UN DÉFI MORAL
Respecter les engagements pris
Face aux changements que la concurrence va imposer, France
Télécom et l'Etat ont d'abord l'obligation, à la fois
juridique et morale, de respecter les engagements qui ont été
pris à l'égard de ceux qui ont choisi d'embrasser la
carrière de fonctionnaire des télécommunications en raison
du statut qui y correspondait.
Ils ont donc à
réaffirmer clairement
, dans des formes
solennelles,
qu'ils garantissent le maintien de leur statut et de la
sécurité individuelle d'emploi qui en découle à
ceux qui travaillent pour l'entreprise publique
.
Dire la vérité
Relever le défi moral du changement, c'est aussi
dire la vérité.
Dire la vérité, c'est d'abord reconnaître qu'on ne sait
pas ce que seront tous les métiers des télécommunications
dans vingt ans mais qu'en tout état de cause, ils vont vraisemblablement
connaître des transformations importantes et que cela va imposer un
effort d'adaptation à beaucoup des agents de France
Télécom.
Dire la vérité c'est aussi énoncer ce que disent les
salariés de France Télécom eux-mêmes, à
savoir qu'il y a des branches de l'entreprise où l'emploi devrait
connaître un développement important (les fonctions commerciales
par exemple) et d'autres où il devrait stagner, voire diminuer.
Il n'est pas possible de prétendre que tout va changer pour l'entreprise
sans que rien ne change pour le personnel. C'est faire injure à
l'intelligence des agents de France Télécom.
La plupart de ceux qu'a rencontrés votre rapporteur le savent. La France
a rattrapé son retard d'équipement téléphonique.
Les réseaux sont installés. Ils doivent continuer à
être entretenus et modernisés. Petit à petit la fibre
optique va remplacer les fils de cuivre. Mais cela ne va pas demander un effort
aussi important que celui accompli au cours des dernières
décennies et la concurrence ne permettra pas de laisser insuffisamment
employées des compétences qui pourraient s'exprimer ailleurs dans
l'entreprise.
Il y a donc à prévoir, dans les années qui viennent, des
reconversions professionnelles permettant un redéploiement des effectifs
ajustés aux nouvelles priorités de l'opérateur public. Il
est difficile d'envisager que les choses se passent autrement. Les
salariés de France Télécom le savent ou le devinent. Ne
pas leur dire franchement leur laisserait supposer qu'on leur cache la
vérité et cela introduirait le doute sur toutes les assurances
qui peuvent leur être données par ailleurs.
Pour rétablir la confiance, il faut dire la vérité.
Mais dire la vérité, c'est aussi proclamer
qu'aucun de ces
ajustements ne pose de problème s'ils sont entrepris à temps,
d'une manière respectueuse des droits acquis et avec une
véritable préoccupation sociale fondée sur la
reconnaissance des services rendus.
Dire la vérité, c'est enfin faire litière de cet
argument selon lequel la concurrence constituerait automatiquement une menace
pour l'emploi
. Les précédents anglais ou allemands qui sont
agités comme des épouvantails ne sont pas probants. En 1984, BT
avait une productivité déplorable, très nettement
inférieure à celle de France Télécom aujourd'hui.
Et l'efficacité des personnels de notre opérateur est de loin
supérieure à celle des téléphonistes d'Allemagne de
l'Est qui ont intégré les rangs de Deutsche Telekom après
la réunification allemande. Par ailleurs, les pratiques sociales
américaines ne sont pas celles qui ont cours en Europe et il n'est pas
envisagé, au contraire de ce qui s'est passé chez ATT, de
fractionner France Télécom.
En outre, considérer que la concurrence va avoir pour effet de
réduire les activités de France Télécom parce que
ses compétiteurs vont prendre une partie du marché est une
absurdité économique, car la concurrence entraîne des
baisses de prix qui ont pour effet d'accroître la taille du
marché. Aux Etats-Unis de 1986 à 1993, en 7 ans, le nombre de
minutes consommées a doublé et ATT, l'opérateur historique
dont le monopole avait été démantelé, a maintenu et
même accru ses recettes au cours de la période.
Qui plus est, notre histoire administrative fournit une illustration de cette
vérité économique. En 1868, le Vicomte de la Vougy,
Directeur des PTT, a pris la décision de diviser par deux les tarifs du
télégraphe. L'année d'après, le trafic
télégraphique avait doublé et, dans les années qui
ont suivi, les recettes de son administration ont augmenté.
En ce domaine, la crainte des changements que peut inspirer la fin du monopole
téléphonique est, en définitive, un avatar de ce
" mal français " qui consiste à croire que tout
changement est à somme nulle et ne peut engendrer que des gagnants et
des perdants. Le changement conduit aussi à des enchaînements
gagnants/gagnants qui profitent à tous. A France Télécom,
l'emploi a-t-il pâti de l'automatisation des centraux et de la
disparition du métier d'opératrice ?
Dans un monde ouvert, c'est le refus de l'adaptation à la concurrence
qui serait destructeur d'emplois !
Michel Bon, Président de France Télécom, l'a
affirmé devant la Commission des Affaires économiques du
Sénat lors de son audition du 24 janvier dernier : si la croissance
du marché téléphonique et des nouveaux services de
communication est à l'aune de ce qu'on peut légitimement
espérer, l'entreprise ne manquera pas des moyens d'assurer la formation
professionnelle et les reclassements de ses personnels sans dommage pour leur
carrière.
Cela ne sera toutefois possible que si les personnels sont associés
à un projet d'entreprise intelligible par tous et si les mesures qui
s'imposent sont prises sans tarder.