B. UNE SURCAPACITÉ ÉCONOMIQUE ET UNE DÉGRADATION DES CONDITIONS D'ACTIVITÉ ENTRETENUES PAR LE SYSTÈME DE SOUTIEN
1. Une surcapacité économique entretenue par l'afflux de financements
•
Cette surcapacité est particulièrement bien illustrée par
les données statistiques suivantes :
- Dans l'industrie cinématographique française, il faudrait en
moyenne, sur la période 1989-1995, à l'ensemble des
sociétés " actives " entre un an, et un an et un
trimestre pour produire 1 film
• Cette statistique a été établie sur la base du
nombre de sociétés de production intervenant dans l'année
dans la production de films français ou étranger, en tant que
producteur délégué ou coproducteur.
• Ce chiffre est conforme au temps " standard "
s'écoulant entre l'initiation du projet et sa commercialisation.
• Il reste cependant qu'en 1995 seulement 20% des sociétés
autorisées par le CNC sont concernées par cette statistique.
- Selon les estimations du BIPE, le pourcentage de sociétés
produisant au mieux un film tous les deux ans a eu tendance à
s'accroître entre 1989 et 1995 : celui-ci serait passé de 65%
à 80% en 1995.
• Cette évolution reflète sans doute la faiblesse des
ressources en capital pour la plupart des sociétés de production
françaises.
• Elle témoigne aussi sans doute :
- de la faiblesse des barrières à l'entrée du
marché (une des principales exigences du CNC pour autoriser une
société de production étant de disposer d'un capital de
départ de 300KF) ;
- de l'importance des barrières à la sortie (les
dépôts de bilan sont retardés par les gérants de
sociétés de production, car ils signifient une perte totale sur
les recettes de commercialisation de leur catalogue de films).
- Le nombre moyen de films distribués par les sociétés de
distribution en salles serait stable sur la période : il se situe autour
de 3 films.
• En 1995, les 15 premiers distributeurs distribuaient 42% des films soit
en moyenne 11 films. Aux Etats-Unis, en 1995, ce ratio moyen se situe aux
alentours de 25 pour les majors.
• Près de 60% des sociétés de distribution
françaises distribueraient moins de 3 films par an. Compte tenu de la
concentration du secteur exprimée en termes de C.A. on peut supposer que
90% de ces 60 % distribuent en moyenne 1 film tous les 1,5 ans.
- Le ratio de concentration de la filière cinéma,
rapproché du nombre total de sociétés autorisées
par le CNC, révèle l'atomisation du secteur.
• Le nombre d'entreprises dans la filière a augmenté de 8%
entre 1989 et 1995.
• Cette augmentation s'est répartie à peu près
uniformément sur tous les types d'entreprises : le poids des très
petites et petites sociétés (inférieur à 5 MF) a
très légèrement diminué, le poids des grandes
entreprises (plus de 20 MF) est resté stable. La hausse a très
légèrement plus bénéficié aux entreprises
moyennes.
• Le secteur a donc connu un mouvement de concentration qui a surtout
affecté les entreprises dont le C.A. était compris entre 100 et
300MF en 1989.
- Ainsi, le C.A. moyen réalisé par les 75 premières
entreprises a crû de 5% par an en moyenne passant de 100 à 140 MF
: le C.A. moyen des 9 premières entreprises a relativement moins vite
évolué, tandis que celui des 66 entreprises suivantes a
été multiplié par 1,5 entre 1989 et 1995.
- Dans ce contexte, le C.A. moyen des petites et très petites
entreprises a eu lui tendance à se dégrader passant de 3,3
à 2,7(-3% par an en moyenne)
• En 1995, 95% des entreprises concentraient seulement 29% du C.A. de la
filière cinématographique.
• Ainsi l'aisance de financement observée au cours de la
période 1980-1997, découlant des obligations des chaînes de
TV d'investir dans le cinéma et relayée par le soutien
automatique, semble avoir conduit à entretenir sur le marché des
sociétés de production, de distribution et d'exploitation
cinématographiques, qui sans l'aide publique, et par la seule loi du
marché, auraient disparu. Ces entreprises contribuent marginalement
à la valeur ajoutée du secteur.
2. Une priorité donnée à l'augmentation de la production, plutôt qu'à l'adaptation entre l'offre et la demande
•
Le marché français du cinéma a été
caractérisé par une baisse forte de la fréquentation
depuis la fin des années 1970 et jusque fin 1992.
• Nous avons montré l'incapacité du système à
calibrer la production de films français avec l'évolution de la
fréquentation.
• Les chiffres présentés dans le panorama du secteur
montrent également le manque d'adéquation entre le nombre
d'entreprises de production et les conditions de performance des entreprises.
- Afin de réunir des conditions de gestion saines, toutes les
entreprises de production françaises devraient être en mesure de
produire au moins un film par an afin d'engranger des recettes de catalogues
suffisantes pour financer par leurs propres ressources la production nouvelle.
- La concurrence entre les productions en exploitation, la concurrence entre
les entreprises pour s'attacher les services des talents, la concentration de
la production au sein d'un nombre réduit de sociétés, et
l'inexistence de marge nette positive pour la grande majorité
empêche la majeure partie des sociétés d'atteindre cet
objectif.
• La surcapacité de production semble donc être
alimentée par le manque de sélectivité du système
d'agrément du CNC, son inadaptation à la situation
économique du marché.
• Le système d'exploitation ne permet pas d'amortir les films
d'initiative française. Cela traduit à la fois :
- le nombre insuffisant de films français capables de rencontrer un
large public en salles ;
- le goulot d'étranglement que constitue la distribution, fonction
paradoxalement peu aidée.
• La priorité donnée à l'augmentation de la
production a réussi. Toutefois, dans le contexte macro et
micro-économique actuel, il peut être opportun de la remettre en
cause.
3. Une surcapacité conduisant à une fragilisation du secteur
•
La surcapacité économique et de production a
entraîné une concurrence plus forte entre les productions.
Combinée avec la baisse de la fréquentation, elle a conduit
à une fragilisation du secteur.
- La marge nette de la " filière cinéma " est
constamment négative sur l'ensemble de la période 1989-95. Le
déficit courant représente 6% du C.A. en 1995.
- Bien que les ressources en capital aient crû plus rapidement que le
C.A. de la filière, et que le soutien public représente une part
relativement stable du total des charges courantes, les fonds propres ne
suffisent pas à couvrir l'importance des investissements qui
représentent environ sur toute la période 100% de la V.A. nette
- Ainsi le secteur a tendance à s'endetter au fil des ans: les frais
financiers passent d'1/4 de la V.A. nette à 30% entre 1989 et 1995,
l'année 1993 voyant passer ce pourcentage à plus de 40%.
- Les exportations évoluent à la hausse mais restent
relativement faibles : 6% du C.A. de la filière en 1995.
- Par ailleurs sur à peu près tous les segments
d'activité de la filière, la situation économique des
petites et très petites entreprises s'est dégradée entre
1989 et 1995.
4. Le système français d'aides au cinéma n'a pas favorisé l'émergence de grands groupes cinématographiques rentables
•
En particulier, l'effet global du soutien automatique sur la structure et sur
les performances des entreprises de secteur de la production apparaît
modéré.
• Le soutien automatique à la production repose, en particulier,
sur cinq principes fondamentaux :
- Les sociétés de production qui produisent un premier film n'y
ont pas droit : ce qui évite de voir se multiplier les
" sociétés d'un seul film " , qui seraient
créées à l'occasion d'un film pour
bénéficier de cette aide, et qui disparaîtraient une fois
le film rentabilisé.
- Toutes les sociétés de production qui ont produit plus d'un
film peuvent accéder au compte de soutien : ce qui garantit une certaine
équité.
- Le soutien profite plus fortement aux sociétés qui produisent
beaucoup de films : il favorise un phénomène de
concentration devant logiquement aboutir à l'émergence de
sociétés de taille importante.
- En " indexant " le montant du compte de soutien sur les
entrées réalisées par chaque film, il récompense
les sociétés sur leurs performances, et devrait favoriser
l'émergence de sociétés rentables " tournées
vers le marché " et non la création de
sociétés " orientées produits ".
- C'est une aide au réinvestissement : ce qui assure que les montants
financiers retirés de l'exploitation des films seront bien
utilisés pour la production cinématographique.
• L'analyse de la fonction de production a montré que ce secteur
était globalement déficitaire et que moins de la moitié
des sociétés de production étaient
bénéficiaires en 1995. Cette contre-performance peut être
imputée au système de soutien automatique.
• Par ailleurs, l'analyse de la concentration de la production de films
d'initiative française en pourcentage du nombre total de
sociétés actives, montre que le phénomène de
concentration devant résulter du système de soutien automatique a
été modéré.
- Entre 1989 et 1997, le pourcentage de films d'initiative française
produits par les trois premiers producteurs que ce soit en tant que producteur
délégué ou coproducteur est resté relativement
stable (respectivement 8% et 7%), de même que celui des 12
sociétés suivantes, (respectivement 24% et 23%). Le nombre moyen
de films d'initiative française produits par ces sociétés
en tant que producteurs délégué est resté stable,
respectivement 4 et 2,5 films.
- En revanche, le pourcentage de films d'initiative française produits
par les 25 premiers producteurs du secteur en tant que producteur
délégué, a fortement évolué : il est en
effet passer de 37% à 43%. Le nombre moyen de films d'initiative
produits en tant que producteur délégué par ces
sociétés est passé de 1,5 films à plus de 2. Cela
traduit un effet positif du compte de soutien, mais concerne une frange
relativement restreinte de sociétés, qui restent des acteurs de
petite taille, comparés aux standards internationaux.
- En outre, cela signifie que la production d'une grande part des
sociétés de production cinématographique françaises
n'a pas su monter en puissance.
• Dans ce contexte, on peut s'interroger sur l'efficacité du
système de soutien pour structurer l'industrie et améliorer de
manière globale la situation économique du secteur puisque :
- les sociétés de production restent en majorité
déficitaires,
- la plupart d'entre elles continuent de produire au mieux un film tous les
deux ans,
- le nombre moyen de films produits par les " grandes
sociétés " de production est resté stable.
5. Une spirale qui s'étend aux industries techniques
•
Les industries techniques françaises jouissent d'une réputation
mondiale. Pourtant, leur situation économique et financière est
précaire. L'effet conjugué d'une surcapacité et d'un
ralentissement du volume de commandes a généré une spirale
déflationniste. Les prix sont de moins en moins transparents :
forfaits, rabais commerciaux, non facturation des heures
supplémentaires, allongement des délais de paiement, absence de
contractualisation, travail au noir brouillent la lecture de la
réalité économique des prestations.
• Le cas des laboratoires est illustratif. Le morcellement de l'offre et
la situation financière précaire des entreprises placent les
laboratoires français dans une situation concurrentielle
défavorable. Dans le secteur du 35 mm, les géants
multinationaux Rank et Technicolor bénéficient d'économie
d'échelle, qu'ils répercutent sur leurs tarifs ; le volume
d'activité de Technicolor est équivalent à celui des trois
plus gros laboratoires français réunis. Ils sont appuyés
sur des groupes puissants (respectivement Rank et Carlton), qui proposent des
modes de règlement avantageux. Dans le secteur du 16 mm, les
laboratoires belges (De Yonghe, Meuter) proposent des prix inférieurs de
30% aux prix français, essentiellement grâce à des
conditions salariales favorables.