Rapport d'information n° 390 (1995-1996) de MM. Jean FRANÇOIS-PONCET , Louis ALTHAPÉ , Bernard DUSSAUT , Jean-Paul ÉMIN , Jean HUCHON , Bernard JOLY , Félix LEYZOUR , Daniel PERCHERON , Jean-Jacques ROBERT et Michel SOUPLET , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 29 mai 1996
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INTRODUCTION
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CHAPITRE I L'ÉCONOMIE INDIENNE AVANT 1991
« LE TAUX DE CROISSANCE INDIEN »
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CHAPITRE II LE TOURNANT DE LA RÉFORME ET SES
RÉSULTATS
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CHAPITRE III LES ATOUTS DE L'ÉCONOMIE
INDIENNE
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CHAPITRE IV LES HANDICAPS ET LES
ALÉAS
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CHAPITRE V LA PLACE DE LA FRANCE
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CONCLUSION LE PARI INDIEN
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ANNEXE PROGRAMME DE LA MISSION
N° 390
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 29 mai 1996.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan 1 ( * ) à la suite d'une mission effectuée en Inde, pour étudier l'économie de ce pays, ainsi que ses relations économiques, commerciales et financières avec la France,
Par MM. Jean FRANÇOIS-PONCET, Louis ALTHAPÉ,
Bernard DUSSAUT, Jean-Paul EMIN, Jean HUCHON,
Bernard JOLY, Félix LEYZOUR, Daniel PERCHERON,
Jean-Jacques ROBERT et Michel SOUPLET,
Sénateurs.
INTRODUCTION
Cinq ans après la décision de l'Inde de libéraliser son économie, le moment n'est-il pas venu pour la France de tourner sérieusement son regard vers ce nouveau géant qui émerge en Asie ?
Tout se passe comme si notre pays, satisfait de la relance de ses relations politiques et économiques avec la Chine, se contentait des résultats qu'elle y obtient pour assurer sa présence dans cette partie essentielle de la planète.
Quiconque regarde l'Asie comme un tout ne saurait, pourtant, se dispenser de prendre en compte simultanément le marché chinois et le marché indien. En ne s'intéressant qu'à l'un d'entre eux, la France ne cède-t-elle pas à un effet de mode ?
Tout, il est vrai, distingue, à première vue, les deux pays. Dictature solidement contrôlée, la Chine se caractérise par son unité linguistique et ethnique, son irréligiosité foncière, son goût frénétique pour l'argent et son adhésion enthousiaste à l'économie de marché baptisée, pour la circonstance. « économie socialiste de marché ».
L'Inde, au contraire, est une démocratie authentique où se côtoient des peuples d'origines très diverses. 20 langues et 7 religions -pour ne retenir que les principales- qui a fait longtemps preuve, dans l'ordre économique, d'un dédain puritain et mystique et n'a opéré que très récemment sa conversion au marché et son ouverture sur l'extérieur.
Malgré ces différences, tout invite à porter simultanément attention aux deux pays. Leur importance démographique nous y incite : si les tendances actuelles se poursuivent, l'Inde pourrait compter 1,4 milliard d'habitants et la Chine 1,6 milliard en 2025, ce qui en ferait les deux premiers marchés du monde.
Le poids géopolitique des deux puissances est lui aussi, comparable. Dotées d'importants arsenaux militaires, ambitionnant, l'une et l'autre, d'exercer un rôle majeur dans le sud-est asiatique, elles pourraient être amenées à s'affronter au siècle prochain, comme elles l'ont déjà fait à la fin des années 1950. Leurs relations sont aujourd'hui pacifiques et leurs liens économiques et commerciaux tendent à se renforcer. Mais l'avenir de leurs rapports est plus qu'incertain.
L'Inde a attendu 1991 pour engager une réforme économique d'envergure et s'ouvrir aux investissements étrangers. Paradoxalement, c'est la Chine, dont 1'idéologie était la plus éloignée du capitalisme, qui s'en est rapprochée la première, dès 1978. Les succès remportés par celle-ci notamment dans l'amélioration des conditions de vie de sa population, n'ont sans doute pas été sans influer sur les choix de l'Inde.
À l'inverse des firmes américaines et allemandes, les entreprises françaises n'ont jusqu'ici répondu qu'avec peu d'empressement à l'appel du marche indien. À l'évidence, l'Inde souffre des idées toutes faites qui dévalorisent son image chez nos concitoyens. Le sous-continent reste aux yeux d'un grand nombre, un pays arriéré, plongé dans la misère, handicapé par des antagonismes et des interdits religieux, enfermé dans un système de caste archaïque qui freine le progrès et dans une société pluri-ethnique et multi-culturelle menacée d'éclatement.
Sans nul doute l'Inde connaît des tensions intérieures sérieuses qui ralentissent son développement économique. Mais la plupart des craintes diffuses, qui s'expriment ici et là, ne résistent pas à une analyse sérieuse et ne justifient pas qu'on ignore son formidable potentiel de développement.
Aussi a-t-il paru nécessaire à votre Commission d'effectuer une mission d'information dans ce pays après avoir accompli une démarche similaire en Chine il y a deux ans. Elle a voulu évaluer les chances et les handicaps de l'économie indienne avec autant d'objectivité et d'exactitude que possible, en cherchant à mesurer la place que la France pourrait et devrait y prendre.
CHAPITRE I L'ÉCONOMIE INDIENNE AVANT 1991 « LE TAUX DE CROISSANCE INDIEN »
Les perspectives économiques qui s'ouvrent à l'Inde au moment où elle accède à l'indépendance sont moroses. Une longue suite de famines a marqué la première moitié du XXe siècle : la plus terrible, celle qu'a connu le Bengale en 1943, est encore dans les esprits. Les trois-quarts des 352 millions d'habitants que compte l'Inde vivent dans une pauvreté absolue. L'espérance de vie à la naissance est de 32 ans.
L'Inde hérite, il est vrai, d'une industrie dont le potentiel est loin d'être négligeable, mais qui, édifié par quelques grandes familles, est centré sur le textile : 50 % des salaires versés en 1946 le sont par l'industrie cotonnière, 15 % par celle du jute.
Nehru et son entourage, frappés par la crise sans précédent qui ébranle les économies capitalistes dans les années 1930 et impressionnés par les réalisations du système soviétique, choisissent la voie d'un « socialisme autocentré » pour sortir l'Inde de son sous-développement. Cette orientation ne changera pas, mais les priorités sectorielles de la politique économique s'adapteront aux défis à relever.
I. ÉTATISME ET PROTECTIONNISME.
L'aspiration à l'indépendance, qui a marqué l'action politique de la génération qui se reconnaît en Gandhi et en Nehru, façonne aussi sa pensée et son action en matière économique. D'où le rôle primordial assigné à l'État qui est charge d'inscrire l'autonomie dans les structures de l'économie indienne Les pouvoirs publics mettront en oeuvre, à cet effet, trois instruments :
- la planification, qui oriente et rythme le développement de toute l'économie ; Nehru assume lui-même la présidence de la Commission du Plan :
- l'extension du secteur public, auquel on reconnaît un rôle d'impulsion majeure et dont les effectifs doublent entre 1961 et 1981 (date à laquelle il emploie deux fois plus de salariés que le secteur privé). Une liste des industries est dressée où toute intervention nouvelle est réservée à l'État Une deuxième liste établit des « secteurs prioritaires » où les entreprises peuvent intervenir parallèlement aux pouvoirs publics : industrie pharmaceutique, transports, aluminium, machine-outil, etc. Les entreprises en difficulté sont peu à peu reprises par les pouvoirs publics. En 1969 Indhira Gandhi nationalise les 14 plus grandes banques ;
- le contrôle du secteur privé complète ce dispositif ; l'économie indienne reste en effet caractérisée par l'existence d'empires industriels familiaux, dont la production est souvent intégrée verticalement et très diversifiée. La fermeture des frontières favorise leur croissance, ainsi que le développement d'un tissu d'entreprises moyennes, qui travaillent en liaison avec une myriade de micro-entreprises du « secteur informel ». Cet appareil de production est enserré dans un carcan d'autorisations préalables, qui s'appliquent à la quasi-totalité de la gestion des entreprises : création d'emplois et de nouvelles unités industrielles, emprunts, importations et exportations, etc.
L'objectif poursuivi est d'atteindre à l'autonomie sinon à l'autarcie. Aussi l'État limite-t-il rigoureusement l'entrée de capitaux : les investisseurs étrangers ne sont pas autorisés à détenir plus de 40 % des sociétés indiennes auxquelles ils s'associent et leur rôle restera négligeable jusqu'à la réforme de 1991. Ceci n'empêche pas l'Inde de dépendre dans une large mesure, au cours de ces années, de l'aide étrangère. Celle-ci émane des États-Unis (à concurrence de 70 % dans les premières années et de 50 % par la suite) et prend, pour l'essentiel, la forme d'une aide alimentaire dont l'Inde est incapable de se passer. La Banque Mondiale est, aux côtés de l'Amérique, un des principaux bailleurs de fonds. Quant à l'URSS, dont l'aide, inexistante à l'indépendance, s'accroît peu à peu pour atteindre 12 %, elle joue un rôle symbolique et politique très important.
II. DES PRIORITÉS SECTORIELLES EN ÉVOLUTION
Si l'étatisme et le protectionnisme ne cessent de caractériser « la voie indienne du développement », les priorités sectorielles évoluent pour tenir compte des difficultés rencontrées et des crises traversées.
Le développement des industries lourdes demeure, toutefois, pendant toute la période, la préoccupation centrale du Gouvernement. Mais alors que, dans les deux premières décennies après l'indépendance, l'agriculture dont on n'attend pas d'impulsion économique significative, est négligée, elle devient une priorité de premier rang à partir de la seconde moitié des années 1960. Deux mauvaises moussons successives en 1965 et 1966 entraînent une chute brutale de la production agricole. Des importations massives de céréales sont nécessaires pour prévenir la famine. Le Gouvernement, qui s'en était remis à l'aide étrangère pour couvrir les besoins alimentaires du pays, réagit avec impatience, sinon indignation, aux exigences des donneurs d'aides, en particulier des États-Unis, qui subordonnent leur intervention à des assouplissements de la politique internationale de l'Inde, notamment à propos du Vietnam. Il prend, en outre, la mesure de la malnutrition qui sévit dans le pays et découvre que la sécheresse entraîne l'ensemble de l'économie dans la crise. Un changement de stratégie s'impose afin de corriger le déséquilibre croissant entre l'effort consenti en faveur de l'industrie et la stagnation de la production agricole.
C'est alors que l'Inde prend un ensemble de mesures en direction de l'agriculture.
La politique agricole s'était bornée jusque là à la mise en oeuvre d'une réforme agraire destinée à redistribuer les terres qui étaient très largement concentrées entre les mains d'une classe de grands propriétaires. Décidée et définie dans ses principes généraux au niveau fédéral, la réforme devait être mise en oeuvre par les États dans le cadre de leurs compétences constitutionnelles. Elle le sera de façon très différenciée. Certains États, comme le Penjab ou ceux dont les Gouvernements sont dirigés par le Parti Communiste, l'appliquent de façon systématique et déterminée. Ils en recueillent les fruits sous forme d'une production agricole largement accrue. D'autres font preuve de laxisme, acceptant que les règles fixées à Dehli soient tournées sur le terrain de diverses façons. Les fruits sont amers : la stagnation et l'appauvrissement s'installent.
La « révolution verte » qui suit quelques années plus tard met l'accent, non sur le statut des terres, mais sur l'accroissement des rendements, principalement fonde sur l'utilisation de semences sélectionnées. Jointe à l'augmentation des surfaces par défrichement, à l'irrigation, à un large recours aux engrais et aux pesticides, ainsi qu'à la création de facilités de crédit la mise en oeuvre de ces nouvelles variétés donne, en quelques années, des résultats spectaculaires. Une classe moyenne d'agriculteurs se développe qui constitue aujourd'hui un important marché pour de nombreux biens de consommation durable. L'Inde accède à l'autosuffisance, mais au prix d'un accroissement des disparités entre régions. La « révolution verte » n'est en effet vraiment mise en oeuvre que dans les zones où l'équipement et le potentiel en gain de productivité sont les meilleurs. Le Penjab, l'Haryana, l'ouest de l'Utar Pradesh, les deltas du sud-est en profitent pleinement et voient le niveau de vie de leur population augmenter considérablement. Il en va tout autrement dans la plupart des autres zones.
III. LE TAUX DE CROISSANCE INDIEN
Le bilan économique des trois premières décennies de l'indépendance est, en dépit de résultats significatifs dans plusieurs secteurs, notamment l'agriculture, en définitive décevant, et apparaît comme nettement insuffisant à partir des années 1970.
Cela tient en particulier à l'explosion démographique. La chute du taux de mortalité infantile de 36 %, à 15 %, entraîne une augmentation du taux de croissance de la population de 1,25 % dans les années 1940 à 2, 2 % ou il se situe encore actuellement. La population de l'Inde double pour atteindre 680 millions d'habitants en 1981. La croissance démographique annule, dans une large mesure, les effets de la croissance. Celle-ci s'avère nettement plus lente que dans le reste de l'Asie. Elle s'établit à 3 5 % en moyenne sur l'ensemble de la période, contre plus de 5 % aux voisins de l'Inde, et ceci en dépit d'investissements élevés. Les commentateurs parlent avec commisération d'un « taux de croissance indien », dont la modestie entraîne une régression de la part de l'Inde dans l'économie mondiale. L'Inde représentait 12 % dans la production du tiers-monde en 1950, cette part tombe a 4.5 % en 1980, 10 ème puissance industrielle en 1950, elle n'occupe plus que la 27 ème position en 1980. Ramenée au nombre d'habitants, la production de l'Inde se retrouve à la 100ème place dans le monde.
IV. LES PREMIÈRES TENTATIVES DE RÉFORME
À la fin des années 1970, le système économique commence à être mis en question. Les faiblesses d'un développement qui a tourné le dos au marché mondial sont reconnues. Les usines ont vieilli. Les produits sont de qualité médiocre et souvent périmés : les modèles de voitures ont 15 ans d'âge. Le secteur public, qui a été considérablement étendu, tourne le plus souvent à perte. La pauvreté ne recule que lentement et le chômage est en hausse. Le mécontentement se développe dans tous les milieux.
Conscient de cette situation Rajiv Gandhi, qui succède à sa mère en 1984, s'engage sur la voie des réformes et promet de préparer l'Inde « à entrer dans le 21 ème siècle ». Mais les changements qu'il introduit sont timides et de demi-mesures en demi-mesures, l'Inde s'achemine, au cours des années 1980-1990, vers une crise grave qui débouchera en 1991 sur un changement profond d'orientation.
Rajiv Gandhi critique les mauvaises performances du secteur public, mais n'ose pas s'engager dans un assainissement radical incluant des privatisations. L'ouverture sur l'extérieur qu'il souhaite ne progresse qu'à petit pas. Les contrôles de l'administration sur le secteur privé se relâchent, mais restent pesants et continuent de freiner l'initiative.
Pour insuffisants qu'ils soient, ces changements accélèrent la croissance du PNB dont le taux atteint 5.5 %. Le secteur industriel progresse de 7 % par an, notamment dans la production des biens semi-durables. La mise en valeur du gisement off-shore de pétrole et de gaz au nord de Bombay constitue un des apports les plus positifs de cette période.
Mais la progression des exportations reste modeste alors que les importations s'envolent. Aussi la croissance s'accompagne-t-elle d'un déficit extérieur important et d'un endettement qui devient critique à la fin de la décennie : 24 milliards de dollars en 1981. 64 milliards de dollars en 1991. L'inflation, inférieure à 5 % en 1985-86, fait un bond à 17 % en 1991.
Deux facteurs extérieurs, la guerre du Golfe et l'implosion de l'URSS, transforment l'impasse économique en crise ouverte. La hausse du prix du pétrole, le tarissement des transferts financiers des travailleurs indiens expatriés au Moyen Orient, les retraits de fonds opérés par les Indiens non résidents, inquiets de la détérioration de la situation du pays, provoquent une crise des paiements aiguë. Au printemps de 1991 les réserves en devises ne représentent plus que 15 jours d'importations. Le service de la dette est mis en danger. New Delhi en appelle à l'aide internationale. Mais Gouvernements et institutions internationales font la sourde oreille au moment même où les élections du printemps 1991 ont lieu et où Rajiv Gandhi est assassiné. De la crise émergeront les réformes qui, même si elles sont incomplètes à de nombreux égards, modifient radicalement l'orientation générale de la politique indienne. « Le monde », déclarera le nouveau ministre des finances, Manmohan Singh, « doit comprendre que l'Inde a changé ».
CHAPITRE II LE TOURNANT DE LA RÉFORME ET SES RÉSULTATS
Les bouleversements géopolitiques qui caractérisent la fin des années 1980 contribuent à inciter les dirigeants indiens à choisir la voie difficile de la réforme économique. L'affaiblissement, suivi de la désintégration de l'Union soviétique, fournisseur, client et allié de l'Inde, le spectaculaire essor de la Chine, de la Corée et de l'Asie du Sud-Est mettent en relief l'isolement et le retard du second pays le plus peuplé d'Asie. La fin de la guerre froide et la redéfinition du rôle respectif de l'URSS, des États-Unis et de la Chine en Asie, l'indépendance croissante de la diplomatie des pays de la zone, à commencer par le Japon, et le développement des échanges économiques inter-asiatiques forment la toile de fond des réformes auxquelles l'Inde procède à compter de 1991.
Elles sont préparées et exécutées par deux membres du Congrès dont rien ne laissait présager qu'ils avaient la fibre des grands réformateurs, mais qui ont pris la mesure des transformations du contexte international et des défis qui en résultent pour l'Inde.
Né en 1921, et originaire de l'État d'Andra Pradesh, M. Narashima Rao n'accède à la présidence du parti du Congrès qu'en 1991, après l'assassinat de Rajiv Gandhi. Blanchi sous le harnais d'une longue carrière (il fut chef du Gouvernement d'Andra Pradesh avant d'être secrétaire général du Congrès et d'occuper plusieurs postes ministériels à partir de 1980), Narashima Rao n'a pas la silhouette d'un réformateur. Il se distingue cependant par une grande connaissance des réalités internationales qu'il met depuis longtemps au service de son parti, dont il a rédigé le programme avant les élections de 1991.
Son action est indissociable de celle du ministre des finances qu'il choisit : Manmohan Singh. Celui-ci, issu d'une famille de confession sikh originaire du Penjab pakistanais, a suivi de brillantes études en Inde et en Grande-Bretagne. Nommé secrétaire général du ministère des finances par Mme Gandhi en 1976, il occupa ce poste sous le Gouvernement Janata avant d'être nommé Gouverneur de la Banque centrale (1982-85). Parfaitement informé, lui aussi, de l'état de l'économie mondiale, conscient des progrès spectaculaires qui s'accomplissent en Asie de l'Est autant que du retard de son pays et des erreurs qu'il a commises, il est acquis à la nécessité d'un profond changement. Mais esprit lucide et pragmatique, il procède avec prudence et doigte. Les réformes qu'il réalise se situent à mi chemin entre un libéralisme systématique et la tradition indienne façonnée par un demi-siècle de dirigisme.
I. LA LIBÉRALISATION DE L'ÉCONOMIE INDIENNE : ASSAINISSEMENT, OUVERTURE, DÉRÉGLEMENTATION
Lors de la préparation du budget, en 1991, Narashima Rao et Manmohan Singh établissent un diagnostic sévère des principales faiblesses de l'économie indienne : accroissement des déficits publics ; archaïsme d'un système financier, dont le rôle principal est de subvenir aux besoins financiers de l'État ; dégradation de l'équilibre extérieur, attribuée au dirigisme et au protectionnisme, ainsi qu'au manque de compétitivité qu'ils ont engendré.
A. L assainissement des finances publiques
Pour réduire le déficit budgétaire, le Gouvernement diminue les dépenses militaires, les subventions au secteur public et à l'agriculture, ainsi que les crédits du plan. Le total des subventions de l'État passe de 2.4 % du PNB en 1989-1990, à 1 % en 1993-1994. De ce fait, le besoin de financement des administrations passe de 8.4 % du PIB en 1990-1991 à 5 % du PIB en 1993-1994, tandis que la hausse des prix à la consommation est ramenée de 13,7 % en 1991 à 8,4 % en 1994.
La politique monétaire contribue, de son côté, au ralentissement de l'inflation. Les autorités décident de limiter la monétisation des déficits publics, notamment par la signature, en août 1994, d'un memorandum of understanding entre l'État et de la Réserve bank of India, qui limite strictement le recours de l'État aux financements bancaires. Une structure cohérente des taux d'intérêt est recherchée.
B. L'ouverture de l'économie indienne
Le Gouvernement s'efforce de conjuguer l'ouverture graduelle sur l'extérieur avec l'amélioration des performances des entreprises et la réduction de l'écart technologique avec l'étranger, de façon à stimuler parallèlement les exportations et à rétablir l'équilibre de la balance commerciale.
Les droits de douane, notamment ceux qui frappent les biens d'équipement, sont radicalement réduits. De 1987 à 1994, le taux moyen des droits à l'importation passe de 96,1 % à 40,7 %, les maxima passant de 150 % en 1991 à 65 % en 1995.
Pour financer les investissements et augmenter la productivité, le Gouvernement ouvre la porte aux investissements étrangers.
Ceux-ci sont possibles, dans pratiquement tous les secteurs de l'économie sous réserve de l'autorisation de la banque centrale ou du Foreign investment policy board (FIPB). Les prises de participation étrangère peuvent dépasser 51 % du capital dans la majeure partie de l'économie. Il en est ainsi dans 54 secteurs prioritaires qui bénéficient d'une procédure d'autorisation « automatique » de la banque centrale, de même que dans le secteur des industries de haute technicité où les collaborations techniques sont encouragées.
Cependant, les services ne relèvent pas de la procédure d'autorisation automatique. Quant aux secteurs non prioritaires, les investissements doivent y recueillir l'autorisation du Foreign Investment Policy Board.
La petite industrie est protégée de façon plus étroite des investisseurs étrangers. Ceux-ci ne peuvent dépasser 24 % dans les « joint ventures » qui fabriquent des produits réservés à la petite industrie. Dans le cas où la joint venture exporte 75 % de sa production, les investissements étrangers peuvent être plus importants.
Le droit des sociétés indien offre encore peu de garanties aux minoritaires. Jusqu'à 26 % des parts, les minoritaires n'ont, aux termes du droit des sociétés de l'Inde, aucun contrôle sur la marche de la société. Ils ne disposent d'une minorité de blocage que lorsqu'ils possèdent de 26 à 50 % du capital.
Par ailleurs, la protection contre la contrefaçon doit être améliorée. En effet, bien que l'Inde ait ratifié la convention de Paris de 1985 sur la protection internationale de la propriété industrielle et intellectuelle, la protection des marques et des brevets laisse à désirer. En particulier, le régime applicable aux produits pharmaceutiques, agrochimiques et alimentaires n'offre qu'une protection de sept ans et ne s'applique qu'au procédé, ce qui permet à des concurrents de réaliser des produits comparables sans être inquiètes Posent également problème la protection de la biotechnologie et celle des droits d auteur.
C. La déréglementation industrielle
Durant près de quarante ans, l'État avait multiplié les contraintes administratives. La nouvelle politique économique tendit, tout au contraire à alléger cette réglementation, à libérer la production nationale et à accroître sa compétitivité.
Les pouvoirs publics ont cherché à restreindre le champ des « secteurs réservés » à la puissance publique. La mauvaise rentabilité des entreprises d'État et leurs effectifs pléthoriques obligeaient l'État à verser d'importantes subventions pour assurer leur survie. En ouvrant à l'entreprise privée des secteurs qui lui étaient jusqu'alors interdits, ils obligent le secteur public à un effort de gestion et de compétitivité qui devrait, à terme, alléger la charge qu'il faisait peser sur le budget.
Conduite de façon progressive, la réforme du « secteur réservé » a peu a peu livré à la compétition presque tous les secteurs de l'économie : production et distribution d'énergie, transport aérien, activités aval de l'industrie pétrolière sont désormais soumis à une concurrence de plus en plus forte. Seuls six secteurs relèvent encore de la compétence exclusive de l'État : la défense, l'énergie atomique, la production de minéraux pour l'énergie atomique, le charbon, le raffinage et les chemins de fer.
Afin de réduire la sphère du secteur public, l'État s'est graduellement défait d'une partie des participations qu'il détenait dans un grand nombre de sociétés (cf. tableau). À la veille des élections générales, le Gouvernement de M. Rao n'envisageait cependant pas de privatisations systématiques. Beaucoup demeure donc à faire dans la voie d'une désétatisation, dont le succès reste à démontrer.
PART DÉTENUE PAR LE GOUVERNEMENT DANS LES ENTREPRISES DU SECTEUR PUBLIC CENTRAL, APRÈS DÉSINVESTISSEMENTS, EN MAI 1994 (en %)
C'est la suppression des autorisations préalables qui étaient nécessaires pour les extensions de capacité ou les diversifications qui a constitué l'élément déterminant de la libéralisation de l'économie, dont la modernisation exigera le démantèlement de nombreuses unités de production frappées d'obsolescence.
Cependant, l'essentiel de la législation (Industrial disputes Act, Companies Act. Urban Land Ceiling Act) rend très difficile le redéploiement des ressources et la fermeture des unités non viables. Selon l'ONUDI 2 ( * ) , il serait nécessaire de faciliter les restructurations, les fusions et les rapprochements d'entreprises, et d'accélérer les procédures de règlement et de liquidation des unités non rentables. Afin d'y parvenir, le National Renewal Fund destiné à atténuer les conséquences des restructurations sur l'emploi a été doté de 2 milliards de roupies, mais il n'a quasiment pas été mobilisé.
D. De timides aménagements du système fiscal indien
Avec un prélèvement fiscal total d'environ 19 % du PIB l'Inde dispose d'une importante marge de manoeuvre fiscale. Cela peut se révéler précieux, si l'on doit réformer le système fiscal indien, aujourd'hui caractérisé par un certain archaïsme.
La Constitution indienne répartit le pouvoir de lever l'impôt entre l'État fédéral et les États fédérés. À l'État fédéral reviennent l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, ainsi que les droits de douane et les contributions indirectes (excise duties). Les 25 États disposent du produit de taxes sur les ventes dont ils fixent le taux, d'une fraction de l'impôt sur le revenu et d'une part des droits indirects. Le montant respectif de ces deux derniers impôts reversé à chacun des États est déterminé chaque année par la commission des Finances de la Chambre basse. Actuellement, les États fédérés perçoivent 85 % de l'impôt sur le revenu et 45 % des droits indirects.
La structure de la fiscalité de l'Inde reste marquée par sa tradition autarcique : les droits de douane représentent encore 36 % des recettes de l'État fédéral : le solde provient pour 40 % des droits indirects, 12 % de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et 12 % de l'impôt sur les sociétés.
En 1991, le Gouvernement a confié à un comité d'experts la mission de proposer une réforme tendant à rationaliser la structure des impôts à en améliorer le rendement, à en élargir l'assiette, et à simplifier la législation fiscale. Les réformes engagées sur la base des recommandations des experts tendent à :
- réduire la part des droits de douane et des contributions indirectes,
- abaisser le taux de l'impôt sur les sociétés,
- alléger les impôts sur les assurances et le téléphone,
- créer une taxe à la valeur ajoutée afin d'éviter les impositions en cascades sur la consommation.
Quelques mesures sont d'ores et déjà entrées en vigueur : le taux de l'impôt sur les sociétés a été abaissé à 40 % pour les sociétés indiennes et 55 % pour les sociétés étrangères. Un système d'aide fiscale a également été mis au point afin de favoriser d'une part les exportations et d'autre part la création d'entreprises industrielles modernes.
Plusieurs mesures favorables aux investisseurs ont également été prises.
L'impôt sur le revenu a été simplifié et allégé, notamment dans ses tranches les plus hautes, le taux marginal passant de 56 à 40 % .
La faiblesse du montant de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (1,2 % du PIB) et celle de l'impôt sur les sociétés (1,5 % du PIB) donne des marges considérables aux pouvoirs publics pour accroître la pression fiscale.
Les Indiens non résidents jouissent d'un traitement fiscal favorable puisque le taux d'imposition applicable aux revenus du capital qu'ils perçoivent est de 20 % tandis que le taux du prélèvement libératoire à la source sur intérêts et dividendes est également fixé à 20 %.
Enfin, les plus-values dégagées à plus de trois ans sont soumises à un taux favorable de 20 % pour les particuliers et les sociétés étrangères, contre 30 % pour les sociétés indiennes.
E. Vers un début de modernisation du système bancaire et financier
Les banques indiennes ont été, dans le passé, soumises à une forte réglementation qui les contraignait notamment à acheter des titres publics pour contribuer au financement des déficits budgétaires et à consentir des prêts à diverses catégories protégées, notamment à des agriculteurs, en dehors de toutes considérations de rentabilité. La réforme du financement de l'économie est apparue en conséquence comme un point de passage obligé.
Pour favoriser l'affectation optimale des ressources, le contrôle du crédit a été aboli et la structure des taux d'intérêt, simplifiée. Dans un premier temps, les prêts d'un montant supérieur à 200.000 roupies ont été totalement libérés, leurs taux étant déterminés en fonction des taux du marché.
Afin de rétablir une situation souvent précaire, les banques devront provisionner leurs créances douteuses, et assainir la structure de leur bilan. Le respect de ratios prudentiels leur permettra de disposer de capitaux propres suffisants. Bien que les pouvoirs publics n'envisagent pas d'abandonner leur contrôle, sur les banques et les institutions financières du secteur public, la possibilité d'émettre des actions sur les marchés de capitaux leur a été ouverte.
Quant aux banques privées étrangères, elles ont été autorisées à exercer leur activité en Inde, afin d'accroître la concurrence entre les intermédiaires financiers.
En 1993-1994, 6.800 sociétés étaient cotées dans les 20 bourses indiennes, le montant des émissions atteignant 8 milliards de dollars, et la capitalisation boursière avoisinant 106 milliards de dollars.
La modernisation des marchés de capitaux, qui ont connu une forte croissance dans les années 1980, a également constitué l'une des préoccupations des autorités financières. Désormais, les entreprises peuvent émettre des titres librement, conformément aux règlements édictés par le Securities and Exchange board of India (SEBI).
L'ouverture des marchés de capitaux aux investissements de portefeuille et la possibilité donnée aux entreprises indiennes d'emprunter à l'étranger ont également constitué d'importantes avancées dans la voie de la libéralisation financière. Désormais, les sociétés indiennes émettent des titres sur les euromarchés, tandis que les investisseurs institutionnels étrangers placent des liquidités en Inde (1,6 milliard de dollars en 1993-1994). La convertibilité de la roupie n'est pas étrangère à l'augmentation, au cours des dernières années, de ces mouvements de capitaux. Ils sont à mettre en regard du montant beaucoup plus modeste des investissements étrangers affectés à des projets industriels (cf. chapitre V).
II. DES RÉSULTATS PROBANTS : LE RÉVEIL DE L'ÉCONOMIE INDIENNE
La libéralisation de l'économie indienne a assez rapidement produit des effets positifs, tant sur la croissance, que sur la balance commerciale.
A. L'accélération de la croissance
Les mesures prises par les pouvoirs publics ont permis de relancer la croissance du produit intérieur brut qui s'était essoufflée à la fin des années 1980. Comme le montre le tableau ci-dessous, la croissance du PIB a atteint 5,5 % en 1994-1995, soit quatre points de plus qu'au début des réformes. Pour l'exercice en cours, un taux de croissance de 6,2 % est attendu.
Le réveil de l'économie indienne s'exprime également par le développement de la production industrielle qui croît, quant à elle, à un rythme annuel d'environ 8 %, alors qu'elle stagnait en 1990-1991. La croissance du PIB s'est accompagnée d'une décélération du rythme de l'inflation. La progression à deux chiffres du début des années 1990, a connu une forte diminution, touchant 8,4 % en 1993-1994.
ÉVOLUTION DU TAUX DE CROISSANCE DU PIB ET DU TAUX D'INFLATION DE L'INDE
(En pourcentage)
B. L assainissement budgétaire
La dégradation des finances de l'État est ancienne. Ainsi, le déficit budgétaire de l'exercice 1986-1987 avoisinait 8,4 % du PIB et le besoin de financement du secteur public non financier se montait à 12 % du PIB. Les efforts du Gouvernement Rao ont permis d'améliorer la situation et d'inverser la tendance à l'accroissement des déficits : en 1994-1995, le déficit budgétaire était ramené à 6,7 % du PIB et le besoin de financement du secteur public non financier à 10,4 % du PIB.
Des progrès ont donc bien été accomplis, cela a été au prix d'une réduction des dépenses d'investissement préjudiciables à la poursuite de la croissance. Mais l'État ayant dû procéder à des diminutions substantielles des droits de douanes, cela a été au prix d'une réduction des dépenses d'investissements, préjudiciables à la poursuite de la croissance.
La charge de la dette absorbe les 3/4 des recettes fiscales, ce qui rend très difficile la résorption du déficit budgétaire et pèse sur les taux d'intérêt.
Selon une étude de la banque mondiale, compte tenu des taux d'intérêts réels indiens, afin de stabiliser le ratio dette intérieure/PIB, il serait nécessaire soit de ramener le déficit annuel hors intérêt (déficit primaire) au-dessous de 1 % du PIB, soit d'accélérer la croissance au-delà de 7,5 % par an. Or, le déficit primaire est actuellement de 1,9 % du PIB et la croissance du produit intérieur brut d'environ 6 %. La dette publique croît donc actuellement de façon endogène, le paiement du service de la dette entraînant de nouvelles émissions d'emprunts. Il est donc nécessaire que les pouvoirs publics réduisent les déficits.
C. Le redressement des échanges extérieurs
La quasi cessation de paiement que l'Inde a connue en 1991, a donné le signal des transformations économiques. De façon symétrique, l'amélioration de la position de la devise indienne traduit le rétablissement de la confiance des investisseurs et accompagne le développement de ses exportations. L'accroissement des réserves de change, est spectaculaire : elles ont quadruplé, passant de 5,6 milliards de dollars en 1989 à 21,2 milliards en 1995-1996.
ÉVOLUTION DES RÉSERVES DE CHANGE DE L'INDE
La balance commerciale n'en reste pas moins déficitaire, bien que le solde extérieur ait enregistré une nette amélioration entre 1989 et 1994, le déficit commercial passant de 4.6 milliards de dollars à un milliard de dollars.
ÉVOLUTION DU SOLDE DU COMMERCE EXTÉRIEUR DE L'INDE
D. Vers la convertibilité de la roupie
Au total, les réformes engagées par MM. Rao et Singh ont donc commencé à porter leurs fruits. Le signe manifeste de la réussite de la politique mise en oeuvre en 1991 est la stabilisation du cours de la roupie. Dans les années 1980, le cours de la monnaie indienne avait été fixé de façon administrative. La surévaluation de la roupie qui en résultait avait pour contrepartie un système complexe et coûteux de subventions à l'exportation.
En 1991, ces aides ont été supprimées et la roupie a été dévaluée de 20 %, mais le contrôle des changes a été maintenu depuis lors. Cependant le double cours de la roupie, a été supprimé et les autorités monétaires ont autorisé la libre convertibilité des seuls avoirs déposés en compte courant en août 1994.
Les entrées de capitaux enregistrées en 1993-1994 ont contribué à la stabilité de la roupie qui a, depuis lors, peu varié par rapport au dollar.
ÉVOLUTION DU COURS DE LA ROUPIE CONTRE LE DOLLAR
L'adhésion de l'Inde à l'article VIII des statuts du FMI et la perspective d'une convertibilité totale de la roupie en 1998 ont également contribué à favoriser les investissements étrangers. On notera cependant que la roupie a été attaquée dans les mois qui ont précédé les élections générales, par suite d'une crise de liquidité qui prévaut, depuis novembre 1995, du fait de la combinaison d'une politique monétaire restrictive et d'un déficit budgétaire important. Les « fondamentaux » de l'économie indienne (croissance forte, inflation faible, déficit extérieur maîtrisé) donnent cependant à penser que cette crise de la devise indienne sera transitoire.
CHAPITRE III LES ATOUTS DE L'ÉCONOMIE INDIENNE
Pour réussir le pari du décollage économique et de l'ouverture, l'Inde est dotée d'indéniables atouts et qui, pour certains, sont spécifiques.
Si, comme son grand rival asiatique, elle peut tirer parti d'une tradition industrielle préexistante, du rôle joué par ses ressortissants vivant à l'étranger ou de l'émulation entre les États qui la composent pour attirer les investisseurs, ses « plus » tiennent à l'existence d'une démocratie garante de l'État de droit, d'une élite des affaires expérimentée, et de cadres d'excellent niveau qui constituent le socle d'une classe moyenne en émergence.
L'ensemble de ce potentiel offre de réelles perspectives de développement.
I. DEMOCRATIE ET ÉTAT DE DROIT
L'Inde est un État fédéral régi par une Constitution démocratique et pluraliste, depuis 1'indépendance.
A. Une démocratie parlementaire
• Au niveau fédéral, l'organisation
institutionnelle est celle d'un régime parlementaire classique.
- Le président de l'Union indienne est élu pour cinq ans par un grand collège comprenant les membres des deux assemblées du Parlement fédéral et de représentants des États fédérés, disposant d'un nombre de voix proportionnel à la population de ces derniers. Il est le gardien de la Constitution, promulgue les lois et peut placer l'État sous son administration (President'rule). Il procède à la désignation du Premier ministre et des autres ministères sur proposition de celui-ci. Son rôle est, dans les fait, comparable à celui du monarque dans le système britannique ou du Président de la République en France, sous la 4e République.
- Comme en Grande-Bretagne, le véritable chef de l'exécutif est le Premier ministre, qui dirige la majorité parlementaire. Il est, avec son Gouvernement, responsable devant la Chambre basse (Lok Sabha), dont il peut proposer la dissolution au chef de l'État. Aux termes de la réforme constitutionnelle de 1976-1977, l'action du Président de la République est clairement subordonnée à la volonté du Conseil des ministres et au Premier ministre.
- Le Parlement indien est bicaméral.
• La Chambre du Peuple
(Lok Sabha)
est composée de 544 membres élus au suffrage universel pour un
mandat de cinq ans (au scrutin uninominal à un seul tour). Elle est
présidée par un speaker, à l'instar de la Chambre des
Communes en Grande-Bretagne.
•
La Chambre des États
(Rajya
Sabha) est composée de 250 membres élus pour six ans, par les
Assemblées législatives des États de l'Union, au prorata
de leur population respective ; elle est renouvelée par tiers tous
les deux ans. Le Président de la Chambre haute est vice-président
de la République.
En matière législative, lorsque les deux assemblées ne parviennent pas à l'adoption d'un texte commun, une commission commune est réunie, où la Chambre du Peuple bénéficie d'un large avantage numérique.
La Chambre des États n'a que peu de pouvoirs dans la procédure budgétaire et ne peut renverser le Gouvernement.
En revanche, elle a des droits égaux à ceux de la Chambre du peuple, pour les révisions constitutionnelles, qui doivent être approuvées par chaque Chambre statuant à la majorité absolue de ses membres et à la majorité des deux tiers des votants.
• L'organisation des
États membres
-au nombre de 25-, auxquels s'ajoutent sept territoires de l'Union,
sous administration directe du Gouvernement central, est calquée sur
celle de l'Union.
Chaque État est doté d'organes législatifs et exécutifs.
Selon le choix des États, le Parlement peut être monocaméral ou bicaméral, la Chambre haute étant facultative. Les membres de l'Assemblée législative sont élus au suffrage universel pour cinq ans.
- Le gouverneur est le chef nominal de l'Exécutif de l'État, désigné pour cinq ans par le Président de la République. En pratique, il dépend étroitement du Gouvernement central et reflète ses orientations politiques.
- Le Gouvernement de chaque État est assuré par le Conseil des ministres avec, à sa tète, un Premier ministre ou Chief minister, désigné par le gouverneur au sein de la majorité parlementaire de l'État. Sa mission est officiellement de conseiller le gouverneur dans l'exercice de ses fonctions. En pratique, il exerce le pouvoir exécutif dans les domaines de compétences relevant des États : police, santé, éducation, politique agraire, équipements...
En période de troubles graves, le Président de la République peut, à la demande du Premier ministre, dissoudre l'Assemblée d'un État et démettre son Gouvernement. Le « President's rule » s'applique alors et le Gouvernement central assure la gestion directe de l'État pour une durée de six mois renouvelables. Cette procédure exceptionnelle a dû, en particulier, être mise en oeuvre dans l'État du Cachemire, où la guérilla empêchait le fonctionnement normal des pouvoirs publics locaux.
B. Un système pluraliste
Ce système institutionnel, qui fonctionne depuis sa mise en place en 1950, a permis à l'Inde d'affirmer son attachement aux valeurs démocratiques et de surmonter jusqu'ici les violences et les soubresauts politiques qui ont jalonné son histoire depuis cette date.
Le débat démocratique et le multipartisme sont des réalités bien ancrées. La vie parlementaire est fort animée et les membres du Gouvernement peuvent être énergiquement mis en cause.
Si le Parti du Congrès a dominé la vie politique pendant les cinquante dernières années, cela n'a pas empêché le pays de connaître l'alternance. À l'issue des élections générales de 1977, une coalition hétéroclite de l'opposition, menée par le Janata Party, a fait l'expérience du Gouvernement jusqu'à la fin de 1979.
Bien que la moitié des Indiens soient illettrés, l'intérêt pour la politique est élevé et se traduit par une forte participation aux consultations électorales.
À cet égard, le rôle de la presse doit être souligné.
Grâce à son pluralisme et à son indépendance, la presse assure le droit à l'information dans des conditions tout à fait comparables à celles que connaissent les démocraties occidentales.
De nombreux journaux d'expression anglaise permettent au monde des affaires de disposer d'une information de qualité sur la vie politique, économique et sociale.
Le pouvoir politique et l'action des gouvernants sont ainsi placés sous le regard de l'opinion. Les campagnes électorales, qu'elles soient locales ou nationales, sont relayées par la presse, qui, au-delà des débats d'idées, n'hésite pas à dénoncer les scandales et à critiquer les pouvoirs publics.
Ainsi, par exemple, pendant le voyage de la mission, la presse rendait compte, au jour le jour, sur fond de campagne pour les élections générales attendues pour la fin avril, des développements du scandale du « Hawala », qui devait entraîner la démission de plusieurs ministres et la mise en cause de plusieurs personnalités de l'opposition.
La dénonciation régulière par la presse des affaires de corruption, en mettant l'accent sur les dysfonctionnements du système, a aussi le mérite de contribuer à les corriger.
C. Un État de droit
L'Inde est un État de droit. Le système juridictionnel est emprunté au modèle anglo-saxon et garantit une véritable indépendance de la justice.
Depuis la Cour suprême chargée de veiller à la constitutionnalité des lois -et qui exerce effectivement ce rôle sans faiblir- jusqu'aux Cours des États fédérés, l'Inde est couverte par un réseau serré de tribunaux qui se prononcent librement.
Les lois sont rédigés en anglais et la réglementation est mise en oeuvre par des juristes de haut niveau, souvent formés dans les universités américaines ou anglaises.
Le système de droit indien garantit aux justiciables le respect de leurs droits et de leurs obligations. Sans doute, la jurisprudence indienne -caractéristique des pays de Common Law- est-elle particulièrement riche et touffue. Mais la justice est rendue par des magistrats indépendants et compétents, de manière globalement satisfaisante.
Rançon de ce système de droit très sophistiqué, la vie des affaires est fortement « judiciarisée », tout étant prétexte à contentieux. Il s'en suit un engorgement des tribunaux et une grande lenteur à statuer (cf. infra chapitre IV).
Quoi qu'il en soit, le cadre juridique dans lequel peuvent se développer les activités économiques en Inde garantit une sécurité qui n'a pas son équivalent dans la plupart des grands marchés émergents et, en particulier, en Chine.
II. LA QUALITÉ DES ÉLITES ET DE L'ENCADREMENT
Prédisposée par son histoire et sa culture à la diversité et au pluralisme qui en permet l'expression démocratique, l'Inde n'en est pas moins attachée à son organisation sociale hiérarchisée et inégalitaire, fondée sur l'appartenance à des castes.
Le système éducatif porte la marque de cet inégalitarisme .
L'enseignement primaire a été négligé -d'où un taux d'alphabétisation de 52 %, parmi les plus bas du monde- au profit de l'enseignement supérieur, qui a été systématiquement privilégié.
Grâce à la qualité de l'enseignement supérieur, l'Inde dispose d'élites très bien formées dans l'administration, comme dans les affaires.
Les élites administratives appartiennent, pour la plupart, aux castes des lettrés (Brahmanes et « Guerriers »).
Mais un des premiers atouts pour l'économie est l'existence d'une élite « manégériale », formée dans les meilleures universités et parfaitement anglophone. Pour bon nombre, ses membres proviennent des classes de marchands dotés de l'esprit d'entreprise et portés à investir dans l'industrie.
Les Parsis occupent à cet égard une place de premier plan. D'origine perse et de religion mazdéiste, la Communauté Parsi n'est pas soumise au système des castes. Elle a noué très tôt des liens avec les Britanniques et est aujourd'hui la plus occidentalisée de l'Inde. Bien qu'elle ne compte guère plus de 200.000 membres, qui sont implantés pour la moitié d'entre eux dans la région de Bombay, son poids dans la vie économique est sans commune mesure avec son importance numérique. Elle a fourni à l'Inde ses plus grands hommes d'affaire, à commencer par Jawshad Tata, qui au début de ce siècle a créé le plus grand conglomérat industriel du pays. Les chefs d'entreprises, rencontrés par la mission d'information, dans le Maharashtra et dans le Karnataka notamment, ont permis de vérifier la compétence et le rayonnement des Parsis dans le monde des affaires.
Dans les secteurs de haute technologie, tels que l'électronique, les télécommunications et l'informatique, en particulier, l'Inde bénéficie d'une réserve d'ingénieurs parmi les meilleurs du monde. Cette ressource en matière grise permet à certaines de ses villes de se transformer en hauts lieux de la technologie de pointe, en compétition directe avec l'Europe et les États-Unis.
Juste derrière Bombay pour les investissements dans le domaine de l'informatique, le cas de Bangalore dans le Karnataka est exemplaire. Autrefois, agréable station climatique, cette ville est en passe de devenir la capitale de la « Silicon Valley » indienne. On y produit une gamme étendue d'ordinateurs et de logiciels, avec des applications militaires, médicales et autres. La plupart des grands noms de l'informatique y sont présents : IBM, Digital. Bull, Siemens, de même que l'Indien Infosys.
Grâce à ce dynamisme, l'Inde est au deuxième rang mondial, après l'Irlande, pour le développement de l'industrie du Software, devant Israël, le Mexique et les Philippines.
Interrogé par les Sénateurs, sur les raisons pour lesquels les investisseurs choisissaient Bangalore, le Président-Directeur général d'Infosys a placé au premier rang la disponibilité d'équipes compétentes et formées, et la qualité du management.
Dans le domaine de l'espace, les chercheurs indiens sont également à la pointe du progrès. La mission d'information a visité le Centre inter-universitaire d'Astronomie et d'Astrophysique (« Inter-University Center for Astronomy and Astrophysics ») à Pune, ville proche de Bombay. Ce centre est représentatif du niveau élevé de la recherche de l'Inde en la matière. Dirigé, depuis 1983, par le Dr Jayant Vishm Narhikar, astrophysicien de réputation mondiale, il dispose d'un laboratoire de recherche unique au monde qui, grâce à un radiotélescope géant, espère apporter des précisions concernant le déroulement du « Big Bang ».
Les enseignements qui y sont dispensés sont réservés à des chercheurs sélectionnés selon des critères très rigoureux et permettent de former une élite scientifique de très haut niveau.
Dans le domaine de la recherche spatiale et des télécommunications, les Indiens fabriquent désormais leurs propres satellites. Le niveau de leurs ingénieurs leur permet de mener à bien leurs propres programmes de recherche. Ainsi, de leur système de détection des cyclones, des caméras panchromatiques, qui permettent de dresser l'inventaire des ressources naturelles, ou encore des relais de télécommunications. Pour le lancement des satellites, le programme indien se développe en coopération avec Ariane, mais son satellite Insat 2 C ne comporte aucun apport de technologie étrangère.
D'une façon générale, le haut niveau de formation des cadres et des ingénieurs, de même que l'existence d'une main-d'oeuvre qualifiée sont, pour l'Inde, des atouts très appréciables. Les investisseurs étrangers y sont d'autant plus sensibles que les niveaux de rémunérations sont sans commune mesure avec les normes occidentales.
Si les salaires ont tendance à s'envoler à Bombay, au profit des dirigeants des sociétés financières notamment, ceux des salariés hautement qualifiés des secteurs de l'informatique à Bengalore ou de la chimie, de l'électronique et de l'industrie, à Hyderhabad, restent très compétitifs par rapport aux standards internationaux.
La compagnie britannique Glaxo, par exemple, peut encore rémunérer un chercheur 200.000 roupies par an en 1994 (soit 42.000 francs environ).
III. LA CLASSE MOYENNE : QUEL PÉRIMÈTRE ?
La classe moyenne constitue l'élément le plus dynamique de la société indienne et est appelée à jouer un rôle important dans le succès de la réforme économique.
Se pose toutefois la question de l'importance numérique exacte de la « classe moyenne ».
Les évaluations ont varié considérablement selon les interlocuteurs de la délégation sénatoriale, allant de 250 millions d'habitants à 20 millions d'habitants, sans que des critères précis de calcul aient pu être fournis.
À la vérité, il est difficile de définir la « classe moyenne » par un critère strict de revenus, en raison des nombreux avantages non salariaux en vigueur en Inde et de l'existence de la « joint family », société civile familiale qui permet à ses membres de réaliser de substantielles économies d'échelles, notamment en matière de loyers...
De plus, les données chiffrées varient très fortement selon les rares études disponibles. D'après une étude du Conseil national pour la recherche économique appliquée (National Council for applied economic research), citée par The Economist 3 ( * ) , 23 % des ménages indiens auraient disposé, en 1994, d'un revenu annuel supérieur à 78.000 roupies (soit 2.500 dollars).
Se référant à une étude récente, J.L. Martin 4 ( * ) fait état, pour sa part, de 18 millions de ménages -soit environ 100 millions de personnes 5 ( * ) - dont les revenus annuels seraient supérieurs à 2.500 dollars, ce qui en parité de pouvoir d'achat, représenterait 6.700 dollars.
Plus près des sources, le rapport « Estimates of the number of very rich in India », présenté en septembre 1995 par le National Concil of Applied Economic Research, est moins optimiste. Il estime que seulement 15 % des ménages de l'échantillon étudié disposaient, en 1993-1994, d'un revenu annuel supérieur à 50.000 roupies, soit environ 1.600 dollars, en faisant des acheteurs potentiels. 2,6 % seulement des ménages avaient un revenu excédant 86.000 roupies. Les ménages aisés se trouvaient, en majorité, dans les zones urbaines, à l'exception notable des plus hauts revenus (plus d'un million de roupies par an) relevés plutôt en zone rurale.
*Le taux d'équipement en biens de consommation donne une idée plus concrète du pouvoir d'achat de la classe moyenne.
En 1991, on dénombrait 750.000 frigidaires en Inde, contre 4 millions en Chine, 1,1 million de télévisions couleurs (19,6 millions en Chine), 5 millions de radio-transistors (17 millions en Chine), mais environ 5 millions d'automobiles individuelles.
Depuis lors cependant, la consommation a beaucoup progressé en Inde : pour la seule année 1994, auraient été achetés 6 millions de téléviseurs, 2 millions de réfrigérateurs, 320.000 machines à laver et 1,8 million de climatiseurs.
Les besoins varient selon les marchés.
À titre d'exemple, les représentants de « Kellogg's » et de « L'Oréal » ont indiqué avoir retenu, pour leurs propres produits, une évaluation de l'ordre de 30 millions de personnes (en incluant les familles) comme marché potentiel.
D'après « The Economic Times Bombay » du 5 mai 1995, les revenus ont connu, depuis 1992, une progression de 18 à 22 % par an. À ce rythme, 7,8 millions de foyers pourraient avoir un revenu annuel dépassant les 78.000 roupies (soit 2.S00 dollars) en 1997-1998, ce qui accroîtra la demande d'autant.
L'Inde produit désormais, elle-même, des objets réservés jusque-là à une clientèle restreinte qui devait auparavant les importer : mixeurs, télécopieurs... La bourgeoisie fortunée des villes affiche ses signes extérieurs de richesse et ses goûts cosmopolites, à Bombay en particulier. Les magasins de luxe, les restaurants à la mode sont en plein essor. La haute couture a fait son apparition voici deux ans. La demande de médias électroniques explose et la publicité est en pleine expansion.
Sans que la classe moyenne ait, sans doute aujourd'hui, l'importance numérique que certain lui attribuent, il est indéniable qu'elle existe et qu'elle a vocation à augmenter, tout comme son pouvoir d'achat. Dans les grandes villes, telles Bombay, elle détermine des habitudes de consommation qui font sortir peu à peu la sociétés indienne de ses modes de vie traditionnels.
Composée de la partie la mieux formée et la plus dynamique de la population citadine, mais également des agriculteurs et de la population rurale aisée. « la classe moyenne » devrait tirer la croissance vers le haut grâce à une augmentation continue de son pouvoir d'achat.
Elle devrait aussi, en s'étendant progressivement aux catégories plus pauvres, aider à se concrétiser les potentialités du grand marché indien, susceptibles d'attirer les investisseurs étrangers.
Ce phénomène ne peut qu'être amplifié par la diffusion d'une vingtaine de chaînes de télévision étrangères, rendue possible par le passage de 330.000 foyers desservis en 1991, à 12 millions de foyers, fin 1994.
IV. UNE TRADITION INDUSTRIELLE PRÉEXISTANTE
À l'époque de la présence britannique, plusieurs foyers industriels avaient connu un grand développement en Inde.
Au 18 e siècle, de nombreuses provinces de l'Inde jouissaient d'une grande prospérité grâce au développement d'activités industrielles. Les châles du Cachemire, les tissus du Coromandel, le salpêtre et le fer du Bihar étaient largement exportés.
Au 19 ème siècle, la région de Calcutta, alors capitale de l'Inde, a bénéficié de l'essor de l'industrie lourde qui s'est développée le long du bassin du Gange. Parallèlement, le Bengale voyait se multiplier les filatures de jute, ce qui permit, à la fin du siècle, à l'Inde de devenir le premier fournisseur mondial de ce textile.
Au Sud, le Tamil Nadu a aussi vu sa vocation industrielle s'affirmer très tôt, grâce à l'importance historique de la ville de Madras, centre mercantile important dès le 17 ème siècle et tourné vers l'exportation. Les infrastructures dont il s'est doté, ont permis à l'État de conserver, aujourd'hui encore, son tissu industriel.
À Bombay et à Ahmedabad, dès le milieu du 19 e siècle, l'industrie cotonnière était prospère. Les tisserands de village pris par Karl Marx, comme archétypes des exploités, étaient devenus quelque vingt ans plus tard 6 ( * ) les principaux acheteurs de la production cotonnière de la région. Contrairement à celle du jute, contrôlée par les Britanniques, l'industrie du coton a permis l'essor d'un capitalisme indigène 7 ( * ) .
Au cours de la seconde moitié du 19 e siècle, les Anglais dans la région de Madras, puis les Indiens, au Bengale installèrent des usines sidérurgiques et tentèrent de développer la métallurgie en exploitant les gisements locaux de minerais et de charbon.
Mais, c'est à un homme d'affaires parsis, J.N. Tata, que l'on doit d'avoir créé, au tournant du 20ème siècle, la première aciérie moderne en Inde. À partir d'une première concession minière au Bihar, il choisit le site de Jamshadpur qui allait devenir la capitale de la sidérurgie. À la veille de la première guerre mondiale, son entreprise produisait 150.000 tonnes de fonte, 78.000 tonnes d'acier, pour dépasser, trois ans plus tard, 180.000 tonnes.
Le développement du chemin de fer, à l'initiative des Anglais, devait aussi contribuer puissamment à l'essor industriel de l'Inde.
Après l'Indépendance, les plans successifs ont consacré cette tradition industrielle, en mettant l'accent sur le développement de l'industrie lourde, principalement confiée au secteur public.
Dans la région de Bombay, les industries légères très diversifiées ont été laissées essentiellement à l'initiative privée et ont pu poursuivre leur essor.
Depuis lors, les régions d'implantation de l'industrie lourde, du fait notamment de conflits sociaux à répétition, des sureffectifs, de l'obsolescence progressive des équipements industriels et du contrecoup de la crise mondiale de la sidérurgie, ont connu un lent déclin.
Il reste que l'héritage industriel de l'Inde lui donne, aujourd'hui, le double avantage de disposer de ressources naturelles abondantes et d'une main-d'oeuvre expérimentée.
V. LES INDIENS DE L'ÉTRANGER
La diaspora indienne compte environ quatorze millions d'Indiens. Beaucoup d'entre eux sont chefs d'entreprises, commerçants, membres des professions libérales, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Asie du Sud-Est, en Afrique orientale et en Afrique du Sud. Ils effectuent des transferts importants vers leur pays d'origine. Bien que le volume de leurs investissements soit très loin d'atteindre des chiffres comparables à ceux des « Chinois de l'étranger » -qui ont joué un rôle déterminant dans le succès de la politique d'ouverture en Chine depuis 1978-, ils n'en occupent, pas moins eux aussi, la première place parmi les investisseurs étrangers en Inde juste devant les Américains.
Les Indiens non résidents ont totalisé 1 milliard de dollars d'investissements directs en Inde au cours des quatre dernières années. Les capitaux qu'ils ont investis, au cours des cinq premiers mois de l'exercice 95-96 se sont élevés à 232 millions de dollars, soit trois fois plus que pendant l'année 1992-1993. D'après les statistiques de la Reserve Bank of India, les investissements des non-résidents ont connu un net essor au cours des deux dernières années.
La part qu'ils ont prise dans la réussite de la politique de libéralisation et d'ouverture n'est pas fortuite. Indépendamment de raisons d'ordre culturel et affectif, leur choix est aussi guidé par des considérations économiques. Outre les facilités que peut leur donner la connaissance de la pratique des affaires en Inde, le Gouvernement a clairement encouragé leurs investissements, les faisant bénéficier de mesures préférentielles. Certains secteurs leur ont été ouverts en premier parmi les investisseurs étrangers.
Ils ont été notamment autorisés par la Reserve Bank of India à prendre des parts dans des compagnies indiennes en cours de constitution. Jusqu'en 1995, cela leur était possible seulement dans les secteurs industriels. Dans l'avenir, ils y seront autorisés dans tous les secteurs, excepté l'agriculture. Ils pourront acquérir des actions des sociétés indiennes, en passant par les Bourses indienne, selon une procédure simplifiée.
Les Indiens non résidents bénéficient, en outre, d'une préférence sur les autres investisseurs étrangers, dans le domaine de la propriété immobilière. La faculté de prendre des participations dans des secteurs fermés aux investisseurs étrangers leur est offerte.
Ils ont été vivement encouragés par les pouvoirs publics à orienter leurs investissements dans les services et les infrastructures.
Entre août 1991 et juin 1995, la masse des investissements des Indiens de l'étranger s'est orientée dans des secteurs jugés prioritaires : 15,5 % dans les produits chimiques, 12,5 % dans le secteur des équipements électriques combinés, dans le secteur bancaire (11 % du total), les services financiers (8,7 %). En revanche, l'énergie électrique et les raffineries de pétrole occupent une place peu significative dans les autorisations accordées. Un fléchissement du nombre des autorisations sollicitées, depuis 1995, paraît s'expliquer par la dérégulation.
Quoi qu'il en soit, les pouvoirs publics encouragent les Indiens non résidents, dont beaucoup sont des hommes d'affaires multimilliardaires, à augmenter le volume de leurs investissements, qui ont apporté jusqu'ici une contribution prééminente au succès de l'ouverture.
VI. L'ÉMULATION ENTRE ÉTATS
Utilisant les marges de manoeuvre que leur donne le système fédéral, les États de l'Union indienne rivalisent pour attirer chez eux les investisseurs étrangers.
L'autonomie dont jouissent les États aux termes de la Constitution, pour conduire leur politique économique et fiscale leur en donnent les moyens.
Mesures d'exemption fiscale, équipements mis à disposition, création de guichet unique pour simplifier et raccourcir les démarches administratives, ne sont que quelques unes des dispositions prises par les États pour se rendre plus attractifs.
La mission d'information a pu apprécier, dans les États qu'elle a visités, l'intensité des efforts effectués par les pouvoirs publics et la variété des moyens mis en oeuvre par chacun d'eux.
•
L'État du Tamil Nadu
situé à la pointe sud est de l'Inde, relativement
éloigné des grands pôles de développement
économique, s'efforce néanmoins de valoriser ses atouts.
Pauvre en matières premières et en ressources énergétiques, il jouit d'un climat propice aux cultures tropicales, et en particulier à celle du coton et de la canne à sucre. Le delta de la Kaveri est le grenier à riz de l'Inde du Sud et les rendements y sont parmi les plus élevés du territoire (2,5 tonnes/ha).
Il bénéficie d'un taux d'alphabétisation de 63,6 %, qui le place très au dessus de la moyenne indienne ; il dispose d'une main d'oeuvre relativement qualifiée et d'un bon réseau d'universités et d'instituts techniques.
Le Tamil Nadu occupe, avec plus de 10 % de la production industrielle totale, le troisième rang en Inde, derrière le Maharashtra et le Gujarat. en termes de valeur ajoutée du secteur manufacturier. Il doit en particulier ce rang à sa capitale historique. Madras, bien que celle-ci souffre, aujourd'hui, d'une relative léthargie.
Ses points forts sont les industries de main d'oeuvre : textile et prêt à porter, industrie du cuir, secteurs mécaniques, avec la construction de véhicules automobiles, de deux roues, de wagons de chemin de fer, de machines outils, de pompes et de moteurs électriques. Les industries chimiques et pétrochimiques y connaissent également un fort développement. Enfin, la production d'électricité par éolienne est une des activités de pointe du Tamil Nadu qui occupe le troisième rang mondial et suscite de nombreux projets dans ce secteur.
Le Gouvernement de l'État fait bénéficier de subventions d'investissement certains segments industriels prioritaires, tels que l'industrie des composants automobiles, l'électronique, l'aquaculture et la floriculture.
Trois organismes ont été créés pour proposer une assistance financière ou technique aux entreprises qui s'implantent dans le Tamil Nadu :
- la TIDCO (Tamil Nadu Industrial Development Corporation)
- la SIPCOT (State Industries Promotion Corporation of Tamil Nadu)
- la TIIC (Tamil Nadu Industrial Investment Corporation)
Grâce à ces structures d'accueil et à la réputation de sa main d'oeuvre qualifiée et bon marché, le Tamil Nadu réussit à attirer les entreprises notamment dans le secteur du tricot et du textile.
•
L'État du Karnataka
qui
jouit d'une grande avance dans les secteurs de l'électronique, de
l'informatique, des industries aérospatiales et aéronautiques,
sait mettre en valeur sa spécialisation dans la haute technologie.
Le Gouvernement de l'État a une attitude très positive face à la libéralisation et semble animé du souci de créer un environnement favorable au développement industriel. Il apporte un soutien au développement par son appui aux universités, aux centres de recherche et à l'implantation de zones industrielles spéciales. On peut citer, à titre d'exemple, la joint venture conclue entre le Karnataka State Industrial Investment Development Corporation (KSIIDC), le Groupe TATA, et un consortium de Singapour pour l'implantation de l'Information Technology Park, qui représente un investissement de 5,4 milliards de roupies.
Dans son programme de politique industrielle pour la période 1993-1998, le Gouvernement de l'État a défini les conditions d'octroi de concessions fiscales et d'aides à certains secteurs industriels, afin d'attirer les investissements étrangers.
Pour l'attribution des aides, trois types de zone géographique ont été distingués :
- les zones développées : Bengalore et son agglomération, ainsi que les villages du Nord ;
- les zones de développement prioritaire (Dharwad, Hassan et Raichur), qui doivent bénéficier d'un soutien renforcé ;
- les zones en développement qui sont dans une situation intermédiaire et recouvrent le reste de l'État.
Le Gouvernement fait, en outre, porter son effort sur les travaux d'infrastructures qu'il est urgent de développer, notamment en matière énergétique.
•
L'État du Maharashtra
est
le premier état industriel de l'Union, avec 25 % de la production
industrielle. Sa capitale, Bombay, est le grand centre économique et la
première place financière de l'Inde.
Ses atouts sont nombreux. Premier pôle indien de communication vers l'extérieur grâce aux deux très grands ports de Bombay et de Jawaharlal Nehru et à son aéroport international qui réalise un trafic de 4,2 millions de passagers par an, le Maharashtra est en outre doté d'un réseau routier comparativement meilleur que celui des autres États de l'Inde.
En termes de ressources naturelles, le Maharashtra fournit 60 % de la production indienne d'hydrocarbure, principalement à partir de gisements offshore. L'État, qui dispose d'une capacité de production de 10,300 MW, est le seul à pouvoir fournir de l'électricité sans restriction aux usagers.
Avec un taux d'alphabétisation de 63 %, l'État peut se prévaloir d'une main d'oeuvre qualifiée et de sa forte tradition industrielle. Cependant, la plupart des industries étant localisées dans la région de Bombay, la pression foncière y est très forte. La hausse des prix des terrains et des locaux commerciaux oblige les industriels à s'éloigner de l'agglomération où ils étaient précédemment implantés, pour transférer leurs centres de production dans d'autres villes du Maharashtra, à Pune notamment, Bombay perd ainsi progressivement sa vocation industrielle pour devenir un centre tertiaire regroupant les organismes financiers et les industries de service.
Le Gouvernement du Maharashtra, issu des dernières élections locales, est formé d'une coalition entre le Shiv Sena, parti ultra nationaliste, et le BJP. parti nationaliste indou. Il a apporté, début 1995, un infléchissement à la politique d'ouverture engagée par le Gouvernement de Delhi depuis 1991. C'est ainsi qu'a été remis en question le grand contrat signé par l'ancienne majorité avec la société américaine Enron, pour la construction d'une centrale électrique à Dabhol.
L'État n'en poursuit pas moins la politique de libéralisation, par une série de mesures favorisant l'investissement industriel dans le Maharashtra :
- procédures simplifiées pour l'achat de terrains à usage industriel,
- création d'un parc industriel ayant le statut de zone franche dénommé SEEOZ (Santacruz elctronic export processing zone) à Bombay ;
- autorisation spéciale d'implantation dans l'agglomération de Bombay pour les entreprises non polluantes et les industries de haute technologie.
Deux organismes ont été créés pour la mise en oeuvre de cette politique :
- le State Industrial & Investment Corporation for Maharashtra Limited (SICOM), organisme semi-privé, qui assiste les candidats à la création d'entreprises, encourage les investissements et joue un rôle actif dans les projets industriels, en aidant à la conclusion de joint ventures avec les entreprises du secteur privé et les sociétés étrangères ;
- le Maharashtra Industrial Development Corporation (MIDC), attribue aux entreprises des terrains industriels et gère le développement des infrastructures de l'État.
Cette politique incitative est significative de l'effort qu'accomplissent même les États les mieux placés dans la compétition économique pour attirer les entreprises sur leur territoire.
• Même
l'État du Bengale
occidental,
dirigé depuis 1977 par un Gouvernement de coalition
dominé par le Parti communiste, comme la municipalité de
Calcutta, sa capitale, ont d'abord été réservés
à l'égard de la politique de libéralisation et de la
réforme économique. Mais, en septembre 1994. les autorités
gouvernementales ont pris le tournant de l'ouverture et redoublent, depuis
lors, d'efforts pour rattraper le temps perdu.
Dotée d'un fort potentiel agricole et d'importantes ressources minières, cette région, qui demeure le principal foyer indien de l'industrie lourde. a une tradition syndicale très développée et a connu, plus que d'autres en Inde, d'importants conflits sociaux.
Souffrant du déclin de ses principaux secteurs industriels, des aciéries aux filatures de jute, elle s'efforce aujourd'hui de donner une nouvelle dynamique à son économie.
Depuis deux ans, le Gouvernement de Calcutta axe sa politique industrielle sur l'appel aux capitaux privés et aux technologies étrangères.
Le Premier ministre du Bengale occidental, M. Jyoti Basu, n'a pas hésité à encourager lui-même les syndicats à une attitude plus responsable. En juillet 1995, il les invitait expressément à « éduquer les travailleurs sur les sujets tels que la qualité et la productivité qui, finalement, décident du sort des entreprises industrielles » et à ne pas remettre en cause les accords industriels par la « désorganisation du travail » .
Le régime des aides, adopté par l'État du Bengale occidental, est particulièrement attractif. Il prévoit notamment :
- l'attribution de subventions d'investissement, de 15 à 30 % du montant du projet, dans la limite d'un plafond 1,5 à 3 millions de roupies selon les régions ;
- la prise en charge des factures d'électricité pendant 5 ans à compter du lancement de la production ;
- des subventions pour l'achat et l'installation de générateurs électriques ;
- le dégrèvement ou le report de la taxe sur les ventes pendant neuf ans pour les nouvelles entreprises et de quatre à huit ans pour les extensions d'entreprises et l'achat des matières premières ;
- l'attribution de subventions de développement pour couvrir un certain nombre de frais (droit de timbre sur l'achat des terrains, équipements et raccordements divers, frais d'honoraires...).
En outre, un système de guichet unique a été mis en place avec la création de « l'Agence de développement industriel » au sein de la « Corporation du développement industriel du Bengale occidental ». Assurant la promotion des projets industriels, elle est relayée, au niveau de l'État, par une commission dotée de pouvoirs importants et chargée de faciliter les démarches administratives nécessaires à la réalisation de ces projets.
À l'appui de cette politique, une active campagne est menée par le Gouvernement auprès des investisseurs étrangers pour faire valoir les avantages comparatifs du Bengale occidental que constituent « sa main-d'oeuvre formée et techniquement qualifiée, son régime d'ordre, ses infrastructures de communication, sa proximité des grands marchés du Sud-Est asiatique et son débouché sur le marché intérieur de l'Inde », Calcutta étant présentée comme la métropole indienne la moins chère, en termes de loyers, de prix du terrain et de main-d'oeuvre.
Le Premier ministre de l'État, s'est mobilisé en personne pour convaincre les investisseurs étrangers de s'installer au Bengale occidental. Il a ainsi récemment entrepris une tournée dans plusieurs pays étrangers, pour aider à la conclusion de relations d'affaires.
Toutefois, la volonté du Gouvernement est de favoriser les projets d'investissements qui ne portent pas préjudice aux industries existantes, d'encourager les transferts de technologie, l'assistance technique et de privilégier l'investissement dans des secteurs déterminés, tels que la haute technologie, l'industrie lourde ou l'amélioration des infrastructures.
CHAPITRE IV LES HANDICAPS ET LES ALÉAS
Comme tous les pays émergents, à forts taux de croissance, l'Inde offre aux investisseurs étrangers un champ d'expansion considérable, mais affecté de handicaps et d'aléas qu'ils ne peuvent se permettre d'ignorer.
Certains de ces facteurs sont communs à la plupart des pays en développement. Il en est ainsi de la pauvreté qui, selon la Banque Mondiale, affectait en 1990 près de la moitié de la population indienne. Evalué sur la base d'un ensemble d'indicateurs réunis dans le dernier rapport annuel du programme des Nations Unis pour le Développement (taux de natalité et de mortalité infantile, nombre de calories par jour, desserte en eau, illettrisme), l'Inde se situait au 134 ème rang dans le monde, derrière la Chine (111 ème ), le Vietnam (120 ème ), l'Indonésie (104 ème ).
L'impuissance de l'Inde à maîtriser la croissance de sa population explique, dans une large mesure, ce classement peu flatteur. L'Inde a été, pourtant, la première à lancer, en 1951, un programme de planning familial. Mais les moyens employés furent ceux d'une démocratie. De sorte que les résultats, sans être nuls, sont restés très en deçà de ceux obtenus par la Chine grâce aux méthodes coercitives qu'elle a mises en oeuvre. Alors que la natalité est tombée à 19 %o en Chine, elle reste de 29 %o en Inde dont la population, qui atteint aujourd'hui 945 millions, rattrapera celle de la Chine au premier tiers du XXI ème siècle.
Pas plus que d'autres pays en voie de développement, y compris la Chine, l'Inde n'échappe à d'autres plaies économiques et sociales, telles que le chômage, le travail des enfants ou les disparités de croissance entre grandes régions.
Bien qu'interdit par la Constitution et régulièrement dénoncé par les autorités, le travail des enfants est une réalité. Difficile à mesurer avec précision, on sait qu'il affecte des millions d'entre eux. Il n'est pas rare que les enfants travaillent 10 heures par jour pour 35 roupies !
Combien y a-t-il de chômeurs en Inde ? Combien y en a-t-il en Chine ? Quelle proportion de la population est sous ou partiellement employée ? Les chiffres fiables manquent. L'appréciation la moins fantaisiste émane sans doute du B.I.T. qui évalue à 35 millions le nombre des chômeurs en Inde, pour une population active de 341 millions (1994).
Il est courant de dire qu'il n'y a pas une « Inde » mais des « Indes » et au moins deux : l'une développée et l'autre arriérée. Le clivage est, sans doute, moins marqué qu'entre la Chine côtière et la Chine de l'intérieur, mais il reste considérable. Le revenu moyen par habitant varie de 1 à 3 entre le Bihar, État le plus pauvre (3.280 roupies par tête en 1992-93) et le Penjab (10.850 roupies) ou Delhi (11.650 roupies).
PRODUIT INTÉRIEUR PAR ÉTAT ET REVENU PAR HABITANT (prix courants)
Le fossé n'est pas dû seulement au degré d'industrialisation. Certains États à dominante agricole, tels que le Penjab et l'Haryana sont parvenus, grâce à des réformes agraires vigoureuses et à la généralisation de l'irrigation, à élever considérablement le niveau de vie de leur population et à créer une classe moyenne agricole.
Il n'en demeure pas moins que c'est au développement de l'industrie et des services que les États les mieux placés, tels que le Maharashtra (Bombay), le Gujarat et le Karnataka (Bengalore) doivent leur expansion.
Les États les plus pauvres regroupent plus de la moitié de la population : à l'Ouest, le Rajasthan et le Kerala, les petits États du Nord-Est (Sikkim, Assam, Manipur, Megalaya...), ceux qui longent la vallée du Gange, l'Uttar Pradesh et le Bihar, et au centre de l'Inde, le Madia Pradesh et l'Orissa. À mi-chemin se situent des États dotés d'atouts non négligeables mais encore insuffisamment exploités : au Nord-Est, le Bengale occidental, au Sud, l'Andhra Pradesh et le Tamil Nadu. La Commission indienne du Plan a, en 1971, dressé la liste des zones les plus défavorisées du pays, les " backward areas ", qui couvraient alors 60 % de la superficie de l'Inde. Un système de subvention à l'investissement et au transport a été mis en place, mais sans parvenir à rétablir un équilibre économique satisfaisant entre les États.
Si l'Inde partage les promesses et les handicaps de la plupart des pays du tiers monde, il s'y ajoute des caractéristiques qui lui sont propres. La plupart d'entre eux sont hérités de sa longue histoire. Les unes -hiérarchie des castes, diversité des religions, séparatismes- ont des origines qui remontent loin dans le passé. Les autres -poids de la bureaucratie, rôle des syndicats- sont nées après l'indépendance et résultent de la politique pratiquée par le parti du Congrès.
I. LE. POIDS DES CONTRAINTES ADMINISTRATIVES ET SYNDICALES
A. Les contrôles administratifs
Des branches industrielles entières restent réservées au secteur public ou sont soumises à licences d'importation.
• Six branches industrielles demeurent
réservées au secteur public (armement, centrales
nucléaires, transport ferroviaire...) et quinze branches
d'activité -essentiellement les industries considérées
comme stratégiques ou dangereuses pour l'environnement- demeurent
soumises à des permis d'investir.
• De nombreux secteurs continuent à relever
d'un régime de licences d'importation. Il s'agit essentiellement des
biens de consommation :
- les produits alimentaires et les boissons alcoolisées, les licences n'étant accordées qu'aux hôtels, aux restaurants touristiques et aux bénéficiaires du régime hors taxe (missions diplomatique, boutiques duty free) :
- la bijouterie, certains produits pharmaceutiques, les pesticides et les insecticides, les articles de bureau, les matériels de transport (avions, hélicoptères, navires).
Les autorisations d'importation sont accordées au cas par cas aux opérateurs de transport aérien.
L'importation d'automobiles n'est autorisée que dans le cadre de projets industriels approuvés par les pouvoirs publics.
Le processus de libéralisation ne s'est pas encore étendu aux articles de luxe et aux montres. Les règles s'assouplissent peu à peu néanmoins, 75 catégories de biens de consommation peuvent être importées sans licence spécifique, 75 autres biens de consommation durables peuvent être importés par les grands importateurs agréés.
En ce qui concerne les services, la réglementation indienne demeure restrictive. Un traitement différencié est appliqué à chaque type de service, en fonction de l'intérêt plus ou moins grand que les autorités indiennes trouvent à leur implantation.
L'implantation des banques étrangères en Inde se fait au cas par cas et le secteur des assurances est exclu du partenariat avec l'étranger.
L'industrie des services financiers est en train de s'ouvrir et les taux d'intérêt ont été partiellement dérégulés.
Au total, le réseau des contrôles bureaucratiques sur la vie des affaires a été considérablement allégé, mais il est encore loin d'être aboli.
La simplification des procédures n'a au demeurant, pas encore atteint tous les États, même s'ils se livrent, entre eux, à une concurrence prometteuse en la matière pour être plus attractifs.
La plupart des partis politiques admettent que l'initiative privée doit être libérée du carcan des réglementations qui subsistent. Mais il semble que les administrations, tout en reconnaissant l'urgente nécessité de faire appel à des investisseurs étrangers, pour développer les infrastructures, hésitent à renoncer au pouvoir d'influence que leur donnait, jusqu'ici, le régime des autorisations.
Les Gouvernements étrangers, qui soutiennent les projets d'investissements dans les infrastructures, demandent avec insistance plus de transparence dans les procédures de soumission.
Pour les entreprises étrangères qui veulent conclure des « joint-ventures » en Inde, le plus difficile est, bien souvent, d'obtenir d'administrations différentes, la mise à disposition des services de base nécessaires à leur implantation (eau, électricité, télécommunications) ou l'importation des machines et des matériels indispensables à leur activité.
La réduction du nombre des approbations, exigées auparavant pour mener à terme un projet, a eu pour principal effet positif de limiter la masse de documents qui accompagnent la procédure d'octroi des autorisations. Ce n'est pas l'approbation du Gouvernement central pour un investissement qui, en elle-même, prend du temps, mais le nombre des démarches à effectuer et des formulaires à remplir.
Le système fédéral indien, qui a de nombreux avantages, a, aussi, la caractéristique de reproduire au niveau des États certaines des lourdeurs caractéristiques du Gouvernement central, même si les démarches à effectuer portent davantage sur les aspects pratiques (raccordement électrique et téléphonique), que sur l'obtention d'autorisations administratives.
Depuis 1991, les États de la fédération ont manifesté une plus grande autonomie de décision, en n'hésitant pas, dans certains cas, à faire échec à la réforme économique, comme l'a démontré l'affaire Enron, dans laquelle le nouveau Gouvernement d'opposition du Maharashtra a décidé, en août 1995, de remettre en question un projet d'investissement de 2,8 milliards de dollars, qui avait été approuvé par Delhi, pour la construction à Dabhol d'une centrale électrique par une entreprise américaine.
Une étude de la Confédération of Indian Industry a fait ressortir que pour la construction d'une centrale électrique, il était nécessaire d'obtenir, en moyenne, 17 approbations émanant de 19 administrations différentes.
Une comparaison mérite d'être faite avec la Chine. Pour la construction d'une usine de jouets dans les provinces du Sud-Est de la Chine, des investisseurs de Hong-Kong ont eu besoin de trois mois entre le moment où ils ont pris la décision de s'implanter et celui où les premières poupées sont sorties de l'usine.
En Inde, ces investisseurs considèrent que, pour atteindre le même résultat, il aurait fallu dix-huit mois, sans tenir compte du formidable pouvoir de blocage des tribunaux indiens.
S'agissant du secteur public, la charge des salaires des fonctionnaires et des agents du secteur public représente, rappelons-le 60 % du montant total des budgets publics (État central et États de l'Union).
Entre 1970 et 1990, le nombre des agents publics a progressé à un rythme annuel moyen de 2,9 %, contre 0,8 % pour les salariés du secteur privé. Par rapport aux salaires du secteur privé, les rémunérations publiques sont, en moyenne, deux fois plus élevées, proportion portée à deux fois et demie pour les agents des chemins de fer et à quatre fois et demie pour les employés de banque.
Réclamée par la Banque mondiale, la compression des effectifs du secteur public en Inde reste problématique, compte tenu des tensions sur l'emploi.
Le champ du secteur public a eu tendance à croître au fil du temps, l'État prenant sous son contrôle des entreprises privées non rentables pour assurer le maintien des emplois.
Aujourd'hui, 55 % des emplois de l'ensemble des entreprises de plus de 10 salariés sont fournis par des entreprises à statut public.
Les coûts salariaux, la faible productivité et la gestion bureaucratique des entreprises publiques entravent leurs performances. Le taux de retour sur investissement dans le secteur public industriel oscille entre 2 et 2,5 %, si l'on y intègre les résultats des compagnies pétrolières (dont les prix sont administrés). Sans elles, ce taux serait négatif.
En 1992, 50 % des entreprises du secteur public avaient des résultats déficitaires et totalisaient plus d'un milliard de dollars de perte.
Pour l'économie, cette situation présente au moins deux conséquences négatives :
- les subventions directes et les aides indirectes versées aux entreprises publiques creusent les déficits publics, 30 % du capital investi en 1991 dans l'industrie lourde d'État provenait des contribuables. La part de la dépense publique affectée aux entreprises non rentables du secteur public est prélevée sur la richesse nationale aux dépens des investissements productifs, dans les infrastructures en particulier ;
- dans la mesure où l'activité de nombreuses entreprises publiques porte sur des secteurs vitaux (transports, énergie, acier), leurs mauvais résultats, ou leur fonctionnement défectueux se répercutent sur l'ensemble de l'économie.
B. Un droit du travail protecteur et des syndicats puissants
L'Inde, qui est membre de l'organisation internationale du travail et a ratifié les conventions adoptées sous son égide, a, sur le plan interne, une législation du travail beaucoup plus protectrice que la Chine.
•
Une législation très
protectrice
Aux quelque cinquante textes que comporte la législation fédérale applicable aux relations industrielles s'ajoutent les mesures particulières prises par les 25 États fédérés et les 7 territoires pour mettre en oeuvre leur propre politique en ce domaine.
La loi de base est « l'Industrial Disputes Act » de 1947, qui régit les conditions de travail dans les entreprises industrielles, le régime des contentieux entre salariés et employeurs, le droit de grève, le « lock out », les licenciements, ainsi que les procédures arbitrales et judiciaires. Elle définit les règles minimales à respecter en matière de durée légale du travail.
Le salaire minimum, ainsi que le régime indemnitaire des salariés sont fixés dans chaque État de l'Union par les pouvoirs locaux, qui sont également chargés de définir le régime des heures de travail, des heures supplémentaires et des jours de congé hebdomadaire, pour les travailleurs situés dans leur ressort. Les deux jours de repos hebdomadaires peuvent varier d'une localité à l'autre.
Il convient de noter que la grande majorité des textes relatifs à la protection sociale en Inde ne s'appliquent pas aux travailleurs relevant du « secteur informel » (entreprises de moins de 10 salariés), qui employait, en 1994-1995, 85 % de la population active indienne.
Toutefois, différentes lois fédérales prévoient des mesures protectrices au bénéfice des travailleurs percevant les salaires les plus bas : régime de bonus pour les salaires inférieurs à 2.000 roupies, versement par certaines entreprises industrielles d'une contribution à un fonds d'entraide (8,3 % à 10 % des salaires pour les salariés percevant moins de 3.500 roupies) ; régime de protection sociale (maladie, maternité, accidents du travail) pour ceux dont les salaires n'excèdent pas 3.000 roupies.
Des procédures de négociation, de conciliation et d'arbitrage sont prévues en cas de conflit.
L'ensemble de ces règles, qui se comparent à celles en vigueur dans les grands États industriels occidentaux, est complété par un dispositif rigide de droit au maintien dans l'emploi (« Exit Policy »).
L'importance du chômage en Inde rend, en effet, problématique toute suppression nouvelle d'emplois. Dans l'état actuel de la législation, le licenciement individuel ou collectif est soumis à des règles très difficiles à remplir, dans les établissements de plus de 100 salariés. Ces établissements ne peuvent ni fermer, ni licencier même un seul ouvrier, sans qu'un préavis de trois mois ait été donné, et qu'ait été accordée, une autorisation administrative, en pratique très difficile à obtenir. Selon les sources officielles, entre 1988 et 1993, les autorités auraient donné leur accord à des licenciements dans 95 cas, sur 165 qui leur avaient été soumis. L'ajustement que pourrait permettre la réduction des effectifs, pour les entreprises en difficulté ou pour celles qui souhaitent effectuer une restructuration, n'est, en fait, guère envisageable. Le manque de souplesse du système n'est sans doute pas étranger au fort taux de faillite des entreprises en Inde : 23 % en moyenne annuelle entre 1976 et 1991.
Plutôt que de laisser disparaître les entreprises industrielles en cessation de paiement, l'État a ainsi été conduit, à partir des années 1980, à reprendre le contrôle d'un grand nombre d'entre elles pour préserver l'emploi, notamment dans les industries en crise (textile, engineering...), ce qui a gonflé d'autant le secteur public.
L'emploi est également protégé dans les autres secteurs :
- de nombreux emplois de proximité (assurés par les « péons », hommes à tout faire) sont maintenus ;
- la fonction publique offre des emplois réservés à certaines catégories de la population. En tout état de cause, les réductions d'effectifs y sont exclues. On comprend, dans ces conditions, que la dérégulation, malgré le désengagement administratif qu'elle implique, n'ait pas eu d'impact sur le nombre des fonctionnaires.
•
Des syndicats organisés et
agissants
À cette forte rigidité du marché du travail, s'ajoute le poids de syndicats bien organisés et puissants.
On dénombre environ 50.000 syndicats en Inde. Cependant, 8.000 d'entre eux seulement sont actifs et fournissent aux autorités le rapport d'activité que la loi (Trade Union's Act de 1926) leur prescrit de présenter chaque année.
Les syndicats indiens sont relativement politisés et les principaux partis politiques ont constitué des syndicats dans plusieurs branches industrielles.
La syndicalisation est particulièrement marquée dans l'administration et les entreprises publiques. Les employés des banques privées et des chemins de fer, parmi les mieux rémunérés, sont à la pointe du militantisme syndical.
Le Gouvernement indien est très attentif aux revendications des agents du secteur public, ce qui contraste avec la fermeté dont font preuve les autorités chinoises face aux revendications de leurs propres salariés.
Le secteur agricole est, pour sa part, protégé par le puissant Kissan Lobby.
Les grands secteurs industriels ont connu, à plusieurs reprises, d'importants mouvements de grève. Ainsi, une grève de dix-huit mois qui a mis à genoux les usines textiles de Bombay entre 1982 et 1983, est-elle encore dans les mémoires. Les grèves qui s'étendent sur plusieurs mois ne sont pas rares.
La Mission d'information a été le témoin du lancement d'une grève dans la co-entreprise PAL-Peugeot de Bombay. Le principal motif de cette grève met en relief la résistance syndicale à certains changements techniques et aux mesures d'adaptation.
Les presses en exploitation dans les ateliers de Kalyan qui fabriquent la 309 ne comportaient pas de double commande manuelle. Pour éviter tout accident. Peugeot a exigé l'introduction de ces dispositifs de sécurité, en vigueur dans l'industrie automobile du monde entier. Le syndicat de l'usine redoutant le risque de suppression d'emplois n'a accepté la reprise du travail qu'à la condition qu'un opérateur supplémentaire soit placé aux presses.
Cependant, certains syndicats font preuve de pragmatisme : sous la pression de la concurrence, des chefs d'entreprises ont pu, avec l'accord tacite de leurs syndicats réduire leurs coûts salariaux sans mouvement de grève. Il convient d'ailleurs de noter que le nombre de grèves et de fermetures d'usines par « lock out » a diminué progressivement depuis 1990, passant de 1.825 mouvements enregistrés en 1980 à 1.400 en 1993, soit une baisse de 23,6 %.
L'absence de fluidité du marché du travail et l'inadaptation du système aux besoins nouveaux des entreprises pèsent sur le dynamisme de l'économie. Les partisans de la réforme sont conscients de la nécessité d'apporter des modifications importantes au droit du travail, en ce qui concerne notamment le régime des licenciements et les modalités d'intervention des syndicats, afin de permettre le redéploiement des ressources, des secteurs improductifs et non viables vers les secteurs les plus dynamiques. Le Bureau de la reconstruction industrielle et financière, mis en place à la fin des années 1980 pour mener à bien ce redéploiement, n'y est pas parvenu sur la base de la législation en vigueur, de sorte qu'un processus de réforme a été engagé en 1994 :
- un fonds national doté au départ de 2 milliards de roupies a été mis en place pour aider les travailleurs à supporter les changements technologiques et la modernisation. Il devrait assurer le financement des stages de formation et des frais de réemploi des travailleurs affectés par la restructuration industrielle du secteur public, ainsi que les versements d'indemnités compensatrices ;
- plusieurs modifications législatives sont prévues notamment pour permettre les suppressions d'emplois, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'autorisation du Gouvernement de l'État, pour faciliter la fusion des entreprises en difficulté avec celles qui sont en bonne santé et pour raccourcir le processus de liquidation.
Ces modifications ne sont pas encore entrées dans les faits. Leur mise en oeuvre sera complexe dans un pays où le taux de chômage est très élevé. Elles ne sauraient, en tout état de cause, intervenir qu'après les élections législatives.
II. LE GOULET D'ÉTRANGLEMENT DES INFRASTRUCTURES
Un grand retard a été pris en Inde dans la mise en place des infrastructures, qu'il s'agisse des réseaux de transports, de la production d'énergie électrique, de la desserte en eau et des télécommunications, pour s'en tenir aux équipements essentiels.
Avec l'essor économique, les besoins s'envolent. L'insuffisance des équipements augmente les coûts des entreprises, réduit leur efficacité et retarde les délais de livraison.
Cette situation -qui pour n'être pas récente a pris une grande acuité- constitué la principale hypothèque pesant sur la mise en oeuvre des réformes économiques et la poursuite de la croissance.
Bien que l'Inde, à partir de l'Indépendance, ait fondé son modèle de développement sur les secteurs de base, la planification indienne a privilégié, dans ses choix d'investissement, le développement de l'agriculture et des unités de production industrielle, avec pour conséquence une baisse des concours publics aux infrastructures, au cours des trente dernières années.
Les goulets d'étranglement sont apparus dès le début du II e Plan (1957-1958). La situation a continué à se dégrader jusqu'à la crise de 1979-1980, qui s'est traduite par une série de blocages physiques dans les trois secteurs-clés, à l'époque : les charbonnages, les chemins de fer, l'électricité. Face à la paralysie, les pouvoirs publics ont mieux pris en compte le rôle central des infrastructures dans l'économie et se sont efforcés de les améliorer.
Le tournant économique de 1991 a conduit dans ce domaine, comme dans d'autres, à une nouvelle stratégie.
Pour faire face aux besoins considérables du pays, il est apparu clairement que l'Inde ne pourrait, compte tenu de son niveau d'endettement 8 ( * ) et de l'importance de son déficit budgétaire, assurer le financement des équipements indispensables en recourant aux seuls crédits publics internes.
Les concours de la Banque Mondiale, pourtant généreuse avec l'Inde, ne pouvaient suffire à apporter les ressources complémentaires.
Aussi, le Gouvernement a-t-il décidé, dans le cadre de sa politique d'ouverture, de faire appel à l'investissement privé, le cas échéant étranger, dans un certain nombre de domaines.
• Les
télécommunications
Dans ce secteur longtemps négligé (1 à 3 % des crédits du Plan avant 1990), les besoins sont immenses. L'absence de concurrence a favorisé les retards technologiques et le réseau de base ne compte que 8 millions de lignes téléphoniques pour 890 millions d'habitants, soit 0,8 % de la population, ce qui représente le plus faible taux de pénétration téléphonique de toute l'Asie.
Ayant pris conscience du rôle des télécommunications en tant que moteur de la croissance, les pouvoirs publics se sont fixés des objectifs ambitieux : le nombre de connexions devrait passer de 8 à 20 millions d'ici l'an 2000, soit un taux de desserte de 2 %, et à 40 millions en 2005. Ceci permettrait d'assurer la connexion des 576.000 villages des zones rurales. 20.000 kilomètres seraient desservis par faisceaux hertziens et 23.000 kilomètres par fibre optique. Seraient en outre introduites les nouvelles technologies de télécommunications (téléphonie mobile GSM, réseaux à valeur ajoutée).
Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement a décidé en 1991 de libéraliser le secteur et de l'ouvrir aux investisseurs privés, par un double mouvement de déréglementation et de privatisation qui met fin au monopole public en matière d'équipement, de maintenance et de vente.
- Sur le plan des structures, la réforme en cours tend à l'éclatement de l'administration indienne des Postes et Télécommunications. Trois entités nouvelles seront créées : un exploitant public (India Telecom), une autorité chargée de la régulation (Telecom Regularory Authority of India) et une Commission chargée de la stratégie et du Plan des télécommunications.
- L'ouverture au secteur privé s'est faite en deux temps :
Pour les services de télécommunications à valeur ajoutée, l'ouverture résulte d'une loi de 1992, mise en oeuvre depuis la fin de 1994.
Le secteur privé est appelé à devenir le principal fournisseur pour ces services, sur la base de licences octroyées pour le courrier électronique, le courrier vocal, le vidéotexte, l'audiotexte, la vidéoconférence, la radiomessagerie, l'ingénierie des réseaux cellulaires, la transmission par satellite.
Les réseaux téléphoniques cellulaires ont été ouverts au secteur privé en 1992 pour les quatre grandes métropoles et en 1994 pour le reste du pays. Mais les licences demandées en 1992 n'ont été accordées qu'en 1994. La deuxième série d'appels d'offres, incluant les services de téléphonie mobile, est intervenue en janvier 1995.
Dans une seconde étape, les services de base ont été libéralisés, le monopole du ministère des télécommunications étant battu en brèche par une loi adoptée en 1994. Les opérateurs privés peuvent désormais concourir au dévelop-
pement de ces services, à condition de respecter un strict équilibre entre zones rurales et urbaines. Pour les communications locales, le ministère sera mis en concurrence, sur la base d'appels d'offres lancés en janvier 1995, avec un opérateur privé unique bénéficiant d'une licence de 15 ans, dans chacun des 21 « cercles » du pays. Pour les communications longue distance, le monopole public a été maintenu pour une période de cinq ans, à l'issue de laquelle la situation sera réexaminée.
L'ouverture a suscité des résistances et la Cour Suprême a été saisie par des particuliers, des groupes et des membres de l'opposition parlementaire, de recours mettant en cause la participation du secteur privé au service de base des télécommunications, jusque là sous monopole d'État. Par une importante décision du 19 février 1996, la Cour a rejeté les 10 recours intentés, considérant qu'il n'entrait pas dans son rôle de juger de la politique de privatisation du Gouvernement. Elle n'en a pas moins incité le Gouvernement à veiller à la sauvegarde de l'intérêt public face aux opérateurs privés, la plupart étrangers, auxquels il a accordé des licences. Enfin, la Cour a rappelé qu'il incombait à l'autorité de régulation indépendante de faire prévaloir les objectifs sociaux sur les intérêts privés.
•
L'électricité
La production d'électricité, structurellement déficitaire, constitue un des principaux goulets d'étranglement de l'économie. Aussi, a-t-elle été l'un des premiers secteurs à bénéficier de la libéralisation, dès 1991.
La capacité installée est de 70.000 mégawatts et la production annuelle s'élève à 320 milliards de Kwh dont 22 % d'origine hydraulique, 76 % d'origine thermique et 2 % d'origine nucléaire. Malgré cette capacité de production, 84 % des villages seulement sont desservis. Là où elle existe, la distribution d'électricité n'assure la couverture des besoins qu'à 90 % en moyenne et 80 % en période de pointe.
Pour pallier l'insuffisance de la production et répondre à une augmentation de la demande évaluée de 8 % à 12 % par an en moyenne d'ici à l'an 2000, le Ville Plan s'est fixé au départ pour objectif d'installer une capacité supplémentaire de 48.000 mégawatts, objectif ramené aujourd'hui à 31.000 mégawatts. Mais, il est à craindre que la réalisation se situe à un niveau encore inférieur.
Il convient de noter que, même si les conditions de production s'améliorent, la perte en ligne reste importante lors du transport et de la distribution, avec un taux de perte moyen d'environ 23 %, contre 10 % en moyenne internationale.
Jusqu'ici, la production, le transport et la distribution d'électricité étaient un quasi-monopole public, les « State Electricity Boards » (SEB), compagnies publiques régionales d'électricité étant responsables de la fourniture d'électricité aux consommateurs. En matière de production, 95 % de l'électricité était générée par des compagnies publiques, 5 producteurs privés se partageant les 5 % restant.
L'insuffisance considérable de la production d'électricité a rendu nécessaire le recours au secteur privé.
- La production a fait l'objet d'une libéralisation ample et rapide.
Depuis octobre 1991, les sociétés privées ou mixtes peuvent être habilitées par les États pour racheter ou fonder des sociétés de production électrique. Avec les autorisations administratives nécessaires et une licence industrielle (d'une durée de 30 ans, renouvelable pour 20 ans), elles ont désormais la possibilité de construire, produire et vendre. Les investisseurs étrangers sont autorisés à une prise de participation majoritaire ou à une création à 100 %. Une soixantaine de projets privés de constructions de centrales ont ainsi déjà été autorisés.
Pour attirer les capitaux privés, de nombreux avantages, notamment fiscaux, ont été accordés aux investisseurs.
En juillet 1995, le Gouvernement avait reçu 243 propositions privées pour l'installation de centrales, représentant une capacité totale de 90.368 mégawatts.
De nombreux obstacles persistent néanmoins le processus d'approbation des investissements est long et complexe ; le prix de l'électricité demeure administré ; la situation financière des SEB, qui restent les acheteurs principaux, sinon exclusifs, de l'électricité produite, est très dégradée (avec des pertes évaluées à environ 10 milliards de francs pour l'exercice 94-95) ; enfin, les contre-garanties d'État n'ont été accordées que pour huit grands projets.
La remise en cause, en 1995, du contrat entre le groupe américain Enron et le SEB de l'État du Maharathtra, alors que les travaux avaient commencé, risque d'inspirer de la méfiance aux investisseurs étrangers.
- Dans le domaine du transport et de la distribution d'électricité, l'ouverture en est aux prémices.
La gestion et la modernisation des réseaux est encore assurée sous monopole par la Société publique Power Guid, avec le concours de la Banque Mondiale et la proposition du Gouvernement d'ouvrir ce secteur aux investisseurs privés en juin 1995 n'a pas encore été suivie d'effet.
Pour la distribution, malgré l'existence de 57 distributeurs privés, les possibilités d'intervention des opérateurs privés restent, pour l'essentiel, limitées à des contrats de sous-traitance. Cependant, les villes de Bombay, Calcutta et Delhi ont engagé la privatisation de la distribution.
•
Les
transports
- Le réseau ferroviaire
Les Britanniques avaient légué à l'Inde l'un des plus grands réseaux ferrés du monde. Alors que les deux premiers Plans avaient consacré d'importantes dotations à son entretien et à sa modernisation, les crédits d'investissement ont fortement baissé à partir du III e Plan. Il s'en est suivi une décrépitude rapide du réseau qui a conduit les utilisateurs à s'en détourner au profit du transport routier que les planificateurs avaient eu tendance à ignorer.
- Les routes
Les routes constituent le principal moyen de transport en Inde.
Depuis 1951, le parc automobile a été multiplié par 75, tandis que le réseau routier ne l'a été que par cinq, pour atteindre 2 millions de kilomètres. Il est aujourd'hui saturé et totalement insuffisant. Les autoroutes représentent 2 % de l'ensemble du réseau routier et supportent près de 40 % du trafic.
Le plan routier lancé en 1981 prévoyait que 66.000 kilomètres d'autoroutes supplémentaires seraient construits d'ici à 2001. Cet objectif très optimiste ne pourra à l'évidence pas être atteint au rythme actuel des investissements, d'autant qu'il est, aussi, nécessaire de construire un réseau national de voies expresses d'environ 10.000 kilomètres.
Pour relever le défi, le Gouvernement a fait appel aux investisseurs privés et aux capitaux étrangers pour participer à des projets de construction de routes et d'autoroutes.
Les participations du secteur privé devraient s'effectuer en concession (Built Operate and Transfer). Mais cette procédure est, en la matière, une gageure : il n'y aurait que 5 à 6 % du réseau routier qui justifierait la mise en place de BOT. Les entreprises privées investissant dans les projets autoroutiers seraient autorisées à percevoir des péages pendant un délai déterminé. À la fin de la période de concession, les installations reviendraient à l'État.
La viabilité financière de ces projets pour les compagnies privées intéressées serait calculée en fonction des prévisions du trafic attendu.
Le tarif des péages, de même que la durée de concession, pourra être négocié par les compagnies avec le Gouvernement. Les terrains nécessaires à la construction, aux équipements et aux installations seront fournis par le Gouvernement, libres de charges, et les investisseurs privés pourront être autorisés à développer des services et à aménager des aires de repos le long des routes qui leur seront confiées, ceci afin de rentabiliser leurs investissements.
- Le transport aérien
Bien plus développé que les autres modes de transports, le transport aérien est, lui aussi, menacé de saturation, compte tenu d'une perspective de croissance de 7 % par an au cours des dix prochaines années.
En 1993-1994, 21 millions de passagers et 440.000 tonnes de marchandises ont transité par les cinq aéroports internationaux de Bombay, Calcutta, Delhi, Madras et Thiruvantapuram, en augmentation respectivement de 11,5 % et 11,2 % par rapport à l'année précédente.
Le marché de l'aviation civile -équipements aéroportuaires et appareils- est estimé à 6 milliards de dollars pour les prochaines années, selon une étude des Laboratoires aéronautiques indiens et du Département de la Science et de la Technologie.
• Les investisseurs privés nationaux et
étrangers ont été fortement encouragés à
participer à la construction, l'extension et la modernisation des
infrastructures aéroportuaires.
De nombreux projets sont en
cours de réalisation ou prévus : agrandissement des
terminaux domestiques et internationaux, modernisation des systèmes de
navigation et de télécommunications, installation de nouveaux
radars de surveillance, amélioration des services
aéroportuaires.
Parmi ces projets figurent notamment :
- la construction de nouveaux aéroports privés ;
- le triplement de la capacité du terminal international de Delhi et la construction d'un nouveau terminal pour les vols intérieurs, chacun destiné à accueillir 10 millions de passagers ;
- la modernisation des structures de l'aéroport de Calcutta, entamée en janvier 1995 ;
- le remplacement du système d'aide à la navigation au sol par satellite.
- la manutention au sol dans les aéroports de Delhi et Bombay devrait également faire l'objet d'une privatisation.
• Le
transport aérien
proprement dit
a été, lui aussi, libéralisé.
Un amendement de novembre 1994 a mis fin au monopole que détenaient Air India et Indian Airlines. Six taxi-opérateurs aériens ont ainsi obtenu le statut de compagnies intérieures et les lignes régulières qu'ils avaient créées ont été officialisées. D'autres sociétés devraient bientôt profiter de cette ouverture.
Les compagnies privées, qui ont vu leurs parts de marché augmenter de plus de 11 % en un an, détiennent aujourd'hui plus de 36 % du marché intérieur indien et possèdent une flotte d'une vingtaine d'appareils.
La compagnie Modiluft a conclu un accord de partenariat avec Lufthansa.
L'ouverture du transport aérien à la concurrence a rendu la compagnie d'État, Air India, plus efficace, plus ponctuelle et plus attentive au confort de ses passagers.
* * *
•
Les autres secteurs
La nécessité de recourir à l'investissement privé se fait également sentir pour les autres équipements de base, tels que les ports, les réseaux d'eau et d'assainissement, les écoles, les équipements sanitaires...
La Mission d'Information a pu constater par elle-même le handicap que représentent le mauvais état des infrastructures existantes et l'indigence de grands réseaux.
L'insuffisance criante des liaisons routières et les encombrements qui en résultent rendent très difficile le transport des personnes et des marchandises d'une ville à l'autre.
Les coupures d'électricité, programmées ou non, obligent les usines à des arrêts de travail paralysants.
Que dire de la qualité de l'eau et des réseaux d'assainissement, impuissants face à la surpopulation des grandes villes.
Hyderhabad, cinquième ville de l'Inde, dont la population a littéralement explosé en 20 ans (+550 %), pour atteindre 4,5 millions d'habitants, est exposée à manquer d'eau d'ici une décennie. Au printemps 1994, elle ne pouvait assurer la desserte qu'une heure par jour. Les ingénieurs et les cadres de haut niveau ont fuit la ville pour s'installer dans des parcs industriels à proximité.
On estime à 200 milliards de dollars, le montant des ressources nécessaires pour financer les infrastructures immédiatement nécessaires et qui font aujourd'hui cruellement défaut.
Même le BJP, qui jusqu'aux élections générales de mai 1996, était le principal parti d'opposition et ne ménageait pas ses critiques à l'égard de la politique d'ouverture, admettait que les investissements étrangers directs étaient nécessaires pour le développement de certains équipements collectifs.
Le succès de la réforme économique dépendra, à l'évidence, de la capacité de l'Inde à mobiliser les capitaux privés étrangers pour financer les équipements indispensables à son développement.
III. LA PERMANENCE DES CASTES
D'origine religieuse, le système des castes marque en profondeur la société indienne et imprègne tous les aspects de la vie sociale, économique et politique.
La mission d'information s'est posé la question de savoir si elles étaient aujourd'hui pour l'Inde, comme on est porté à le penser en Occident, un facteur de blocage économique. La réponse qu'elle est tentée d'y apporter est complexe et nuancée.
Enfermant la société dans une stricte hiérarchie, les castes, pour choquantes qu'elles puissent apparaître à un observateur extérieur, ont aussi un rôle intégrateur et organisent des solidarités sociales. Devenues un enjeu de pouvoir pour les forces politiques, elles ont su se transformer en groupes d'intérêt actifs et efficaces.
Elles n'en apparaissent pas moins comme un facteur de tensions et constituent, de ce fait, un obstacle au développement économique, même si des signes d'évolution s'amorcent.
•
Une organisation stratifiée et
hiérarchisée
La stratification de la société en castes tire sa justification originelle de la religion hindoue et des textes sacrés védiques, selon lesquels l'appartenance à telle ou telle naissance ou « jâti » -improprement traduit par « caste »- est le fruit des actes accomplis dans les vies antérieures (karma). La présence dans une caste durant une vie ne constitue qu'une phase dans le cycle des renaissances.
La société se trouve, en outre, divisée en quatre grands ordres ou « varnas » : les Brahmanes ou prêtres (6 % environ de la population hindoue), les Kshatryas, ou guerriers, les Vayshias ou commerçants et les Shoudras, castes de services comprenant les agriculteurs et les artisans. Appartiennent à ces différents ordres les « hindous de castes ». Les autres -soit environ 49 % de la population totale- sont « hors castes », ou désignés comme « intouchables ».
Chaque caste obéit à des règles spécifiques et héréditaires, préservées par le mariage endogame. Cela détermine des pratiques religieuses, des régimes alimentaires, des interdits, et une spécialisation professionnelle. Le nom patronymique est celui de la « naissance » et correspond à une fonction : boulanger, cultivateur, charpentier, balayeur...
En réalité, le système des castes est infiniment plus complexe qu'il n'est habituellement présenté, puisque la société indienne dans son ensemble se répartit en des milliers de castes et de sous-castes, entre lesquelles s'établissent de subtiles hiérarchies, selon les régions géographiques et les communautés linguistiques.
En dépit de son apparente rigidité, le système n'est pas figé, et les castes, comme les rapports qu'elles entretiennent entre elles, ont évolué suivant les lieux et les époques.
Il est notable, que la hiérarchie des naissances et les inégalités sociales qui en résultent sont acceptées par une grande majorité d'Indiens, qui y voient l'expression d'une justice immanente et de l'ordre « socio-cosmique ».
•
Un rôle
intégrateur
Selon le professeur Pierre Amado, « si la caste perd du terrain au niveau des pratiques quotidiennes, par contre l'organisation interne du groupe et la « conscience de caste tendent à s'élargir et à se renforcer ». Bref, loin d'être ressentie comme exclusivement oppressive, la caste est aussi vécue par beaucoup comme sécurisante.
Facteur de différenciation, la caste est aussi un facteur d'identification à une communauté d'intérêts. L'organisation socio-économique à laquelle les castes ont donné naissance garantit un certain nombre d'avantages mis en commun. Elles peuvent jouer le rôle de bureaux d'entraide mettant à la disposition de leurs membres des écoles, des dispensaires, des bourses universitaires,...
Faisant preuve d'une capacité d'adaptation, les castes se sont progressivement transformées tout au long de ce siècle.
Leur réorganisation et leur renforcement ont été compris par certains comme la réponse aux transformations de l'État et de la société civile.
•
Un enjeu de pouvoir
Participant activement aux processus démocratique, les castes ont su se constituer en groupes d'intérêts puissants et efficaces.
- Les castes dans la Constitution et la vie politique
Si la Constitution indienne de 1950 n'a pas, comme on le dit souvent, fait disparaître les castes, elle a supprimé « toute discrimination fondée sur la religion, la race, la caste, le sexe et le lieu de naissance »
Ses articles 15 à 17 ont expressément aboli les interdits dont faisaient jusque là l'objet les « intouchables » ou « harijans » (peuple de Dieu, selon la formule de Gandhi). Dans les faits, cependant, les journaux révèlent de temps à autre les sévices, voire les meurtres perpétrés, encore aujourd'hui, à l'encontre de certains de ceux qui ont transgressé ces interdits traditionnels.
La Constitution a cherché également à établir des discriminations positives, en instituant un système d'emplois réservés dans le secteur public au profit des basses castes et des tribus non intégrées (« backward »).
Fixés au départ à 22,5 % en moyenne et applicable pendant cinquante ans aux « victimes répertoriées d'une injustice traditionnelle », les quotas d'emplois réservés ont été portés, à partir de 1992, à 49,5 %, mais au profit de castes entières.
Peu à peu constituées en groupes d'intérêt et intervenant dans le jeu démocratique, les castes ont été courtisées par les partis politiques.
Que ce soient les confédérations ou les partis, les mouvements qui soutiennent ou combattent les partis ou les coalitions de groupes sociaux, tous ont pris appui sur le système des castes. Plus récemment, les communautés fondées sur des critères ethniques ont également tenté d'utiliser les castes à des fins électorales.
Susceptible de canaliser les voix dans un sens ou dans un autre, dans un pays qui compte quelque 560 millions d'électeurs, les castes ont joué un rôle croissant dans le fonctionnement de la démocratie parlementaire indienne.
Au moins autant qu'un mode d'organisation sociale ou sacrée, les castes sont aujourd'hui un enjeu décisif du pouvoir politique.
•
Le
rôle des castes
en matière économique
Les mesures prises par les Gouvernements successifs, depuis l'Indépendance, au profit des catégories défavorisées ont fait assez largement appel à la notion de castes.
Cela est particulièrement net en matière d'emplois réservés. Le dispositif adopté dans la Constitution et les compléments qui lui ont été récemment apportés ont suscité l'hostilité des castes exclues du bénéfice de ces emplois et favorisé les surenchères électorales.
Ces effets pervers sont à l'origine de tensions et de violences qui ne sont pas toutes apaisées, même si l'évolution des mentalités et la libéralisation tendent, par ailleurs, à atténuer le rôle des castes dans la vie économique.
- Les emplois réservés
Le poids de l'éducation traditionnelle et la faible mobilité sociale résultant du système des castes n'ont sans doute pas été sans influence sur l'échec relatif du régime des quotas mis en place par la Constitution de 1950. Sauf pour les emplois de bas niveau, les quotas annuels ne furent pas remplis.
Cherchant les voies d'une solution, le Gouvernement chargea, en 1983, la commission « Mandai » de faire des propositions. Celle-ci préconisa de réserver des quotas supplémentaires à de nouvelles castes, dans les emplois de l'administration centrale et des entreprises publiques.
Après une première tentative gouvernementale, en 1988, pour porter les quotas de 22,5 à 35 %, le Gouvernement de M. Singh a décidé, en 1990, de faire suite à ces propositions en réservant un quota additionnel de 27 % dans les emplois publics et à l'université, à différentes castes défavorisées - ce qui excluait, de fait, musulmans et chrétiens. La Cour Suprême qui avait déclaré inconstitutionnelles les propositions de la Commission Mandai en 1991, créa la surprise en approuvant la réforme Singh, en 1992. Les quotas furent en conséquence portés de 22,5 % à 49,5 %, les emplois n'étant plus réservés, comme en 1950, aux seules « victimes répertoriées d'une injustice traditionnelle », mais à des castes entières, sélectionnées selon des critères excluant toute référence au mérite.
La réforme a provoqué de fortes protestations de la part des castes les plus élevées et de nombreux étudiants se sont immolés par le feu.
- Vers une atténuation des cloisonnements liés aux castes ?
L'urbanisation, en favorisant le brassage social qui rapproche à l'école, à l'université et sur les lieux de travail des personnes de toutes origines, tend à atténuer dans la vie de tous les jours les distinctions fondées sur l'existence des castes.
Certaines communautés conservent, certes, un rôle déterminant dans l'économie. Il en va ainsi des « Parsi », élite cultivée qui tient dans le monde des affaires une place comparable à celle qu'occupe la caste des brahmanes dans la fonction publique.
Il semble aussi que le déclin de la caste, en tant que système légitimant les inégalités sociales, ait fait émerger des rivalités croissantes entre groupes sociaux. La compétition n'a pas seulement tendu à un meilleur partage des richesses, mais s'est transformée en rivalités pour conquérir des places et des privilèges dans la Société 9 ( * ) .
Cependant, la libéralisation interne de l'économie, au cours des années 80, a permis l'émergence, dans les villes, d'une classe moyenne qui s'est largement affranchie de ses racines rurales et des valeurs ancestrales qui leur étaient attachées.
Les ingénieurs, le cadres, les diplômés de l'enseignement supérieur, ont des rapports différents avec la notion de castes, surtout lorsqu'ils se sont occidentalisés. Ce mouvement pourrait gagner de proche en proche, d'autres couches de citadins qui sont sur le point d'accéder au confort et sont sensibles aux attraits de la société de consommation.
Il reste cependant que 80 % de la population indienne vivent dans des zones où le système des castes garde toute sa puissance.
IV. LES ANTAGONISMES RÉLIGIEUX
L'Inde est un pays profondément religieux.
La Constitution a certes affirmé la laïcité de la République de l'Union Indienne. Dans le respect de l'héritage spirituel de Gandhi et de Nehru, soucieux de permettre à tous les cultes de coexister, les rites religieux n'en rythment pas moins les actions, comme la vie spirituelle des Indiens. Ceux-ci ont à peu près tous une appartenance religieuse.
L'image de violence qui se dégage de la vie politique indienne est associée aux affrontements qui opposent sporadiquement les grandes communautés religieuses.
La coexistence est particulièrement difficile entre l'Hindouisme, religion dominante dans laquelle se reconnaissent 82,6 % d'Indiens, et la forte minorité musulmane (11,4 % de la population).
Les difficultés d'intégration de cette minorité sont aggravées par le traumatisme qu'a causé la partition entre l'Inde et la République islamique du Pakistan au moment de l'Indépendance.
En septembre 1947, au lendemain de cette partition, 5 millions de réfugiés se jetèrent sur les routes pour rejoindre, du bon côté de la frontière, la majorité de leurs coreligionnaires. Dans le Penjab 500.000 d'entre eux qui n'avaient pas eu la chance d'arriver à destination furent tués dans un massacre mutuel de Sikhs, d'Hindous et de Musulmans.
D'autres explosions à caractère religieux ou ethnique se sont produites depuis lors.
Des guérillas ont éclaté au cours des deux dernières décennies au Penjab entre Sikhs et Hindous et au Cachemire entre Hindous et Musulmans, sans parler des rebellions tribales dans le nord-est de l'Inde.
Deux événements plus saillants qui sont dans toutes les mémoires ont aussi été potentiellement les plus dangereux.
Le premier a opposé les Sikhs et les Hindous. Ce fut, en octobre 1984, l'assassinat d'Indira Gandhi par deux de ses gardes du corps Sikhs, après le drame du Temple d'Or d'Amritsar, haut lieu du Sikhisme, auquel l'armée avait donné l'assaut sur son ordre, faisant 2.000 à 3.000 morts.
Choc en retour, son assassinat déclencha des pogromes perpétrés par les Hindous contre les Sikhs à Delhi et dans les grandes villes du nord.
Le second drame a mis aux prises les Hindous et les musulmans. L'enjeu en était la Mosquée désaffectée d'Ayodhya qui aurait été construite sur l'emplacement d'un temple Hindou dans l'Uttar Pradesh. Après une campagne d'agitation savamment orchestrée entre 1985 et 1992 réclamant la démolition de la Mosquée, des groupes extrémistes hindous sont parvenus à leur fins, le 6 décembre 1992, en présence de forces de police qui se sont gardées d'intervenir. Les émeutes qui ont suivi ont fait plus de 1.400 morts et entraîné le départ de 60.000 personnes, en particulier à Bombay, à Bangalore et à Mysore. L'événement a eu de profondes répercussions dans les pays musulmans, à commencer par le Pakistan et le Bangladesh, où des centaines de temples Hindous furent détruits.
Il n'en demeure pas moins que ces accès de violence sont maîtrisés les uns après les autres, témoignant de la capacité de l'Inde à surmonter ses antagonismes.
Certes, les retombées politiques de ces affrontements n'ont pas disparu. La montée du fondamentalisme hindou, les aspirations séparatistes des Sikhs, les réactions de la communauté musulmane influent sur la stratégie des partis politiques.
Pour le parti du Congrès, qui a fait de la laïcité, depuis Gandhi et Nehru, une des pierres angulaires de sa doctrine et de la République indienne, la nécessité de prendre en compte le fait religieux dans toute sa complexité a représenté un important défi. Manifestant son refus de la dérive, le Premier ministre démissionnaire M. Rao, dans son discours de commémoration de l'Indépendance du 15 août 1993, déclarait « la transformation de la religion en communalisme, par l'alchimie de la politique doit être rejetée ».
Reste que le Bharatiya Janata Party (BJP), qui se réclame explicitement du nationalisme hindou, a vu son audience s'élargir tout au long des années 80.
Son implantation est forte dans les États du nord et du centre où les Hindous sont fortement majoritaires. Défendant les valeurs de la classe moyenne, et notamment des petits commerçants, il ne soutient la réforme économique que pour autant qu'elle assure la dérégulation des mécanismes internes de l'économie. Il est, en revanche, hostile aux investissements étrangers susceptibles de mettre en difficulté les entreprises indiennes, notamment dans le secteur des biens de consommation durable où l'apport de la technologie étrangère est faible et l'impact culturel fort.
V. LES DISPARITÉS ET LES SÉPARATISMES RÉGIONAUX
A. Les écarts régionaux
Comme la Chine, l'Inde est un continent, aussi divers par le niveau de développement économique des 25 États et des 7 territoires qui la composent, que par ses religions, ses ethnies et ses langues. Plusieurs États sont plus étendus et plus peuplés que les grands pays européens. L'Uttar Pradesh, avec ses quelque 170 millions d'habitants, pourrait occuper le septième rang mondial, en termes de population.
Il existe de grandes disparités entre les régions de l'Inde. Les États ne disposant pas de richesses naturelles, ont accumulé les retards de développement, alors que d'autres ont mis à profit leurs ressources, leur position géographique stratégique ou le dynamisme et le niveau de formation de leur population.
L'agriculture est partout présente. Mais dans certains États, elle est dominante, alors que dans d'autres l'industrie tend à devenir l'activité majeure.
Parmi les États agricoles de l'Inde -qui, rappelons-le, est rurale à 75 %-, il existe des différences très notables. Dans certains d'entre eux, tels le Penjab, et l'Haryana, « la Révolution verte » a réussi. Grâce aux réformes agraires qui ont transformé les conditions de production et à l'irrigation, une agriculture intensive a pu se développer, entraînant une élévation très sensible des revenus agricoles. Dans d'autres, tels que le Bihar et l'Uttar Pradesh, l'agriculture n'a guère prospéré et la misère reste omniprésente.
Le riche Penjab par exemple, qui occupe moins de 2 % de la superficie de l'Inde assure, à lui seul, environ les 3/5 ème de la production de grains du pays, après avoir, en trente ans, triplé ses rendements en blé et en riz. C'est lui qui dessert en eau, grâce à l'irrigation, une partie de l'Haryana et du Rajasthan.
Les activités industrielles sont principalement implantées dans les États du Maharashtra, du Tamil Nadu, de l'Uttar Pradesh, du Gujarat et du Bengale occidental.
La valeur ajoutée industrielle produite au Maharashtra représente à elle seule, 25 % de la valeur ajoutée industrielle totale de l'Union.
•
En termes de revenu moyen par habitant,
le rapport est de plus de un à trois entre le Bihar,
l'État le plus pauvre (3.280 roupies par tête en 1992-1993) et le
Penjab (10.857 roupies) ou Delhi (11.650 roupies).
Trois grands ensembles peuvent être distingués :
- les États jouissant d'une relative prospérité : à l'Ouest, les États industrialisés, avec le Maharashtra, en tête pour le produit intérieur brut et le Gujarat (totalisant 130 millions d'habitants) ; au Nord, les riches États agricoles du Penjab et de l'Haryana (environ 40 millions d'habitants, à eux deux) :
- des États très pauvres qui regroupent plus de la moitié de la population de l'Inde : à l'Ouest, le Rajasthan (5.035 roupies de revenu par tête) et le Kerala, les petits États du Nord-Est (Sikkim, Assam, Manipur, Megalaya...), le long de la vallée du Gange, l'Uttar Pradesh et le Bihar, et au centre de l'Inde (le Madia Pradesh et l'Orissa), soit, au total, plus de 500 millions d'habitants ;
- à mi chemin, des États intermédiaires, dotés d'atouts non négligeables, mais insuffisamment exploités. Au Nord-Est, le Bengale occidental, au Sud, le Karnataka, l'Andhra Pradesh et le Tamil Nadu (regroupant environ 260 millions d'habitants).
Dès le début des années 1970, les pouvoirs publics, tant au niveau de l'Union que dans les États fédérés, ont tenté de lutter contre ces disparités et de mieux répartir les activités et les infrastructures sur l'ensemble du territoire.
La Commission du Plan a, en 1971, dressé la liste des zones les plus défavorisées du pays « ou backward areas » qui représentaient alors 60 % de la superficie de l'Inde. Un système de subventions à 1'investissement et aux transports a été mis en place qui n'est, cependant, pas parvenu à rétablir un équilibre économique satisfaisant entre les États.
La politique de libéralisation et d'ouverture pourrait contribuer à creuser les écarts entre États, la « spécialisation » économique de certains d'entre eux étant susceptible d'accentuer les atouts des uns et les handicaps des autres.
Le Maharashtra et le Gujarat, qui disposent d'implantations industrielles modernes et diversifiées (pétrochimie, pharmacie, cimenterie) et à fort potentiel exportateur (textile, cuir et autres, industries de main-d'oeuvre), de même que le Karnataka, dont la capitale Bangalore développe une industrie du logiciel à la pointe du progrès, semblent appelés à renforcer leur avance sur les États les plus pauvres.
Le taux de chômage varie par exemple de 1,5 % au Madya Pradesh à 17 % au Kerala. Les dépenses d'éducation par tête sont de 328 roupies au Penjab, mais ne dépassent pas 180 roupies en Uttar Pradesh. La croissance de la population est mieux maîtrisée au Kerala qu'en Haryana et au Rajasthan.
Les pouvoirs publics, conscients de cette situation, considèrent que la création d'infrastructures sociales doit être le préalable au développement des zones les plus défavorisées. En outre, afin de mieux cibler les aides publiques, les États fédérés ont été associés au choix de 66 « pôles de croissance » qui concentreront l'essentiel des aides. La décision a été prise d'autoriser l'implantation des industries sur tout le territoire, à l'exception d'une zone de 25 km autour des villes de plus de 1 million d'habitants, restriction que certains observateurs considèrent comme platonique.
B. Les séparatismes
Depuis l'indépendance, l'Union indienne a été soumise à des revendications séparatistes menaçant son unité et débouchant périodiquement sur des conflits sanglants. Si l'on met à part la Partition du Pakistan en 1947 et la création de l'État indépendant de Bangladesh, l'Inde a, jusqu'à présent, résisté aux aspirations centrifuges. Mais les affrontements auxquels elles ont donné lieu, en particulier au Penjab et au Cachemire, ont été humainement et financièrement très coûteux et demeurent source de tensions, sans parler des mouvements qui agitent régulièrement l'Assam et les autres petits États du Nord-Est, d'origine tibèto-mongole.
Les relations entre le Penjab et New-Delhi, sont passées par une phase de tension aigüe qui a culminé avec l'assassinat d'Indira Gandhi par ses gardes du corps sikhs. Des contentieux subsistent, concernant notamment la question du partage des eaux entre le Penjab et ses voisins, ou l'industrialisation souhaitée par les Penjabis et récusée par Delhi, en raison de la proximité du Pakistan.
Mais les rapports se sont très largement normalisés, soulignant la capacité de l'Union Indienne à surmonter les divisions qui, de temps à autres, paraissent menacer son unité.
Il en va tout autrement, naturellement, de ses relations avec le Pakistan et de leur incidence sur la situation au Cachemire.
Malgré les trois guerres entre l'Inde et le Pakistan, dont le Cachemire a été l'enjeu et le théâtre en 1948, 1965 et 1971, aucune solution négociée n'a pu mettre fin aux hostilités larvées, qui opposent militants cashemiris et armée régulière, depuis 1989.
L'État de Jammu et Kashmir, rattaché à l'Inde en 1947, conformément au choix du Maharadjah du Cachemire, regroupe, en fait, trois composantes :
- le Jammu à majorité hindoue ;
- le Cachemire à majorité musulmane ;
- le Laddakh à majorité bouddhiste.
Le Pakistan, invoquant les résolutions des Nations Unies, demande qu'un référendum soit organisé pour décider du sort de la partie à majorité musulmane et exige le retrait des troupes indiennes. L'Inde estime que les résultats des consultations électorales organisées dans cet État ont validé la politique du Gouvernement indien et rendent un référendum inutile.
La guerre qui oppose depuis 1989 les rebelles cashemiris aux forces armées indiennes a fait plusieurs dizaines de milliers de morts. L'Inde accuse le Pakistan de soutenir le mouvement séparatiste et refuse de se prêter à des concessions qui risqueraient d'attiser des revendications séparatistes dans d'autres parties de l'Union.
Le conflit a un coût élevé. Il oblige les deux pays à un effort militaire qui grève leur budget. L'Inde consacre environ 2,5 % de son PIB au développement de son appareil militaire et le Pakistan 7,5 %. En 1994, le budget militaire indien s'est élevé à 7,3 milliards de dollars.
Aucun dialogue véritable n'a pu être établi entre les deux pays depuis le retour au pouvoir de Mme Benazir Butto. Islamabad subordonne le rétablissement des relations à la solution de la question du Cachemire. L'Inde entend, aujourd'hui, faire porter le dialogue sur l'ensemble des problèmes.
Le Pakistan encourage militairement l'insurrection au Cachemire et s'est efforcé d'y contrarier le déroulement du processus électoral, craignant que celui-ci ne facilite le retour des mouvements séparatistes, dans le giron de l'Union.
Le retombées négatives du conflit sont pourtant évidentes pour les deux pays. Elles ne freinent pas seulement de développement économique du sous-continent, elles contribuent à son isolement diplomatique. C'est ainsi que l'ASEAN refuse d'accueillir dans ses rangs l'Inde qui le souhaite, de crainte des tensions qui ne manqueraient pas d'en résulter avec le Pakistan.
Les troubles au Cachemire gênent le développement économique dans la région, rendant les investisseurs étrangers méfiants et empêchant le Gouvernement de se concentrer sur des questions plus constructives, telles que procurer une meilleure éducation et résorber la pauvreté.
Bien plus, la publicité internationale faite sur la violence au Cachemire est préjudiciable aux deux nations.
Les coûts immatériels qui en résultent sont peut-être même plus élevés que le montant chiffrable des dépenses militaires.
Un troisième effet négatif du conflit indo-pakistanais est son impact sur la coopération économique régionale. Dans plusieurs parties du monde développé, des efforts sont faits pour constituer des zones élargies de libre-échange, dans la zone Asie pacifique et en Amérique latine notamment, avec à la clé la progression des investissements et de la croissance. L'association du Sud asiatique pour la coopération régionale (SAARC), constituée voici dix ans. a constaté que peu de progrès dans cette voie avait été réalisé, en partie à cause de la tension entre l'Inde et le Pakistan.
Il y a là une grande différence avec la Chine, qui malgré son différend avec Taïwan, n'a pas hésité à faire largement appel aux investisseurs taiwanais, qui ont joué un rôle de premier plan dans le succès de la politique d'ouverture chinoise.
CHAPITRE V LA PLACE DE LA FRANCE
La France est avec les importations et les exportations le 8ème partenaire de l'Inde, loin derrière les États Unis (9,5 % des importations, 19,8 % des exportations de l'Inde) ; l'Allemagne (7,8 % des importations, 7,2 % des exportations) ; le Japon (7,8 % des importations, 8,4 % des exportations) et le Royaume Uni (7 % des importations et 6,7 % des exportations indiennes).
Nos positions se sont dégradées tant en chiffres absolus (nos exportations sont tombées de 7 à 5,2 milliards de francs entre 1989 et 1995) qu'en parts de marché : nos exportations n'ont augmenté que de 3,7 % en 1994 alors que les importations indiennes augmentaient de 8 %. Encore convient-il d'ajouter que le solde de nos échanges qui avait été positif de 1983 à 1991 est devenu négatif à compter de 1992. En 1995, le déficit commercial atteignait 526 millions de francs, soit un taux de couverture de 89 %. Un an plus tard, il n'était plus que de 264 millions de francs, soit un taux de couverture de 95 %.
Le graphique et le tableau ci-dessous retracent ces données.
« ÉVOLUTION DES ÉCHANGES FRANCO-INDIENS »
La répartition des échanges franco-indiens est caractéristique des relations entre un pays développé et un pays en voie de développement rapide. La France enregistre des excédents significatifs sur les biens d'équipements professionnels et les produits intermédiaires, respectivement 2,7 et 0,468 milliards de francs.
En revanche, l'Inde enregistre un important excédent pour les biens de consommation (le textile-habillement a représenté 49 % des exportations en 1994 et les produits agroalimentaires 14 %).
Le tableau ci-dessous résume les principaux éléments relatifs à la ventilation sectorielle des échanges franco-indiens.
VENTILATION COMPARÉE DES ÉCHANGES FRANCO-INDIENS EN 1994 DONNÉES CAF/FAB (en millions de francs et en %)
I. LA PART MODESTE DE LA FRANCE DANS LES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS EN INDE
L'accroissement progressif du volume des investissements étrangers en Inde est l'une des preuves de l'ouverture du pays et de son intégration aux échanges internationaux. Alors que le montant annuel moyen des investissements étrangers n'excédait pas 10 millions de dollars entre 1979 et 1989, le flux annuel de ces investissements est passé à 140 millions de dollars entre 1989 et 1990.
L'abolition progressive des dispositions du Foreign exchange Regulation act (1973), qui plafonnait les investissements étrangers à 40 % du capital des sociétés, traduit la fin du système dans lequel les pouvoirs publics subordonnaient strictement l'investissement étranger au transfert de technologie. Si cette préoccupation reste présente, les autorités indiennes ont souhaité, à partir de 1992, que les investissements directs étrangers participent au développement général de l'économie et notamment au financement des infrastructures.
Leurs efforts n'ont été jusqu'ici, il faut le souligner, que partiellement couronnés de succès et des améliorations restent à apporter au droit indien des sociétés. Ainsi, bien que la banque centrale se soit déclarée disposée à autoriser de façon quasi-automatique la vente des titres des minoritaires étrangers à un résident en Inde, le respect de conditions très strictes est exigé. Le prix doit en effet correspondre au plus faible des montants qui correspondent soit au prix de marché, à la moyenne des cours de bourse durant le mois précédent, soit au prix de cession souhaité par l'actionnaire étranger. Cette réglementation fragilise donc la position du vendeur qu'elle incite, en pratique, à conserver ses titres, et induit une incertitude quant au cours auquel les titres sont cédés.
Les investissements réalisés restent, au demeurant, largement intérieurs au montant des investissements autorisés.
Sur 4.999 millions de dollars d'investissements autorisés en 1995, 1.517 seulement ont été réalisés, soit tout de même dix fois le total déteint en 1991.
LES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS EN INDE
La part de la France, dans ce total, reste très modeste (83 millions de francs en 1995) même si elle est en augmentation.
INVESTISSEMENT DIRECT FRANÇAIS (IDF) EN INDE
Cette situation traduit une stagnation de la position française. Paradoxalement, elle a même été meilleure en 1989, c'est-à-dire avant l'ouverture, que depuis l'engagement des réformes.
Les premiers investisseurs étrangers en Inde sont les Indiens non résidents dont l'apport en capitaux s'est élevé à 720 millions de dollars entre 1992 et 1995, soit 31,6 % des investissements totaux. Les États-Unis occupent la première place en termes d'autorisations d'investissements (35 % en moyenne de 1975 à 1993) et la seconde place en termes d'investissements réalisés, soit 323 millions de dollars de 1992 à 1995.
Avec seulement 1,5 % des investissements effectivement réalisés, la France est à égalité avec Singapour.
ORIGINE DES FLUX D'INVESTISSEMENT DIRECT ETRANGER (IDE) EN INDE (Investissements autorises)
Les infrastructures (télécommunications, raffinage, électricité) et les industries à forte intensité capitalistique, telles que la métallurgie, la chimie et le matériel de transport, représentent respectivement 27 % et 26 % des autorisations d'investissement. Compte tenu des délais de réalisation de tels investissements lourds, il n'est pas surprenant que les flux effectifs soient en retrait par rapport aux autorisations délivrées.
Entre août 1991 et septembre 1994, une centaine de grandes sociétés étrangères ont été autorisées à ouvrir des filiales en Inde. On note parmi celles-ci Fujitsu. Bell téléphone south, Sony, Peugeot, Mercedes Benz, Kelloggs, Mc Donald's, Coca Cola. Dans le secteur des services financiers, on relève l'installation de Morgan Stanley, J.P. Morgan et Barings. Au total, on dénombre environ 1.500 joint-ventures avec prise de participation étrangère, dont 1.000 pour les États-Unis.
Quant à la France, c'est dans le secteur des biens d'équipements professionnels que se situent ses principaux investissements ou réinvestissements : GEC-ALSTHOM, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain. Schlumberger, Air Liquide figurent parmi les entreprises les plus présentes. Mais on relève également l'implantation d'entreprises françaises du secteur de la santé, telles Boiron, Garnier, Griffon, Pasteur-Mérieux et Roussel-Uclaf, l'Inde étant le premier marché homéopathique mondial.
Notons, enfin, qu'un quart des entreprises françaises implantées en Inde sont des PME.
II. LES CONTENTIEUX FRANCO-INDIENS
Parmi les diverses raisons qui expliquent le retard de ces entreprises en Inde, il en est une qu'il faut signaler plus particulièrement parce qu'elle a pesé sur les relations entre les deux pays, a savoir les contentieux qui ont posé quelques problèmes à deux grandes entreprises françaises.
En 1986, la société Spie Batignolles a signé, par l'intermédiaire de sa filiale SPIE CAPAG, et en association avec deux industriels japonais, un contrat pour la construction du barrage de Hazira-Bijaipur-Jagdishpur ou HBJ. Ce barrage était également destiné à supporter le gazoduc reliant le nord de Bombay à New-Delhi. Diverses difficultés débouchèrent en 1990 sur un contentieux portant sur plusieurs centaines de millions de dollards.
Un autre litige a paralysé Dumez et un consortium de six entreprises françaises, comprenant des filiales d'Alcatel-Alsthom, de la Générale des Eaux, et de Lafarge Coppée engagées dans la construction du barrage de Dul Hasti. Il s'agissait de participer à la réalisation d'un barrage situé à proximité de la ville de Jammu, au Cachemire. Compte tenu de la situation insurrectionnelle au Cachemire, les travaux durent être suspendus. Les sociétés françaises ont connu des difficultés sérieuses pour régler les modalités du départ de leur personnel.
Plusieurs exemples témoignent, a contrario, de la réussite de la coopération industrielle entre l'Inde et la France.
III. LES COOPÉRATIONS RÉUSSIES
La coopération franco-indienne s'est développée de façon satisfaisante dans les télécommunications, le secteur de l'eau, celui de l'automobile, de l'agroalimentaire et de l'énergie.
Peugeot a conclu avec le constructeur indien. Premier Automobile Limited (PAL) , un joint venture, PAL-Peugeot Ltd. dont l'usine est située à Kalyan, au nord de Bombay. L'objectif des associés est de livrer 60.000 véhicules par an en 1997. L'usine de Kalyan produit à la fois la 309 Peugeot et un véhicule né d'un accord précédemment passé avec Fiat et Nissan. Le montant total du projet est d'environ 1 milliard de francs. Il a été, dans une large mesure, financé par un appel à l'épargne publique, à la bourse de Bombay.
Votre commission, qui a visité l'usine de Kalyan, a pu constater les efforts remarquables actuellement conduits par la firme française pour en accroître la productivité.
Dans le secteur de l'agro-alimentaire, Danone collabore avec l'industriel Nusli Wadia. Le groupe français détient, grâce à sa filiale britannique, une participation majoritaire dans le premier producteur de biscuits indien, Britania. Danone a également obtenu du Foreign Investment Promotion Board l'autorisation de créer en Inde une filiale à 100 % Danone India Ltd.
Electricité de France entretient depuis 1980 des relations suivies avec des sociétés indiennes de son secteur, notamment en matière d'hydroélectricité et d'environnement. La société a ouvert un bureau de liaison à Delhi, afin d'être mieux à même de bénéficier des opportunités que créée le développement rapide du secteur énergétique indien. EDF devrait participer au développement du projet de centrale à charbon de Bhadravati, d'une puissance de 1000 MW, en collaboration avec l'indien ISPAT et le britannique GEC. E.D.F. est à la fois investisseur pour 15 % dans le financement du projet, consultant technique et responsable de l'exploitation. La société étudie, dans plusieurs États indiens, la possibilité de moderniser et de gérer la distribution d'électricité, et pourrait participer aux appels d'offres lancés par les pouvoirs publics dans ce secteur.
Dans le domaine des infrastructures, les perspectives sont largement ouvertes. Ainsi, par exemple, votre délégation a été informée, lors de son étape au Bengale occidental, du projet de coopération entre le Port de Calcutta et les autorités du Port de Bordeaux, en vue d'établir des relevés hydrographiques, et d'améliorer le dragage du port indien grâce à des équipements modernes. Dans ces domaines, le port de Bordeaux apporterait son assistance technique au port de Calcutta. Après l'accord donné par les pouvoirs publics indiens, les deux parties en sont au stade des lettres d'intention. Si les négociations aboutissent, le port de Calcutta pourra bénéficier de technologies de pointe dans des domaines où la France a acquis une grande expérience.
IV. LES SPÉCIFICITÉS DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE
•
Les Alliances Françaises
L'alliance française dispose de 15 centres en Inde. Elle est présente dans 9 des 25 États et 3 des 7 territoires de l'Union.
Les Alliances comptent 200 professeurs et dispensent des cours à environ 20.000 étudiants, qui sont, pour la plupart, des jeunes gens souhaitant améliorer leur qualification -et leur salaire- grâce à la connaissance d'une langue étrangère. Il convient de préciser que le français est une langue recherchée par les jeunes Indiens, car elle ouvre des débouchés professionnels non seulement dans les entreprises françaises installées en Inde, mais dans les pays francophones tels le Canada. Or, les établissements scolaires indiens enseignent peu le français. Le rôle des alliances françaises est donc stratégique pour le rayonnement de la langue et de la culture françaises. Plusieurs États de l'Union dépourvus d'alliances françaises ont demandé à en être dotés. Il en va ainsi de l'Utar Pradesh, par exemple, dont la taille justifierait à l'évidence un effort particulier.
Les activités de l'Alliance française s'étendent à l'organisation de manifestations culturelles telles que des conférences, des concerts et des expositions. Votre délégation tient à attirer l'attention sur l'impact potentiel de développement ouvert à notre langue, dans un pays largement anglophone, où le français est la deuxième langue étrangère enseignée après l'anglais.
La mission d'information insiste auprès des pouvoirs publics pour que l'effort budgétaire en faveur des alliances françaises qui constituent des relais essentiels pour la présence de notre pays en Inde, soit activement poursuivi.
•
La présence française
à Pondichéry
Lorsqu'elle s'est rendue à Pondichéry, la mission a pu constater l'empreinte laissée sur la « ville blanche » par son passé français.
Siège de la Compagnie des Indes orientales à partir de 1664, puis chef-lieu des établissements français de l'Inde, Pondichéry bien qu'occupée à plusieurs reprises par les Anglais a été restituée à la France au début du siècle dernier. Le drapeau français a flotté sur Pondichéry jusqu'en 1954, date à laquelle le territoire a été rendu à l'Union indienne, comme les établissements de Karikal, Yanaon et Mahé, « Fenêtre ouverte sur la France », selon le souhait de Nehru, Pondichéry accueille la plus importante communauté française installée en Inde et concentre l'essentiel de l'effort financier lié à la présence française.
Deux établissements de grand prestige installés sur le territoire concourent au rayonnement de la France en Inde. L'Institut français de Pondichéry (IFP), créé en 1955 a pour objet d'étudier la civilisation, l'histoire et la société indiennes et d'établir des liens entre les communautés scientifiques indiennes et françaises. Organisé en trois départements (écologie, indologie, sciences sociales), il a lancé de nombreux programmes interdisciplinaires en coopération avec les universités et les établissements scientifiques et techniques français et indiens, ainsi qu'avec les organismes internationaux tels que l'UNESCO et la FAO. L'Institut qui emploie 75 personnes (80 % d'Indiens et 20 % de Français) est essentiellement financé par le ministère français des Affaires étrangères.
L'École française d'Extrême-Orient, dont l'origine remonte à 1898 a pour double mission de travailler à l'exploration archéologique et de contribuer à l'histoire de toutes les civilisations asiatiques. D'abord établie au Vietnam, elle s'est installée à Pondichéry en 1955. Depuis cette époque, les programmes sont conduits en étroite collaboration avec ceux de l'Institut Français de Pondichéry.
Il convient de se féliciter du rôle joué par ces établissements dans la recherche scientifique. Avec l'Alliance française, ils contribuent, en outre, à la diffusion de la langue française, qui est la deuxième langue officielle de Pondichéry après le Tamoul, mais n'est guère enseignée dans les écoles indiennes.
Compte tenu de la situation spécifique de Pondichéry, on ne peut que soutenir l'effort effectué pour la poursuite des missions dont s'acquittent remarquablement nos grands établissements.
Cependant, cela ne saurait suffit pour permettre à la France d'affirmer sa présence en Inde.
Cela d'autant que des opportunités économiques existent dans la région, et notamment dans l'État voisin du Tamil Nadu dont la capitale, Madras, jouit d'un grand potentiel industriel. Les grandes compagnies américaines, allemandes et japonaises y sont déjà implantées, dans les secteurs de l'automobile, de la mécanique et de l'électronique, par exemple.
Le soutien aux activités économiques doit constituer pour la France un relais nécessaire à son action dans le domaine culturel.
• Les affinités culturelles et
scientifiques
Depuis l'accession de l'Inde à l'indépendance, la France a eu, à l'égard de la politique menée par Nehru et ses successeurs, des positions qui ont favorisé le renforcement des liens entre les deux pays.
La France, compte tenu de sa propre attitude vis-à-vis des superpuissances, ne pouvait que comprendre la volonté du Gouvernement indien de prendre la tête des pays non alignés.
Notre pays bénéficie en Inde d'un coefficient de sympathie particulier, en raison de l'adhésion à des valeurs communes de civilisation : même idéal démocratique, même attachement aux libertés publiques et même considération pour la culture. Au respect de la liberté de pensée à laquelle est attachée la France, correspondent les valeurs de tolérance et la spiritualité des Indiens.
Sur le plan scientifique, la France et l'Inde ont mis en oeuvre des coopérations qui remontent elles aussi à l'indépendance. D'abord axées sur l'énergie nucléaire, elles se sont développées également dans le domaine de l'astro-physique et de la recherche spatiale, sans parler des sciences humaines auxquelles se consacrent les grands établissements de Pondichéry.
CONCLUSION LE PARI INDIEN
En optant pour l'économie de marché, en démantelant les contrôles bureaucratiques qui paralysaient son économie, en s'ouvrant aux importations et aux investissements étrangers, l'Inde a rejoint, sans les avoir encore égalés, ses voisins asiatiques dans l'attrait qu'ils exercent sur l'Occident et le Japon.
Autant que la Chine, elle marquera de son empreinte le destin de l'Asie au XXIème siècle, autant que sa rivale elle offre aux entreprises françaises un champ d'action quasi illimité.
Mais dès lors qu'il s'agit d'engager à long terme capitaux, technologies et hommes, il convient de s'interroger, au-delà des perspectives économiques du proche avenir, sur la pérennité des politiques, la stabilité du corps social, la sécurité des investissements et des personnels, les garanties juridiques offertes, bref sur les risques de ce qui constitue forcément un pari.
Evaluer ce « country risk » selon l'expression des consultants anglo-saxons est un exercice difficile et aléatoire. Il l'est toujours et partout. Mais il l'est devenu plus encore, concernant l'Inde, depuis les dernières élections qui projettent sur l'avenir du pays des interrogations et des incertitudes nouvelles.
L'Inde est un des pays ethniquement, religieusement et culturellement les plus composites de la planète. Diversité que le système des castes accentue et que la misère d'un grand nombre peut un jour ou l'autre rendre explosif.
Le parti du Congrès avait réussi, porté par le prestige que lui conterait l'indépendance arrachée à l'Angleterre, et sous l'impulsion de ses fondateurs, Gandhi et Nehru, à rassembler sous la bannière d'une seule formation, dirigée par des Brahmanes, une large fraction des castes inférieures, y compris des intouchables, ainsi que la minorité musulmane qui se sentait protégée. Une politique résolument laïque, une attitude de tolérance raciale et religieuse, un accès aux emplois publics garanti aux couches les plus défavorisées par un système de quotas, ont efficacement assuré la cohésion du pays depuis un demi siècle.
Cette architecture politique, les élections de mai 1996 viennent de la mettre à mal de deux façons : d'une part en consacrant l'ascension politique du nationalisme hindou, d'autre part en accentuant les clivages entre castes et classes.
Les élections interviennent cinq ans après le lancement d'une politique économique qui tourne le dos au socialisme nehruvien, emporté par son propre échec. Dans un continent dont l'expansion, avoisinait ou dépassait 10 % par an. le taux de croissance indien de 3 % à 4 % était devenu intenable. L'Inde, dont le principal partenaire économique, l'Union Soviétique, avait implosé, n'eut pas d'autre choix que de s'aligner sur ses voisins et concurrents dont la réussite spectaculaire mettait en évidence son propre insuccès.
Le grand mérite de Narashimha Rao a été de l'avoir compris et d'avoir mis en oeuvre, avec un habile mélange de détermination et de prudence, une politique de libéralisation et d'ouverture dont les résultats positifs se sont fait assez rapidement sentir et dont les grandes lignes sont désormais acceptées par tous.
Mais le changement de politique économique, malgré le consensus qu'il a recueilli, n'a pas fait que des heureux. L'expansion en s'accélérant a, en Inde comme ailleurs, accentué les inégalités, cependant que la réduction du déficit budgétaire entraînait celle des avantages sociaux. De sorte que les couches défavorisées se sont senties délaissées et ont cherché protection auprès de partis régionaux ou de formations politiques faisant appel aux solidarités de caste ou de classe. Une réaction inverse a conduit les Brahmanes, notamment dans les régions en développement de l'Ouest et du Nord, à se détourner du Congrès et à se rallier au Parti du Peuple Hindou (B.J.P.) dont l'attachement aux valeurs hindoues et le nationalisme économique leur ont semblé plus proches de leurs aspirations et plus conformes à leurs intérêts.
Ces tendances, jointes aux erreurs tactiques de Narashimha Rao, aux divisions internes qui minaient de longue date le Congrès et aux scandales financiers qui ont terni son image, rendaient sa défaite inévitable. Elle était attendue et n'a guère dépassé les projections pré-électorales. Mais si elle bouleverse en profondeur le jeu politique, tout indique qu'elle ne remettra pas en cause les orientations de la politique économique et financière.
Le principal changement, dans l'immédiat, vient de la difficulté qu'il y aura à dégager une majorité de Gouvernement stable. Trois partis ou groupes se partagent, en effet, presque à égalité, les 545 sièges de la chambre basse. Le B.J.P. avec 165 sièges est arrivé en tête, suivi par un conglomérat de 140 députés où voisinent des élus du parti communiste et des formations régionales. Le Congrès est arrivé en dernier avec 135 parlementaires. De sorte qu'il faudra, pour gouverner, réunir une coalition dont la direction ne reviendra pas forcément à la formation la plus nombreuse, mais à celle qui, par sa position sur l'échiquier, sera la plus capable de rassembler une majorité.
Le Bharata Janata-Party B.J.P., dont le nationalisme anti-musulman fait peur, n'était pas de ce point de vue le mieux placé. L'éphémère Gouvernement de M. Atal Behari Vajpayee n'a effectivement pas été en mesure d'obtenir le soutien d'une majorité. L'alliance entre la « troisième force » fédérant le centre gauche et le Congrès apparaissaient dans ces conditions comme la plus probable.
L'incapacité du B.J.P. à prendre aujourd'hui les commandes du pays ne signifie pas que la droite nationaliste hindoue cesse d'être une force politique majeure en Inde. Elle puise ses racines dans l'histoire lointaine du sous-continent marquée par des invasions successives de plusieurs souverains musulmans venus d'Asie centrale et d'Afghanistan et qui imposèrent leur domination brutale à la majorité hindoue.
Aujourd'hui, les Hindous ont le sentiment que Nehru et le Congrès les ont frustrés pour des raisons politiques de la revanche que l'Histoire pouvait leur donner, dans le seul but de s'assurer les voix des musulmans. Le BJP a engrangé les fruits de ces frustrations. Fondé au début des années 50, il a fait jouer le réflexe identitaire de l'hindouité et le désir de revanche sur six siècles de régime musulman et sur un siècle de « Raj » Britannique. N'obtenant que deux sièges aux élections de 1984, il a depuis lors su s'affirmer comme un parti politique à part entière, en s'attachant à défendre les valeurs culturelles hindoues, dans un monde en pleine évolution, contre la contagion de la société de consommation occidentale.
Il n'en demeure pas moins que le « Front uni » qui fédère les forces de centre gauche, défend, en dépit de la diversité de ses composantes, des valeurs communes telles que la laïcité, la tolérance, la coexistence harmonieuse des communautés et le progrès économique qui lui ont permis finalement de former une majorité de Gouvernement.
Fort de l'appui de cette coalition, M. Deve Gowda qui vient d'être choisi comme Premier ministre, incarne en même temps que la rupture avec ses onze prédécesseurs, la volonté de poursuivre dans la voie du mouvement et de la modernité. Jusqu'ici, ministre en chef du Karnataka, qui représente avec Bengalore la vitrine technologique de l'Inde, il est partisan d'un pouvoir économique accru des États et a misé, dans le sien, sur l'appel aux investissements étrangers, en privilégiant le développement des infrastructures. Le soutien du Congrès devrait lui permettre de réussir le passage d'une expérience locale à la responsabilité des affaires du pays.
Rappelons que ce n'est pas la première fois que l'Inde sera dirigée par un Gouvernement de coalition. Elle en avait fait l'expérience au milieu des années 1980 après l'échec électoral des d'Indira Gandhi et de nombreux États ont dû s'engager dans la même voie. Mais ces expériences ont été le plus souvent de courte durée et n'ont pas laissé de bons souvenirs. Aussi l'Inde entre-t-elle probablement dans une phase d'instabilité gouvernementale, qui débouchera tôt ou tard sur des élections anticipées.
La perspective est peu réjouissante. Mais il n'y a pas lieu d'en attendre de changement d'orientation dans la politique économique. Ni l'option libérale, ni l'ouverture aux capitaux étrangers, ni la politique d'assainissement financier ne paraissent menacées même si, comme l'hypothèse en est envisagée, la direction du Gouvernement revenait à une personnalité communiste. Dans les États que le parti dirige - Bengal oriental et Kérala - il a aligné sa politique économique sur celle de Delhi et ses « Chief Ministers » ne sont pas les derniers à courtiser les investisseurs étrangers, allant jusqu'à leur promettre un comportement « responsable » des syndicats qui gravitent dans la mouvance de leur parti.
La continuité de la politique économique paraissant assurée, l'appréciation du « contry risk » indien se ramène à une interrogation, il est vrai, fondamentale sur la stabilité du corps social et l'unité du pays. Question qu'on peut formuler en ces termes : les tensions qui caractérisent les rapports entre communautés religieuses et ethniques, celles qui opposent castes et classes font-elles, à moyen terme, courir à la paix civile et à la cohésion nationale un risque plus grand que dans les autres pays d'Asie, en Chine par exemple ?
La réponse, pour aléatoire qu'elle soit, est probablement négative. On aurait tort, en effet, de tirer des violences et des massacres qui, de l'indépendance à la destruction des sanctuaires d'Amristar et d'Ayodia, ont ensanglanté le pays, la conclusion que l'Inde est congénitalement instable et fragile.
Ce qu'il y a de remarquable dans l'histoire de l'Inde contemporaine, ce ne sont pas tant les affrontements qui l'ont ponctuée, que la capacité du pays et de ses dirigeants à rétablir le calme après la tempête, à résorber les poussées de violence, à instaurer entre communautés, dans un contexte d'extrême pauvreté, une coexistence qui, en dehors de dramatiques mais brèves éruptions, est resté marquée du sceau de la tolérance et de la convivialité. D'autres parties du monde, comme les Balkans, pourraient utilement s'inspirer de son exemple.
On se tromperait tout autant si on sous-estimait le ciment que constitue l'adhésion à une civilisation ancienne, originale et puissante ou si l'on négligeait la force d'une hindouité qui, au-delà des clivages, rassemble l'immense majorité et fonde un nationalisme que le temps ne cesse de renforcer.
L'Inde n'est pas un pays instable ou menacé d'éclatement. Elle est la plus grande des démocraties multi-culturelles et pluri-religieuses du monde. C'est la liberté qui lui donne le visage de la fragilité. Visage trompeur car, en permettant aux différences de s'exprimer, elle les amène à s'accepter. La stabilité à long terme dont la démocratie jette les bases pourrait s'avérer plus durable et garantir à l'Inde un avenir plus sûr que les régimes autoritaires n'en réservent à certains de ses voisins.
Si le risque politique ou social n'est pas plus grand en Inde que dans le reste de l'Asie, les perspectives de rentabilité offertes aux investissements y sont-elles aussi brillantes et attractives ?
Mesuré à l'aune des taux de croissance, il est certain que les 6 à 7 % réalisés par l'Inde font pale figure au regard des performances de la Chine ou du sud-est asiatique. Mais la modération en la matière a le mérite de limiter les risques de tension. Contrairement à la Chine dont l'inflation s'est envolée au dessus de 20 %, celle de l'Inde, après un pic à 11 %, devrait être ramenée aux environs de 7 % en 1996.
Elément essentiel du succès économique, les investissements directs étrangers y connaissent une progression significative, passant d'environ 200 millions de dollars en 1990 à 1,3 milliard de dollars en 1994-95. Il est vrai que sur ce chapitre comme sur d'autres, l'Inde reste loin derrière la Chine. Mais le départ est pris, le champ est immense et le recours aux capitaux étrangers s'avérera d'autant plus nécessaire que le taux d'épargne de l'Inde, obéré par un lourd endettement public, reste, avec 23 % du P.I.B., nettement inférieur à celui de ses voisins.
Ce qui distingue le plus, en définitive, l'Inde économique de ses compétiteurs asiatiques, ne tient pas à quelques points de croissance en plus ou en moins, ni à telle caractéristique de sa législation ou à telle particularité de son organisation administrative et sociale. C'est la date tardive à laquelle sa nouvelle politique économique a été lancée. L'Inde est entrée dans la course à l'économie de marché dix huit ans après la Chine. Le retard est considérable. Il se fait sentir dans tous les domaines, du niveau de vie à l'état des infrastructures, du montant des investissements étrangers, au dynamisme des exportations.
La tortue indienne rattrapera-t-elle le lièvre chinois ? L'avenir le dira. Ce qui est certain, c'est que l'Inde offre aux entreprises françaises un vaste champ d'expansion qu'elles auraient grand tort d'ignorer ou de sous-estimer.
D'autant qu'elles sont attendues à bras ouverts dans un pays qui ne souhaite pas tomber sous la coupe du capitalisme américain.
Encore faut-il que la France sache préserver les rapports d'amitié qu'elle a noués avec l'Inde depuis un demi-siècle. Notre politique d'indépendance, nos efforts en direction du tiers monde, notre culture et notre langue nous valent un capital de sympathie sur lequel il est facile de bâtir. À condition de le vouloir, Ceci implique que Paris ne compromette pas durablement ses relations avec New Delhi par des fournitures d'armes sophistiquées au Pakistan. L'Inde, toutes tendances politiques confondues, ne comprendrait pas que la France, pour tenter de surmonter la crise que traverse son industrie militaire, exacerbe la course aux armements entre deux pays pauvres qui ont mieux à faire de leurs maigres ressources.
En axant sa politique dans le sous-continent indien, sur la recherche de débouchés militaires à court terme, la France se mettrait en contradiction avec les ambitions asiatiques que le Président de la République a fort justement affichées lors du récent sommet euro-asiatique de Singapour. Le poids actuel et surtout futur de l'Inde dans le monde, les valeurs de civilisation dont elle est porteuse, le régime démocratique qu'elle s'est donné presque seule dans le tiers monde, doivent inciter la France à faire de ce pays immense et prometteur un partenaire privilégié en Asie.
ANNEXE PROGRAMME DE LA MISSION
Samedi 17 février : Départ de Paris
Dimanche 18 février :
• Matin
Arrivée à Delhi
Accueil par l'Ambassadeur, le ministre Conseiller et le conseiller
commercial
Lundi 19 février :
•
Matin
Prise de contact avec
l'Ambassadeur et les Chefs de service de l'Ambassade de France
• Après-midi
Entretien avec
M. K.R. NARAYANAN, Vice-Président de l'Union et Président du
Rajya Sabha (Chambre haute du Parlement indien)
Réception offerte par le groupe MITAL
Dîner offert par le ministre-Conseiller
Mardi 20 février :
• Matin
Entretien avec le Dr Manmohan
SINGH, ministre des Finances
Déjeuner de travail offert par le Conseiller économique et commercial, et la section « Inde » des Conseillers du Commerce extérieur
•
Après-midi
Entretien avec
M. P. CHIDAMBARAM, ministre délégué au Commerce
Réception offerte par M. Binay KUMAR (Indo-French Chamber of Commerce)
Mercredi 21 février :
•
Matin
Entretien avec M. Atal
Bihari VAJPAYEE, Chef du parti nationaliste hindou (BJP) au lok Sabha (Chambre
basse),
Réunion de travail avec Mme M. CHANDRASEKHAR, Présidente de la commission des Finances du Lok Sabha et une délégation de cette Commission
Entretien avec M. Mukhergee, ministre des Affaires extérieures
Déjeuner de travail offert par M. H.S. SINGHANIA, Ancien Président de l'ASSOCHAN (Fédération indienne des Chambres de Commerce et d'Industrie)
• Après-midi
Entretien avec
M. Jaswant SINGH, Vice- Président du parti nationaliste hindou
BJP
Conférence de Presse à l'Ambassade
Jeudi 22 février Déplacement à Agra
Vendredi 23 février :
• Matin
Départ pour
Calcutta
• Après-midi
Entretien avec
M. Raghunath REDDY, Gouverneur du Bengale occidental
Entretien avec M. Somnath CHATTERJEE Président de la West Bengal Industrial Corporation
Réunion de travail suivie d'un dîner avec le Chapitre de Calcutta de l'Indian Chamber of Commerce
Samedi 24 février :
• Matin
Visite du centre
Ramakrishna
• Après-midi
Visite du
Victoria Mémorial Hall
Visite de l'Indian Museum
Dîner offert par Mme Marie-Claude NEDELEC, Consul de France
Dimanche 25 février :
• Matin
Départ pour Madras
Arrivée à Madras aéroport « Annah » et accueil par le Consul général
Visite du site de Mahabalipuram
• Soirée
Dîner avec des
représentants du monde des affaires organisée par Monsieur Deepak
BANKER, Consul honoraire de France, Président de la
Fédération of Indian Chamber of Commerce and Industry (FICCI)
Lundi 26 février :
• Matin
8 heures 30 Départ pour Pondichéry
Déjeuner de travail avec les délégués du Conseil supérieur des Français de l'étranger, un groupe d'Indianistes, et des entrepreneurs français.
• Après-midi
Visite au lieutenant Gouverneur, Mme BAJPAI et au Chief Minister. M. VAITHILINGAM
Visite de l'Institut français de Pondichéry, INFP Visite de l'École française d'Extrême Orient, l'EFEO
Dépôt d'une gerbe au monument aux morts
• Soirée
Retour à
Madras
Mardi 27 février :
•
Matin
Départ pour Bangalore
Visite de l'usine Titan Watches Déjeuner avec M. Xerxes DESAI, Managing Director
•
Après-midi
Rencontre avec
M. C. GOPAL REDDY, Chairman du KARNATAKA STATE INDUSTRIAL & INVESTMENT
CORPN (KSII DC)
• Soirée
Dîner offert par
le Consul général à Bombay
Mercredi 28 février :
•
Matin
Départ pour Bombay
puis Kalyan Visite des usines PAL-PEUGEOT de Kalyan Déjeuner offert par
M. J. MANLAY, directeur
•
Après-midi
Retour à
Bombay
•
Soirée
Rencontre avec les
hommes d'affaires français de Bombay
Jeudi 29 février :
• Matin
Départ pour Puna
Visite des usines FORBES-MARSHALL, (fabrique d'équipements de chaudières)
Déjeuner offert par M. Darius FORBES, Chairman
• Après-midi
Visite de
l'University Center for Astronomy & Astrophysics (UCAA) Entretien avec
M. Jayant NARLIKAR, Directeur
• Soirée
Rencontre avec le TOP
MANAGEMENT CLUB et M. Babri MALHOTRA, Président
Dîner offert par M. FOSSARD, Directeur de l'Alliance française de Puna
Vendredi 1er mars :
• Matin
Départ en bus pour
Bombay
• Après-midi
Réunion de
travail avec les représentants des entreprises françaises
• Soirée
à la
Résidence du Consul général de Bombay
Samedi 2 mars : Retour à Paris
* 1 Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy. Gérard César, Louis Minetti, vice-présidents Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé. Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jean Puech, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudiére, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan. René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet. Jean-Pierre Vial.
Inde - Rapports d'information.
* 2 United nations industrial development organization, India, Towards globalisation, p. 16.
* 3 The Economisa 21 janvier 1995.
* 4 In « L'Economie indienne en 1995 ». op. cit., page 13.
* 5 Un ménage indien compte, en moyenne, entre 5 et 6 personnes, contre 4 en Chine.
* 6 Cf J.A. Bernard : « L'Inde : le pouvoir et la puissance ». p. 113.
* 7 Cf J.A. Bernard : « L'inde : le pouvoir et la puissance », p. 113.
* 8 En 1994, avec une dette de 91 milliards de dollars, l'Inde occupait le 4e rang de l'endettement mondial.
* 9 Jackie Assayag « The making of democraticinequality » Caste, class. Lobby and Politics in Contemporary India, Pondy papers in social Sciences, n° 18, page 55