II. DES PRIORITÉS SECTORIELLES EN ÉVOLUTION
Si l'étatisme et le protectionnisme ne cessent de caractériser « la voie indienne du développement », les priorités sectorielles évoluent pour tenir compte des difficultés rencontrées et des crises traversées.
Le développement des industries lourdes demeure, toutefois, pendant toute la période, la préoccupation centrale du Gouvernement. Mais alors que, dans les deux premières décennies après l'indépendance, l'agriculture dont on n'attend pas d'impulsion économique significative, est négligée, elle devient une priorité de premier rang à partir de la seconde moitié des années 1960. Deux mauvaises moussons successives en 1965 et 1966 entraînent une chute brutale de la production agricole. Des importations massives de céréales sont nécessaires pour prévenir la famine. Le Gouvernement, qui s'en était remis à l'aide étrangère pour couvrir les besoins alimentaires du pays, réagit avec impatience, sinon indignation, aux exigences des donneurs d'aides, en particulier des États-Unis, qui subordonnent leur intervention à des assouplissements de la politique internationale de l'Inde, notamment à propos du Vietnam. Il prend, en outre, la mesure de la malnutrition qui sévit dans le pays et découvre que la sécheresse entraîne l'ensemble de l'économie dans la crise. Un changement de stratégie s'impose afin de corriger le déséquilibre croissant entre l'effort consenti en faveur de l'industrie et la stagnation de la production agricole.
C'est alors que l'Inde prend un ensemble de mesures en direction de l'agriculture.
La politique agricole s'était bornée jusque là à la mise en oeuvre d'une réforme agraire destinée à redistribuer les terres qui étaient très largement concentrées entre les mains d'une classe de grands propriétaires. Décidée et définie dans ses principes généraux au niveau fédéral, la réforme devait être mise en oeuvre par les États dans le cadre de leurs compétences constitutionnelles. Elle le sera de façon très différenciée. Certains États, comme le Penjab ou ceux dont les Gouvernements sont dirigés par le Parti Communiste, l'appliquent de façon systématique et déterminée. Ils en recueillent les fruits sous forme d'une production agricole largement accrue. D'autres font preuve de laxisme, acceptant que les règles fixées à Dehli soient tournées sur le terrain de diverses façons. Les fruits sont amers : la stagnation et l'appauvrissement s'installent.
La « révolution verte » qui suit quelques années plus tard met l'accent, non sur le statut des terres, mais sur l'accroissement des rendements, principalement fonde sur l'utilisation de semences sélectionnées. Jointe à l'augmentation des surfaces par défrichement, à l'irrigation, à un large recours aux engrais et aux pesticides, ainsi qu'à la création de facilités de crédit la mise en oeuvre de ces nouvelles variétés donne, en quelques années, des résultats spectaculaires. Une classe moyenne d'agriculteurs se développe qui constitue aujourd'hui un important marché pour de nombreux biens de consommation durable. L'Inde accède à l'autosuffisance, mais au prix d'un accroissement des disparités entre régions. La « révolution verte » n'est en effet vraiment mise en oeuvre que dans les zones où l'équipement et le potentiel en gain de productivité sont les meilleurs. Le Penjab, l'Haryana, l'ouest de l'Utar Pradesh, les deltas du sud-est en profitent pleinement et voient le niveau de vie de leur population augmenter considérablement. Il en va tout autrement dans la plupart des autres zones.