B. L'ORGANISATION DU TRAVAIL : UN CADRE RÉGLEMENTAIRE CONTRAIGNANT ET PEU RESPECTÉ
•
La convention collective nationale des techniciens de la production
cinématographique du 30 avril 1950 définit les
équipes minima, pour tout film de fiction d'un métrage
supérieur à 1 800 mètres. Ces équipes
comprennent au moins 30 personnes.
• Nos interlocuteurs soulignent que dans la pratique, ces minima ne sont
pas respectés.
C. UN SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE GÉNÉREUX ET DÉTOURNÉ PAR LES CONDITIONS CONCRÈTES D'ORGANISATION DU TRAVAIL
•
Les conditions et modes d'organisation du travail dans le domaine de la
production cinématographique ont été jugés
suffisamment particuliers pour justifier un système de protection
sociale spécifique. Outre des bonifications dans le système des
retraites, les employés bénéficient d'un régime
d'assurance chômage dérogatoire au régime
général, pour les intermittents du spectacle.
• Les artistes et techniciens titulaires d'un contrat à
durée indéterminée (CDI) cotisent au régime
général de l'assurance chômage. Les artistes et techniciens
titulaires d'un contrat à durée déterminée cotisent
selon des modalités définies dans les annexes VIII (ouvriers et
techniciens de la production cinématographique et audiovisuelle) et X
(artistes du spectacle et techniciens des entreprises du spectacle) du
règlement général du régime d'assurance
chômage.
• Ce régime dérogatoire se distingue par le nombre d'heures
de travail requis pour ouvrir des droits aux allocations chômage. Ce
plancher est fixé à 507 heures de travail dans les 12 mois
précédents la rupture de leur contrat de travail. Rappelons qu'en
1992, environ 100 000
3(
*
)
personnes ont bénéficié d'au moins un contrat
d'intermittent ; 36 000 ont atteint ce plancher.
• Le montant des allocations chômage est fixé, pour les
ouvriers et techniciens de la production cinématographique, à
partir des salaires minimaux de la profession ; pour les artistes et
techniciens du spectacle, c'est le salaire réel qui est pris en compte,
dans la limite d'un plafond (1 780 F par jour).
• L'allocation est dégressive : elle diminue de 20 ou de 10%
(en fonction de l'âge de l'intéressé) une fois dans
l'année. Rappelons que dans le régime général,
l'allocation diminue tous les 4 mois.
• Dans son ensemble, ce statut n'est pas remis en cause, dans la mesure
où, d'une part, il est particulièrement adapté aux
conditions de production des entreprises culturelles et où, d'autre
part, il contribue à préserver la liberté de choix et
l'indépendance artistique des personnels concernés. Ces
résultats positifs doivent être soulignés.
• Toutefois, le statut des intermittents a été
critiqué, notamment sur le fait que l'écart entre les cotisations
perçues (619 MF) et les allocations versées
(2,8 milliards)
4(
*
)
est
significatif. La question est posée du déplafonnement des
cotisations sociales. En 1997, le plafond au delà duquel les cotisations
n'augmentent plus était fixé à 13 720 F de
rémunération mensuelle. De plus, des pratiques illicites et des
abus ont été observés. Dans ce contexte, un
médiateur a été nommé et le statu quo a
été prorogé jusqu'à la fin de l'année
1998.
1. Banalisation du recours aux contrats d'intermittents
• L'usage s'est considérablement modifié au cours des années 1980, notamment après la privatisation de l'audiovisuel en 1986. Le recours au statut d'intermittent, après être resté longtemps marginal, est devenu majoritaire, aussi bien pour les artistes que pour les ouvriers et techniciens de la production cinématographique. Le nombre d'actifs ayant eu au moins un contrat d'intermittent au cours de l'année a doublé entre 1980 et 1992, alors que le nombre de permanents a augmenté d'un quart : en 1992, les intermittents sont devenus deux fois plus nombreux que les permanents.
2. L'alternance entre emploi rémunéré et chômage indemnisé et le plafonnement des jours d'activité
•
Les analyses de l'INSEE montrent que, depuis 1980, le secteur des spectacles
évolue vers un recours croissant aux emplois de durée
brève et vers l'imbrication de plus en plus fréquente entre
emploi rémunéré et chômage indemnisé :
un intermittent indemnisé peut suspendre cette indemnisation pour
reprendre une activité de courte durée ; il retrouve ses
indemnités au terme de cette période d'activité.
• Cette pratique de l'alternance entre temps chômé
indemnisé et reprise d'activité réduite est passée
de 36% des cas en 1980 à 90% en 1992, pour l'ensemble du secteur. Dans
le même temps, le nombre des interruptions dans une séquence
d'indemnisation est passé de 4 à 16 et leur durée moyenne
a diminué. L'alternance est ainsi devenue le mode normal de gestion du
temps des intermittents : en 1980, 34% des intermittents ayant
travaillé au delà du plancher étaient indemnisés au
titre de l'assurance chômage ; en 1992, 90% des intermittents sont
dans ce cas. Elle correspond à la fois au calcul des personnels et aux
modes d'organisation du travail des employeurs.
• Au cours des 15 dernières années, le rythme de cette
alternance s'est accéléré : les artistes ont pu
maintenir leur niveau d'activité en accumulant un plus grand nombre
d'engagements de durée plus courte ; les techniciens, quant
à eux, ont subi la baisse de la durée moyenne des contrats, sans
pouvoir augmenter le nombre d'engagements sur l'année ; leur niveau
d'activité a donc baissé.
• La durée moyenne d'activité par actif est stable entre
1980 et 1992, autour de 65 jours par an ; cette stabilité
suggère que le système incite les intermittents à
plafonner leur nombre de jours d'activité.
3. Une dynamique inégalitaire
•
Cette forme d'emploi a un impact sur la pérennité des personnels
concernés. Nous avons vu que, sur une année, un tiers des
titulaires d'un contrat d'intermittent atteignait le plafond ouvrant droit aux
allocations chômage. Or, chaque année, les entrants
représentent 15% des effectifs ; la moitié d'entre eux
restera moins de 2 ans dans le secteur. Ce turn over peut être
expliqué de deux manières complémentaires :
- le régime est très attractif, pour un public qui cherche des
opportunités d'emploi ; les barrières à
l'entrée sont minimes ; l'augmentation des effectifs
témoigne de ce phénomène, notamment pour les
techniciens ;
- le régime est sélectif ; il ne fournit pas les moyens de
persévérer dans ce secteur.
• Les analyses de l'INSEE montrent que l'intermittence alimente la
concurrence entre les personnes : elle répartit un volume d'emploi
donné sur un plus grand nombre d'actifs. Cette concurrence provoque des
disparités fortes, au sein de chaque catégorie de métier,
dans les quantités de travail obtenues par les professionnels faisant
carrière. Les travaux de l'Observatoire de l'emploi culturel montrent
que, pour 350 professionnels quasi permanents qui ne travaillent que dans le
cinéma, la moyenne annuelle du nombre de jours travaillés est de
140.
• L'assurance chômage n'atténue que très
partiellement les différences de revenus entre professionnels
intermittents.
Indemnisations au titre de l'annexe 8 de l'assurance
chômage
(production cinématographique et audiovisuelle)
|
Nombre de personnes indemnisées au cours de l'année |
Montant total des indemnisations versées (en MF) |
1991 |
|
599,0 |
1992 |
17 753 |
883,1 |
1993 |
18 223 |
907,1 |
1994 |
18 125 |
840,0 |
1995 |
19 590 |
955,9 |
1996 |
22 380 |
1 085,5 |
Source : UNEDIC
•
On ne connaît pas le nombre total d'intermittents relevant de la
production cinématographique pendant ces années-là.
• La baisse des indemnisations en 1994 est liée à la
restriction du champ d'application des indemnités. Avant, il suffisait
de relever d'une fonction de l'annexe 8. Depuis, il faut en plus travailler
pour une entreprise de code APE bien précis (production
cinématographique et audiovisuelle).
Durée moyenne d'indemnisation
1992 |
178 jours |
1993 |
178 jours |
1994 |
167 jours |
1995 |
172 jours |
1996 |
166 jours |
Source : UNEDIC