... mais elle impose une clarification et une diversification du financement du service public
Péréquation tarifaire maintenue, mais adaptée pour les prestations de service public relevant du service universel
En France, pour résumer,
le service public
téléphonique rendu à la population, c'est un type de
prestation et un prix.
Les prestations englobent les services élémentaires de la
téléphonie dite filaire, que permet la souscription d'un
abonnement résidentiel auprès de France Télécom ou
l'utilisation d'une cabine téléphonique (mise à
disposition d'un équipement terminal, accès au réseau et
à certains services : annuaire, renseignements, appels d'urgence...).
Ces prestations sont soumises à un certain nombre de principes
(disponibilité, neutralité et adaptation constante
36(
*
)
), dont le plus important est celui de
l'égalité de traitement des usagers
.
Outre ses effets sur la nature des prestations, l'application de ce dernier
principe entraîne que le prix de chacun des services proposés
(raccordement, abonnement, communication locale, communication interurbaine...)
est le même pour tous (sous la seule réserve d'un abonnement
spécifique aux professionnels). Or, le coût de ces services n'est
pas le même partout. Le prix de revient d'une communication passée
sur une ligne à forte fréquentation est plus faible que celui
enregistré sur les autres lignes. Les dépenses engagées
pour raccorder une maison isolée dans une zone rurale, où
l'habitat est dispersé, sont bien plus importantes que celles consenties
pour relier au réseau un appartement dans un immeuble situé au
coeur d'une grande agglomération.
L'égalité des prix implique donc une péréquation
géographique entre les utilisateurs du service public
. Ceux qui sont
situés dans des zones à forte densité démographique
payent plus que ce que coûtent leurs consommations pour éviter que
ceux habitant des territoires isolés se voient facturer des prix
prohibitifs. C'est là une des clefs de la politique d'aménagement
du territoire.
En France, comme dans beaucoup d'autres pays, le principe
d'égalité a aussi donné lieu à une
péréquation
, sans doute abusivement qualifiée de
sociale
37(
*
)
, qui consiste
à maintenir des tarifs assez bas pour les abonnements
résidentiels et les communications locales en majorant ceux des
communications interurbaines ou internationales.
Quel que soit le type de péréquation, l'irruption de la
concurrence impose de l'adapter. En effet, en se focalisant sur les segments
les plus rentables du marché et en proposant des prix alignés sur
les coûts réels -et donc, par construction, inférieurs
à ceux de l'opérateur pratiquant une forte
péréquation- les concurrents auraient beau jeu de lui confisquer
ses recettes de péréquation et de ne lui laisser que les
déficits.
Confrontés à cette nouvelle situation, certains pays ont
annoncé qu'ils comptaient abandonner la péréquation
géographique des tarifs -qui est, historiquement, une obligation dans la
plupart des États de l'Union européenne- pour la remplacer par la
fixation de plafonds permettant à l'opérateur d'offrir des tarifs
alternatifs.
Ainsi, au Royaume-Uni, BT vient de conclure un accord en ce sens avec l'Office
de régulation (Oftel) ; les Pays-Bas et le Danemark s'orientent vers des
solutions identiques, sans pour autant les avoir déjà mises en
oeuvre.
Par ailleurs, dans les pays scandinaves, les aides apportées, en
matière téléphonique, aux handicapés et à
certaines catégories défavorisées sont depuis longtemps
financées par l'État et non pas par les acteurs du marché.
De ce point de vue, la concurrence ne changera rien.
En revanche, dans les pays autres que ceux qui viennent d'être
cités, il n'est pas envisagé de renoncer à la
péréquation géographique. En outre, on continue à y
considérer que les intervenants sur le marché des
télécommunications doivent supporter le coût des soutiens
dont bénéficient les couches désavantagées de la
population.
Votre commission, tout comme d'ailleurs le Gouvernement, est favorable à
cette orientation.
Les péréquations géographique et sociale doivent
être maintenues
quitte à ce que la dernière connaisse
une déclinaison plus " ciblée " qu'actuellement. Le
principe d'égalité inscrit au frontispice de tous nos monuments
publics interdit une autre solution.
Les tarifs téléphoniques
doivent rester les mêmes en tout point du territoire et tous les acteurs
du marché doivent contribuer à ce résultat.
Il est toutefois clair que même avec des mécanismes de
compensation, le ou les opérateurs desservant des zones peu rentables
seront handicapés par rapport à ceux n'intervenant que sur les
portions les plus peuplées du territoire, notamment en ce qui concerne
les communications interurbaines où la concurrence sera
vraisemblablement la plus vive.
Maintenir une tarification strictement égalitariste conduirait à
favoriser l'émergence de déséquilibres. Cependant,
autoriser, à l'instar de ce que pratiquent certains services publics de
transport, une tarification variant selon les trajets serait contraire aux
objectifs d'aménagement du territoire.
C'est pourquoi, votre commission propose que la tarification soit uniforme,
quelle que soit la destination, mais puisse varier en fonction du volume des
communications. Un gros consommateur pourrait, par exemple,
bénéficier pour ses appels de prix unitaires moins
élevés que la norme tarifaire en contrepartie d'abonnements plus
chers,
comme cela est déjà le cas pour la fourniture
d'électricité.
En d'autres termes, la tarification pourrait être modulée en
fonction du nombre de communications mais pas en fonction de la ligne
empruntée. Ainsi, à taille égale, une entreprise de Rodez
ne serait pas pénalisée par rapport à une entreprise de
Puteaux.
Autres sources de financement pour les prestations de service public ne relevant pas du service universel
Hors service universel, les acteurs du marché ne
pourront pas être contraints à un soutien complet du service
public. La législation européenne ne souffre d'aucune
ambiguïté en la matière.
Par ailleurs, dans un contexte concurrentiel, il est hors de question de
continuer à faire peser le coût des prestations non couvertes par
le service universel sur le seul opérateur public. Cela
équivaudrait à lui faire supporter des charges auxquelles
échapperaient ses concurrents et reviendrait à entraver sa
capacité d'adaptation.
La libéralisation des télécommunications porte-t-elle pour
autant un coût fatal à la partie du service public à la
française qui ne relève pas du service universel ? Nullement !
Les ressources à trouver n'excèdent pas, selon les calculs de
votre rapporteur, quelque 800 millions de francs. Ceci constitue, certes,
une somme importante -pas loin de 9 % des bénéfices annuels
de France Télécom-, mais la collecte n'en apparaît pas hors
de portée.
En premier lieu, l'État pourrait, pour équilibrer les conditions
de concurrence,
imposer à tous les intervenants sur le marché
une contribution à la recherche-développement, l'enseignement et
à la normalisation
.
Déjà, les cahiers des charges auxquels sont soumis la
Société française de Télécommunications
(SFR)
38(
*
)
et
Bouygues-Télécom, pour l'exploitation de réseaux de
radio-télécommunications mobiles, prévoient que chacune de
ces entreprises est tenue de consacrer 7 % des montants hors taxes de ses
investissements à des actions en ces domaines, cette obligation pouvant
être satisfaite par des prestations en nature ou par le versement d'une
contribution financière. Un tel dispositif, déjà
accepté par Bruxelles pour la téléphonie mobile, pourrait
donc être appliqué à tous les entrants sur le marché
de la téléphonie publique entre points fixes.
Il ne sera toutefois pas permis -législation communautaire oblige-
d'affecter les sommes ainsi mobilisées par les nouveaux entrants aux
missions, parfois fort lourdes, que l'Etat impose à France
Télécom. Ils pourront les affecter aux opérations de leur
choix pourvu qu'elles répondent aux exigences de leur licence.
L'équilibre réalisé ne sera donc que partiel et
superficiel.
En ce qui concerne les contributions aux communications gouvernementales,
à la défense et à la sécurité publique,
à la promotion de l'innovation et de la technologie française
à l'étranger, ainsi qu'à la coopération technique
internationale et à l'aide au développement, l'arbitrage devrait
découler d'un examen détaillé des obligations qui
correspondent à ces contributions.
Dans les cas où le service rendu bénéficierait
exclusivement à l'État, ce dernier devrait logiquement en
supporter le coût sur son budget.
Dans les cas où l'entreprise tirerait avantage du respect de certaines
prescriptions (exemples : protection de ses installations et surveillance de
leur bon fonctionnement pour être en mesure de contribuer à la
défense et à la sécurité publique ;
coopération technique internationale...), un partage des charges
pourrait être envisagé.
Dans tous les cas, l'État devra assurer une juste compensation du
coût des prestations.
S'agissant de
la recherche
, France Télécom, acteur majeur
de l'effort de recherche-développement (R-D) français en
télécommunications, a été amenée à
consentir des efforts, que son monopole lui permettait de soutenir, sur des
programmes auxquels sa seule qualité d'opérateur
téléphonique ne l'aurait sans doute pas conduit à
s'intéresser.
Dès lors qu'il est exclu que son laboratoire de recherche, le Centre
national d'études des télécommunications, connaisse une
évolution distincte de celle de l'entreprise en devenant par exemple
prestataire indépendant
39(
*
)
,
France Télécom doit
pouvoir être autorisée à recentrer ses dépenses de
R-D vers son métier de base. Ceci ne peut toutefois s'envisager
qu'à la double condition de la poursuite de sa contribution aux
recherches d'intérêt public à long terme
40(
*
)
et d'un maintien de l'emploi des
chercheurs.
Or, au regard des quelque 5,5 milliards de francs mobilisés en 1995
par France Télécom au titre de la R-D, les programmes de
recherche d'intérêt général qui pourraient
être estimés ne plus relever de son champ d'intérêt
direct correspondent, d'après les évaluations de votre
rapporteur, à une
enveloppe globale de l'ordre de 300 millions
de francs.
Là encore, l'ajustement à réaliser n'apparaît
nullement inaccessible quand on considère l'évolution des
crédits de R-D de France Télécom au cours des
dernières années. De 1992 à 1995, l'entreprise a -sans
doute de manière un peu excessive- recentré ses efforts de R-D
vers les services concurrentiels en réduisant de 23 à 17 %
la part de recherche amont dans l'ensemble des dépenses. Dans le
même temps, elle a diminué de 450 à 100 millions de
francs ses dépenses de recherche non contractualisées.
Ainsi, les mesures à envisager pour lui permettre d'adapter son budget
de recherche à la réalité concurrentielle (transfert de
certains programmes à des laboratoires publics ou privés,
accentuation des soutiens industriels ou publics à ceux maintenus en
interne sans intérêt particulier, ...) semblent pouvoir être
mises en oeuvre, sans porter atteinte à des équilibres sociaux ou
territoriaux devant être préservés.
Il s'agit néanmoins, au préalable, d'étudier attentivement
les diverses déclinaisons possibles de ces mesures et d'en
négocier les différents volets avec tous les acteurs
concernés.
En définitive, le dossier financièrement le plus délicat
à régler semble bien être celui de
l'enseignement
supérieur des télécommunications.
France Télécom est, d'après l'article 22 de son
cahier des charges, substituée à l'État pour assurer la
mission de service public d'enseignement supérieur des
télécommunications. A ce titre, elle coiffe les Écoles
nationales supérieures de télécommunications (ENST) de
Paris-Brest et Evry. Elle est aussi partie prenante dans plusieurs groupements
d'intérêt économique gérant des pôles
d'enseignement, dont l'École nationale d'ingénieurs en
communication (ENIC), à laquelle participent également
l'université de Lille et l'Institut Théséus à
Sophia Antipolis, ainsi que l'École nationale supérieure des
Postes et Télécommunications (ENSPTT) avec la Poste et le
ministère de tutelle.
L'opérateur public paie à chacune de ces écoles, dont
85 % des diplômés ne sont pas embauchés par lui, les
prestations de formation réalisées pour ses besoins propres et
leur verse, en outre, diverses subventions de fonctionnement.
Au total, les subventions attribuées par l'exploitant public pour la
formation d'ingénieurs n'intégrant pas ses rangs
s'élèvent à quelque
430 millions de francs
(hors ENSPTT).
Le cahier des charges de France Télécom avait prévu qu'un
décret en Conseil d'Etat fixerait, au plus tard le 1er janvier 1994,
l'organisation définitive de ce service qui incombe, sans conteste,
à l'État au titre de ses attributions en matière
d'éducation nationale. Ce décret n'est pas paru et, en
l'état des finances publiques, le budget national absorberait
difficilement un tel transfert. La situation actuelle ne peut pas pour autant
perdurer car France Télécom se trouverait, de facto,
amenée à subventionner ses concurrents en assurant à ses
frais la formation de leur encadrement supérieur.
C'est pourquoi,
votre commission est amenée à proposer que
le produit de l'impôt additionnel à la taxe professionnelle
payé par France Télécom et ses concurrents soit
entièrement affecté au financement des écoles
supérieures de télécommunications.
Actuellement, les sommes versées à ce titre par la SFR et
Bouygues-Télécom alimentent les budgets des Chambres de commerce
et d'industrie (CCI), qui n'interviennent pas dans l'enseignement
supérieur des télécommunications. La contribution fiscale
de France Télécom abonde, quant à elle, le budget de
l'État sans reversement aux CCI ou aux écoles de
télécommunications.
La solution préconisée constituerait donc une réponse
équitable au problème posé. Votre commission
considère toutefois que si le produit de l'impôt ne couvrait pas
la totalité des frais, il conviendrait de prévoir une subvention
budgétaire pour le solde.