La sociétisation ne saurait s'envisager qu'avec l'Etat comme actionnaire majoritaire : l'entreprise doit rester une entreprise publique
Capitalisation n'est pas privatisation.
En 1937, sous le Gouvernement dit de Front populaire, les
différentes compagnies ferroviaires existantes ont été
nationalisées et regroupées dans une société
anonyme créée à cette occasion, la Société
nationale des Chemins de Fer (SNCF) dans laquelle ces compagnies conservaient
49 % du capital, l'Etat détenant 51 %.
La SNCF a conservé son statut de société anonyme de 1937
à 1983. Pendant tout ce temps, - 45 ans !- nul n'a jamais
prétendu que la SNCF était privatisée. Cessons donc de
parler de privatisation quand on envisage de transformer France
Télécom en société anonyme détenue à
51 % par l'Etat !
Si France Télécom doit être sociétisée,
elle ne doit en aucun cas être privatisée.
D'une part, sa
privatisation poserait un problème constitutionnel ; d'autre part, son
maintien sous le contrôle de l'Etat est un impératif politique.
Une privatisation poserait un problème constitutionnel
Le préambule de la Constitution du
27 octobre 1946 dispose, en son 9e alinéa, que :
"
Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert
les
caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit
devenir la propriété de la collectivité ".
Le premier alinéa du préambule de la Constitution du
4 octobre 1958 précise, quant à lui, que : "
Le
peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de
l'Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont
été définis par la Déclaration de 1789,
confirmée et complétée par le préambule de la
Constitution de 1946. "
S'appuyant sur ce dernier texte, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel
considère que les principes énoncés dans le
préambule de la Constitution de 1946 ont, comme ceux proclamés
par la Déclaration de 1989, valeur constitutionnelle et qu'ils
s'imposent aux lois. La Haute Juridiction s'estime donc fondée à
censurer une disposition législative qui ne respecterait pas l'un de ces
principes.
Or, il est bien évident que dans le cadre de la nouvelle
réglementation des télécommunications qui est
envisagée,
France Télécom aura, à la fois, les
caractères d'un service public national
(puisqu'elle sera seule
à assurer le service public téléphonique)
et d'un
monopole de fait
(elle sera toujours le seul opérateur pouvant
assurer le raccordement des abonnés à un réseau
général, ses lignes étant les seules à desservir
tous les Français).
Dans ces conditions, si elle n'était pas déjà une
entreprise nationale, l'application du préambule de la Constitution de
1946 conduirait à ce qu'elle le devienne. Il est donc, a fortiori, hors
de question qu'elle puisse perdre cette qualité. Si -ce qui n'a jamais
été proposé- une disposition législative
était avancée en ce sens, le Conseil Constitutionnel ne pourrait
que la censurer.
Le maintien sous le contrôle de l'Etat est un impératif politique
Saisi par le Gouvernement de la question de savoir s'il est
constitutionnellement possible de placer des corps de fonctionnaires de l'Etat
auprès d'une société anonyme, le Conseil d'Etat a, dans
son avis du 18 novembre 1993, répondu par l'affirmative en
indiquant que, dans ce cas, il sera nécessaire que la loi qui porterait
création de la société anonyme France
Télécom :
" - définisse les missions de service public confiées
à cette société et les fasse figurer dans son objet social
;
- prévoie que le capital de cette société anonyme devra
demeurer majoritairement détenu, de manière directe ou indirecte,
par l'Etat, responsable en dernier ressort du bon fonctionnement de ce service
public national
;
- fixe les règles essentielles d'un cahier des charges imposant
à la société anonyme le respect d'obligations garantissant
la bonne exécution du service public ;
- édicte des dispositions propres à garantir que la nature
d'organisme de droit privé de la société anonyme France
Télécom ne pourra avoir pour conséquence qu'il puisse
être porté atteinte au principe de continuité du service
public. "
Pour que l'Etat tienne les engagements moraux et juridiques qu'il a
contractés envers les personnels de France Télécom, il est
donc impératif que la majorité du capital de la nouvelle
société demeure entre ses mains.
Exigences constitutionnelles et morale politique se conjuguent donc pour
imposer que France Télécom conserve son caractère
d'entreprise publique.
Deux conditions complémentaires seraient à respecter
Le Conseil d'Etat a, dans son avis de 1993, défini le
cadre juridique dans lequel, au vu de nos règles constitutionnelles,
devrait s'inscrire une loi de sociétisation.
Votre commission considère, bien entendu, qu'il conviendra de s'y
conformer.
Elle estime toutefois que la loi devrait exclure l'option ouverte par le
Conseil d'Etat d'une
détention indirecte
par l'Etat du capital de
la société anonyme à créer. Pour marquer
l'importance que revêt pour la Nation le service public
téléphonique, il est indispensable que
la majorité des
actions soit détenue directement par l'Etat
et non par une
nébuleuse financière contrôlée par lui.
Enfin, cette loi de sociétisation ne devrait d'aucune manière
porter atteinte à l'architecture de la loi n° 90-568 du
2 juillet 1990 qui organise le service public des
télécommunications. Cette dernière doit rester la seule
référence législative en ce domaine. Il s'agira donc
simplement de l'adapter sur quelques uns de ses articles pour permettre que,
dans le respect de ses obligations de service public, l'entreprise puisse
disposer des armes lui permettant de se battre sur le marché mondial
avec toutes les chances de succès.