ÉCONOMIQUEMENT INDISPENSABLE
La théorie du monopole naturel se justifie de moins en moins
La justification de monopoles régulés par
l'État dans les industries de réseau a longtemps reposé
sur les théories dites du
monopole naturel
s'inspirant des
travaux d'économistes comme L. Walras et W. Pareto.
Dans le cas des télécommunications, le monopole se trouvait
légitimé par le fait qu'il permettait des
rendements
croissants
, c'est-à-dire une situation où, en raison du
coût élevé des infrastructures, les prix unitaires du
service diminuent si ce dernier est fourni en grande quantité par un
seul prestataire.
La pertinence de cet argument, tout à fait fondé pendant
longtemps, doit désormais être relativisée.
Tout d'abord, même si le coût des travaux de génie civil
nécessaires à l'établissement des lignes reste très
élevé, les charges d'investissement se déplacent
maintenant des lignes vers les centraux de commutation. Plusieurs raisons
à cela : les infrastructures filaires maillent désormais
l'ensemble du territoire, les techniques hertziennes moins onéreuses
commencent à apparaître dans certains cas comme des alternatives
intéressantes, le fait que tant la puissance que l'intelligence des
réseaux dépendent de plus en plus des logiciels qui les pilotent
à partir des commutateurs. Or, le coût de ces logiciels tend
à croître à proportion des services qu'ils rendent.
Surtout, le formidable développement de l'informatique fait voler en
éclat le principe traditionnel selon lequel l'unicité du
réseau imposait l'unicité d'opérateur. Dans un
passé encore récent, il était inenvisageable ou
extrêmement onéreux de mettre en place des dispositifs permettant
d'identifier et de facturer l'utilisation d'un réseau de
télécommunications par un autre que son propriétaire.
Désormais, ce n'est plus vrai. Les logiciels de comptage et de suivi des
connexions implantés sur les commutateurs sont à même
d'effectuer ces tâches pour un coût minime.
Le monopole a des coûts économiques de plus en plus lourds
Une entrave à la diffusion des progrès techniques
D'une manière générale, dans un
environnement technologique en évolution rapide, les structures
monopolistiques ne favorisent pas la diffusion du progrès technique. Les
monopoles, voire les duopoles, sont naturellement conduits à maximiser
les bénéfices que leur procurent leurs investissements en cours
d'amortissement. Ils sont en définitive davantage portés vers la
rente que vers l'innovation car, face à un marché captif, il
n'est pas sûr que l'innovation apporte beaucoup de recettes
supplémentaires alors qu'il est certain que l'investissement la
permettant entraînera une dépense.
De ce point de vue,
l'importance du retard enregistré par la France
en matière de téléphonie mobile est un exemple
probant
. En Suède, où il y a trois opérateurs de
radiotéléphone, on compte 21,6 abonnés pour 100 habitants
; en France, où pendant huit ans, il n'y a eu que deux opérateurs
dont un par ailleurs en situation de monopole sur le téléphone
entre points fixes, on ne compte que 2,1 abonnés pour 100 habitants. Dix
fois moins ! Un des taux le plus bas d'Europe ! Le plus bas des pays de
niveau de développement comparable !
Certes, entre le 1er janvier 1994 et le 30 juin 1995, le nombre
d'abonnés au radiotéléphonie a, d'un coup, doublé,
dépassant à cette date -sous l'effet d'une baisse des prix
prononcée- le seuil du million de personnes. Cette brutale
accélération peut apparaître surprenante. Elle se comprend
mieux quand on se rappelle qu'en 1994, a été
désigné un troisième opérateur de
téléphonie mobile : Bouygues Télécom. Sa prochaine
arrivée sur le marché a en quelque sorte déclenché
un sursaut préventif des deux opérateurs en place.
S'il
fallait trouver une preuve que la concurrence favorise la
démocratisation du progrès technique, on pourrait la voir
là.
Un handicap de productivité pour l'économie
Dans un contexte de forts changements technologiques, un
autre
inconvénient du monopole est qu'il n'est pas naturellement enclin
à répercuter l'évolution de ses coûts sur ses prix.
C'est le cas actuellement de France Télécom. On l'a vu, ses
tarifs ne reflètent pas la répartition réelle de ses
charges de production.
Il en résulte une distorsion dans l'allocation des ressources qu'il
fournit à ses clients. Ceci constitue indéniablement un
handicap de productivité pour les entreprises
qui payent un
service plus cher que leurs concurrentes étrangères. Dans le cas
d'un secteur aussi essentiel et aussi porteur d'avenir que les
télécommunications, un tel phénomène peut
même devenir
pénalisant pour l'ensemble de
l'économie
.
Ainsi, votre rapporteur ne peut s'empêcher de constater que, au milieu
des années 1980, le " Big Bang " de la City, la place
financière londonnienne, et l'expansion des services financiers anglais
qui en a résulté a été postérieur à
la libéralisation des télécommunications britanniques.
N'est-ce pas parce que les banques et les financiers internationaux sont
attirés par les pays où les communications internationales et la
transmission de données sont peu chères ?