III. L'IMPACT DU DISPOSITIF DE SOUTIEN SUR LES PRINCIPAUX DYSFONCTIONNEMENTS DE LA FILIÈRE
•
La surcapacité économique voulue par les pouvoirs publics n'est
pas critiquable en elle même : elle est en adéquation avec les
objectifs d'une politique visant à garantir une identité
culturelle forte.
- L'importance du parc de salles est a priori légitime puisqu'elle
garantit l'accès du public à la culture.
- De même, l'importance de la production cinématographique
garantie par l'action publique est fondée puisqu'elle garantit a priori
l'identité et le rayonnement culturel de la France
- Entretenir un tissu économique dense de la distribution apparaît
de ce fait rationnel puisque le rôle de ce secteur est essentiel pour que
les films rencontrent leur public
• Cependant, la surcapacité devient critiquable dès lors
qu'elle introduit des distorsions dans la concurrence, des rentes de situation
ou des effets d'aubaines.
• La section qui suit montre que :
- l'ensemble des évolutions observées sur le secteur
cinématographique français a conduit à l'émergence
de rentes de situation et à certains effets d'aubaine.
- la fragilisation économique du secteur, découlant de la
surcapacité économique, est en partie due à
l'incapacité du système de soutien à prendre en compte les
évolutions du marché et des pratiques professionnelles.
A. LA DÉ-RESPONSABILISATION DES INTERVENANTS DE LA FILIÈRE
1. Une situation économique délicate aboutissant à des inefficiences
•
Longs métrages : les étapes essentielles réalisées
dans la précipitation du fait du manque de ressources en capital des
sociétés de production
- La phase de développement du film (travail sur l'écriture du
scénario) est vitale : l'importance qu'on lui accorde fait souvent le
succès d'un film.
- En France, les producteurs accordent relativement moins de temps à la
phase de développement d'un film que leurs homologues
nord-américains.
• Les " majors " placent une grande partie de leurs ressources
financières sur cette étape. Cette phase, étalée
dans le temps, prévoit plusieurs paliers de sélection qui
permettent au final de ne retenir que les scénarios à très
fort potentiel commercial.
• Pour les majors cette phase est donc considérée comme
l'étape faisant le succès du film. Cette approche est rendue
possible grâce aux ressources financières propres dont elles
disposent.
- La phase de préparation d'un film est essentielle, son bon
déroulement conditionne l'efficacité du tournage et des
prestations de post-production
• Le producteur a le choix entre deux possibilités :
1. soit il concentre la préparation du film sur les deux trois mois
avant le tournage. Cette solution peut impliquer jusqu'à 50 personnes
employées simultanément. Elle est donc très
coûteuse, et peut au total rapidement conduire à des inefficiences
organisationnelles :
- au niveau de la phase de préparation (l'information circule mal entre
le réalisateur et chaque équipe, et entre les équipes
elles) ;
- mais aussi, au niveau du tournage (ce qui peut conduire très vite
à des dépassements budgétaires) ;
2. soit il étale la préparation sur une période plus
longue, et implique au fur et à mesure les différentes
équipes de préparation de tournage. Le coût de la phase de
préparation est identique à la première solution, mais il
est lissé dans le temps. Cette approche a toute les chances de donner de
meilleurs résultats que la première, mais elle exige du
producteur de disposer d'une trésorerie importante
• Chez une grande majorité des producteurs français, la
pratique la plus courante est de retenir la première solution : ayant
peu de fonds propres, et les financements des chaînes de TV arrivant
tardivement, ils ont tout intérêt à retarder au maximum la
préparation dans le temps, puisque cela diminue le terme sur lequel
s'effectue l'escompte des pré-ventes TV auprès des organismes
financiers.
• Articulation production/distribution : une quasi absence de
réflexion marketing en amont chez la plupart des distributeurs et
producteurs français.
- La faiblesse du nombre d'établissements cinématographiques
intégrés français explique en partie la déconnexion
entre les secteurs de la production et de la distribution.
- La force des sociétés comme Gaumont, UGC, Pathé ou le
Studio Canal+ est d'intégrer au moins deux des trois étapes de la
filière cinéma. En particulier, cela leur permet
d'intégrer dès la phase de développement une
réflexion marketing sur les films.
- La chute brutale de l'apport des distributeurs dans le financement des films
explique aussi cette situation. Aujourd'hui, la plupart des distributeurs
indépendants sont dans l'incapacité d'intervenir dans le
financement des films français, leurs ressources en capital demeurant
somme toute assez faibles, même si le secteur est globalement
bénéficiaire. Ainsi, l'articulation entre production et
distribution a du mal à se faire correctement, ce qui pousse d'ailleurs
certains producteurs indépendants à intégrer cette
fonction.
- Enfin, les conditions d'activité pour les petits producteurs
étant plutôt difficiles, leur énergie est souvent
consacrée à garantir à leur société un
volume d'affaire suffisant pour accroître leurs revenus à court
terme et donc d'essayer d'entreprendre le plus rapidement possible la
production d'un nouveau film. Certaines sociétés de production,
plus importantes, font d'ailleurs ce choix délibéré de
choisir une stratégie de croissance basée sur les revenus
à court terme. De ce fait, chez ce type de producteurs, la distribution
passe au second plan, et en particulier la distribution à
l'international : l'articulation du secteur de la production avec celui de la
distribution se fait donc mal, ou très lentement.
2. Une situation économique particulière conduisant à une déresponsabilisation de l'ensemble des intervenants de la filière et à des effets d'aubaine
•
Une sélectivité des projets moins importante des chaînes de
TV
- Les obligations des chaînes de TV étant liées à
l'évolution de leur C.A. et ce dernier étant au cours des dix
dernières années constamment orienté à la hausse,
elles disposent d'un budget d'investissement de production chaque année
plus important.
- Cette évolution les conduit à être moins regardantes sur
la qualité du scénario et des documents fournis.
• Des budgets de production fréquemment surestimés par les
producteurs.
- Compte tenu de l'évolution des budgets d'investissements des
chaînes, les producteurs n'hésitent plus à leur
présenter des budgets de production très élevés, ou
sans correspondance précise avec le coût réel du projet (ce
qui leur permet de " sur-financer " leur projet).
- Ces mêmes devis " sur-financés " sont
présentés au CNC.
• Une certaine frange de producteurs apporte peu de valeur ajoutée
et reste déconnectée de la sanction du marché.
- L'analyse du marché montre qu'il existe trois types de
producteurs :
1. les grosses sociétés de production indépendantes,
souvent historiques, et bénéficiaires, qui tirent correctement
partie du compte de soutien automatique en se donnant les moyens de produire
des films ambitieux, souvent tournés vers l'international, en
adéquation avec la demande des spectateurs.
2. les sociétés indépendantes, que nous qualifierons de
catégorie 1, à peine équilibrées, qui produisent un
nombre relativement élevé de films d'un budget moyen,
intégrant relativement peu la dimension internationale et
réalisant sur le marché domestique des performances en termes
d'entrées relativement médiocres. Certaines de ces
sociétés jouant sur la notoriété des
réalisateurs et des acteurs qu'elles produisent, ou sur leurs relations
professionnelles, ont tendance à pratiquer le sur-financement de leur
projet auprès des chaînes de TV et à se
rémunérer confortablement à court terme. Ce type de
sociétés et de producteurs minimise ses risques, et retire du
système de soutien des rentes situation ;
3. les sociétés indépendantes, que nous qualifierons de
catégorie 2, très souvent déficitaires, qui produisent de
manière épisodique des films de petit budget, intégrant
relativement peu la dimension internationale du marché, mais pouvant
réaliser parfois sur le marché domestique un nombre
d'entrées inattendu qui permet de rentabiliser le projet. Ce type de
société a souvent du mal à réunir les financements
nécessaires à la réalisation de leurs projets
auprès de l'ensemble des chaînes de TV. Elles recourent donc
à l'avance sur recettes et/ou aux aides supranationales et dans une
moindre mesure au soutien automatique
• Cette analyse conduit à se demander dans quelle mesure le
système de soutien automatique entretient sur le marché des
sociétés de production qui pénalisent la
créativité, l'efficacité de la production, et
l'entrée d'acteurs plus performants sur le marché.