Une persistance dans les relations sociales
En revanche, la situation semble avoir beaucoup moins
évolué en ce qui concerne les relations entretenues avec les
salariés.
La manière dont ont été réalisées, à
France Télécom, les reclassifications des personnels
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, décidées
parallèlement à la réforme des PTT, constitue, de l'avis
de votre rapporteur, une illustration des infirmités sociales qui
découlent de cet état de fait.
La transformation juridique de la Poste et de France Télécom en
exploitant autonome de droit public a, en effet, été
accompagnée d'un ambitieux programme social qui a fait l'objet d'un
accord avec trois des organisations représentatives du personnel, le 9
juillet 1990.
Ce programme social comportait deux volets. Le premier consistait en des
mesures classiques de reclassement des personnels fonctionnaires dans de
nouvelles échelles indiciaires plus favorables. Il a été
mis en oeuvre en 1991 et 1992. Le second volet correspondait à une
réorganisation des " classifications " des personnels. Il a
été appliqué progressivement à partir du 1er
janvier 1993. Cette réorganisation visait à mieux harmoniser le
grade détenu et la fonction exercée. L'objectif affiché
par cette refonte des classifications était de valoriser les
tâches exercées par les agents en reconnaissant le
professionalisme qu'elles exigeaient.
De manière concrète, la " reclassification " s'est
traduite par le rattachement de chaque fonctionnaire de La Poste et de France
Télécom à une fonction correspondant au poste qu'il
occupait effectivement, puis par son intégration dans le grade de
reclassification correspondant au niveau de cette fonction.
Elle s'est articulée en trois phases :
- la classification de l'ensemble des fonctions, qui a consisté pour
chaque exploitant à identifier, décrire et évaluer les
différentes fonctions exercées, puis à les classer sur les
quinze niveaux hiérarchiques prévus par l'accord du 9
juillet 1990 ;
- l'élaboration des dispositions statutaires applicables aux nouveaux
corps de classification et définissant, notamment, les conditions de la
nouvelle situation indiciaire des agents ;
- la reclassification des agents, c'est-à-dire la proposition, faite
à chaque agent, de rattachement de son poste de travail à une
fonction identifiée et l'intégration dans le grade correspondant
à cette fonction, après avis d'une commission paritaire
spéciale et selon les règles fixées par les dispositions
statutaires.
La reclassification a conduit à une revalorisation conséquente
des traitements des personnels, allant au-delà des mesures
instaurées dans le cadre du protocole d'accord Durafour pour les
personnels de la fonction publique de l'Etat (environ 10 % pour l'ensemble des
mesures de reclassement et de reclassification).
A France Télécom, le coût annuel
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induit par les seules
reclassifications est estimé à environ 660 millions de francs,
soit 2,8 % de la masse salariale annuelle ou encore, en moyenne, quelque 4.400
francs par an et par agent.
A la Poste, où ce coût individualisé a été
moindre, les reclassifications paraissent n'avoir suscité aucune
contestation d'envergure. A France Télécom, toutes les
organisations syndicales qu'a rencontrées votre rapporteur ont reconnu
que cette procédure avait engendré beaucoup de frustrations et un
immense mécontentement. La plupart de ces organisations ont d'ailleurs
critiqué de manière très vive les modalités de mise
en oeuvre de la réforme. La quasi totalité des salariés
avec lequels votre rapporteur s'est entretenu directement lui ont,
également, fait part de la déception et du ressentiment
qu'avaient fait naître les reclassifications.
Lorsqu'était souligné le paradoxe existant entre le
caractère a priori très favorable de la mesure et l'ampleur des
critiques dont sa traduction faisait l'objet, les réponses
formulées étaient révélatrices :
" Les gens
ne vivent pas que de pain ; ils ont aussi, et parfois surtout, besoin de
considération ". " On n'indemnise pas une vexation avec de
l'argent ". " Les gens ont eu l'impression d'avoir été
trompés. Ce qu'on a fait ne correspondait pas à ce qui avait
été promis ". " Tout ça a été
mené de façon très autoritaire. Celui qui proposait une
reclassification était aussi celui qui statuait sur le recours qui
pouvait être opposé à sa décision "...
Le présent rapport n'a nullement pour objet d'enquêter sur les
modes de gestion sociale de France Télécom. Il ne saurait donc en
l'espèce formuler le moindre jugement sur les causes de l'insatisfaction
qu'ont créée les reclassifications. Il se doit toutefois de
souligner l'importance du malaise social qui en est résulté.
A titre personnel, votre rapporteur ne peut s'empêcher d'y déceler
une certaine difficulté de France Télécom à
communiquer autrement qu'à distance. Ceci peut donc amener à
craindre que les conditions d'un réel dialogue social n'y soient pas
réunies, comme si n'y avait pas encore été bien
perçu que les formes réglementaires de communication avec le
personnel qui ont cours dans une administration ne sont plus adaptées
à une structure qui tend à devenir une entreprise à part
entière. Si tel était le cas, il conviendrait d'y remédier
prioritairement, tant il est vrai que sans l'adhésion de ses agents
beaucoup des ambitions que l'on peut nourrir pour notre opérateur
téléphonique seraient vaines.