pérennité de l'isolement
" splendide " des différentes chaînes publiques ?
Ceci conduit à rappeler qu'un projet de regroupement de l'audiovisuel
extérieur sous la forme d'une société holding
contrôlée par France télévision a été
évoqué un moment il y a trois ans.
c) Quelle contribution de RFO ?
Le projet d'introduire RFO dans le capital de TV5 met aussi en lumière le rôle de la station d'outre-mer. La zone de diffusion de RFO couvre des territoires non français. RFO joue ainsi un rôle de fait en matière d'audiovisuel extérieur, et pourrait être associée à la réorganisation de ce secteur. Dans le même temps, RFO joue, au moins dans les départements d'outre-mer, un rôle équivalent à celui de France 3 en France métropolitaine. Où se situe, dans ces conditions, la vocation de la station ? Entre les réalités géographiques qui incitent à l'associer à l'audiovisuel extérieur et le principe d'indivisibilité du territoire national qui impliquerait, dans les vastes projets de regroupement en cours, son rapprochement de France 3, il faudra peut-être faire des choix.
d) La diffusion des programmes
L'exportation des programmes français sera
peut-être
à l'avenir, plus que l'exportation de chaîne " clé en
main ", le moyen efficace de notre présence international dans la
communication audiovisuelle. TVFI fait un excellent travail à cet
égard, ce qui pose le problème de l'articulation de sa
démarche commerciale avec l'activité de CFI. L'intervention de
cet organisme comme banque de programmes gratuits n'a-t-elle pas des effets
pervers sur la stratégie commerciale de TVFI, dans la mesure où
la cession gratuite dévalorise des programmes susceptibles de faire
l'objet de transactions commerciales ? On cite à cet égard
l'exemple de la cessions gratuite de 310 heures à la première
chaîne turque, gouvernementale et sans audience ni
crédibilité, alors que les chaînes qui attirent l'audience
diffusent des programmes américains acquis au prix du marché.
Le programme gouvernemental prévoit de concentrer l'activité de
banque de programmes de CFI sur les zones où les perspectives de
commercialisation demeurent lointaines, et de réduire la liste des pays
où les droits de diffusion sont cédés gratuitement
à CFI et à TV5. Il serait cependant utile de disposer d'une
réflexion véritablement approfondie sur l'articulation à
terme du commercial et de l'aide.
e) L'appui à l'internationalisation des opérateurs nationaux
L'idée de favoriser la diffusion internationale des
chaînes françaises est excellente. Il s'agit d'une modalité
de rayonnement de la culture française qui a sans doute ses limites,
compte tenu du fait que les chaînes nationales continueront sans nul
doute de capter la plus grande partie de l'audience. Mais elle permettra
l'accroissement de l'offre d'images françaises à des coûts
décroissants avec les progrès de la diffusion numérique.
A terme, le véritable problème financier posé par la
diffusion internationale des chaînes nationales ne sera d'ailleurs pas la
diffusion technique, que le projet du gouvernement propose de subventionner,
mais l'acquisition des droits d'exploitation internationale des programmes.
Une autre forme d'appui à l'internationalisation du secteur privé
n'est pas évoquée dans le projet présenté en avril
dernier. Il s'agit des partenariats entre le secteur public et le secteur
privé, destinés à faciliter l'implantation
d'opérateurs français sur des marchés étrangers, et
l'implication d'investisseurs étrangers dans des projets français.
Le rapport Balle
60(
*
)
porte un jugement
sévère sur les résultats de cette modalité de
l'action publique : "
le rôle dévolu à la Sofirad,
organisme jusqu'alors voué aux participations (notamment dans les radios
périphériques, pour la plupart privatisées) et aux
transactions, discrètes, dont on a voulu faire dans la ligne du rapport
Decaux un instrument officiel de la politique audiovisuelle extérieure
et notamment un instrument de fédération entre le secteur public
et le secteur privé, n'a pas donné les résultats
escomptés. Son manque d'autorité sur CFI et TV5 dont elle
était l'un des principaux actionnaires n'a jamais permis
d'ébaucher un partenariat efficace avec le privé. (...) Dans
le domaine de la radio, un certain nombre d'opérations ponctuelles ont
pu être menées en Europe central et en Russie en collaboration
avec Europe 2 et avec des partenaires locaux. Dans le domaine de la
télévision, le soutien à MCM, chaîne musicale
diffusée par satellite, et à Canal Horizons, chaîne de
télévision à péage à destination des pays
africains montée avec Canal Plus, demeurent des opérations un peu
isolées et d'envergure limitée
".
Il est possible de rappeler, pour illustrer le potentiel et les
difficultés d'une politique de partenariat public/privé, le
projet de chaîne arabe à capitaux majoritairement privés
développé par CFI par décision du CAEF du 23 novembre
1995. Interrompu à la suite de la diffusion erronée par France
Télécom, opérateur technique, de séquences
pornographiques au milieu du programme censé préfigurer cette
chaîne à vocation généraliste et familiale, le
projet semblait correspondre à une attente dans la péninsule
arabique, où la France est actuellement absente dans le domaine
audiovisuel. Le tour de table prévu s'articulait autour d'un pôle
français (40 %) réparti entre des intérêts
publics (dont CFI) et privés. Le reste du capital aurait
été réparti par tranches de 20 % entre des
investissements arabes (40 %) et extérieurs à la
région.
La lecture du projet de réforme adopté par le gouvernement ne
permet pas de savoir si le recentrage de CFI permettra le lancement
d'opérations de ce type, ni si la structure plurinationale de TV5
permettra à cet organisme de prendre en charge ce type de
mission.
E. CLARIFIER LA DÉLÉGATION D'AUTORITÉ : LA RÉGULATION
La
régulation, sans être forcément une des principales
questions pendantes de la communication audiovisuelle, reste l'objet d'un
débat permanent auquel les problèmes qui découlent de
l'internationalisation apportent de nouveaux arguments. Elle est
généralement abordée sous l'angle " pratique "
des commodités qu'elle offre pour gérer un secteur
économique complexe et fluctuant, et que la mondialisation rend par
ailleurs sans cesse plus difficile à appréhender par les moyens
traditionnels. Ainsi présentée, la notion est attrayante et les
nombreuses propositions d'extension de son champ d'application dans la
communication audiovisuelle paraissent ne se heurter qu'à une conception
rigide et rétrograde de l'administration économique. Elle est
cependant difficile à identifier sur le plan juridique. Cette
présentation ignore en outre largement le contexte institutionnel dans
lequel la régulation doit trouver sa place, un contexte dont le
législateur ne peut de son côté méconnaître la
portée et les difficultés.
Les développements qui suivent insistent donc sur les aspects
institutionnels et juridiques de la régulation. A cet égard, la
régulation de la communication audiovisuelle par le CSA n'est qu'un
aspect d'une problématique plus vaste dont il est indispensable de
prendre la mesure avant d'apprécier l'opportunité ou la simple
possibilité de faire évoluer le mode de gestion du secteur de la
communication audiovisuelle.
1. Une notion confuse
a) La régulation vue par le régulateur
Les
avocats les plus autorisés de la régulation de la communication
audiovisuelle définissent celle-ci par ses objectifs et par ses
mérites. C'est ainsi qu'Hervé Bourges, président du CSA,
exprimant son intention de
" poser d'emblée un certain nombre de
définitions claires "
lors d'une réunion des
régulateurs européens tenue le 8 mars dernier à l'Institut
international des communications de Londres, expliquait :
" qu'est-ce que la régulation ? La régulation est
une forme moderne de l'intervention de l'Etat dans un secteur
économique, afin de préserver les intérêts
supérieurs de la collectivité, et de remédier aux
dérives qui pourraient affecter le fonctionnement harmonieux et
équilibré d'un marché. La régulation, en
préservant un certain nombre de principes intangibles, qui ne doivent
pas être remis en cause par les lois du marché, permet
néanmoins de laisser la plus grande liberté et la plus grande
autonomie aux acteurs professionnels. C'est en cela que la régulation
est un choix moderne, libéral, raisonnable. Développer la
régulation, c'est se donner un cadre dans lequel il est possible,
progressivement, d'abandonner des réglementations trop
contraignantes "
. A la suite de cette définition
générale, M. Bourges notait que la régulation pouvait
être économique, pouvait porter sur les contenus et qu'il existait
une régulation mixte, économique et sur les contenus, sans
préciser où se situait, d'un point de vue juridique, la
différence entre la notion ainsi comprise et la réglementation
" à l'ancienne ", qui poursuit exactement les mêmes
objectifs dans les mêmes domaines... Force est alors de recourir à
une définition de type tautologique : la régulation est
l'activité bénéfique de l'organe de régulation,
quels que soient les instruments juridiques - réglementation et contrat
- qu'elle utilise. La notion de régulation apparaît ainsi
étroitement liée au phénomène des autorités
administratives indépendantes (AAI), dont le CSA est une manifestation
(article premier de la loi du 30 septembre 1986 :
" le Conseil
supérieur de l'audiovisuel, autorité indépendante,
garantit... "
).
Il convient cependant de ne pas négliger dans la définition
" téléologique " de M. Bourges un élément
de nature presque juridique, qui introduit une nuance entre l'action des
administrations classiques et l'idée de régulation :
l'objectif de celle-ci est de "
donner un cadre dans lequel il est
possible, progressivement, d'abandonner des réglementations trop
contraignantes "
.
Ceci permet de compléter notre essai de définition : la
régulation est l'activité, se démarquant de la
réglementation traditionnelle, de l'organe de régulation. Mais
cette précision n'apporte pas d'éclairage nouveau sur le contenu
juridique de la notion, dont on peut être tenté de suspecter a
priori la consistance, dans la mesure où le mot même de
" régulation " est l'équivalent anglais de
" réglementation ". Comment sortir, dans ces conditions, d'une
imprécision qui augure mal de l'avenir de la
régulation ?
b) A la recherche d'une définition juridique
L'étude du régime juridique des AAI devrait
permettre
de progresser dans l'analyse de la signification juridique de la
régulation.
La loi du 6 janvier 1978 a créé pour la première fois,
avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL),
une structure administrative qualifiée d'autorité administrative
indépendante car soustraite à tout pouvoir
hiérarchique
.
D'autres créations du même type ont
suivi, parfois qualifiées d'AAI par la loi, c'est la cas de la
Commission nationale pour la transparence et la pluralisme de la presse (1984),
de la CNCL (1986), du CSA (1989), de la Commission nationale de contrôle
des interceptions de sécurité (1991). D'autres AAI ont
reçu cette qualification après leur création, c'est le cas
du Médiateur, crée en 1973 et reconnu comme autorité
indépendante en 1989, ou de la Commission de la concurrence,
créée en 1977 et qualifiée d'AAI en 1985, peu avant
d'être remplacée par le Conseil de la concurrence qui n'a
reçu aucune qualification législative en dépit de ses
pouvoirs renforcés par rapport à ceux de la Commission.
Les missions et les compétences des AAI sont extrêmement
variées, la seule caractéristique commune de ces organismes
paraissant être l'absence de pouvoir hiérarchique des ministres
à leur égard. La notion est parfaitement
hétérogène pour le reste. Les compétences des AAI,
qui diffèrent notablement d'un organisme à l'autre, couvrent en
effet tout le spectre des fonction de l'administration active :
conseiller, décider, contrôler.
Conseiller. Comme les innombrables conseils, commissions et comités qui
parsèment tous les secteurs de l'administration, les AAI
élaborent des analyses et des rapports, donnent des avis sur les projets
de loi ou de règlement intéressant leur secteur de
compétence, ainsi que sur des projets de décision individuelle.
Décider. Les AAI disposent d'un pouvoir de décision individuelle
multiforme : pouvoir d'autorisation ou de nomination. Nous verrons
ci-dessous les problèmes de principe que pose l'exercice par ces
organismes d'un pouvoir réglementaire. Notons simplement à ce
stade les AAI disposent d'un pouvoir de décision réel mais
limité. La CNIL peut définir des normes simplifiées pour
les catégories les plus courantes de traitements informatiques et
édicter des règlements types pour assurer la
sécurité des systèmes, le CSA définit les
règles relatives à la campagne électorale sur les
chaînes publiques et celles relatives au téléachat, la
Commission des sondages peut définir les clauses qui doivent
obligatoirement figurer dans les contrats de vente des sondages, la COB peut
largement réglementer le fonctionnement des marchés placés
sous son contrôle et les pratiques professionnelles des places
financières, pouvoir qu'elle partage avec le ministre de
l'économie et des finances qui doit homologuer ces normes.
Contrôler. La plupart des AAI peuvent effectuer des enquêtes et
adresser des recommandations ou injonctions aux organismes qu'elles
contrôlent. Elles exercent en outre parfois un pouvoir répressif,
que l'on peut rattacher à la notion de contrôle dans la mesure
où, bien qu'exercé dans des conditions quasi-juridictionnelles,
il ne donne pas lieu à des décisions émanant de corps
judiciaires. Le Conseil de la concurrence et le CSA, notamment, peuvent
infliger des amendes aux organismes qu'ils contrôlent. La palette des
sanctions dont dispose le CSA est particulièrement diversifiée.
Quelles conclusions tirer de ce bref examen ? La régulation
n'apparaît guère en tant que telle dans le tableau des
compétences des AAI, qui n'ont aucun caractère spécifique
par rapport à celles des administrations traditionnelles. Le contenu
juridique de la notion n'est guère mis en lumière par l'examen du
droit positif
61(
*
)
. Seule en définitive
l'indépendance à l'égard du gouvernement démarque
véritablement les AAI.
Dans ces conditions la régulation ne serait-elle pas essentiellement la
dénomination d'un procédé biaisé de dessaisissement
de l'autorité politique au profit d'une structure administrative ?
Il convient, avant d'examiner les implications institutionnelles de cette
hypothèse, d'évoquer les raisons de sa réelle
popularité.
2. Des objectifs attrayants
Il est possible de s'appuyer une nouvelle fois sur l'examen des AAI pour tenter de préciser les raisons de la popularité d'une notion dont nous avons vu la difficulté de définir le contenu juridique. On en revient ainsi à la l'approche " téléologique " de M. Hervé Bourges, qui semble bien la meilleure façon d'aborder la question.
a) L'efficacité administrative
Les AAI
ont été la plupart du temps créées pour
gérer des secteurs d'activités considérés comme
rebelles aux procédés classiques du droit public en raison de la
technicité des matières traitées ainsi que de la
rapidité des évolutions qui s'y manifestent. Il s'agit de rester
efficace dans un contexte particulier. L'idée d'une gestion moderne,
souple et efficace d'un secteur économique tel que la communication
audiovisuelle, dont la technicité et le caractère évolutif
sont très accusés, ne peut de fait que recueillir une large
adhésion.
L'autre avantage d'une régulation " souple ", moins normative,
serait la possibilité de gérer de façon plus
discrète qu'actuellement les intérêts économiques
nationaux, en évitant la publication de textes réglementaires
très exposés à la critique lors des négociations
internationales qui poursuivent le démantèlement des mesures
protectionnistes nationales. Cette qualité n'est pas négligeable
alors que la France dispose d'une des réglementations protectrices les
plus complètes et les plus critiquées.
b) La neutralité politique
Elle
résulte des transferts de compétence dont
bénéficient les AAI. L'objectif de neutralité politique,
qui explique largement le succès actuel des AAI, fait de celles-ci des
avatars modernes du mythe traditionnel du pouvoir technicien.
On peut distinguer trois catégories de motifs de soustraire au politique
la gestion de certaines matières.
- Le pouvoir politique est parfois soupçonné d'éprouver la
tentation soumettre à une logique partisane la gestion de secteurs
sensibles sur le plan politique. Ce motif a été
déterminant dans la création des AAI chargées de
réguler la communication audiovisuelle.
- Le pouvoir politique peut être tenté par l'inaction face
à des questions qui ne comportent pas de véritables enjeux
politiques en dépit de leur importance pour la vie quotidienne des
citoyens. Le Médiateur et la Commission d'accès aux documents
administratifs répondent largement au souci de prévenir ce risque.
- Les AAI peuvent enfin correspondre à la volonté d'éviter
le risque de paralysie du politique quand la technicité des
problèmes rend les décisions difficiles à trancher. La
neutralité est alors considérée comme une condition de
l'efficacité.
3. De sérieuses objections
Les thèmes de la neutralité politique et de de l'efficacité, débouchent, dans la communication audiovisuelle, sur une opposition entre deux couples juridico-institutionnels, d'une part le couple gouvernement/réglementation, supposé inefficace et dépassé, et d'autre part le couple CSA/régulation, gratifié des vertus opposées. Ce dernier se heurte cependant à de sérieuses objections de principe.
a) Une logique institutionnelle contestable
La
régulation par les AAI apparaît comme une forme d'auto-limitation
du pouvoir central qui provoque une triple rupture dans nos traditions
institutionnelles :
- une rupture avec la logique du pouvoir démocratique, au profit d'un
pouvoir technicien. Dans un système politique longtemps marqué
par la faiblesse des contre-pouvoirs à l'exécutif, il est tentant
de rechercher des moyens non politiques de limiter une concentration du pouvoir
nuisible aussi bien aux libertés qu'à l'efficacité du
gouvernement. Le procédé de l'AAI apparaît alors comme une
solution. Celle-ci pose cependant problème au regard de la logique des
institutions démocratiques, spécialement si la gestion de
l'ensemble d'un secteur aussi crucial que la communication audiovisuelle est
confiée au régulateur. En effet la régulation, même
privilégiant la voie contractuelle par rapport à l'action
normative, reste une modalité d'exercice du pouvoir, et sa
légitimité ne peut provenir que du suffrage populaire, soit
directement (cas des autorités politiques), soit indirectement (cas des
administrations gouvernementales). Indépendantes par construction et
organismes administratifs, les AAI n'ont pas accès à ces deux
modes de rattachement au suffrage populaire.
On peut tenter de pallier cette difficulté en référant au
peuple l'action du régulateur. C'est de cette idée que
découlent les propositions de " démocratiser " le CSA,
de faire de lui un médiateur du citoyen téléspectateur et
un outil de la " démocratie participative ". Mais ces
références à la source populaire du pouvoir ne peuvent
tenir lieu de légitimité démocratique - laquelle ne
procède que de l'élection, il convient de le
répéter - et permettraient au mieux de déléguer au
régulateur l'exercice d'une sorte de pouvoir tribunicien, c'est à
dire d'un pouvoir d'empêcher s'articulant mal avec la détention du
pouvoir d'agir. Or la régulation est nécessairement un pouvoir
d'agir. La régulation pose donc problème au regard du principe de
légitimité. La section du rapport et des études du Conseil
d'Etat indique d'ailleurs dans un rapport de 1987 que les AAI
" constituent une catégorie non prévue par le constituant
et difficilement conciliable avec l'équilibre des pouvoirs mis en place
par lui "
;
- une rupture avec les mécanismes de l'Etat de droit, en raison du
démantèlement de la hiérarchie des normes objectives que
suppose la régulation, spécialement si elle consistait à
transformer les lois et règlements en énoncés d'objectifs.
L'Etat de droit est apparu au fil du temps et des progrès du principe
démocratique comme un emboîtement de textes couvrant l'ensemble de
l'ordre juridique. Or, réguler c'est sortir de ce carcan en confiant
à une autorité d'un type nouveau un nouveau mode d'administration
dont nous avons vu l'absence de références dans nos traditions
juridiques, et qui évoque la définition que Napoléon
donnait du Conseil d'Etat lors de sa création :
" je veux
créer un corps demi-administratif, demi-judiciaire, qui réglera
l'emploi de cette portion d'arbitraire nécessaire dans l'administration
de l'Etat "
. La souplesse prêtée aux AAI, la marge de
manoeuvre dont elles disposent par rapport aux administrations classiques
soumises à des règles de droit d'un raffinement et d'une
précision sans cesse accrus, sont sans doute un des aspects modernes de
" la portion d'arbitraire nécessaire dans l'administration de
l'Etat "
.
Dans cette logique, la régulation apparaît comme une invite
à transgresser le principe de légalité. On peut illustrer
ce risque avec l'exemple - particulièrement intéressant du fait
de la pureté des intentions qui s'y manifestent - de la réaction
du président du CSA à la diffusion sur Fun Radio, en
février 1995, d'une émission évoquant les camps de
concentration sur le mode de la dérision. Comme il l'a expliqué
devant la commission des affaires culturelles, M. Hervé Bourges a
estimé que la lenteur de la procédure de sanction ne permettait
pas une réparation efficace. Il a dès lors jugé
approprié de demander personnellement au président de la station
de programmer une émission spéciale sur la réalité
des camps, à laquelle participeraient notamment d'anciens
déportés. Ce qui fut fait, parfaitement en marge du droit ;
- une rupture avec le principe de subordination de l'administration au pouvoir
politique. Rappelons à cet égard qu'en droit l'administration
apparaît comme une structure dont les composantes sont solidaires les
unes des autres et obéissent à une impulsion unique
émanent du gouvernement. Celui-ci dirige son action et en assume la
responsabilité devant le parlement. Cette conception ne s'est pas
immédiatement imposée. La constitution de 1791 a fait une large
place à l'idée d'autonomie de l'administration par rapport au
pouvoir exécutif. Le principe de subordination a prévalu à
partir du consulat. Chaptal a affirmé celui-ci dans une formule
célèbre lors de la discussion de la loi du 28 pluviose an
VIII :
" la chaîne d'exécution descend sans
interruption du ministre à l'administré et y transmet la loi et
les ordres du gouvernement jusqu'aux dernières ramifications de l'ordre
social avec la rapidité du fluide électrique "
.
L'affermissement du régime parlementaire a conforté cette
conception née de l'autoritarisme centralisateur de Napoléon.
C'est que la responsabilité politique des ministres devant le parlement
implique l'exercice d'un pouvoir de direction sur l'administration. L'article
20 de la constitution de 1958 réaffirme cette conception sans
ambiguïté :
" le gouvernement dispose de
l'administration "
.
Fondées sur le postulat de l'indépendance à l'égard
du gouvernement, les AAI semblent mettre en cause les principes fondateurs de
l'administration. Quelles peuvent être les conséquences de ce
porte à faux ? En l'absence de rattachement à la
chaîne d'exécution évoquée par Chaptal, on aboutit
à une situation d'irresponsabilité politique et donc à une
légitimité fragile dans la gestion d'un secteur
économique. Compte tenu du recrutement, au moins partiel, de nombreuses
AAI dans les milieux professionnels des secteurs régulés, c'est
la logique du pouvoir technicien, cette situation peut favoriser la
dérive du pouvoir technicien vers un fonctionnement corporatiste, avec
ce que ceci évoque de connivences possibles entre régulateurs et
régulés.
b) Une autorité fragile
La fragilité de la régulation du point de vue de la théorie des institutions démocratiques laisse les régulateurs un peu démunis face à la critique. L'attitude des professionnels est ambiguë à cet égard : approbation au principe lui-même, démentie par une critique sans retenue quand les choix effectués ne correspondent pas aux attentes de tel ou tel. Le gouvernement n'est pas en reste, dont les critiques peuvent être dures, et qui n'hésite pas à faire connaître sans ambages son point de vue sur des dossier dont il n'a plus la gestion, voir à transmettre au CSA des quasi-instructions, comme ce fut le cas dernièrement pour provoquer l'abandon du conventionnement des chaînes étrangères sur le câble.
c) Des obstacles jurisprudentiels
Faute de
contenu juridique spécifique, la régulation doit
nécessairement passer par l'exercice du pouvoir réglementaire.
Nous avons vu ci-dessus que les AAI disposaient de l'amorce d'un
véritable pouvoir réglementaire. Celui-ci est cependant
étroitement encadré par l'interprétation que le Conseil
constitutionnel donne de l'article 21 de la constitution de 1958. Dans une
première décision (86-217 du 18 septembre 1986) rendue sur la loi
instituant la CNCL, le Conseil a estimé que l'article 21 ne faisait
" pas obstacle à ce que le législateur confie à
une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre le soin de fixer
les normes permettant de mettre en oeuvre une loi "
. Mais la
décision 88-248 du 17 janvier 1989, concernant le CSA, a estimé
qu'une telle habilitation ne pouvait concerner que
" des mesures de
portée limitée tant par leur champ d'application que par leur
contenu "
. Dans son interprétation actuelle, l'article 21 de la
Constitution représente donc un sérieux obstacle à
l'extension des activités des AAI. Le Conseil constitutionnel n'a
d'ailleurs pas hésité à annuler une partie des
dispositions habilitant la CNCL puis le CSA à édicter des
règlements.
A cette limite s'ajoute la vigilance du Conseil d'Etat à l'égard
des éventuelles incursions des AAI dans la sphère du pouvoir
réglementaire. C'est ainsi qu'ont été annulées les
dispositions que le CSA avait prises pour régir la diffusion de
publicité radiophonique en définissant, comme la loi l'y
invitait, les catégories de services radiophoniques.
Ainsi juridictionnellement encadrée, la régulation ne semble
guère disposer des marges de souplesse nécessaires en principe
à son exercice.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 21 octobre 1998 sous la
présidence
de M. Adrien Gouteyron, président, la commission des affaires
culturelles a procédé, sur le rapport de M. Jean-Paul Hugot,
à l'examen des conclusions du groupe de travail sur la communication
audiovisuelle.
Un débat a suivi la présentation du rapport.
M. Pierre Laffitte
a relevé la nécessité, dans la
communication audiovisuelle, d'un état des lieux élaboré
du point de vue des responsables politiques, et a estimé qu'il
n'existait pas à cet égard de corpus aussi précis que le
document élaboré par le groupe de travail. Il a proposé de
poursuivre ce travail dans un souci plus prospectif, en tenant compte en
particulier de la percée de la diffusion satellitaire, de la prochaine
arrivée de l'internet à large bande, et d'innovations telles que
le terminal numérique de Canal +, qui permet l'accès à
internet sur le poste de télévision, ou de services innovants
comme Canal Pro, qui proposent des programmes de formation interactifs
extrêmement performants.
Il a relevé que les nouveaux services représentaient des chiffres
d'affaires potentiels cent fois plus importants que ceux de l'audiovisuel
classique, et donc un enjeu dont la compétition actuelle entre le projet
satellitaire Teledesic, développé aux États-Unis avec
l'appui massif du Pentagone, et le projet Skybridge, conduit par Alcatel sans
l'aide de l'Etat, permet de prendre la mesure.
Le
président Adrien Gouteyron
a estimé qu'il appartenait
effectivement à la commission de prendre la mesure de ces enjeux et de
donner à ses travaux une dimension prospective.
M. Franck Sérusclat
a demandé des précisions sur
l'analyse du rôle du législateur proposée par le rapport.
Mme Danièle Pourtaud
a estimé que le rapport du groupe de
travail constituait un bon outil pour amorcer le débat que susciteront
les prochains projets de loi sur la communication audiovisuelle, et a
demandé s'il abordait le dossier des télévisions locales
et celui de la circulation des programmes audiovisuels.
Avant de répondre à ces questions et observations,
M.
Jean-Paul Hugot
a souligné qu'elles mettaient en évidence la
nécessité pour la commission de conserver une " capacité
de veille " à l'égard des évolutions de la communication
audiovisuelle et de poursuivre la réflexion amorcée par le groupe
de travail.
En ce qui concerne le rôle du législateur, il a indiqué que
le rapport du groupe de travail avait dressé un état des lieux en
évitant de proposer des solutions aux problèmes
évoqués. Il s'agissait uniquement d'élaborer des analyses
et de dessiner des pistes afin de permettre au législateur de conserver
un recul à l'égard des informations que lui présentent les
acteurs de la communication audiovisuelle, comme à l'égard de la
logique spécifique du progrès technique. La mission du
législateur, en effet, n'est pas de cautionner ou d'enregistrer le
progrès mais de le diriger.
A titre d'exemple, il a estimé qu'en ce qui concerne le statut juridique
des entreprises de la communication audiovisuelle, le législateur devait
élaborer un cadre juridique inscrivant le développement des
entreprises dans la logique des valeurs qui correspondent à ses
préoccupations propres.
En ce qui concerne par ailleurs le rôle d'acteur de l'Etat, il est
souhaitable que le législateur se penche sur la frontière de plus
en plus artificielle entre l'audiovisuel extérieur et l'audiovisuel
intérieur. Le législateur doit aussi prendre position sur
l'évolution et le rôle du secteur public face au
développement de la télévision payante. Il s'agit de
savoir s'il y a nécessité de garantir la pérennité
d'un certain nombre d'intérêts dont l'audiovisuel public est
porteur, ou si l'Etat doit être cantonné dans un rôle de
réglementation. Il importe à cet égard de définir
les conditions de légitimité du secteur public.
Enfin, la mise en place de l'organe de régulation de la communication
audiovisuelle s'est effectuée de façon pragmatique, sans
véritable réflexion sur la façon dont la régulation
s'articule avec nos traditions juridiques. Il importera d'examiner de ce point
de vue la portée des dispositions institutionnelles que comportera le
projet de loi annoncé.
M. Pierre Laffitte
a rappelé que dans le secteur des
télécommunications, des obligations de service public
étaient imposées aux opérateurs privés en
dépit de la déréglementation. Il est essentiel de
réfléchir à la façon dont il serait possible de
limiter, dans la communication audiovisuelle, une dérive libérale
supprimant toute règle déontologique et empêchant
l'affirmation des identités culturelles. Il est important de mener une
réflexion prospective à ce sujet.
Mme Danièle Pourtaud
a estimé que cette
préoccupation légitimait la poursuite de la politique des quotas
de production, notant que les programmes sont les principaux vecteurs de
l'avenir. Elle a jugé que l'élaboration éventuelle d'un
socle minimum de service universel applicable à la fois à la
communication audiovisuelle et aux télécommunications ferait
ressortir l'opposition entre la logique du libéralisme et celle de
l'économie encadrée.
Le
président Adrien Gouteyron
a alors rappelé que le
rapport du groupe de travail proposait une analyse des problèmes
posés, mais ne préjugeait pas des choix qui pourraient être
défendus par les uns ou par les autres au moment du débat sur les
projets de loi annoncés.
M. Jean-Paul Hugot
a confirmé que le rapport ne prenait position
que sur l'affirmation de la responsabilité du politique face à
des démarches qui confondent souvent la logique technique ou
entrepreneuriale avec l'intérêt public.
Il a aussi indiqué que le dossier des télévisions locales
n'était pas abordé dans la mesure où il s'inscrit dans la
problématique de la communication locale, qui couvre un champ plus large
que celui de la communication audiovisuelle.
A l'issue du débat, la commission a décidé de faire
procéder à la publication des conclusions du groupe de travail
sous forme de rapport d'information.
ANNEXES
Contributions de membres
du groupe de
travail
Liste des personnes
auditionnées
A. CONTRIBUTIONS DE MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL
CONTRIBUTIONS DE MEMBRES
DU GROUPE DE TRAVAIL
Contribution de M. Pierre Laffitte
Audiovisuel et internet large bande
La stratégique percée des
" constellations et satellites "
Le
rapport du groupe de travail constitue une analyse de la situation actuelle du
secteur audiovisuel en tenant largement compte des évolutions
esquissées à la suite des deux éléments
majeurs : la numérisation et l'espace.
La numérisation
pour l'audiovisuel est récente. Elle
résulte des prodigieux progrès de l'industrie informatique
mondiale. La diffusion audiovisuelle numérique permet d'augmenter
l'efficacité des bandes de fréquences. La rareté de cette
ressource naturelle essentielle diminue.
L'espace.
L'utilisation des satellites géostationnaires dont le
caractère transfrontalier permet de renforcer la liberté de choix
des utilisateurs de programmes. La diminution du coût des infrastructures
permettant une large diffusion est certes compensée par le coût
d'accès (parabole) mais le choix d'un programme à
l'intérieur de bouquets est meilleur.
L'objet du rapport bien structuré est de faciliter aux décideurs
politiques et économiques la compréhension des évolutions
en cours. Elle doit permettre de faciliter les réflexions sur les
stratégies et les choix politiques nécessaires.
Ceci exposé, les aspects
internationalisation
et
convergence
des technologies liées aux autoroutes de l'information
méritent, à mon avis, une réflexion plus complète
car nous visons non pas seulement la situation actuelle mais un futur proche
pour informer pleinement le Sénat, le gouvernement et l'opinion publique.
Internet large bande et diffusion audiovisuelle convergent déjà.
Les réseaux grands débits, fibres optiques et câbles au sol
et l'emploi des satellites géostationnaires et bientôt des futures
constellations de satellites à orbite basse.
D'ores et déjà
, il faut souligner quelques faits
majeurs :
- le terminal d'accès numérique de Canal + qui permet à
tout possesseur de téléviseur - c'est-à-dire en France
l'immense majorité - d'accéder à internet.
L'exemple du réseau NETTUNO consortium de professeurs et
d'université de qualité d'Italie, qui diffuse par la
télévision italienne, la RAI, les enseignements de haut niveau.
- L'exemple de Canal pro, qui à l'instar de BBC Select, diffuse de la
formation professionnelle pour les médecins.
- Les projets de type MEDSAT qui au niveau international européen et
circomméditerranéen développeront des
téléservices interactifs pour la téléformation
initiale et professionnelle, télémédecine,
téléservices culturels et touristiques, accès à la
science, mise en commun de potentiels universitaires et de recherche, etc.
- Les réalisations expérimentales de concerts avec solistes
à distance reliés par réseaux ATM (une
démonstration a encore été faite entre l'IRCAM Paris et
Sophia Antipolis il y a moins d'un mois), etc.
Dans le futur proche
, les constellations de satellites en orbite basse
vont rendre pratiques, aisés et généralisés au
monde entier bien de nouveaux téléservices de caractère
audiovisuel personnalisés. C'est une nouvelle révolution
silencieuse dont on peut regretter que trop peu de décideurs se rendent
compte, du moins en Europe.
Les projets tels que
Teledesic
(Bill Gates, Boeing, Motorola, etc.
soutenus fortement par les contrats militaires du Pentagone) et
Skybridge
(Alcatel et ses partenaires européens et japonais) ne
sont pas encore opérationnels. Mais c'est une affaire de quelques
années. Ce sont actuellement les deux seuls projets faisant suite aux
projets purement Télécom, IRIDIUM et GLOBAL STAR.
Le déploiement de ces constellations correspond à des
conséquences pratiques, culturelles, sociales et économiques d'un
ordre de grandeur très supérieur à celui de la seule
télévision traditionnelle.
Dans vingt à trente ans, la communication au sens large correspondra
à près de 50 % du Produit Intérieur Brut mondial
d'après les experts. Certains s'étonneront de ce chiffre.
Précisons qu'il comporte la publicité et le marketing national et
international pour tous les domaines économiques. Aujourd'hui
déjà, l'industrie pharmaceutique américaine finance les
téléservices médicaux diffusés par satellites. Dans
tout le Moyen-Orient les milieux médicaux ne connaissent plus que les
médicaments américains. On mesure les conséquences d'une
généralisation pour l'industrie pharmaceutique européenne,
et pourtant ces téléservices ne sont pas encore interactifs.
Grâce aux trains de satellites tout sera possible dans le monde entier et
partout ! Le commerce électronique mondial sera concerné. Et
aussi au-delà du commerce, tous les domaines d'application et
particulièrement le tourisme, la santé, la culture et donc
l'identité culturelle.
Cette importance économique, sociale et culturelle montre bien pourquoi
le développement des réseaux et constellations de satellites
à orbite basse constitue un domaine stratégique majeur. Il
concerne les pouvoirs publics nationaux et européens.
Le groupe américain, centré sur Teledesic est, pour sa part,
fortement soutenu financièrement par les contrats du pentagone,
notamment en ce qui concerne l'essentiel des dépenses, constitué
par du logiciel. Sur le plan diplomatique, il est soutenu par le gouvernement
fédéral.
La difficulté pour le groupe européen Skybridge d'obtenir les
bandes de fréquence qui lui étaient nécessaires lors des
conférences ad hoc de Genève confirment cette affirmation.
Le groupe Innovation et Entreprise a tenu, à mon initiative, un colloque
au Sénat dont le compte rendu est annexé. Un colloque sur le
même sujet sera organisé au niveau international à Sophia
Antipolis fin 1999.
Il me paraît important que le groupe d'études de la commission des
affaires culturelles puisse poursuivre d'ici quelque temps sa réflexion,
notamment sur ces thèmes, en vue d'une
action politique forte au
niveau français et européen.
Gouverner c'est prévoir.
Contribution de Mme Danièle Pourtaud
En
complément des questions traitées par le présent rapport,
je souhaite attirer l'attention des parlementaires sur deux grands enjeux : la
circulation des oeuvres et le développement des
télévisions locales.
Face à l'explosion des techniques de diffusion, la véritable
richesse sera dans les prochaines années les programmes, d'où la
nécessité de renforcer l'industrie de programmes français.
Quant aux télévisions locales, elles contribuent certainement
à resserrer le lien entre les citoyens et participent ainsi au
renouvellement de notre démocratie.
I - La circulation des oeuvres
Au plan international et plus particulièrement européen, avec
notamment l'avènement du numérique, comment assurer une place
accrue à nos programmes et faire en sorte que la France puisse proposer
des catalogues de qualité et concurrentiels ? La concrétisation
de cet objectif relève de l'urgence à l'heure où
l'exception culturelle est sans cesse remise en cause.
L'objectif majeur qui freine la circulation des oeuvres est la situation
dominante des diffuseurs dans la chaîne production-distribution-diffusion.
Limiter les investissements des chaînes dans la production à
l'achat de droits d'antenne.
D'une part, l'obligation légale qui impose aux chaînes d'investir
dans la production d'oeuvres audiovisuelles leur donne un droit de veto sur
l'exploitation future. Ainsi, la fluidité des programmes est compromise
car les parts co-producteurs interdisent de fait, par exemple, qu'un programme
co-produit par TF1 puisse être ultérieurement cédé
à une chaîne d'un bouquet concurrent. Il serait donc souhaitable
de limiter les investissements des chaînes dans la production à
l'acquisition de droits d'antenne (par exemple : Canal + pour le cinéma).
Réserver les investissements des chaînes aux coproductions
européennes et internationales.
En outre, puisque les chaînes ont la capacité économique
d'affronter les exigences et les risques financiers du marché
international, ne faut-il pas réserver leur investissement obligatoire
à la production liée, afin de favoriser les coproductions
européennes et internationales ?
Toutes ces mesures, qui aboutissent à renforcer la séparation
diffuseur/producteur, permettraient sans doute de revaloriser le rôle du
producteur indépendant dans tout le processus qui va de la
création à la diffusion.
Soutenir les industries de distribution de programmes.
D'autre part, les diffuseurs se sont davantage investis depuis quelques
années dans la distribution. Or, par définition, les diffuseurs
s'adressent à un marché national localisé et
déterminé. De plus, la distribution assurée par les
chaînes est la condition qui leur permet d'échanger en Europe des
droits de distribution pour des achats à moindre prix, plutôt que
de co-produire davantage. Il faut donc favoriser l'émergence des
distributeurs indépendants, qui de la même manière que les
producteurs, ont un intérêt financier à ce que les oeuvres
circulent davantage. A cet égard, plusieurs solutions sont possibles :
encourager l'accès des distributeurs à des prêts
contre-garantis par l'IFCIC (Institut pour le financement du cinéma et
des industries culturelles) afin de proposer aux distributeurs un partage de
risques ; limiter quantitativement les droits à la distribution des
chaînes...
II - Le développement des télévisions locales
Au plan national, comment garantir une place aux télévisions
locales et favoriser ainsi la liberté d'expression, moteur essentiel de
notre démocratie ? Quel avenir pour les télévisions
locales ?
En France, quelques expériences de décrochages locaux et de
télévisions locales de proximité.
A la différence de nombreux états européens, la France, en
matière de télévisions locales, n'est qu'en phase
d'expérimentation. Il existe actuellement en France 140
expériences de télévisions locales, que l'on peut classer
en deux catégories. Il faut distinguer d'une part les décrochages
(Il y a 43 décrochages locaux) et d'autre part les
télévisions locales de proximité : 13 chaînes sont
diffusées durablement par voie hertzienne (5 en métropole et 8 en
outremer), 44 sont des télévisions temporaires, auxquelles
s'ajoutent environ 70 canaux locaux du câble. Les
télévisions locales de proximité sont soit
gérées par une société commerciale, soit d'essence
associative.
Les programmes locaux plébiscités par le public.
Toutes ces expériences sont de vrais succès auprès du
public. Par exemple, les décrochages locaux de M6 (10 par jour de 7
minutes autorisés par le CSA) réalisent de très bonnes
audiences auprès d'un public jeune. France 3 (qui dispose de 13
directions régionales, soit 24 éditions régionales qui
représentent 10 000 heures de programmes par an, et une vingtaine
d'éditions locales) améliore son audimat de 14 points dans les
décrochages. Et, la plupart des TV locales de proximité
remportent des succès d'audience. Sous toutes les formes, elles assument
ainsi une sorte de " service public de proximité ", qui permet
un meilleur exercice local de la citoyenneté, favorise l'apparition de
nouveaux acteurs, et enrichit le paysage audiovisuel.
Le problème crucial est actuellement celui de leur financement.
Aucune des TV locales ne sont rentables ; et surtout, aucune n'est susceptible
de devenir bénéficiaire, ni même d'équilibrer ses
comptes dans l'état actuel des choses. Les TV locales hertziennes sont
notamment en situation très précaire car elles nécessitent
un budget d'au moins 10 millions de francs. Actuellement, les financements
sont très diversifiés, selon le support et même au sein
d'un même support : fonds propres, collectivités territoriales,
actionnaires privés, publicités locales et publicités
régionales... Un projet de créer 20 chaînes locales en
agglomération a montré que pour les faire vivre, il faut
400 millions de francs par an. Or, les subventions et la publicité
ne sont pas susceptibles de produire une telle somme aujourd'hui.
Plusieurs formes de financements peuvent être envisagées :
l'autorisation de la publicité pour les grandes surfaces. Cette
autorisation risque néanmoins de déséquilibrer fortement
les autres médias, en particulier la Presse Quotidienne Régionale
et les radios généralistes.
• les subventions des collectivités locales. Une
réflexion est cependant nécessaire afin de garantir
l'indépendance éditoriale.
• Un fonds complémentaire de financement qui pourrait
être inspiré de ceux qui existent déjà pour aider au
développement des nouveaux médias.
Des fréquences et un fonds de soutien national pour les
télévisions locales de nature associative.
On assiste actuellement à l'émergence de
télévisions locales associatives, dont l'existence, qu'il
s'agisse des autorisations de fréquence ou des financements, doit faire
l'objet d'une réflexion approfondie. En la matière, le CSA donne
des autorisations provisoires. Par exemple, Ondes Sans Frontières (OSF),
télévision locale située dans le XXe arrondissement
à Paris, a bénéficié de deux autorisations
temporaires successives.
L'intérêt pour les démocraties vivantes de ces
télévisions associatives en prise avec les structures de
quartier, doit nous aider à réfléchir sur la
manière de garantir leur existence. Il est sans doute nécessaire
d'envisager de leur réserver des fréquences hertziennes ou des
canaux sur les réseaux câblés, en particulier dans les
grandes agglomérations.
Leur nature associative nécessitera certainement un financement public
important, dont le modèle pourrait être calqué sur celui
des radios associatives. Une opportunité pourrait être
trouvée à travers la taxation des recettes publicitaires
supplémentaires que percevraient les chaînes privées,
lorsque la loi sur le financement du secteur public aura produit ses
effets.
B. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
MERCREDI 4 FEVRIER 1998
M.
Jean-Louis Missika,
auteur d'un rapport sur les missions de la
télévision publique.
M. Jean-Marie Cotteret,
membre du Conseil supérieur de
l'audiovisuel, chargé du suivi du pluralisme.
MERCREDI 25 FEVRIER 1998
M.
Francis Brun-Buisson
, chef du service juridique et technique de
l'information et de la communication, sur les initiatives de l'Union
européenne et le régime juridique de la communication
audiovisuelle.
M. Jacques Peskine
, délégué général
de l'Union syndicale de la production audiovisuelle, sur les relations entre
producteurs et diffuseurs et le marché des programmes.
M. Frédéric Jenny
, vice-président du Conseil de la
concurrence, sur la concurrence dans le secteur de la communication
audiovisuelle.
MERCREDI 4 MARS 1998
M.
Jacques Campet
, auteur d'un rapport sur l'avenir de la
télévision publique (septembre 1993), sur les missions et
l'organisation du secteur audiovisuel public.
M. Jean-Charles Paracuellos
, ingénieur des
télécommunications, chargé de l'audit à France
Télévision, sur l'économie de la communication
audiovisuelle.
MERCREDI 18 MARS 1998
M. Albert du Roy , directeur général adjoint, chargé de la rédaction de France 2, sur le traitement de l'information et le pluralisme.
MERCREDI 25 MARS 1998
M.
Patrick Imhaus
, Président de TV5, sur la réforme de
l'audiovisuel extérieur.
Mme Françoise Meauzé
, vice-présidente de
l'association
média-télévision-téléspectateurs,
accompagnée de
M. François Mahieux
, membre du Conseil
d'administration, sur la déontologie des programmes et le rôle de
la télévision publique.
MERCREDI 1er AVRIL 1998
M. Henri
False
, directeur des études et du développement de France 2,
accompagné de
M. Marc Welinski
, directeur général
de Mezzo, sur les stratégies de développement du secteur public.
M. Marc-André Feffer
, vice-président de Canal Plus, sur
les relations entre producteurs et diffuseurs et l'évolution du
marché des programmes.
MERCREDI 8 AVRIL 1998
M. Pierre-Henri Arnstam , conseiller du Président de France Télévision, et M. Jean-Loup Demigneux , responsable du journal international, sur le rôle de France Télévision en matière d'audiovisuel extérieur.
MERCREDI 29 AVRIL 1998
M.
Olivier-René Veillon,
délégué
général de TVFI, sur l'exportation des programmes français
et la politique de l'audiovisuel extérieur.
M. Jean-Louis Prevost,
président du syndicat de la presse
quotidienne régionale (SPQR), accompagné de
MM. Jean-Pierre
Caillard
et
Denis Huertas
, co-présidents de la commission du
développement du SPQR, sur la communication locale.
MERCREDI 6 MAI 1998
M. Etienne Mallet, président de Télé Lyon Métropole et Télé-Toulouse , sur les télévisions locales.
MERCREDI 13 MAI 1998
M. Jean-Pierre Oliviéri, directeur général de l'association " les Indépendants ", sur le secteur radiophonique.
MERCREDI 20 MAI 1998
M. Cyrille du Pelloux, directeur général de TPS, sur la concurrence dans le secteur de la télévision thématique.
MARDI 2 JUIN 1998
Mme Cécile Moulard, directeur de CARAT Multimédia, sur le paysage audiovisuel numérique et son économie.
1
Composé de M. Jean-Paul Hugot,
président, MM. James Bordas, André Diligent, Ambroise Dupont,
Pierre Laffitte, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, M. Jack
Ralite.
2
Médias Pouvoirs n° 45, p. 70
3
Ecran total n° 204, p. 20
4
Ecran total n° 223, p.17 et 225 p.12.
5
Assemblée Nationale, n° 3030, dixième
législature.
6
Média Pouvoirs n°45, p.66
7
Jean-Charles Paracuellos - La Télévision, clefs
d'une économie invisible. La documentation française 1993, p.124.
8
Jean-Charles Paracuellos, ibid. p. 124
9
Michel Fansten - L'industrie française des programmes de
télévision 1991
10
Serge Siritzky, Ecran total, n° 227, p. 3.
11
Sur la Télévision, Liber, pp. 52 et 53.
12
Penser la Communication, Flammarion, p. 150
13
Cité dans Christine Ramsey, de l'objectivisme au
conformisme, Médias pouvoirs, p. 45, pp. 81 à 83.
14
Sur la télévision, p.74
15
Penser la Communication, p. 155.
16
7° rapport d'activité, p.101.
17
Projet de Paix perpétuelle, 2ème section,
2ème supplément.
18
Sur la Télévision, pp. 32 à 39.
19
Avis de la commission des affaires culturelles du Sénat
sur le projet de loi de finances pour 1997, session ordinaire de 1996-1997,
n°87. Cf. aussi le 7° rapport annuel du CSA, p.91.
20
La Crise de la Culture, Gallimard, Folio/
Essais
, p. 308.
21
Cf. Christine Masuy, op.cit., pp. 92 et 93.
22
La connivence est à maints égards plus
significative que les dissonances. En témoignent les flux occultes de
renseignements qui alimentent la presse dans les affaires mettant en cause des
personnalités publiques, au détriment des droits de la personne.
Dominique Wolton (op. cit. p. 214) et Pierre Bourdieu (op. cit. p. 65) mettent
en lumière certains effets pervers de ces pratiques. En témoigne
ainsi la convergence de certaines démarches, prenons le cas
récent du guide de haute montagne soupçonné d'imprudence
dans un accident ayant coûté la vie à des enfants d'une
classe de neige, incarcéré à titre de satisfaction
immédiate donnée à l'opinion publique et mis au pilori
médiatique par la diffusion d'images le montrant menotté. Cette
affaire met en lumière les inconvénients de l'intrusion de
l'opinion ou de l'audimat dans le fonctionnement conjugué des
troisième et quatrième " pouvoirs ".
23
Sur la Télévision, p. 58.
24
Supplément Télévision du 30 mars 1998.
25
Pierre Péan et Christophe Nick ; TF1, un Pouvoir ;
Fayard.
26
Penser la communication, p. 202.
27
Penser la communication, p. 213.
28
L'Audiovisuel à l'Ere du Numérique, Sénat,
1997-1998, n°456, 3° partie.
29
Cf. art XI de la Déclaration de 1789
30
Pierre Manent, La Cité de l'Homme, Fayard, ch. 4
31
Pierre Manent, La cité de l'Homme, p. 240
32
Paul Ricoeur, Histoire et Vérité, Seuil, 1964, p.
177.
33
Penser la communication, pp. 195 et 196.
34
Session extraordinaire de 1996-1997, n° 446.
35
Penser la Communication, pp. 97 et 98.
36
Penser la Communication, p. 99.
37
Penser la communication, pp. 101 et 102.
38
Pierre Laffitte et René Trégouët,
l'Accès au Savoir par la Télévision Economica.
39
pp. 37 et 38
40
Sur la télévision, op. cit., p. 60.
41
La lettre du CSA, n° 103, avril 1998, p. 9.
42
Penser la communication, p. 120.
43
Vers Venise, ch.XX.
44
Jacques Lesourne, Le Modèle français, Grandeur et
Décadence.
45
La Cité de l'Homme, p. 67.
46
Penser la Communication, p.85.
47
Cf. ci-dessus : A. Normalisation, convergence,
internationalisation. S'il semble assez difficile de tirer parti de cet
avantage potentiel en raison du long délai de transition à
prévoir pour permettre le renouvellement du parc de
téléviseurs analogiques, et de la relative modestie des
capacités supplémentaires de transport d'informations, il n'en
n'est pas moins un critère pertinent d'appréciation de l'avenir
du numérique terrestre.
48
Mont chrestien, 1997, p.p. 412 et 413.
49
En particulier quand il s'agit, dans un but de transparence
comptable, d'individualiser les activités de service public parmi
l'ensemble des activités d'une entreprise.
50
Le contrôle des concentrations économiques
étant expressément retiré au Conseil de la concurrence, on
se demande quelles sont les autorités compétentes dans ce cas
particulier.
51
L'Avenir de la Télévision publique, La
Documentation française, p. 19.
52
p. 31 et p. 36.
53
Penser la Communication, p. 104.
54
Penser la Communication, p. 107.
55
Julien Gracq, Carnets du grand chemin, p. 282, José Corti.
56
J.O., 1997, n° 145 (C.R.), p. 854.
57
J.O., op. cit., p. 854.
58
Ce clivage est opéré selon des critères
économiques, et non pas fonctionnels comme celui que nous tentons
d'identifier ici.
59
La politique extérieure de la France. La documentation
française, p. 86.
60
pp. 85 et 86
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Il ne serait pas impossible de donner un contenu juridique
spécifique à la régulation en dilatant à
l'extrême le pouvoir de décision individuelle détenu par
les AAI, et en dénaturant simultanément le contenu normatif des
textes législatifs et réglementaires attributifs de ce pouvoir.
On peut ainsi imaginer de réduire, dans les domaines abandonnés
à la régulation, les lois et règlements à de
simples énoncés d'objectifs dont la concrétisation
appartiendrait au régulateur sous la forme de décisions
individuelles. Mais le droit positif n'offre guère d'exemples d'une
telle pratique, contradictoire avec la mission qui appartient au
législateur et au pouvoir réglementaire de poser des normes et
non de définir des objectifs.