ILS NE SAURAIENT ÊTRE QUE PROGRESSIFS ET RAISONNABLES
Le 2 mars dernier, le prix de l'abonnement
téléphonique mensuel est passé de 45,76 francs
à 52,80 francs. Il reste toutefois l'un des moins chers d'Europe.
Celui de Télia (Suède) s'élève à
77,55 francs, celui de BT (Grande-Bretagne) à 63 Francs et
celui de Deutsche Telekom à 73 francs.
La réévaluation effectuée marque un pas important dans la
bonne direction. Cependant, les experts s'accordent pour considérer que
le niveau atteint est encore loin de compenser les charges de France
Télécom liées à l'amortissement et à
l'entretien de son réseau.
Sur ce point, votre Commission des Affaires économiques et le
Sénat dans son ensemble ont pris une position très claire dans la
résolution qu'ils ont adoptée, en décembre dernier, sur
les propositions et projets de directives communautaires visant à
achever le processus juridique de libéralisation du secteur des
télécommunications.
Dans le rapport
62(
*
)
qui a
conduit à l'adoption de cette résolution, M. Pierre
Hérisson relevait que le projet de directive relatif à
l'ouverture complète du marché des
télécommunications
" tend donc à démontrer
la volonté de la commission européenne d'imposer un
réajustement brutal des tarifs téléphoniques avant 1988.
Ceci laisse supposer un profond manque de compréhension des enjeux
économiques et sociaux que représente, dans notre pays, le prix
des communications locales et de l'abonnement au téléphone.
En France, comme partout ailleurs, les charges fixes engendrées par les
réseaux locaux constituent la très grande majorité des
coûts de réseaux de télécommunications. Mais,
contrairement à d'autre pays et en dépit des réformes
tarifaires vigoureuses engagées depuis 1994, la structure des prix de
France Télécom est encore assez sensiblement
déconnectée de la réalité des coûts. Ainsi,
aujourd'hui encore, une part substantielle des charges fixes du réseau
local n'est pas prise en charge par l'abonnement mais couverte par les
excédents financiers dégagés sur les communications
interurbaines qui sont, elles, facturées au delà de leur
coût de production.
(...)
Cette logique tarifaire a, jusqu'à présent, assuré le
développement d'un service public de très haut niveau. Elle ne
peut toutefois perdurer dans un environnement concurrentiel car les
compétiteurs de l'opérateur public pourraient alors facilement
lui soustraire sa clientèle passant beaucoup de communications
interurbaines et ne lui laisser à gérer que les déficits
des réseaux locaux.
Un ajustement des tarifs d'abonnement est donc indispensable. En raison du
retard accumulé, il ne saurait toutefois être complètement
réalisé avant le 1er janvier 1998. "
A la suite des débats auxquels ce rapport avait donné lieu,
votre commission des Affaires économiques avait affirmé que :
- le prix d'accès au téléphone devrait rester abordable
pour toutes les couches de la population ;
- et qu'il ne devait pas, non plus, pénaliser les entreprises
installées dans des zones défavorisées du territoire.
La résolution
63(
*
)
retenue par la commission et adoptée, le
27 décembre 1995, par le Sénat exprime sans
équivoque cette volonté politique, puisque le Sénat :
" (...)
Considérant que l'ouverture des
télécommunications ne peut donc se faire que dans le respect d'un
service universel ambitieux, dont l'ensemble des coûts doivent être
pris en considération et partagés entre les intervenants sur les
marchés ;
Considérant que le rééquilibrage des tarifs du service
téléphonique, nécessaire dans la perspective de
l'ouverture complète du marché, ne peut s'envisager que selon des
modalités supportables par l'ensemble de la population et, en
particulier, par les personnes disposant des revenus les plus modestes ou
résidant dans des zones défavorisées, ainsi que par les
entreprises installées dans ces zones ;
(...) Soutient que le rééquilibrage des tarifs du service
téléphonique en fonction des coûts doit être
progressif, doit assurer le maintien du caractère abordable du prix de
ce service et ne saurait, en tout état de cause, être mis en
oeuvre qu'en prenant en compte les conséquences d'un tel
rééquilibrage pour les ménages et sans porter atteinte
à la politique d'aménagement du territoire.
(....) "
Votre rapporteur, qui avait contribué à la rédaction
définitive de cette disposition, en appuie tous les termes.
Cela ne l'en amène pas moins à s'inscrire en faux contre la
théorie, défendue dans certains cénacles, qui consiste
à prétendre que les frais fixes induits par le réseau de
l'opérateur national doivent être entièrement
compensés par des charges fixes. La thèse -complémentaire
de la précédente- selon laquelle les frais fixes ont à
être estimés aux " coûts comptables historiques "
de France Télécom n'est pas plus acceptable.
Les investissements passés de France Télécom ont
déjà été partiellement amortis. Surtout,
l'idée que les recettes de communication n'ont pas vocation à
financer une partie de ses coûts fixes apparaît, du point de vue de
l'économie générale des industries de réseau, une
position peu défendable.
Nul grand opérateur européen n'applique une telle règle !
D'ailleurs, si elle avait la moindre pertinence, comment expliquer que France
Télécom puisse propose sans abonnement son nouveau système
de radiomessagerie, Tatoo ?
Il faut savoir raison garder ! La vérité est que les
recettes d'abonnement et celles issues des communications locales sont encore
vraisemblablement inférieures à ce qu'une saine gestion
commerciale imposerait. L'écart à réduire n'est en pas
pour autant considérable. Rien d'impossible à assumer à
l'horizon de la fin du siècle avec la baisse tendancielle des prix du
téléphone constatée ces dix dernières
années. De 1985 à 1996, en francs constants, le prix moyen de la
minute de conversation téléphonique a été
divisé par plus de deux pendant que, dans le même temps, les prix
à la consommation ont augmenté de 40 %.
En bref, la baisse prévisible du coût des communications
pourraient largement compenser, sur plusieurs années, les
réévaluations tarifaires qui peuvent être
envisagées. Il y a néanmoins
une condition essentielle
à la réussite d'une telle stratégie : assurer avec la plus
extrême vigilance la satisfaction des besoins téléphoniques
des plus démunis des Français et des zones
défavorisées du territoire, dans des conditions
équivalentes -et même supérieures- à celles
d'aujourd'hui.
La sauvegarde de notre opérateur public ne doit d'aucune manière
signifier l'oubli des moins favorisés.
Telle est la raison pour laquelle il a été proposé que
tous les concurrents de l'opérateur de service universel contribuent au
déséquilibre historique des tarifs. A défaut, celui-ci
serait acculé à choisir entre l'érosion drastique de ses
bénéfices et des hausses brutales de prix, insupportables pour
certains.
Voilà pourquoi, ce dispositif ne constitue pas, au fond, une mesure de
protection de France Télécom mais bel et bien un acte de
défense du service public téléphonique et des
équilibres sociaux qu'il a su préserver. Il découle d'une
exigence politique, nullement d'un quelconque calcul économique.
Cette exigence politique essentielle conduit, également, à
préconiser que les réajustements tarifaires ne s'accomplissent
pas de manière uniforme.