TECHNIQUEMENT IRRÉSISTIBLE
Même en l'absence des échéances juridiques
fixées par Bruxelles, les progrès technologiques
enregistrés dans le domaine des télécommunications ces
derniers temps tendraient à rendre obsolètes les protections
monopolistiques.
La concurrence téléphonique, c'est déjà aussi
simple que le " call back ".
Le " call back " consiste à appeler, depuis une ligne
téléphonique déclarée, un ordinateur à
l'étranger. On laisse retentir la sonnerie et on raccroche, sans avoir
établi la communication. L'ordinateur compose alors automatiquement le
numéro de téléphone correspondant à la ligne
déclarée et la connecte sur un central
téléphonique. On décroche alors son
téléphone et on compose le numéro que l'on désire
obtenir dans un pays étranger. La communication est ensuite obtenue dans
les conditions habituelles, à la différence que sa facturation
n'est pas établie par France Télécom mais, à des
coûts bien moindres, par la compagnie étrangères qui a
acheminé l'appel.
Certes, la signature d'un contrat de " call back " entraîne
la
souscription d'un engagement de consommation minimum et suppose l'acceptation
d'une légère contrainte d'utilisation.
En revanche, comme les prestataires de " call back " sont
installés dans des pays où la concurrence a déjà
fait baissé les prix (États-Unis, Grande-Bretagne...), le
coût de la communication est 30 à 70 % moins
élevé que si elle était établie par France
Télécom.
Bien plus, lorsqu'on choisit un opérateur de " call back "
américain et que le correspondant à joindre est installé
sur le territoire des États-Unis, l'appel n'est pas
considéré comme un appel international, mais comme un appel
intérieur aux États-Unis et se trouve donc facturé 2
à 3 fois moins cher.
Comment, dans ses conditions, s'étonner de la vogue que connaît le
" call back " auprès d'entreprises disposant de succursales
à l'étranger ou auprès de particuliers dont des proches
séjournent hors de nos frontières ?
La grande " porosité " des actuelles " casemates
monopolistiques " est également mis en évidence par les
projets futuristes de réseaux satellitaires permettant de
s'exonérer des contraintes imposées par les infrastructures
filaires et, en conséquence, d'offrir des services de
téléphonie en ignorant ceux qui sont propriétaires de ces
infrastructures.
Le plus connu de ces projets est celui piloté par Bill Gates -le
Président de Microsoft, première entreprise mondiale de logiciel-
et Craig Mc Caw, le milliardaire américain de la
téléphonie cellulaire.
Ils ont, en effet, annoncé leur intention d'ouvrir, à compter de
2001, un réseau mondial de télécommunications
constitué de 840 satellites en orbite basse
24(
*
)
. Ce réseau permettrait de
couvrir la totalité de la planète et de véhiculer, de
manière interactive et à très grande vitesse, des voix
(c'est-à-dire des services téléphoniques), des
données, des images et la plupart des prestations multimédias
(vidéo-conférence, télédiagnostic, ...). Ce serait
l'une des plus importantes applications commerciales de la technologie
développée par le programme de recherche dit " guerre des
étoiles ".
A cet effet, les deux associés ont, d'ores et déjà,
fondé une société,
Teledesic Corporation
, dont ils
détiennent chacun 30 % des parts. Ils prévoient d'investir,
au total, 9 milliards de dollars (environ 50 milliards de francs)
dans l'opération.
Sceptiques, certains soulignent que ce projet souffre de sérieux
handicaps. On ne dispose pas des capacités de lancement qu'exigerait le
maintien d'un tel nombre de satellites en orbite basse. Ceux-ci tombant assez
rapidement en raison de leur faible altitude, il faudrait, en effet, pouvoir en
remplacer 4 à 5 par semaine. En outre, actuellement, les antennes
d'émission satellitaire à haut débit sont à la fois
très volumineuses et très chères.
Cependant, l'existence d'un marché important et les avancées
technologiques enregistrées dans ces domaines pourraient, dans les
années qui viennent, effacer ces obstacles. Par ailleurs, Teledesic ne
compte pas exploiter directement son réseau auprès des usagers,
mais le vendre comme support à d'autres opérateurs, nationaux ou
locaux.
Surtout, en novembre 1995, l'Union internationale des
télécommunications (UIT) a, lors de sa conférence annuelle
à Genève, attribué une gamme de fréquences aux
satellites non géostationnaires pour des services de transmission de
données à haut débit. Comme les Américains sont les
plus en pointe en la matière, ceci n'est pas sans être
préoccupant pour les Européens.
D'autant plus préoccupant que Teledesic n'est pas le seul projet de
cette nature. Motorola a déjà programmé, cette
année, la mise sur orbite de cinq satellites expérimentaux pour
tester son projet Iridium, moins ambitieux que Teledesic, mais reposant sur des
principes comparables.
Cependant, Alcatel participe à Globalstar, projet de communications
mobiles par satellites développé par Loral et cherche des
partenaires pour financer le projet Sativod, moins coûteux que Teledesic
et pouvant offrir les mêmes services.
Au-delà des perspectives ouvertes par une " résille de
satellites " tourbillonnant autour de la planète, le formidable
potentiel qu'offre la combinaison des technologies numériques et
hertziennes n'est pas sans frapper votre rapporteur.
Aujourd'hui, dans les laboratoires de " Advanced Television Test
Center ", à Washington, on affirme être à même
de faire circuler simultanément 30 programmes de
télévision sur les fils du téléphone
en
numérisant les images et en comprimant les données ainsi obtenues
avec des algorithmes adéquats.
Appliquées à des systèmes de communication par voie
hertzienne comme le MMDS (Microwaves Multichannel Distribution System,
système de distribution multipoint multiplexé) ces technologies
numériques ouvrent de nouvelles possibilités de desserte, par des
réseaux à hauts débits, des zones rurales où
l'installation d'infrastructures lourdes serait difficilement rentable.
Dans cette perspective, le MMDS pourrait être le
câble hertzien
de l'espace rural
.
Parallèlement aux possibilités ouvertes par les technologies
hertziennes, certains pronostiquent des formes de concurrence inédites
sur les réseaux filaires. Ainsi, Christian Huitema, chercheur à
l'INRIA et membre de " l'Internet Architecture
Board "
25(
*
)
, affirme
"
qu'il est
évident qu'à terme il y aura intégration des voix et des
données sur l'Internet. Dans le futur, on ne vendra plus de postes
téléphoniques mais des outils de communication dont le
téléphone ne sera qu'une composante. Si les opérateurs de
téléphone veulent survivre, ils doivent prendre le
virage "
26(
*
)
.
Certes, aujourd'hui, il est difficile d'être convaincu par une telle
assertion. Pour avoir une conversation téléphonique sur le
" réseau des réseaux ", il faut disposer d'un
équipement coûteux (micro-ordinateur, doté d'un
haut-parleur et d'un microphone, logiciel ad hoc...). En outre, même avec
un tel matériel, la qualité des transmissions est très
éloignée de celle assurée par les réseaux
téléphoniques, inférieure à celle pouvant
être tenue sur la CB (Citizen Band).
Mais, demain, la perspective d'être en mesure d'appeler Tokyo pour le
prix d'une communication locale ne va-t-elle pas susciter une demande accrue
des " Internautes ", pouvant conduire à l'émergence de
produits rendant attractif et peu cher le téléphone sur le
" Net " ?
Nul ne sait ! En revanche, il est certain que s'il restait enfermé dans
la " ligne Maginot du monopole ", notre opérateur
téléphonique serait vite contourné et aurait bien peu de
chance de résister à " l'offensive " des nouvelles
technologies. Face à ces dernières, le monopole juridique sur le
téléphone n'apparaît guère plus solide qu'un
" bouclier de carton ".